‏ Matthew 21:33-41

CHAPITRE LXX. DEUX FILS ENVOYÉS PAR LEUR PÈRE À LA VIGNE. – VIGNE LOUÉE À D’AUTRES VIGNERONS.

133. Saint Matthieu continue ainsi : « Mais que vous en semble ? Un homme avait deux fils ; s’approchant du premier, il lui dit : Mon fils, va aujourd’hui travailler à ma vigne. Celui-ci, répondant, dit : Je ne veux pas. Mais après, touché de repentir, il y alla. S’approchant ensuite de l’autre, il dit de même. Et celui-ci répondant, dit : « J’y vais, Seigneur, et il n’y alla point », etc, jusqu’à ces paroles : « Celui qui tombera sur cette pierre se brisera ; et celui sur qui elle tombera, elle l’écrasera a. » Ni saint Marc, ni saint Luc ne parlent de ces deux fils qui reçurent l’ordre d’aller à la vigne, pour y travailler. Saint Matthieu fait ensuite l’histoire de la vigne louée à des vignerons, raconte les mauvais traitements qu’ils font subir aux serviteurs envoyés vers eux, et le meurtre du fils bien-aimé qu’ils jettent hors de la vigne. Le deux autres évangélistes mentionnent ces faits exactement dans le même ordre b; c’est-à-dire, après que les Juifs, interrogés sur le baptême de Jean, furent réduits au silence et que Jésus leur eut dit : « Ni moi non plus je ne vous dirai point par quelle autorité je fais ces choses. »

134. Il n’y a donc ici aucune apparence de contradiction. Il est vrai qu’en saint Matthieu, après que le Seigneur eut fait cette question aux Juifs : « Lorsque le maître de la vigne viendra, « que fera-t-il à ces vignerons ? » ceux-ci lui répondirent aussitôt : « Il fera mourir misérablement ces misérables, et il louera la vigne à d’autres vignerons, qui lui en rendront le fruit en son temps. » Saint Marc, au contraire, ne met point cette réponse dans la bouche des Juifs ; c’est le Seigneur qui parle ainsi, comme se répondant à lui-même : « Que fera donc le maître de la vigne ? Il viendra, exterminera les vignerons, et donnera la vigne à d’autres. » Mais il faut admettre, ou bien que c’est leur réponse même qui a été insérée sans être précédée de ces mots : Ils dirent, ou : Ils répondirent ; ou bien encore que cette réponse est attribuée au Seigneur parce que les Juifs, disant la vérité, n’étaient que les interprètes de la Vérité même.

135. Mais il y a une difficulté plus sérieuse non-seulement saint Luc ne fait point ainsi répondre les Juifs, et comme saint Marc il attribue au Seigneur les paroles qui nous occupent, mais il leur prête une réponse tout à fait contraire et leur fait dire : « À Dieu ne plaise ! » Voici d’ailleurs son texte : « Que leur fera donc le maître de la vigne ? Il viendra et perdra ces vignerons, et donnera la vigne à d’autres. Ce qu’ayant entendu, ils lui dirent : À Dieu ne plaise ! Mais Jésus les regardant, dit : Qu’est-ce donc que ce qui est écrit : La pierre qu’ont rejetée ceux qui bâtissaient est devenue un sommet d’angle ? » Comment ceux à qui s’adressent ces paroles peuvent-ils dire en saint Matthieu : « Il fera mourir misérablement ces misérables, et il louera sa vigne à d’autres vignerons, qui lui en rendront le fruit en son temps ; » tandis qu’en saint Luc ils contredisent ces mêmes paroles et disent : « À Dieu ne plaise ? » D’ailleurs ce qui suit, ce que dit le Seigneur de la pierre mise de côté par ceux qui bâtissent et devenue un sommet d’angle, est destinée à réfuter les ennemis de cette parabole ; aussi saint Matthieu suppose-t-il que le Seigneur avait affaire à des contradicteurs, lorsqu’il lui fait dire : « N’avez-vous jamais là dans les Écritures : La pierre rejetée par ceux qui bâtissaient est devenue un sommet d’angle ? » Car que signifient ces mots : « N’avez-vous jamais lu », si ce n’est que ces hommes avaient répondu le contraire de ce qu’il avait dit ? Saint Marc l’indique également en citant ainsi les mêmes paroles : « N’avez-vous pas lu dans l’Écriture : La pierre rejetée par ceux qui bâtissaient est devenue un sommet d’angle ? » Cette réflexion d’ans saint Luc vient plus naturellement au moment où ils ont réclamé en s’écriant : « À Dieu ne plaise ! » Elle équivaut en effet à ces expressions qu’on lit dans son texte : « Qu’est-ce donc que ce qui est écrit : La pierre qu’ont rejetée ceux qui bâtissaient est devenue un sommet d’angle ? » Qu’on dise : « N’avez-vous jamais lu », ou bien : « N’avez-vous pas lu », ou encore : « Qu’est-ce donc que ce qui est écrit ? » c’est toujours la même pensée.

