‏ Matthew 2:2

Voir aussi les Sermons sur la nativité au chap. 1 et 2 de St Luc.

DIX-NEUVIÈME SERMON. SUR L’ÉPIPHANIE DE NOTRE-SEIGNEUR.

ANALYSE. —1. Jésus-Christ révélé aux Juifs et aux Gentils. —2. Biens qu’il apporte aux uns et aux autres. —3. Les Mages l’adorent ; Hérode veut le faire mourir. —4. Massacre des Innocents. —5. Conclusion.

1. Il y a peu de jours, nous avons célébré, comme il vous en souvient, la naissance de Celui qui est appelé le Jour. En ce moment nous célébrons le mystère de sa manifestation, alors qu’il s’est révélé aux Gentils avec un éclat ravissant. En ce jour, selon le texte même de l’Évangile, les Mages vinrent d’Orient, cherchant le Roi des Juifs qui venait de naître, et s’écriant : « Nous avons vu son étoile en Orient et nous sommes venus l’adorer a ». Pour annoncer Jésus-Christ aux bergers d’Israël, nous avons lu que des anges étaient descendus du ciel ; et pour amener les Mages des confins de l’Orient au berceau du Sauveur, une étoile parut jetant un vif éclat dans le ciel. Soit qu’il s’agisse des Juifs avertis par des anges, soit qu’il s’agisse des Gentils guidés par une étoile étincelante, il est toujours vrai de dire que « les cieux ont raconté la gloire de Dieu b » ; et c’est par ces prémices de la foi des peuples à la nativité du Sauveur, « que notre pierre angulaire » s’est manifestée c. Ils ont cru, et bientôt ils ont prêché Jésus-Christ. Avertis par la voix des anges, les bergers ont cru ; les Mages aussi ont adoré, eux qui venaient de pays si éloignés. De son côté, Jésus-Christ, qui était venu « annoncer la paix à ceux qui étaient loin et à ceux qui étaient près d reçut », dans la paix chacun de ces peuples ; car « il est lui-même notre paix, ayant formé des uns et des autres l’unité e », c’est-à-dire de tous les peuples dont il avait reçu les prémices au moment de sa naissance ; cette unité, cependant, ne commença à se réaliser qu’après le grand miracle de l’Ascension.

2. Isaïe avait entrevu cette unification des peuples par Jésus-Christ, quand il s’écriait « Le bœuf connaît son possesseur, et l’âne l’étable de son maître f ». Le bœuf désigne ici les Israélites courbés sous le joug de la loi ; les Gentils sont désignés par l’âne, animal immonde, parce que l’impureté de l’idolâtrie séparait ces Gentils des Israélites adorateurs du vrai Dieu ; et cependant ces Gentils, comme les Juifs, devaient venir à l’étable, et après y avoir été purifiés par la foi de Jésus-Christ, participer à la table commune du corps de Jésus-Christ. C’est ainsi que le Seigneur, s’adressant à l’Église formée des deux peuples, disait : « Venez à moi, vous tous qui souffrez et êtes chargés de quelque fardeau, et je vous soulagerai. Prenez sur vous mon joug, et apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur, et vous trouverez le repos de vos âmes. Car mon joug est doux et mon fardeau est léger g ». Comme s’il eût dit au bœuf : « Mon joug est doux », et à l’âne : « Mon fardeau est léger ». Aux Juifs courbés sous le joug écrasant de la loi, il disait : « Mon joug est doux » ; aux Gentils plongés dans les voluptés naturelles et refusant le fardeau salutaire des préceptes, il disait : Pourquoi restez-vous rebelles ; pourquoi refusez-vous d’accepter le fardeau ? « Mon fardeau est léger ».

3. Aux Mages qui, à leur arrivée, demandaient où était né le Christ, les Juifs firent connaître le lieu de sa naissance, et cependant restèrent immobiles. Dans tous les livres des Prophètes, les Juifs trouvent clairement désignés Jésus-Christ et son Église, et cependant ce n’est point par eux, mais par les Gentils, que Jésus-Christ est adoré. De son côté, l’impie Hérode, apprenant des Mages la naissance du Roi des Juifs, frémit aussitôt pour sa couronne, et se flattant, « malgré l’Ange du Grand Conseil h », de triompher de ses alarmes par l’habileté de ses desseins, prend deux moyens, à ses yeux infaillibles, de s’assurer la victoire : le mensonge et la cruauté. D’abord, il ment aux Mages quand il leur dit : « Allez donc, informez-vous avec soin de l’enfant, et quand vous l’aurez trouvé, empressez-vous de m’en instruire, afin que j’aille moi-même et que je l’adore i » ; il feint ainsi de vouloir adorer Celui qu’il désirait tuer. Déçu dans ses desseins, il ordonna d’immoler, dans toute la Judée, les enfants qui pourraient avoir le même âge que Jésus-Christ. Horrible cruauté dictée par l’ambition, et qui fit couler inutilement des flots de sang innocent !

4. Vous le voyez, mes frères, Jésus-Christ est encore porté dans les bras de sa Mère, et déjà il multiplie les prodiges. Petit enfant, il triomphe d’un roi puissant ; sans armes, il se joue de la force armée ; enveloppé de langes, il dédaigne ce prince couvert de la pourpre ; couché dans une crèche, il se joue du tribunal d’un roi ; silencieux, il a ses hérauts ; caché, il trouve des témoins. Hérode, vous usez de cruauté, et parmi les persécuteurs du Christ, vous tenez le premier rang. Mais Celui « qui a le pouvoir de donner sa vie j », n’a rien à craindre de votre colère. L’aiguillon de la crainte peut vous agiter, vous pouvez brûler des feux de la fureur ; mais, pour Jésus-Christ, le temps n’est point encore venu de mourir. Toutefois, s’il vous faut satisfaire votre affreuse cruauté, faites des martyrs de Jésus-Christ. Arrachez aux embrassements des nourrices ceux que vous n’arracherez pas aux embrassements des anges. Qu’ils quittent le sein maternel pour s’élever au-dessus des astres ; qu’ils échappent aux larmes de leurs mères pour se couvrir de la gloire des martyrs ; qu’ils quittent les bras de celles qui les portent, afin qu’ils parviennent à la couronne immortelle ; qu’ils soient témoins, eux qui ne peuvent encore parler ; qu’ils rendent témoignage, ceux qui n’ont pas encore l’usage de la parole, et que ceux qui, par leur âge, ne peuvent prononcer le nom de Jésus-Christ, commencent, par sa grâce, à confesser Jésus-Christ. Hérode, vous ne connaissez pas l’ordre des décrets divins, et voilà ce qui vous trouble. Jésus-Christ est venu sur la terre, non point pour s’emparer de votre trône, mais pour subir des humiliations de toute sorte ; non pas pour s’enivrer des flatteries des peuples et de leurs adulations, mais pour s’élever sur la croix que lui auront assignée les clameurs des Juifs ; non pas pour faire scintiller sur son front le diadème royal, mais pour être méprisé sous une couronne d’épines.

