jIb, 9, 10-17
Matthew 14:3-11
CHAPITRE XLIV. EMPRISONNEMENT ET MORT DE JEAN-BAPTISTE.
92. Saint Matthieu en effet continue ainsi : « Car, Hérode, ayant fait arrêter Jean-Baptiste, l’avait chargé de fers, et fait jeter en prison, à cause d’Hérodiade femme de son frère », et le reste, jusqu’à l’endroit où il dit : « Ses disciples vinrent ensuite prendre son corps, l’ensevelirent et allèrent porter cette nouvelle à Jésus a. » C’est ce, que raconte aussi saint Marc et dans le même ordre b. Mais saint Luc rappelle cet emprisonnement du précurseur, dans une autre occasion, au moment même du baptême de Jésus. Ce qui prouve qu’il raconte ce fait par avance. Car après avoir rapporté que Jean-Baptiste disait du Seigneur qu’il avait le van à la main, qu’il nettoierait son aire, mettrait le bon grain dans son grenier et brûlerait la paille dans un feu éternel ; il ajoute aussitôt le fait de l’emprisonnement que saint Jean l’évangéliste démontre clairement n’avoir eu lieu que plus tard ; car il dit qu’après son baptême, Jésus alla en Galilée, y changea l’eau en vin, demeura quelques jours à Capharnaüm, puis revint dans la terre de Judée, où il baptisa beaucoup de monde sur les bords du Jourdain, avant que Jean-Baptiste eût été mis en prison c. Quine croirait, s’il est peu versé dans la connaissance des saintes lettres, que ce fut en parlant du van et de l’aire nettoyée que saint Jean offensa Hérode, et que celui-ci le fit aussitôt jeter en prison ? La vérité, comme nous l’avons déjà démontré ailleurs, c’est que les choses ne sont pas relatées dans l’ordre où elles se sont accomplies ; la preuve en est ici même, dans le texte de saint Luc d. S’il était vrai que Jean eût été jeté en prison aussitôt après son, discours, comment expliquerait-on ce que dit le même évangéliste, que Jésus fut ensuite baptisé par saint Jean ? Il est donc manifeste que saint Luc s’est rappelé ce fait accidentellement et en a parlé par anticipation, et avant beaucoup d’autres choses qui ont précédé la détention de Jean-Baptiste. Ni saint Matthieu ni saint Marc, ne rapportent eux-mêmes ce fait dans l’ordre où il a eu lieu suivant le témoignage même de leurs écrits. Car eux aussi nous disent que Jean-Baptiste ayant été arrêté, le Sauveur alla en Galilée e ; c’est après avoir relaté de nombreux miracles opérés par Jésus dans ce pays, qu’ils en viennent à parler de la conviction ou de l’hésitation d’Hérode sur la prétendue résurrection de Jean qu’il avait fait décapiter f, et des circonstances de l’emprisonnement et de la mort de Jean-Baptiste.CHAPITRE XLV. MIRACLE DES CINQ PAINS.
93. Après avoir rappelé que la nouvelle de, la mort de Jean fut portée à Jésus-Christ, saint Matthieu poursuit ainsi : « Jésus, ayant appris cela, partit de là dans une barque pour se retirer à l’écart dans un lieu désert. Et le peuple l’ayant su, le suivit à pied, de diverses villes. Lors donc qu’il sortit de la barque, il vit une grande foule, il en eut pitié et guérit leurs malades g. » Selon le texte de l’évangéliste, ceci eut lieu immédiatement après la mort du précurseur. Par conséquent ce qui est raconté plus haut des miracles de Jésus, dont la nouvelle troubla Hérode et lui fit dire : « J’ai fait trancher la tête à Jean », n’arriva que plus tard. On doit en effet regarder comme postérieures des actions qui, portées à la connaissance d’Hérode par la renommée, le jetaient dans le trouble, et lui donnaient lieu de se demander quel pouvait être celui dont il apprenait de si grandes merveilles, après avoir fait couper la tête à Jean-Baptiste. Mais après avoir parlé du martyre de Jean, saint Marc rapporte