Matthew 26
CHAPITRE LXXVIII. JÉSUS ARRIVE À BÉTHANIE.
152. Saint Matthieu continue : « Or il arriva que Jésus, ayant achevé tous ces discours, « dit à ses disciples : Vous savez que la Pâque se fera dans deux jours et que le Fils de l’homme sera livré pour être crucifié. a » Saint Marc et saint Luc se trouvent ici d’accord avec lui, et suivent exactement la même marche b. Toutefois ils ne mettent point ces paroles dans la bouche du Seigneur ; au lieu de les citer, ils parlent d’eux-mêmes. « Or c’était la Pâque, dit saint Marc, et les azymes deux jours après. » Et saint Luc : « Cependant approchait la fête des azymes qu’on appelle la Pâque. » Elle approchait, puisque c’était deux jours après, comme le disent clairement les deux autres. Saint Jean à trois reprises différentes nous annonce que cette fête est proche : deux fois précédemment, en mentionnant d’autres faits ; la troisième fois son récit parait être arrivé à l’époque où nous ont conduits les trois autres Évangélistes, c’est-à-dire aux approches de la passion de notre Seigneur c. Les moins attentifs pourraient voir ici une contradiction ; car saint Matthieu et saint Marc, ayant dit que la Pâque était deux jours après, font arriver Jésus à Béthanie, où ils parlent d’un parfum précieux : saint Jean dit au contraire que six jours avant la Pâque Jésus vint à Béthanie, puis il parle du même parfum d. Comment donc, d’après les premiers, la Pâque pouvait-elle arriver deux jours après, puisqu’après l’avoir affirmé, ils se retrouvent avec saint Jean à Béthanie pour l’histoire du parfum, et que d’après ce dernier la fête devait seulement arriver dans six jours ? Nous ne ferons qu’une observation à ceux que cette difficulté pourrait arrêter. Saint Matthieu et saint Marc parlent du parfum de Béthanie, comme d’une chose passée ; elle n’a point eu lieu après qu’ils ont annoncé que la Pâque arrivait dans deux jours, mais auparavant, lorsqu’il y avait encore six jours d’intervalle jusqu’à cette fête. Car ni l’un ni l’autre, après avoir annoncé la Pâque dans deux jours, ne donne comme la suite de ce qu’il vient de rapporter les événements de Béthanie. Ils ne disent point : Après cela, lorsqu’il était à Béthanie. On lit, il est vrai, dans saint Matthieu Comme Jésus était à Béthanie ; n et en saint Marc : « Comme il était à Béthanie. » Mais il y était déjà avant les événements qui précédèrent de deux jours la fête de Pâque. D’après le récit de saint Jean, Jésus arriva donc à Béthanie six jours avant la Pâque. Là eut lieu le festin, où il est question du parfum précieux. Il se rendit ensuite à Jérusalem, monté sur un ânon ; puis vient le récit des événements accomplis après son arrivée en cette ville. Par conséquent, depuis le jour où il arrive à Béthanie et où il est question du parfum, jusqu’à celui où s’accomplissent les événements qui nous occupent, nous voyons, sans que les évangélistes nous le disent, qu’il s’écoule un intervalle de quatre jours alors nous arrivons au moment où ils écrivent que la Pâque arrive dans deux jours. Saint Luc, en disant ;: « Cependant la fête des azymes approchait » ne mentionne pas l’intervalle de deux jours, mais ses paroles touchant la proximité de la fête, ne peuvent s’entendre que de ce court intervalle. Quant à saint Jean, lorsqu’il écrit que, la Pâque des Juifs était proche e, il n’est point question de ces deux jours, mais bien de six jours avant la fête Aussi, après ces mots, il rapporte quelques événements ; puis voulant fixer avec plus de précision cette proximité de la fête de Pâque, il ajoute : « Jésus donc, six jours avant la Pâque, vint à Béthanie, où était mort Lazare, que Jésus avait ressuscité. On lui prépara là un souper f. » C’est cette dernière circonstance que saint Matthieu et saint Marc rappellent en passant, après avoir dit que la fête de Pâque arrivait dans deux jours. De cette manière, ils reviennent au moment où l’on était à Béthanie six jours avant cette fête, et rappellent en peu de mots le festin et le parfum mentionnés en saint Jean. De là Jésus devait venir à Jérusalem accomplir ce qui est ensuite raconté, puis arrivait le second jour avant la Pâque. C’est en ce jour qu’ils suspendent leur récit, pour dire brièvement ce qui s’est passé à Béthanie à l’occasion du parfum. Cela fait, ils reprennent le cours un instant interrompu de leur narration, et relatent le discours que prononça le Seigneur deux jours avant la fête de Pâque. En effet, supprimons un instant les événements de Béthanie, rapportés comme en passant et rétablissons la suite du récit un moment suspendu ; voici comment tout s’enchaîne dans saint Matthieu : « Vous savez que la Pâque se fera dans deux jours et que le Fils de l’homme sera livré pour être crucifié. Alors les princes des prêtres et les anciens du peuple s’assemblèrent dans la salle du grand-prêtre appelé Caïphe, et tinrent conseil pour se saisir de Jésus par ruse, et le faire mourir. Mais ils disaient que ce ne fût pas au jour de la fête, « de peur qu’il ne s’élevât du tumulte parmi le peuple. Alors un des douze, appelé Judas Iscariote, alla vers les princes des prêtres », etc. Entre ces mots : « De peur qu’il ne s’élevât du tumulte parmi le peuple », et les autres : « Alors un des douze, appelé Judas Iscariote, s’en alla », se trouvent rappelés, en passant, les faits accomplis à Béthanie ; nous les avons supprimés dans ce nouveau récit, afin de prouver que la suite des événements ne présente rien de contradictoire. Si nous supprimons également dans saint Marc le même festin de Béthanie, qu’il reprend aussi de plus haut, nous aurons les faits dans le même ordre : « Or, c’était la Pâque et les azymes deux jours après, et les princes des prêtres et les Scribes cherchaient comment ils se saisiraient de lui par ruse et le feraient mourir. Mais ils disaient que ce ne fût pas au jour de la fête, de peur qu’il ne s’élevât quelque tumulte parmi le peuple… Alors Judas Iscariote, un des douze, alla trouver les princes des prêtres g, », etc. Et, après ces paroles : « De peur qu’il ne s’élevât quelque tumulte parmi le peuple », que nous faisons suivre de ces autres : « Alors Judas Iscariote, un des douze », se trouve également intercalée l’histoire de Béthanie, reprise de plus haut. Saint Luc ne dit rien de Béthanie. Nous avons donné ces explications, parce que saint Jean, en racontant ce qui s’est passé à Béthanie, dit que ce fut six jours avant la Pâque ; tandis que saint Matthieu et saint Marc, après avoir rapporté qu’on était au second jour avant la fête, rappellent cette histoire de Béthanie mentionnée en saint Jean.CHAPITRE LXXIX. FESTIN DE BÉTHANIE.
154. Saint Matthieu continue ainsi le passage déjà cité à la fin de l’examen que nous venons de faire : « Alors les princes des prêtres et les anciens du peuple s’assemblèrent dans la salle du grand-prêtre appelé Caïphe, et tinrent conseil pour se saisir de Jésus par ruse et le faire mourir. Mais ils disaient que ce ne fût pas au jour de la fête, de peur qu’il ne s’élevât du tumulte parmi le peuple. Or, comme Jésus était à Béthanie, dans la maison de Simon le lépreux, vint auprès de lui une femme ayant un vase d’albâtre plein d’un parfum de grand prix, et elle le répandit sur sa tête lorsqu’il était à table », etc, jusqu’à ces mots : « On dira même, en mémoire d’elle, ce qu’elle vient de faire h. » Examinons maintenant l’histoire de cette femme qui vint à Béthanie, avec son parfum d’un grand prix. Saint Luc raconte un fait semblable ; c’est le même nom donné à celui chez qui vint manger le Seigneur, il l’appelle Simon. Mais s’il n’est point impossible ni contraire à l’usage que le même homme porte deux noms à la fois, il est moins étonnant encore que le même nom soit donné à deux hommes différents. Aussi me paraît-il plus probable que Simon, dont parle saint Luc, n’est point le même que le lépreux chez qui eut lieu la scène de Béthanie. En effet, saint Luc ne dit nullement que ce qu’il raconte se passait en cette localité, et quoiqu’il ne désigne aucune autre ville, ni aucun autre bourg, son récit lui-même semble indiquer un endroit différent. C’est tout ce que je veux démontrer. Mais il ne faudrait pas voir une autre femme dans cette pécheresse qui vint aux pieds de Jésus, les baisa, les arrosa de ses larmes, les essuya avec ses cheveux, et y répandit son parfum, alors que le Seigneur, par la parabole des deux débiteurs, déclara que beaucoup de péchés lui avaient été remis, parce qu’elle avait beaucoup aimé. La même femme, Marie, répandit deux fois des parfums ; la première fois, lorsque, comme saint Luc le raconte, son humilité et ses larmes lui méritèrent le pardon de ses péchés i. Saint Jean ne rapporte point, comme saint Luc, les circonstances de ce fait, mais il fait connaître également que cette femme était Marie. En commençant l’histoire de la résurrection de Lazare, et avant de nous faire arriver à Béthanie ; il s’exprime ainsi : « Or, il y avait un certain malade ; Lazare de Béthanie, du bourg où demeuraient Marie et Marthe sa sœur. Marie était celle qui oignit le Seigneur de parfums, et lui essuya les pieds avec ses cheveux ; or, Lazare, alors malade, était son frère j. » Saint Jean confirme ainsi le récit de saint Luc, qui place le fait dans la maison d’un Pharisien nommé Simon. Ainsi donc Marie avait déjà répandu des parfums ; elle en répandit de nouveau à Béthanie, et il n’y a rien de commun entre le récit de saint Luc et ce qui est ensuite raconté par les trois autres évangélistes, saint Jean, saint Matthieu et saint Marc k. 155. Examinons donc s’il règne un accord parfait entre ces trois différents récits de saint Matthieu, de saint Marc et de saint Jean ; car c’est bien le même fait, qui eut lieu à Béthanie, où le : disciples, d’après les trois évangélistes, murmurèrent contre cette femme de ce qu’elle prodiguait inutilement un parfum d’un si grand prix. Saint Matthieu et saint Marc font répandre ce parfum sur la tête du Seigneur, saint Jean sur ses pieds ; mais une telle différence n’implique aucune contradiction, comme déjà nous l’avons démontré au sujet des cinq pains dont fut nourrie la multitude. De ce que dans l’un il est dit qu’on s’assit par groupes de cinquante et de cent, et dans l’autre par groupes de cinquante, les deux passages ne peuvent se contredire. L’un aurait dit qu’ils étaient par centaines, et l’autre par cinquantaines, qu’il eût encore fallu en` conclure qu’on avait formé ces deux sortes de groupes. Ce fait nous apprend, comme je l’ai fait observer alors, que si les évangélistes racontent, celui-ci un fait, celui-là un autre, nous devons en conclure que les deux faits ont eu lieu ▼▼Ci-dessus 46, 98
. Disons donc aussi que cette femme répandit son parfum, non seulement sur la tête du Seigneur, mais encore sur ses pieds. Il est vrai que d’après saint Marc elle brisa son vase pour oindre la tête : voudra-t-on, pour ce motif, pousser l’absurdité jusqu’à nier que dans un vase brisé il puisse rester assez de parfum pour oindre les pieds ? Si pourtant un soutenait, afin de mettre en défaut le récit évangélique, que le vase fut tellement brisé, qu’il n’en resta rien ; un autre ne montrerait-il pas plus de logique, et plus de vraie piété, en soutenant, pour appuyer la véracité des Évangiles, qu’après que le vase fut brisé tout ne fut pas immédiatement répandu ? Enfin, si l’on s’opiniâtrait dans cette lutte aveugle et de mauvaise foi, et qu’on voulût en brisant le vase, briser l’accord des évangélistes, je répondrais L’onction des pieds eut lieu avant que le vase fut brisé, et il était encore intact, quand on répandit le parfum sur la tête ; alors seulement le vase fut, brisé, et tout fut entièrement répandu. Sans doute il est dans l’ordre de commencer par la tête ; mais c’est agir également avec ordre de monter des pieds à la tête. 156. Le reste de l’histoire ne peut soulever aucune difficulté. D’après les autres évangélistes, ce sont les disciples qui se plaignent de voir ainsi répandu un parfum d’aussi grand prix, tandis que saint Jean attribue cette plainte à Judas, parce qu’il était voleur. Or, il est évident, selon moi, que Judas se trouve désigné par ce nom de disciples au pluriel. C’est une manière de parler que nous avons déjà signalée dans l’histoire des cinq pains au sujet de l’apôtre Philippe, où le pluriel est employé pour le singulier ▼▼Ci-dessus n. 96.