5. Nous, mes frères, pour qui tout a été fait, pour qui le Très-Haut s’est humilié si profondément, pour qui un Dieu s’est fait homme, pour qui notre Créateur a été créé, pour qui notre pain a daigné avoir faim, et passant tant d’autres titres, nous pour qui notre vie a goûté les horreurs de la mort, vivons de telle sorte qu’au moins en quelque manière nous nous rendions dignes d’un si grand bienfait ; marchons sur les traces mortelles de l’humilité de Jésus-Christ, afin que nous recevions de lui la récompense éternelle. [...]

CHAPITRE VI. ÉPOQUE DE LA PRÉDICATION DE JEAN-BAPTISTE.

18. Vient ensuite ce qui a rapport à la prédication de Jean ; et c’est un point que fait ressortir chacun des quatre évangélistes. En effet, saint Matthieu, après avoir écrit les dernières paroles que j’ai citées de lui, après avoir rappelé ce témoignage d’un prophète : « Il sera appelé Nazaréen », continue ainsi son Évangile : « En ces jours Jean-Baptiste vint prêcher au désert de Judée k. » Et saint Marc qui n’a rien dit de la Nativité, ni de la première ni de la seconde enfance du Seigneur, prend son récit à la prédication même de Jean Car voici comme il débute : « Commencement de l’Évangile de Jésus-Christ, Fils de Dieu. Ainsi qu’il est écrit dans le prophète Isaïe. Voilà que, j’envoie mon ange devant ta face, et marchant devant toi, il te préparera le chemin. Voix de celui qui crie dans le désert : Préparez la voie du Seigneur ; rendez droits ses sentiers. Jean était dans le désert, baptisant et prêchant un baptême de pénitence pour la rémission des péchés, etc l. » Saint Luc, lui aussi, après ces mots : « Jésus croissait en sagesse, en âge et en grâce devant Dieu et devant les hommes », parle aussitôt de la prédication de Jean, et il dit : « La quinzième année de l’empire de Tibère César, Ponce-Pilate étant gouverneur de la Judée, Hérode tétrarque de la Galilée, Philippe, son frère, de l’Iturée et du pays de Trachonite, et Lysanias, d’Abilène ; Anne et Caïphe étant grands-prêtres, le Seigneur fit entendre sa parole à Jean, fils de Zacharie, dans le désert, etc m. » Et l’Apôtre saint Jean, qui domine de si haut les trois autres évangélistes, après avoir parlé du Verbe, Fils de Dieu, engendré avant tous les siècles de la création, puisque tout a été fait par lui, rappelle immédiatement la prédication et le témoignage de Jean – Baptiste : « Il y eut, dit-il, un homme envoyé de Dieu, qui s’appelait Jean n. » Considérons maintenant l’accord des quatre récits de l’Évangile, au sujet du saint précurseur. Je n’entends pas ici exposer en détail et réunir toutes les paroles, comme je l’ai fait un peu plus haut, quand il s’est agi des commencements du Christ né de Marie. J’ai ramené à une seule narration ce qu’en disent saint Matthieu et saint Luc, pour montrer même aux esprits les moins exercés, qu’il n’y a pas la moindre contradiction entre les deux évangélistes et que l’un, en rappelant ce que l’autre tait ou en taisant ce que l’autre rappelle, n’empêche nullement de recevoir comme vrai ce que présente le récit de chacun. Cet exemple, tel que je l’ai donné ou tel qu’on peut le donner si l’on voit un ordre meilleur, suffit pour faire sentir à tout homme que dans les autres endroits semblables les choses peuvent se traiter comme dans celui-là.

19. Maintenant donc, comme je viens de le dire, voyons au sujet de Jean-Baptiste, l’accord des quatre auteurs des récits évangéliques. Saint Matthieu continue ainsi : « Or dans ces jours, Jean-Baptiste vint prêcher au désert de Judée. » Saint Marc ne dit pas « dans ces jours », parce qu’il n’avait raconté précédemment aucun événement contemporain, qui lui permit d’user de cette formule. Saint Luc a marqué d’une manière plus précise par le nom des puissances terrestres, les temps de la prédication et du baptême de Jean, quand il a dit : « La quinzième année de l’empire de Tibère César, Ponce-Pilate étant gouverneur de la Judée, Hérode tétrarque de la Galilée, Philippe, son frère, de l’Iturée et du pays de Trachonite et Lysanias, d’Abilène ; Anne et Caïphe étant grands-prêtres, le Seigneur fit entendre sa voix à Jean, fils de Zacharie, dans le désert. » Ne croyons pas cependant que saint Matthieu ait voulu désigner l’époque où tous ces hommes exerçaient leur autorité, en disant : « Dans ces jours. » On doit appliquer son expression à un espace de temps beaucoup plus étendu ; car aussitôt qu’il nous a montré Jésus-Christ de retour d’Égypte après la mort d’Hérode (et sans aucun doute, le fait a eu lieu pendant la première ou la seconde enfance du Sauveur ; autrement l’on ne pourrait justifier les paroles de saint Luc au sujet de sa présence et de sa conduite dans le temple de Jérusalem, à l’âge de douze-ans o) aussitôt, dis-je, qu’il nous a fait voir dans la personne de l’enfant Jésus, l’accomplissement de cet oracle : « J’ai rappelé mon Fils d’Égypte », saint Matthieu arrive à la prédication de Jean et dit aussitôt : « Dans ces jours, Jean-Baptiste vint prêcher au désert. » Ce n’est pas qu’il entende seulement les jours de l’enfance de Jésus ; il désigne toutes les années écoulées depuis la Nativité jusqu’au temps, de la prédication et du baptême de Jean-Baptiste, c’est-à-dire jusqu’au temps où nous voyons le Christ dans l’âge de la jeunesse, puisque le Sauveur était né la même année que le précurseur, et que, du reste, l’Évangile nous le présente comme ayant trente ans environ quand il fut baptisé par lui.

CHAPITRE VII. DES DEUX HÉRODES.

