Luke 14:28-33
SERMONS INÉDITS. DEUXIÈME SUPPLÉMENT.
DIX-SEPTIÈME SERMON. POUR LA FÊTE DES MACHABÉES (I) ▼▼ft Dans le Codex, fol. 40, page 2, on lit : « Sermon de saint Augustin, évêque, pour la naissance des saints Machabées ». – Après le commentaire sur les chapitres 14, 28, de saint Luc, et 19, 16, de saint Matthieu, après avoir excité les fidèles à la persévérance, ce beau sermon contient des invectives contre les spectacles. Saint Augustin le prêcha à Balla-Regio à la prière de l’évêque. Notre ami, dit en effet Possidius, vitae cap. 8, ne prêchait pas seulement dans un seul pays, mais partout, sur l’invitation qu’on lui en faisait..
ANALYSE. —1. Les paroles de l’Évangile regardent tous les âges. —2. Exposition de la parabole de la construction de la tour, et des deux rois. —3. Le jeune homme riche qui veut se joindre au Christ. —4. Après les apôtres, beaucoup de Juifs convertis, et beaucoup de chrétiens ont renoncé à leurs biens. —5. Comment nous devons faire preuve de notre foi au Christ, même dans ce qui est de chaque jour. —6. Les promesses doivent nous exciter à faire preuve de notre foi. —7. Combat des Machabées avec les spectacles profanes. —8,9. Éloignement qu’il faut avoir pour les spectacles profanes.
1. L’Évangile, la parole vive du Seigneur, qui pénètre au vif de l’âme, qui s’adresse au plus intime du cœur, s’offre à nous tous pour notre salut, et ne revient à l’homme, qu’à la condition que l’homme revienne à lui-même. Voilà que, devant nous, se pose comme un miroir dans lequel nous devons nous considérer, et si notre visage accuse à nos regards quelque tache, il nous la faut essuyer avec grand soin, de peur qu’un second retard ne nous oblige de rougir. La foule suivait le Seigneur, comme nous l’avons entendu à la lecture de l’Évangile, et il se tourne vers ceux qui le suivaient, pour leur parler. Car s’il n’eût adressé qu’aux seuls apôtres les enseignements qu’il donna, chacun de nous eût pu dire : C’est pour eux, et non pour nous qu’il a parlé. Autres, semble-t-il, sont les enseignements adressés aux pasteurs, autres ceux qui s’adressent aux troupeaux. Le Sauveur s’est adressé à ceux qui le suivaient, donc à vous tous, et à nous tous. Et parce que nous n’étions pas encore, il ne faut pas croire qu’il n’a point parlé pour nous. Nous croyons en effet en ce même Dieu qu’ils ont vu ; nous tenons, par la foi, à celui qu’ils ont considéré des yeux ; l’important n’était pas de voir le Christ des yeux de la chair ; autrement la nation juive serait arrivée la première au salut, puisqu’il est certain que les juifs l’ont vu et néanmoins l’ont méprisé, et, de plus, après l’avoir vu et méprisé, l’ont mis à mort. Mais nous, assurément, nous ne l’avons pas vu, et néanmoins nous croyons en lui, et néanmoins notre cœur fait accueil à celui que n’ont point vu nos yeux. De là cette parole adressée à l’un des siens qui était parmi les douze : « Parce a que tu as vu, tu as cru. Bienheureux ceux qui ne voient point, et qui croient b ». Que Jésus-Christ notre Seigneur et Sauveur soit maintenant devant nous en sa chair et garde le silence, que nous en reviendra-t-il ? Mais si sa parole a été utile, il parle maintenant, quand on nous lit l’Évangile. Toutefois, comme Dieu il nous procure de grands avantages par sa présence. Où donc n’est pas Dieu, et quand serait-il éloigné ? Toi, ne t’éloigne pas de Dieu, et Dieu sera avec toi. L’important, c’est qu’il nous a fait une promesse, et que nous tenons cette promesse écrite comme une cédule. « Voilà que je suis avec vous jusqu’à la consommation des siècles c ». C’est nous qu’il avait en vue, c’est à nous qu’il promettait. 