‏ Luke 1:60-63

CINQUANTE-CINQUIÈME SERMON.

SUR LA NATIVITÉ DE SAINT JEAN. (PREMIER SERMON.)

ANALYSE. — 1. Jésus-Christ est venu dans le monde nonobstant le prince du monde. — 2. Jésus-Christ a eu pour précurseur saint Jean. — 3. Saint Jean livré à une femme impudique. — 4. Miracle de la naissance de saint Jean. — 5. Cette naissance doit nous inspirer la joie la plus vive.

1. Notre Roi, avant de naître d’une Vierge, s’était fait précéder de l’armée des Prophètes, afin que le monde, jusque-là révolté contre les édits de son prince, acceptât enfin le joug de Dieu et ne pût envisager sans crainte l’arrivée de son souverain Juge. Mais le désespoir devint de l’audace, notre misérable humanité se mit en guerre ouverte contre Dieu, comme si elle ne dût avoir aucun juge de sa conduite, comme si elle n’eût aucun désir de se réconcilier avec son Créateur et qu’elle ne pût tenir aucun compte de ses ordres. C’est alors que le Verbe, s’enveloppant dans un secret impénétrable, descendit des hauteurs du ciel et vint s’incarner dans l’obscurité la plus profonde.

2. Mais auparavant, ce même Verbe avait envoyé pour son précurseur, saint Jean, avec mission de préparer les âmes à la venue du Messie. Écoutez cette voix céleste, ce héraut terrible du grand Roi, cette trompette éclatante faisant retentir ces cris impétueux : « Je suis la voix de celui qui crie dans le désert : Préparez la voie au Seigneur, rendez droits les sentiers de notre Dieu. Toute vallée sera comblée, toute montagne et toute colline seront abaissées, les chemins courbes seront redressés, les sentiers escarpés seront aplanis, la gloire de Dieu apparaîtra, et toute chair verra le salut du Seigneur notre Dieu a ». À la naissance de saint Jean, Jésus-Christ était encore caché dans le sein de sa Mère ; Marie tenait renfermés dans ses entrailles, parmi les lis et les roses, les membres invisibles du Dieu fait homme. La voix apparaît la première, et bientôt le Verbe suivra. Saint Jean s’adresse donc aux hommes, il presse, il crie : « Préparez le chemin au Seigneur, rendez droits les sentiers de notre Dieu ». Arrachez des cœurs toute perversité, corrigez toutes ces perfidies tortueuses, aplanissez par les œuvres de la simplicité et de la foi les collines anfractueuses de l’iniquité, et les erreurs levant audacieusement leur front orgueilleux. Dieu nous arrive, Jésus-Christ approche ; accueillez présent celui que vous avez méprisé absent. Quoique étant l’offensé, Dieu se donne de lui-même, parce qu’il désire être apaisé.

3. Mais le Précurseur fut, de la part des hommes, l’objet d’une horrible cruauté et d’un profond mépris, à tel point que sa tête fut le prix des danses voluptueuses d’Hérodiade ; l’innocence du saint Précurseur devint l’enjeu d’un combat entre la passion et la fureur ; le roi, tout à coup aveuglé par la honteuse concupiscence qu’enflammaient à dessein les grâces impudiques d’une jeune danseuse, livre honteusement le sang innocent, non point à un guerrier armé, mais à une femme éhontée.