20. Saint Luc rapporte qu’Hérode était tétrarque de Galilée quand Jésus-Christ, alors dans l’âge de la jeunesse, reçut le baptême de Jean p ; et saint Matthieu, que Jésus-Christ encore enfant quitta l’Égypte pour revenir en son pays après la mort d’Hérode. Plusieurs veulent trouver ici l’objet d’une difficulté sérieuse. Pour affirmer la vérité des deux passages, il faut, sans doute, reconnaître qu’il y a eu deux Hérodes. Comme aux yeux de tout le monde la chose est très-possible, quel n’est pas l’aveuglement de ces hommes qui ne cherchent qu’à calommier la vérité de l’Évangile, quand la moindre réflexion leur ferait voir qu’il s’agit de deux personnages appelés du même nom ? C’est de quoi l’on trouve partout des exemples. Il est certain, en effet, que ce dernier Hérode était fils du premier ; comme Archélaüs, que saint Matthieu place sur le trône de Judée après la mort de son père, à l’époque du retour d’Égypte q ; comme Philippe que saint Luc représente comme le frère du tétrarque Hérode et tétrarque lui-même de l’Iturée r. Aussi bien le premier Hérode qui cherchait à faire mourir l’enfant Jésus avait le titre de roi : quant à l’autre, son fils, il n’avait que celui de tétrarque ; c’est-à-dire qu’il était gouverneur de l’une des quatre provinces formées alors de l’ancien royaume.

CHAPITRE VIII. RETOUR A NAZARETH.

21. On voudra peut-être voir encore une autre difficulté. D’après saint Matthieu Joseph revenant d’Égypte n’osa aller en Judée avec l’enfant, parce qu’un fils d’Hérode, Archélaüs, y régnait à sa place. Mais comment peut-il aller en Galilée, où, d’après le récit de saint Luc, régnait le tétrarque Hérode, un autre fils de ce tyran ? La question suppose qu’il s’agit du même temps. Mais le temps dont parle saint Luc n’est plus celui où Joseph craignait pour l’enfant Jésus : les choses avaient tellement changé de face que la Judée n’était plus sous le sceptre d’Archélaüs, et qu’elle obéissait à Ponce-Pilate, qui n’était pas roi mais gouverneur des Juifs : alors les fils d’Hérode l’ancien administraient sous (autorité de Tibère César, non un royaume mais une tétrarchie. Il est clair que cette révolution n’avait pas encore eu lieu quand Joseph, craignant Archélaüs, roi de Judée, se transporta avec l’enfant dans la province de Galilée, où, du reste, était située Nazareth sa ville natale.

CHAPITRE IX. MOTIFS DE PRÉFÉRENCE POUR LE SÉJOUR A NAZARETH.

22. Veut-on nous faire encore une nouvelle objection, et nous demander comment saint Matthieu a dit que les parents de l’enfant Jésus se rendirent avec lui en Galilée, parce que la crainte d’Archélaüs les détourna d’aller en Judée : quand ils ont plus vraisemblablement fixé leur séjour dans cette province parla raison que leur ville était Nazareth de Galilée, comme le déclare saint Luc ? Mais il faut comprendre que Joseph ayant ouï en Égypte, durant son sommeil, ces paroles de l’Ange : « Lève-toi, prends l’enfant et sa mère, et retourne dans la terre d’Israël, n y vit tout d’abord un ordre de se rendre en Judée ; et sans doute par la terre d’Israël il put entendre, avant tout, le pays dont Jérusalem était le centre. Ensuite, ayant appris l’élévation d’Archélaüs sur le trône d’Hérode son père, il voulut d’autant moins s’exposer aux poursuites du tyran, qu’il pouvait considérer la Galilée comme étant aussi la terre d’Israël, puisque les habitants de cette province étaient aussi des Israélites. On peut cependant résoudre encore cette objection d’une autre manière. Les parents de Jésus-Christ purent croire que Jérusalem, à cause du temple du Seigneur, était le seul séjour où il leur convint de s’établir avec cet enfant, dont les oracles célestes leur apprenaient tant de merveilles : et alors ils devaient, au retour d’Égypte, y fixer leur demeure, s’ils n’eussent redouté la présence du fils d’Hérode, dont l’ordre divin ne leur enjoignait pas de mépriser les menaces.

CHAPITRE X. VOYAGES À JÉRUSALEM.

23. On dira peut-être encore : Comment donc, au rapport de saint Luc, les parents de Jésus allaient-ils, toutes les années de son enfance, à Jérusalem, puisque la crainte d’Archélaüs leur interdisait l’accès de la ville ? Il me serait facile de répondre, lors même qu’un évangéliste nous aurait fait connaître le temps que dura le règne d’Archélaüs en Judée. Il était possible, en effet, que le jour d’une fête solennelle qui attirait une immense multitude, Joseph et Marié, favorisés par la foule, se rendissent à Jérusalem secrètement avec l’enfant Jésus, pour le court espace de quelques heures, tout en craignant d’y demeurer les autres jours. Sans manquer à la religion, sans négliger la solennité, ils pouvaient ainsi rester inconnus et conjurer le péril qu’un séjour continuel ne leur eût pas permis d’éviter. Mais tous les évangélistes ayant gardé le silence sur le temps qu’a duré le règne d’Archélaüs, il y a un autre moyen d’expliquer le récit de saint Luc. Il suffirait de supposer que Joseph et Marie n’allèrent chaque année à Jérusalem avec l’enfant Jésus s, qu’à dater du moment où le fils d’Hérode n’était plus à craindre. Si, à défaut de l’Évangile, quelque histoire digne de foi nous oblige à reconnaître que le règne d’Archélaüs fut assez long pour ôter à cette hypothèse tout fondement ; la raison que j’ai donnée plus haut doit suffire. En redoutant le séjour de Jérusalem, les parents de Jésus ne voulaient point cependant négliger une fête solennelle du Seigneur, quand il leur était facile de s’y rendre sans être remarqués. Est-il inouï d’ailleurs que, saisissant l’opportunité des jours ou des heures, on vienne parfois dans des lieux où on redoute de demeurer ?

CHAPITRE XI. COMMENT LA PRÉSENTATION AU TEMPLE SE PEUT-ELLE CONCILIER AVEC LA COLÈRE D’HÉRODE ?