2. Revenons donc à notre sujet, écoutons ses paroles, et, comme je l’ai déjà dit, considérons-nous, afin d’essuyer avec soin tout ce que nous verrons faire tache à notre beauté, qui plaît à ses yeux. Et comme nous ne saurions suffire, implorons son secours. Qu’il nous réforme celui qui nous a formés, que le Créateur nous crée de nouveau, afin que, ayant semé en nous le froment, il récolte en nous aussi un froment parfait. Voici donc ses paroles : « Quel homme, voulant bâtir une tour, ne se rend pas compte auparavant de la dépense nécessaire, pour savoir s’il peut l’achever ? De peur que, s’il jette les fondements et ne puisse terminer, ceux qui passeront par là ne disent : Voilà un homme qui a commencé à bâtir sans pouvoir achever. Ou bien, quel est encore le roi qui, voulant combattre un autre roi, n’examine pas, auparavant, s’il peut marcher avec dix mille hommes contre celui qui en a vingt mille ? Et, s’il ne le peut, il lui envoie demander la paix quand il est encore loin ». Et voici la conclusion qu’il donne à ces deux comparaisons : « De même, tout homme qui ne renonce point à tout ce qu’il possède ne saurait être mon disciple d ». Or, s’il n’y a que les disciples présents pour porter ce nom, ces paroles ne s’adressent point à nous. Mais comme, selon le témoignage de l’Écriture, tous les chrétiens sont disciples du Christ : « Car vous « n’avez qu’un seul maître qui est le Christ » e, que celui-là seul renonce à être disciple du Christ, qui ne veut point le Christ pour maître. Ce n’est point, en effet, parce que nous vous parlons d’un lieu plus élevé, que nous sommes des maîtres pour vous. Car c’est le maître de tous qui a sa chaire par-dessus tous les cieux, et vous et nous sommes condisciples ; seulement, nous sommes des moniteurs, comme les plus élevés en classe. Il y a donc une tour et des dépenses, la foi et la patience. La tour c’est la foi, les dépenses sont la patience. Quiconque ne saurait supporter les peines de cette vie, est au-dessous des dépenses. Le roi méchant qui marche avec vingt mille hommes, c’est le diable ; et celui qui marche avec dix mille, c’est le chrétien. Un contre deux ; la vérité contre le mensonge, la simplicité contre la duplicité ; sois simple de cœur ; loin de toi toute hypocrisie, qui montre une chose et en fait une autre, et tu vaincras la duplicité qui se transforme en ange de lumière. D’où viennent et où sont ces dépenses ? Où est cette simplicité parfaite, absolument stable et inébranlable dans sa persévérance ? Dans la parole qui suit et qui nous paraît dure : c’est-à-dire, comme nous l’avons avancé, que la parole, de Dieu n’est flatteuse pour personne. Celle-ci, par exemple : « Quiconque ne renonce point à tout ce qu’il possède, ne saurait être mon disciple ». Beaucoup l’ont fait et se sont anéantis avant d’être pressés par la persécution, et ont renoncé à tout ce qu’ils avaient au monde pour suivre le Christ. Ainsi en fut-il des Apôtres, qui dirent : « Voilà que nous avons tout abandonné pour vous suivre f ». Toutefois eux-mêmes n’ont pas abandonné de grands biens, puisqu’ils étaient pauvres ; mais, à nos yeux, vaincre toutes les convoitises, c’est abandonner de grandes richesses. 3. Enfin, les disciples tinrent ce langage au Seigneur, quand s’en alla, tout triste, le jeune homme riche qui avait recueilli de la bouche du Maître le plus véridique, le conseil de la vie éternelle qu’il avait demandé. Un jeune homme riche était venu en effet trouver le divin Maître, et lui avait dit : « Bon Maître, quel bien dois-je faire pour acquérir la vie éternelle ? » On dirait que parmi les interminables délices de ses richesses, il ressentait l’aiguillon de la mort à venir, et séchait de dépit ; car il savait qu’il n’emporterait rien avec lui de ses grands biens, et son âme dénuée de tout gémissait au milieu des richesses du temps. Environné de biens, il disait, ce semble, en lui-même : Tout cela est bien, tout cela est beau, tout cela