. On pourrait croire aussi que les autres Apôtres ont pensé ou parlé comme lui, ou bien encore se sont laissé persuader par Judas, et qu’ainsi saint Matthieu et saint Marc ont pu mettre cette réflexion dans la bouche de tous, comme l’expression de leur conviction ; que Judas a parlé parce qu’il était voleur, et les autres, par compassion pour les pauvres, et que saint Jean, en ne désignant que celui-là, a voulu faire connaître à cette occasion sa funeste habitude de dérober. CHAPITRE LXXX. DISCIPLES ENVOYÉS POUR PRÉPARER LA PÂQUE.
157. Saint Matthieu continue : « Alors un des douze, appelé Judas Iscariote, alla vers les princes des prêtres ; et il leur dit : Que voulez-vous me donner, et je vous le livrerai ? Et ceux-ci lui assurèrent trente pièces d’argent », etc, jusqu’à ces mots : « Et les disciples firent comme Jésus leur commanda, et ils préparèrent la Pâque n. » Rien dans ce passage ne paraît contredire le récit de saint Marc ni celui de saint Luc, qui contiennent tous deux le même fait o. Quand saint Matthieu dit : « Allez dans la ville, « chez un tel, et dites-lui : Le Maître dit : Mon temps est proche ; je veux faire chez toi la Pâque avec mes disciples », il désigne évidemment celui que saint Marc et saint Luc appellent le père de famille, le maître de la maison dans laquelle on leur montra une salle pour y préparer la Pâque. Si donc saint Matthieu dit : « chez un tel », c’est évidemment une expression qu’il emploie de lui-même pour abréger le récit. Car s’il eût fait ainsi parler le Seigneur : Allez à la ville, et dites-lui : Mon temps est proche, je veux faire la Pâque chez toi ; on aurait certainement pu croire que ceci s’adressait à la ville même. Il ne prête donc point cette parole au Seigneur, en rapportant ses ordres, mais il dit de lui-même que le Seigneur ordonna l’aller vers un tel. Cette expression lui paraît suffisante pour faire connaître ce que Jésus commanda, sans répéter toutes ses paroles. En effet, on ne dit jamais réellement : Allez vers un tel ; qui pourrait le contester ? Si le Seigneur eût dit : Allez vers le premier venu, vers qui vous voudrez, ces mots auraient exprimé par eux-mêmes une idée complète, mais ils ne désignaient point vers qui il les envoyait ; tandis que saint Marc et saint Luc font parfaitement connaître cet homme sans désigner son nom. Car le Seigneur savait bien vers qui il les envoyait ; et afin qu’ils le pussent trouver eux-mêmes, il leur indique à quel signe ils le reconnaîtront. C’est un homme portant une cruche ou une amphore remplie d’eau : c’est lui qu’ils doivent suivre jusqu’à la maison qu’il veut occuper : On ne pouvait donc pas dire ici : Allez vers le premier venu : le sens de la phrase eût été complet, mais la pensée ainsi exprimée n’était plus vraie ; et en disant : Allez vers un tel, n’était-ce pas se servir d’une expression encore plus vague et moins admissible ? Évidemment les disciples ne furent point envoyés vers le premier venu, mais vers tel homme, c’est-à-dire, vers un homme qui leur fut clairement désigné. L’Évangéliste pouvait donc, sans citer textuellement, faire ainsi connaître et en son nom, ce qui avait été dit : Il les envoya vers un tel, pour lui dire : Je veux faire la Pâque chez toi. Il eût pu aussi écrire : Il les envoya vers un tel, en disant : Allez et dites-lui : Je veux faire la Pâque chez toi. Il fait donc parler le Sauveur, il cite ses paroles : « Allez dans la ville », puis il ajoute : « vers un tel ; » non pas que le Seigneur ait dit ce mot, mais l’évangéliste nous fait entendre, par là, qu’il y avait dans la ville un homme dont il ne cite point le nom, vers qui furent envoyés les disciples du Seigneur, afin de préparer la Pâque. L’auteur écrit donc ici deux mots de lui-même, puis il reprend la suite des paroles du Seigneur : « Et dites-lui : Le Maître dit. » Si quelqu’un voulait savoir à qui, on pourrait lui répondre : À un homme vers qui l’évangéliste indique clairement qu’ils furent envoyés, quand il dit : « Vers un tel. » Cette manière de parler est peu usitée ; mais elle a ici un sens complet : Peut-être la langue hébraïque, dans laquelle on prétend qu’écrivit saint Matthieu, permet-elle de mettre toutes ces expressions dans la bouche du Seigneur, sans violer les règles : ceux qui connaissent cette langue, peuvent s’en rendre compte. On eût encore pu s’exprimer ainsi en latin : Allez dans la ville, vers celui que vous désignera un homme venant à vous portant une cruche d’eau : car un ordre semblable pourrait s’exécuter sans embarras. Si l’on disait également : Allez dans la ville, vers tel homme, qui demeure à tel ou tel endroit, dans cette maison, ou dans une autre, la désignation du lieu ou de la maison ferait comprendre ces paroles ; on pourrait faire ce qu’elles expriment. Mais si on ne donnait pas ces signes distinctifs, ou d’autres semblables, et qu’on dît : Allez vers un tel, et dites-lui ; on ne pourrait être compris ; car on voudrait, par ces mots : vers un tel, désigner quelqu’un en particulier sans rien exprimer qui le distingue. Si donc nous regardons cette expression comme venant de l’évangéliste lui-même, elle pourra paraître un peu obscure, en énonçant plus brièvement la pensée ; mais elle renfermera un sens complet. Si saint Marc appelle lagène ce que saint Luc nomme amphore, l’un indique l’espèce de vase, l’autre la manière de le porter ; mais tous deux rendent exactement le fond de la pensée. 158. Saint Matthieu continue : « Le soir donc étant venu, il était à table avec ses douze disciples, et pendant qu’ils mangeaient, il dit : En vérité, je vous déclare qu’un de vous doit me trahir. Alors grandement contristés, ils commencèrent à lui demander chacun en particulier : Est-ce moi, Seigneur ? » etc, jusqu’à ces mots : « Mais prenant la parole, Judas, qui le trahit, dit : Est-ce moi, Maître ? Il lui répondit Tu l’as dit p. » Si nous voulons examiner ce passage, nous n’y rencontrerons aucune difficulté, non plus que dans les trois autres évangélistes qui rapportent le même fait q.LIVRE TROISIÈME. De la Cène à l’Ascension.
PROLOGUE.
1. Dans cette dernière partie du récit des évangélistes, nous devons trouver, comme précédemment, l’accord le plus parfait, sauf certaines divergences qui consistent uniquement dans le silence gardé par tel auteur sur un événement ou une parole relatés par les autres. Afin de mieux faire ressortir cet accord ; il m’a paru plus naturel et plus simple de fondre ces quatre narrés en un seul, où seront coordonnés les témoignages de chaque évangéliste. De cette manière on jutera mieux de l’ensemble et de l’harmonie générale.CHAPITRE PREMIER. LA CÈNE ET LE TRAÎTRE DÉVOILÉ.