que les disciples envoyés par Jésus revinrent près de lui, et lui rendirent compte de ce qu’ils avaient fait et enseigné ; qu’ensuite, et lui seul parle de ceci, Jésus leur dit de se reposer un peu à l’écart ; qu’il monta sur. une barque et se rendit avec eux dans un autre lieu ; qu’une foule nombreuse informée de leur départ s’y trouvait déjà quand ils arrivèrent ; que le Sauveur ayant pitié de cette foule, l’enseigna longuement et que, l’heure étant déjà bien avancée, il nourrit tous ceux qui étaient là avec cinq pains et deux poissons h. Les quatre évangélistes ont tous rapporté ce miracle. Saint Luc même, après avoir plus haut, et à l’occasion dont nous avons parlé, raconté ce qui regarde l’emprisonnement de Jean-Baptiste i ; joint ici d’une manière immédiate à ce qu’il vient de dire de l’hésitation d’Hérode touchant la personne du Seigneur, les faits relatés par saint Marc ; savoir, que les Apôtres revinrent près de Jésus, lui rendirent compte de ce qu’ils avaient fait, et que, les prenant avec lui, le Sauveur se retira à l’écart dans un lieu désert ; qu’il y vit arriver une foule considérable, à qui il parla du royaume de Dieu et dont il guérit les malades. C’est après cela qu’il raconte aussi le miracle des cinq pains opéré vers le déclin du jour j. 94. Quant à saint Jean, qui diffère beaucoup des trois autres, en ce qu’il s’arrête plus aux discours qu’aux actions merveilleuses de Notre-Seigneur, il dit d’abord que Jésus quittant la terre de Juda prit de nouveau le chemin de la Galilée, ce qui doit s’entendre du voyage qu’y fit Jésus, au rapport des trois autres évangélistes, lorsque Jean eut été mis en prison ; après avoir rappelé cela, il rapporte ce que dit le Seigneur en traversant le pays de Samarie et en rencontrant la Samaritaine près du puits de Jacob ; il ajoute qu’au bout de deux jours le Sauveur se remit en marche pour venir en Galilée ; qu’il se rendit à Cana où précédemment il avait changé l’eau en vin, et qu’il guérit alors le fils d’un officier k. Il ne parle pas des autres actions ni des autres discours que les autres évangélistes attribuent à Jésus pendant son séjour en Galilée : mais, ce que n’a relevé aucun d’eux, il dit que le jour de la grande fête des Juifs il se rendit à Jérusalem, et y guérit miraculeusement cet homme qui, depuis trente-huit ans malade, n’avait personne pour le descendre dans la piscine où trouvaient leur guérison ceux qui souffraient de quelque infirmité. Il rappelle ensuite un long discours de Jésus-Christ à cette occasion ; puis il nous le montre passant à l’autre bord de la mer de Galilée, c’est-à-dire du lac de Tibériade, et suivi d’une grande multitude ; allant ensuite sur une montagne et s’y reposant avec ses disciples ; c’était aux approches de la fête de Pâque pour les Juifs, et c’est alors qu’ayant levé les yeux et voyant une foule très-considérable, il la nourrit avec cinq pains et deux poissons l, ce que rapportent également les autres évangélistes. Il a donc omis sûrement les faits qui conduisent ceux-ci au récit du miracle dont nous parlons. Mais ces derniers ayant de même gardé le silence sur des choses relatées par lui, on voit que tous sont arrivés au récit de ce miracle comme par des chemins différents ; eux en marchant à-peu-près du même pas, et lui en volant en quelque sorte à la poursuite de ce qu’il y avait de plus relevé dans les discours du Seigneur, et en redisant ce qu’ils omettent, il s’est rencontré avec eux pour retracer la multiplication des cinq pains et pour reprendre bientôt son essor vers des régions supérieures.CHAPITRE XLVI. ENCORE DU MIRACLE DES CINQ PAINS.