4. Mais je m’aperçois, mes frères, qu’au lieu de vous parler de la naissance même de saint Jean, je vous entretiens déjà de sa mort. Je reviens donc à mon sujet, car je ne veux pas m’étendre outre mesure ni m’exposer à faire naître le dégoût et l’ennui. La lecture même de l’Évangile a été d’une certaine étendue ; sous peine donc de mériter à bon droit le reproche d’oisiveté, j’expliquerai le mystère qui nous est proposé, en l’exposant comme Dieu m’en fera la grâce. Le père de saint Jean remplissait dans le temple les fonctions de son sacerdoce, lorsque l’ange Gabriel, fendant l’espace et traversant les airs, se présenta devant Zacharie tremblant de crainte et de respect. Mais au nom du Seigneur l’envoyé céleste le rassure et lui dit : « Ne craignez pas, Zacharie : voici que votre prière a été exaucée ; votre épouse Élisabeth vous donnera un fils à qui vous imposerez le nom de Jean : il sera grand et beaucoup se réjouiront à sa naissance b ». Or, Zacharie était déjà accablé de vieillesse ; il sentait ses membres ployer sous le poids de l’âge et son corps tourner à la dissolution. Son épouse gémissait de sa stérilité ; depuis longtemps la fleur de la jeunesse était en eux desséchée, et ils se croyaient impuissants à laisser des héritiers de leur nom. Mais tout est possible à Dieu : ces vieillards croient toucher aux limites de la vie, et soudain le fils qu’ils désirent depuis longtemps leur est donné. Toutefois Zacharie, accablé sous le poids de la vieillesse judaïque, refuse de croire à la parole de l’ange. Gabriel lui reproche cette incrédulité et, pour le punir, lui retire l’usage de la parole.

5. Cependant les promesses du Seigneur s’accomplissent ; saint Jean met un terme à la stérilité de ses parents et, rendant à son père l’usage de la parole, annonce déjà par avance l’arrivée du souverain Juge. Nous célébrons aujourd’hui l’anniversaire de cette naissance. Saint Jean naît, comme Dieu l’avait promis, et en naissant, il délie la langue de son père, afin que selon la parole prophétique de l’ange, cette naissance fût réellement une cause de joie pour plusieurs. Prenons part à cette joie, mes frères, afin qu’après avoir reçu à cœur ouvert Jésus-Christ le souverain juge, nous entourions de respect : et de gratitude la naissance de son précurseur. Célébrons donc cette solennité, non pas en nous livrant aux honteux désordres des Gentils, mais en rendant à Dieu un culte simple et digne, et surtout en observant les règles de la chasteté chrétienne. Laissons aux temples païens leurs guirlandes et aux Gentils leurs folies et leurs danses voluptueuses ; c’est dans le Saint des saints que doit briller et se faire le concours de tous les fidèles.

CINQUANTE-SIXIÈME SERMON.

SUR LA NATIVITÉ DE SAINT JEAN. (DEUXIÈME SERMON.)

ANALYSE. — 1. Glorieuse nativité de saint Jean, foi d’Élisabeth, doute de Zacharie. — 2. Élisabeth devient mère, malgré sa vieillesse. — 3. Jean prophétise dès le sein de sa mère. — 4. Le précurseur montre celui que les Prophètes avaient annoncé.

1. Aujourd’hui se célèbre dans toute l’Église la naissance de saint Jean, du précurseur de la religion et de la foi chrétienne ; après lui avoir offert nos vœux, appliquons-nous à exalter sa mémoire. En effet, en lui accordant le titre de prophète et en inspirant à l’Église la pensée de célébrer sa naissance, Dieu n’a pas voulu qu’une postérité ingrate pût oublier ses titres et sa gloire. Lorsque nous solennisons la fête des saints, à proprement parler, ce n’est point un bienfait que nous leur accordons, et le plus grand avantage est assurément pour nous. Mais parlons de saint Jean. Un ange vient annoncer sa conception ; il est sanctifié dans le sein de sa mère par la présence du Sauveur, et plus tard il sera choisi pour baptiser Jésus-Christ dans l’eau mystérieuse du Jourdain ; car Dieu l’a député par la voix de l’ange, pour servir de précurseur à son Fils, et Zacharie devra avouer qu’il est lui-même le seul auteur de sa propre incrédulité. Qu’Élisabeth brille comme une lampe ardente, et que le prêtre Zacharie soit sévèrement puni. Élisabeth recevait la lumière, et Zacharie était condamné au silence ; Élisabeth concevait par la foi et Zacharie incrédule devenait muet, en punition de ce doute qu’il avait émis : « Comment croirais-je à cette parole ? car je suis vieux et ma femme est très-avancée en âge c ». O mystère dans un prêtre ! Il offrait l’encens pour les autres, et il ne reconnaissait pas Dieu présent. Il sent quelle est la force de Dieu, et il refuse son acte de foi ; puisqu’il ne croit pas, c’est à juste titre qu’il reste muet.