2. Voici d’abord les paroles de Saint Mathieu : « Pendant qu’ils mangeaient, Jésus prit du pain, le bénit, le rompit, le donna à ses disciples et dit : Prenez et mangez ; ceci est mon corps r. » Saint Marc et Saint Luc s’expriment de la même manière s. Il est à remarquer cependant que saint Luc parle deux fois du calice ; la première avant que le Sauveur donnât le pain, et la seconde après. La première fois qu’il en parle, c’est en intervertissant l’ordre, ce qui arrive fréquemment ; la seconde fois, c’est en rapportant au moment où elles ont été prononcées les paroles qu’il n’avait point relatées d’abord ; ces deux citations réunies présentent le même sens que chez les autres évangélistes. Saint Jean garde ici le silence le plus absolu sur le corps elle sang du Seigneur ; mais il avait rapporté au long les paroles du Sauveur sur le même sujet, dans un autre endroit de son Évangile t. Quand donc Il a raconté ici que le Seigneur s’est levé de table et a lavé les pieds à ses disciples ; quand il a même formulé la raison de ce profond abaissement de son maître, sans oublier les passages de l’Écriture qui annonçaient la trahison de Judas, il arrive à cette circonstance, insinuée seulement par les trois autres évangélistes : « Jésus, dit-il, ayant ainsi parlé, fut troublé dans sors esprit, manifesta complètement sa pensée et dit : En vérité, je vous l’affirme, l’un d’entre vous me trahira. Or, « ajoute saint Jean, les apôtres se regardaient les uns les autres, ne sachant de qui Jésus parlait u. » Ou bien, comme le rapportent saint Matthieu et saint Marc : « Ils furent plongés dans la consternation et se mirent à dire les uns après les autres : Est-ce que c’est moi ? Jésus », continue saint Matthieu, « leur répondit : Celui qui met avec moi la main dans le plat, celui-là me trahira : » Le même évangéliste ajoute : « Pour ce qui est du Fils de l’homme, il s’en va, selon ce qui a été écrit de lui ; mais malheur à l’homme par qui le Fils de l’homme sera trahi il eût été mieux pour lui de n’être pas né. » Saint Marc présente ici avec saint Mathieu une similitude parfaite. Ce dernier ajoute : « Là-dessus Judas, qui fut celui qui le trahit, s’écria : Maître, est-ce que c’est moi ? C’est toi qui l’as dit, lui répondit Jésus. » Mais ces dernières paroles ne révélaient pas clairement que Judas fut le traître. En effet, ne pouvait-on pas les interpréter comme si le Sauveur avait répondu : Je n’ai pas dit cela ? Du reste il est permis de supposer que les autres Apôtres restèrent étrangers à cet échange de paroles, entre le Seigneur et Judas. 3. C’est après cela que saint Matthieu, comme saint Marc et saint Luc, nous montre Jésus donnant à ses disciples son corps et son sang. À peine le Sauveur avait-il présenté le calice, qu’il parla de nouveau du traître qui devait le livrer ; saint Luc s’exprime ainsi : « Voici que la main de celui qui me trahit est avec moi sur cette table. « Quant au Fils de l’homme, il s’en va, ainsi que cela a été décidé ; mais malheur à l’homme par qui il sera livré ! » Il faut observer que ces paroles furent suivies de celles que saint Jean rapporte et qui sont omises par les autres évangélistes. De son côté, saint Jean en omet quelques-unes qui nous sont rapportées par eux. Lors donc qu’après avoir donné le calice le Seigneur eut dit, comme le rapporte saint Luc Cependant voici que la main de celui qui me trahit est avec moi sur cette table, etc », il faut ajouter immédiatement ces paroles de saint Jean : « Cependant un des disciples était penché sur le sein de Jésus ; c’était celui que Jésus aimait. Simon Pierre lui fit signe et lui dit : De qui veut-il donc parler ? Ce disciple, étant penché sur le sein de Jésus, lui dit : Seigneur, qui est-ce ? Jésus lui répondit : C’est celui à qui je présenterai le pain que j’aurai trempé. Et quand il eut trempé le pain, il le donna à Judas, fils de Simon Iscarioth. Et après qu’il eut pris une bouchée, Satan entra en lui. » 4. Il semble que ces dernières paroles sont en contradiction avec celles de saint Luc, qui nous dit, que Satan entra dans le cœur de Judas, quand il conclut son pacte avec les Juifs et s’engagea à leur livrer son maître pour de l’argent, Il y a plus, car dans ces mêmes paroles saint Jean semble se mettre en contradiction avec lui-même. En effet, quelques versets plus haut, avant que Judas eut pris ce pain qui lui était présenté, saint Jean avait déjà dit de lui : « Et le repas étant fini, quand déjà le démon s’était emparé du cœur de Judas pour le porter à livrer son maître. » Comment, en effet, le démon entre-t-il dans le cœur des méchants, si ce n’est en les remplissant de desseins et de pensées criminelles ? Pour concilier ces deux passages, il suffit de dire que cette seconde fois Judas fut complètement possédé du démon. N’est-il pas vrai, de même que, après avoir reçu le Saint-Esprit à la suite de la résurrection, quand le Sauveur souffla sur eux en leur disant : « Recevez le Saint-Esprit v », les Apôtres plus tard le reçurent de nouveau le jour de la Pentecôte, dans toute sa plénitude ? Donc après le repas, Satan entre en Judas et, suivant le texte de saint Jean, Jésus lui dit : « Ce que tu fais ; fais-le au plus tôt, : Mais aucun de ceux qui étaient à table ne comprit pourquoi il lui avait ainsi parlé. Parce que Judas portait la bourse, quelques-uns pensèrent que par ces paroles Jésus avait voulu lui dire : Achète ce dont nous avons besoin pour le jour de la fête, ou bien qu’il lui commandait de distribuer quelque chose aux pauvres. Pour Judas, il sortit aussitôt qu’il eut pris ce morceau, mais alors il faisait nuit. Et quand il fut sorti, Jésus leur dit : Voici que le Fils de l’homme va être glorifié et Dieu a été glorifié en lui. Et si Dieu a été glorifié en lui, Dieu le glorifiera aussi en lui-même, et c’est de suite qu’il va le glorifier. »CHAPITRE II. PRÉDICTION DU RENIEMENT DE SAINT PIERRE.
5. « Mes chers petits enfants, je ne suis plus que pour peu de temps avec vous. Vous me chercherez ; et comme je l’ai dit aux Juifs, vous ne pouvez venir où je vais. Je vous fais un commandement nouveau, c’est que vous vous aimiez réciproquement, et qu’ainsi que je vous ai aimés, vous vous aimiez les uns les autres. Simon Pierre lui dit : Seigneur, où allez-vous ? Jésus lui répondit : Là où je vais, tu ne peux venir maintenant, mais tu y viendras plus tard. Pierre ajouta : Pourquoi ne pourrais-je vous suivre maintenant ? je donnerai ma vie pour vous. Jésus lui répondit : Tu donneras ta vie pour moi ? En vérité, en vérité je te le dis, le coq n’aura pas encore chanté que tu m’auras renié trois fois w. » Cette prédiction du reniement de saint Pierre, formulée par saint Jean dans les termes que je viens de rapporter, est aussi mentionnée par les trois autres évangélistes x. Il faut reconnaître, cependant, que dans tous ces auteurs, cette prédiction n’est pas faite dans la même circonstance. Ainsi, saint Matthieu et saint Marc qui se suivent ici absolument, ne font mention de cette prophétie que quand le Sauveur fut sorti du cénacle même. Mais on peut facilement tout concilier en supposant que saint Matthieu et saint Marc ne font que récapituler ce qui s’était dit précédemment. Ne pourrait-on pas supposer aussi, en voyant les protestations de Pierre précédées de paroles et de réflexions si diverses faites par le Sauveur, que frappé des prédictions de son maître, Pierre lui attesta, par trois fois différentes, qu’il était disposé à donner sa vie pour lui ou avec lui, et qu’à chacune de ses attestations présomptueuses, le Sauveur lui répondit, qu’avant le chant du coq il aurait trois fois renié son maître ? 6. En effet tout porte à croire que dans trois moments différents, quoique peu séparés, Pierre fut victime de la présomption comme il devait par trois fois différentes, renier Jésus-Christ, et que, trois fois il reçut du Seigneur une réponse pareille ; comme après la résurrection il s’entendit demander par trois fois s’il aimait, et par trois fois, sans qu’aucune autre parole fut échangée, il reçut l’ordre de paître les agneaux et les brebis y. Dans cette interprétation, on s’explique parfaitement l’espèce de variété que l’on remarque dans les récits évangéliques, au sujet des paroles de saint Pierre et de celles du Sauveur, paroles citées assez diversement et dans des circonstances différentes. Rappelons-nous la suite du récit, tel que nous le trouvons en saint Jean : « Mes chers petits enfants, je ne suis plus que pour peu de temps avec vous. Vous me chercherez ; et comme j’ai déjà dit aux Juifs : vous ne pourrez venir où je vais, je vous le dis maintenant à vous-mêmes. Je vous fais un commandement nouveau, c’est que vous vous aimiez réciproquement, et qu’ainsi que je vous ai aimés, vous vous aimiez les uns les autres. Chacun pourra reconnaître que vous êtes mes disciples, si vous vous aimez les uns les autres. Simon Pierre lui dit : Seigneur, où allez-vous ? » Rien de si naturel que ce mouvement qui pousse saint Pierre à demander : « Seigneur, où allez-vous ? » puisqu’il venait d’entendre ces mots : « Où je vais, vous ne pouvez pas venir vous-mêmes. » Jésus lui répondit : « Là où je vais, tu ne peux me suivre maintenant, mais tu me suivras plus tard. » Et Pierre de répliquer : « Pourquoi ne pourrais-je pas vous suivre maintenant ? je donnerai ma vie pour vous. » À cette présomption, le Sauveur répond en lui prédisant son – renoncement. Quant à saint Luc, il rappelle d’abord ces paroles de Jésus-Christ : « Simon, voici que Satan vous à convoités pour vous cribler, comme on crible le froment. Mais j’ai prié pour toi, afin que ta foi ne défaille pas. Lors donc que tu seras revenu, confirme tes frères. » Puis, il ajoute que saint Pierre répondit : « Seigneur, je suis prêt à aller avec vous et en prison et à la mort. Jésus lui dit : Je t’affirme, Pierre, qu’avant que le coq ait chanté aujourd’hui, tu me renieras trois fois. » On voit que ce qui a provoqué la présomption de Pierre, est bien différent dans le récit de saint Jean et dans celui de saint Luc. Voici maintenant le texte de saint Matthieu : « Et l’hymne étant achevée, ils se rendirent à la montagne des Oliviers. Alors Jésus leur dit : Cette nuit, vous serez tous scandalisés à mon sujet, car il est écrit : Je frapperai le pasteur et les brebis du troupeau seront dispersées. Mais lorsque je serai ressuscité, je vous précéderai en Galilée. » C’est à peu près le texte de saint Marc. Or quelle ressemblance trouver entre ce texte et le langage présomptueux de Pierre dans saint Jean ou dans saint Luc ? Saint Matthieu continue : « Et Pierre répondit : Lors même que tous seraient scandalisés à votre sujet, pour moi, je ne le serai jamais. Jésus lui répliqua : Je te dis, en vérité, que dans cette nuit même, avant que le coq chante, tu me renieras trois fois. Pierre lui répondit : Quand il me faudrait mourir avec vous, je ne vous renierai pas. Les autres disciples en dirent autant. » 7. Saint Marc se sert à peu près des mêmes expressions, mais avec plus de précision encore sur la manière dont les choses devront se passer : « En vérité je te déclare, dit le Seigneur, que toi-même, aujourd’hui, dans cette nuit, avant que le coq ait chanté deux fois, tu m’auras renié trois fois. » Les autres évangélistes avaient annoncé que Pierre renierait son maître avant le chant du coq, sans préciser combien de fois le coq chanterait. Saint Marc est le seul qui se soit montré aussi explicite. De là certains auteurs ont prétendu que saint Marc était en désaccord avec les autres écrivains sacrés ; mais cette prétention ne peut être que l’effet, ou d’une grande légèreté, ou d’un profond aveuglement, fruit de leur haine contre l’Évangile. En effet, il est certain que Pierre renia trois fois son Maître. Il resta sous la peur dont il était saisi, et dans sa résolution de nier jusqu’au moment où le Sauveur lui rappelant ce qui lui avait été prédit, il trouva sa guérison dans des larmes amères et dans le repentir du cœur. Or, si ce triple reniement n’eut lieu qu’après le premier chant du coq, les trois Évangélistes peuvent être accusés d’erreur. Saint Matthieu dit : « En vérité je te déclare que, dans cette nuit, avant que le coq ait chanté, tu me renieras trois fois. » Saint Luc : « Je te dis, Pierre, qu’avant que le coq chante aujourd’hui, tu me renieras trois fois ; » et saint Jean : « En vérité, en vérité je t’affirme que le coq ne chantera pas que tu ne me renies trois fois. » On voit que ce n’est pas dans les mêmes termes ni dans le même ordre, que les évangélistes rapportent cette sentence du Sauveur, annonçant qu’avant le chant du coq Pierre l’aurait renié trois fois. Or pourquoi préciser les deux chants du coq, si le triple reniement devait être accompli avant le premier, et, par là même, avant le second, avant le troisième et avant tous les autres chants du coq durant cette nuit ? Observons qu’avant le premier chant du coq, la série des reniements était commencée ; or les trois évangélistes ne se sont pas proposé de nous dire à quel moment saint Pierre compléta cet acte de lâcheté ; il leur a suffi de nous révéler l’heure avant laquelle il le commença, et le nombre de fois qu’il le renouvela. Il le renouvela trois fois et il le commença avant le chant du coq. Bien plus, il est certain que dans sa pensée il consomma son crime avant le premier chant du coq ; qu’importe alors qu’il ait commencé, avant le premier chant, sa triple négation, et qu’il ne l’ait achevée qu’avant le second chant ? Sa faute était voulue et consommée avant le premier chant du coq. Qu’importe aussi que ses négations eussent été séparées par des intervalles plus ou moins longs ? Avant le premier chant, il était tellement victime de la crainte et de la lâcheté, qu’il était disposé à renier son maître, une première, une seconde, une troisième fois si on l’interrogeait encore. Il réalisait une parole du Sauveur qui déclare que jeter, sur une femme, un regard adultère, c’est déjà avoir commis l’adultère dans son cœur z. Par la même raison, quand Pierre exhalait dans ses paroles cette crainte étrange, à laquelle il était en proie, et dont il subit l’influence jusqu’à une seconde et une troisième négation, on peut dire que tout son crime lui devint imputable, au moment même où il se laissa dominer par cette frayeur qui devait le faire apostasier trois fois. En admettant dès lors, que ce ne fut qu’après le premier chant du coq, que tourmenté par les questions qui lui étaient faites, il commença cette triste série de dénégations, même alors serait-il donc si absurde de dire qu’il a renié trois fois avant le chant du coq, puisque avant ce chant du coq il était déjà tout entier sous le coup de cette crainte qui devait l’amener à un triple reniement ? Or cette assertion est d’autant plus naturelle que ce reniement fut commencé réellement avant le premier chant du coq, quoiqu’il n’ait été complet qu’avant le second. Je dis à quelqu’un : cette nuit, avant que le coq chante, tu m’écriras une lettre dans laquelle tu m’insulteras trois fois. Aurai-je fait une fausse prophétie, parce que cette lettre, commencée avant le premier chant du coq, n’a été terminée qu’après ? Toute la différence présentée par saint Marc vient donc de l’énonciation formelle des intervalles qui marquèrent les protestations de l’Apôtre infidèle : « Avant que le coq ait chanté deux fois, « tu me renieras trois fois. » Du reste, quand nous serons en face du récit lui-même, nous montrerons le parfait accord des évangélistes. 8. Chercher à connaître toutes les paroles que le Seigneur adressa à Pierre, est une prétention vaine et inutile. Il suffit de connaître la pensée générale, qui fut comme le résumé de ces paroles ; et cette pensée nous est révélée dans les différents récits des évangélistes. Soit donc qu’on admette que ce fut à diverses reprises, pendant les discours du Seigneur, que Pierre ému laissa échapper cette triple et présomptueuse protestation qui provoqua la triple prophétie de son reniement, et c’est là le plus probable ; soit que l’on coordonne le récit des Évangélistes, de telle manière, qu’il en résulte que le Seigneur ne prédit qu’une seule fois à Pierre, trop présomptueux, qu’il le renierait la nuit même ; toujours est-il que l’on ne peut surprendre dans ces textes différents aucune contradiction ; et en effet il n’y en a aucune.CHAPITRE III. DISCOURS APRÈS LA CÈNE.
