Matthew 1:17
Voir les Sermons sur la nativité au chap. 1 et 2 de St Luc.SERMON LI. LA DOUBLE GÉNÉALOGIE DE JÉSUS-CHRIST a.
ANALYSE.— Après avoir félicité ses auditeurs de ce qu’ils ont préféré au spectacle profane le spectacle de la vérité évangélique, et après avoir plaint ceux que l’attachement aux divertissements publics retient éloignés de l’Église, saint Augustin aborde le sujet qu’il a promis de traiter le jour de Noël. Il s’agit d’expliquer pourquoi Jésus-Christ est né miraculeusement de Marie et pourquoi néanmoins sa double généalogie est la généalogie de Joseph. – I. Pour relever le courage et l’honneur du sexe qui nous a perdus, il convenait que Jésus-Christ naquit d’une femme. Comment savoir qu’il est né d’une femme ? Par le témoignage de l’Église universelle et par le témoignage de l’Évangile ; car si l’on rencontre des difficultés dans l’Évangile, elles s’évanouissent bientôt quand on croit avec une hum soumission. Or l’Évangile rapporte expressément, non-seulement que le Fils de Dieu a pris chair dans la race de David et d’Abraham mais encore qu’il est né miraculeusement de la vierge Marie. En vain objecte-t-on que l’Évangile est dans l’erreur lorsqu’il rapporte le nombre des générations. Son calcul n’est pas erroné, et ce qu’il a d’étonnant figure d’une manière admirable comment le Sauveur convertissant les hommes devait être la pierre angulaire qui réunirait entre eux les Juifs et les païens devenus chrétiens. – II. Pourquoi la généalogie du Sauveur est-elle celle de Joseph et non celle de Marie ? – C’est que Joseph est le père de Jésus-Christ. Ainsi l’enseigne l’Évangile à plusieurs reprises ; ainsi le veut son titre véritable d’époux de Marie ; ainsi l’exige la filiation adoptive. Si maintenant les Évangélistes attribuent deux pères à Joseph, c’est qu’il arrivait souvent chez les Juifs qu’un fils portait même temps le nom de son père légal et le nom de son père réel. Si d’un autre côté saint Matthieu compte les générations descendant, tandis que saisit Luc les énumère en remontant, si l’un en compte quarante et l’autre soixante-dix-sept, c’est dans un but mystérieux, c’est pour faire connaître que le Fils de Dieu est descendu parmi nous pour se charger de nos péchés et qu’il est remonté vers son Père après les avoir effacés. 1. Dieu a excité l’attente de votre charité, qu’il daigne la remplir. Nous comptons, il est vrai que ce que nous allons vous adresser ne vient pas de nous mais de Lui ; nous disons cependant avec beaucoup plus de raison que l’Apôtre dans son humilité, que « nous portons ce trésor dans vases d’argile, afin que la grandeur appartienne à la puissance de Dieu et ne vienne pas nous b. » Je le vois, vous vous souvenez de notre engagement ; c’est en Dieu que nous l’avons contracté, et c’est par lui que nous l’accomplissons. Nous le prions en vous promettant, et c’est lui qui nous donne de nous acquitter aujourd’hui. Votre charité n’a pas oublié que le matin de la Nativité du Seigneur, nous avons ajourné la solution de la question qui avait été proposée. C’est qu’en effet beaucoup de ceux qu’importune la parole de Dieu célébraient avec nous la solennité exigée par ce grand jour. Mais aujourd’hui il n’y a, je crois, que ceux qui désirent l’entendre, et nous ne parlons ni à des cœurs sourds ni à des âmes dégoûtées. Le désir que je vois en vous est de plus une prière en ma faveur. Un autre motif m’encourage : le jour des jeux publics a emporté d’ici un grand nombre de malheureux, pour le salut desquels nous vous recommandons une sollicitude aussi empressée que la nôtre : priez Dieu avec ferveur pour eux, car appliqués comme ils sont aux spectacles de la chair, ils ne connaissent point encore les doux spectacles de la vérité. Je sais et je sais avec certitude qu’à votre société appartiennent plusieurs de ceux qui nous délaissent aujourd’hui. Ils déchirent ainsi ce qu’ils ont cousu ; car, les hommes changent et en bien et en mal : nous éprouvons chaque jour la joie et la tristesse de ces vicissitudes : joie, quand ils se corrigent ; tristesse, quand ils se perdent. Aussi le Seigneur n’assure pas le salut à celui qui commence : « celui qui persévérera jusqu’à la fin, dit-il, celui-là sera sauvé c. » 2. Mais était-il possible que Notre-Seigneur Jésus-Christ, que le Fils de Dieu, qui a daigné se faire en même temps fils de l’homme, nous accordât rien de plus admirable, rien de plus magnifique, que de faire entrer dans son bercail, non-seulement les spectateurs de ces jeux frivoles, mais encore ceux qui s’y donnent en spectacle ? Car il poursuit pour les sauver et les amis des gladiateurs et les gladiateurs eux-mêmes. Lui-même d’ailleurs n’a-t-il pas été donné en spectacle ? Apprends de quelle manière. Il a dit, il a prédit longtemps auparavant, il a annoncé, comme si la chose était déjà accomplie, il a dit expressément dans un psaume : « Ils ont creusé mes mains et mes pieds, ils ont compté tous mes os. » Voilà comment il a été donné en spectacle, ses os mêmes ont été comptés. Il exprime plus clairement encore cette idée de spectacle : « Ils m’ont regardé, dit-il, ils m’ont considéré attentivement d. » Spectacle de dérision, car on n’avait pour lui, même en ce moment, aucune bienveillance, on ne montrait que de la fureur. Ainsi voulut-il que dès l’origine ses martyrs fussent également livrés en spectacle. « Nous sommes en spectacle, dit l’Apôtre, au monde, aux anges et aux hommes e. » Or il y a pour cette dernière sorte de spectacles deux espèces de spectateurs ; les spectateurs charnels et les spectateurs spirituels. Les spectateurs charnels regardent comme des misérables ces martyrs qui sont exposés aux bêtes, qui périssent ta tête tranchée ou consumés par la flamme ; ils les détestent, et les ont en horreur. Les autres spectateurs, comme les saints anges eux-mêmes, considèrent moins leurs chairs en lambeaux qu’ils n’admirent l’intègre vigueur de leur foi. Quel spectacle en effet pour les yeux du cœur qu’une âme montre ce que vous préférez invincible dans un corps en ruine ! Ce sont ces spectacles que vous contemplez volontiers lorsqu’on en lit les actes dans l’Église ; car vous n’y entendriez rien si vous n’y voyiez rien ; et aujourd’hui par conséquent vous ne renoncez point, aux spectacles vous montrez ceux que vous préférez. Que Dieu donc voies accorde la grâce de rendre compte avec bonté de vos spectacles pieux, à ces amis que vous plaignez aujourd’hui d’avoir couru à l’amphithéâtre et d’avoir refusé de venir à l’église ; qu’ils commencent à mépriser ces jeux profanes dont l’amour les rend méprisables eux-mêmes, et qu’avec vous ils aiment ce Dieu dont ne peut rougir aucun de ceux qui l’aiment, car l’aimer c’est aimer l’invincible. Qu’avec vous ils aiment le Christ, le Christ qui a voulu paraître vaincu pour vaincre l’univers. Ne voyons-nous pas aujourd’hui, mes frères, qu’il l’a vaincu en effet ? Il a soumis toutes les puissances ; sans soldat superbe et avec sa croix chargée d’outrages, il a courbé les rois sous son joug ; il n’a point fait sang avec le glaive, il est resté attaché à la croix et en souffrant dans son corps il a triomphé des âmes. Ses membres s’élevaient sur le gibet et sous ce gibet il abaissait les cœurs. Et quel diamant brille avec plus d’éclat sur le diadème, que la croix du Christ sur le front des monarques ? Non, en vous attachant à lui, vous n’avez jamais à rougir. Combien reviennent de l’amphithéâtre, vaincus parce que sont vaincus ceux pour qui ils se sont pris d’une folle passion ? Ne seraient-ils pas plus vaincus encore si leurs partisans triomphaient ? Ils seraient alors livrés à une vaine joie, ils s’abandonneraient au plaisir inspiré par leur passion insensée. Aussi sont-ils défaits au moment même oit ils courent au théâtre. Combien n’y en a-t-il pas, mes frères, qui aujourd’hui ont hésité de savoir s’ils iraient là ou s’ils viendraient ici ? Ceux d’entre eux qui dans ce moment de doute ont regardé le Christ et sont accourus à l’Église, ont triomphé, non pas d’un homme quelconque mais du diable même, le plus méchant ennemi du genre humain. Ceux au contraire qui ont alors préféré courir au théâtre, ont été vaincus au lieu d’être vainqueurs avec les premiers. Or si ceux-ci ont vaincu, c’est en Celui quia dit : « Réjouissez-vous, car j’ai vaincu le monde f. » Il est en effet comme le général qui s’est laissé attaquer pour former le soldat au combat. 3. Or c’est pour nous donner cette leçon que Jésus-Christ Notre-Seigneur s’est fait homme en naissant d’une femme. – L’eût-il moins donnée, s’il ne fût né de la vierge Marie, dira-t-on ? Il voulait être homme, il pouvait l’être sans avoir une mère ; le premier homme formé par lui n’en avait pas. – Voici ma réponse. Pourquoi, demandes-tu, a-t-il voulu naître d’une femme ? Et pourquoi, répliquerai-je, aurait-il refusé d’avoir une femme pour mère ? Supposé que je ne puisse expliquer les motifs de son choix ; dis-moi d’abord ce qui lui défendait de naître d’une femme. N’a-t-on pas observé déjà qu’en fuyant un sein maternel il aurait comme reconnu qu’il pouvait en être souillé ? Plus il était par sa nature au-dessus de toute souillure possible, moins il devait craindre de se souiller dans le sein de sa mère ; de plus il a voulu en naissant d’elle, nous révéler quelques traits d’un mystère important. Il est vrai, mes frères, et nous l’avouons, si le Seigneur avait voulu se faire homme sans naître d’une femme c’était chose facile à sa Majesté suprême. S’il a pu naître d’une femme sans le concours d’aucun homme, ne pouvait-il naître aussi sans l’intermédiaire d’aucune femme ? Mais il nous a appris qu’aucun sexe, car il y en a deux dans le genre humain, ne doit désespérer. Si étant du sexe masculin, comme il devait en être, il ne s’était pas choisi une mère, les femmes tomberaient dans le désespoir au souvenir de leur premier péché, car c’est la femme qui a séduit le premier homme ; elles croiraient qu’elles n’ont absolument aucun motif d’espérer au Christ. Le Christ a donc préféré pour lui le premier sexe, mais en naissant d’une femme il console les femmes et il semble leur dire : Pour vous apprendre qu’aucune créature de Dieu n’est mauvaise par nature et qu’elle n’a été pervertie que par un plaisir coupable, lorsque j’ai créé l’homme au commencement du monde je l’ai créé mâle et femelle. Je ne condamne point ce que j’ai fait. Je suis homme, mais né d’une femme. Non, je ne condamne point la créature que j’ai faite, je condamne le péché que je n’ai pas fait. Que chaque sexe reconnaisse comment je l’honore ; mais aussi que chacun d’eux confesse son iniquité et espère le salut. La femme pour tromper l’homme lui a présenté une coupe empoisonnée ; elle lui offrira pour le relever la coupe du salut, et la femme en devenant mère du Christ réparera la faute qu’elle a faite en séduisant l’homme. Aussi ce sont des femmes qui les premières apprirent aux Apôtres la résurrection du Seigneur. Une femme avait annoncé la mort à son époux dans le paradis ; des femmes aussi ont annoncé le salut aux hommes dans l’Église. Les Apôtres devaient annoncer aux nations la résurrection du Christ ; ce sont des femmes qui l’ont annoncée aux Apôtres. Personne ne doit donc reprocher au Sauveur d’être né d’une femme : une telle nuisance ne pouvait le souiller, et il convenait que le Créateur honorât ce sexe. 4. Comment nous amener à croire, poursuivent-ils, que le Christ est né d’une femme ? Je répondrai : Par l’Évangile, cet Évangile quia été prêché et qui l’est encore à tout l’univers. Mais ces aveugles essaient de révoquer en doute ce qui est admis par toute la terre ; ils veulent communiquer leur aveuglement, et en cherchant à ébranler la certitude de ce qu’il faut croire, ils ne voient point ce qu’il faut voir.-Ne nous impose pas, s’écrient-ils, l’autorité de l’univers ; ouvrons les Écritures. Ne fais pas le populaire ; c’est la multitude séduite qui est pour toi. – La multitude séduite est avec moi ? Mais cette multitude n’était-elle pas d’abord le petit nombre ? Comment s’est formée cette multitude dont les accroissements ont été annoncés si longtemps d’avance ? On n’a pas vu ces accroissements et on les a prédits. Eh quoi ? Abraham n’était pas un petit nombre, il était seul. Remarquez-le, mes frères, Abraham était seul alors, seul dans tout le monde, seul dans tout l’univers, seul parmi tous les peuples ; néanmoins il lui fut dit : « Dans un rejeton de ta race toutes les nations seront bénies g. » Et ce que seul alors il croyait de son unique héritier, un grand nombre le voient aujourd’hui réalisé dans la multitude de ses descendants. Il ne voyait pas et il croyait ; on voit aujourd’hui et l’on conteste : ce que Dieu disait alors à un seul homme, ce que celui-ci croyait, est maintenant contesté par un petit nombre, tout réalisé qu’il est dans la multitude. Car Celui qui a fait de ses disciples des pêcheurs d’hommes, a pris dans ses réseaux tous les genres d’autorité. Faut-il ajouter foi au grand nombre ? Qu’y a-t-il de plus nombreux que l’Église, répandue dans tout l’univers ? Aux riches ? Combien de riches sont entrés dans son sein ! Aux pauvres ? Combien de milliers d’entre eux l’on y compte ! Aux nobles ? La noblesse y est presque tout entière. Aux rois ? On les voit tous soumis au Christ. À l’éloquence, à la science, à la sagesse ? Combien d’orateurs, combien de savants, combien de philosophes du siècle entraînés dans les mailles de ces pêcheurs, retirés de l’abîme et placés sur les rivages du salut ! Tous ont les yeux fixés sur Celui qui est descendu pour guérir l’âme humaine de la grande maladie qui la dévore, de l’orgueil, et qui a choisi ce qui est faible pour confondre ce qui est fort ; ce qui est insensé pour confondre les sages, ou plutôt ceux qui le paraissent sans l’être ; ce qui est bas selon ce monde et ce qui n’est rien pour détruire ce qui est h. 5. Dis tout ce qu’il te plaira, reprennent-ils, nous avons remarqué qu’à l’endroit même où ils vous rapportent la naissance du Christ, les Évangiles sont en contradiction ; or deux assertions contradictoires ne sauraient être également vraies. Donc après avoir montré cette contradiction, je dois rejeter ta foi ; ou bien pour justifier ta foi, montre-moi l’accord des Évangiles. – Quelle contradiction me signaleras-tu ? – Une contradiction manifeste et que personne ne saurait contester. – Je vous la ferai connaître sans crainte parce que vous êtes fidèles. Remarquez, mes bien-aimés, combien est salutaire cet avertissement de l’Apôtre : « Marchez donc en Jésus-Christ notre Seigneur selon que vous l’avez reçu, enracinés en lui, édifiés sur lui et affermis dans la foi. » Nous devons en effet nous attacher fortement à lui, avec une foi simple et inébranlable ; à cause de cette fidélité il nous découvrira ce qui est caché en lui, car, dit le même Apôtre, « en lui sont cachés tous les trésors de la sagesse et de la science i. » Or s’il les cache, ce n’est pas pour les refuser, c’est pour exciter le désir de les posséder. Telle est l’utile conséquence de ce qu’on garde sous le secret. Respectes-y ce que tu ne comprends pas encore, et respecte-le d’autant plus que plus de voiles le dérobent à tes yeux. Plus un personnage est honorable ; plus sont nombreux les voiles appendus dans sa demeure. Ces voiles inspirent le respect pour ce, que l’on ne voit pas. Ils se lèvent pour ceux qui les honorent, tandis qu’on en éloigne ceux qui jettent sur eux le mépris. Aussi pour nous n’y a-t-il plus de voile depuis que nous avons passé au Christ j. 6. Plusieurs donc nous accusent. Matthieu est-il sûrement un évangéliste, demandent-ils ? La piété sur les lèvres aussi bien que la religion dans le cœur, nous répondons avec une entière certitude : Matthieu est un Évangéliste. – As-tu foi en lui, reprennent-ils ? – Qui ne répondrait comme le fait entendre votre pieux murmure : J’ai foi en lui ? Eh bien, mes frères, si vous avez cette ferme foi, il n’est rien qui puisse vous faire rougir. Celui qui vous parle a été déçu pendant quelque temps. Tout jeune encore je voulais discuter les Écritures avec subtilité plutôt que de les interroger avec piété, mes mœurs dépravées avaient fermé pour moi la porte de mon Maître et au lieu de frapper pour qu’elle s’ouvrit, je continuais à la fermer, car je cherchais avec orgueil ce qu’on ne peut découvrir qu’avec humilité. Ah ! que vous êtes bien plus heureux aujourd’hui ! Vous apprenez avec tant de tranquillité et de sécurité, vous qui êtes encore comme des enfants dans le nid de la foi et qui recevez simplement la nourriture spirituelle ! Je me croyais capable de prendre mon essor, j’eus le malheur de quitter le nid et je tombai avant de m’élever. Pour m’épargner d’être foulé par les passants et m’arracher à la mort, la miséricorde du Seigneur m’a ramassé et replacé dans ce nid. Voici donc ce qui me tourmentait. Je vous en parle maintenant et je vous l’explique sans crainte au nom du Seigneur. 7. J’avais commencé de le dire, on nous accuse de la manière suivante. Matthieu est-il un évangéliste demande-t-on, et avez-vous foi en lui ? – Nous confessons que Matthieu est un évangéliste et conséquemment nous avons confiance en lui. – Remarquez les générations du Christ, d’après Matthieu. « Livre de la généalogie de Jésus-Christ, fils de David, fils d’Abraham. » Comment est-il fils de David, comment fils d’Abraham ? On ne saurait le montrer qu’en traçant la suite des générations ; car ni Abraham ni David n’étaient plus sûrement de ce monde, quand le Seigneur naquit de la vierge Marie. – Et tu le prétends fils de David, et en même temps fils d’Abraham ? Ainsi demandons à Matthieu de prouver ce qu’il dit ; j’attends de lui la généalogie du Christ.« Abraham, poursuit-il, engendra Isaac ; Isaac engendra Jacob ; Jacob engendra Juda et ses frères ; Juda engendra de Thamar Pharés et Zara ; Pharés engendra Esron ; Esron engendra Aram ; Aram engendra Aminadab ; Aminadab engendra Naasson ; Naasson engendra Salmon ; Salmon engendra Booz, de Rahab ; Booz engendra Obed, de Ruth ; Obed engendra Jessé ; Jessé engendra David, roi. » Observez maintenant comment on va de David au Christ, qui vient d’être appelé fils d’Abraham et fils de, David : « David engendra Salomon, de celle qui fut femme d’Unie ; Salomon engendra Roboam ; Roboam engendra Abias ; Abias engendra Asa ; Asa engendra Josaphat ; Josaphat engendra Joram ; Joram engendra Osias ; Osias engendra Joatham ; Joatham engendra Achaz ; Achaz engendra Ezéchias ; Ezéchias engendra Manassés ; Manassés engendra Amon ; Amon engendra Josias ; Josias engendra Jéchonias et ses frères vers la transmigration de Babylone. Et après la transmigration de Babylone, Jéchonias engendra Salathiel ; Salathiel engendra Zorobabel ; Zorobabel engendra Abiud ; Abiud engendra Eliachim ; Eliachim engendra Azor ; Azor engendra Sadoc ; Sadoc engendra Achim ; Achim engendra Eliud ; Eliud engendra Eléazar ; Eléazar engendra Mathan ; Mathan engendra Jacob ; Jacob engendra Joseph, l’époux de Marie, de laquelle est né Jésus qui est appelé le Christ. » Il suffit donc de suivre l’ordre et la série des générations pour comprendre que le Christ est en même temps fils de David et fils d’Abraham. 8. Ceci fidèlement établi, on appuie une première accusation sur les paroles suivantes de saint Matthieu. « Il y a donc en tout, d’Abraham jusqu’à David, quatorze générations ; de David jusqu’à la transmigration de Babylone, quatorze générations ; et de la transmigration de Babylone jusqu’au Christ, quatorze générations. » L’Évangéliste continue ensuite son récit, et pour rapporter comment le Christ naquit de la Vierge Marie, il ajoute : « Telle était donc la généalogie du Christ. » Il a suffi en effet de parcourir la, férie de ses ancêtres pour comprendre qu’il est vraiment fils de David et fils d’Abraham. Il faut relater maintenant comment il est né et comment il s’est révélé aux hommes ; c’est sur ce récit que s’appuie notre foi quand elle nous montre que Jésus-Christ Notre-Seigneur est né du Père éternel, qu’il est coéternel lui-même à Celui qui l’a engendré avant tous les siècles, avant toute création, que tout a été fait par lui ; quand de plus nous confessons également qu’il est né de la Vierge Marie par l’opération du Saint-Esprit. Rappelez-vous en effet, car vous le connaissez, puisque je parle à des Catholiques, à mes frères, que telle est effectivement notre foi, celle que nous professons et publions hautement. Pour elle sont morts dans tout l’univers des milliers de martyrs. 9. Voici donc ce qu’ils veulent tourner en dérision pour ôter toute confiance aux livres évangéliques ; ils prétendent que nous croyons trop légèrement ce qui suit : « Marie sa mère étant fiancée à Joseph, il se trouva qu’avant leur union elle avait conçu de l’Esprit-Saint. Mais Joseph son époux était un homme juste et ne voulait point la manifester ; c’est pourquoi il chercha à la laisser secrètement. » Étranger à cette conception, il en concluait quelle était adultère. « Il était juste, dit l’Écriture, et ne voulait pas la manifester », c’est-à-dire la diffamer, ainsi que portent plusieurs exemplaires. « Aussi voulut-il la laisser secrètement. » Il est époux et il se trouble ; mais il est juste et il ne frappe pas. Telle est en effet la justice attribuée à cet homme, qu’il ne veut point conserver une adultère et qu’il n’ose la châtier en la diffamant. « II voulut la laisser secrètement », est-il dit ; car loin de la punir il ne voulait pas même la faire connaître. Voyez combien sa justice était véritable ! S’il voulait l’épargner, ce n’était point, un effet de la passion. En pardonnant à des épouses adultères beaucoup obéissent à l’amour charnel ; ils veulent les conserver malgré leur crime pour assouvir leur honteuse convoitise. Mais le juste : Joseph ne veut point conserver sa femme ; son affection n’est donc pas charnelle. Il ne veut pas non plus la punir ; il a donc pour elle une vraie compassion. Que ce juste est admirable ! Sans conserver l’adultère il ne lui pardonne point par affection charnelle ; et toutefois il ne la châtie ni ne la fait connaître. N’a-t-il pas été bien choisi pour rendre témoignage à la virginité de son épouse ? Est-il étonnant que si la faiblesse humaine l’a fait chanceler, il ait été raffermi par une autorité divine ? 10. Voici en effet ce qui suit dans le récit évangélique : « Comme il s’occupait de ces pensées, un ange du Seigneur lui apparut en songe et lui dit : Joseph, fils de David, ne crains pas de prendre avec toi Marie ton épouse ; car ce qui a été engendré en elle est du Saint-Esprit. Elle enfantera un fils auquel tu donneras le nom de Jésus. » Pourquoi ce nom de Jésus ? « Parce que, poursuit l’ange, c’est lui qui sauvera son peuple de ses péchés k. » Il faut ainsi entendre que le nom hébreu de Jésus signifie Sauveur, c’est l’explication même du céleste messager. En effet, comme si on lui avait demandé : Pourquoi s’appellera-t-il Jésus ? Il ajoute en expliquant le sens de ce mot : « Parce que c’est lui qui sauvera son peuple de ses péchés. » Notre foi pieuse, notre inébranlable conviction est donc que le Christ est né de la Vierge Marie par l’opération du Saint-Esprit. 11. Et qu’objectent nos adversaires ? — Si je découvre une erreur dans ce récit, tu ne saurais l’admettre avec certitude dans son intégrité. – Montre-m’en une, voyons. – Je compte les générations. — C’est à cela en effet que nous invitent, que nous entraînent nos adversaires par leurs accusations. Mais si – nous vivons dans la piété, si nous croyons au Christ, si nous ne cherchons point à sortir prématurément du nid, leurs efforts aboutissent à nous faire mieux connaître les mystères. Que votre sainteté remarque ici de quelle utilité sont pour nous les hérétiques ; j’entends de quelle utilité selon Dieu, qui tire le bien du mal même. Pour eux ils recevront ce que mérite leur volonté perverse, ils ne seront pas récompensés du bien que Dieu sait tirer de leurs actes. Citons Judas, quels heureux résultats Dieu a su faire découler de sa conduite ! les nations doivent leur salut à la passion du Sauveur ; mais le Sauveur ne doit-il pas sa passion à la trahison de Judas ? Dieu a donc sauvé les peuples par la passion de son Fils et il punit Judas de son crime. C’est ainsi qu’en se contentant de la simplicité de la foi, nul ne pénétrerait les mystères de l’Écriture ; et comme nul ne s’occuperait de les pénétrer s’il n’y était poussé par les accusateurs, on ne les éclaircirait point. Devant les calomnies des hérétiques, les faibles se troublent ; en se troublant ils cherchent, et en cherchant ils font comme ces petits enfants qui frappent de la tête le sein de leur mère pour en faire couler autant de lait qu’il leur en faut. Les faibles une fois troublés cherchent donc ; et ceux qui connaissent, ceux qui ont approfondi parce qu’ils ont médité et que Dieu a ouvert à leur persévérance, leur exposent à leur tour la vérité découverte par eux. Il est donc incontestable qu’en cherchant par leurs accusations à entraîner dans l’erreur, ces hérétiques servent à faire briller la vérité. On la chercherait avec plus de négligence, si elle ne rencontrait des ennemis menteurs. « Il faut, est-il écrit, qu’il y ait des hérésies. » Et comme si nous en demandions la raison : « Afin que l’on connaisse ceux qui sont éprouvés parmi vous », continue aussitôt l’écrivain sacré l. 12. Qu’objectent enfin nos adversaires ? — Matthieu résume le nombre des générations ; d’Abraham à David il en compte quatorze ; quatorze depuis David jusqu’à la transmigration de Babylone ; et depuis la transmigration de Babylone, jusqu’au Christ, quatorze encore. Multiplie quatorze par trois, tu obtiens quarante-deux. Pour eux, en additionnant ces générations, ils n’en trouvent que quarante-et-une, ce qui provoque leurs accusations, leurs dérisions et leurs insultes. Mais pourquoi l’Évangile affirme-t-il qu’il y a trois fois quatorze générations, tandis qu’en les prenant toutes l’une après l’autre on en obtient, non pas quarante-deux, mais quarante-et-une ? C’est assurément un profond mystère. Et nous sommes heureux, nous remercions le Seigneur de nous faire découvrir, à l’occasion des outrages lancés contre nous, une vérité d’autant plus agréable à saisir qu’elle était plus profondément ensevelie dans l’ombre. Nous le disions en commençant, nous donnons ici un spectacle tout spirituel.D'Abraham à David, il y a donc quatorze générations. On reprend ensuite à Salomon, fils de David, et de Salomon on va jusqu’à Jéchonias, sous qui eut lieu la transmigration de Babylone. Or en comprenant Salomon, le chef de cette série et Jéchonias qui en est le terme, on compte encore quatorze générations. Pour la troisième série, elle commence à ce même Jéchonias. 