95. Saint Matthieu, poursuivant son récit, arrive ainsi au fait même de ce miracle. « Or le soir étant venu, les disciples s’approchèrent de Jésus et lui dirent : Ce lieu-ci est désert et il est déjà bien tard ; renvoyez-le peuple, afin que tous aillent dans les villages acheter de quoi manger. Mais Jésus leur dit : Il n’est pas nécessaire qu’ils y aillent ; donnez-leur vous-mêmes à manger », et le reste, jusqu’à l’endroit où nous lisons : « Le nombre de ceux qui mangèrent fut de cinq mille hommes, sans compter les femmes et les petits enfants m. » Arrêtons-nous donc à bien examiner ce fait que nous trouvons dans les quatre récits n, et où on prétend voir entre eux quelque opposition ; et faisons remarquer, afin qu’on s’en souvienne pour tout autre passage semblable, que d’après les règles du langage la différence des expressions n’empêche pas d’énoncer la même pensée et de conserver aux choses la même couleur. Nous pourrions commencer, par saint Matthieu, le premier des évangélistes ; mais il vaut mieux commencer par saint Jean, qui va jusqu’à nommer les disciples avec lesquels Jésus parla de son dessein. Voici comme il raconte le fait : « Jésus donc ayant levé les yeux et voyant qu’une fort grande multitude de peuple était venue à lui, dit à Philippe : Où pourrons-nous acheter assez de pains pour donner à manger à tout ce monde ? Philippe lui répondit : Quand on aurait pour deux cents deniers de pain, cela ne suffirait pas pour leur en donner à chacun un petit morceau. Un autre de ses disciples, André, frère de Simon Pierre, lui dit : Il y a ici un petit garçon qui a cinq pains d’orge et deux poissons ; mais qu’est-ce que cela pour tant de gens ? Jésus leur dit : Faites-les asseoir. Or il y avait en ce lieu beaucoup d’herbe ; et environ cinq mille hommes s’y assirent. Jésus prit donc les pains ; et après avoir rendu grâces, il les distribua à ceux qui étaient assis et on leur donna de même.des deux poissons autant qu’ils en voulurent. Après qu’ils furent rassasiés, il dit à ses disciples : Amassez les morceaux qui sont restés, afin que rien ne se perde. Et les ayant amassés ils emplirent douze corbeilles des morceaux qui étaient restés des cinq pains d’orge, après que tous en eurent mangé o. » 96. On n’a pas à rechercher ici ce qu’étaient ces pains, puisque l’Évangéliste déclare que c’étaient des pains d’orge ; quoique là dessus les trois autres gardent le silence. Il ne s’agit pas non plus d’examiner ce qu’il ne dit pas des femmes et des petits enfants, puisque selon saint Matthieu, ils étaient en dehors. des cinq mille hommes. Si l’un rapporte une chose dont l’autre a négligé de parler, y a-t-il là une difficulté ? Non, et c’est ce qui doit être maintenant hors de doute, ce qu’il faut tenir comme un principe toutes les fois que le cas se présente. Mais comment sont vrais de tout point les quatre récits dans ce qu’ils contiennent ? et n’est-il aucun détail qui les mette en contradiction les uns avec les autres ? voilà une question que nous avons à traiter. Si en effet, comme le rapporte saint Jean, Notre-Seigneur, après avoir vu la multitude, demanda à Philippe, pour le tenter, où il serait possible d’avoir des vivres pour tout ce monde ; on peut se demander comment les trois autres peuvent avoir, raison de raconter que d’abord les disciples de Jésus-Christ lui dirent de renvoyer la foule, afin que chacun pût acheter des aliments dans les lieux voisins, et que le Seigneur répondit, d’après saint Matthieu : « Il n’est pas nécessaire qu’ils y aillent ; donnez-leur à manger vous-mêmes. » Ces mots : « Il n’est pas nécessaire qu’ils y aillent », n’ont pas été reproduits par saint Marc ni par saint Luc. Et c’est ici toute la différence entre eux et saint Matthieu. Ce serait donc après cela que le Sauveur aurait jeté les yeux sur la multitude et dit à Philippe ce que nous lisons dans le seul texte de saint Jean. Quant à la réponse que celui-ci prête à Philippe, saint Marc la présente comme ayant été faite par les disciples ; pour faire entendre que cet Apôtre exprimait alors la pensée commune ; à moins que, comme il arrive très-fréquemment, les trois évangélistes n’aient employé le nombre pluriel pour le singulier. Ainsi donc, ces paroles de Philippe, dans saint Jean : « Eût-on pour deux cents deniers de pain, cela ne suffirait pas pour leur en donner à chacun un petit morceau », reviennent à celles-ci de saint Marc : « Allons acheter pour deux cents deniers de pain, et nous leur donnerons à manger. » La question de Jésus : « Combien avez-vous de pains ? » que l’on trouve encore dans saint Marc, n’a pas été rappelée par les autres ; et l’observation