2. Élisabeth, saisie de confusion, refusait de sortir et restait plongée dans l’admiration et l’étonnement que lui causaient toutes les merveilles dont sa fécondité miraculeuse était la suite. En effet, elle était très-avancée en âge et ne croyait plus à la possibilité naturelle de devenir mère. Elle resta stérile, quand elle eut voulu la fécondité, et elle engendra à un âge où la vieillesse ne lui laissait ni espoir ni désir. Après avoir été stérile dans sa jeunesse, elle allaita son enfant dans la vieillesse ; à l’âge de quatre-vingt-dix ans, elle vit pour la première fois un enfant s’ébattre dans ses bras ; un tel prodige était l’œuvre du Père, du Fils et du Saint-Esprit, et le fruit de la promesse, en dehors de toutes les prévisions des époux. Ici encore, quand elle est abandonnée à elle-même, la volonté des hommes doit avouer sa complète impuissance. Or, Dieu voulait la naissance de celui qu’il appelait à la mission de prophète.

3. Bientôt s’opère cette naissance de saint Jean, impatiemment attendue par son père ; car, depuis la promesse qui en avait été faite, il était resté muet en punition de son incrédulité à l’oracle divin. Depuis ce moment, Zacharie avait continué, à son tour, de remplir les fonctions de prêtre dans le temple, exhalant d’abondantes prières du fond de son cœur, mais dans une impuissance absolue de faire concourir sa langue et sa voix. Avant de naître, l’enfant avait tressailli dans le sein de sa mère, et y avait commencé sa mission prophétique. La mère du Sauveur était venue visiter Élisabeth, mère de saint Jean ; Élisabeth s’écria : « Sitôt que la voix de votre salutation a retenti à mes oreilles, l’enfant que je porte a tressailli de joie dans mon sein d ». Et quelle parole prophétique a-t-elle fait entendre ? D’où me vient ce bonheur que la « Mère de mon Dieu ait daigné me visiter e ? » O profonde humilité ! La mère du Sauveur est venue visiter la mère du Précurseur. Jean a salué Jésus-Christ, quand tous deux étaient encore renfermés dans l’obscurité des entrailles maternelles. En effet, le Sauveur habitait dans le sein de Marie, et saint Jean dans le sein d’Élisabeth. Il est donc bien vrai, cet oracle divin : « Avant que tu fusses dans le sein de ta mère, je te connaissais, et je t’ai sanctifié dans les entrailles maternelles f ». Saint Jean n’était pas encore né, et déjà il avait prophétisé. Les nuits ont parlé, les jours se sont salués. De là cette parole : « Le jour annonce le jour au Verbe, et la nuit parle à la nuit g » de Jésus-Christ.

4. La prophétie est accomplie ; ce qui était obscur se trouve révélé ; c’est-à-dire : saint Jean naît aujourd’hui, le nom de Jean est écrit sur les tablettes, et la langue de Zacharie est déliée. Heureux, mes frères, ceux qui reçoivent de tels gages ; heureuses les mères de tels enfants ; grand sera leur bonheur, puisqu’elles ont mérité de se voir élevées à un tel degré de gloire. Ce jour est la source d’une grande joie, parce qu’une femme, jusque-là stérile, a enfanté un fils, et parce qu’un père, frappé de mutisme, a recouvré la parole. Le flambeau est envoyé avant le soleil, le serviteur avant le maître, l’ami avant l’époux, le héraut avant le juge, la voix avant le Verbe. Voilà pourquoi saint Jean a dit de lui-même : « Je suis la voix de celui qui crie dans le désert h ». Les autres Prophètes n’ont annoncé que longtemps auparavant la venue du Messie ; saint Jean, qui l’avait annoncé dans le sein de sa mère, l’a montré après sa naissance ; il a proclamé la présence sur la terre de Celui à qui appartiennent la gloire et l’empire ; dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

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