13. Que votre sainteté goûte ici un mystère plein de douceur. Je vous avoue que mon cœur y trouve d’ineffables délices, et j’aime à croire que vous direz comme moi lorsque je vous aurai exposé et fait goûter ma pensée. Écoutez donc. De Jéchonias qui ouvre la troisième série, jusqu’à Jésus-Christ Notre-Seigneur, il y a quatorze générations ; ainsi Jéchonias est compté deux fois, une fois pour fermer la deuxième série et une autre fois pour ouvrir la troisième. Pourquoi, demandera-t-on, Jéchonias est-il compté deux fois ? Rien n’arrivait chez le peuple d’Israël qui ne fût un mystère de l’avenir. La raison ne défend pas de compter deux fois Jéchonias. Voici la limite qui sépare deux propriétés, une pierre ou une cloison quelconque : chaque propriétaire ne part-il pas de cette borne quand il s’agit de mesurer ? Pourquoi néanmoins ne comptons-nous pas de la même manière les deux précédentes séries ; la première, qui comprend quatorze générations depuis Abraham jusqu’à David, et la deuxième qui en comprend quatorze aussi, non pas depuis David inclusivement, mais depuis Salomon ? Il en faut donner le motif : c’est ici le profond mystère. Que votre sainteté nous prête toute son attention. La transmigration de Babylone eut lieu, lorsque le roi Jéchonias succéda à son père qui venait de mourir. La couronne fut enlevée à ce prince et un autre prit sa place ; ce fut néanmoins de son vivant que le peuple de Dieu émigra parmi les gentils. On ne cite de Jéchonias aucune faute qui ait pu le faire détrôner, on parle plutôt des crimes de ses successeurs. Arrive donc la captivité, on va à Babylone. Les impies seuls n’en prennent pas la route, des saints mêmes vont avec eux en captivité et l’on y voit le prophète Ézéchiel, l’on y voit Daniel et ces trois enfants qu’illustrèrent les flammes de la fournaise. Tous suivaient les conseils du prophète Jérémie. 14. N’oubliez pas que Jéchonias fut réprouvé innocemment, qu’il cessa de régner et passa parmi les gentils à l’époque où eut lieu la transmigration de Babylone : voyez ici une image anticipée de ce qui devait arriver à Jésus-Christ Notre-Seigneur. Les Juifs ne voulurent plus que Notre-Seigneur Jésus-Christ régnât sur eux, et pourtant ils n’avaient trouvé en lui aucune faute. Il fut rejeté dans sa personne, rejeté dans la personne de ses serviteurs, qui passèrent alors à Babylone, c’est-à-dire parmi les gentils. Le prophète Jérémie commandait de la part de Dieu d’aller à Babylone, et les prophètes qui s’y opposaient étaient par lui traités de faux-prophètes. Vous qui lisez les Écritures, vous savez que nous n’inventons pas ; ceux qui ne les lisent pas doivent nous croire. Jérémie donc faisait au nom du Seigneur des menaces à qui refusait d’aller à Babylone, et il promettait à ceux qui y allaient, le repos et l’espèce de bonheur que procurent la plantation des vignes, la culture des arbres et l’abondance des récoltes m. Et comment en réalité et non plus en figure, le peuple d’Israël passât-il à Babylone ? Mais d’où étaient les Apôtres ? N’étaient-ils pas des Juifs ? D’où était Paul lui-même ? « Je suis Israélite, dit-il, de la race « d’Abraham, de la tribu de Benjamin n. » Beaucoup de Juifs crurent donc en Jésus-Christ. Parmi eux furent choisis les Apôtres ; de leur nombre se trouvaient ces cinq cents frères et plus, qui méritèrent de voir le Seigneur après sa résurrection o ; parmi eux comptaient encore ces cent vingt disciples que le Saint-Esprit trouva assemblés dans une même demeure lorsqu’il descendit du ciel p. Et lorsque les Juifs repoussèrent ensuite la prédication de la vérité, que leur dit l’Apôtre dans les Actes des Apôtres ? « Nous étions envoyés vers vous ; mais puisque vous rejetez la parole de Dieu, nous nous tournons à l’instant vers les gentils q. » Ainsi se fit spirituellement, à l’époque de l’incarnation du Seigneur, la transmigration de Babylone figurée au temps de Jérémie. Mais que disait des Babyloniens Jérémie aux émigrants ? « Leur paix fera votre paix r. » Et lorsque sous la conduite du Christ et des Apôtres Israël allait aussi à Babylone, en d’autres termes, lorsque l’Évangile passait aux gentils, que dit l’Apôtre comme pour interpréter Jérémie ? « Je demande avant tout qu’on fasse des prières, des demandes, des supplications, des actions de grâces, pour tous les hommes, pour les rois et tous ceux qui sont en dignité, afin que nous menions une vie paisible et tranquille, avec toute piété et chasteté s. » Les princes n’étaient pas encore chrétiens et il priait pour eux. Les prières d’Israël furent exaucées à Babylone. Les prières de l’Église ont été également exaucées ; et les princes sont devenus chrétiens, et vous voyez l’accomplissement de cette prophétie figurative : « Leur paix fera votre paix. » Ils ont reçu effectivement la paix du Christ et ils ont cessé de persécuter les chrétiens. Aussi a-t-on bâti des Églises à la faveur de cette paix, établi et cultivé de nouveaux peuples dans le champ de Dieu, et toutes les nations s’enrichissent par la foi, par l’espérance et par la charité qu’inspire le Christ. 15. La transmigration de Babylone eut lieu sous Jéchonias, à qui on ne permit plus de régner sur les Juifs : c’était un emblème du Christ dont les Juifs ne voulurent plus pour leur roi. Israël passa parmi les gentils, les prédicateurs de l’Évangile se tournèrent aussi vers les peuples païens. Est-il alors étonnant que l’on compte deux fois le nom de Jéchonias ? Jéchonias figurait le Christ passant des Juifs aux gentils. Mais ainsi placé entre les. Juifs et les gentils, qu’est-ce que le Christ ? N’est-il pas cette célèbre pierre angulaire ? Considère l’angle d’une maison : cet angle ne termine-t-il pas un mur pour en commencer un autre ? On comprend également la pierre angulaire dans la mesure de l’un et de l’autre mur ; il unit les deux murs et on le compte deux fois. En figurant le Seigneur, Jéchonias le figurait donc comme pierre angulaire. Et de ni même qu’on ne laissa point ce prince régner sur les Juifs, et qu’il alla à Babylone ; ainsi « après avoir été rejeté par les architectes » le Christ « est devenu la pierre angulaire t », l’Évangile a été annoncé aux gentils. Ne crains donc pas de compter deux fois cette première pierre angulaire ; tu obtiendras le total de l’écrivain sacré, tu compteras jusqu’à trois fois les quatorze générations, sans néanmoins parvenir à la somme de quarante-deux, mais à la somme de quarante-et-une. Quand on compte des pierres placées en ligne droite, on ne compte chacune d’elles qu’une seule fois ; mais si la ligne se brise pour former un angle, il faut compter deux fois la pierre qui forme cet angle ; cette pierre appartient réellement et au mur qui se termine à elle et à celui qui par elle commence. Ainsi en est-il des générations évangéliques. Tant qu’on reste chez le peuple juif, on compte en ligne droite les quatorze ; mais lorsqu’on brise la ligne pour tourner du côté de Babylone, Jéchonias devient comme une pierre angulaire, et comme figure d’une autre pierre angulaire infiniment vénérable, il faut le compter deux fois. 16. Voici une autre de leurs accusations : c’est qu’on compte, disent-ils, les générations du Christ par Joseph, et non par Marie. Je prie votre sainteté de se rendre encore un peu attentive. On ne devait pas, disent-ils donc, compter ainsi par Joseph. – Et pourquoi ne devait-on pas compter par Joseph ? Joseph n’était-il pas l’époux de Marie ? – Non, répondent-ils. — Qui ose dire non, quand, appuyée sur l’autorité d’un ange, l’Écriture enseigne le contraire ? « Ne crains pas, dit-elle, de prendre Marie pour « ton épouse ; car ce qui a été engendré en elle « vient du Saint-Esprit. » À Joseph encore elle commande de donner le nom à l’enfant, quoiqu’il ne soit pas né de lui. « Elle l’enfantera un fils et « tu lui donneras le nom de Jésus. » Ainsi tout en s’attachant à montrer que le saint Enfant n’est pas né de Joseph, tout en répondant, aux inquiétudes de Joseph, qu’il « vient du Saint« Esprit », la même Écriture ne lui ôte pas l’autorité paternelle, puisqu’elle lui commande de donner le nom à l’Enfant. Bien sûre enfin qu’elle ne lui doit pas la conception du Christ, la Vierge Marie le nome père de son fils. 17. Observez dans quelles circonstances. Notre-Seigneur était âgé de douze ans, de douze ans comme homme ; car en tant que Dieu il est au-dessus et en dehors de tous les temps ; et il resta séparé d’eux dans le temple, discutant avec les docteurs qui admiraient sa doctrine. Au sortir de Jérusalem ses parents le cherchèrent dans leur compagnie, c’est-à-dire parmi ceux qui marchaient avec eux ; et ne le trouvant point, ils rentrèrent tout alarmés dans Jérusalem, et le trouvèrent discutant dans le temple avec les anciens, quoiqu’il ne fût, comme j’ai dit, âgé que de douze ans. Qui pourrait néanmoins s’en étonner ? Le Verbe de Dieu ne garde jamais le silence, quoiqu’on ne l’entende pas toujours. On le découvre donc dans le temple et sa mère lui dit : « Pourquoi avez-vous agi de la sorte envers nous ? Votre père et moi nous vous « cherchions dans l’affliction. – Ignoriez-vous, reprit-il, que je dois être occupé des intérêts de mon Père u ? » Il répondit ainsi comme étant le Fils de Dieu et dans le temple de Dieu. Ce temple en effet n’était par le temple de Joseph, mais le temple de Dieu. Donc, objectera quelqu’un, il ne dit point qu’il était le fils de Joseph. – Écoutez avec un peu plus de patience ; mes frères, car nous avons peu de temps et il faut achever ce discours. Marie ayant dit : « Votre père et moi nous vous cherchions dans l’affliction », il répliqua : « Ignoriez-vous que je dois être occupé des affaires de mon Père ? » Il ne voulait pas laisser croire que tout en étant leur fils il n’était pas en même temps le Fils de Dieu ; car il est et il est toujours le Fils de Dieu, créateur de ses parents mêmes. Mais fils de l’homme dans le temps et né miraculeusement d’une vierge, il avait néanmoins un père et une mère. Comment le prouver ? Marie l’a déjà dit : « Votre père et moi nous vous cherchions dans l’affliction. » 18. En vue surtout de l’instruction des femmes, de nos sueurs, ne passons point sous silence, mes frères, cette sainte modestie de la Vierge Marie. Elle avait donné le jour au Christ, un ange était venu vers elle et lui avait dit : « Tu vas concevoir dans ton sein et tu enfanteras un fils. Il sera grand et sera appelé le Fils du Très-Haut v. » Elle avait mérité de donner le jour au Fils du Très-Haut, et elle était si humble ! Même en se nommant elle ne se préférait pas à son mari, elle ne disait pas : moi et votre père, mais : « votre père et moi. » Elle ne considère point sa dignité de mère, mais l’ordre du mariage. Ah ! Jésus-Christ est trop humble pour avoir enseigné l’orgueil à sa mère. « Votre père et moi nous vous cherchions dans les larmes. – Votre père, et moi » ensuite ; car l’homme est le chef de la femme w. Combien moins doivent s’enorgueillir les autres femmes ! Si ce nom a été donné à Marie, ce n’est point qu’elle ait perdu sa virginité, c’est pour suivre l’usage de sa nation. L’Apôtre a dit de Jésus-Christ Notre-Seigneur qu’« il est né d’une femme x ; » mais sans se mettre en contradiction avec notre foi, qui professe hautement qu’il est né du Saint-Esprit et de la Vierge Marie, car elle conçut Vierge, Vierge elle enfanta et elle demeura Vierge. La langue hébraïque, en effet, donne le nom de femme à toutes les personnes du sexe. En voici une preuve manifeste ; c’est que la première femme, tirée par Dieu du côté d’Adam, portait ce nom avant de s’unir avec l’homme, ce qui n’arriva qu’après leur expulsion du paradis. L’Écriture dit expressément : « Dieu en forma la femme y. » 19. Ainsi donc, lorsqu’en répondant : « Je devais m’occuper des affaires de mon Père », Jésus-Christ Notre-Seigneur indique que Dieu est son Père, il ne nie pas que Joseph le soit aussi. Où en est la preuve ? Dans l’Écriture quand elle dit : « Et il leur répondit : Ignoriez-vous que je dois m’occuper des affaires de mon Père ? Ils ne comprirent pas ce qu’il leur disait ; puis étant descendu avec eux il vint à Nazareth et il leur était soumis z. » Il n’est pas écrit : Il était soumis à sa mère, ni : il lui était soumis ; mais « Il leur était soumis. » À qui ? N’est-ce pas à ses parents ? C’est à ses deux parents qu’il se soumettait avec la même condescendance qui le rendait fils de l’homme. Nous venons de transmettre des règles de vie aux femmes ; c’est maintenant au tour des enfants d’en recevoir. Qu’ils apprennent donc à obéir à leurs parents, à leur être soumis. L’univers est soumis au Christ, et le Christ est soumis à ses parents ! 20. Vous voyez donc, mes frères, qu’en disant « Il faut que je m’occupe des intérêts de mon Père ; » il ne prétend pas dire : Vous n’êtes pas mes parents. Ils étaient ses parents dans le temps, son Père est son Père dans l’éternité. Eux sont les parents du Fils de l’homme ; le Père est le Père de son Verbe, de sa Sagesse et de cette Vertu suprême par laquelle il a tout formé. Si par elle il a tout formé, car elle atteint d’une extrémité à l’autre avec force et dispose tout avec douceur aa ; » par le Fils de l’homme ont été formés aussi ces parents auxquels il devait plus tard se soumettre comme Fils de Dieu. L’Apôtre le nomme fils de David : « Il lui est né, dit-il, de la race de David, selon la chair ab. » Le Sauveur néanmoins propose aux Juifs une question que l’Apôtre résout dans ces mêmes paroles. Si après ces mots : « Il lui est né de la race de David », il ajoute : « selon la chair », c’est pour faire entendre que selon sa divinité fi n’est pas fils de David, mais Fils de Dieu et Seigneur de David. Aussi en faisant ailleurs l’éloge de la race juive : « De leurs pères, dit le même Apôtre, est né selon la chair le Christ qui est au-dessus de toutes choses, Dieu béni dans tous les siècles ac. – Selon la chair ; » par là il est fils de David ; « au-dessus de toutes choses, Dieu béni dans tous les siècles », il est par là le Seigneur de David. Le Seigneur demanda donc aux Juifs : « De qui dites-vous que le Christ est fils ? – De David, répondirent-ils. » Ils le savaient pour l’avoir saisi facilement dans les écrits des Prophètes. Et Jésus était réellement le fils de David, mais selon la chair qu’il devait à la Vierge Marie, l’épouse de Joseph. Après les avoir entendus répondre que le Christ est fils de David, le Sauveur ajouta : « Comment donc David l’appelle-t-il, en esprit, son Seigneur lorsqu’il dit : Le Seigneur a dit à mon Seigneur : Asseyez-vous à ma droite, jusqu’à ce que je mette vos ennemis sous vos pieds ? Et si David l’appelle, en esprit, son Seigneur, comment est-il son fils ? » Mais les Juifs ne purent répondre ad. Voilà ce que nous lisons dans l’Évangile. En se disant fils de David, il ne voulut pas leur laisser ignorer qu’il était en même temps le Seigneur de ce prince. Ils reconnaissaient au Christ une origine temporelle, ils ne connaissaient pas son éternité. Ainsi pour leur enseigner sa divinité, il soulève une question relative à son humanité. C’est comme s’il eût dit : Vous savez que le Christ est fils de David ; expliquez-moi comment il est aussi son Seigneur. Et pour les empêcher de répondre : Il n’est pas le Seigneur de David, il en appela au témoignage de David même. Et que dit David ? Il dit la vérité, car voici ce qu’on lit dans un de ses psaumes : « Je placerai sur ton trône, lui dit l’Éternel, un fils qui naîtra de toi ae. » Voilà bien le Christ fils de David. Et comment est-il aussi son Seigneur ? « Le Seigneur, déclare David, a dit à mon Seigneur : Asseyez-vous à ma droite af. » Pourquoi vous étonner que David ait son fils pour Seigneur quand vous voyez Marie devenue mère de son Dieu ? Il est le Seigneur de David, parce qu’il est Dieu ; son Seigneur, car il est le Seigneur de tous ; et son fils, car il est fils de l’homme. Il est à la fois son Seigneur et son fils ; son Seigneur, car « ayant la nature de Dieu, il n’a pas cru usurper en s’égalant à Dieu ; » et son fils, car « il s’est anéanti lui-même en prenant la nature de serviteur ag. » 21. Ainsi donc, pour ne s’être pas uni à la mère du Seigneur, Joseph n’en demeure pas moins son père. Est-ce la passion, n’est-ce pas plutôt l’amour conjugal qui constitue l’épouse ? Je prie votre Sainteté de s’appliquer. Un Apôtre du Christ devait dire bientôt dans l’Église : « Il faut que ceux mêmes qui ont des femmes soient comme n’en ayant point ah. » Et nous savons qu’un grand nombre, de nos frères, pour porter des fruits de, grâce, s’abstiennent au nom du Christ et d’un mutuel consentement, de tout contact charnel, sans renoncer toutefois a la charité conjugale. Plus ils répriment la concupiscence et plus s’accroît leur amitié. Cessent-ils d’être époux en vivant ainsi, en ne demandant rien à la chair, en n’exigeant pas ce que pourrait réclamer la concupiscence ? La femme alors n’en est pas moins soumise à son mari, car ainsi le veut l’ordre même ; elle lui est même d’autant plus soumise qu’elle est plus chaste ; le mari de son côté a pour son épouse un amour véritable, un amour plein de respect de pureté, comme il est écrit ai ; et il voit en elle une cohéritière de la grâce, et il l’aime « comme le Christ a aimé l’Église aj. » Si donc il y a union matrimoniale, si cette union n’est pas détruite parce qu’on s’abstient de ce qui peut se faire, quoique illicitement, en dehors du mariage ; et plaise à Dieu que tous soient capables de ce genre de vie, mais il est au-dessus des forces d’un grand nombre ; pourquoi séparer ceux qui peuvent vivre ainsi ? Pourquoi nier qu’il n’y a ni mari ni femme, quand il n’y a point mélange charnel, mais étroite union des cœurs ? 22. Comprenez par là ce que pense l’Écriture de nos pieux ancêtres qui ne cherchaient dans le mariage que la génération d’une postérité. Conformément aux usages de l’époque où ils vivaient et de la nation dont ils faisaient partie, ils possédaient même plusieurs épouses : mais ils étaient si chastes que jamais ils ne s’en approchaient qu’en vue des enfants ; ils avaient pour elles un respect véritable. D’ailleurs, demander à une femme au-delà de ce qu’exige ce besoin de la génération, c’est violer le contrat même du mariage. On lit ce contrat, on le lit en présence de tous les témoins, on y lit cette clause : pour engendrer des enfants ; voilà ce qui fait l’essence de ce qu’on appelle l’acte matrimonial. Eh ! si ce n’était dans ce but qu’on donne et qu’on accepte une épouse, quel père oserait livrer sa fille à la passion d’autrui ? Afin donc d’ôter toute honte aux parents, afin de leur rappeler qu’ils deviennent beaux-pères et non chefs de prostitution, on lit le contrat au moment où ils donnent leur fille. Et qu’y lit-on ? Pour la génération des enfants. Le front du père à ces mots s’éclaircit et devient serein. Et le front de celui qui reçoit cette femme ? Ah ! qu’il rougisse de la prendre pour un autre motif, puisque le père rougit de la lui remettre dans un autre dessein ! Si cependant, nous avons déjà dit cela quelque part, ils ne peuvent se restreindre à cette juste limite, qu’ils exigent ce qui leur est dû ; mais uniquement de ceux qui leur doivent ; que l’homme et la femme se soulagent ensemble dans leur faiblesse sans s’adresser à autrui, ce qui serait un adultère, comme l’indique l’étymologie même de ce mot. Adulterium, quasi ad alterum. S’ils passent les bornes du contrat matrimonial, qu’ils ne franchissent par les limites du lit nuptial. N’y a-t-il pas péché à exiger au-delà de ce qu’exige la procréation des enfants ? C’est un péché, mais véniel. C’est l’expression même l’Apôtre : « Je parle ainsi par condescendance, secundum veniam; » dit-il sur ce sujet. « Ne vous refusez point l’un à l’autre ce devoir, si ce n’est, de concert pour un temps, afin de vaquer à la prière, et revenez ensuite comme vous étiez, de peur que Satan ne vous tente par votre incontinence. » Que signifie ce langage de S. Paul ? Il veut dire : Ne vous chargez pas au-dessus de vos forces ; vous pourriez, en vous abstenant l’un de l’autre, tomber dans l’adultère ; Satan pourrait « vous tenter à cause de votre incontinence. » Néanmoins, comme autre chose est de donner un ordre à la vertu ou fine permission à la faiblesse, l’Apôtre ne veut point paraître commander ce qu’il permet seulement ; c’est pourquoi il ajoute aussitôt : « Je parle ainsi par condescendance, secundum veniam, et non par commandement ; car je voudrais que tous les hommes fussent comme moi ak : » en d’autres termes : je ne vous commande pas de le faire, je vous pardonne si vous le faites. 23. Maintenant, mes frères, soyez attentifs à cette conséquence. Il est de grands hommes qui ne prennent d’épouse que dans l’intention d’en avoir des enfants ; tels furent les patriarches, nous pouvons en donner des preuves nombreuses et les livres sacrés l’attestent hautement, sans laisser le moindre doute. Si donc ces hommes qui ne prennent d’épouse que dans l’intention d’en avoir des enfants, pouvaient atteindre ce but sans recourir à l’union des sexes, avec quelle ineffable joie ils accueilleraient cette faveur ! avec quel immense plaisir ils la recevraient ! Deux sortes d’œuvres charnelles maintiennent l’existence du genre humain ; les hommes saints et prudents s’y prêtent par devoir ; les imprudents s’y laissent entraîner par passion : ces deux motifs en effet sont bien différents l’un de l’autre. Quelles sont ces deux sortes d’œuvres ? La première nous concerne directement, elle consiste à prendre des aliments, ce qui ne peut se faire sans quelque délectation charnelle ; à manger et à boire, sans quoi il faut mourir. Le manger et le boire sont ainsi le premier soutien de la nature humaine, mais de la nature humaine considérée dans les hommes actuellement existants ; car ce moyen ne pourvoit pas à la perpétuité de l’espèce, il y faut l’union conjugale. Pour entretenir l’existence du genre humain, il est d’abord nécessaire que les hommes vivent. Mais quelques soins que l’on donné au corps, il ne saurait exister toujours, il est donc indispensable que les naissances fassent contrepoids aux décès. Le genre humain, comme on l’a écrit, ressemble aux feuilles d’un arbre, mais d’un arbre toujours vert, tels que l’olivier, le laurier, d’autres encore. Ces arbres ne sont jamais dépouillés, mais ils n’ont pas constamment les mêmes feuilles, ils en perdent et en produisent al ; celles qui naissent remplacent celles qui tombent, et quoiqu’il en tombe toute l’année, l’arbre toute l’année en est couvert. Ainsi dans le genre humain les décès sont compensés par les naissances, et l’humanité se maintient ainsi tout entière. Comme toujours on voit des feuilles sur certains arbres, ainsi la terre parait toujours peuplée : et s’il n’y avait que des trépas sans naissances, elle ressemblerait aux arbres qui perdent toutes leurs feuilles. 