est délicieux, tout cela est agréable ; mais quand viendra l’heure unique, l’heure dernière, il faudra tout abandonner, rien de tout cela ne s’emporte. Il ne reste que la vie et la conscience ; oui, après le corps, la vie de l’âme, et uniquement la conscience. Et si la conscience est mauvaise, ce n’est plus une vie, mais une autre mort, qu’il faut appeler, et la pire des morts. Rien en effet n’est pire que la mort, sinon cette mort qui ne meurt point. Telles étaient, au milieu de ses délices, les pensées de ce jeune homme si riche qui vient trouver le Sauveur. Il se disait donc : Si je puis avoir la vie éternelle après ces grandes richesses, quel bonheur surpassera le mien ? De là cette inquiétude qui le porte à interroger et à dire : « Bon Maître, que ferai-je pour acquérir la vie éternelle ? g » Et le Seigneur lui répondit tout d’abord : « Pourquoi m’appeler bon ? Il n’y a de bon que Dieu seul h ». Ce qui revient à dire : Nul ne peut te rendre heureux, que Dieu seul. Les biens que possèdent les riches sont des biens, à la vérité, mais qui ne rendent pas bons leurs possesseurs. Si ces biens rendaient bons, l’homme serait d’autant supérieur en bonté, qu’il l’est en richesses. Mais quand nous les voyons d’autant plus mauvais qu’ils sont plus ripes, assurément il nous faut chercher d’autres biens qui nous fassent bons. Ce sont les biens que ne peuvent avoir les méchants : la justice, la piété, la tempérance, la religion, la charité, le culte de Dieu, et Dieu enfin. Tel est le bien qu’il nous faut rechercher, et nous ne pourrons l’avoir qu’en méprisant les autres. 4. Est-ce à moi de vous ménager, quand l’Évangile n’a de ménagements ni pour vous, ni pour nous ? Je me borne à exalter votre charité, mes frères, selon cette parole de l’Apôtre : « Le temps est court. Il faut, dès lors, que ceux qui ont des femmes soient comme n’en ayant pas, et ceux qui pleurent, comme ne pleurant point, et ceux qui se réjouissent, comme ne se réjouissant pas, et ceux qui achètent comme n’achetant point, et ceux qui usent des choses de ce monde, comme n’en usant pas i ». Les Apôtres donc abandonnèrent tout ce qu’ils possédaient, et de là cette parole de Pierre : « Voilà que nous avons tout abandonné ». Qu’as-tu abandonné, Pierre ? Une barque, un filet ? J’ai abandonné l’univers entier, me répondrait-il, puisque je ne me suis rien réservé. La pauvreté chez tous, c’est-à-dire chez tous les pauvres, n’a que peu de biens, mais elle a de grands désirs. Et Dieu ne regarde pas ce qu’elle possède, mais ce qu’elle désire. C’est notre volonté qui est jugée, et que sonde invisiblement celui qui est invisible. Ils ont donc tout abandonné, et abandonné l’univers entier, parce qu’ils ont renoncé à toute espérance dans ce monde, et qu’ils ont suivi celui qui a créé le monde et cru en ses promesses, ainsi que beaucoup l’ont fait dans la suite. Est-il étonnant, mes frères, que des hommes l’aient fait ? Ceux-là mêmes l’ont fait, qui ont mis à mort le Sauveur. Là, dans Jérusalem, après que le Seigneur fut monté aux cieux, et eut, dix jours après, accompli sa promesse par l’envoi du Saint-Esprit, les disciples, remplis de l’Esprit-Saint, parlèrent les langues de toutes les nations j. Alors beaucoup de Juifs qui étaient à Jérusalem, et qui les entendaient, pleins d’admiration poux ces dons de la grâce du Sauveur, et se demandant avec stupeur d’où venait ce prodige, reçurent des Apôtres cette réponse, que celui qui opérait ces prodiges par son Esprit-Saint, était celui-là même qu’ils avaient mis à mort, et demandèrent comment ils pourraient être sauvés. Ils étaient en effet saisis de désespoir, et ne pensaient point qu’ils pussent obtenir le pardon de ce crime énorme, d’avoir mis à mort le Maître de toutes créatures. Or, les Apôtres les consolèrent, leur