‏ Mark 8:1

SERMON XCV. LA ROBE NUPTIALE OU LA CHARITÉ a

ANALYSE. – Le miracle de la multiplication des pains est le symbole du banquet mystérieux où sont conviés tous les chrétiens. Il leur faut pour y être admis la robe nuptiale, et la robe nuptiale n’est autre chose que la charité. C’est donc ici le même fonds d’idées que dans l’un des discours précédents
Voir ci-dessus, Serm. XC
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1. Quand nous vous expliquons les saintes Écritures, nous vous rompons en quelque sorte le pain. Acceptez donc avec avidité, que les louangés de votre cœur témoignent de votre embonpoint spirituel, et puisque vous êtes assis à un festin si copieux, gardez-vous de toute sécheresse en fait de bonnes œuvres et de bonnes actions. D’ailleurs ce que je vous donne ne vient pas de moi ; je mange de ce que vous mangez ; je vis de ce qui vous soutient ; nous avons au ciel un trésor commun, car c’est de là que descend la parole de Dieu.

2. Les sept pains rappellent les sept opérations du Saint-Esprit ; les quatre mille hommes désignent l’Église appuyée sur l’autorité des quatre Évangiles ; et la perfection de cette même Église est figurée par les sept corbeilles remplies de morceaux. Le nombre sept en effet exprime fort souvent la perfection. Aussi bien est-il dit : « Je vous louerai sept fois le jour c. » Est-ce à dire qu’il y aurait péché à ne pas louer Dieu autant de fois précisément ? Que signifie alors : « Je vous louerai sept fois », sinon : jamais je ne cesserai de vous louer ? Sept fois signifie donc toujours. Aussi le cours des siècles n’est qu’une révolution perpétuelle de sept jours ; et ces paroles : « Je vous louerai sept fois le jour », sont synonymes de celles-ci : « J’aurai toujours sa louange à la bouche d. » C’est encore garce que le nombre sept est un nombre de perfection que Jean écrit aux sept Églises. C’est dans l’Apocalypse qu’il le fait ; ce livre est l’ouvrage de Jean l’Évangéliste e. Reconnaissez donc sincèrement ce sens mystérieux des sept corbeilles. Du reste les morceaux dont elles étaient pleines ne furent pas perdus ne vous profitent-ils pas, à vous qui faites sûrement partie de l’Église ? Ne suis-je pas le ministre soumis au Christ, lorsque je vous explique ces mystères, et n’êtes-vous pas comme assis au festin, lorsque vous m’écoutez en paix ? Il est vrai, je suis assis moi-même, j’ai le cœur en repos ; mais je suis en mouvement pour vous servir ; je crains, non pas, que la nourriture ; mais que le vase où elle est offerte ne rebute quelqu’un d’entre vous. Vous connaissez d’ailleurs les divins aliments, on vous en a souvent parlé ; ils sont destinés au cœur et non au corps.

3. Il est bien vrai que sept pains rassasièrent quatre mille hommes. Est-il rien de plus merveilleux ? Il y a plus encore, c’est que les morceaux qui restèrent suffirent à remplir sept corbeilles. O profonds mystères ! Voilà des œuvres sans doute ; mais des œuvres qui parlent ; oui, ces actes bien compris sont des paroles. Vous aussi vous êtes du nombre des quatre mille hommes, puisque vous vivez sous l’autorité des quatre Évangiles. Ce nombre de quatre mille ne comprenait ni les femmes ni les enfants, car il est dit en propres termes ; « Ceux qui mangèrent étaient au nombre de quatre mille hommes, sans compter les enfants et les femmes f. » Est-ce que les insensés et les efféminés peuvent faire nombre ? Qu’ils mangent néanmoins ; car ces enfants pourront grandir et n’être plus enfants ; ces efféminés se corriger et devenir chastes. Qu’ils mangent ; nous voici occupés à donner et à distribuer. Mais quels sont-ils ? L’œil de Dieu fixe ses convives, et s’ils ne se corrigent point, celui qui a su adresser l’invitation, saura faire aussi là séparation.