24. Ces deux moyens, dont nous venons de parler assez longuement, étant indispensables à la conservation du genre humain, l’homme sage, prudent et fidèle se prête par devoir à l’un et à l’autre, il ne s’y laisse point aller par passion. Combien hélas ! se jettent avec voracité à manger et à boire, faisant en cela consister toute la vie, comme s’ils ne vivaient que pour cela ! Parce qu’il faut manger pour vivre, ils s’imaginent vivre pour manger. Ils sont condamnables aux yeux de tout homme sage, aux yeux surtout des divines Écritures. Hommes de chair et de vin, gloutons « qui font leur Dieu de leur ventre am », ils vont à table pour satisfaire leur convoitise et, non pour réparer leurs forces. Aussi tombent-ils sur les aliments et sur les boissons. Ceux au contraire qui se prêtent alors à l’accomplissement d’un devoir, ne vivent pas pour manger, mais ils mangent pour vivre. Ce sont des hommes prudents, et tempérants, et si on leur offrait de vivre sans boire et sans manger, avec quelle joie ils accueilleraient le bonheur de n’être plus obligés de se prêter à des actes où ils n’ont pas l’habitude de se jeter ! Toujours élevés jusqu’à Dieu, ils ne seraient point obligés de descendre pour réparer les forces épuisées de leur corps. Dans quels sentiments pensez-vous que le saint prophète Élie reçut le verre d’eau et le petit pain qui devaient suffire à le nourrir durant l’espace de quarante jours an ? Avec une grande ; joie, sans aucun doute, car il mangeait et buvait par devoir et non par passion. Essaie, si tu le peux, d’accorder la même faveur à cet homme qui semblable au troupeau de l’étable, place toute sa béatitude et sa félicité dans le plaisir de la bouche. Il repousse cette faveur, il la déteste et la regarde comme un châtiment. Ainsi en est-il du devoir conjugal : les voluptueux ne contractent mariage que pour assouvir 1curspassions ; combien de fois même leur en conte-t-il de se contenter de leurs épouses ! Ah ! s’ils ne peuvent ou ne veulent se dominer, puissent-ils ne point franchir les bornes, celles même jusqu’où peut aller la faiblesse ! Dis à un homme semblable : Pourquoi t’unir à une femme ? Peut-être répondra-t-il en rougissant que c’est pour en obtenir des enfants. Mais si un homme qu’il croit absolument sur parole, ajoutait : Dieu peut t’accorder et il t’accordera certainement des enfants sans que tu accomplisses l’acte conjugal, on verrait aussitôt, il avouerait même qu’il n’avait pas en vue des enfants en cherchant une épouse. Qu’il convienne donc de sa faiblesse et qu’il reçoive par condescendance ce qu’il prétendait accepter comme devoir. 25. Ainsi les saints des premiers temps, ces, hommes de Dieu, cherchaient des enfants et voulaient en obtenir. Ils ne contractaient mariage que dans ce dessein ; ils ne s’unissaient aux femmes que pour engendrer des enfants ; aussi leur fut-il permis d’avoir plusieurs épouses. Si Dieu avait vu avec plaisir l’intempérance, il aurait aussi bien permis à une femme d’avoir plusieurs maris, qu’il promettait alors a un mari d’avoir plusieurs femmes. Mais si toute femme chaste n’avait qu’un mari, tandis qu’un mari avait plusieurs femmes, n’était-ce point parce que la pluralité des femmes contribue à multiplier la postérité et que la pluralité des hommes pour une même femme n’y saurait contribuer en rien ? Si donc, mes frères, le but de nos pères en s’unissant à des femmes, n’était, que d’engendrer des descendants, quel bonheur c’eût été pour eux d’en obtenir sans accomplir cet acte charnel, auquel ils se prêtaient par devoir et en vue de leur postérité, loin de s’y précipiter avec fougue ? Et pour avoir reçu un fils sans rien donner à la convoitise, Joseph n’était pas son père ? Comment la pureté chrétienne concevrait-elle une opinion semblable, réprouvée même par la chasteté juive ? Aimez vos épouses ; mais aimez-les chastement. Ne désirez l’œuvre charnelle que pour engendrer des enfants ; puisque vous ne pouvez en obtenir que par ce moyen, prêtez-vous-y avec douleur. C’est un châtiment d’Adam, notre premier père. Irons-nous nous glorifier d’un châtiment ? C’est le châtiment de celui qui dut engendrer des mortels pour avoir mérité la mort par son péché. Dieu ne nous a point affranchis de cette peine ; car il veut que l’homme se rappelle d’où il est retiré et où il est élevé, qu’il aspire enfin à cet embrassement divin où ne saurait se glisser aucune impureté. 26. Le peuple Juif devait se propager beaucoup jusqu’à l’avènement du. Christ, il devait être assez nombreux pour figurer tous les enseignements figuratifs de l’Église. Aussi le mariage y était-il un devoir ; il fallait que la multiplication de ce peuple représentât l’accroissement de l’Église. Mais depuis la naissance du Roi de toutes les nations, la virginité a commencé à être en honneur ; elle a commencé par la Mère de Dieu, qui a mérité d’avoir un fils sans aucune altération de sa pureté. De même donc que son union avec Joseph était un vrai mariage, quoique sans convoitise ; pourquoi de la même manière la chasteté de l’époux n’aurait-elle pas reçu ce qu’avait produit la chasteté de l’épouse ? Car si elle était, une chaste épouse, il – était, lui, un époux chaste ; et si elle unissait la maternité à la chasteté, pourquoi tout en demeurant chaste n’aurait-il pu être père ? Dire donc : Joseph ne doit pas porter le nom de père, puisqu’il n’a pas engendré de fils, c’est chercher dans la génération la concupiscence et non la tendresse de la charité. Ah ! son cœur accomplissait plus parfaitement ce devoir que d’autres aspirent à accomplir charnellement. Lorsqu’on adopte des enfants que refuse la nature, le cœur ne les engendre-t-il pas aveu plus de pureté ? Considérez, mes frères, considérez les droits que donne l’adoption, voyez comment un homme devient le fils de celui qui ne lui a pas donné le jour, et comment la volonté de celui qui l’adopte acquiert sur lui plus de droit que n’en a celui qui l’a mis au monde. Vous comprendrez par là qu’à Joseph et à Joseph surtout était dû le titre de père. Lorsqu’en dehors du mariage des hommes engendrent des enfants, on nomme ceux-ci fils naturels et on leur préfère les enfants légitimes. Au point de vue de l’œuvre charnelle les uns et les autres sont égaux ; pourquoi préfère-t-on les enfants légitimes aux enfants naturels, sinon parce qu’il y a plus de chasteté dans l’amour conjugal qui les donne ? On ne considère point alors l’union des sexes, égale dans l’un et l’autre cas. En quoi donc l’emporte l’épouse ? N’est-ce point par ses sentiments de fidélité conjugale, par un amour et plus pur et plus chaste ; et s’il était possible à une épouse de donner à son mari des enfants sans qu’il y eût union charnelle, celui-ci ne devrait-il pas les recevoir avec une joie d’autant plus vive, que cette épouse est plus chaste et qu’il la chérit plus tendrement ? 27. De là concluez aussi qu’il est possible au même homme d’avoir non-seulement deux fils, mais encore deux pères : Il suffit d’avoir prononcé le terme d’adoption pour que vous saisissiez cette possibilité. On dit : Un homme peut bien avoir deux fils, il ne saurait avoir deux pères. En vérité e suffit-il pas, pour, avoir deux pères, qu’on soit engendré par l’un et adopté par l’autre ? Et si tout homme peut avoir deux pères, Joseph ne l’a-t-il pu ? N’a-t-il pu être engendré par l’un, être adopté par l’autre ? Mais s’il l’a pu, pourquoi chercher un grief contre nous dans les généalogies différentes de saint Matthieu et de saint Luc ? Il est bien vrai qu’elles sont différentes, puisque selon saint Matthieu, Joseph était fils de Jacob, et d’Héli selon saint Luc. On pourrait croire sans doute que le père de Joseph portait à la fois ces deux noms. Mais les aïeuls, les bisaïeuls et les autres ascendants étant différents et plus ou moins nombreux dans chacune des deux généalogies, c’est une preuve manifeste que Joseph avait deux pères. Cette accusation mise de côté, la raison montrant avec évidence que Joseph a pu avoir deux pères, un père selon la nature et un père adoptif, est-il étonnant que les aïeuls, bisaïeuls et les autres ascendants diffèrent ensuite de part et d’autre ? 28. Ne croyez pas que ce droit d’adoption soit inconnu aux Écritures ; ne vous imaginez point qu’on en ait pris l’idée dans les lois humaines et qu’il soit absolument étranger à l’autorité des divins oracles. Un fait antique dont il est souvent question dans les livres sacrés, c’est que la bienveillance donne des fils aussi bien que la nature. On y voit des femmes qui n’avaient pas eu d’enfants adopter comme tels ceux que leurs maris avaient obtenus de leurs servantes ; elles commandaient même à leurs époux d’en obtenir par ce moyen : telles furent Sara ao, Rachel et Lia ap. Ces époux ne commettaient point alors d’adultère, car ils obéissaient à leurs femmes en ce qui concerne le devoir conjugal, et l’Apôtre a dit « La femme n’a pas puissance sur son corps, « c’est le mari ; de même le mari n’a pas puissance sur son corps, c’est la femme. aq » Fils d’une mère israélite et exposé par elle, Moïse aussi fut adopté par la fille de Pharaon ar. On n’observait point les mêmes formes légales qu’aujourd’hui ; la volonté servait de loi. « Les gentils qui n’ont pas la foi font naturellement ce qui est selon la loi », dit ailleurs l’Apôtre as. Or si les femmes pouvaient avoir des enfants sans qu’elles leur eussent donné le jour, pourquoi les hommes ne pourraient-ils pas obtenir aussi des enfants sans les avoir engendrés mais en les adoptant ? Ne lisons-nous pas que le patriarche Jacob, quoique père d’une si grande famille, voulut avoir pour fils les fils de son fils Joseph, et qu’il lui dit : « Ces deux enfants seront mes fils et ils partageront la terre avec leurs frères ; garde pour toi les autres que tu pourras engendrer at. », Dira-t-on que le terme même d’adoption ne se rencontre point dans les saintes Écritures ? Mais, qu’importe le nom, si la chose y est, si l’on voit des femmes avoir des enfants qu’elles n’ont pas mis au jour, et des hommes compter comme leurs fils ceux qu’ils n’ont pas engendrés ? Je ne m’oppose point à ce qu’on ne donne pas à Joseph le titre de fils adoptif, pourvu qu’on reconnaisse en sa faveur la possibilité d’avoir eu pour père un homme qui ne lui avait pas donné le jour, L’Apôtre Paul néanmoins emploie souvent et en lui donnant un sens non moins profond que sacré, ce terme d’adoption. L’Écriture atteste que Jésus-Christ Notre-Seigneur est le Fils unique de Dieu ; cet Apôtre dit cependant que c’est par l’adoption de la grâce divine qu’il a daigné faire de nous ses – frères et ses cohéritiers. « Lorsqu’est venue la plénitude du temps, Dieu, dit-il, a envoyé son Fils, formé d’une femme, soumis à la loi, pour racheter ceux qui étaient sous la loi, pour nous accorder l’adoption des enfants au. – « Nous gémissons en nous-mêmes, dit-il ailleurs, attendant l’adoption, la rédemption de notre corps av. » – Il disait aussi des Juifs : « Je désirais d’être moi-même anathème à l’égard du Christ, pour mes frères, mes proches selon la chair, c’est-à-dire les Israélites, auxquels appartiennent l’adoption », remarquez ce mot, « la gloire, l’alliance et la législation, qui ont pour pères les patriarches et de qui est sorti selon la chair le Christ même, Dieu au-dessus de toutes choses et béni dans tous les siècles aw. » N’est-ce pas indiquer que le mot ou l’acte même d’adoption étaient chez les Juifs aussi anciens que l’alliance et la législation qu’il rappelle en même temps ? 29. Ajoutez qu’il y avait parmi les Juifs une manière spéciale de donner des fils à qui n’en avait pas obtenu de la nature. Quand quelqu’un était mort sans enfants, son plus proche parent épousait sa femme pour susciter des enfants à son parent défunt ax. L’enfant qui naissait alors était en même temps fils de celui qui lui donnait naissance, et fils de celui dont il devenait l’héritier. Pourquoi ai-je rappelé tout ceci ? C’est qu’en regardant comme impossible qu’un homme puisse avoir deux pères, on pourrait faussement et sacrilègement accuser de mensonge les Évangélistes qui rapportent ta double généalogie du Seigneur. Mais les expressions mêmes qu’ils emploient nous donnent à réfléchir. Matthieu semble faire connaître le père naturel de Joseph, et il compte les générations en disant : Un tel a engendré un tel, afin de pouvoir terminer par ces mots : « Jacob engendra Joseph. » Le terme d’engendré ne convient proprement ni au fils adoptif, ni au fils suscité à un mort pour devenir son successeur. Aussi saint Luc ne dit pas : Héli, engendra Joseph, ni : Joseph, qu’engendra Héli, mais : « Joseph qui fut le fils d’Héli ay », soit par l’adoption, soit qu’il ait été engendré par le proche parent du défunt dont il devenait l’héritier. 30. Nous ne devons plus maintenant nous étonner que Joseph et non Marie figure dans la généalogie ; nous avons traité assez longuement ce sujet. Si Marie est devenue mère sans aucun acte de convoitise, Joseph est devenu père sans union charnelle. Il peut donc servir de terme ou de point de, départ aux générations soit ascendantes soit descendantes ; son inviolable pureté ne doit point le faire retrancher du nombre des ancêtres du Sauveur ; elle doit au contraire affermir en nous l’idée de sa paternité. Sainte Marie elle-même nous condamnerait s’il n’en était ainsi. Elle n’a point voulu se nommer avant son époux, elle a dit : « Votre père et moi nous vous cherchions dans l’affliction az. » Méchants murmurateurs, ne faites point ce que n’a pas fait cette chaste épouse. Laissons Joseph dans les généalogies ; s’il est chaste mari, il est aussi père chaste. Suivant le droit naturel et le droit divin, faisons passer l’homme avant la femme. Si nous venions à l’éloigner pour donner, sa place à Marie, il nous dirait et nous dirait avec raison : Pourquoi m’écarter ainsi ? Pourquoi ne pas me laisser en tête des deux généalogies ? Lui répondrons-nous C’est que tu n’as pas engendré charnellement ? Et mon épouse, répliquerait-il, a-t-elle enfanté d’une manière charnelle ? Ce que l’Esprit-Saint a opéré, il l’a opéré pour chacun de nous. — « C’était un homme juste », est-il écrit. Il était juste époux, Marie de son côté était une épouse juste, et l’Esprit-Saint prenant ses délices dans la justice de l’un et de l’autre leur donna à tous deux un fils. Mais en donnant à l’épouse d’enfanter, il voulut qu’elle enfantât pour son époux. Aussi l’ange invite-t-il l’un comme l’autre à donner le nom à l’enfant, ce qui était leur reconnaître à tous deux l’autorité dont jouissent les parents. Zacharie était encore muet lorsque naquit son fils, et son épouse indiquait le nom que devait porter celui-ci. Ceux qui étaient là demandaient au père comment il voulait le nommer, et prenant des tablettes il écrivit le nom qu’avait déjà donné sa mère ba. Il est dit à Marie : « Vous allez concevoir un fils et vous lui donnerez le nom de Jésus bb ; » il est dit de même à Joseph : « Joseph, fils de David ne craignez point de prendre avec vous Marie votre épouse ; car ce qui a été engendré en elle est du Saint-Esprit. Or elle enfantera un fils et vous lui donnerez le nom de Jésus ; c’est lui qui sauvera son peuple de ses péchés bc. » Il est dit encore : « Et elle lui enfanta un fils bd ; » ce qui prouve de nouveau que la charité et non la chair l’avait rendu véritablement père ; c’est donc ainsi qu’il est père, et il l’est réellement. Ainsi les Évangélistes ont éminemment raison de compter par lui, soit les générations descendantes, comme saint Matthieu qui va d’Abraham au Christ, soit les générations ascendantes, comme saint Luc qui s’élève ; par Abraham, du Christ jusqu’à Dieu.L'un compte en descendant, l’autre en montant et tous deux comptent par – Joseph. Pourquoi ? Parce qu’il est père. Pourquoi père ? Il l’est d’autant plus sûrement qu’il l’est avec plus de chasteté.C'est dans un autre sens qu’on le croyait père de Notre-Seigneur Jésus-Christ ; on estimait qu’il était père comme les pères ordinaires, qui engendrent selon la chair et à qui la seule affection spirituelle ne suffit pas pour donner des enfants. Saint Luc a dit : « On le croyait père de Jésus. be » Qu’est-ce à dire : ou le croyait ? L’opinion humaine était portée à le confondre avec les pères ordinaires. Mais le Seigneur n’est point issu de Joseph, quoiqu’on ait eu cette idée, et cependant la piété et la charité de Joseph a reçu de la Vierge Marie un fils qui est en même temps le Fils de Dieu. 31. Mais enfin, pourquoi l’un des Évangélistes compte-t-il en montant et l’autre en descendant ? Écoutez ceci attentivement, je vous en prie, autant que le Seigneur vous en accordera la grâce, avec un esprit tranquille et débarrassé des importunes préoccupations que produisaient en vous ces accusations captieuses. Saint Matthieu suppute les générations en descendant, pour exprimer que Notre-Seigneur Jésus-Christ est descendu afin de se charger de nos péchés et afin que toutes les nations fussent bénies dans la postérité d’Abraham. Pour le même motif il ne commence ni par Adam, le père de tout le genre humain ; ni par Noé, dont la famille a peuplé toute la terre après le déluge. Pour montrer l’accomplissement de la prophétie, il était inutile de rappeler que le Christ fait homme descendait d’Adam et de Noé, les deux pères de l’humanité ; mais il fallait le faire remonter jusqu’à Abraham, puisque c’est à Abraham que fut donnée l’assurance que toutes les nations seraient bénies dans un rejeton de sa race, lorsque déjà la terre entière était peuplée. Saint Luc au contraire compte en montant, et ce n’est pas à la naissance du Sauveur qu’il suppute les générations, mais au moment où il rapporte son baptême par saint Jean. De même en effet que le Sauveur en s’incarnant se charge des péchés du genre humain pour en porter le poids, ainsi en recevant le baptême il entreprend de les effacer. Puisque le premier de ces Évangélistes nous mettait sous les yeux le Sauveur descendant du ciel pour se charger de nos fautes, il était convenable qu’il énumérât les générations en descendant ; et puisque le second nous présentait le Fils de Dieu remontant des eaux où il avait laissé, non pas ses péchés, mais les nôtres, il devait compter en montant. L’un descend par Salomon, dont la mère pécha avec David ; et l’autre monte par Nathan, cet autre fils de David ▼▼Voir Rétr. liv. 2, chap. 16
qui purifia son père du crime commis par lui. Nous lisons en effet que Nathan fut envoyé vers ce prince pour lui reprocher son iniquité et le guérir par la pénitence. Ces deux historiens se rencontrent dans David bg, celui-ci en descendant et celui-là en montant, et de David à Abraham ou d’Abraham à David – on ne voit dans leur récit aucune génération différente. Ainsi le Christ, fils à la fois de David et d’Abraham ; s’élève à Dieu, où il faut que nous retournions avec lui après avoir effacé nos péchés et nous être renouvelés dans le baptême. 32. Ce qui frappe dans la généalogie de saint Matthieu, c’est le nombre quarante ; car l’Écriture ne tient pas compte ordinairement de ce qui passe certains nombres déterminés. Ainsi elle fixe à quatre cents ans le temps qui devait s’écouler jusqu’à la sortie d’Égypte bh ; et il y en a quatre cent trente. Ici donc quoiqu’il y ait une génération au-dessus de quarante, nous ne devons pas laisser de voir dominer ce nombre de quarante. Or ce nombre exprime la vie laborieuse de cette terre où nous voyageons loin du Seigneur, et où nous avons provisoirement besoin qu’on nous prêche la vérité. Si en effet nous multiplions par quatre, en considération des quatre parties du monde, ou des quatre saisons de l’année, le nombre dix qui signifie la béatitude parfaite, nous obtenons le chiffre de quarante. Aussi Moïse bi, Élie bj, et notre Médiateur lui-même, Jésus-Christ Notre-Seigneur bk, ont continué pendant quarante jours le jeûne destiné à nous rappeler qu’il est nécessaire de réprimer les convoitises sensuelles. Le peuple juif voyagea aussi quarante jours dans le désert bl et le déluge dura quarante jours bm. Pendant quarante jours encore le Seigneur vécut avec ses disciples après la résurrection, pour les convaincre de la réalité de ce fait bn ; il insinuait ainsi que durant cette vie où nous voyageons loin du Seigneur, et que rappelle la signification mystique du nombre quarante. Ainsi que nous venons de le dire, nous avons besoin, jusqu’à son avènement suprême, de célébrer, comme nous le faisons dans l’Église, la mémoire de son corps sacré bo, Jésus-Christ donc étant descendu dans cette vie, le Verbe s’étant fait chair afin de s’immoler pour nos péchés et de ressusciter pour notre justification bp, saint Matthieu s’est attaché au nombre quarante. La génération qui excède ce nombre ne le détruit pas plus, que les trente années dont noirs avons parlé ne détruisent le nombre de quatre cents. Peut-être aussi l’Évangéliste a-t-il voulu t’aire entendre que tout en descendant en cette vie pour y porter le fardeau de nos crimes, le Seigneur Jésus, dont le nom forme l’unité qui s’ajoute à quarante, Dieu et homme tout ensemble, y occupe un rang si élevé et si incomparable, qu’il ne semble pas en faire partie. De lui en effet l’on peut dire ce que jamais on n’a pu, ce qu’on ne pourra dire jamais d’aucun homme, si saint, si sage, si juste et si parfait qu’il soit : « Le Verbe s’est fait chair bq. » 33. Saint Luc, après avoir rapporté le baptême du Seigneur, suppute les générations en montant, et atteint le nombre complet de soixante-dix-sept, à partir de Notre-Seigneur Jésus-Christ jusqu’à Dieu, et en comprenant Joseph et Adam. C’est que ce nombre désigne tons les péchés effacés dans le baptême. Le Sauveur sans doute n’avait rien à effacer, mais son humilité, en recevant le baptême, a voulu nous recommander cet utile remède. Ce n’était encore que le baptême de Jean ; la Trinité s’y révéla toutefois d’une manière sensible ; l’on y vit le Père, le Fils et l’Esprit-Saint consacrer ainsi le baptême institué par le Christ en faveur des chrétiens : le Père dans la voix qui se fit entendre du haut du ciel ; le Fils dans l’humanité même du divin Médiateur ; et l’Esprit-Saint dans la colombe br. 34. Le nombre de soixante-dix-sept, avons-nous dit, désigne tous les péchés effacés dans le baptême. En voici la raison qui parait convaincante. Dix exprime la justice et la félicité parfaite ; car elles consistent dans l’union de la créature, signifiée parle nombre sept, avec la Trinité aussi le Décalogue comprend-il-en dix préceptes toute la loi divine. En outrepassant, en transgressant dix, on arrive à onze ; or le péché est une transgression, puisqu’il vient de ce que l’homme franchit tes règles de la justice en désirant plus qu’il rie doit, ce qui a fait dire à l’Apôtre que la cupidité est la racine de tous les maux bs ; et ce qui permet d’adresser au nom du Seigneur les paroles suivantes à l’âme que la volupté entraîne loin de lui : Tu espérais davantage en te séparant de moi. Le pécheur en cherchant son bien propre, rapporte donc à lui-même son péché ou sa transgression. C’est pourquoi l’Écriture, condamne ceux qui poursuivent leurs propres intérêts, non ceux de Jésus-Christ bt, et loue au contraire la charité qui ne s’occupe pas d’elle-même bu. De là vient que ce nombre onze, qui signifie la transgression, n’est pas ici multiplié par dix, mais par sept, et produit soixante-dix-sept. Ce n’est pas, effectivement à la Trinité qui l’a créé, c’est à lui-même, c’est à la créature que l’homme rapporte ses transgressions, et le nombre sept rappelle ta créature, car il y a dans ce nombre, trois pour désigner son âme, qui a été formée il l’image d e la Trinité créatrice et où reluit cette image ; et quatre pour désigner le corps, dont on courrait partout les quatre éléments constitutifs. Si toutefois quelqu’un de vous les ignorait, je l’invite à se rappeler que ce monde où se meut localement notre corps, a comme quatre parties principales dont il est fait souvent mention dans l’Écriture et qui sont l’orient et l’occident ; le nord et le midi. Et parce que les péchés se commettent ou dans l’âme, comme les péchés qui ne sortent pas de la volonté, ou dans le corps, comme les fautes extérieures, le prophète Amos exprime fréquemment en ces termes les menaces de Dieu : « Après trois et quatre crimes je ne me détournerai point bv », c’est-à-dire je ne dissimulerai pas. Les trois crimes sont ceux de l’âme ; les quatre, ceux du corps, et l’homme est composé d’un corps et d’une âme. 35. Ainsi donc onze fois sept, ou, comme nous venons de l’expliquer, la, transgression de la justice faite en vue du pécheur, donnent soixante-dix-sept, et ce chiffre comprend toutes les fautes qu’efface le baptême. C’est pour ce motif que saint Luc s’élève jusqu’à Dieu en passant par les soixante-dix-sept générations ; il nous apprend ainsi que l’homme se réconcilie avec Dieu par l’expiation de ses péchés. C’est pour ce, motif aussi que Pierre demandant au Seigneur combien de fois il devait pardonner à son frère, le Seigneur lui répondit : « Non pas sept fois, mais jusqu’à soixante-dix-sept fois bw. » Des esprits plus appliqués et plus, dignes sauront peut-être puiser autre chose dans ces profonds trésors des mystères divins. Pour nous, voilà ce qu’avec l’aide et le secours du Seigneur nous ont permis de dire notre faible intelligence et la brièveté du temps. Ceux de vous qui demandent davantage peuvent insister auprès de Celui qui nous donne à nous-même ce que nous pouvons saisir et expliquer. Retenez par-dessus tout qu’il ne faut ni se troubler quand on n’entend pas encore l’Écriture, ni s’enfler d’orgueil quand on l’entend ; il faut au contraire ajourner avec respect ce que l’on ne comprend pas, et ce que l’on comprend le garder avec amour. ACCORD DES ÉVANGÉLISTES.