promirent le pardon, et cette promesse du pardon leur fit embrasser la foi, et devenus d’autant meilleurs qu’ils avaient eu plus de crainte, ils vendaient leurs biens pour en apporter le prix aux pieds des Apôtres. La crainte leur extorqua leurs délices. Voilà ce que firent ceux qui avaient mis à mort le Seigneur ; beaucoup d’autres l’ont fait depuis, et le font encore. Nous le savons, nous en avons des exemples, beaucoup nous donnent cette consolation, beaucoup cette joie, parce que la parole du Seigneur n’est point inutile pour eux, puisqu’ils l’écoutent avec foi. Mais quelques-uns qui n’agirent point ainsi, n’ont-ils pas été éprouvés par la persécution ? Oui, parce qu’ils usaient de ce monde comme n’en usant pas. Non-seulement des hommes du peuple, non-seulement des artisans, non seulement des pauvres, des indigents, des gens médiocres, mais des grands, mais des riches, mais des sénateurs, mais des femmes illustres, en face de la persécution, ont su renoncer à leurs biens, afin d’élever leur tour et de vaincre, par la simplicité du courage et de la piété, la duplicité et les artifices du diable. 5. Jésus-Christ donc, Notre-Seigneur, nous exhortant au martyre, a dit : « De même, celui qui ne renonce point à tout ce qu’il possède, ne saurait être mon disciple ». C’est donc à toi que je m’adresse, ô âme chrétienne ! Si je te répète ce qui fut dit au riche : « Va, et toi aussi vends ce que tu as, et tu posséderas un trésor dans le ciel, puis viens et suis le Christ », t’en iras-tu avec tristesse ? Car le jeune homme de l’Évangile s’en alla triste. Et pourtant, il n’y a que le chrétien pour comprendre ces paroles. Or, pendant qu’on lisait l’Évangile, as-tu bien pu boucher tes oreilles, contrairement à ton salut ? Tu as entendu ceci : « Quiconque ne renonce à tout ce qu’il possède ne saurait être mon disciple k ». Réfléchis donc en toi-même : Te voilà devenu fidèle, tu es baptisé, tu as embrassé la foi. Tu n’as pas abandonné tes biens, mais j’en appelle à ta foi. Comment as-tu pu croire ? Voici pour ta foi le danger. On te dit : Si tu persistes, je saisis ton bien. C’est ton âme que j’interroge ; si tu dis en ton âme : Qu’il prenne ce que je possède, mais je n’abandonne point ma foi1 tu possèdes et tu as néanmoins renoncé. Et tu possèdes sans être possédé. Ce n’est pas posséder qui est un mal, mais bien être possédé. Oui, le mal est d’être possédé. Toutefois, il n’y a point de persécution, et tu n’as aucun moyen de prouver à Dieu la fidélité à tes promesses ? Les affaires de chaque jour sont pour l’homme une épreuve. Mais qu’arrivera-t-il, si quelqu’un t’excite au faux témoignage, un homme puissant, que l’on puisse craindre ici-bas, s’il te menace, et s’il peut réellement nuire, qu’arrivera-t-il s’il te vient demander un faux témoignage ? Il ne te dit point : Renonce au Christ ; car c’est contre cela que tu étais prêt. Mais, dans sa duplicité, il s’insinue chez toi d’une manière que tu n’attendais pas et à laquelle tu n’étais point préparé. Fais-moi, dit-il, ce faux témoignage. Si tu ne le fais, je m’en vengerai de telle ou telle manière. Il menace de la proscription, de la mort. C’est là qu’il te faut éprouver, qu’il faut veiller sur toi. Feras-tu le faux témoignage ? C’est renier le Christ qui a dit : « Je suis la vérité l ». Tu as fait un faux témoignage, tu, as donc parlé contre la vérité, et dès lors renié le Christ. Or, que pouvait te faire cet homme en te menaçant de la proscription ? Te rendre pauvre ? Mais de quoi peux-tu manquer, si Dieu est avec toi ? Mais sa menace était plus grave. Comment plus grave ? Il menaçait de te tuer. Ta chair, est-ce ton âme ? Tu considères la menace, et non ce que tu dois faire. Cet adversaire menaçait de tuer ta chair. « Or, la bouche qui ment tue l’âme m », est-il dit. Vous