4. Vous le savez, mes biens-aimés, rappelez-vous d’ailleurs cette parabole évangélique : Le Seigneur entra un jour pour examiner les convives qui prenaient part à son banquet. Père de famille, il y avait invité lui-même ; mais comme il est écrit, « il y rencontra un homme qui ne portait point la robe nuptiale g. » Remarquez bien, on avait été invité aux noces par cet Époux qui l’emporte en beauté sur les enfants des hommes, mais qui aussi s’est fait difforme en faveur de son épouse pour la rendre belle, de difforme qu’elle était. Comment puis-je dire qu’il s’est rendu difforme ? C’est nu blasphème, si je ne prouve pas cette assertion. Voici un prophète qui rend témoignage de sa beauté : « Il l’emporte en beauté, dit-il, sur les enfants des hommes h. » En voici un autre qui témoigne de sa difformité : « Nous l’avons vu, dit-il, et il n’avait ni beauté ni dignité ; son visage était sans majesté et son attitude difforme i. » O prophète qui as dit : « Il l’emporte en « beauté sur les enfants des hommes », voici un contradicteur, voici un autre prophète qui s’avance contre toi et qui dit : Tu ment, car « nous l’avons vu. » Pourquoi assurer qu’« il l’emporte en beauté sur les enfants des hommes ? Nous l’avons vu, et il n’avait ni beauté ni dignité. » Ainsi donc ces deux prophètes ne s’entendent pas à propos de Celui qui s’est fait l’ange de la paix et de l’union ? Tous deux parlent du Christ, ils parlent tous deux de la pierre angulaire. Or les murs se joignent à l’angle, sans quoi il n’y a plus d’édifice, mais une ruine. Les prophètes aussi sont unis ; ne les laissons pas disputer ; ou plutôt constatons comme ils sont en paix, car ils ne savent point se diviser. Toi donc, ô prophète qui as dit : « Il l’emporte en beauté sur les enfants des hommes », quand l’as-tu vu ? Réponds, réponds, où l’as-tu vu : « Lors qu’étant de la nature de Dieu, il n’a pas cru usurper en se faisant égal à Dieu ;» c’est alors que je l’ai vu ; et douterais-tu qu’étant égal à Dieu il l’emportât en beauté sur les enfants des hommes ? Tu as répondu. Réponde maintenant le prophète qui a dit : « Nous l’avons vu, et il n’avait ni beauté ni dignité. » Voilà une affirmation ; mais où l’as-tu vu ? Celui-ci commence par où le premier a fini. Où le premier a-t-il fini ? A ces mots : « Étant de la nature de Dieu, il n’a pas cru usurper en se faisant égal à Dieu ; » c’est là qu’il l’a vu plus beau que les enfants des hommes. Toi maintenant, dis-nous où tu l’as vu sans beauté et sans dignité ? « Il s’est anéanti lui-même en prenant une nature d’esclave ; il s’est fait semblable aux hommes et à l’extérieur il a paru comme un homme. » Quant à sa difformité, elle est dans les mots qui suivent : « Il s’est humilié lui-même en devenant obéissant jusqu’à la mort, et la mort de la croix j. Voilà où je l’ai vu. — Ainsi donc ces deux prophètes s’entendent parfaitement, il n’est absolument rien pour les diviser. Qu’y a-t-il en effet de plus beau que Dieu et de plus difforme qu’un crucifié ?

5. Eh bien ! cet Époux qui l’emporte en beauté sur les enfants des hommes et qui s’est fait difforme pour rendre belle son épouse, son épouse à qui s’adressent ces mots : « O toi qui es belle parmi les femmes k », et ces autres encore« Quelle est celle-ci qui monte tout éclatante l ; » tout éclatante de vraie beauté et non de fard menteur ; cet Époux, après avoir invité à ses noces y trouva donc un homme sans la robe nuptiale, et il lui dit : « Mon ami, pourquoi es-tu entré ici sans la robe nuptiale ? Mais celui-ci garda le silence ; » il ne trouva rien à répondre. « Liez-lui les pieds et les mains, dit alors ce Père de famille qui venait d’entrer, et jetez-le dans les ténèbres extérieures ; là il y aura pleurs et grincement de dents. » Quoi ! un tel châtiment pour une si petite faute ! Oui le châtiment est terrible, et si on traite de faute légère le défaut de robe nuptiale, cette faute n’est légère que pour ceux qui ne la comprennent pas. Est-ce que le Seigneur parlerait avec tant de sévérité, est-ce qu’il prononcerait une pareille sentence, est-ce que pour n’avoir pas la robe nuptiale, il jetterait, pieds et mains liés, dans les ténèbres extérieures où il y a pleur et grincement de dents, si ce n’était une faute très-grave de n’être pas revêtu de cette robe nuptiale ? Écoutez-moi donc ; car si Dieu vous a invités, c’est par notre ministère. Vous êtes tous au festin : ah ! portez tous la robe nuptiale. Je vais vous faire connaître en quoi elle consiste afin que tous vous en soyez revêtus ; et si parmi mes auditeurs il en est un qui ne l’ait pas encore, ah ! qu’il s’amende avant l’arrivée du Père de famille venant pour examiner les convives, qu’il prenne cette robe nuptiale, et demeure paisiblement à table.