LIVRE PREMIER.
Le Saint docteur dit quelques mots de l’autorité, du nombre, de la manière, d’écrire des Évangélistes et de l’ordre dans lequel ils se présentent : puis avant de parler de leur accord, il répond dans ce livre à ceux qui s’étonnent de l’absence de tout écrit composé par Jésus lui-même, ou le supposent auteur de certains livres de magie ; et qui, pour détruire la doctrine de l’Évangile, reprochent aux disciples de Jésus-Christ d’avoir trahi la vérité, en donnant à leur maître le nom de Dieu, et d’avoir ajouté à son enseignement, en proscrivant le culte des dieux. Il défend contre ces détracteurs audacieux la doctrine des Apôtres et des Prophètes, en montrant que le Dieu d’Israël doit seul être adoré, lui, qui d’abord repoussé des Romains par une exception singulière, a fini par soumettre à son nom l’empire Romain, et comme l’avaient annoncé ses prophètes, a renversé les idoles chez toutes les nations par la prédication de l’Évangile.CHAPITRE PREMIER. AUTORITÉ DES ÉVANGILES.
1. Parmi tous les livres divins, contenus dans les Saintes Écritures, l’Évangile tient à bon droit le premier rang. Nous y voyons, en effet, l’explication et l’accomplissement de ce que la Loi et les Prophètes ont annoncé et figuré. Il eut pour premiers prédicateurs les Apôtres qui, de leurs propres yeux, virent dans la chair ici-bas notre Seigneur et Sauveur Jésus-Christ, et qui ensuite revêtus de la fonction d’Évangélistes s’employèrent à publier dans le monde ce qu’ils se souvenaient de lui avoir entendu dire ou de lui avoir vu faire ; ils annoncèrent aussi les événements divins et mémorables de sa naissance et de ses premières années, dont ils ne furent pas les témoins, n’étant devenus que plus tard ses disciples, mais dont ils purent s’informer près de lui ou de ses parents ou d’autres personnes, et qu’ils purent connaître enfin par les témoignages les plus sûrs et les plus véridiques. Deux d’entre eux, saint Matthieu et saint Jean nous ont même laissé sur lui, chacun dans un livre, ce qu’ils ont cru devoir consigner par écrit. 2. Comme on aurait pu croire qu’il importait à la connaissance et à la prédication de l’Évangile, d’établir une différence entre les Évangélistes, et d’examiner s’ils étaient du nombre des disciples qui, durant les jours de l’apparition du Seigneur dans la chair, l’ont suivi et ont vécu à son service, ou du nombre de ceux qui ont cru sur le rapport des premiers Apôtres après l’avoir recueilli fidèlement : la divine Providence a pourvu par l’Esprit-Saint à ce que quelques-uns des disciples de ces mêmes Apôtres reçussent non-seulement le pouvoir d’annoncer l’Évangile mais encore celui de l’écrire. Nous en comptons deux, saint Marc et saint Luc. Pour les autres hommes qui ont essayé ou ont eu la présomption à écrire sur les actions du Seigneur lui-même ou de ceux qu’il avait réunis autour de lui ; ils n’ont offert à aucune époque les conditions voulues pour que l’Église les considérât comme organes de la vérité et reçut leurs écrits dans le Canon des Livres Saints : non-seulement, du côté du caractère, ils ne donnaient pas les garanties qu’il fallait pour qu’on dût croire à leurs récits, mais de plus les récits eux-mêmes contenaient plusieurs choses opposées à la règle catholique et apostolique de la foi et condamnées par la saine doctrine.CHAPITRE II. ORDRE ET MANIÈRE D’ÉCRIRE DES ÉVANGÉLISTES.
3. Ces quatre Évangélistes, bien connus dans l’univers entier, dont le nombre mystérieux, égal aux quatre parties du monde, indique peut-être en quelque façon, que l’Église est répandue par toute la terre, ont écrit dans cet ordre, suivant le témoignage de la Tradition : d’abord saint Matthieu, puis saint Marc, ensuite saint Luc et enfin saint Jean. Ainsi l’ordre dans lequel ils ont connu et prêché l’Évangile n’est pas celui dans lequel ils l’ont écrit. Car pour la connaissance et la prédication de l’Évangile, les premiers, sans aucun doute, ont été les Apôtres, qui ont suivi le Seigneur durant les jours de son apparition dans la chair, l’ont entendu parler, l’ont vu agir et ont reçu de sa bouche la mission d’évangéliser le monde. Quant aux écrits, par une disposition certaine de la Providence divine, les deux qui appartiennent au nombre des disciples que le Seigneur a choisis avant sa passion, tiennent l’un la première place, c’est saint Matthieu, l’autre la dernière ; c’est Saint Jean ; ils semblent ainsi soutenir et protéger de tout côté, ainsi que des enfants chéris et placés entre eux à ce titre, les deux évangélistes qui, sans être des leurs, ont suivi le Christ en les écoutant comme ses organes. 4. La Tradition nous apprend, comme un fait bien avéré, que saint Matthieu seul parmi ces quatre évangélistes a écrit en hébreu et que les autres ont écrit en grec. Bien que chacun d’eux paraisse avoir adopté dans sa narration une marche particulière, on ne voit pas que les derniers aient écrit sans savoir que d’autres l’eussent déjà fait, et ce n’est pas par ignorance que les uns omettent certains événements rapportés dans les livres des autres. Chacun a voulu concourir efficacement à une œuvre divine, suivant l’inspiration qu’il avait reçue, sans s’aider inutilement du travail d’autrui. En effet, saint Matthieu a envisagé l’Incarnation du côté de l’origine royale de Notre-Seigneur et n’a guère considéré dans, les actes et les paroles de Jésus-Christ que ce qui a rapport à la vie présente des hommes. Saint Marc, qui vient après lui, semble être gon page et son abréviateur. Car il n’emprunte rien de ce qui est exclusivement propre au récit de saint Jean ; il ajoute très-peu de choses â ce que nous savons d’ailleurs ; il prend encore moins dans les faits que saint Luc est seul à rapporter ; mais il reproduit presque tout ce que renferme le récit de saint Matthieu et souvent à peu-près dans les mêmes termes ; toujours d’accord avec cet Évangéliste, jamais en désaccord avec les deux autres. Pour saint Luc, on le voit surtout occupé de l’origine sacerdotale – du Seigneur et de son rôle de pontife. Aussi bien, dans la généalogie qu’il trace de Jésus-Christ, pour remonter jusqu’à David il ne suit pas la ligne royale, mais par une autre qui ne compte pas de rois, il arrive à Nathan fils de David bx, lequel ne fut pas roi non plus. Ce n’est pas comme saint Matthieu by, qui de David vient à Salomon, héritier de son trône, et descend jusqu’à Jésus-Christ, en prenant par ordre tous les rois de Juda qu’il réunit dans un nombre mystérieux dont nous parlerons plus loin.CHAPITRE III. ROYAUTÉ ET SACERDOCE DE JÉSUS-CHRIST.
5. Et en effet, Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui seul est vrai roi et vrai prêtre, roi pour nous gouverner, prêtre pour nous purifier du péché, a montré dans la double dignité royale et sacerdotale, assignée chez ses ancêtres à des personnages différents, une figure de ce qu’il est lui-même. Il l’a fait voir, d’un côté, par cette inscription mise au haut de sa croix : « Jésus de Nazareth roi des Juifs », inscription que Pilate, poussé par une force mystérieuse, déclara vouloir maintenir en disant : « Ce que j’ai écrit, je l’ai écrit, bz » et aussi bien longtemps d’avance on lisait dans les Psaumes : « N’altérez pas l’inscription du titre ca. » Il l’a fait voir d’un autre côté pour ce qui regarde sa qualité de prêtre, dans le grand mystère qu’il nous a dit d’offrir et de recevoir, et au sujet duquel il se fait adresser ces paroles par un prophète : « Vous êtes prêtre pour toujours selon l’ordre de Melchisédech cb. » Beaucoup d’autres témoignages encore des divines Écritures nous présentent Jésus-Christ comme roi et comme prêtre. De là, David lui-même, dont il est avec raison plus souvent appelé le fils, que le fils d’Abraham, et sur qui saint Matthieu et saint Luc ont également fixé l’attention dans les généalogies qu’ils ont dressées ; l’un en descendant de lui par Salomon jusqu’à Jésus-Christ, l’autre e n montant de Jésus-Christ jusqu’à lui par Nathan ; David quoique proprement et évidemment roi, a néanmoins figuré aussi le sacerdoce de Jésus-Christ en mangeant des pains de proposition, dont l’usage n’était permis qu’aux prêtres cc. Ajoutons que seul l’Évangéliste saint Luc rapporte le discours de l’ange à Marie, où nous apprenons la parenté de celle-ci avec sainte Élisabeth, épouse du grand-prêtre : et que parlant de Zacharie, il a soin de dire que sa femme était du nombre des filles d’Aaron, c’est-à-dire de la tribu sacerdotale cd. 6. Comme saint Matthieu a considéré en Jésus-Christ le titre de roi, et saint Luc le caractère de prêtre, ils ont donc l’un et l’autre fait ressortir tout particulièrement l’humanité du Sauveur. Car c’est à raison de sa nature humaine que Jésus-Christ est devenu roi et prêtre, c’est ainsi qu’il est le fils de David dont Dieu lui a donné le trône où il doit régner toujours ce : c’est ainsi qu’il est le médiateur de Dieu et des hommes pour intercéder en notre faveur cf. Nous ne voyons personne qui ait 'suivi saint Luc en qualité d’abréviateur, comme saint Marc a suivi saint Matthieu. Et ce n’est peut-être point sans quelque mystère. La dignité royale, en effet, réclame l’honneur d’un cortège ; aussi celui qui s’était appliqué à mettre en relief la royauté de Jésus-Christ a-t-il vu quelqu’un se joindre à lui pour l’accompagner et le suivre pas à pas dans son discours. Au contraire, le grand-prêtre entrait seul dans le saint des saints ; c’est pourquoi l’Évangéliste saint Luc, dont le but était de faire connaître le sacerdoce de Jésus-Christ, n’a eu personne à sa suite pour reprendre en quelque manière et abréger sa narration.CHAPITRE IV. DIVINITÉ DE JÉSUS-CHRIST.
7. Cependant les trois évangélistes dont nous venons de parler se sont arrêtés, pour ainsi dire, aux faits transitoires que présente le côté sensible et humain de la vie de Jésus-Christ. Mais saint Jean a surtout considéré dans Notre-Seigneur la divinité qui le rend semblable au Père ; et en écrivant son Évangile c’est ce qu’il a voulu principalement faire ressortir dans la mesure qu’il a jugée suffisante pour des hommes. Ainsi, il s’élève bien au-dessus des trois autres : on croit voir ces derniers suivre sur la terre Jésus-Christ comme homme, et saint Jean franchir l’enveloppe nébuleuse qui recouvre toute la terre et arriver au ciel pur, où le regard de son esprit plein d’assurance et de subtilité va découvrir en Dieu même le secret de l’éternelle génération du Verbe par qui toutes choses ont reçu l’être ; là il apprend que le Verbe s’est fait chair pour habiter parmi nous cg; en ce sens que le Fils de Dieu s’est uni la nature humaine et non qu’il s’est changé en elle : car si le Verbe avait pris la chair sans garder immuable sa divinité, il ne dirait pas : « Moi et mon Père nous sommes un ch », puisque le Père et la chair ne peuvent pas être une même nature. Seul l’Apôtre saint Jean a rapporté ce témoignage que Notre-Seigneur rend de lui-même. Seul encore il a reproduit ces autres paroles du divin maître : « Qui m’a vu, a vu mon Père ci ; » et celles-ci : « Afin qu’ils soient un comme nous sommes un cj ; » et celles-ci encore : « Toutes les choses que fait le Père, le Fils les fait semblablement ck. » Enfin tous les passages qui révèlent aux intelligences droites la divinité qui rend Jésus-Christ est égal au Père, seul pour ainsi dire, saint Jean les a présentés, dans son Évangile. On dirait qu’en reposant sur la poitrine du Seigneur, comme il avait coutume de le faire quand il mangeait avec lui cl, il a puisé plus abondamment et plus familièrement à cette source le secret de l’essence divine de son auguste maître.CHAPITRE V. LA CONTEMPLATION ET L’ACTION. – SAINT JEAN ET LES AUTRES ÉVANGÉLISTES.
8. Il y a deux vertus proposées à l’âme humaine : la vertu active et la vertu contemplative. Avec l’une on marche, avec l’autre on atteint le but : avec l’une on travaille à purifier le cœur et à se rendre capable de voir Dieu, avec l’autre on goûte en liberté la vue de Dieu. L’une a pour objet les préceptes qui règlent la conduite de cette vie passagère, et l’autre la science de la vie éternelle. Ainsi l’une opère, l’autre se repose ; car l’expiation des péchés est le propre de la vertu active, et la lumière d’une conscience pure celui de la vertu contemplative. Ainsi durant les jours de notre mortalité celle-là consiste dans les œuvres d’une bonne vie, celle-ci plus particulièrement dans la foi ; et à l’égard d’un bien petit nombre c’est la vue en énigme et comme en un miroir, c’est la vision en partie de l’immuable et éternelle vérité cm. On trouve ces deux vertus figurées dans les deux épouses de Jacob, Lia et Rachel. J’en ai discouru suivant le cadre que je m’étais tracé, et autant qu’il m’a paru nécessaire, dans mon ouvrage contre Fauste le Manichéen ▼▼Liv 22, 62
. Lia est un terme hébreu dont le sens présente l’idée de travail, et Rachel est un mot qui signifie vue du principe. » De là on peut comprendre avec un examen attentif, que les trois premiers Évangélistes, en s’attachant à retracer les faits temporels de la vie de Notre-Seigneur et de celles de ses paroles dont le but spécial est de former les mœurs et de régler la conduite dans le siècle présent, ont surtout relevé par leurs discours la vertu active ; tandis que saint Jean, qui ne raconte pas, à beaucoup près, en si grand nombre les faits accomplis par Jésus-Christ, et, quant aux paroles du divin maître, s’étend davantage et avec plus de soin sur celles où il s’agit d’insinuer le mystère d’un seul Dieu en trois personnes, le bonheur de la vie éternelle, a eu l’intention de faire valoir dans son récit la vertu contemplative. CHAPITRE VI. LES QUATRE ANIMAUX SYMBOLIQUES ET LES QUATRE ÉVANGÉLISTES.
9. Il me semble que, envoyant le symbole des quatre Évangélistes dans les quatre animaux de l’Apocalypse, ceux d’après lesquels le lion représente saint Matthieu, l’homme saint Marc, le bœuf saint Luc, et l’aigle saint Jean, ont plus probablement saisi la vérité, que ceux qui attribuent l’homme à saint Matthieu, l’aigle à saint Marc et le lion à saint Jean. Ceux-ci ont voulu trouver la raison de leur conjecture dans les premiers mots des Évangiles, non dans tout le dessein des Évangélistes, dont ils auraient dû se rendre compte avec plus d’exactitude. Mais il est beaucoup plus rationnel de reconnaître sous l’emblème du lion celui qui a surtout fait ressortir la royauté de Jésus-Christ. Nous en avons la preuve dans ces paroles de l’Apocalypse : « Le lion de la tribu de Juda est vainqueur, co » paroles qui nous présentent l’image du lion en même temps que le souvenir de la tribu dépositaire de l’autorité royale. De plus, c’est dans l’Évangile selon saint Matthieu qu’il est parlé des Mages venus d’Orient pour chercher et adorer le roi des Juifs, dont une étoile leur avait appris la naissance, ainsi que du roi Hérode qui redoute ce roi encore enfant et pour le mettre à mort fait mourir tant d’autres enfants cp. Pour l’Évangéliste saint Luc, qu’il soit figuré par le bœuf, principale victime dit prêtre, personne n’en a douté. C’est par le prêtre Zacharie, en effet, que commence le récit dont il est l’auteur : c’est lui qui nous fait connaître la parenté de Marie et d’Élisabeth cq : c’est lui qui nous montre les mystères du premier sacerdoce accompli dans la personne de Jésus-Christ enfant cr. C’est dans son Évangile qu’un examen attentif peut découvrir tant d’autres choses par lesquelles on voit bien qu’il s’est appliqué à considérer Jésus-Christ comme prêtre. Saint Marc n’a voulu parler ni de l’origine royale ni de la parenté et de la consécration sacerdotale de Notre,-Seigneur ; toutefois comme on peut le voir, il s’est occupé des faits qui appartiennent à l’humanité de Jésus-Christ et paraît par conséquent n’avoir que l’homme pour emblème parmi ces quatre animaux. Or le lion, l’homme et le bœuf ont la terre pour séjour : aussi les trois Évangélistes dont nous venons de parler se sont appliqués principalement à retracer les œuvres sensibles de Jésus-Christ durant les jours de son apparition dans la chair, et à rappeler les préceptes qu’il a laissés, pour la conduite de la vie présente, aux hommes revêtus d’une chair mortelle. Au contraire saint Jean par un vol hardi, s’élève comme un aigle au-dessus des nuages de la faiblesse humaine, et contemple d’un regard très-ferme et très-perçant la lumière de l’immuable vérité.CHAPITRE VII. MOTIF DE CET OUVRAGE. – POURQUOI JÉSUS N’A PAS LAISSÉ D’ÉCRITS.