voilà deux, ton ennemi et toi ; et toutefois, c’est un homme comme toi. Vous avez tous deux une chair corruptible, tous deux une âme immortelle, tous deux vous passerez dans le temps, et n’êtes sur la terre que des étrangers et des pèlerins. Lui te menace de la mort, ne sachant pas s’il ne mourra point avant d’avoir accompli sa menace ; et toutefois, admettons que cette menace il l’accomplisse : examinons lequel des deux, lui ou toi, est plus ennemi de toi-même. Il prend une hache pour tuer ta chair, et toi la langue du mensonge pour tuer ton âme. Quel glaive a frappé ? lequel a donné une mort plus déplorable ? lequel a pénétré plus avant ? L’un a pénétré jusqu’aux os, jusqu’aux entrailles, toi jusqu’au cœur. Or, tu n’as plus rien d’intact dès que ton cœur est perdu. « La bouche qui ment tue », est-il dit, non le corps, mais l’âme. 6. Tels sont journellement les efforts des hommes. Quand on se trouve en face de l’iniquité, sur le point, ou de commettre l’iniquité, ou d’endurer ce qu’il plaît à Dieu de nous faire endurer en cette vie, vois dès lors le double ennemi, vois les défenses de cette tour. Mais la pensée te fait défaillir ; invoque alors celui qui a donné des préceptes. Qu’il aide ses préceptes en toi, et il te rendra de lui-même ce qu’il a promis. Or, que t’a promis Dieu ? Que dirai-je, mes frères, pour stimuler nos désirs ? Que dirai-je ? Est-ce de l’or ? Est-ce de l’argent ? Des domaines, des honneurs ? Tout ce que nous connaissons sur la terre ? Tout cela est vil. Mais « l’œil n’a point vu, l’oreille n’a point entendu, le cœur de l’homme n’a jamais compris ce que Dieu a préparé à ceux qui l’aiment n » ; en un mot, ce ne sont plus des promesses, c’est Dieu lui-même. Il est plus grand que tout, celui qui a tout créé. Il est plus beau que tout, celui qui a donné à chaque objet sa beauté. Il est plus puissant que tout, celui qui a donné la force à tout ce qui est fort. Donc, tout ce que nous aimons sur la terre, n’est rien en comparaison de Dieu. C’est peu dire, tout ce que nous aimons n’est rien, mais nous-mêmes ne sommes rien. Celui qui aime doit se mépriser en comparaison de ce qu’il doit aimer. Telle est la charité qui nous est ordonnée : « De tout notre cœur, de toute « notre âme, de tout notre esprit ». Mais le Seigneur ajoute : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même. Ces deux préceptes résument toute la loi et les Prophètes o ». Ce qui te laisse à comprendre qu’aimer le Seigneur c’est t’aimer toi-même ; et que ne pas aimer le Seigneur, au contraire, c’est ne point t’aimer. Si donc tu aspires à t’aimer en aimant le Seigneur, élève ton prochain jusqu’à Dieu, afin de jouir du bien, et de ce grand bien qui est Dieu. 7. Tout à l’heure nous avons eu en spectacle ce grand combat des sept frères et de leur mère. Noble lutte, mes frères, si nos esprits ont su la considérer ! Comparez à ce saint combat les plaisirs voluptueux des théâtres. Là, les yeux sont souillés ; ici, les cœurs purifiés ; ici, il y a gloire pour le spectateur, s’il devient imitateur ; là, honte pour le spectateur, et infamie pour l’imitateur. Enfin j’aime les martyrs et je considère les martyrs. Quand on lit les souffrances des martyrs, je regarde. Dis-moi : Sois martyr, c’est un éloge. Pour toi, vois le mime, vois le pantomime ; et je te dirai : Sois semblable, et ne t’en fâche pas. Que si cette parole : Sois semblable, vient à t’irriter, voilà que tu es accusé non par mes paroles, mais par ta colère. Ta colère fait juger de toi-même ; car tu aimes ce que tu redouterais d’être. Le spectacle des saints Machabées, dont nous solennisons aujourd’hui la victoire, nous vient à propos afin de dire un mot à votre charité, au sujet des spectacles du théâtre. O mes frères de Bulla ▼▼Bulla, ville située entre Hipponne et Carthage.