9. Suivons maintenant, autant que nous le pourrons, l’ordre chronologique d’après tous les évangélistes. Après avoir rapporté la triste prédiction faite à Pierre, saint Jean nous représente le Sauveur continuant à s’entretenir avec ses apôtres et leur disant : « Que votre cœur ne se trouble point ; vous croyez en Dieu, croyez aussi en moi. Il y a bien des demeures dans la maison de mon Père ; », etc. Le texte de ce discours sublime et magnifique va jusqu’à cet endroit où le Seigneur s’écrie : « Père juste, le monde ne vous connaît pas, mais moi je vous connais, et ceux-ci savent que vous m’avez envoyé, et je leur ai fait connaître votre nom et je le leur ferai connaître encore, afin que l’amour dont vous m’avez aimé soit en eux et que je sois aussi en eux aa. – Or, comme le raconte saint Luc, il s’éleva entre eux une contestation sur la question de savoir lequel d’entre eux devait être considéré comme le plus grand. Mais Jésus leur dit : Les rois des nations exercent sur elles leur autorité, et ceux qui les dominent prennent le nom de bienfaiteurs. Il n’en sera pas ainsi pour vous ; il faut que le plus grand soit comme le plus petit, et celui qui est à la tête comme celui qui obéit. Et en effet, lequel est le plus grand, de celui qui est à table ou de celui qui le sert ? Mais pourtant me voici au milieu de vous dans l’attitude de celui qui sert. Pour vous, vous êtes demeurés fermes avec moi au milieu de mes tentations. Et voici que je vous prépare le royaume comme mon Père me l’a préparé, afin que vous y mangiez et que vous y buviez à ma table, « et que vous y soyez assis sur des trônes pour juger les douze tribus d’Israël. Or, ajoute saint Luc, le Seigneur dit à Simon : Voilà que Satan vous a convoités pour vous cribler comme on crible le froment ; mais j’ai prié pour toi, afin que la foi ne défaille point ; toi donc, lorsque tu seras revenu, confirme tes frères. Pierre lui répondit : Seigneur, je suis prêt à aller avec vous et en prison et à la mort. Et le Seigneur lui dit : Je te l’assure, Pierre, le coq n’aura pas chanté aujourd’hui, que déjà tu m’auras renié trois fois. Puis il leur dit à tous : Quand je vous ai envoyés sans sac de voyage, sans bourse et sans chaussure, est-ce que quelque chose vous a manqué ? Non, répondirent-ils. Le Seigneur ajouta : Mais, maintenant, que celui qui a un sac le prenne, qu’il prenne aussi sa bourse, « et que celui qui n’en a point, vende sa tunique pour acheter une épée. Car je vous assure qu’il faut encore que l’on voie s’accomplir en moi cette parole de l’Écriture : Il a été mis au rang des criminels, et ce qui me concerne touche à son accomplissement. Ils lui dirent : Voici deux épées, Seigneur. C’est assez, leur répondit-il ab. Et l’hymne étant dite, ajoutent saint Matthieu et saint Marc, ils se rendirent au mont des Oliviers. Alors Jésus leur dit : Vous serez tous scandalisés cette nuit, à mon sujet, car il est écrit : Je frapperai le pasteur, et les brebis du troupeau seront dispersées ; mais quand je serai ressuscité, je vous précéderai en Galilée. Pierre prenant la parole lui dit : Lors même que tous seraient scandalisés à votre sujet, moi je ne me scandaliserai jamais. Jésus lui répondit : « Je te déclare en vérité, que dans cette nuit, « avant que le coq ait chanté, tu me renieras trois fois. Pierre répliqua : Lors même qu’il me faudrait mourir avec vous, je ne vous renierai pas. Les autres disciples en dirent autant ac. » Nous avons inséré ici les paroles de saint Matthieu, mais saint Marc s’exprime d’une manière à peu près identique ad; la seule différence est celle que nous avons signalée plus haut, relativement au chant du coq.CHAPITRE V. ON SE SAISIT DE JÉSUS.
15. « Le Sauveur parlait encore, disent saint Matthieu et saint Marc, et voici que Judas, l’un des douze, se présenta, accompagné d’une foule nombreuse, armée de glaives et de bâtons, et envoyée par les princes des prêtres et par les anciens du peuple. Or, celui qui le livra, leur avait donné ce signal : Celui que j’embrasserai, c’est lui-même, emparez-vous de lui. Et s’approchant de Jésus, il lui dit : Je vous salue, maître, et il l’embrassa ae. » La première parole que Jésus prononça, c’est celle-ci, rapportée par saint Luc : « Judas, tu trahis le Fils de l’homme par un baiser af ; » la seconde est celle de saint Matthieu : « Mon ami, pourquoi est tu vend ? » Enfin une troisième parole nous est conservée par saint Jean : « Qui cherchez-vous ? Ils lui répondirent : Jésus de Nazareth. Jésus leur dit : C’est moi. Or, au milieu d’eux se trouvait Judas, qui le livrait. Quand donc il leur eut dit : C’est moi ; ils allèrent à la renverse et tombèrent à terre. Après cela, il leur demanda encore une fois : Qui cherchez-vous ? Ils lui dirent : Jésus de Nazareth. Jésus leur répondit : Je vous ai dit que c’est moi. Si donc c’est moi que vous cherchez, laissez aller ceux-ci. Afin que cette parole qu’il avait prononcée, fut accomplie : Je n’ai perdu aucun de ceux que vous m’avez donnés ag. » 16. « Or, dit saint Luc, ceux qui l’environnaient, voyant ce qui allait arriver, lui dirent : Seigneur, si nous – frappions de l’épée ? Et l’un d’eux », les quatre évangélistes sont unanimes sur ce point, « frappa un serviteur du grand-prêtre et lui coupa l’oreille droite », disent saint Luc et saint Jean. Or, selon saint Jean, celui qui frappa ainsi, ce fut saint Pierre, et celui qu’il frappa, se nommait Malchus. D’après saint Luc, « Jésus élevant la voix leur dit : Laissez aller jusque-là », et d’après saint Matthieu il continua ainsi : « Remets ton épée dans le fourreau. Car tous ceux qui auront pris l’épée, périront par l’épée. Crois-tu que je ne puisse pas prier mon Père, qui m’enverrait aussitôt plus de douze légions d’anges ? Comment donc s’accompliront les Écritures, qui ont annoncé qu’il doit en être ainsi ? » On peut ajouter à cela ce que rapporte saint Jean : « Ce calice que mon Père m’a donné, ne veux-tu pas que je le boive ? » Saint Luc continue son récit en disant que Jésus toucha l’oreille de celui qui avait été frappé, et le guérit. 17. On soulève des difficultés au sujet de ce passage de saint Luc, où le Seigneur interrogé par ses apôtres, s’ils devaient frapper de l’épée, répondit : « Laissez aller jusque-là », comme s’il eût approuvé ce qui venait de se passer, tout en défendant d’aller plus loin. Dans saint Matthieu, au contraire, on voit clairement que ce coup de hardiesse de saint Pierre a déplu au Sauveur. Voici la vérité, je crois. À cette question des apôtres : « Maître, si nous frappions de l’épée ? » le Sauveur répondit : « Laissez aller jusque-là », c’est-à-dire, ne vous opposez point à ce qui va arriver, car je dois permettre à mes ennemis de pousser la haine envers moi, jusqu’à s’emparer de ma personne, afin que les Écritures s’accomplissent. Mais dans l’intervalle qui suivit la demande et précéda la réponse, Pierre, saisi d’un enthousiasme plus vif pour son Maître et du désir de le défendre, frappe le serviteur du grand-prêtre. Or, il est évident qu’il fallut plus de temps pour poser la question et y répondre qu’il n’en fallut a saint Pierre pour frapper son ennemi. En effet, le texte porte : « Et Jésus répondit », c’était donc à la question qu’il répondit et non à l’acte de Pierre. Saint Matthieu, seul, nous fait connaître la pensée du Sauveur, sur l’empressement de son disciple. Dans ce passage, saint Matthieu ne dit pas de Jésus : « Il répondit à Pierre : Remets ton épée dans le fourreau ; » nous lisons : « Alors il dit à Pierre : Remets ton épée ; » ce qui n’a pu être dit qu’après l’acte de Pierre. Si saint Luc porte : « Jésus répondit. Laissez aller jusque-là ; » cette réponse dut évidemment être faite à ceux qui l’avaient interrogé ; mais parce que, comme nous l’avons observé, le coup fut porté dans l’intervalle de la demande et de la réponse, l’écrivain sacré, polir suivre l’ordre des faits, a cru devoir mentionner l’action entre la demande et ta réponse. Il n’y a donc aucune contradiction à tirer de ces paroles de saint Matthieu : « Tous ceux qui prendront l’épée, qui en feront usage périront par l’épée. » Il en serait autrement si le Seigneur, dans sa réponse, avait paru approuver l’usage spontané du glaive, ne fût-ce que pour une seule blessure, et ne fût-elle pas mortelle. Enfin, rien ne s’oppose à ce que l’on applique à saint Pierre la réponse tout entière, telle que nous la trouvons dans saint Luc et saint Matthieu : « Laissez aller jusque-là ; remets a ton glaive dans le fourreau. Tous ceux qui prendront l’épée périront par l’épée, etc. » J’ai expliqué le sens de ces expressions : « Laissez aller jusque-là ; » si l’on peut en donner une meilleure interprétation, j’y consens ; Pourvu cependant qu’on n’ébranle pas la vérité ni l’accord des récits évangéliques. 18. Saint Matthieu continue, et met sur les lèvres du Sauveur ces autres paroles, prononcées à l’heure même : « Vous êtes venus, armés d’épées et de bâtons, pour me prendre, comme un larron. Cependant, je me suis trouvé tous les jours au milieu de vous, siégeant et enseignant dans le temple ; et vous n’avez pas mis la main sur moi. Mais, selon le texte de saint Luc, voici votre heure et celle de la puissance des ténèbres. Or, selon saint Matthieu, tout cela se passa afin que toutes les prophéties fussent accomplies. Alors tous les disciples l’abandonnèrent et s’enfuirent », comme l’atteste aussi saint Marc, qui continue ainsi : « Jésus était suivi par un jeune homme couvert d’un linceul ; et comme on voulait le saisir, il abandonna son linceul aux mains de ceux qui le tenaient et s’enfuit sans aucun vêtement. »CHAPITRE VI. JÉSUS DEVANT LE PRINCE DES PRÊTRES. – RENIEMENT DE SAINT PIERRE.