10. Les quatre Évangélistes sont comme le noble et saint attelage du char sur lequel Notre-Seigneur a parcouru l’univers pour soumettre les peuples à la douceur de son joug et au fardeau léger de sa loi. Or, il est certains esprits qu’une fourberie pleine d’impiété ou une ignorance présomptueuse porte à les assaillir d’injustes reproches. Ils veulent les décréditer, ils veulent représenter comme peu dignes de confiance les récits que nous leur devons, quand, parle ministère de ces hommes, la religion chrétienne s’est répandue dans le monde avec tant de force et de fruit, que maintenant nos tristes adversaires osent à peine redire tout-bas entr’eux les misérables calomnies dont ils les poursuivent, arrêtés qu’ils sont devant la foi des nations et le zèle de tous les peuples. Néanmoins, comme il y a encore quelques personnes qu’ils retiennent dans l’infidélité par leurs disputes artificieuses, ou qu’ils troublent et déconcertent, autant que cela leur est possible, dans l’assentiment déjà donné aux vérités saintes ; comme d’ailleurs plusieurs de nos frères désirent savoir, soit pour avancer leur propre instruction, soit pour confondre les vains discours des incrédules, ce qu’ils pourront bien répondre à leurs objections sans blesser la loi ; avec l’inspiration et l’aide du Seigneur notre Dieu (ah ! qu’il daigne faire servir nos paroles au salut même de ces infortunés) nous avons entrepris de démontrer dans cet ouvrage la fourberie ou la témérité de ceux qui prétendent produire des accusations assez bien fondées contre les livres de l’Évangile, écrits séparément par les quatre Évangélistes. Pour remplir notre dessein, il faut montrer que ces quatre auteurs ne sont nullement en désaccord. Car on a coutume de nous opposer, comme le triomphe d’un système plein d’erreurs, que les Évangélistes sont en contradiction les uns avec les autres. 11. Mais d’abord, nous devons répondre à ceux qui croient soulever une difficulté sérieuse en trous demandant pourquoi Notre-Seigneur n’a lui-même rien écrit, et a mis les hommes dans la nécessité de déférer, en ce qui le regarde, à des livres composés par d’autres personnages. Car voilà ce qu’objectent principalement ces païens qui n’osent accuser ou blasphémer Jésus-Christ en personne et lui accordent une sagesse supérieure, humaine toutefois ; ils prétendent que ses disciples l’ont fait passer pour ce qu’il n’était pas quand ils l’ont proclamé Fils de Dieu, un avec Dieu le Père, Verbe de Dieu par qui toutes choses ont été faites ; ou nous ont appris dans leurs livres à lui donner quelque autre nom qui oblige de l’adorer comme un seul Dieu avec le Père. Ces païens pensent donc qu’il faut l’honorer comme le plus sage des hommes ; ils nient qu’on puisse l’adorer comme un Dieu. 12. Or, quand ils demandent pourquoi lui-même n’a rien écrit, ils paraissent disposés à croire sur son compté ce qu’il aurait écrit de lui, et nonce que d’autres ont pu ensuite publier suivant leur bon vouloir. Mais je les prie de me dire pourquoi, au sujet de quelques-uns de leurs philosophes les plus célèbres, ils admettent ce que des disciples en ont écrit, ces philosophes n’ayant eux-mêmes laissé aucun livre pour se faire connaître à la postérité ? Car ils savent que Pythagore, le plus illustre représentant de la vertu contemplative parmi les Grecs, n’a pas écrit un mot ni de lui ni d’aucune chose. Un philosophe qu’ils élèvent au-dessus de tout le monde dans la vertu active, dont l’objet est de former les mœurs, et qu’Appollon lui-même, si on les en croit, a déclaré le plus sage des hommes, Socrate s’est contenté d’ajouter quelques vers aux fables d’Esope, consacrant ainsi son style et sa poésie à l’ouvrage d’un autre. Bien qu’il n’ait alors prêté les ornements de sa parole qu’aux pensées du fabuliste, non aux siennes, il a dit, au rapport de Platon, son plus célèbre disciple, qu’il avait été contraint par son démon familier : tant il était loin de vouloir rien écrire ! Pourquoi donc au sujet de Socrate et de Pythagore croient-ils ce que des disciples en ont écrit, et refissent-ils de croire ce que les disciples de Jésus-Christ nous disent de lui dans leurs livres ? Car enfin, s’ils nient sa divinité, ils n’hésitent pas à reconnaître qu’il surpasse tout le monde en sagesse. Est-ce que ces philosophes, qu’ils mettent bien au-dessous de lui, ont pu former des disciples véridiques à leur égard, tandis que lui-même n’a pas eu ce pouvoir ? Si c’est là une absurdité, qu’ils croient de celui dont ils affirment la haute sagesse, non ce qu’ils veulent, mais ce qu’ils lisent dans les livres des disciples qui ont appris de ce sage les vérités contenues dans leurs écrits.CHAPITRE VIII. LA DIVINITÉ DE JÉSUS-CHRIST ET SA RÉPUTATION.
13. Qu’ils nous disent du moins, d’où ils ont pu savoir ou entendre que Jésus-Christ fut le plus sage des hommes. S’ils l’ont appris de la renommée qui l’a dit partout, la renommée est-elle à son égard une messagère plus sûre que ses disciples, dont la renommée elle-même ne fait que publier les prédications dans l’univers entier ? Enfin qu’ils comparent renommée à renommée et admettent pour lui celle qui est la plus grande. Celle qui s’est propagée d’une manière si éclatante, grâce à l’Église Catholique, dont ils voient avec tant de surprise le développement prodigieux dans tout l’univers, triomphe incontestablement de leurs misérables rumeurs. Elle les écrase par son caractère de grandeur et de célébrité ; ils sont obligés de dévorer en silence leurs faibles et timides reproches de petites contradictions, et ils craignent qu’on les entende bien plus qu’ils ne veulent être crus, quand ils la voient déclarer ouvertement que Jésus-Christ est le Fils unique de Dieu, Dieu lui-même par qui toutes choses ont été faites. S’ils prennent donc la renommée pour témoin, que ne donnent-ils la préférence à celle qui brille avec tant d’éclat ? Si c’est l’Écriture, pourquoi pas les livres de l’Évangile qui jouit d’une telle autorité ? Pour nous, certainement, nous croyons d leur Dieu ce que nous en apprennent leurs plus anciens écrits et la renommée la plus célèbre. Si l’on doit les adorer, pourquoi s’en moque-t-on sur les théâtres ? Et s’il faut les tourner en ridicule, ne faut-il pas rire davantage de ce qu’on les adore dans les temples ? Reste maintenant que nos adversaires veuillent être eux-mêmes témoins au sujet du Christ, eux qui se privent du mérite de savoir ce qu’ils disent en disant ce qu’ils ne savent pas. S’ils se flattent d’avoir certains livres écrits de sa main, qu’ils nous les montrent. Sans doute, des livres écrits, de leur aveu, par le plus sage des hommes, sont très-utiles et remplis des plus saines maximes. S’ils craignent de les produire, assurément ce sont de mauvais livres, qui ne peuvent être l’œuvre du plus sage des hommes : car ils disent que Jésus-Christ est le plus sage des hommes : rien donc de pareil n’a été écrit par lui.CHAPITRE IX. JÉSUS-CHRIST A-T-IL ÉCRIT DES LIVRES DE MAGIE ?
14. Ils en viennent à ce point de démence, de prétendre que dans les livres composés, disent-ils, par lui, sont développés les artifices diaboliques à l’aide desquels, selon eux, le divin maître aurait opéré tous les miracles que la renommée a publié d’un bout du monde a l’autre. Par là ils se trahissent eux-mêmes et montrent bien ce qu’ils aiment et ce qui est l’objet de leur étude, puisqu’ils font consister la haute sagesse de Jésus-Christ dans la connaissance de je ne sais quelles pratiques illicites, que non-seulement la doctrine chrétienne, mais même le bon gouvernement de toute république terrestre condamne à juste titre. D’ailleurs, s’ils affirment avoir lu de tels livres de Jésus-Christ, pourquoi donc n’opèrent-ils aucun de ces miracles, qu’ils donnent comme le résultat des procédés magiques expliqués dans ces livres ?CHAPITRE X. CES LIVRES ONT-ILS ÉTÉ ADRESSÉS À PIERRE ET A PAUL ?
15. Mais que dire de l’aberration où quelques-uns sont tombés par un juste jugement de Dieu ? En croyant ou en voulant faire croire que le Sauveur a écrit de pareils livres, ils disent que ces mêmes livres sont en forme de lettres, adressées à Pierre et à Paul. Et il est possible que des ennemis de la religion chrétienne ou des hommes qui ont pensé donner par le nom de Jésus plus de crédit aux exécrables pratiques de la magie, aient écrit de tels livres sous ce nom glorieux en y joignant les noms des princes des Apôtres. Dans cette insigne et audacieuse fourberie, ils se sont montrés tellement aveugles et insensés, qu’ils deviennent à juste titre l’objet du mépris et de la risée des enfants mêmes qui encore au rang des lecteurs connaissent suivant leur âge les lettres chrétiennes. 16. Ces païens donc voulant persuader, contre toute vérité, que le Sauveur a écrit à ses disciples quelque chose de pareil, pensèrent qu’on les croirait plus facilement s’ils affirmaient que ses lettres sont adressées à des hommes liés avec lui d’une amitié plus étroite et dignes de recevoir la communication d’un secret. Pierre et Paul se sont présentés à leur esprit. Sans doute c’est parce qu’ils ont vu, en plusieurs endroits, les images de ces deux Apôtres à côté de celle de Jésus-Christ ; et parce que l’Église de Rome honore d’une manière spéciale, dans une fête commune, les mérites de saint Pierre et de saint Paul qui ont reçu, le même jour, la couronne du martyre. Ces hommes ont mérité d’être ainsi les jouets d’une erreur grossière en cherchant, non dans les livres saints, mais dans les peintures des murailles, la connaissance de Jésus-Christ et des Apôtres : et il n’est pas étonnant que ceux qui sont dans l’usage de donner à la fiction les droits de la vérité, aient été trompés par les peintres. En effet, tant que Jésus-Christ vécut dans sa chair mortelle avec les disciples qu’il avait choisis, Paul n’était pas encore du nombre de ces derniers. Ce fut seulement après la passion du Sauveur, après sa résurrection, son ascension et la descente du Saint-Esprit, après la conversion miraculeuse de beaucoup de Juifs à la foi chrétienne, après la mort d’Étienne diacre et premier martyr, que Jésus-Christ l’appela du haut du ciel et en fit sols disciple et son Apôtre cs. Jusque-là il portait encore le nom de Saul et poursuivait à outrance les fidèles du divin maître. Comment donc Jésus-Christ aurait-il pu adresser aux Apôtres Pierre et Paul, comme à ses disciples, les plus familiers, les livres que l’on prétend avoir été rédigés par lui avant sa mort, puisque Paul n’était pas encore son disciple ?CHAPITRE XI. JÉSUS N’A PAS PU S’ATTACHER LES PEUPLES PAR LA MAGIE.
17. Nous prions encore ceux qui veulent, dans leur folie, que Jésus-Christ ait pu opérer tant de merveilles, rendre son nom illustre, et s’attirer les hommages des peuples par des opérations magiques, nous les prions de considérer s’il a pu, par de tels moyens, remplir de l’Esprit de Dieu, avant de naître, tous les prophètes qui ont annoncé à l’avance les événements que l’Évangile nous montre accomplis déjà depuis longtemps en sa personne, et ceux que nous voyons s’accomplir aujourd’hui dans tout l’univers. Si, par la magie, il a pu se ménager l’honneur d’être adoré même après sa mort, du moins doit-on convenir qu’il n’était pas magicien avant de naître. Et voilà qu’une nation entière a été destinée à l’annoncer, de manière à offrir dans toute la suite de son gouvernement une prophétie de ce roi qui devait venir pour former de toutes les nations la cité céleste.CHAPITRE XII. POURQUOI LES ROMAINS, MAÎTRES DES JUIFS, N’ONT-ILS PAS RECONNU LE DIEU D’ISRAËL ?
18. Cette nation des Hébreux, dont le rôle, comme je l’ai dit, fut de prophétiser le Christ, n’avait d’autre Dieu que le seul Dieu, le vrai Dieu qui a fait le ciel et la terre avec tout ce que le ciel et la terre renferment. Souvent ils tombèrent sous le joug de leurs ennemis après l’avoir offensé : et maintenant pour s’être rendus coupables de la mort du Christ, on les voit arrachés de Jérusalem leur capitale, et soumis à l’empire romain. Or, les Romains étaient dans l’usage d’adorer, pour se les rendre propices, tous les dieux des nations qu’ils subjuguaient, et d’en admettre le culte. Leur conduite fut différente envers le Dieu des Hébreux, après qu’ils eurent détruit par les armes la nationalité de ce peuple. Car ils comprenaient bien, je crois, que recevoir le culte du Dieu d’Israël, c’était s’engager à n’adorer que lui et à renverser toutes ces idoles qui, en retour des hommages reçus, avaient, pensaient-ils, donné tant de force et un si grand accroissement à leur empire. En quoi la malice des démons les abusait étrangement : car ils devaient croire sans nulle hésitation que ce n’était pas la faveur de tant de faux-dieux, mais bien la volonté secrète du vrai Dieu, souverain Seigneur de toutes choses, qui leur avait donné l’empire et en avait ménagé l’accroissement : il était facile de comprendre, que les dieux des nations, s’ils avaient eu quelque puissance, n’auraient point laissé leurs adorateurs tomber sous le joug des Romains, mais les auraient plutôt rendus maîtres des Romains eux-mêmes. 19. Ils ne peuvent, d’ailleurs, prétendre que les dieux des nations subjuguées par eux, les ont favorisés pour leur piété et leurs bonnes mœurs. Ils n’oseront jamais le dire, s’ils veulent se rappeler les commencements de leur empire, honteusement marqués par l’asile ouvert aux brigands et par le fratricide de Romulus. En effet, quand les fils de Rhéa Sylvia créèrent un refuge où pût se rendre tout homme coupable de quelque crime, et par là se soustraire au châtiment, donnèrent-ils des leçons de repentir, pour ramener au bien des âmes flétries par le mal : ou plutôt n’armèrent-ils pas contre leur patrie ces fugitifs qu’ils arrachaient à la crainte des lois et de – la justice en leur promettant l’impunité ? Et quand Romulus tua son frère qui ne lui avait fait aucun mal, sans doute c’était pour venger les droits de la justice, et non pour satisfaire son ambition et sa soif du pouvoir ? De telles mœurs ont-elles donc charmé les dieux au point de les rendre ennemis de leurs propres villes attaquées, et protecteurs des assaillants ? Que dis-je ? en abandonnant ces villes les dieux ne les condamnaient point à périr, comme en passant du côté des Romains ils n’assuraient point à ceux-ci la victoire : car il n’est nullement en leur puissance de disposer des trônes et des couronnes. Il n’y a que le seul vrai Dieu qui, par un jugement secret, les donne ou les reprend : et ce n’est pas pour rendre heureux ceux à qui il les donne ni malheureux ceux à qui il les enlève ; mais tandis que sa providence sait trouver ailleurs la cause et l’objet du bonheur des uns et des autres, il distribue, suivant l’ordre d’une prédestination éternelle, les royaumes temporels et terrestres, en les laissant ou en les donnant à qui il veut et pour le temps qu’il veut.CHAPITRE XIII. POURQUOI DIEU A LAISSÉ LES JUIFS TOMBER SOUS LE JOUG DES ROMAINS.
20. De là, nos adversaires n’ont pas davantage le droit de nous faire cette autre objection Pourquoi le Dieu des Hébreux qui est, selon vous, le vrai Dieu et le souverain maître de toutes choses, non-seulement ne leur a pas soumis les Romains, mais ne s’est même pas employé à les soustraire au joug de ce peuple ? Pourquoi ? C’est que auparavant ils s’étaient souillés de crimes manifestes, en punition desquels les prophètes avaient si longtemps d’avance annoncé leur ruine ; c’est que surtout, par un aveuglement monstrueux, juste châtiment d’autres péchés secrets, ils ont trempé leurs mains avec une, fureur impie dans le sang de Jésus-Christ. De plus les mêmes prophètes avaient prédit que la passion du Christ serait avantageuse aux nations. Que tout chez les Juifs ait été une prédication anticipée de Jésus-Christ, et leur royaume et leur temple, et leur sacerdoce et leurs sacrifices, et cette onction mystique dont le nom grec khrisma explique le nom de Christs donné aux rois de la nation et le nom du Christ lui-même, voici qui le démontre avec la plus grande évidence : aussitôt que Jésus-Christ ressuscité d’entre les morts commença a être prêché aux gentils, toutes ces figures cessèrent à l’insu des Romains et des Juifs qui travaillaient à les détruire, les uns par leur victoire, les autres par leur défaite.CHAPITRE XIV. TRIOMPHE DU DIEU DES HÉBREUX, PAR LA RUINE DES IDOLES ET LA CONVERSION DES NATIONS.
21. Il est une chose très-digne d’admiration, et dont ne tiennent pas compte les rares partisans du paganisme que nous voyons encore au milieu de nous : c’est que le Dieu des Hébreux, offensé par les vaincus et rejeté par les vainqueurs, est maintenant connu dans tout l’univers et adoré par toutes les nations. Aussi bien c’est du Dieu d’Israël que le prophète disait au peuple choisi, si longtemps auparavant : « Celui qui t’a délivré, le Dieu d’Israël, sera appelé le Dieu de toute la terre ct. » Cette prédiction s’est accomplie avec le nom de Jésus-Christ, venu parmi nous du sang d’Israël, petit-fils d’Abraham qui fut la souche des Hébreux ▼▼Retract. II 16
; et en effet Israël lui-même avait reçu la promesse : « Que toutes les nations de la terre seraient bénies en celui qui naîtrait de sa race cv. » On doit comprendre par là que le Dieu d’Israël, le seul vrai Dieu qui a fait le Ciel et la terre et qui conduit avec justice et miséricorde les affaires et les événements de ce monde, sans que la justice entrave la miséricorde, sans que la miséricorde soit un obstacle à la justice, n’a pas été vaincu dans son peuple Hébreu quand il a laissé les Romains prévaloir et le réduire à n’avoir plus ni royauté ni sacerdoce. Car le même Dieu d’Israël, avec l’Évangile de Jésus-Christ vrai roi et vrai prêtre, deux titres figurés par le trône et l’autel des Hébreux, abolit maintenant partout les idoles des nations, pour le maintien desquelles les Romains n’avaient pas voulu recevoir son culte comme ils avaient reçu le culte des dieux de tant d’autres peuples, forcés de reconnaître leurs lois. Il a donc laissé périr le sacerdoce et la royauté de la nation prophétique, parce que le rôle de cette nation, instrument des promesses, était sans objet, du moment que le Christ promis était venu. Et quant aux Romains vainqueurs des Juifs, il les a soumis à son nom par le Christ roi ; et en leur donnant la force, et la générosité de la foi chrétienne, il a tourné leur zèle au renversement de ces idoles pour l’honneur desquelles son culte avait d’abord été rejeté. 22. Le Christ, ce me semble, n’a point usé des artifices de la magie pour faire annoncer avant de naître, par tant de prophètes, par la royauté même et le sacerdoce de toute une nation, tout ce qui devait s’accomplir en lui. Aussi bien, le peuple Juif dont le royaume a cessé d’exister et qui, par une admirable providence de Dieu, se trouve maintenant dispersé dans tout l’univers, quoiqu’il n’ait plus aucune onction royale ou sacerdotale, quoiqu’il ait perdu cette onction appelée Chrême dans laquelle apparaît le nom du Christ, ce peuple garde encore quelques-unes de ses observances, et veut conserver sa religion : vaincu et subjugué par les Romains il a repoussé leur culte idolâtre ; ainsi il rend témoignage à Jésus-Christ par les livres des prophètes qu’il porte avec lui ; et la vérité des prédictions qui regardent Jésus-Christ trouve sa preuve, même dans les mains clé nos ennemis. Pourquoi donc. faut-il que nous voyons encore des misérables qui font connaître leur perversité en adressant au Christ de fausses et perfides louanges ? Si quelques livres de magie : ont été écrits sous son nom quand la doctrine chrétienne se montre l’ennemie déclarée de semblables pratiques, loin de s’en prévaloir contre nous, qu’ils comprennent plutôt toute la grandeur de ce nom qu’empruntent ceux-mêmes dont la vie est en opposition avec la morale du Christianisme, afin de donner du crédit à leurs criminels artifices. Car de même que des erreurs diverses parmi les hommes ont donné lieu à différentes hérésies qui s’autorisent du nom du Christ ; ainsi les ennemis mêmes du Christ pensent que leurs paroles sont dépourvues de toute autorité, s’ils ne lui attribuent ce qu’ils avancent contre sa doctrine. CHAPITRE XV. LES PAÏENS, OBLIGÉS DE LOUER JÉSUS-CHRIST, SE DÉCHAÎNENT CONTRE SES DISCIPLES.
23. Que dire de la conduite de ces hommes qui donnent à Jésus-Christ des éloges dérisoires et dénigrent par mille voies détournées la religion chrétienne ? Ils n’osent blasphémer le Christ, parce que certains de leurs philosophes, comme le rapporte dans ses livres Porphyre de Sicile, ayant consulté les dieux du paganisme et sollicité une réponse au sujet de ce personnage merveilleux, les dieux ne purent se défendre de faire son éloge dans les oracles qu’ils rendirent. Ce quine doit pas nous surprendre, puisque nous, lisons dans l’Évangile, que les démons confessaient le nom de Jésus-Christ cw. Or, nous apprenons par la lecture des prophètes que les dieux des gentils ne sont autres que des démons cx. Ces païens donc, pour ne point lutter contre les oracles de leurs dieux, s’abstiennent de maudire le Christ et ils reportent leurs malédictions sur ses disciples. Pour moi, il me semble que si les dieux des nations, consultés sur Jésus-Christ par les philosophes du paganisme, l’eussent été de même au sujet de ses disciples, ils se seraient vus contraints d’en faire aussi l’éloge.CHAPITRE XVI. LES APÔTRES, EN PRÊCHANT LA DESTRUCTION DES IDOLES, NE SE SONT PAS ÉCARTÉS DE LA DOCTRINE DE JÉSUS ET DES PROPHÈTES.
24. Toutefois, ces hommes s’efforcent de persuader que ce n’est point la doctrine de Jésus-Christ, mais bien celle des disciples qui a déterminé le renversement des temples païens, l’abolition des sacrifices et la ruine des idoles : ils prétendent que les Apôtres n’ont pas gardé l’enseignement de leur maître. Ainsi, en honorant et en louant Jésus-Christ, ils veulent détruire la foi chrétienne, puisque c’est par les disciples de Jésus-Christ que le monde a connu ses actions et ses paroles, objets de la religion chrétienne, contre laquelle ce petit nombre de païens, déjà las du combat, s’obstinent néanmoins à murmurer quelques pitoyables objections. Mais s’ils ne veulent pas croire que la doctrine de Jésus-Christ est publiée par l’enseignement des Apôtres, nous les prions de lire les prophètes qui, non-seulement ont prescrit de détruire le faux culte des idoles, mais qui ont même annoncé que cette destruction se ferait dans les temps chrétiens. Si les prophètes ont menti, d’où vient que leurs prédictions se sont accomplies avec tant d’éclat ? Et s’ils ont dit vrai, pourquoi résister à de telles prédictions, marques infaillibles de la divinité de Celui dont ils étaient les interprètes ?CHAPITRE XVII. CONTRE LES ROMAINS QUI ONT REFUSÉ LEUR CULTE AU SEUL DIEU D’ISRAËL.