! dans toutes les villes qui vous environnent, la licence qui règne chez vous consterne la piété. Ne rougissez-vous point d’être les derniers à donner asile à ces vénales turpitudes ? Sur ces marchés romains, dans ces grands encans, où vous achetez le blé, le vin, l’huile, des animaux, du bétail, y a-t-il donc un charme pour vous à trafiquer de la honte, à l’acheter ou à la vendre ? Et quand les étrangers viennent dans ces contrées, pour ces échanges, si on leur disait : Que cherchez-vous ? des mimes ? des prostituées ? vous en trouverez à Bulla ; serait-ce pour vous un honneur, pensez-vous ? Pour moi, je ne vois point de plus grande infamie. Oui, mes frères, c’est la douleur qui me fait parler, mais toutes les villes qui vous environnent vous condamnent et devant les hommes et au jugement de Dieu. Quiconque veut suivre le mal prend exemple sur vous dans notre Hippone, où tout cela est fini depuis longtemps ; c’est de votre ville que l’on nous amène ces infamies. Mais, direz-vous, en cela nous ressemblons à Carthage 2 y a sans doute à Carthage un peuple saint et religieux, mais la foule est si nombreuse dans cette grande cité, que chacun peut rejeter cela sur les autres. Ce sont des païens, ce sont des Juifs qui agissent ainsi, peut-on dire à Carthage, mais ici il n’y a que des chrétiens, et des chrétiens agissent de la sorte ! C’est avec une douleur bien vive que je vous parle ainsi. Puissiez-vous un jour, en vous corrigeant, guérir la blessure de notre cœur ! Nous le disons à votre charité : Nous connaissons au nom du Seigneur, et votre ville et les villes voisines, nous savons quelle en est la population, quel en est le peuple. Pouvez-vous n’être point connus de celui qui est constitué pour vous dispenser la parole de Dieu et les sacrements ? Qui peut se disculper de cette honte ? Voici des spectacles. Que les chrétiens s’abstiennent, et nous verrons si le vide n’est pas tel, qu’il fera rougir la turpitude elle-même. Voyons si ces personnages infâmes ne finiront point par secouer leurs chaînes pour se tourner vers Dieu, ou abandonner cette ville, s’ils veulent persévérer dans leur honteux métier. Procurez-vous cet honneur, ô chrétiens ; ne hantez plus les théâtres. 8. Mais je ne vous vois ici qu’en petit nombre. ##Rem voici que viendront les jours de la passion du Christ, que viendra Pâques, et ces lieux seront trop étroits pour votre multitude. Ils occuperont donc ces places, ces mêmes hommes qui remplissent aujourd’hui les théâtres ? Ah ! comparez les lieux, et frappez vos poitrines. Vous direz peut-être : s’abstenir, c’est bien pour vous, qui êtes clercs, qui êtes évêques ; mais nous sommes laïques. Quelle justesse voyez-vous donc dans cette excuse ? Eh ! que sommes-nous si vous venez à périr ? Autre est ce que nous sommes pour nous, et autre ce que nous sommes pour vous. C’est pour nous que nous sommes chrétiens, pour vous seulement que nous sommes clercs et évêques. Ce n’est ni aux clercs ni aux évêques, ni aux prêtres que s’adressait l’Apôtre quand il disait : « Vous êtes les membres du Christ q » ; c’est à la multitude, c’est aux fidèles, c’est aux chrétiens qu’il disait. « Vous êtes les membres du Christ ». Voyez de quel corps vous êtes les membres, voyez sous quelle tête vous vivez dans l’union d’un même corps. Je reprends