24. Ceci peut également servir de réponse à ceux qui se demanderaient : puisque les mages avaient donné l’éveil au roi Hérode en lui apprenant la naissance d’un nouveau roi des Juifs, comment Joseph et Marie purent-ils, après les jours de la purification de la mère de Jésus, se rendre en sûreté avec l’enfant dans le temple de Jérusalem, pour y accomplir à son égard les prescriptions de la Loi du Seigneur, dont saint Luc rappelle le détail ? Qui ne voit, en effet, que de nombreuses occupations pouvaient bien alors absorber l’attention d’Hérode et l’arracher à tout autre soin durant l’espace d’un jour ? S’il ne parait pas vraisemblable que malgré sa vive attente du retour des mages, qui devaient l’instruire de ce qui concernait l’enfant, Hérode ait laissé passer tant de jours avant de reconnaître qu’il était leur dupe ; si l’on répugne à penser qu’il s’avisa seulement de prendre contre cet enfant la plus cruelle résolution et d’en faire mourir tant d’autres, quand fut écoulé le temps de la purification de Marie, quand furent terminées les cérémonies solennelles prescrites à l’égard des premiers-nés, et lorsque la sainte famille fut partie pour l’Égypte ; il faut convenir cependant que beaucoup de graves affaires, dont j’omets le détail, purent distraire le souci du roi, et lui faire oublier son projet durant plusieurs semaines, ou en empêcher l’exécution. Il est impossible d’énumérer les causes qui purent donner ce tour aux événements, mais nul n’est assez étranger au monde, pour nier ou révoquer en douté qu’il pût s’en trouver beaucoup et de très-sérieuses. Qui ne peut se figurer combien d’autres nouvelles plus terribles, vraies ou fausses, purent arriver aux oreilles du roi, pour enlever son âme, par la vive appréhension de périls plus prochains, à la crainte que cet enfant, ce nouveau roi des Juifs, ne prit les armes, dans quelques années, contre lui ou contre ses fils, et l’occuper entièrement du soin de parer à des éventualités dont l’imminence appelait de promptes mesures ? Mais, laissant de côté toutes ces raisons, voici ce que je dirai. Les Mages n’étant pas revenus vers Hérode pour l’instruire, celui-ci put croire qu’ils s’étaient laissé abuser en s’imaginant voir une étoile qui n’existait point, et que, n’ayant pas découvert l’Enfant qu’ils cherchaient, ils avaient eu honte de retourner à sa cour. Ainsi le roi aurait cessé de craindre et aurait abandonné son homicide dessein. Suivant cette hypothèse bien vraisemblable, Joseph aurait été averti dans son sommeil de fuir en Égypte avec l’enfant et sa mère quand, après les jours de la purification de Marie, après la démarche de la sainte famille au temple de Jérusalem, après la consommation de toutes les choses que nous fait connaître saint Luc t, les paroles prophétiques de Siméon et d’Anne à l’égard de Jésus, en se propageant par les récits des témoins, allaient ranimer les craintes du roi, et le rappeler à sa première intention. Hérode comprenant ensuite, par la divulgation des faits accomplis et des discours prononcés dans le temple, que les mages s’étaient joués de lui, et voulant assurer la mort de Jésus-Christ, commanda alors ce massacre général dont parle saint Matthieu u.

QUATRIÈME SUPPLÉMENT. — DEUXIÈME SECTION.

TRENTIÈME SERMON. POUR LA NATIVITÉ DU SEIGNEUR. X

ANALYSE. —1. Étonnants mystères renfermés dans la naissance du Christ. —2. Un grand nombre de prodiges, sorte de prélude de ses miracles à venir, ont précédé la naissance du Sauveur. —3. Motifs pour lesquels les Mages ont recherché et adoré ce roi des Juifs préférablement à tous autres.

1. Le Christ vient au monde, aussi le cœur des hommes est-il inondé de joie. Le Créateur du genre humain sort du sein d’une jeune fille, et des entrailles, restées vierges de tout contact charnel, mettent au monde le Fils de l’homme, qui n’a pas eu d’homme pour père. Le temps voulu pour l’enfantement de Marie s’accomplit ; si grand que soit celui qu’elle engendre à la vie, rien n’est changé aux lois qui régissent la naissance des humains. Ainsi a dû naître celui quine devait point refuser de mourir pour nous délivrer. Le Christ vient au monde : comme Dieu, il est du Père ; en tant qu’homme, il vient d’une mère. Engendré par le Père, il est la source de la vie ; enfanté par Marie, il est le tombeau de la mort. En lui se rencontrent le Révélateur du Père et le Créateur de la mère, le Verbe né avant tous les temps, et l’homme né au temps opportun ; le Créateur du soleil, et la créature formée sous le soleil ; celui qui est de toute éternité avec le Père, et celui qui est né aujourd’hui de la mère ; celui sans lequel le Père n’a jamais existé, et celui sans lequel la mère n’aurait jamais été mère. Celle qui a enfanté est en même temps mère et vierge ; Celui qu’elle a enfanté est tout à la fois enfant et Verbe. Celui qui a fait l’homme s’est fait homme, il a été mis au monde par une mère qu’il avait lui-même créée, et il a sucé les mamelles qu’il avait lui-même remplies. Celui qui était Dieu est devenu homme, et, sans perdre ce qu’il était, il a voulu devenir sa propre créature. En effet, il a ajouté l’humanité à sa divinité ; mais en devenant homme, il n’a point cessé d’être Dieu ; pour s’être revêtu de membres humains, il n’a pas discontinué ses œuvres divines, et quand il s’est enfermé dans le sein d’une Vierge, il ne s’y est pas emprisonné au point de soustraire aux anges la sagesse qui fait leur nourriture et de nous empêcher de goûter combien le Seigneur est doux. Ah ! c’est à juste titre que les cieux ont parlé, que les Anges ont rendu grâces, que les bergers se sont réjouis, que les Mages sont devenus meilleurs, que les rois sont tombés dans le trouble, que les petits enfants ont été couronnés. O Mère, allaitez notre nourriture, allaitez le pain qui nous vient du haut des cieux, placez-le dans la crèche, comme s’il était destiné à être la pâture de pieux animaux. Allaitez celui qui vous a créée pour faire de vous sa mère, celui qui, avant de naître, a choisi le sein dans lequel il s’incarnerait et le jour où il viendrait au monde ; celui, enfin, qui a créé ce qu’il destinait à devenir « le lit nuptial d’où, nouvel époux, il sortirait un jour v », pour embrasser l’Église, son épouse.