136. Nous devons donc reconnaître que dans la foule des auditeurs, quelques-uns répondirent, comme le rapporte saint Matthieu : « Il fera mourir misérablement ces misérables, et il louera sa vigne à d’autres vignerons ; » d’autres, le mot qu’on trouve en saint Luc : « À Dieu ne plaise ! » Quand donc les premiers eurent répondu au Seigneur, ces autres leur répliquèrent : « A Dieu ne plaise ! » Si saint Marc et saint Luc mettent dans la bouche du Seigneur la réponse de ceux à qui on répliqua : « À Dieu ne plaise ! » c’est que, comme je l’ai déjà dit, la Vérité même parlait par eux ; soit à leur insu, s’ils étaient mauvais, comme Caïphe qui prophétisa sans le savoir, lorsqu’il était grand-prêtre c ; soit à bon escient, s’ils comprenaient et avaient la foi. Car parmi eux se trouvait aussi la multitude qui avait accompli cette prédiction du prophète, en venant avec grande pompe à la rencontre du Fils de Dieu, et en criant : « Hosanna au fils de David. »

137. Voici une autre circonstance qui ne doit soulever aucune difficulté. D’après saint Matthieu, les princes des prêtres et les anciens du peuple s’approchèrent du Seigneur et lui demandèrent au nom de qui il agissait, et qui lui avait donné ce pouvoir ; il leur demanda à son tour d’où était le baptême de Jean, du ciel ou des hommes ; et comme ils lui dirent qu’ils ne le savaient pas, il répondit : « Ni moi non plus je ne vous dirai par quelle autorité je fais ces choses. » Immédiatement il ajoute : « Que vous en semble ? Un homme avait deux fils, », etc. Le récit de saint Matthieu continue ainsi sans changer ni les interlocuteurs, ni le lieu de la scène, jusqu’au moment où il est question de la vigne louée aux vignerons. Or, on pourrait en conclure que tout ceci a été dit aux princes des prêtres et aux anciens du peuple qui l’avaient questionné sur sa puissance. Cependant s’ils venaient vers lui comme des ennemis pour le tenter, comment les compter parmi ceux qui avaient cru et rendu au Seigneur le témoignage prédit par le prophète ; parmi, ceux aussi qui avaient pu répondre, non par ignorance, mais avec la lumière de la foi : « Il perdra misérablement ces misérables, et il louera sa vigne à d’autres vignerons ? » Tout ceci, dis-je, ne doit nullement nous embarrasser, ni nous faire supposer que dans cette foule qui écoutait les paraboles du Seigneur, il n’y ait eu personne pour croire en lui. En effet, saint Matthieu pour abréger a omis ce que nous trouvons dans saint Luc, savoir, que cette parabole s’adressait non-seulement à ceux qui l’avaient questionné sur sa puissance, mais encore à tout le peuple. Voici comment s’exprime ce dernier : « Alors il se mit à dire au peuple cette parabole : Un homme planta une vigne, », etc. Il faut donc croire que parmi ce peuple il y en avait pour l’écouter, comme il y en avait eu pour dire auparavant : « Béni celui qui vient au nom du Seigneur ; » et que ce furent eux ou quelques-uns d’entre eux qui répondirent : « Il perdra misérablement ces misérables, et il louera sa vigne à d’autres vignerons. »