25. Arrêtons-nous cependant à leur demander ce qu’ils pensent du Dieu d’Israël, et pourquoi ils ne l’ont pas relu pour l’adorer comme les dieux des autres nations assujetties par les Romains, surtout quand ils admettent la maxime que le sage doit adorer tous les dieux. Pourquoi donc ont-ils excepté le Dieu d’Israël ? Si ce Dieu a beaucoup de puissance, pourquoi est-il le seul qu’ils n’adorent pas ? Et si son pouvoir est nul ou peu étendu, comment se fait-il que presque partout les idoles sont renversées et lui seul adoré ? Ils ne pourront jamais se dégager du lien de cette question, ceux qui, en adorant des êtres qu’ils croient des divinités grandes ou petites, rejettent le seul qui a prévalu contre tous leurs dieux. S’il a une grande puissance, pourquoi a-t-on pensé qu’il ne fallait pas le reconnaître ? S’il n’a point ou n’a que peu de puissance, comment ce Dieu méprisé a-t-il fait de si grandes choses ? S’il est bon, pourquoi ne l’a-t-on pas admis au nombre des dieux qu’on appelle bons ? S’il est méchant, d’où vient que tant de dieux bons ne peuvent triompher de lui seul ? S’il est véridique, pourquoi repousser les préceptes qu’il impose ? Et s’il est menteur, comment ses oracles se trouvent-ils accomplis ?CHAPITRE XVIII. LE DIEU DES HÉBREUX N’A PAS ÉTÉ REÇU DES ROMAINS PARCE QU’IL VEUT ÊTRE SEUL ADORÉ.
26. Enfin que l’on pense de lui ce qu’on voudra ; est-ce que les Romains n’ont pas cru qu’il y avait des dieux méchants et qu’il fallait aussi les adorer, puisqu’ils ont élevé des temples à la Paleur et à la Fièvre ? Est-ce qu’ils n’ont pas dit qu’il fallait invoquer les bons génies et apaiser les mauvais démons ? Qu’ils aient donc jugé bon ou mauvais le Dieu d’Israël, pourquoi n’ont-ils cru devoir ni l’invoquer ni l’apaiser ? Et quel est donc ce Dieu ou tellement ignoré qu’on ne le trouve pas jusqu’alors dans l’immense multitude des divinités païennes, ou tellement connu qu’aujourd’hui il est seul adoré par tant d’hommes ? Pour justifier le rejet de son culte on ne peut plus alléguer d’autre raison qu’un ordre et une défense du même Dieu d’Israël, ordre de l’adorer lui seul, défense d’adorer les dieux du paganisme qui étaient en possession des hommages du monde. Mais il faut presser nos adversaires de dire quel est, suivant eux, ce Dieu qui défend d’adorer les autres dieux en l’honneur desquels se sont élevés tant de temples et d’idoles ; quelle est la grandeur d’un Dieu dont la volonté a eu plus de pouvoir pour détruire l’idolâtrie que. n’en ont eu les Romains pour empêcher de recevoir son culte ? Tout le monde tonnait sans doute la maxime de ce philosophe, le plus sage des hommes, au dire des païens et d’Apollon lui-même. La maxime de Socrate est qu’il faut rendre à chaque Dieu le culte que lui-même a prescrit. Pour ne point contredire à cette règle, les Romains se voyaient dans l’étrange nécessité de ne pas adorer le Dieu des Hébreux ; car, en voulant l’adorer d’une manière opposée à ses ordonnances ils ne l’auraient pas adoré lui-même, mais bien le fantôme de leur imagination ; et en l’adorant comme ce Dieu voulait être adoré, ils s’obligeaient, pour respecter sa défense, à ne pas adorer les autres dieux. Ainsi ont-ils rejeté le culte du seul vrai Dieu dans la crainte d’offenser une multitude de faux dieux, pensant que la colère de ceux-ci devait leur être plus funeste que la bienveillance de celui-là ne pouvait leur être utile.CHAPITRE XIX. LE DIEU D’ISRAËL EST LE VRAI DIEU.
21. Mais c’était une nécessité vaine et une crainte ridicule. Nous demandons maintenant ce qu’ils pensent du Dieu d’Israël, ces hommes à qui il plaît de dire que tous les dieux doivent être adorés. Si celui-là ne doit pas l’être, comment le sont-ils tous tandis qu’il ne l’est pas ? Que s’il doit être adoré, il est impossible que tous le soient puisqu’il n’est véritablement adoré qu’autant qu’on n’adore pas les autres ? Diront-ils que ce n’est pas un Dieu, quand ils appellent dieux ceux qui selon nous n’ont aucun pouvoir sans sa permission, et ne peuvent faire aucun bien ni même aucun mal, sinon aux hommes que ce maître tout-puissant juge à propos de punir ou d’éprouver ? Du reste, comme ils sont obligés d’en convenir, les dieux du paganisme n’ont montré qu’une puissance bien inférieure à la sienne. Car, s’ils sont des dieux ceux dont les devins consultés par les hommes ont fait des réponses, pour ne pas dire des mensonges, qui touchaient à des intérêts privés ; comment n’est-il pas Dieu celui dont les prophètes non-seulement ont répondu d’une manière exacte au sujet des événements du temps sur lesquels on les consultait, mais ont prédit, tant de siècles d’avance, sans être consultés, les grandes choses que nous lisons maintenant et que nous voyons accomplies à l’égard du genre humain et de toutes les nations de la terre ? S’ils tiennent pour un dieu celui dont la Sybille à reçu l’influence pour chanter les destins de Rome ; comment n’est-il pas Dieu celui qui a fait voir dans l’avenir les Romains et tous les peuples amenés à croire en lui comme au seul Dieu, par l’Évangile de Jésus-Christ, et à renverser eux-mêmes toutes les idoles de leurs pères, prédiction aujourd’hui réalisée ? Enfin, s’ils appellent dieux ceux q 1 n’ont jamais osé inspirer à leurs devins une parole qui lui soit contraire, comment n’est-il pas Dieu, lui, qui par ses prophètes a commandé de détruire leurs idoles, et a même prédit que tous les peuples, à qui il donnait l’ordre de n’adorer que lui seul, lui obéiraient, déserteraient leurs temples, et renverseraient eux-mêmes leurs autels ?CHAPITRE XX. LES ORACLES DES PAÏENS NE DISENT RIEN CONTRE LE DIEU DES HÉBREUX.
28. Veulent-ils nous contredire ? qu’ils lisent donc, s’ils le peuvent, dans les livres de leurs sibylles ou autres devins, un oracle, annonçant que le Dieu des Hébreux serait un jour adoré de toutes les nations ; que les écrits de ses prophètes auraient assez d’autorité pour obliger l’empire Romain à les recevoir et à prescrire la destruction des idoles ; qu’il faudrait néanmoins prendre garde d’obéir à cette injonction, et que les adorateurs des autres dieux pourraient s’applaudir comme d’une conduite raisonnable d’avoir auparavant rejeté celui-là : qu’ils lisent donc de telles choses, s’ils le peuvent, dans quelques-uns des livres de leurs devins. Car, j’omets de dire que comme les démons étaient forcés de reconnaître Jésus-Christ même, durant les j ours de son apparition ici-bas dans la chair, les auteurs des livres dont il s’agit, rendent à notre foi, c’est-à-dire à la religion chrétienne, un témoignage qui paraît bien être celui des saints anges ou de nos prophètes eux-mêmes. J’omets cette remarque qu’ils veulent regarder comme une fiction des chrétiens quand nous la produisons. Mais eux-mêmes, eux-mêmes, qu’ils produisent comme extrait des oracles du paganisme quelque prédiction contraire au Dieu des Hébreux, quand de notre côté nous leur montrons avec les livres de nos prophètes tant de choses si importantes ordonnées, prédites et accomplies contre leurs dieux. Le peu de païens qui nous restent aiment mieux déplorer les événements accomplis, que de reconnaître le Dieu qui a pu les annoncer ; et cependant, selon eux, quand leurs faux dieux qui sont de vrais démons, ont une fois prouvé leur puissance en prédisant quelque événement futur, on doit ne rien demander de plus.CHAPITRE XXI. POURQUOI LE DIEU DES HÉBREUX DOIT ÊTRE SEUL ADORÉ.
29. Pourquoi donc, alors, ces malheureux ne reconnaissent-ils pas le vrai Dieu dans ce Dieu tellement antipathique aux leurs, que tout en confessant sa Divinité ils se voient contraints de lui refuser leurs hommages, eux dont la maxime cependant est qu’on doit adorer tous les dieux ? Puisque tous ne peuvent être adorés, pourquoi donc ne pas choisir celui qui défend d’adorer les autres ? pourquoi ne pas abandonner ceux qui n’osent défendre de l’adorer lui-même ? Ou si les dieux du paganisme ont formulé cette défense, qu’on ne refuse pas de la lire. Est-il une chose qui ait dû frapper davantage les oreilles des peuples dans leurs temples, dans leurs temples où rien de pareil n’a cependant jamais retenti ? Et certes la défense d’un si grand nombre contre un seul devrait avoir plus de notoriété, plus de pouvoir que la défense d’un seul contre tant d’autres. Si le culte du Dieu d’Israël est impie, des dieux qui n’éloignent pas les hommes de l’impiété sont bien inutiles ; si au contraire, c’est un culte légitime et pieux, comme on y trouve l’ordre de ne pas adorer les divinités païennes, il y a donc impiété a les adorer. Mais, si les dieux des nations proscrivent ce culte avec tant de défiance et de mystère, que le téméraire désir de l’empêcher cède à la crainte de se faire entendre ; ne voit-on pas, ne sent-on pas à l’instant qu’il faut reconnaître et adorer un Dieu qui défend le culte des autres avec toute sorte de publicité, qui a ordonné de renverser leurs idoles, qui en a prédit la ruine et qui les a de fait renversées par la prédication de l’Évangile, plutôt que des dieux timides ou sans vertu, qui n’ont rien ordonné, rien prédit, rien pu contre lui ? Car de leur part nous ne connaissons, nous ne lisons, nous ne voyons rien dans ce sens. De grâce, qu’on nous réponde : quel est donc ce Dieu qui flagelle ainsi tous les dieux des nations, qui traite et pulvérise ainsi leur culte ?CHAPITRE XXII. OPINION DES GENTILS TOUCHANT NOTRE DIEU.
30. Mais pourquoi interroger des hommes qui, au sujet du Dieu d’Israël, se sont perdus dans leurs rêveries ? Les uns disent : c’est le même que Saturne ; sans doute à cause de la sanctification du samedi chez les Juifs, cardes païens ont affecté ce jour à Saturne. Mais leur illustre Varron, qu’ils regardent comme le plus docte des Romains, veut que le Dieu des Juifs soit Jupiter ; selon lui, peu importe le nom, si l’on s’entend sur la chose ; or l’idée de la grandeur souveraine de ce Dieu, l’a, je crois, arrêté dans ses recherches. Les Romains, en effet, comme le prouve assez clairement leur Capitole, ne reconnaissent aucun dieu supérieur à Jupiter, qu’ils considèrent comme le maître de tous les dieux ; aussi Varron n’a-t-il pu imaginer rien de mieux que Jupiter, quand il a su que les Juifs adoraient le Dieu suprême. Mais, que dans le Dieu des Juifs on voie Saturne ou Jupiter, peut-on dire que jamais Saturne ait osé défendre d’adorer un autre Dieu, même Jupiter son fils qui le détrôna ? S’il plaît aux païens d’adorer Jupiter comme plus puissant et vainqueur de son père ; alors qu’ils n’adorent pas Saturne vaincu et chassé du ciel. Mais Jupiter n’a pas défendu non plus de l’adorer, et s’il a pu le vaincre, il lui a permis aussi d’être un dieu.CHAPITRE XXIII. NIAISERIES PAÏENNES SUR SATURNE ET JUPITER.
31. Ce sont là, disent nos adversaires, des fables qui doivent être expliquées par les sages ou livrées au ridicule. Pour nous, ce que nous adorons, c’est le Jupiter dont Virgile a dit : « Tout est plein de sa présence ▼▼Virg. Egl. 3, 60.
; » c’est-à-dire nous adorons l’esprit qui vivifie toutes choses. S’il en est ainsi, Varron ne s’est pas trompé en supposant que les Juifs adoraient Jupiter, puisque le Seigneur dit par son prophète : « Je remplis le ciel et la terre cz. » Mais qu’est-ce que le poète appelle ciel ou Éther ; et eux-mêmes quel sens donnent-ils à ce mot ? Car nous avons un autre passage de Virgile ainsi conçu : « Alors l’Ether, père tout-puissant, descendit en pluies fécondes dans le sein de sa joyeuse épouse ▼▼Virg. Géorg. 1. 2, 324-326.
; » et ils disent que l’Ether n’est pas un esprit mais bien le corps supérieur qui forme la voûte du ciel étendu au-dessus de l’air. Accordent-ils au poète de parler de Dieu tantôt comme d’un pur esprit selon les Platoniciens, tantôt comme d’un corps selon les Stoïciens ? Et qu’est-ce donc qu’ils adorent au Capitole ? Si c’est un esprit ou même le corps du ciel, que fait là le bouclier de Jupiter qu’ils appellent Egide : car pour expliquer l’origine de ce nom, ils disent que Jupiter, caché par sa mère, fut allaité par une chèvre. Ceci est-il encore une invention des poètes ? Le Capitole des Romains est-il donc aussi l’œuvre des poètes ? Que veut dire cette momerie fort peu poétique, de suivre les philosophes quand il s’agit d’acquérir dans les livres la connaissance des dieux, et les poètes, quand il s’agit de les adorer dans les temples ? 32. Mais fut-ce un poète aussi qu’Evhémère, bien que, au rapport de Cicéron ▼▼Cicér.De la nat. des dieux, I 1
, Ennius l’ait traduit en latin ? Or il prouve que Jupiter lui-même et Saturne son père et Neptune et Pluton ses frères ont été simplement des hommes ; il le prouve avec tant de clarté que les adorateurs de ces dieux devraient rendre grâces aux poètes dont les fictions ont eu pour but d’embellir et non de déshonorer les objets de leur culte. Et Cicéron lui aussi était-il un poète ? Voici comme il parle dans les Tusculanes, à son interlocuteur qu’il suppose bien instruit de la doctrine secrète ▼▼Id. Tuscu. I.
: « Si j’interroge l’antiquité, si je consulte les ouvrages que nous ont laissés les auteurs grecs, j’y verrai que ceux qu’on regarde comme des dieux, même dans les plus grandes nations, sont sortis du milieu de nous, pour alter prendre possession du Ciel. « Informe-toi de quels dieux la Grèce possède les tombeaux ; puisque tu es initié, souviens-toi de l’enseignement des mystères, et tu comprendras enfin combien paraît hors de doute ce que je te dis. » On ne peut le nier, Cicéron, dans ce passage, déclare d’une manière assez explicite, que les dieux des païens furent des hommes ; et il suppose bénévolement qu’ils sont parvenus au Ciel, quoiqu’il ait dit, sans balancer, dans une harangue publique, que l’honneur de l’apothéose relève uniquement de l’opinion du monde ; car en parlant de Romulus il s’est ainsi exprimé : « Notre bienveillance et sa haute renommée ont placé Romulus, fondateur de la Ville, au rang des dieux immortels ▼▼Cicér.Catil. dis. 3.
. » Et qui peut trouver invraisemblable que les hommes aient fait, autrefois pour Jupiter, Saturne et les autres, ce que les Romains ont fait pour Romulus, et ce qu’ils ont voulu faire aussi pour César dans des temps plus rapprochés ? Virgile appuyait ce dessein des accents flatteurs de sa muse : « Voici, disait-il, que paraît l’astre de César, fils de Vénus ▼▼Virg.Eg. 9, 47.
. » Qu’on prenne donc garde à la vérité historique, qui peut montrer sur la terre les tombes des faux dieux. Qu’on fasse donc réflexion que les poètes n’attachent pas au Ciel, mais feignent d’y rencontrer et d’y reconnaître leurs étoiles. Aussi bien, telle étoilé n’est pas de Jupiter, ni cette autre de Saturne ; mais, après leur mort, les hommes qui ont voulu les regarder comme des dieux ont donné leurs noms à des astres créés dès l’origine du monde. Et à ce sujet, voudrait-on nous dire quel si grand mal a fait la chasteté, quel si grand bien la volupté, pour que Vénus ait son étoile parmi les planètes et pour que Minerve n’ait pas la sienne ? 33. Mais, je le veux, l’académicien Cicéron est moins certain encore de ce qu’il avance que les poètes, quand il ose, jusque dans ses livres, faire mention des tombeaux des dieux, bien que sa parole soit l’écho des traditions religieuses, et non l’expression d’une opinion particulière. Est-ce que Varron, lui aussi, a voulu feindre comme un poète ou supposer comme un académicien, que le culte de tels dieux a son explication dans les circonstances de la vie ou de la mort de chacun d’eux parmi les hommes ? Était-il aussi poète ou académicien ce prêtre d’Égypte, nommé Léon, qui, en exposant, sur l’origine des dieux, une opinion différente, il est vrai, de celle des Grecs, parle cependant de manière à faire comprendre au roi de Macédoine Alexandre que ces dieux ont été de simples mortels ? 34. Du reste, que nous importe ? Laissons nos adversaires dire qu’en adorant Jupiter ils n’adressent pas leur culte à un homme mort ; admettons avec eux qu’ils n’ont pas dédié le Capitole à un homme mort, mais à l’esprit qui vivifie toutes choses et qui remplit le monde ; permettons-leur d’expliquer comme ils voudront le bouclier de Jupiter, fait d’une peau de chèvre en l’honneur de sa nourrice. Et Saturne qu’en disent-ils ? Et quel est le Saturne qu’ils adorent ? N’est-ce pas celui qui le premier descendit de l’Olympe, et qui, selon Virgile, « chassé, proscrit de ses états, obligé de fuir pour échapper aux armes de Jupiter, réunit en société, soumit à des lois une nation sauvage, dispersée sur le haut des montagnes, et préféra donner au pays le nom de Latium (latere se cacher,) parce qu’il s’y était caché et mis à l’abri de tout périt ▼▼Virg. Enéid. 1. 8, 320-324.
? » L’idole même de ce dieu qui le représente la tête couverte, n’indique-t-elle pas quelqu’un qui se cache ? La faux qu’on lui met à la main, ne fait-elle pas comprendre qu’il s’agit de celui qui enseigna l’agriculture aux habitants de l’Italie ? Non, disent nos païens ; à vous de voir si le personnage dont on raconte ces choses fut un homme et un roi quelconque. Saturne pour nous, c’est le temps universel, comme l’indique son nom grec. Car il est appelé Khronos, dans cette langue, et ce nom rend l’idée du temps quand on le prononce avec aspiration. De là vient qu’en latin il est appelé Saturnus ou saturatus annis, rassasié d’années. Je ne vois – plus de discussion, possible avec des gens dont tous les efforts, pour donner la meilleure interprétation des images et des noms de leurs dieux, se terminent par l’aveu que le premier et le père de tous c’est le Temps. Que déclarent-ils par là, sinon que tous leurs dieux sont temporels ; puisque, selon eux, le temps lui-même en est le père ? 35. C’est de quoi ont rougi leurs philosophes plus récents, les Platoniciens qui ont paru depuis l’établissement du Christianisme. Aussi essayent-ils de donner au nom de Saturne une étymologie plus rationnelle. Son nom grec Khronos disent-ils, signifie : plénitude de l’intelligence; car, en grec, Khronos signifie satiété ou plénitude, et nous intelligence ou esprit. Le mot latin, ajoutent-ils, parait lui-même favoriser cette interprétation, comme composé, pour la première partie, du mot latin satur, et, pour la seconde, du mot grec nous. Saturnus reviendrait ainsi à Satur nous, plein d’intelligence. Ces philosophes ont compris, en effet, qu’il était trop absurde de regarder Jupiter comme le fils du temps, quand ils pensaient ou voulaient faire croire que c’était un dieu éternel, suivant leur interprétation toute nouvelle ; car si elle était ancienne, on rie comprendrait pas que Cicéron et Varron l’eussent ignorée. Voici comment Jupiter est fils de Saturne ; ils voient en lui un esprit qui émane de cette souveraine intelligence, et prétendent qu’il est comme l’âme de ce monde, qu’il pénètre et remplit toute la nature corporelle soit au ciel soit sur la terre. D’où ce mot de Virgile que nous avons déjà rapporté un peu plus haut : « Tout est plein de Jupiter, tout est rempli de sa présence. » S’ils en avaient le pouvoir, comme ils ont changé l’explication du système de la théologie païenne, ne. changeraient-ils pas aussi la superstition des hommes, ne s’abstiendraient-ils pas d’élever aucune idole, ou du moins ne voueraient-ils pas plutôt le Capitole à Saturne qu’à Jupiter ? Car ils conviennent que nulle âme raisonnable n’est sage qu’en vertu de la participation de la souveraine et immuable sagesse ; ils en conviennent, non-seulement pour l’âme humaine, mais encore pour l’âme du monde qu’ils disent être Jupiter. Pour nous, nous accordons et même nous affirmons hautement qu’il y a en Dieu une souveraine sagesse, dont la participation rend sage toute âme qui le devient véritablement. Mais cette masse corporelle dont l’ensemble est appelé, le monde, a-t-elle une âme, son âme propre, une vie raisonnable qui en règle tous les mouvements comme, sont réglés ceux de tout être animé ? C’est une grande question, très-difficile à résoudre : on ne doit pas embrasser cette opinion si la vérité n’en est bien démontrée, ni la traiter d’erreur à moins qu’il ne soit constant qu’elle est fausse. Après tout, qu’importe à l’homme, dût-il toujours vivre sur ce point dans l’ignorance ? La sagesse d’une âme, en effet, résulte seulement de la souveraine et immuable sagesse de Dieu, et non du fait d’une autre âme qu’elle qu’elle soit. 36. Cependant, les Romains qui ont voué le Capitole non à Saturne mais à Jupiter, et les autres nations qui ont pensé qu’il fallait mettre Jupiter au-dessus de tous les dieux et lui adresser des hommages particuliers, n’ont pas été du même sentiment que les Platoniciens. Ceux-ci, d’après leur opinion toute nouvelle, devraient consacrer à Saturne la première forteresse de l’empire, s’ils avaient en cela quelque pouvoir, et faire disparaître impitoyablement les Astrologues et les tireurs d’horoscopes qui l’ont rangé comme un dieu malfaisant parmi les autres étoiles, quand eux-mêmes le regardent comme la source et l’auteur de toute sagesse. Du reste, cette opinion qui fait de Saturne un dieu malfaisant, a, malgré eux, prévalu dans les esprits, à ce point qu’on ne veut pas même le nommer : on l’appelle plutôt le vieillard que Saturne. Et telle est la crainte qu’il inspire, aujourd’hui les païens de Carthage ont presque changé le nom du bourg, qu’ils lui ont consacré et ils disent plus communément le bourg du vieillard que le bourg de Saturne. CHAPITRE XXIV. EN REJETANT LE DIEU D’ISRAËL ON N’ADORE PLUS TOUS LES DIEUX ; EN ADORANT LES AUTRES ON N’ADORE PLUS LE DIEU D’ISRAËL.
37. Nous savons donc à quoi les adorateurs des idoles sont convaincus d’adresser leur culte, et ce qu’ils s’efforcent de déguiser sous de belles couleurs. Mais il faut encore demander à ces nouveaux interprètes du nom et des attributs de Saturne, ce qu’ils pensent du Dieu des Hébreux. Car ils ont trouvé bon, eux aussi, d’adorer avec les nations tous les dieux qu’elles reconnaissent, tout en refusant, dans leur orgueil, de s’humilier aux pieds de Jésus-Christ pour la rémission de leurs péchés. Que pensent-ils donc du Dieu d’Israël ? S’ils ne l’adorent pas, ils n’adorent pas tous les dieux ; s’ils l’adorent, ils ne l’adorent as comme lui-même veut être adoré, puisqu’ils adorent aussi les autres que ce Dieu défend d’adorer. Le Dieu d’Israël, en effet, a défendu le culte de toute autre divinité, par les prophètes auxquels il a fait prédire en même temps ce que les chrétiens font subir maintenant aux idoles. Soit, en effet, que des anges envoyés à ces prophètes leur aient montré en figure par des images sensibles convenablement ménagées, le seul vrai Dieu créateur et maître de toutes choses, et leur aient appris de quelle manière il voulait être adoré ; soit que le Saint-Esprit ait répandu dans les âmes de quelques-uns d’entre eux une si grande et si vive lumière, qu’ils fussent capables de voir par intuition, comme les anges eux-mêmes, des objets tout spirituels ; toujours est-il, qu’ils ont servi ce Dieu qui défend d’adorer les autres ; qu’ils l’ont servi par les sentiments d’une foi et d’une piété sincères, dans la royauté et le sacerdoce de leur nation et parla pratique d’un culte qui annonçait l’avènement futur du Christ comme vrai roi et comme vrai prêtre.CHAPITRE XXV. LES PAÏENS DOIVENT ADORER LE DIEU D’ISRAËL ; LEURS DIEUX NE S’Y OPPOSENT PAS, SES ŒUVRES L’EXIGENT.