2. Voyez quels prodiges ont précédé la naissance du Sauveur ! Longtemps auparavant les Prophètes annoncent que le Créateur du ciel et de la terre se fera adorer ici-bas ; l’Ange fait savoir qu’on verra venir dans la chair celui qui a tiré la chair du néant ; en. fermé dans le sein d’Elisabeth, Jean salue le Sauveur enfermé dans celui de Marie ; le vieux Siméon reconnaît un Dieu dans un petit enfant, et la veuve Anne, une Vierge dans la personne de sa mère. Seigneur notre Dieu, voilà quels témoins ont affirmé votre naissance, avant que vous marchiez sur les eaux, que la tempête s’apaisât sur votre parole, qu’à votre prière un mort sortît vivant du tombeau, que le soleil s’obscurcît tout à coup au moment de votre mort, qu’à l’heure de votre résurrection la terre tremblât sur ses bases, et que le ciel s’ouvrît à celle de votre ascension. Enfin, les Mages, partis des extrémités de l’Orient, sous la conduite d’une étoile, afin d’apporter au Christ les prémices de la foi, ont traversé d’immenses étendues de pays, pour venir à la recherche du Roi, pour courber devant lui leurs fronts.

3. Mais, ô Mages, si vous avez regardé le Christ comme étant vraiment roi des Juifs, quel motif vous a portés à l’adorer de préférence aux autres ? Depuis de longs siècles n’a-t-on pas vu naître un grand nombre de rois juifs ? N’y a-t-il pas eu, parmi eux, l’illustre monarque David, et Salomon, le plus puissant de tous ? Pourtant, vous n’êtes venus vous approcher ni de leur berceau, ni de leur trône. Ah, c’est qu’avant le Christ, le ciel n’a trahi la grandeur d’aucun d’entre eux t Mais, aujourd’hui, une étoile fait connaître le Roi des rois, et son Créateur : le ciel lui-même annonce qu’il est Dieu, et, d’après les signes qui s’y manifestent, il est impossible de révoquer en doute sa nature divine.

TRENTE ET UNIÈME SERMON. POUR LA NATIVITÉ DU SAUVEUR. XI

ANALYSE. —1. La naissance du Christ, sujet d’une grande joie. —2. Que le peuple manifeste son allégresse en s’acquittant de ses devoirs.

1. Tous les passages de l’Écriture qu’on vient de nous lire, frères bien-aimés, doivent être pour chacun de nous un sujet d’allégresse : nous ne devons tous éprouver qu’un sentiment, celui de la joie. En effet, le Psalmiste dit : « Tressaillez de bonheur à la présente du Dieu qui est notre soutien w ». L’Apôtre ajoute : « Réjouissez-vous sans cesse dans le Seigneur x ». « Je vous annonce », continue l’Évangéliste, « je vous annonce le sujet d’une grande joie y ». O l’heureux jour que celui-ci, puisque, d’après le témoignage des Écritures, nous y célébrons la naissance de Notre-Seigneur Jésus-Christ, de concert avec le Psalmiste et l’Évangéliste, avec les Prophètes et les Apôtres.

2. Oui, elle est grande, en ce jour, la joie des chrétiens, cette joie dont les saintes Écritures lui ont donné l’exemple. Oui, notre allégresse est sans bornes, puisque dans l’ivresse de son bonheur le peuple a fait son devoir. Quelle serait la sainteté des membres de cette Église, s’ils accomplissaient toujours la volonté du Christ ! Je vous le demande donc instamment, mes très-chers frères, remplissez toujours les devoirs que le Seigneur vous impose ; ainsi mériterez-vous de vous réjouir éternellement les uns avec les autres. Le bonheur que nous éprouvons aujourd’hui à célébrer la naissance du Sauveur est, en effet, le prélude du bonheur que le serviteur fidèle de Notre-Seigneur Jésus-Christ en ce monde goûtera dans le ciel, à y célébrer avec les anges les solennités à venir de l’éternité.

TRENTE-DEUXIÈME SERMON. POUR LA NATIVITÉ DU SAUVEUR. XII

ANALYSE. —1. Le Christ s’est incarné pour triompher du diable. —2. Que de merveilles à admirer dans la naissance du Sauveur ! —3. Marie mère et vierge.

1. Frères bien-aimés, c’est aujourd’hui le jour où le Christ a pris notre humanité dans le sein d’une Vierge. Il a voulu s’humilier jusqu’à se revêtir de notre pauvre nature pour délivrer nos âmes de leurs péchés. Par sa prévarication, le premier homme avait déçu le monde entier ; il n’y avait plus, dès lors, de remèdes à nos maux et de salut pour nous, que si le Christ descendait du ciel. Pour le serpent, il se réjouissait, dans l’excès de sa méchanceté, d’avoir inoculé son venin à l’homme nouvellement créé. Mais le Christ est descendu dans le sein d’une Vierge, afin d’y prendre un corps d’homme qui serait attaché à la croix, et dont la mort porterait le coup fatal à l’antique serpent. Le diable avait employé une ruse infernale : c’était de parler à la femme par l’entremise d’un serpent, et de déguiser ainsi sa propre personne. Efforts inutiles ! Le Christ est descendu des cieux, le Fils de Dieu lui-même a pris un corps d’homme, et, en se montrant au démon sous l’apparence d’un homme, il lui a tendu un piège mortel. Ainsi, en effet, le tentateur a-t-il cru n’avoir affaire qu’à un homme, et a-t-il complètement méconnu le Seigneur. Il voyait bien un homme devant lui, mais il était loin d’imaginer que ce fût le souverain Maître. La faiblesse s’étalait à ses regards, mais la divinité se dérobait à ses yeux ; aussi demeura-t-il tout confus, lorsque dans l’homme se montra le Dieu.

2. Le Christ est donc descendu ici-bas, envoyé par Dieu son Père ; toutefois, il ne s’en est jamais séparé : il était sur la terre, sans avoir un seul instant quitté le ciel. Il a lui-même dit à ce sujet : « Personne n’est monté au ciel, sinon celui qui est descendu du ciel, le Fils de l’homme, qui est au ciel z ». Sur la terre, il parlait aux hommes en tant qu’homme, et il déclarait être au ciel en tant que Dieu. En lui, néanmoins, la divinité n’a subi aucun amoindrissement de ce qu’il s’est revêtu de notre infirmité : il a pris ce qu’il n’était pas, et il reste ce qu’il était dès le commencement, c’est-à-dire Dieu. Pour s’être fait homme, il a travaillé à notre avantage, mais non à son détriment ; il est demeuré l’égal du Père, tout en anéantissant la plénitude de sa divinité et en prenant la forme d’esclave.