que fit André, selon l’évangéliste saint Jean, qu’il y avait là cinq pains et deux poissons, saint Matthieu, saint Marc et saint Luc l’attribuent aux disciples par l’emploi du nombre pluriel an lieu du nombre singulier. De plus saint Luc réunit dans une même phrase la réponse de Philippe et celle d’André. Car ces mots : « Nous n’avons que cinq pains et deux poissons », sont la réponse du dernier ; et ces autres : « A moins peut-être que nous n’allions acheter des vivres à tout ce peuple », paraissent être la réponse de Philippe, sauf les deux cents deniers, qui peuvent venir d’André. Car après avoir dit : « Il se trouve parmi nous un petit enfant qui a cinq pains et deux poissons » il ajouta : « Mais qu’est-ce que cela pour tant de monde ? » ce qui, revient aux paroles : « À moins peut-être que nous n’allions acheter des vivres pour toute cette multitude. » 97. D’un pareil accord pour le fond et les pensées, avec une telle différence dans les termes, résulte assez clairement pour nous l’utile leçon de ne chercher dans les mots que l’intention de ceux qui parlent. C’est à faire bien ressortir cette intention que doivent s’appliquer tous les narrateurs véridiques, quand ils racontent quelque chose soit d’un homme, soit de Dieu, soit d’un ange. Leurs discours, en effet, peuvent la révéler sans présenter entre eux aucune divergence pour le fond. 98. Mais voici une observation qu’il ne faut pas négliger, afin de prévenir l’embarras que pourrait éprouver le lecteur, dans la rencontre de tout autre passage semblable. D’après saint Luc on fit asseoir la foule par groupes de cinquante, et d’après saint Marc par groupes de cinquante et par groupes de cent. La difficulté ne peut venir ici de ce que l’un rapporte tout ce qui s’est fait et l’autre une partie seulement. Celui en effet qui fait mention des groupes de cent personnes en même temps que des groupes de cinquante, dit ce que l’autre a passé sous silence ; il n’y a donc point de contradiction. Mais il y en aurait eu quelque apparence, si l’un, par exemple, avait seulement parlé des groupes de cinquante et l’autre seulement des groupes de cent, et il ne serait pas facile de voir dans leurs récits deux choses également véritables relatées séparément. Qui n’avouera néanmoins qu’il faudrait en venir à cette conclusion après un examen plus attentif ? J’ai fait cette remarque, parce que l’on rencontre souvent dans les Évangélistes des passages semblables que le défaut de réflexion et la précipitation font regarder comme opposés, quand ils ne le sont aucunement.CHAPITRE XLVII. JÉSUS MARCHANT SUR LES EAUX.
99. Saint Matthieu continue ainsi : « Après avoir congédié la foule, Jésus monta sur une montagne pour y prier seul. La nuit venue, il y était donc seul. Cependant la barque était fort battue des flots au milieu de la mer, parce que le vent était contraire. Mais à la quatrième veille de la nuit, Jésus vint à eux marchant sur la mer. Lorsqu’ils le virent ainsi marcher sur l’eau, ils furent troublés et s’écrièrent : C’est un fantôme », et le reste, jusqu’à l’endroit où nous lisons : « Ils s’approchèrent de lui et l’adorèrent en disant : Vous êtes vraiment le Fils de Dieu p. » Saint Marc rapporte aussi le même fait après ce qu’il a raconté du miracle des cinq pains. « Le soir étant venu, dit-il, la barque se trouvait au milieu de la mer, et Jésus était seul à terre. Et voyant qu’ils avaient beaucoup de mal à ramer, parce que le vent leur était contraire q. etc » C’est un récit pareil à celui de saint Matthieu, sauf qu’il ne dit rien de Pierre marchant sur les eaux, et qu’il nous apprend qu’en y marchant Jésus voulait dépasser ses disciples. Cette circonstance ne doit embarrasser personne. En effet comment put venir aux disciples l’idée d’une pareille intention, si ce n’est parce que Jésus allait d’un autre côté, affectant de passer devant eux comme devant des étrangers, dont il était alors si peu connu qu’ils le prenaient pour un fantôme ? Mais quel homme aurait l’esprit assez lourd pour prendre ceci à la lettre ? Du reste, quand les disciples troublés poussèrent un cri, Jésus vint à eux en leur disant : « Ayez confiance ; c’est moi ; ne craignez point. » Comment donc voulait-il passer outre, lui qui les rassura de telle sorte ? Ne voit-on pas qu’en s’éloignant, il avait dessein de leur faire jeter ce cri, qui l’obligeait à les secourir ? 