19. « Ces gens, s’étant donc saisis de Jésus, le conduisirent chez Caïphe, prince des prêtres, où les Scribes et les anciens du peuple s’étaient rassemblés ah. » Mais, d’après saint Jean, Jésus fut d’abord conduit chez Anne beau-père de Caïphe ai. Saint Marc et saint Luc ne désignent pas le nom du pontife aj. Or Jésus frit conduit garrotté, parce que, d’après saint Jean, il y avait dans la foule un tribun, une cohorte et les ministres des Juifs. « Cependant Pierre le suivait de loin, jusque dans la cour du palais du grand-prêtre, et étant entré il se tenait assis au milieu des serviteurs, afin de voir le dénouement. » À ce récit de saint Matthieu, saint Marc ajoute, que « Pierre se chauffait auprès du feu. » Saint Luc signale le même fait : « Pierre suivait de loin, dit-il ; or, il y avait du feu allumé au milieu de la cour, une grande foule s’assit tout autour, et Pierre était au milieu d’eux. » D’après saint Jean : « Pierre le suivait de loin, ainsi qu’un autre disciple. Or ce disciple était de la connaissance du grand-prêtre, et il entra avec Jésus dans la cour du pontife. « Quant à Pierre, il demeura en dehors, à la porte. Alors cet autre disciple qui était commis du grand-prêtre, sortit, parla à la portière et introduisit Pierre dans la cour. » Voilà ce qui nous explique pourquoi saint Pierre pénétra dans l’intérieur de la cour, comme nous l’attestent les autres évangélistes. 20. « Or, dit saint Matthieu, les princes des prêtres et tout le conseil, cherchaient un faux témoignage contre Jésus, afin de pouvoir le livrer à la mort. Mais il ne s’en trouvait point. « Il se présenta bien plusieurs faux témoins qui déposaient mensongèrement contre lui, mais leurs dépositions ne s’accordaient pas. » C’est saint Marc qui en fait l’observation, en rapportant ce passage. « Enfin il se trouva deux faux témoins, dit saint Matthieu, qui déposèrent contre lui en ces termes : Il a dit : Je puis détruire le temple de Dieu et je le relèverai après trois jours. » Saint Marc signale d’autres témoins qui dirent. « Nous l’avons entendu s’écriant : Je renverserai ce temple, fait de main d’homme, et après trois jours j’en bâtirai un autre, qui ne sera pas fait de main d’homme, et il n’y avait pas accord dans leurs dépositions. Alors le grand-prêtre se leva et dit à Jésus. Vous n’avez rien à répondre à ce que ces gens déposent contre vous ? Mais Jésus gardait le silence. Et le prince des prêtres lui dit : Je vous adjure, par le Dieu vivant, de nous dire si vous êtes le Christ, Fils de Dieu. « Jésus lui répondit : Vous l’avez dit. » Ces paroles sont de saint Matthieu. Saint Marc exprime les mêmes pensées avec d’autres termes, seulement il ne parle pas de l’adjuration portée par le grand-prêtre ; mais cette réponse du Sauveur : « Tu l’as dit », revient à celle-ci : « Je le suis. » Cet auteur ajoute : « Jésus lui répondit : Je le suis, et vous verrez le Fils de l’homme, assis à la droite de la puissance divine, venir sur les nuées du ciel. » Saint Matthieu s’exprime de même, mais il ne dit pas que Jésus eut répondu : « Je le suis. Alors le grand-prêtre déchira ses vêtements en s’écriant : Il a blasphémé ; qu’avons-nous encore besoin de témoins ? » Après ces paroles, saint Matthieu ajoute : « Vous venez d’entendre son blasphème. Que vous en semble ? Et tous de répondre : Il est digne de mort. » Saint Marc s’exprime de même, et saint Matthieu continue : « Alors ils lui crachèrent au visage et l’accablèrent de soufflets. D’autres lui portant des coups sur la face, lui disaient : Christ, prophétise, et dis-nous qui t’a frappé. » Saint Marc ajoute à cela qu’ils lui voilèrent la face. Saint Luc s’exprime de la même manière. 21. Cette scène d’outrages se passa dans la maison du grand-prêtre, où le Sauveur avait d’abord été conduit et dura jusqu’au matin ; et c’est pendant ce même temps que Pierre fut tenté. Quant à cette tentation, qui eut lieu pendant que le Seigneur était couvert d’outrages, les évangélistes ne la racontent pas tous dans le même ordre : Saint Matthieu et saint Marc décrivent d’abord toutes les injures lancées à Jésus-Christ ; puis seulement ils racontent la tentation. Saint Luc parle d’abord de cette tentation ; de là il passe aux souffrances du Seigneur. Quant à saint Jean, il commence à décrire la tentation, puis il intercale quelque chose des humiliations du Sauveur chez Anne, ensuite il nous le montre conduit chez Caïphe. Avant de nous dire ce qui se passa devant ce second tribunal, il revient sur ses pas, pour reprendre la description déjà commencée de la tentation de Pierre dans la maison où il avait d’abord été conduit ; puis il remonte à la suite naturelle des événements, en commentant par l’arrivée du Sauveur chez Caïphe. 22. Saint Matthieu continue : « Or, Pierre était assis au-dehors dans la cour, une servante s’approcha de lui, en disant : Et toi aussi lu étais avec Jésus de Nazareth ? Pierre nia en face de toute la foule, en disant : Je ne sais ce que tu dis. Il sortit alors et comme il franchissait la porte, une autre servante le vit et dit à ceux qui étaient là : Celui-ci était aussi avec Jésus de Nazareth. Il nia de nouveau avec serment, « et dit : Je ne connais pas – cet homme. Peu de temps après, ceux qui étaient d’abord assis s’approchèrent et dirent à Pierre : Assurément tu es de ces gens-là, car ton accent te fait assez connaître. Alors Pierre se prit à faire des exécrations et des serments, et dit qu’il ne connaissait pas cet homme. Et aussitôt le coq chanta. » Il ne faut pas oublier que quand Pierre sortit et eut nié une première fois, le coq chanta aussi pour la première fois ; saint Matthieu n’en dit rien, mais saint Marc signale expressément cette circonstance. 23. Remarquons aussi qu’il n’y eut aucun reniement prononcé en dehors de la cour, mais bien dans l’intérieur et quand Pierre fut revenu près du feu. Il est vrai qu’il n’est pas dit à quel moment Pierre y rentra ; mais quel besoin y avait-il de nous marquer ce détail ? Voici le narré de saint Marc : « Il sortit en dehors de la cour et le coq chanta. Il fut aperçu de nouveau par une servante, qui se mit à dire à ceux qui étaient là : Celui-ci est aussi d’avec eux. Et Pierre protesta de nouveau. » Cette servante n’est pas la même que la première, saint Matthieu en fait la remarque. Cela se comprend d’autant mieux que dans le second reniement, Pierre fut interpellé par deux témoins ; d’abord par la servante dont parlent saint Matthieu et saint Marc, et aussi par un autre témoin mentionné par saint Luc. Voici comment ce dernier s’exprime : « Or, Pierre suivait de loin. On avait allumé du feu dans la cour, la foule prit place auprès, et Pierre se tenait parmi eux. Une servante le voyant assis près du foyer, le fixa attentivement et s’écria : Celui-ci était aussi à sa suite. Pierre le renia en disant : Femme, je ne le connais pas. Peu de temps après, un autre homme l’aperçut et lui dit : Toi aussi tu es d’avec eux. » C’est pendant cet intervalle, mentionné par saint Luc, que Pierre était sorti et qu’on avait entendu le premier chant du coq ; il était rentré aussitôt, s’était rapproché du foyer, et c’est là qu’il était, quand, comme le dit saint Jean, il énonça sa seconde protestation. Dans le premier reniement de Pierre, saint Jean ne dit pas que le coq ait chanté ni même qu’une servante ait reconnu l’Apôtre auprès du feu ; il se contente de dire : « La portière dit à Pierre : n’es-tu pas aussi l’un des disciples de cet homme ? Non, répondit-il. » Ensuite cet évangéliste nous raconte ainsi ce qu’il a cru devoir rapporter de ce qui se passa à l’égard de Jésus, dans cette même maison : « Or les serviteurs se tenaient auprès du feu et se chauffaient, parce qu’il faisait froid ; Pierre était avec eux et se chauffait aussi. » Il faut supposer qu’avant ceci Pierre était sorti et rentré ; avant sa sortie il était assis auprès du feu ; après son retour il se tenait debout. 