3. Seule parmi toutes les personnes de son sexe, une Vierge a paru, qui a eu le singulier mérite de concevoir dans ses entrailles le Fils de Dieu, et de posséder sa virginité entièrement intacte, même après l’avoir enfanté. « Je vous salue, Marie », lui dit l’Ange ; « vous êtes pleine de grâce ; le Seigneur est avec vous ; vous êtes bénie entre toutes les femmes aa ». Car « voilà que vous concevrez et enfanterez un fils, et vous lui donnerez le nom de Jésus ab ». « Il délivrera son peuple de ses péchés ac ». Vous garderez tous les droits de la virginité, vous aurez un fils et vous ne perdrez pas le titre de vierge ; car la puissance divine est si grande, qu’elle donne la fécondité à la mère et conserve à la Vierge son intégrité, « Vous êtes bénie entre toutes les femmes », parce que vous concevrez du Saint-Esprit, et en cela agira, non pas un époux charnel, mais la grâce divine. L’enfant que vous allaiterez sera votre propre créateur. Vous, que Dieu nourrit de ses largesses, vous lui donnerez vos mamelles à sucer ; vous envelopperez de langes celui qui vous a accordé le vêtement de l’immortalité ; vous placerez dans une crèche le corps enfantin de celui qui vous a préparé une table céleste. Tous les soins qu’une femme doit à son nourrisson, vous les prodiguerez à celui qui vous a promis la faveur de posséder surabondamment les biens réservés par lui à ses saints. Que dire de plus ? O Vierge, réjouissez-vous de ces magnifiques promesses ! Alors s’éloigna le messager d’en haut : alors vint prendre possession du sein de Marie le Dieu qui vit et règne, avec le Père et l’Esprit-Saint, dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

TRENTE-TROISIÈME SERMON. POUR LA NATIVITÉ DU SAUVEUR. XIII

ANALYSE. —1. Un aliment spirituel est indispensable à notre âme pour acquérir la vie éternelle : c’est pour nous la procurer que Dieu nous a donné la loi et les Prophètes, et que le Christ s’est fait homme. —2. Combien la venue du Christ était nécessaire à la délivrance de l’homme. —3. En s’incarnant, le Christ nous a apporté le salut. —4. Ce n’est pas sans un admirable mystère que nous connaissons la venue du Christ en ce monde.—5. Réfutation des objections faites par les infidèles contre l’incarnation de Dieu.

1. Mes très-chers frères, c’est avec raison et pour notre plus grand bien qu’on nous fait lecture des paroles divines, car elles sont l’aliment de notre âme. « Car l’homme chrétien ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu ad ». Comme nous avons, chaque jour, besoin d’aliments matériels pour sustenter la vie de notre corps, ainsi nous faut-il une nourriture spirituelle pour parvenir à la vie éternelle. En effet, si tant de personnes affectionnent cette vie terrestre en dépit des dangers et des peines dont elle se trouve comme hérissée, combien plus vivement doit-on aimer la vie céleste et sans fin que nous partagerons plus tard avec les anges ; car le Sauveur a dit : « A la résurrection des morts, ils ne se marieront pas et ne prendront pas de femmes, mais ils seront semblables aux anges ? ae » C’est en vue de cette vie éternelle due Dieu a donné sa loi et choisi les Patriarches, que les prêtres et les lévites ont reçu l’onction du chrême, que les Prophètes sont venus, que les anges ont été envoyés, qu’enfin le Seigneur, Fils de Dieu, est lui-même descendu des cieux sur la terre et a rétabli en nous son image. De là nous devons conclure quelle impérieuse nécessité il y avait pour nous que la souveraine Majesté se revêtît de notre chair mortelle.

2. Pouvait-il y avoir pour cela un motif plus pressant que celui de notre mort éternelle ? Pouvions-nous éprouver un châtiment plus cruel, que la servitude du péché ? Quel supplice plus insupportable que notre captivité éternelle ? Nous portions les entraves de la mort, nous étions plongés dans l’esclavage et la sujétion la plus dure. Où se trouve la preuve de notre mort éternelle ? Dans les paroles de l’Apôtre ; écoute-le : « Depuis Adam jusqu’à Moïse, la mort a régné sur ceux-là mêmes qui n’avaient point péché af ». Par quel moyen établir la preuve de notre captivité ? Par les plaintes des martyrs, qui s’exhalent jusque dans les psaumes : « Seigneur, comme le vent du midi rompt les glaces des torrents, ainsi brisez nos fers ag ». La captivité imposée par des ennemis barbares est, certes, bien cruelle, bien féconde en amertumes ! Et, pourtant, on peut s’y soustraire par la fuite, s’y dérober par une somme d’argent ; en tout cas, la mort lui sert de terme. S’il en est ainsi d’elle, que sera-ce de la captivité éternelle, qui ne finira point par la mort, mais qui, au contraire, sera, dans les abîmes éternels, la source d’intolérables douleurs ?

3. Donc, mes frères, des motifs impérieux de tous genres exigeaient que Notre-Seigneur Jésus-Christ vînt dans le temps sur la terre. Aussi, en se revêtant de notre humanité, nous a-t-il arrachés à la mort pour nous rendre à la vie ; il nous a délivrés de la servitude et nous a rendu la liberté ; il â brisé les chaînes par lesquelles les démons nous retenaient captifs, et nous sommes rentrés en possession de l’adoption des enfants ; car, a dit le Prophète, « il est monté au plus haut des cieux, traînant après lui de nombreux captifs ; il a répandu ses dons sur les hommes ah ». Le Seigneur Christ est donc venu, à proprement parler, pour opérer notre délivrance. Ce n’est ni un prince, ni un député, ni un ange qui nous sauvera ; ce sera le Seigneur lui-même par sa venue.

4. Étonnante merveille, mes frères ! Le Christ est venu en ce monde, et, pourtant, il était dans le monde dès le commencement, il y est encore, et il y reviendra un jour. Qu’il soit venu dans le monde, c’est un fait attesté par l’Apôtre en ce passage : « C’est une vérité certaine et digne d’être reçue avec une entière soumission, que Jésus-Christ est venu en ce monde pour sauver les pécheurs, parmi lesquels je suis le premier » ai. Qu’il ait été dans le monde, l’Évangéliste l’affirme : « Il était dans le monde, et le monde a été fait par lui, et le monde ne l’a pas connu aj ». 2 est encore maintenant avec nous dans le monde, car il a dit à ses Apôtres : « Allez, instruisez toutes les nations ; baptisez-les au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit ; voici que je suis avec vous, tous les jours, jusqu’à la consommation des siècles » ak. Quant à sa venue future, l’Ange en parle ainsi aux Apôtres : « Comme vous voyez le Christ monter au ciel, ainsi l’en verrez-vous revenir al ». Précédemment déjà, le Prophète l’avait annoncé : « Il viendra manifestement, notre Dieu, et il ne se taira plus am ». Aussi, parce que le Seigneur Christ « était dans le monde, le monde », c’est-à-dire, le genre humain, « ne l’a point connu an ». Et chose surprenante ! il ne le croyait pas invisible. Grand mystère ! Étonnante merveille ! Par cela même que le Créateur du monde a voulu devenir une des créatures qui peuplent le monde, il a effacé les péchés du monde, suivant cette parole de l’Évangile : « Voilà l’Agneau de Dieu, voilà celui qui efface les péchés du monde ao ».