6. Ne croyez pas en effet, mes biens-aimés, que le convive jeté dehors ne figure qu’un seul homme ; non, ne le croyez pas, il figure le grand nombre. C’est le Seigneur lui-même, c’est l’Époux qui a invité et qui traite tous ces convives, c’est lui qui nous a expliqué, dans cette même parabole, que ce malheureux ne représente pas un homme seul, mais le grand nombre. En effet, après qu’il l’eut fait jeter dans les ténèbres extérieures pour le punir de n’avoir pas la robe nuptiale, il ajouta immédiatement : « Car il y a beaucoup d’appelés, mais peu d’élus m. » Comment ? Vous n’en avez rejeté qu’un seul et vous dites : « Car il y a beaucoup d’appelés, mais peu d’élus ? » Les élus sans doute ne sont pas rejetés et ce sont eux qui demeurent à table en petit nombre. Ainsi c’est le grand nombre qui se trouve représenté dans le malheureux qui n’avait pas la robe nuptiale ; et s’il est seul, c’est pour mieux figurer les méchants réunis en un seul corps.

7. Qu’est-ce enfin que la robe nuptiale ? Apprenons-le dans les saintes Lettres. Qu’est-elle donc ? C’est sans doute un bien qui n’est pas commun aux bons et aux méchants. Découvrons quel est ce bien ; ce sera connaître la robe nuptiale. Or quel est parmi les dons de Dieu celui qui n’est pas commun aux bons et aux méchants ? Si nous sommes hommes et non pas de simples animaux, c’est un don de Dieu ; mais ce don est commun aux bons et aux méchants. Si la lumière nous vient du ciel, si les pluies tombent des nues, si les fontaines coulent, si les champs se couvrent de fruits, ce sont aussi des dons de Dieu ; mais ils sont communs aux bons et aux méchants. Entrons dans la salle des noces, laissons dehors ceux qui ne sont pas venus, bien qu’ils aient été invités. N’examinons que les convives ou les chrétiens. Le baptême est un don de Dieu ; il est aux méchants comme aux bons, et les méchants comme les bons reçoivent le Sacrement de l’autel. Malgré son injustice, malgré sa haine pour un homme juste et saint, Saül prophétisa ; il prophétisa tout en le persécutant n. Dit-on qu’il n’y ait que les bons pour avoir la foi ? « Mais les démons aussi croient et ils tremblent o. » Pourquoi continuer ? J’ai tout déployé, sans arriver encore à cette robe nuptiale. J’ai ouvert mon magasin, j’ai examiné tout ou presque tout, et je n’ai pas vu encore cette robe nuptiale.L'Apôtre saint Paul m’a montré quelque part un trésor de choses précieuses ; il l’a ouvert devant moi et je lui ai dit : Montrez-moi si par hasard vous n’y auriez pas trouvé la robe nuptiale. Lui aussi commence à déployer tout en détail ; il dit donc : « Quand je parlerais les langues des hommes et des anges, quand je posséderais toute la science, toutes les prophéties et toute la foi, au point de transporter les montagnes ; quand je distribuerais aux pauvres tout ce que je possède et que je livrerais mon corps pour être brûlé. » Quels riches vêtements ! Ce n’est pourtant pas encore la robe nuptiale, Montrez-nous-la donc enfin. Pourquoi, ô Apôtre, nous tenir en suspens ? La prophétie ne serait-elle pas ce don de Dieu que les méchants ne possèdent pas comme les bons ? – « Si je n’ai pas la charité, dit-il, je ne suis rien, rien ne me profite. » Voilà la robe nuptiale. Revêtez-vous-en, ô convives, afin d’être à table sans crainte. Ne dites pas : Nous sommes trop pauvres pour nous la procurer. Donnez des vêtements et on vous donnera celui-là. Nous voici en hiver ; donnez des vêtements à qui n’en a pas ; le Christ n’en a pas, et c’est lui qui donnera cette robe à vous qui ne l’avez pas. Courez vers lui, suppliez-le ; il sait sanctifier ses fidèles, il sait vêtir ses pauvres. Et pour avoir la robe nuptiale, pour ne pas craindre les ténèbres extérieures, ni les chaînes aux pieds et aux mains, ne cessez de faire de bonnes œuvres. Si on cesse et que les mains soient liés, que pourra-t-on faire encore ? et si les pieds sont liées, comment fuir ? Tenez à cette robe nuptiale, revêtez-vous en, et demeurez en paix lorsque le Seigneur viendra examiner les convives, quand arrivera le jour du jugement. Il donne aujourd’hui toute facilité ; ah ! qu’on finisse donc par donner le vêtement à qui en manque.