24. On m’objectera peut-être qu’il n’était pas sorti, mais qu’il s’était levé pour sortir. Pour soutenir cette assertion, il faut admettre que ce fut en dehors de la cour que Pierre fut interrogé et répondit – pour la seconde fois. Voyons la suite du récit de saint Jean : « Or, le grand-prêtre interrogea Jésus au sujet de ses disciples et de sa doctrine ; Jésus lui répondit : J’ai parlé publiquement au monde, j’ai toujours enseigné dans la synagogue et dans le temple où tous les Juifs se rassemblent, et je n’ai rien dit en secret. Pourquoi m’interroges-tu ? Interroge ceux qui ont entendu ce que je leur ai dit : ceux-ci savent ce que j’ai dit. Il avait à peine prononcé ces paroles, que l’un des serviteurs lui donna un soufflet en disant : Est-ce ainsi que tu réponds au grand-prêtre ? Jésus lui dit : Si j’ai mal parlé, rends témoignage du mal que, j’ai dit ; mais si j’ai bien parlé, pourquoi me frappes-tu ? Anne le fit donc garrotter et conduire à Caïphe. » On voit ici qu’Anne était grand-prêtre, car Caïphe n’était pas là, quand il fut dit au Sauveur : « Est-ce ainsi que tu réponds au grand-prêtre ? » Saint Luc, au commencement de son Évangile, parle aussi d’Anne et de Caïphe comme étant tous deux grands-prêtres ak. Après ces paroles, saint Jean reprend le récit du reniement de saint Pierre et nous reporte ainsi à la maison où tout ce qu’il vient de dire s’est passé, et d’où Jésus fut envoyé chez Caïphe, vers qui on le conduisait dès le début, au rapport de saint Matthieu. Après avoir fait une sorte de récapitulation, saint Jean complète ainsi le narré du troisième reniement : « Or, Simon Pierre se tenait debout et se chauffait. Ils lui dirent : N’es-tu pas aussi l’un de ses disciples ? Pierre nia et répondit : Je ne le suis pas. » Il suit de là que ce n’est pas au-dehors, mais auprès du feu qu’eut lieu cette seconde négation ; et puisqu’il était sorti, il avait donc dû rentrer. Ce n’est pas après sa sortie et au-dehors, que la servante le vit, c’est quand il était déjà levé pour sortir ; c’est alors qu’elle l’aperçut et dit à ceux qui étaient là, c’est-à-dire auprès du feu dans la cour : « Celui-ci était aussi avec Jésus de Nazareth. » Pierre qui sortait alors, entendant cette apostrophe, rentra et dit avec serment à ceux qui l’entouraient, et prenaient parti pour la servante : « Je jure que je ne connais pas cet homme. » Saint Marc, parlant de la même servante, raconte qu’elle dit à ceux qui étaient là : « Celui-ci est du nombre de ses disciples. » Ce n’est pas à Pierre qu’elle s’adressait, mais à ceux qui pendant son départ restaient, et elle le disait de manière que l’apôtre pût entendre. Pierre rentra, s’approcha du feu sans s’asseoir et réfutait les attaques par des négations. Saint Jean raconte : « Ils lui dirent : N’es-tu pas un de ses disciples ? » Au moment où cette question lui était faite, Pierre rentrait et se tenait debout, et voilà ce qui nous explique pourquoi à cette seconde question il n’y avait pas seulement la servante dont parlent saint Matthieu et saint Marc, mais encore un autre accusateur signalé par saint Luc. Saint Jean écrit de même : « Ils lui dirent. » On peut donc admettre que ce fut après le départ de saint Pierre, que la servante dit à ceux qui étaient avec elle dans la cour : « Celui-ci est un des disciples », parole qui fit rentrer saint Pierre pour se justifier de l’accusation portée contre lui ; mais il est plus vraisemblable de penser qu’il n’entendit pas ce que l’on disait et que ce ne fut qu’après son retour, qu’une servante et une autre assistant, dont parle saint Luc, lui dirent : « N’es-tu pas un de ses disciples ? Non, répondit-il ; » l’autre insista plus fortement et lui dit : « Mais tu es un d’entre eux. O homme, je n’en suis pas, répliqua Pierre. » Quoi qu’il en soit ; il est un point qui résulte clairement du contexte des Évangiles, c’est que ce ne fut pas en dehors de la cour, mais dans l’intérieur, et auprès du feu, que Pierre formula sa seconde négation. Si donc saint Matthieu et saint Marc ont mentionné sa sortie, sans relater son retour, c’est uniquement pour éviter les longueurs. 25. Examinons maintenant la troisième négation que nous n’avons rapportée que d’après saint Matthieu. Voici le récit de saint Marc : « Peu de temps après, ceux qui étaient là, disaient à Pierre : Assurément tu es un des disciples, car tu es Galiléen. Et Pierre se prit à répéter, avec force anathèmes et serments : Je ne connais pas cet homme dont tu parles. Et aussitôt le coq chanta pour la seconde fois. » Saint Luc raconte : « Et après une heure environ d’intervalle, un autre affirmait et disait : Assurément tu es son disciple, car tu es Galiléen. O homme, répondit Pierre, je ne sais ce que tu dis. Et il parlait encore quand le coq chanta. » Saint Jean s’explique ainsi, sur cette troisième négation : « Un des serviteurs du grand-prêtre, et parent de celui à qui Pierre avait coupé l’oreille, lui dit : Est-ce que je ne t’ai pas vu dans le jardin avec lui ? Pierre nia de nouveau et aussitôt le coq chanta. » Saint Matthieu et saint Luc se contentent de dire : « Peu de temps après ; » saint Luc mesure cet intervalle en disant qu’il fut d’une heure à peu près. Saint Jean n’en dit rien. De même saint Matthieu et saint Marc supposent que la troisième interrogation fut faite par plusieurs personnes ; saint Luc n’énonce qu’un interrogateur, et saint Jean le désigne, en disant qu’il était parent de celui à qui Pierre coupa l’oreille. Or, cette apparente diversité s’explique facilement, ou en admettant que saint Matthieu et saint Marc ont suivi l’usage, assez général, de prendre le pluriel pour le singulier ; ou en supposant que l’un des témoins, par ce qu’il avait vu et qu’il connaissait, commençait l’attaque à laquelle les autres prenaient part aussitôt ; deux évangélistes ont suivi la première voie, les autres ont voulu seulement signaler celui qui paraissait le plus ardent. Enfin saint Matthieu affirme qu’il fut dit à Pierre : « Assurément tu es un des disciples, car ton langage te fait connaître ; » saint Jean assure qu’il fut dit à Pierre : « Est-ce que je ne t’ai pas vu dans le jardin avec lui ? » Saint Marc raconte que les assistants se disaient : « Il est vraiment un d’entre eux, car il est aussi Galiléen ; » de même, saint Luc nous représente un Juif disant, non pas à Pierre, mais de lui : « Un autre affirmait et disait : Assurément il était avec lui, car il est Galiléen. » Cela nous fait entendre qu’on s’est attaché à la pensée seulement en rapportant que Pierre avait été apostrophé ; en effet quand on parlait de lui, et devant lui, c’était comme si on se fût adressé à lui-même. On peut dire également que ses accusateurs tantôt s’adressaient à lui directement, tantôt échangeaient entre eux leurs accusations. Chacune des deux interprétations peut être admise. Quant au chant du coq qui suivit le troisième reniement, saint Marc nous dit expressément que c’était la seconde fois qu’il se faisait entendre. 26. Saint Matthieu poursuit ainsi : « Et Pierre se souvint de là parole que Jésus avait dite : Avant que le coq chante, tu me renieras trois fois ; et étant sorti il pleura amèrement. » Saint Marc écrit : « Pierre se souvint de la parole que Jésus avait dite : Avant que le coq chante deux fois, tu me renieras trois fois : et il commença à pleurer. » D’après saint Luc : « Le Seigneur s’étant retourné, regarda Pierre, et Pierre se souvint de la parole du Seigneur qui avait dit : Avant que le coq chante, tu me renieras trois fois ; et étant sorti, Pierre pleura amèrement. » Saint Jean ne dit rien ni du souvenir ni des larmes de Pierre. Mais ce qui mérite une attention particulière, ce sont ces paroles de saint Luc : « Et Jésus, s’étant retourné, regarda Pierre. » Quoiqu’il y ait aussi des cours intérieures, c’était dans la cour extérieure que Pierre était avec les Juifs alors occupés à se chauffer. Or, on ne peut pas supposer que Jésus était entendu dans cette cour extérieure par les Juifs, ni par conséquent que son regard ait été un regard corporel. Écoutons plutôt le récit de saint Matthieu : « Alors ils lui crachèrent au visage et le couvrirent de soufflets ; d’autres le frappèrent en disant : Prophétise maintenant, ô Christ, et dis-nous quel est celui qui t’a frappé. » Puis il ajoute immédiatement : « Or Pierre se tenait au-dehors dans la cour. » Il faut nécessairement en conclure que Jésus était à l’intérieur. 2 faudrait même croire, d’après saint Marc, que Jésus était dans la partie la plus élevée de l’habitation. En effet, voici ce que dit saint Marc après avoir rapporté la scène décrite par saint Matthieu : « Et comme Pierre se tenait dans la cour en bas. » En disant : « Pierre se tenait au-dehors, dans la cour », saint Matthieu indique clairement que la scène d’outrages avait lieu dans l’intérieur ; de même en disant : « Et comme Pierre était dans la cour en bas », saint Marc montre que les faits qu’il vient de raconter, se sont passés dans la partie supérieure. Comment donc le regard du Seigneur sur Pierre a-t-il pu être un regard corporel ? Aussi me semble-t-il que ce regard ne fut qu’un regard divin qui rappelait à l’apôtre le nombre de ses reniements, la prédiction du Sauveur ; et, par l’infinie miséricorde de Dieu, ce regard amenait Pierre à la pénitence, et la lui rendait salutaire. C’est ainsi que chaque jour nous disons : Seigneur regardez-moi ; celui que le Seigneur a regardé a été délivré par la miséricorde divine du danger, ou de la souffrance. De même donc que nous lisons : « Regardez et exaucez-moi al », et encore : « Tournez-vous, « Seigneur, et délivrez mon âme am », dans le même sens il a été dit : « Le Seigneur s’étant retourné regarda Pierre, et Pierre se souvint de la parole de Jésus. » Il est à remarquer, enfin, que tandis que les évangélistes emploient plus souvent le nom de Jésus que celui de Seigneur, saint Luc emploie ici cette dernière expression : « Le Seigneur s’étant retourné regarda Pierre, et Pierre se souvint de la parole du Seigneur. » Comme saint Matthieu et saint Marc gardent le silence sur ce regard, il n’est pas étonnant de leur entendre dire que Pierre se souvint de la parole, non pas du Seigneur, mais de Jésus. Ne devons-nous donc pas comprendre que ce regard de Jésus fut tout divin et nullement charnel ? Matthew 27
CHAPITRE VII. JUGEMENT DU MATIN. – JÉRÉMIE CITÉ AU LIEU DE ZACHARIE.