38. Mais nous prions les païens nos adversaires, qui en voulant adorer les dieux des nations refusent leurs hommages à celui qui ne peut être adoré avec eux, nous les prions de nous dire pourquoi l’on ne trouve aucun de ces dieux qui défende d’en adorer un autre, puisque eux-mêmes leur assignent différents offices, différentes fonctions et veulent que chacun préside à des choses qui le regardent spécialement. Si Jupiter n’empêche pas d’adorer Saturne, parce que Jupiter n’est point cet homme qui a détrôné son père, mais bien le corps du ciel, ou l’esprit qui remplit le ciel et la terre, et ne peut par conséquent empêcher le culte de l’intelligence suprême dont il est regardé comme l’émanation ; si, de même, Saturne autorise le culte de Jupiter, parce que différent de celui qui, vaincu par je ne sais quel Jupiter, se retira en Italie pour échapper aux armes du rebelle, il ne l’a jamais. vu lever l’étendard de la révolte et triompher de sa puissance, mais que, premier esprit, il se montre bienveillant envers une âme qu’il a engendrée : Vulcain devrait au moins s’opposer au culte de Mars qui a violé sa femme ; Hercule ne devrait pas souffrir celui de Junon qui l’a persécuté. Quel est donc entre les dieux cet accord tellement honteux que Diane la vierge chaste, permet d’adorer, je ne dirai pas Vénus, mais Priape ? Car si un homme veut être à la fois chasseur et laboureur, il les servira tous deux quoiqu’il ait honte de leur élever des temples voisins l’un de l’autre. Mais que nos philosophes païens entendent sous le nom de Diane la vertu qu’ils voudront ; que Priape soit pour eux le dieu de la fécondité, du moins Junon, en présidant aux mariages et aux accouchements, devrait rougir d’avoir un tel aide. Qu’ils disent ce qui leur plaît, qu’ils interprètent les choses comme bon leur semble : le Dieu d’Israël ne laisse pas de confondre toutes leurs raisons. Quand il a défendu d’adorer les dieux du paganisme sans que nul d’entre eux ait jamais défendu de l’adorer lui-même, quand il a prescrit, annoncé, exécuté la destruction de leurs idoles et de leur culte, il a montré suffisamment qu’ils sont des dieux imaginaires et trompeurs, et lui un Dieu véritable et véridique. 39. Mais ces adorateurs d’une multitude de faux dieux, ces païens aujourd’hui en si petit nombre, qui ne s’étonnera de les voir refuser obéissance et adoration à ce Dieu dont ils peuvent se faire une idée fausse et la manifester, quand on leur demande qui il est ; mais dont ils ne peuvent nier la divinité, parce que leur négation tomberait d’elle-même devant l’examen des œuvres qu’il a prédites et accomplies ? Car je ne parle pas des choses que ces hommes ne se croient nullement obligés d’admettre. Je ne veux pas ici rappeler que lui-même le Dieu d’Israël a créé, dans le principe, le ciel et la terre et tout ce qu’ils renferment dg. Je, passe également sur les faits les plus anciens, qui ont signalé sa grandeur et sa puissance divine, sur l’enlèvement d’Hénoch dh, l’extermination des impies par le déluge, la délivrance de Noë le, juste et de sa famille parle moyen d’une arche di. C’est à partir d’Abraham que je prends l’histoire de ses rapports avec le monde. Abraham, en effet, fut l’homme à qui l’oracle d’un ange révéla de sa part et en termes si formels, cette grande promesse que nous voyons maintenant accomplie : « Dans celui qui sortira de toi seront bénies toutes les nations dj. » D’Abraham est issu le peuple d’Israël, d’où nous voyons sortir la vierge Marie qui a mis au monde le Christ en qui l’audace la plus téméraire ne peut maintenant nier que toutes les nations soient bénies. La même promesse fut faite à Isaac fils d’Abraham dk; elle fut encore renouvelée au petit-fils du patriarche, à Jacob, qui dans la suite fut appelé Israël dl. Et c’est de lui que tout le peuple a pris son développement et qu’il attire son nom. Voilà pourquoi le Dieu de ce peuple est connu sous le nom de Dieu d’Israël ; non pas qu’il ne soit en même temps le Dieu de toutes les nations, et de celles qui l’ignorent et de celles qui croient en lui ; mais parce qu’il a voulu faire paraître d’une manière plus éclatante, dans ce peuple, la vertu de ses promesses. Ce peuple, en effet, qui commença durant la servitude d’Égypte, à se multiplier, et que Moïse délivra par de nombreuses et grandes merveilles, se mit, après avoir triomphé de plusieurs peuples, en possession d’une terre promise, elle aussi, et y régna par ses princes issus de la tribu de Juda. Juda était l’un des douze fils d’Israël petit-fils d’Abraham : il donna son nom aux Juifs qui firent beaucoup de grandes choses avec l’aide à leur Dieu ; souvent aussi ce même Dieu les châtia à cause de leurs péchés, jusqu’à ce que parut dans le monde, comme il avait été promis, ce fils d’Abraham, ce descendant d’Israël, en qui devaient être bénies toutes les nations, et au nom de qui les nations devaient, de leur propre mouvement, briser les idoles de leurs pères.CHAPITRE XXVI. RUINE DE L’IDOLÂTRIE CONFORME AUX ORACLES PROPHÉTIQUES.
40. Ce n’est pas aux premiers temps du Christianisme, mais à une époque fort antérieure, que remonte la prédiction des événements aujourd’hui accomplis par les chrétiens. Les Juifs qui sont demeurés ennemis du nom de Jésus-Christ, les Juifs eux-mêmes dont l’infidélité future n’a pas été oubliée dans les oracles prophétiques, tiennent le livre de Jérémie où ils lisent ces mots : « Seigneur, qui êtes mon Dieu et mon refuge dans te temps de l’affliction, les nations viendront à vous des extrémités de la terre et diront : Vraiment nos pères ont adoré de vaines idoles et n’ont pu en tirer aucun avantage dm. » Nous voyons aujourd’hui l’accomplissement de cet oracle. Des extrémités de la terre les nations viennent à Jésus-Christ, redisant ces choses et brisant les idoles, Et c’est en effet une grande faveur accordée par Dieu à son Église répandue dans tout le monde, que les ennemis de notre foi en attestent la vérité, et que la nation juive, justement vaincue et dispersée dans l’univers entier, ne permette pas de regarder comme une œuvre frauduleuse des chrétiens, les livres de nos prophètes, qu’elle porte avec elle chez tous les peuples. Comment donc, suivant les discours frivoles de quelques insensés, les disciples de Jésus-Christ, en prêchant la destruction des idoles, l’abolition du culte des divinités païennes, ont-ils enseigné ce qu’ils n’avaient pas appris de leur Maître ? Peut-on dire qu’ils ont imaginé des prophéties dont on trouve le texte dans les livres vénérés par les ennemis mêmes de Jésus-Christ. ? 41. Et qui donc a ruiné l’idolâtrie, sinon le Dieu d’Israël ? Car c’est au peuple d’Israël que furent adressées en la personne de Moïse ces paroles divines : « Écoute Israël ; il n’est d’autre Dieu que le Seigneur ton Dieu dn : tu ne te feras point d’idole ; ni aucune ressemblance de ce qui est en haut dans le ciel ou en bas sur la terre do. » De plus, voici l’ordre qui lui fut donné de renverser même les objets du culte idolâtrique dès qu’il en aurait le pouvoir : « Tu n’adoreras point leurs dieux et tu ne les serviras pas ; tu ne feras pas selon leurs œuvres, mais tu abattras et tu briseras leurs idoles dp. » Et qui osera dire que le Christ et les chrétiens sont étrangers à Israël, quand Israël est le petit-fils. d’Abraham à qui d’abord fut faite la promesse dont j’ai rappelé les termes : « Dans celui qui sortira de toi seront bénies toutes les nations », promesse renouvelée à Isaac, fils d’Abraham, et enfin à Israël lui-même, fils d’Isaac ? C’est cette promesse que nous voyons maintenant accomplie en, la personne de Jésus-Christ, puisque du sang de ces patriarches est venue la Vierge que le prophète du peuple d’Israël et du Dieu d’Israël a célébrée en disant : « Voici qu’une Vierge concevra et enfantera un fils dont le nom sera Emmanuel dq. » Or Emmanuel signifie « Dieu avec nous dr. » Le Dieu d’Israël qui a prescrit de l’adorer lui seul, qui a défendu de faire des idoles, qui a ordonné de les renverser, et qui, par son prophète, a montré dans l’avenir toutes les nations de la terre venant à lui et s’écriant : « Vraiment nos pères ont adoré de vaines idoles et n’ont pu en tirer aucun avantage ; » le Dieu d’Israël a donc commandé, promis et consommé la ruine de toutes les superstitions païennes par le nom de Jésus-Christ et la foi des chrétiens. Vainement donc, parce que leurs dieux eux-mêmes, c’est-à-dire, les démons qui tremblent au nom de Jésus-Christ, leur ont défendu de le blasphémer, nos misérables adversaires voudraient mettre en opposition avec la doctrine du Christ celle donc les chrétiens se prévalent pour attaquer les idoles et faire disparaître complètement, par toutes les voies possibles, tant de fausses observances.CHAPITRE XXVII. LA PUISSANCE DU VRAI DIEU RENVERSANT PARTOUT LES IDOLES, MOTIF D’ABANDONNER L’IDOLÂTRIE.
42. Qu’ils nous répondent au sujet du Dieu d’Israël. Les livres non-seulement des chrétiens mais aussi des Juifs témoignent que ses dogmes et ses ordres sont contraires à l’idolâtrie. Qu’ils consultent leurs dieux, et que les divinités païennes, après avoir défendu de blasphémer Jésus-Christ, rendent, si elles en ont l’audace, quelques réponses injurieuses contre le Dieu d’Israël. Mais quels dieux consulteraient-ils, et en quels lieux iraient-ils maintenant les consulter ? Eh bien ! qu’ils lisent les ouvrages de leurs écrivains. Si le Dieu d’Israël n’est autre que Jupiter, comme l’a écrit le docte Varron, et je veu4 bien parler un moment d’après leur système, pourquoi ne pas se faire un devoir d’abattre les idoles en faveur de Jupiter ? Si l’on croit qu’il est Saturne, pourquoi ne pas l’adorer ? ou du moins pourquoi ne pas l’adorer, de la manière qu’il a prescrite par l’organe de prophètes dont il a su accomplir les prédictions comme il les avait inspirées ? Pourquoi ne pas croire qu’il faut renverser les idoles en son honneur et mépriser les autres dieux ? S’il n’est ni1upiter ni Saturne, car s’il était l’un ou l’autre, il ne serait pas si opposé à leur culte, qui est-il donc, lui qu’on refuse seul d’adorer à cause des autres dieux, et qui sur les ruines des idoles renversées en vient à se faire adorer seul, après avoir abaissé toute hauteur qui s’élevait contre le Christ, et abattu les orgueilleux sectateurs des faux dieux qui persécutaient et mettaient à mort les chrétiens ? Certainement aujourd’hui les païens cherchent où se cacher quand ils veulent offrir un sacrifice ; du moins avisent-ils à bien cacher leurs dieux eux-mêmes pour empêcher les chrétiens de les découvrir et de les mettre en pièces. D’où vient cela, sinon de la crainte des lois et des empereurs, par qui le Dieu d’Israël fait paraître maintenant sa puissance, après les avoir soumis au nom de Jésus-Christ ? C’est ce qu’il avait promis si longtemps d’avance en disant par son prophète : « Et tous les rois de la terre l’adoreront : tous les peuples le serviront ds. »CHAPITRE XXVIII. DESTRUCTION DES IDOLES PRÉDITE.
43. Nous voyons en effet, aujourd’hui, l’accomplissement de ce que le même Dieu a plusieurs fois déclaré par le prophète Isaïe ; qu’il repousserait son peuple impie et rebelle, non pas toutefois le peuple tout entier, puisque beaucoup d’israélites ont cru en Jésus-Christ, et que les Apôtres du divin maître étaient de cette nation qu’il humilierait tout superbe, tout insolent, afin que lui-même fût seul élevé, en d’autres termes, seul reconnu grand et puissant parmi les hommes : qu’un jour les fidèles se déclareraient partout contre les idoles et que les infidèles se verraient obligés de les cacher : que la terre serait brisée par la crainte, c’est-à-dire, que les hommes terrestres seraient consternés et remplis d’effroi, tant leur en imposerait la loi ou de ce Dieu lui-même, ou de ceux qui, croyant en lui et régnant sur les nations, s’opposeraient aux pratiques sacrilèges de l’idolâtrie. 44. Car voici le texte du prophète sur ce que je viens d’exposer brièvement pour, en rendre l’intelligence plus facile : « Et maintenant venez, maison de Jacob, et marchons ensemble à la lumière du Seigneur. Car le Seigneur a rejeté son peuple, la maison d’Israël ; parce que leur pays, comme autrefois quand y habitaient les idolâtres, a été rempli d’augures, et que beaucoup d’enfants leur sont nés du mélange de leur sang avec celui des étrangers. Leur terre a été remplie d’or et d’argent, et leurs trésors étaient infinis. Leur terre a été remplie de chevaux, et leurs chariots ne pouvaient se compter. Elle a été couverte des œuvres abominables de leurs mains, et ils ont adoré ce qu’ils avaient fabriqué de leurs propres doigts. Et l’homme s’est s’abaissé profondément et les chefs se sont dégradés : je ne leur pardonnerai point. Maintenant, entrez dans les fentes des rochers, cachez-vous dans les entrailles de la terre, pour vous mettre à couvert de l’effroi que répandra le Seigneur, et de l’éclat de sa puissance quand il viendra briser la terre. « Car le Seigneur est grand ; du haut du ciel ses regards embrassent l’étendue de l’univers, mais l’homme est une faible créature ici-bas ; et toute hauteur des hommes sera humiliée et le Seigneur sera seul exalté en ce jour. Oui le jour du Seigneur des armées va éclater sur tous les insolents, sur tous les superbes, sur tous ceux qui sont hautains dans leur bassesse et ils seront humiliés. Ce jour va éclater sur tous les cèdres orgueilleux du Liban, sur tous les arbres de Basan, sur les montagnes les plus hautes, sur les collines les plus élevées, sur tous les vaisseaux de la mer, dont il dissipera le beau spectacle. Et toute élévation de l’homme sera abaissée, et toute son insolence tombera, et le Seigneur seul paraîtra grand en ce jour. « Et, poursuivis par la crainte du Seigneur et la majesté de sa puissance quand il se lèvera pour frapper et ébranler la terre, les hommes cacheront dans les antres, dans les fentes des rochers, dans les cavernes tout ce qu’ils ont fabriqué de leurs mains. Car en ce jour on rejettera les idoles abominables d’or et d’argent, les idoles vaines et funestes qu’ils avaient faites pour les adorer, et ils entreront dans les trous de la pierre, dans les fentes des rochers, pour se mettre à couvert de la frayeur qu’apportera le Seigneur, et se dérober à la gloire de sa Majesté quand il se lèvera pour broyer la terre dt. »CHAPITRE XXIX. POURQUOI LES PAÏENS N’ADORENT-ILS PAS LE DIEU D’ISRAËL, S’ILS LE CROIENT DU MOINS PRÉPOSÉ AUX ÉLÉMENTS.
45. Que disent les païens de ce Dieu que les Hébreux appellent Dieu « Sabaoth », c’est-à-dire Dieu des Vertus ou des armées, parce que les vertus et toute l’armée des anges obéissent à ses lois ? Que disent-ils du Dieu d’Israël, ainsi appelé parce qu’il est le Dieu de ce peuple d’où nous est venu Celui en qui devaient être bénies toutes les nations ? Pourquoi le laissent-ils seul sans l’adorer, quand ils prétendent qu’on doit adorer tous les dieux ? Pourquoi refusent-ils de croire au Dieu qui a démasqué l’imposture des autres et les a renversés ? Suivant mes souvenirs, quelqu’un d’entre eux s’est flatté d’avoir lu dans les ouvrages de certain philosophe, dont le nom ne me revient pas, que les rites sacrés des Juifs lui avaient fait comprendre à quel Dieu s’adressait leur culte : « C’est, dit-il, à celui qui a la direction des éléments dont se compose le monde visible et corporel. » Cependant les livres vénérables de ses prophètes montrent clairement la prescription faite au peuple d’Israël d’adorer le Dieu qui a créé le ciel et la terre et de qui vient toute vraie sagesse. Mais qu’est-il besoin de disputer ici plus longtemps, quand je puis arriver à mon but, en m’appuyant sur l’opinion bien ou mal fondée que ces hommes professent au sujet du Dieu d’Israël, dont ils ne peuvent nier la divinité ? Car s’il est préposé aux éléments dont la réunion forme ce monde, pourquoi ne pas l’adorer plutôt que Neptune, qui est seulement préposé à la mer, plutôt que Sylvain, qui a seulement puissance sur les champs et les forêts ? Pourquoi ne pas l’adorer de préférence au soleil, de qui relève seulement le jour, ou, si l’on veut encore, toute la chaleur céleste ? Pourquoi ne pas l’adorer de préférence à la lune, qui ne règne que sur la nuit, ou, tout au plus encore, sur les vapeurs dégagées par la terre et les eaux ? Pourquoi ne pas le préférer à Junon, que l’on dit tenir seulement l’empire de l’air ? Assurément, ces dieux, dont chacun n’a d’autorité que sur une partie du monde, doivent être inférieurs, quels qu’ils soient, au Dieu qui régit tous les éléments et toute la machine de l’univers. Mais le Dieu d’Israël défend d’adorer aucun de ces dieux. Pourquoi donc les païens, malgré le précepte d’un Dieu supérieur aux autres, veulent-ils non-seulement adorer ceux-ci, mais, à cause d’eux, ne pas l’adorer lui-même ? Jusqu’alors ils ne voient rien qu’ils puissent affirmer nettement et résolument à son sujet, et ils resteront toujours dans leurs ténèbres, tant qu’ils ne le reconnaîtront pas comme le seul vrai Dieu dont la puissance a créé toutes choses.CHAPITRE XXX. AVEC L’ACCOMPLISSEMENT DES PROPHÉTIES LE DIEU D’ISRAËL EST MAINTENANT CONNU PARTOUT.
46. Leur grand déclamateur en poésie, Lucain, après avoir lui-même, je le crois, cherché longtemps dans ses propres réflexions et dans la lecture des auteurs profanes, quel était le Dieu d’Israël, sans arriver à le connaître, parce que la piété demeurait étrangère à ses recherches, a mieux aimé cependant appeler un Dieu incertain celui qu’il ne trouvait pas, que de nier sa divinité dont il avait des preuves si sensibles. Parlant de la Judée il a dit, en effet, qu’elle adore un Dieu incertain : Et dedita sacris incerti Judaea Dei ▼▼Lucain, l. 2, vers la fin.
. Or, le Dieu d’Israël, ce Dieu saint et véritable, n’avait pas encore, par le nom de Jésus-Christ, opéré dans toutes les nations, de merveilles semblables à celles que le inonde a vues depuis les temps de Lucain jusqu’à ce jour. Maintenant, qui peut être assez dur pour ne point se rendre, assez froid pour ne point sentir son âme embrasée, après l’accomplissement de cet oracle du roi-prophète. Il n’est personne qui se dérobe à sa chaleur ; quand se trouvent réalisées avec tant d’éclat les choses prédites si longtemps d’avance dans le même Psaume d’où je tire le verset que je viens de rappeler ? Car dans ce Psaume, le nom des cieux où règne l’Éternel désigne les Apôtres de Jésus-Christ qui devaient annoncer l’Évangile sous l’empire et la conduite de Dieu. Maintenant donc les cieux ont raconté la gloire du Très-Haut et le firmament a publié les œuvres de ses mains. Le jour a parlé au jour et la nuit a transmis la science à la nuit. Maintenant est accompli l’oracle qu’il n’y a point de langue point d’idiome dans lequel les voix des cieux ne soient entendues. Elles out éclaté dans toute la terre, et les paroles qu’elles ont portées ont retenti jusqu’aux extrémités du monde. Maintenant Dieu a établi dans le soleil, c’est-à-dire, a manifesté à tous les regards, son pavillon qui est son Église elle-même. Dans cette fin, selon la suite du même Psaume, il est sorti de sa couche nuptiale, c’est-à-dire, que le Verbe de Dieu est sorti du sein de la Vierge Marie, où il a uni en sa personne la nature divine à. la nature humaine. Maintenant il s’est élancé comme un géant et a parcouru sa carrière. Maintenant il a accompli son départ du point le plus élevé du ciel et son retour au plus haut du ciel. Aussi est-ce à bon droit que le verset rappelé un peu plus haut conclut par ces paroles : « Il n’est personne qui se dérobe à sa chaleur dv. » Et maintenant encore, ces misérables qui nous opposent avec un tel babil quelques faibles apparences de contradictions, aiment mieux être comme die l’étoupe, réduits en cendres par ce feu, que purifiés de leurs souillures comme l’or ; maintenant que l’imposture des faux dieux se trouve confondue par les événements, et que les promesses véridiques du Dieu d’Israël, de ce Dieu incertain, ont acquis aux yeux de tous, en se réalisant, une éclatante certitude. CHAPITRE XXXI. IMPORTANTE PRÉDICTION RELATIVE A JÉSUS-CHRIST.