donc les paroles de l’Apôtre : « Prendrai-je les membres du Christ, pour en faire les membres d’une prostituée ? » Et nos chrétiens non-seulement aimeront, mais encore établiront des prostituées ? Non-seulement ils aiment celles qui l’étaient, mais ils en font de celles qui ne l’étaient point, comme si ces femmes n’avaient point une âme, comme si le sang du Christ n’eût pas été répandu pour elles, comme s’il n’était pas dit : « Les prostituées et les publicains entreront avant vous dans le royaume des cieux r ». Et dès lors, quand il nous faut les gagner à la vie, on choisit de périr avec elles, et c’est là le fait des chrétiens ! je n’oserais dire des fidèles. Un catéchumène se méprisant lui-même, nous dira : Je ne suis qu’un catéchumène. Comment, tu es catéchumène ? Oui, catéchumène. Autre est donc ton front marqué du signe du Christ, et autre ton front pour aller au théâtre ? Tu veux y aller ? Change ton front, et va ensuite. Mais ce front que tu ne saurais changer, garde-toi de le perdre. Le nom du Seigneur est invoqué sur toi, le nom du Christ est invoqué sur toi, Dieu est invoqué sur toi, le signe de la croix du Christ a été marqué, peint sur ton front. C’est vous tous que j’exhorte, mes frères, à vous tous que je m’adresse. Vous verrez combien le nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ sera bien plus glorieux pour vous. 9. Oserai-je vous dire : Imitez la ville qui vous avoisine ? Imitez la ville de Simittu ▼▼La ville de Simittu est à quelques milles de Bulle. On voit dans Vict. vit, parmi des noms d’évêques :Deuterius Simminensis, et Florentiu Seminensis ; l’un des deux doit appartenir à cette ville.
qui est proche ? Je n’en dis pas davantage. Ou plutôt parlons plus clairement au nom du Seigneur Jésus. Là nul n’entre au théâtre nul libertin n’est resté là. Un légat voulut y rétablir ces obscénités ; nul homme de la haute ni de la basse classe n’y mit le pied ; pas un juif n’y entra. N’y a-t-il pas là des habitants honorables ? n’y a-t-il pas là une cité ? Cette colonie n’est-elle pas d’autant plus honorable qu’il y a moins de ces obscénités ? Je ne vous tiendrais pas ce langage, si j’entendais dire de vous le même bien. Mais je crains que mon silence n’attire sur moi une semblable condamnation. Dieu donc a voulu, mes frères, que je vinsse à passer par ici. Mon frère m’a retenu ▼▼L’évêque de Simittu
, m’a commandé, m’a supplié, m’a forcé de vous prêcher. Que dire, sinon ce que je redoute le plus ? Que dire, sinon ce qui m’est le plus douloureux ? Ne savez-vous point que moi, que nous tous, nous rendrons compte à Dieu de vos louanges ? ▼▼Saint Augustin, à son arrivée, paraît avoir été reçu avec pompe.
» Croyez-vous que ces éloges soient un honneur pour nous ? C’est une charge plus qu’un honneur. Il nous sera demandé un compte sévère de ces louanges, et je crains sérieusement que le Christ ne nous dise au jour de son jugement : Mauvais serviteur, vous receviez volontiers les acclamations de mon peuple, et vous gardiez sur leur mort un coupable silence. Mais le Seigneur notre Dieu nous accordera d’entendre à l’avenir du bien de vous, et dans sa miséricorde, il nous consolera par votre conversion. Ma joie sera d’autant plus grande alors que aujourd’hui ma tristesse est plus profonde.
Copyright information for
FreAug