27. Nous lisons dans saint Matthieu : « Le lendemain, de grand matin, tous les princes des prêtres et les anciens du peuple tinrent conseil contre Jésus, pour le livrer à mort. Puis ils le garrottèrent, l’emmenèrent enchaîné, et le remirent au gouverneur Ponce-Pilate an. » Saint Marc raconte ainsi le même fait : « Dès le matin, les princes des prêtres tinrent conseil avec les anciens du peuple et tout le sanhédrin, conduisirent Jésus enchaîné et le livrèrent à Pilate ao. » Après avoir raconté le reniement de Pierre, saint Luc récapitule ce qui s’est fait dès le matin à l’égard de Jésus et lie ainsi sa narration. « Ceux qui le gardaient se mirent à l’insulter et à le maltraiter ; ils lui voilèrent la tête et le frappant au visage ils lui disaient : « Prophétise ; quel est celui qui t’a frappé ? Et ils ajoutaient à cela beaucoup d’autres blasphèmes. Et dès que le jour fut venu, les anciens du peuple, les princes des prêtres et les Scribes se réunirent et le conduisirent au conseil, en disant : Si tu es le Christ, dis-le-nous. Jésus leur répondit : Si je vous le dis, vous ne me croirez pas, et si je vous interroge, vous ne me répondrez rien et vous ne me renverrez pas. Mais désormais, le Fils de l’homme sera assis à la droite de la majesté divine. Ils lui dirent tous : Tu es donc le Fils de Dieu ? Il leur répondit : Vous le dites et je le suis. Ils s’écrièrent : Qu’avons-nous encore besoin d’autre témoignage, car nous venons d’entendre ses propres paroles ? Toute la multitude se leva et ils le conduisirent à Pilate ap. » Tel est le narré de saint Luc ; c’est la confirmation de ce qui est rapporté par saint Matthieu et par saint Marc sur l’interrogation adressée au Seigneur au sujet de sa filiation divine : « Je vous déclare, répond le Sauveur, que vous verrez le Fils de l’homme assis à la droite de la majesté divine et venant sur les nuées du ciel. » Ceci dut se passer au lever du jour, suivant cette parole de saint Luc : « Dès qu’il fut jour. » Du reste son récit est le même que celui des autres évangélistes, excepté qu’il mentionne certains détails sur lesquels les autres gardent le silence. Toujours est-il que tout ce qui regarde les dépositions des faux témoins s’est passé pendant la nuit ; on peut en lire le récit dans saint Matthieu et saint Marc ; quant à saint Luc, omettant ce qui concerne les faux témoins, il nous a raconté ce qui s’est passé le matin. Les deux premiers, après avoir suivi les événements jusqu’au matin, nous ont rapporté le reniement de saint Pierre, puis ils ont repris la suite de leur récit sans mentionner les faits du matin aq. Quant à saint Jean, après avoir raconté ce qui concerne le Seigneur et le reniement de saint Pierre, il ajoute : « Ils conduiront donc Jésus au prétoire devant Caïphe. Or c’était le matin ar. » De là nous sommes portés à conclure, ou bien que quelque raison avait forcé Caïphe de se trouver au prétoire, au lieu d’être présent à l’assemblée des princes des prêtres ; ou bien qu’il y avait un prétoire dans sa maison. Toujours est-il que le Seigneur, arriva enfin près de lui et que dès le principe on voulait le lui présenter. Quoi qu’il en soit, les ennemis du Sauveur le considèrent comme un accusé convaincu ; de son côté Caïphe depuis longtemps croit qu’il doit mourir ; rien n’empêchait dès lors de le conduire immédiatement à Pilate, pour le condamner au dernier supplice. Voici comment saint Matthieu raconte ce qui s’est passé au tribunal de Pilate. 28. Il débute par le triste sort de Judas, dont il a été seul à parler : « Alors Judas, dit-il, qui l’avait livré, voyant que Jésus avait été condamné, rapporta, poussé parle repentir, les trente pièces d’argent aux princes des prêtres et aux anciens du peuple, en leur disant : J’ai péché en livrant le sang innocent. Mais ils lui répondirent : Que nous importe ? c’est ton affaire. Jetant alors les pièces d’argent dans le temple, il s’en alla et se pendit. Mais les princes des prêtres après avoir recueilli l’argent se dirent : Il n’est pas permis de le mettre dans le trésor du temple, parce que c’est le prix du sang. Ayant donc délibéré à ce sujet, ils achetèrent le champ d’un potier, pour la sépulture des étrangers. C’est pour cela que ce champ fut appelé Haceldama, c’est-à-dire le champ du sang, nom qu’il porte encore aujourd’hui. Alors fut accomplie cette parole du prophète Jérémie : Ils ont reçu les trente pièces d’argent, « somme donnée pour le paiement de celui qui a été mis à prix par les enfants d’Israël, et ils en ont acheté le champ d’un potier, ainsi que le Seigneur me l’a fait entendre. 29. Peut-être va-t-on se laisser ébranler par cette considération que ce passage ne se trouve nulle part dans les prophéties de Jérémie et dès lors qu’on ne peut plus ajouter foi à la véracité évangélique. Mais d’abord il ne faut pas oublier que le mot : Jérémie, ne se trouve pas dans tous les exemplaires des Évangiles ; on n’y voit que le mot prophète. Pourquoi ne pas admettre qu’on ne doit regarder en ce point, comme dignes de confiance, que les exemplaires qui ne portent pas le nom de Jérémie ? En effet, ce texte se trouve réellement dans la prophétie de Zacharie. Il suit de là que les exemplaires qui portent le nom de Jérémie ont été interpolés ; car ou bien ils doivent porter le nom de Zacharie, ou bien ils doivent ne parler que d’un prophète en général, et ce prophète c’est Zacharie. Ceux à qui ce moyen de défense sourit, peuvent s’en servir : pour moi il ne me sourit point, précisément parce que je rencontre un trop grand nombre d’exemplaires qui portent le nom de Jérémie. De plus, les auteurs qui ont fait des manuscrits grecs une étude particulière, ont trouvé que même les plus anciens portaient ce nom de Jérémie. Or, quel avantage pouvait-il y avoir à commettre une interpolation mensongère, dans ce cas en particulier ? Au contraire l’impossibilité où l’on était de vérifier ce texte dans Jérémie a pu déterminer une ignorance audacieuse à effacer le nom de ce prophète afin d’enlever ainsi toute la difficulté. 30. Il est bien plus sage de voir dans ce fait un secret dessein de la providence divine, qui dirige l’intelligence des évangélistes. Il a pu se faire, en effet, que saint Matthieu en écrivant son Évangile ait vu se présenter à son esprit le nom de Jérémie au lieu de celui de Zacharie. Mais comment admettre qu’il n’ait pas corrigé sa faute, ou qu’il n’ait pas été averti de la corriger par quelqu’un des lecteurs, sous les yeux de qui son Évangile dut tomber de son vivant, s’il n’avait été retenu par cette pensée qu’en écrivant il était sous la direction du Saint-Esprit, que ce n’était pas sans raison que le nom d’un prophète avait été substitué à celui d’un autre, puisque Dieu l’avait ainsi permis ? Or, Dieu peut l’avoir permis pour faire briller davantage le caractère divin des prophéties qui, dirigées par un seul et même Esprit, se réunissent toutes dans un accord parfait bien plus admirable qu’il ne serait si toutes ces prophéties étaient l’œuvre d’un seul écrivain. Avec cette diversité de prophètes, le Saint-Esprit nous apparaît dictant leurs révélations comme si chacune d’elles était l’œuvre de tous et comme si toutes étaient l’œuvre de chacun. Il suit de là que les prophéties écrites par Jérémie, sont autant de Zacharie que de Jérémie, et celles de Zacharie autant de Jérémie que de Zacharie. Pourquoi, dès lors, saint Matthieu eût-il attaché tant d’importance à corriger le nom d’un prophète, qu’il avait cité pour un autre ? N’était-il par préférable que, se soumettant d’une manière absolue à la direction du Saint-Esprit, dont il sentait plus que nous l’action puissante, il laissât écrit ce qui était écrit, pour nous rappeler qu’il règne entre tous les prophètes une concordance telle, que loin devoir un absurdité on ne vit qu’une haute convenance à attribuer à Jérémie, ce qui avait été réellement dit par Zacharie ? Je suppose qu’aujourd’hui un auteur, voulant citer les paroles d’un autre, se trompe de nom et prenne pour le nom de l’auteur véritable, le nom d’un homme qui lui est très-lié par l’amitié et parles idées. S’apercevant de sa méprise, il se recueille et pour toute correction, il s’écrie je ne me suis pas trompé, en ce sens du moins qu’il a voulu prononcer qu’il y avait une telle similitude de pensées entre le nom cité et celui de l’auteur réel, que l’un est censé avoir dit ce que l’autre a dit réellement. Une telle réponse ne donnerait que plus de force à son témoignage. Or, combien cela n’est-il pas plus vrai encore des prophètes, puisque les livres de chacun doivent être envisagés par nous comme étant les livres d’un seul, ce qui leur donne un caractère bien plus frappant d’unité et de véracité qu’ils n’en auraient s’ils étaient réellement l’œuvre d’un seul ? Laissons donc aux infidèles et aux ignorants le soin de profiter de cette circonstance pour publier le désaccord des saints Évangiles ; que les fidèles et les chrétiens instruits y voient clairement l’unité divine des saintes prophéties. 31. Pour expliquer pourquoi l’Esprit-Saint a permis, ou plutôt a prescrit de substituer le nom de Jérémie à celui de Zacharie, il y a une autre raison ; je la développerai avec plus de soin ailleurs, car je sens le besoin de terminer ce livre. Nous lisons dans Jérémie qu’il acheta le champ du fils de son frère et lui en donna l’argent. Il ne s’agit pas ici, sans doute, du prix dont il est parlé dans Zacharie, c’est-à-dire de trente pièces d’argent ; mais ce dernier prophète ne parle pas davantage de l’achat du champ, en sorte que c’est uniquement l’Évangéliste qui, interprétant la prophétie a réuni et l’achat du champ et les trente pièces de monnaie qui furent le prix de la trahison du Sauveur. Nous trouvons ici l’accomplissement d’une double prophétie, celle de Jérémie parlant de l’achat du champ, et celle de Zacharie parlant des trente pièces d’argent. Si donc, après, avoir lu l’Évangile et y avoir rencontré le nom de Jérémie, on est tenté de lire la prophétie elle-même, on n’y trouvera aucune mention des trente pièces d’argent, mais bien de l’achat du champ ; le lecteur n’aura plus qu’à réunir ces différents passages et à en chercher l’accomplissement dans la personne du Sauveur. Qu’on n’oublie pas toutefois qu’on ne doit pas s’attendre à lire soit dans Zacharie, soit dans Jérémie ces paroles qui terminent le passage de saint Matthieu : « Celui qui a été mis à prix par les enfants d’Israël, et ils en ont acheté le champ d’un potier, ainsi que le Seigneur me fa fait entendre. » Nous devons donc voir, dans ces paroles, une interprétation élégante et mystique de la prophétie, interprétation inspirée divinement et appliquant à Jésus-Christ le prix dont parle le prophète. En lisant Jérémie nous voyons que le prix d’achat du champ doit être jeté dans un vase de terre as ; ici le prix de la trahison du Sauveur sert à acheter le champ d’un potier, lequel champ est destiné à la sépulture des étrangers ; image du repos réservé à ceux qui, dans le voyage de cette vie, auront été ensevelis en Jésus-Christ par le baptême. Aussi le Seigneur fait-il entendre à Jérémie que l’achat de ce champ désignait le séjour qu’on ferait, même après la délivrance, sur la terre étrangère. Tels sont les points de vue que je tenais à esquisser pour inviter à examiner plus attentivement ces témoignages prophétiques en les rapprochant l’un de l’autre et en les comparant au récit évangélique. – Voilà ce qu’a dit saint Matthieu du traître Judas.CHAPITRE XVI. BLASPHÈMES DES LARRONS.