100. Jusque-là nous retrouvons encore l’Évangéliste saint Jean avec saint Matthieu et saint Marc. Lui aussi, après avoir raconté le miracle des cinq pains, parle de la barque luttant contre les flots, et du Seigneur marchant sur les eaux. Car voici comment il continue sa narration : « Jésus donc, sachant qu’ils devaient venir pour l’enlever et le faire roi, s’enfuit de nouveau sur la montagne, sans être accompagne de personne. Le soir venu, ses disciples descendirent près de la mer et montant dans une barque ils passèrent de l’autre côté à Capharnaüm : il était déjà nuit, et Jésus n’était pas encore revenu à eux. Cependant le vent soufflait avec violence, et la mer s’enflait r, etc. » On ne peut trouver ici l’apparence d’aucune contradiction. Il est vrai, dans le texte de saint Matthieu nous ne voyons le Sauveur gagner le haut ale la montagne pour y prier seul, que quand il eut congédié la foule, au lieu que d’après saint Jean, il y était déjà lorsqu’il vit cette multitude et qu’il la nourrit avec cinq pains. Mais comme saint Jean nous dit lui-même qu’après ce miracle, il s’enfuit sur la montagne pour ne pas être enlevé par la foule qui voulait le faire roi ; n’est-il pas évident que du haut de la montagne où il se trouvait d’abord il était descendu sur un terrain plus uni quand les disciples distribuèrent les pains à tout le peuple ? On comprend ainsi comment Jésus put regagner le sommet de la montagne, comme le disent saint Marc et saint Jean. Pourtant nous lisons dans saint Matthieu : « Jésus monta » et dans saint Jean : « il s’enfuit ; » mais ces deux termes ne seraient opposés l’un à l’autre que si en fuyant il n’eût pas monté. Il n’y a pas plus de contradiction quand saint Matthieu écrit : « Il monta sur la montagne pour y prier seul », et que saint Jean nous fait lire : « Ayant su qu’on allait venir pour le faire roi il s’enfuit de nouveau sur la montagne. » Car le motif énoncé par l’un n’exclut pas le motif indiqué par l’autre. Aussi bien le Seigneur, qui a transformé en lui notre corps vil et abject pour le rendre conforme à son corps glorieux s, nous apprenait en joignant ainsi la prière à la fuite, qu’il y a pour nous grande raison de prier quand il y a raison de fuir. Si saint Matthieu représente d’abord le Sauveur donnant l’ordre aux disciples d’entrer dans une barque afin de passer de l’autre côté du lac, pendant que lui-même renverrait la foule, et nous le montre ensuite allant sur la montagne pour y prier seul ; et si saint Jean le montre fuyant d’abord sur la montagne, et dit seulement ensuite : « Le soir étant venu, ses disciples descendirent près de la mer, et entrant dans une barque ils passèrent de l’autre côté », etc ; il n’y a non plus aucune contradiction. Car ne voit – on pas que pour abréger, et comme on fait souvent, l’Évangéliste rappelle le voyage commandé aux disciples par Jésus avant sa fuite sur la montagne ? Mais comme il ne dit pas qu’il reprend ici un détail antérieur, et surtout parce qu’il l’énonce en deux mots, ceux qui lisent ce passage croient facilement que les choses ont été faites suivant l’ordre où elles sont exposées. C’est encore ainsi qu’après avoir dit que les disciples étant montés sur une barque passèrent au de là de la mer et se rendirent à Capharnaüm, cet Évangéliste raconte que le Sauveur vint à eux marchant sur les eaux lorsqu’ils ramaient péniblement : tandis que, sans aucun doute ce fut dans le cours même de leur navigation vers Capharnaüm. 101. Mais après avoir rapporté le miracle des cinq pains, saint Luc passe à un sujet différent et ne suit plus le même ordre. Il ne parle pas de la barque ni de Jésus marchant sur les eaux ; et après avoir dit : « Ils en mangèrent et furent rassasiés ; et l’on emporta douze paniers des morceaux qui restaient », il ajoute : « Un jour qu’il était seul en prière, ayant ses disciples avec lui, il leur demanda : Qui le peuple dit-il que je suis t ? » Ainsi donc tandis que les trois autres Évangélistes nous montrent Jésus marchant sur les eaux pour rejoindre ses disciples qui étaient dans la barque, saint Luc rapporte d’autres faits. Si en disant : « Jésus étant seul en prière », il paraît reprendre comme saint Matthieu qui écrit : « Jésus monta sur une montagne pour prier seul », ne croyons pas pour cela qu’il s’agisse ici de la même montagne où le Seigneur demanda : « Qui dit-on que je suis. » Il est hors de doute que ce l’ut ailleurs, puisqu’en priant seul Jésus avait pourtant ses disciples avec lui. Car saint Luc en disant qu’alors il était seul, n’exclut pas les disciples, comme saint Matthieu et saint Jean qui nous les montrent quittant le Sauveur pour le précéder à l’autre bord de la mer. Aussi cet Évangéliste ajoute formellement : « Et les disciples étaient avec lui. » Si donc il le dit seul, c’est pour faire entendre que la foule ne l’accompagnait pas.
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