5. Mes frères, nous croyons que le premier avènement du Seigneur Christ a déjà eu lieu, et nous lui en témoignons notre reconnaissance par notre adhésion à cette vérité ; mais il nous revient de tous côtés des objections faites par les Juifs endurcis, par les païens et les manichéens. – Qu’est-ce donc que sou. tiennent les chrétiens, s’écrient-ils ? Ils disent que le Dieu de gloire est venu en ce monde pour sauver le genre humain ? Pourquoi le prétendre ? N’y avait-il dans le ciel personne que Dieu pût envoyer à sa place ? N’avait-il pas à sa disposition un ange ou un autre représentant ? N’a-t-il pas, en effet, choisi Moïse et Aaron pour délivrer le peuple d’Israël de la captivité d’Égypte ? D’ailleurs, s’il a voulu venir en ce monde, pourquoi se servir de l’intermédiaire d’une femme ? Pourquoi passer par les membres obscènes d’une créature ? – Voici notre réponse. Nous disons : Dieu pouvait nous délivrer d’une autre manière, parce qu’il est tout-puissant. Mais il ne nous suffisait pas qu’en Dieu se trouvât seulement la puissance, il fallait aussi qu’à la puissance se joignît la justice. La puissance se manifeste dans l’action, et la justice dans la raison. Or, la raison exigeait que l’homme eût pour rédempteur le Créateur même du genre humain ; car nous lisons, dans la sainte Écriture, que Dieu le Père a dit à son Fils : « Faisons l’homme « à notre image et à notre ressemblance ap ». Quant à la difficulté qu’ils tirent du passage du Christ par des membres soi-disant obscènes, rien de plus facile que d’en triompher. Je ne vois aucune obscénité là où se rencontre l’intégrité virginale ; on ne peut dire qu’il y ait des taches là où la nature a conservé une pureté parfaite. Les rayons du soleil traversent les marais et la fange, sans contracter aucune souillure, bien qu’ils soient corporels, puisqu’ils sont un composé de lumière et de chaleur ; à bien plus forte raison la divinité incorporelle du Christ n’a-t-elle pu se salir en s’incarnant dans le sein d’une Vierge. Une Vierge a conçu, une Vierge a enfanté, et elle est demeurée vierge. Ce qu’Eve nous avait fait perdre, la Vierge Marie nous l’a rendu. La vierge Eve nous avait donné la mort, la Vierge Marie nous a donné notre Sauveur. La saine et droite raison a donc voulu que le nouvel Adam fût sauvé par les mêmes voie ; que celles par lesquelles le premier homme avait péri.

TRENTE-QUATRIÈME SERMON. POUR LA NATIVITÉ DU SAUVEUR. XIV

ANALYSE. —1. La naissance du Christ n’a rien de charnel, puisqu’il est le Verbe de Dieu. —2. Marie saluée par l’ange. —3. Miraculeuse conception du Christ ; merveilleuse naissance du Sauveur ; les anges l’annoncent aux pasteurs. —4. Ce que nous ont valu le premier et le second Adam, la première et la seconde Eve.

1. D’après les ordres de celui qui vient de naître, ma langue audacieuse voudrait parler de la conception et de la naissance virginale de l’éternelle Divinité ; mais mon esprit se trouble et ne peut que s’épouvanter en face d’une pareille tâche. Pourrait-on, en effet, n’éprouver aucune terreur quand il s’agit de ra. conter des merveilles ? Je tremble donc, et avec raison, car celui dont je vais parler est présent devant moi. Personne d’entre vous, mes bien-aimés, ne doit s’imaginer que Notre, Seigneur et Sauveur ait commencé d’exister au moment de sa naissance charnelle ; car il a toujours été dans le Père, selon ce témoignage de l’Évangile : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu. Il était au commencement avec Dieu. Toutes choses ont été faites par lui aq ». Remarque attentivement et vois qui est celui qui était, où il était, quel il était, comment il était, ce qu’il faisait. « Au commencement était le Verbe ». D’après ces paroles, tu sais qui est-ce qui était. Écoute maintenant, voici où il était : « Et le Verbe était en Dieu ». Puisque tu as appris où il était, sache quel il était : « Et le Verbe était Dieu » ; et où il était : « Il était au commencement avec Dieu » ; et ce qu’il faisait : « Toutes choses ont été faites par lui » ; où il est venu : « Il est venu chez lui » ; pourquoi il est venu : Jean va nous l’apprendre : « Voici l’Agneau de Dieu, voici celui qui ôte les péchés du monde ar ».

2. « Au commencement donc était le Verbe, etc. » Si toutes choses ont été faites par le principe…… Les anges chantent donc, pour l’annoncer, la naissance du Dieu éternel. Marie était Vierge avant d’enfanter, elle reste Vierge après l’enfantement, et ses entrailles seront la demeure où Dieu viendra se reposer en attendant qu’elle lui donne le jour. Voyez quel enfantement a annoncé l’ange Gabriel, à qui la parole d’en haut seule a donné un corps ; car il est écrit : L’Ange s’approcha de Marie et la salua en lui disant : « Le Seigneur est avec vous, vous êtes bénie entre toutes les femmes, et le fruit de vos entrailles est béni as ». O virginité digne de tous nos hommages ! O humilité digne d’être publiée partout ! L’Ange appelle Marie la Mère du Seigneur, et Marie s’en dit hautement la servante. Admirable prévoyance de Dieu1 Marie n’a point su d’avance sa maternité future, parce que, dans sa simplicité virginale, elle eût refusé même l’honneur de concevoir. Gabriel s’approche d’elle, apportant avec lui le messager de Dieu et Dieu lui-même ; il annonce à la jeune Vierge un mystère bien Papable de la jeter dans l’épouvante ; il lui annonce la visite du Dieu qui doit passer par elle. Marie est là, saisie de frayeur ; à la parole insinuante de l’Ange elle ne répond rien, tant son âme est troublée 50 Sa pudeur virginale paralyse son cœur ; toutes ses entrailles frémissent sous l’impression de la crainte, et elle déclare en tremblant tout ce qu’elle redoute. C’était à bon droit que le frisson de la peur avait saisi la partie de son corps destinée à devenir l’asile de la Divinité. On ne saurait qu’innocenter le pudique effroi causé en elle par la crainte de Dieu et de l’enfantement ; aussi, comme le saint Ange savait que cette âme de femme allait se troubler soit en le voyant s’approcher d’elle, soit en entendant son message, il s’adresse à ce cœur de jeune fille en commençant par lui parler de bénédiction, afin qu’elle se réjouisse de se voir plus privilégiée que son premier père. O double fruit d’une bénédiction ! Le Seigneur fait tout à la fois bénir et instruire sa mère.