47. Que les faux panégyristes de Jésus-Christ qui ne veulent pas être chrétiens cessent donc de dire que sa doctrine n’impose aucune nécessité d’abandonner leurs dieux et de briser leurs idoles. Car le Dieu d’Israël qui, suivant les prédictions, devait être un jour appelé le Dieu de toute la terre, et qui de fait est maintenant appelé le Dieu de toute la terre ; le Dieu d’Israël, auteur de ces prédictions énoncées par l’organe des prophètes, les a accomplies dans le temps voulu, par le ministère du Christ. En effet, s’il est maintenant appelé le Dieu de toute la terre, il faut bien rapporter à l’époque où le monde l’a connu comme seul vrai Dieu, l’accomplissement des oracles par lesquels il ordonnait ce grand événement. Or, qu’il ait été connu par le Christ et dans le Christ, cette circonstance était prédite ; et ceux qui le voudront peuvent lire dans le même prophète, cité un peu plus haut, qu’au moyen du Christ, l’Église devait s’étendre par tout l’univers et que, par l’Église, le Dieu d’Israël serait appelé le Dieu de toute la terre. Ou plutôt, je vais mettre moi-même ce passage sous les yeux de mes lecteurs ; il n’est pas d’ailleurs tellement long que je doive négliger de le transcrire. Nous y voyons bien des choses touchant la venue, les abaissements, la passion du Christ et le corps dont il est le chef, c’est-à-dire, son Église, lorsqu’elle est interpellée comme stérile et sans enfants. Durant longues années, en effet, celle à qui devaient appartenir toutes les nations ne parut pas dans ses enfants, c’est-à-dire, dans les Saints ; le Christ n’étant pas encore annoncé par les Évangélistes à ceux qui n’avaient pas entendu les prophètes. Or, il est dit ensuite, que celle qui est abandonnée aura plus d’enfants que celle qui a un mari. Ce nom de mari désigne la loi, ou le roi qui fut donné au premier peuple d’Israël : aussi bien, les nations n’avaient pas reçu la Loi dans le temps où parlait le prophète, et le Roi des chrétiens n’était pas encore apparu aux nations, chez qui cependant on a vu surgir un nombre beaucoup plus considérable de fidèles que chez le peuple juif. Voici donc comme parle Isaïe, en présentant d’abord les abaissements du Christ, puis en se retournant vers l’Église pour lui adresser la parole, jusqu’au verset que nous avons rappelé précédemment et dans lequel nous lisons : « Et celui qui t’a rachetée, le Dieu d’Israël, sera appelé le Dieu de toute la terre. » « Mon fils, dit-il, sera rempli d’intelligence il sera exalté et grandement honoré. Comme beaucoup doivent être saisis d’admiration à ton sujet, ô mon peuple, et que ta beauté paraîtra cependant flétrie aux yeux de tous et ta gloire perdue devant les hommes ; ainsi lui-même sera-t-il pour beaucoup de nations un objet d’étonnement, et les rois se tiendront devant lui dans le silence, parce que ceux à qui il n’avait pas été annoncé, verront, et que ceux qui n’avaient pas entendu parler de lui comprendront. Seigneur, qui a cru à notre parole et à qui le bras du Seigneur a-t-il été révélé ? Nous l’avons annoncé devant le Seigneur : il est comme un enfant, comme un rejeton qui s’élève d’une terre sèche et aride. Il n’a ni beauté ni éclat. Nous l’avons vu dépouillé de toute gloire et de toute beauté : son visage est abattu et contrefait, objet du mépris de tous les hommes : c’est un homme couvert de plaies et qui a l’habitude des souffrances. Aussi sa face s’est détournée : compté pour rien, il a été accablé d’outrages. Il porte nos iniquités ; c’est pour nous qu’il est dans la douleur. Et nous l’avons pris pour un homme assujetti par son état aux plaies et aux tourments. Mais il a été blessé à cause de nos péchés, soumis à la douleur à cause de nos iniquités. Le châtiment qui pouvait nous procurer la paix est tombé sur lui et nous avons été guéris par ses meurtrissures. Tous nous avions erré comme des brebis égarées, et le Seigneur l’a livré pour nos péchés. Et quoique traité d’une manière si cruelle il n’a pas ouvert la bouche. Il a été conduit à la mort comme une brebis, et de même qu’un agneau se tait devant celui qui le tond, il n’a pas ouvert la bouche pour se plaindre. Condamné, il est mort dans la dernière humiliation. Qui redira son origine ? car sa vie a été retranchée de la terre ; il a été conduit à la mort par les iniquités de mon peuple. Je lui donnerai donc les méchants pour le prix de sa sépulture et les riches pour la récompense de sa mort, parce qu’il n’a point connu l’iniquité, et que sa bouche n’a jamais proféré le mensonge. Le Seigneur veut le guérir de ses plaies. O hommes, si vous donnez votre vie pour vos iniquités, vous verrez votre race durer très-longtemps. Et le Seigneur veut arracher sa vie aux douleurs, lui montrer la lumière, le revêtir d’éclat et de beauté ; justifier le juste qui a servi si généreusement les intérêts d’un grand nombre. Et lui-même portera leurs iniquités. C’est pourquoi il aura en partage la « multitude des nations et distribuera les dépouilles des forts, parce qu’il a été livré à la mort et mis au nombre des scélérats ; parce qu’il a porté les péchés de beaucoup et qu’il a été livré à cause de leurs crimes. Réjouis-toi stérile qui n’enfantes pas ; sois transportée d’allégresse et pousse des cris de joie, toi qui n’as point d’enfants, parce que celle qui était abandonnée aura plus d’enfants que celle qui a un mari. Car, le Seigneur a dit : Prends un lieu plus vaste pour dresser tes tentes, n’épargne point l’espace dans la construction de ta demeure. Recule plus loin les cordeaux ; plante des pieux solides. Que ton héritage se dilate et se dilate encore, à droite et à gauche ; car ta postérité possédera les nations et tu habiteras les villes qui étaient abandonnées, Bannis toute crainte ; car tu prévaudras certainement ; et ne rougis pas d’avoir été jusqu’alors un objet de mépris et d’aversion. Aussi bien, tu oublieras pour toujours ta confusion et la honte de ton délaissement : parce que je suis le Seigneur qui t’ai créé ; le Seigneur est le nom de celui qui t’a rachetée ; et lui-même, le Dieu d’Israël, sera appelé le Dieu de toute la terre dw. » 48. Que peut-on répondre à cette exposition de faits si clairement prédits et si fidèlement accomplis ? Si l’on pense que les disciples de Jésus-Christ ont eu recours au mensonge pour affirmer sa divinité, sera-t-il possible de révoquer en doute sa passion ? Les païens n’ont pas coutume de croire que Jésus-Christ est ressuscité : mais que les hommes lui aient fait endurer toutes ces souffrances qui sont le propre de notre humanité, ils le croient même volontiers, parce qu’ils veulent faire croire que Jésus-Christ n’est qu’un homme. Or, celui qui a été mené comme une brebis à l’immolation ; qui a été rangé parmi les scélérats ; qui a été blessé, meurtri à cause de nos crimes, et pour nous guérir ; celui dont la face a été méprisée, outragée, souffletée, souillée par les crachats ; qui a été défiguré, réduit à une horrible difformité sur la croix ; qui a été conduit à la mort par les iniquités du peuple d’Israël ; celui qui avait perdu tout éclat, toute beauté, quand on le frappait, quand on le couronnait d’épines et quand, sur son gibet, il était assailli de moqueries ; celui qui, semblable à un agneau muet sous la main qui le tond, n’a pas ouvert la bouche, lorsqu’on lui disait avec insulte : Christ devine dx : Celui-là dis-je, est maintenant exalté, il reçoit maintenant les plus grands honneurs. Aujourd’hui, beaucoup de nations sont dans l’admiration à son sujet ; aujourd’hui les rois ont cessé d’ouvrir la bouche pour lancer contre les chrétiens de si cruels édits. Ils voient maintenant, ceux à qui les prophètes ne l’avaient point annoté ; ils comprennent maintenant, ceux qui n’avaient pas entendu parler de lui dy. Les nations chez qui les prophètes n’avaient pas fait retentir leurs prédictions, sont celles qui voient le mieux toute la vérité de leurs oracles ; et ceux qui n’ont pas entendu la voix même d’Isaïe, comprennent dans ses écrits de quel personnage il a parlé. Même parmi les Juifs, qui donc croyait à la parole des prophètes ? à qui donc le bras du Seigneur, c’est-à-dire, le Christ annoncé par les prophètes, était-il révélé, quand, de leurs propres mains, ils commettaient sur la personne de Jésus-Christ tant de crimes prédits par ces prophètes dont ils possédaient les oracles dz ? Maintenant enfin, il a reçu en héritage une prodigieuse multitude ; et il distribue les dépouilles des forts, quand il applique à fa construction de ses temples et aux différents besoins de l’Église, ce que tenaient en leur pouvoir le diable et les démons dont il a ruiné l’empire et démasqué l’imposture.CHAPITRE XXXII. DOCTRINE DES APÔTRES CONTRE LE CULTE DES IDOLES JUSTIFIÉE PAR LES PROPHÉTIES.
49. Que disent à cela nos adversaires qui, en donnant ail Christ de perfides louanges, décrient avec tant d’acharnement les chrétiens ? Jésus-Christ a-t-il trouvé, dans les artifices de la magie, le moyen de faire annoncer tous ces événements par les prophètes si longtemps d’avance ; ou bien, les disciples en ont-ils à plaisir imaginé l’accomplissement ? Quoi donc ! si répandue aujourd’hui parmi les nations, l’Église, autrefois stérile, se réjouit de l’emporter, par le nombre de ses enfants, sur la synagogue qui dans la Loi ou dans la personne de son roi avait reçu un mari ; si elle élargit l’espace pour ses pavillons, s’établit chez tous les peuples, et s’impose à toutes les langues, de manière à reculer ses cordages bien au-delà des conquêtes de l’empire Romain, jusque chez les Perses, les Indiens et les autres nations barbares ; si à droite, par les chrétiens sincères, à gauche, par les chrétiens apparents, son nom est au loin répandu et connu de tant de peuples ; sises enfants possèdent les nations en héritage et peuvent habiter maintenant les villes autrefois étrangères au vrai culte de Dieu et à la vraie religion ; si elle n’a craint ni les menaces ni les fureurs du monde, quand le sang des martyrs lui faisait comme un glorieux vêtement de pourpre ; si elle a prévalu contre la violence des persécuteurs nombreux, puissants, acharnés à sa perte ; si elle ne rougissait pas d’être en exécration, quand c’était un grand crime de devenir ou d’être chrétien, et oublie maintenant pour toujours son humiliation, parce que là où avait abondé le péché a surabondé la grâce ea ; si elle ne se souvient plus de la honte de son délaissement, parce que, abandonnée pour un peu de temps et soumise à l’opprobre, elle voit refleurir sa gloire d’une manière éclatante ; enfin si le Seigneur, le Dieu d’Israël, qui l’a faite et l’a délivrée de la puissance du diable et des démons, est appelé maintenant le Dieu de toute la terre : tous ces événements prédits, tant d’années avant que le Christ devint le fils de l’homme, par des prophètes dont aujourd’hui les livres se trouvent entre les mains des ennemis du Christ ; tous ces faits accomplis aujourd’hui ont-ils été imaginés par les disciples de Jésus-Christ ? 50. Qu’ils comprennent donc enfin ce qui n’est plus obscur ni douteux même pour les esprits les plus lents et les plus bornés qu’ils comprennent, ces hommes pervers, dont nous entendons les éloges en faveur du Christ et les imprécations contre la religion chrétienne, que les disciples de Jésus-Christ ont puisé dans sa doctrine leur enseignement contraire aux dieux du paganisme. Car le Dieu d’Israël qui a prescrit, comme on le voit dans les livres des prophètes, de tenir en abomination et de renverser partout les idoles que les païens veulent adorer, se trouve maintenant, selon sa promesse bien antérieure au fait, appelé le Dieu de toute la terre par le moyen de Jésus-Christ et de l’Église de Jésus-Christ. Si par une étrange folie ces hommes supposent que Jésus-Christ fut un adorateur de leurs dieux, et que par eux il devint capable d’opérer tant de prodiges ; le Dieu d’Israël, les a-t-il aussi adorés, lui qui, après avoir promis que toutes les nations l’adoreraient uniquement, et que toutes les idoles devenues un objet d’horreur seraient détruites, a réalisé sa promesse par Jésus-Christ ? Où sont maintenant les dieux des païens ? Où les devins furieux et les pythonisses rendent-ils leurs oracles ? Où sont les augures, les auspices, les aruspices et les oracles des démons ? Pourquoi ne montre-t-on dans les anciens livres où se trouvent consignés les monuments de l’idolâtrie, aucun avertissement, aucune prédiction contre la foi chrétienne et contre la vérité de nos prophètes, aujourd’hui si clairement révélée dans toutes les nations ? Nous avons, disent-ils, offensé nos dieux, et ils nous ont abandonnés ; c’est pour cela que les chrétiens ont prévalu contre nous et que nous voyons s’arrêter, décroître et disparaître la félicité du monde. Qu’ils veuillent nous montrer dans les livres de leurs devins, un oracle d’après lequel les chrétiens devaient leur causer tous ces maux ; qu’ils lisent des passages où leurs dieux aient maudit et réprouvé, sinon le Christ, qui suivant eux a fléchi les genoux devant les idoles, au moins le Dieu d’Israël, à qui l’on est bien obligé d’en attribuer la ruine. Mais jamais ils ne produiront, dans ce sens, que ce qu’ils pourraient eux-mêmes avoir inventé depuis peu de temps. Et s’ils le font, la vérité les confondra, car une chose si importante n’aurait pu demeurer jusqu’alors dans un tel secret, et sans aucun doute on l’aurait publiée avant l’événement, sous les voûtes des temples de toutes les nations païennes, afin d’avertir, et de prémunir contre la désertion, ceux qui aujourd’hui veulent être chrétiens.CHAPITRE XXXIII. LES TEMPS CHRÉTIENS ONT-ILS DIMINUÉ LÉ BONHEUR SUR LA TERRE ?
51. Nos adversaires se plaignent aussi que depuis l’apparition du Christianisme, les hommes sont loin de jouir du même bonheur. Qu’ils prennent donc la peine de lire les ouvrages de leurs philosophes ennemis de ces plaisirs dont ils sont privés aujourd’hui à leur grand regret, et ils trouveront de quoi louer beaucoup les temps chrétiens. Car en quoi leur félicité se trouve-t-elle diminuée, à moins qu’ils ne lui donnent pour objet ce dont leur débauche faisait un abus si indigne au grand mépris du Créateur ? Le malheur des temps viendrait-il de ce que les théâtres, écoles publiques de honteuses dissolutions et de toutes sortes de crimes, s’écroulent dans presque toutes les villes avec les édifices, les murailles dont l’enceinte était consacrée au culte des démons ? Mais pourquoi tombent-ils, sinon parce que les objets dont l’usage infâme et sacrilège en avait motivé la construction, ont presque disparu ? Est-ce que leur grand orateur Cicéron, en faisant l’éloge d’un comédien nommé Roscius, ne l’a pas dit tellement habile que lui seul était digne de paraître sur la scène, et tellement homme de bien que lui seul méritait de ne jamais devoir y mettre le pied ▼▼Cic. Discours pour Rosc
. Qu’est-ce à dire ? N’a-t-il pas avoué par là très-clairement que ces théâtres étaient si honteux, qu’un homme de bien devait d’autant moins y paraître qu’il était plus homme de bien ? Et cependant on se rendait les dieux propices par ces infamies, auxquelles, selon l’orateur, il eût fallu que les honnêtes gens demeurassent étrangers. Rappelons encore ici un témoignage formel du même Cicéron. Il déclare qu’il doit se concilier la faveur de la déesse Flore, en célébrant les jeux que l’usage a établis ▼▼Id. Dis 5, cont. Verrès.
. Or, ces jeux étaient caractérisés par un tel oubli de mœurs que, près d’eux, tous les autres dont il interdit la participation aux hommes de bien, doivent passer pour honnêtes. Quelle est cette Flore, cette déesse mère, qu’une dissolution plus éclatante et plus effrontée rend favorable et propice ? Combien il était moins honteux à Roscius de paraître sur le théâtre, qu’à Cicéron d’honorer une telle déesse ? Si les dieux sont offensés parce qu’ils voient disparaître tant d’ignobles ressources de leur culte, on peut juger quels sont ces dieux qui prennent plaisir à de pareils hommages. La diminution de ces biens est-elle un effet de leur colère ? alors il est plus utile d’éprouver leur courroux que d’obtenir leur protection. Ainsi, que les païens désavouent leurs philosophes qui ont condamné de tels désordres dans les hommes débauchés, ou qu’ils brisent leurs dieux qui veulent être honorés de la sorte ; si toutefois ils en trouvent encore aujourd’hui soit à briser soit à cacher. Mais qu’ils cessent leurs blasphèmes contre les temps chrétiens ; qu’ils cessent de reprocher aux temps chrétiens la privation de ces biens inférieurs, source de honteux et funestes excès, pour ne pas nous fournir à leurs dépens un nouveau motif de louer la puissance de Jésus-Christ. CHAPITRE XXXIV. CONCLUSION. Je pourrais dire encore beaucoup de choses, si le titre de mon ouvrage ne m’obligeait à clore maintenant ce livre e t à revenir au dessein que je me suis proposé. Car j’ai entrepris de résoudre les difficultés de certains passages de l’Évangile où plusieurs ennemis de la foi chrétienne prétendent que les quatre Évangélistes ne sont pas d’accord. Or, après avoir exposé, comme j’ai pu, l’intention de chacun d’eux, il m’a fallu, pour répondre à la question de quelques païens, expliquer d’abord pourquoi nous ne montrons aucun écrit du Christ lui-même. Ils veulent faire croire, en effet, que l’on a de Jésus-Christ, je ne sais quel livre, bien différent de l’Évangile et conforme à leurs goûts ; ils veulent faire croire que Jésus-Christ n’a pas réprouvé les dieux du paganisme, mais les a au contraire adorés comme magicien, et que ses disciples, outre le mensonge dont ils se sont rendus coupables, en faisant passer pour le Dieu créateur de toute chose, un simple mortel doué d’une sagesse supérieure, ont encore substitué leur doctrine à la sienne, en ce qui regarde les dieux des nations. Alors nous les avons surtout pressés au sujet du Dieu d’Israël qui, par l’Église des chrétiens se trouve maintenant adoré de tous les peuples ; qui a ruiné en tous lieux le culte faux et sacrilège des divinités païennes, comme ses prophètes l’avaient prédit si longtemps d’avance, et a réalisé toutes ses prédictions par le nom de Jésus-Christ, en qui devaient être bénies toutes les nations, suivant sa promesse. D’où ils doivent conclure d’abord, que Jésus-Christ n’a pu penser ni enseigner que ce que lui-même, le Dieu d’Israël, a ordonné et prédit par ses prophètes : car c’est le Dieu d’Israël qui a fait annoncer, c’est lui qui a envoyé Jésus-Christ ; et quant au nom du Christ toutes les nations ont été bénies, selon la promesse du Dieu d’Israël aux anciens, c’est alors que Celui-ci a été appelé le Dieu de toute la terre. D’où ils doivent Conclure, en second lieu, que les disciples de Jésus-Christ n’ont pas dévié de la doctrine de leur maître, quand ils ont défendu d’adorer les dieux des nations, pour nous empêcher ou de faire des vœux à des idoles privées de sens, ou d’avoir société avec les démons, ou de rendre un culte religieux à la créature de préférence au Créateur.
CHAPITRE XXXV. LE MYSTÈRE DU MÉDIATEUR DANS LES PROPHÉTIES ET L’ÉVANGILE.
53. Le Christ est lui-même la Sagesse de Dieu, par qui toute chose créée a reçu l’être, et nulle autre intelligence soit dès anges, soit des hommes ne devient sage qu’en participant à cette éternelle sagesse à laquelle nous unit l’Esprit Saint, ce dernier terme d’une adorable Trinité en un seul Dieu, et la source d’où découle la charité dans nos cœurs. C’est pourquoi la divine providence, attentive à l’intérêt de pauvres mortels, dont la vie temporelle était absorbée par le mouvement des choses qui commencent et finissent, leur est venue en aide. Cette même Sagesse a pris la nature humaine en unité de personne, afin de naître, de vivre, de mourir et de ressusciter dans le temps, de dire et de faire, de souffrir et d’endurer des choses, appropriées à notre salut ; et elle a ainsi présenté aux hommes ici-bas l’exemple du retour, comme aux anges dans les hauteurs célestes un exemple de persévérance. S’il ne se produisait, en effet, jusque dans la nature de l’âme raisonnable, quelque fait nouveau, c’est-à-dire, quelque chose qui n’étant pas commence à être dans le temps, jamais elle ne passerait d’une vie insensée et très misérable à la vie sage et bienheureuse. Aussi, comme la possession de la vérité, pour ceux qui la contemplent en elle-même, est la jouissance des choses éternelles, et que la foi, pour ceux qui croient, doit s’appliquer à des choses dont l’existence a commencé, l’homme se purifie dans la foi de mystères temporels, afin d’être capable de voir et de posséder la vérité des choses éternelles. C’est ce que Platon, le plus célèbre de tous leurs philosophes, a très-bien exprimé dans son livre intitulé le Timée : « La possession de la vérité par rapport à la foi, dit-il, c’est l’éternité par rapport à ce qui commence. » Or l’éternité et la vérité sont en haut ; la ; foi et ce qui a eu commencement se trouvent dans une région inférieure. Ainsi pour nous élever de notre bassesse à ce qui est au-dessus de tout, et pour faire participer à l’éternité ce qui a eu yin commencement, il nous tant par la foi venir à la vérité. Et puisqu’un terme moyen est nécessaire pour rapprocher des choses qui suivent une direction opposée et que l’iniquité du temps nous éloignait de l’éternelle justice ; il nous fallait donc la médiation d’une justice qui tint à la fois du temps et de l’éternité, de la terre et du ciel, et qui sans rompre avec les choses d’en haut s’accommodât à celles d’en bas, de manière à réunir les unes aux autres. C’est pour cela que le Christ a été appelé médiateur de Dieu et des hommes ed. Dieu et homme entre. Dieu immortel et l’homme mortel, devenu ce qu’il n’était pas en demeurant ce qu’il était, il nous réconcilie avec Dieu ee : et celui qui est la vérité dans les choses éternelles, est aussi pour nous la foi dans les choses que le temps a vu naître. 54. Ce grand mystère, que nulle langue humaine ne peut dignement exprimer, ce mystère du Roi-pontife révélé aux anciens par la prophétie, est maintenant prêché au monde par l’Évangile. Il fallait, en effet, qu’un jour, dans toutes les nations fût accomplie la promesse faite depuis si longtemps parle ministère d’une seule nation. C’est pourquoi celui qui avant sa descente du ciel sur la terre envoyait les prophètes, a aussi envoyé les Apôtres après son ascension de la terre au ciel. Or, parla nature humaine dont il a voulu se revêtir, il est comme la tête de tous ses disciples qui doivent être considérés comme les membres de son corps. Par conséquent, quand les disciples ont écrit sa vie et ses discours, on ne peut prétendre que lui-même n’a rien écrit, puisque les membres n’ont agi en cela que sous l’inspiration et suivant la volonté du chef. Car il leur a commandé comme à ses mains d’écrire ce qu’il a voulu nous faire lire de ses actes et de ses paroles. Quiconque saura ainsi comprendre le ministère des Apôtres, et considérer les disciples du divin maître comme des membres qui gardent l’unité et une harmonie parfaite en exécutant différentes fonctions sous un seul et même chef, recevra tout ce que leurs récits lui présentent dans l’Évangile, comme si la main même du Seigneur l’écrivait devant lui. Nous pouvons donc voir maintenant quelles sont les contradictions que l’intelligence bornée de nos adversaires croit apercevoir et qu’ils reprochent aux Évangélistes. Quand les objections particulières seront résolues, on aura une nouvelle preuve que les disciples de Jésus-Christ, membres d’un même chef, sont demeurés dans les termes d’une concorde fraternelle, non-seulement par la conformité de leurs sentiments, mais aussi par l’accord de leurs écrits.LIVRE SECOND. De l’Incarnation à la Cène. Nul désaccord entre les quatre Évangélistes.
PROLOGUE.
1. Dans un discours assez long pour former un premier Livre, discours d’ailleurs très-nécessaire, nous avons réfuté la sotte erreur de ces païens, qui jugent indigne de toute confiance et de tout égard la rédaction de l’Évangile due aux disciples de Jésus-Christ, parce que nous ne montrons aucun écrit venant de Jésus lui-même. Selon eux, Notre-Seigneur a droit aux hommages de la terre, non, il est vrai, comme un Dieu, mais comme un homme doué d’une sagesse bien supérieure à celle des plus célèbres philosophes ; seulement, ils voudraient bien aussi le faire passer pour l’auteur de certaines maximes vantées par eux, maximes capables de plaire à des âmes perverses, non de corriger la perversité des lecteurs eu devenant l’objet de leur croyance. Nous avons fait justice de ces billevesées ; voyons ! donc maintenant dans ce que les quatre évangélistes ont écrit du Sauveur, l’accord que chacun a su garder avec lui-même et avec les trois autres. Il se rencontre des gens plus curieux que capables, qui, après avoir non pas lu d’une manière quelconque, mais étudié avec une application particulière les livres évangéliques, croient y remarquer, en divers endroits des choses incompatibles et contradictoires, et songent moins à en faire un examen sérieux et prudent qu’à les relever avec contention. Nous voulons leur ôter cette pierre d’achoppement pour la foi chrétienne.
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