CHAPITRE V. QUI NEST PAS CONTRE VOUS EST POUR VOUS.

6. Saint Marc continue : « Dans ces jours, comme de nouveau la foule était très-nombreuse et qu’ils n’avaient rien à manger », etc, jusqu’à ces mots : « Jean lui répondit : Maître, nous avons trouvé quelqu’un qui chassait les démons en votre nom, il ne vous suit pas avec nous, et nous l’en avons empêché. Jésus répondit : Ne l’empêchez pas, car personne ne peut opérer des prodiges, en mon nom, et parler sitôt mal de moi ; celui en effet qui n’est pas contre vous est pour vous p. » Saint Luc raconte le même fait, mais il ne dit pas : « Personne ne peut opérer de prodige en mon nom et aussitôt parler mal de moi. » Ce silence ne saurait être regardé comme une contradiction. Mais en est-il de môme par rapport à cette maxime du Seigneur lui-même : « Qui n’est pas avec moi, est contre moi ; et qui ne recueille pas avec moi, dissipe q ? Si celui-là est contre lui, qui n’est pas avec lui, comment ne pas regarder comme étant contre lui, cet homme qui n’était pas avec lui, et dont saint Jean nous dit qu’il ne le suivait pas ? D’un autre côté, s’il était contre lui, comment le Sauveur dit-il à ses disciples : « Ne l’empêchez pas, car celui qui n’est pas contre vous, est pour vous ? » Comment ne pas voir une différence entre ces paroles : « Qui n’est pas contre vous est pour vous », et ces autres, qu’il s’applique à lui-même : « Qui n’est pas avec moi est contre moi ? » Celui qui est associé à ses disciples, comme étant ses membres, peut-il ne pas être avec lui ? autrement où serait la vérité de ces paroles : « Qui vous reçoit me reçoit r; ce que vous faites au plus petit de mes frères, c’est à moi que vous le faites s? » Ou bien celui qui est contre ses disciples peut-il ne pas être contre lui ? N’est-il pas dit : « Qui vous méprise me méprise t; quand vous ne l’avez pas fait au plus petit de mes frères, c’est à moi que vous avez refusé de le faire u ; Saul, Saul, pourquoi me persécutes-tu v ;» quand ce n’était que ses disciples qu’il persécutait ? Ce que le Sauveur a voulu exprimer, c’est qu’on ne peut être avec lui, en tant que l’on est contre lui, et qu’en tant qu’on n’est pas contre lui, on est avec lui. Prenons pour exemple celui qui opérait des prodiges au nom de Jésus- Christ et cependant ne faisait pas partie de la société de ses disciples ; en tant qu’il opérait des prodiges en son nom, il était avec eux, et n’était pas contre eux ; mais en tant qu’il ne faisait pas partie de leur société, il n’était pas avec eux, il était contre eux. Voici donc que les apôtres lui interdisent ce qui seul le mettait avec eux, aussitôt Jésus-Christ de leur dire : « Ne l’empêchez pas. » Ils devaient empêcher ce qui en lui l’excluait de leur société, afin de l’amener à entrer dans l’unité de l’Église ; mais ils ne devaient pas empêcher ce qui le rapprochait d’eux, c’est-à-dire, de chasser les démons, au nom de leur Maître et Seigneur. Ainsi l’Église ne désapprouve pas, dans les hérétiques, les sacrements qui leur sont communs avec nous, car en cela ils sont avec nous et non pas contre nous ; mais elle improuve et défend la division jet la séparation ainsi que toute maxime contraire à la paix et à la vérité, car en cela ils sont contre nous, ils ne recueillent pas avec nous et par conséquent ils dissipent.

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