Si saint Marc et saint Luc attribuent cette réponse au Seigneur, ce n’est pas seulement parce qu’étant la Vérité même, il parle quelquefois par la bouche des méchants qui l’ignorent, lorsqu’il dispose secrètement leur esprit sans que leur vertu l’ait mérité, et par un effet de sa Toute-Puissance : mais encore, parce qu’il pouvait y avoir là des hommes en état d’être considérés déjà comme les membres de son corps. À ce titre leurs paroles étaient les siennes. D’ailleurs, il avait déjà baptisé un plus grand nombre d’hommes que Jean d ; des disciples le suivaient en foule, comme l’attestent souvent les évangélistes ; parmi eux se trouvaient les cinq cents frères à qui il apparut après sa résurrection, d’après le témoignage de l’Apôtre saint Paul e. Ajoutons à l’appui de ceci qu’en saint Matthieu ces paroles : Aiunt illi, ne doivent pas s’entendre comme si illiétait au pluriel, pour indiquer que c’était la réponse de ceux qui l’avaient questionné sur sa puissance. Mais dans: Aiunt illi, illi est au singulier ; ce qui signifie : « On lui répond ; » on répond au Seigneur ; les manuscrits grecs ne laissent là-dessus aucun doute.

139. Il y a dans l’évangéliste saint Jean un discours du Seigneur qui aidera à saisir ma pensée ; le voici : « Jésus disait donc à ceux des Juifs qui croyaient en lui : Pour vous, si vous demeurez dans ma parole, vous serez vraiment mes disciples ; et vous connaîtrez la vérité, et la vérité vous rendra libres. Ils lui répondirent : Nous sommes la race d’Abraham, et nous n’avons jamais été esclaves de personne : comment dis-tu, toi : Vous serez libres ? Jésus leur répartit : En vérité, en vérité je vous le dis, quiconque commet le péché est esclave du péché. Or, l’esclave ne demeure point toujours dans la maison, mais le fils y demeure toujours. Si donc le Fils vous met en liberté, vous serez vraiment libres. Je sais que vous êtes fils d’Abraham ; mais vous cherchez à me faire mourir, parce que ma parole ne prend point en vous f. » Assurément il n’adressait point ces mots : « Vous cherchez à me faire mourir », à ceux qui déjà croyaient en lui, et à qui il venait de dire : « Pour vous, si vous demeurez dans ma parole, vous serez vraiment mes disciples. » C’était aux premiers croyants qu’il disait ceci ; mais parmi la foule qui était là, il y avait aussi beaucoup d’ennemis, et quoique l’évangéliste ne désigne point les différents interlocuteurs, on voit assez par le caractère de ce qu’ils disent, et par la réplique de Jésus, à quel genre de personnes il faut attribuer chacune de ces réponses. Or, de même que dans cette foule dont parle saint Jean, il y en avait qui croyaient en Jésus, d’autres qui cherchaient à le faire mourir ; ainsi dans celle dont il est ici question, les uns demandaient malicieusement au Seigneur au nom de qui il agissait ainsi ; il y en avait aussi qui s’étaient écriés, non pas avec hypocrisie, mais avec toute la sincérité de leur foi : « Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur », et qui conséquemment animés du même esprit pouvaient dire encore « Il les perdra, et donnera sa vigne à d’autres. » On peut ajouter que cette réponse est du Seigneur, soit parce qu’il est lui-même la vérité qu’elle exprime, soit à cause de l’union des membres avec leur chef. Il y en avait enfin qui disaient à ces derniers : « À Dieu ne plaise ! » parce qu’ils sentaient que cette parabole était à leur adresse.

Copyright information for FreAug