3. À peine l’Ange lui a-t-il annoncé son enfantement, que les membres destinés au Verbe sont conçus en elle et commencent à se former. Dieu se renferme dans le sein d’une femme ; celui pour qui le monde est peu de chose se trouve porté dans les entrailles d’une Vierge ; et, renfermé dans les étroites limites d’un corps humain, la Grandeur divine s’incarne pour nous sauver ! Les entrailles fécondées de Marie se dilatent sous l’action du Verbe, et quand le nombre des mois est arrivé à son terme, elles mettent au jour l’homme céleste. À ce moment les anges publient, par leurs cantiques, la naissance du Sauveur. Or, en la même contrée, il y avait des bergers qui gardaient leurs troupeaux durant les veilles de la nuit. Le Christ vient au monde ; les pasteurs ont commencé à veiller. La nuit, c’est le monde ; la lumière, c’est le Christ ; les pasteurs, ce sont les prêtres. L’Ange dit aux bergers : « Ne craignez point, car je vous annonce une nouvelle qui sera pour tout le monde le sujet d’une grande joie : c’est qu’il vous est né un Sauveur, qui est le Christ, le Seigneur at ». C’est avec juste raison que la naissance du Christ est annoncée aux pasteurs, car les pasteurs doivent l’intimer aux incrédules. Heureuse fécondité d’une Mère1 Elle donne, pour nous, le jour à un Dieu fait homme. Heureuse virginité d’une Mère qui a su adorer son céleste Fils avant de le nourrir ! Nous aussi, adorons en ce nouveau-né notre Seigneur et Sauveur Jésus-Christ.

4. Écoutez, frères bien-aimés, si cela est possible, le mystère de la loi. Le premier Adam venait de la terre et du ciel ; le second venait du ciel et de la terre. Celui-ci venait du ciel et de la terre, parce qu’il était de Dieu et de Marie ; celui-là venait de la terre et du ciel, car il était un composé de terre et d’esprit. La mère de l’un et de l’autre était Vierge, et leur naissance n’était le fruit d’aucun commerce charnel ; Marie ne connaissait pas la corruption, la terre était intacte, car ni semence, ni soc de charrue, ni pluie ne l’avait encore touchée. Le premier Adam nous a ôté la vie ; avec elle, le second nous a donné la grâce. Les conseils d’une Vierge ont causé la chute du premier ; par l’enfantement d’une Vierge, le second a relevé les ruines qu’Eve avait faites. L’un a péché et nous a fait punir de mort ; le second a souffert et nous obtenu notre pardon. En raison de sa faute, le premier s’est vu chassé du Paradis ; à cause de sa bonté, le second a été attaché au bois de la croix. Donc, le mal s’est fait par une femme, mais une femme a bien plus puissamment opéré le bien. En effet, si nous sommes tombés par le fait d’Eve, c’est Marie qui nous a remis sur nos pieds ; si l’une nous a jetés par terre, l’autre nous a relevés ; si la première nous a condamnés à la servitude, la seconde a brisé nos chaînes ; celle-là nous a empêchés de vivre longtemps, celle-ci nous a rendu la vie éternelle. Entre les mains d’Eve le fruit de l’arbre a été la cause de notre condamnation ; Marie nous a absous par le fruit de l’arbre, car le Christ a été pendu à la croix comme un fruit. C’est donc un arbre qui nous a donné le coup de mort, et c’est un arbre qui nous a rendu la vie. L’arbre du péché a allumé en nous le feu des passions ; l’arbre de la science nous a procuré un vêtement qui calme notre ardeur pour le mal. Un arbre nous, a réduits à la nudité ; un arbre nous a donné ses feuilles pour nous couvrir d’indulgence. L’arbre de l’ignorance nous a produit des ronces et des épines ; l’arbre de la sagesse a été pour nous la source de l’espérance et du salut. Un arbre nous a apporté le travail et les sueurs ; un arbre nous a procuré le repos et la paix. Un arbre a ouvert les yeux du corps ; un autre les yeux du cœur. L’arbre du monde nous a inoculé l’astuce ; l’arbre de Dieu nous a enseigné la prudence. Un arbre nous a montré le mal ; un arbre nous a fait voir le bien. Mais je veux remonter au jour de la prévarication, et, avec la permission de Dieu, vous dire ce qu’il m’inspirera. Si Adam n’était point tombé corporellement, le Christ n’aurait pas eu à nous ressusciter spirituellement en cette vie. Je l’ai déjà dit : O profondeur insondable des secrets éternels ! O plan divin, caché à ceux qui n’ont pas la foi, et rayonnant de clarté pour ceux qui croient ! L’Immortel crée une mortelle, et une mortelle donne le jour à l’Immortel. Celui qui n’a pas de corps se renferme en terre, et celui qui a un corps devient habitant des cieux. Dieu se fait homme et il se relève. Le genre humain tout entier est souillé par Eve, et Marie le purifie. Eve est donc bienheureuse, puisqu’elle a donné l’occasion de tant de merveilles ; mais bien plus heureuse est Marie, car elle nous a guéris de tous nos maux ! Heureuse Eve ! elle est devenue la mère du genre humain ! bien plus heureuse est Marie ! elle a mis au monde le Christ. L’une est donc préférable à l’autre, mais toutes deux méritent nos louanges. En effet, si Eve, de qui descendait Marie, n’avait d’abord failli, le Christ n’aurait point rendu Marie heureuse ; et il ne se serait point abaissé jusqu’à nous, si Eve n’avait d’abord prévariqué ici-bas. L’une s’appelle la mère des hommes, l’autre la mère de la grâce ; l’une nous a formés, l’autre nous a fortifiés ; par Eve, nous grandissons, nous régnons par Marie. Celle-là nous a jetés à terre, celle-ci nous a élevés jusqu’au ciel. En deux mots, voici tout le mystère de la loi : Eve et Marie conspirent toutes deux au même but, comme tous les hommes s’en sont écartés. En Eve se trouvait originairement Marie, et c’est par Marie qu’Eve a été plus tard réhabilitée.

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