53. Nous lisons en saint Matthieu : « Les larrons eux-mêmes, qui étaient crucifiés avec lui, « le couvraient d’invectives at. » ceci est aussi rapportée par saint Marc, quoique dans des termes un peu différents. La narration de saint Luc présenterait quelque opposition, si l’on oubliait une manière de parler assez fréquente. « L’un des deux voleurs, attachés comme lui à la croix, dit saint Luc, lui adressait ces blasphèmes : Si tu es le Christ, sauve-toi, et nous aussi. Mais l’autre se mit à réprimander son complice et à lui dire : Ni toi, non plus, tu n’as donc aucune crainte de Dieu, toi qui subis la même condamnation. Et encore pour nous c’est justice, car nous n’avons que ce que nous avons mérité ; pour lui, il n’a fait aucun mal. Et il disait à Jésus : Seigneur, souvenez-vous de moi, lorsque vous serez entré dans votre royaume. Jésus lui répondit : En vérité, je te le dis, tu seras aujourd’hui avec moi dans le paradis au. » Saint Matthieu avait dit : « Les voleurs qui étaient crucifiés avec lui, le blasphémaient ; » saint Marc : « Et ceux qui étaient crucifiés avec lui, lui adressaient des injures ; » comment donc se peut-il que saint Luc nous dise qu’un seul des deux le blasphémait et que l’autre garda le silence et crut en lui ? Ne devons-nous pas croire que saint Matthieu et saint Marc, dans le but d’abréger le récit, emploient le pluriel pour le singulier ? Nous trouvons également, dans l’épître aux Hébreux, cette forme plurielle Ils fermèrent la gueule des lions », quand il n’est question que de Daniel ; nous y lisons également : « Ils ont été sciés av », quand il ne s’agit que d’Isaïe. Les paroles mises au pluriel par le psalmiste : « Les rois de la terre se sont levés et les princes se sont réunis », etc, se retrouvent au pluriel dans es Actes des Apôtres, quand l’idée exigeait le singulier ; car les rois y désignent Hérode, Pilate est désigné par le mot princes aw. Au lieu donc de calomnier l’Évangile, que les païens se rappellent comment leurs auteurs ont fait parler les Phèdre, les Médée et les Clytemnestre, qui auraient du s’exprimer au singulier. Quoi de plus ordinaire, par exemple, que d’entendre dire. à quelqu’un : Les paysans m’insultent, quand il n’y en a qu’un pour l’insulter ? Saint Luc serait assurément en contradiction avec les autres en disant qu’un seul voleur lança des blasphèmes, si des paroles des autres auteurs on était forcé de conclure que tous deux blasphémèrent Jésus. Mais il faut remarquer que dans l’un il n’est question que des voleurs, et dans l’autre, de ceux qui étaient crucifiés avec lui, sans addition du mot : « Tous deux. » Sans doute cette formule aurait suffi dans le cas où tous deux auraient réellement blasphémé ; mais l’usage a permis aussi d’employer la forme plurielle quoiqu’un seul ait commis ce crime.CHAPITRE XVII. DU BREUVAGE OFFERT À JÉSUS.
54. Saint Matthieu continue : « Or depuis la sixième heure jusqu’à la neuvième, toute la terre fut couverte de ténèbres ax. » Ce fait nous est également attesté par les deux autres évangélistes ay. Saint Luc explique même la cause de ces ténèbres, c’est-à-dire que le soleil s’obscurcit. Saint Matthieu ajoute : « Vers la neuvième heure Jésus poussa un grand cri en disant : Eli, Eli, lamina, sabactani ; ce qui veut dire : Mon Dieu, mon Dieu pourquoi m’avez-vous abandonné ? Quelques-uns de ceux qui étaient là présents, entendant ces paroles, disaient : Voilà qu’il appelle Élie. » Saint Marc n’emploie pas exactement les mêmes mots, mais il exprime exactement la même pensée. Saint Matthieu reprend : « Et l’un deux accourant, trempa une éponge dans du vinaigre, la fixa au bout d’un roseau et lui offrait à boire. » Saint Marc s’exprime ainsi : « L’un d’entre eux accourant, remplit une éponge de vinaigre, la fixa sur un jonc et lui offrait à boire en disant : Attendons et voyons si Élie viendra le délivrer. » Ce n’est pas sur les lèvres de celui qui présentait l’éponge que saint Matthieu met ces paroles, mais sur les lèvres des assistants : « Et les autres disaient : laisse, voyons si Élie viendra le délivrer ; » de là nous pouvons conclure que tous ont tenu ce langage. Saint Luc avant de raconter les insultes du voleur rapporte cette circonstance du vinaigre : « Ils se raillaient de lui, dit-il, et les soldats s’approchant lui offrirent du vinaigre en disant : Si tu es le roi des Juifs, sauve-toi toi-même az. » Il voulait ainsi exprimer ce qui avait été dit et fait par les soldats. Peu importe du reste qu’il n’ait pas spécifié que ce vinaigre ne lui fut offert que par un seul soldat ; nous avons vu plus haut que la coutume permettait d’employer le pluriel pour le singulier. Saint Jean parle aussi du vinaigre : « Ensuite Jésus sachant que tout le reste était accompli, et voulant accomplir l’Écriture s’écria : J’ai soif. Et il y avait là un vase plein de vinaigre ; aussitôt ils en remplirent une éponge qu’ils fixèrent autour d’une tige d’hyssope et l’approchèrent de sa bouche ba. » Saint Jean rapporte de Jésus cette parole : « J’ai soif », et parle d’un vase rempli de vinaigre ; si les autres ont gardé le silence sur ces détails, il n’y a pas là de quoi nous étonner.CHAPITRE XVIII. DES DERNIÈRES PAROLES DU SAUVEUR.
55. Nous lisons dans saint Matthieu : « Jésus poussant de nouveau un grand cri, rendit l’esprit bb. » Saint Marc dit également : « Jésus ayant jeté un grand cri, expira bc. » Saint Luc nous fait connaître les paroles prononcées par le Sauveur en jetant ce grand cri : « Et jetant un grand cri, Jésus dit : Mon Père je remets mon âme entre vos mains, et en disant ces mots il expira bd. » Saint Jean ne parle pas de ces premières paroles prononcées par Jésus et rapportées par saint Matthieu et par saint Marc : « Eli, Eli ; » il omet également ces mots rapportés par saint Luc : « Mon Père, je remets mon âme entre vos mains ; » ce cri du reste n’est que celui dont parlent saint Matthieu et saint Marc, sans préciser les paroles qui furent prononcées ; et pour nous le faire comprendre, saint Luc a eu soin de dire que Jésus prononça ces mots avec un grand cri. Mais saint Jean est le seul qui nous cite cette parole proférée par le Sauveur après avoir trempé ses lèvres dans le vinaigre : « Tout est consommé. » Voici comment s’exprime saint Jean : « Jésus, ayant pris le vinaigre, dit : Tout est consommé, puis il inclina sa tête et rendit l’esprit be. » C’est après avoir dit : « Tout est consommé » et avant d’incliner la tête, que fut jeté ce grand cri, omis par saint Jean, et cité par les trois autres évangélistes. En effet, l’ordre naturel nous indique assez clairement que le Sauveur dut prononcer ce mot : « Tout est consommé », quand se furent accomplies en lui toutes les prophéties dont il était l’objet et dont il attendait l’accomplissement avant de mourir, lui qui mourait quand il le voulait ; ce n’est qu’alors que se recommandant à son Père il rendit l’esprit. Mais quel que soit l’ordre que l’on croit devoir établir, il faut avant tout se garder avec soin de voir entre les évangélistes la moindre opposition, parce que l’un tait ce que l’autre dit, ou parce que l’un dit ce que l’autre tait.CHAPITRE XIX. LE VOILE DÉCHIRÉ.
56. « Et voici, dit saint Matthieu, que le voile du temple se déchira en deux parties, de haut en bas bf. » Saint Marc dit de même : « Et le voile du temple se déchira en deux, depuis le haut jusqu’en bas bg. » Saint Luc dit aussi Et le voile du temple se déchira dans le milieu bh ; » mais cet évangéliste ne suit pas le même ordre que les autres. En effet, voulant ajouter le miracle au miracle, après avoir dit que le soleil s’obscurcit, il ajoute aussitôt : « Et le voile du temple se rompit par le milieu. » Il anticipe ainsi sur ce qui se passa au moment de la mort du Sauveur et dont il fait une récapitulation générale, embrassant tout à la fois et le breuvage de vinaigre, et le grand cri et la mort elle-même, toutes choses qui arrivèrent avant le déchirement du voile du temple, après la diffusion des ténèbres. En effet, saint Matthieu après avoir dit : « Jésus jetant de nouveau un grand cri rendit l’esprit », ajoute aussitôt : « Et voici que le voile du temple se rompit ; » c’était affirmer assez clairement que le voile ne se brisa que quand Jésus eut rendu l’esprit. S’il n’eût pas dit : « Et voici ; » s’il se fût contenté de dire : Et le voile du temple se rompit », on ne saurait si le texte de saint Matthieu et de saint Marc ne sont pas une simple récapitulation, tandis que saint Luc aurait suivi l’ordre naturel, ou vice versa ; mais ces expressions dissipent tous les doutes.CHAPITRE XX. DE L’ÉTONNEMENT DU CENTURION.
57. Saint Matthieu continue : « Et la terre trembla, des rochers se fendirent, des sépulcres s’ouvrirent, et les corps de plusieurs saints qui y étaient endormis ressuscitèrent ; et étant sortis de leurs tombeaux ils vinrent à la ville sainte après sa résurrection et se firent voir de plusieurs. » Quoique saint Matthieu soit le seul qui nous rapporte ces circonstances, nous n’avons pas à craindre qu’il soit en contradiction avec les autres évangélistes. Il ajoute : « Quant au Centurion et ceux qui gardaient Jésus avec lui, à la vue du tremblement de terre et de tout ce qui se passait ils éprouvèrent une grande crainte et s’écrièrent : Il était vraiment le Fils de Dieu bi. » Saint Marc s’exprime ainsi : « Le Centurion, qui se tenait en face, voyant que Jésus était mort en jetant un aussi grand cri, se dit : Vraiment cet homme était le Fils de Dieu bj. » Saint Luc : « Le Centurion voyant ce qui s’était passé, glorifia Dieu en disant : Vraiment cet homme était un juste bk. » D’après saint Matthieu la cause de l’admiration du Centurion et de ceux qui l’accompagnaient ce fut le tremblement, de terre ; d’après saint Luc, ce fut d’entendre Jésus pousser un grand cri en expirant, ce qui montrait que le moment de sa mort était en son plein pouvoir. Or, je dis qu’il n’y a en tout cela aucune ombre de contradiction ; en effet, saint Matthieu ne mentionne pas seulement le tremblement de terre, il ajoute : « Et ce qui s’était passé. » Or rien ne pouvait mieux confirmer le récit de saint Luc, puisque si, d’après ce dernier, le Centurion admira la mort du Sauveur, c’est que cette mort devait compter parmi les merveilles qui s’étaient passées. Saint Matthieu ne détaille pas tous ces prodiges, admirés par le centurion et par les soldats ; mais les narrateurs n’étaient-ils pas libres de signaler à leur gré tel miracle plutôt que tel autre ? Quelle contradiction peut-il y avoir si l’un nous parle de tel prodige et l’autre de tel autre, puisque ce sont tous ces prodiges qui ont soulevé l’admiration ? Selon saint Matthieu le centurion dit : « Vraiment il était le Fils de Dieu ; » selon saint Marc, il se serait écrié : « Cet homme était vraiment le Fils a de Dieu. » Mais il est facile de remarquer qu’il n’y a pas plus de contradiction ici que nous n’en avons trouvé dans beaucoup de passages examinés précédemment et que peut se rappeler le lecteur ; que ces paroles expriment la même pensée et qu’elle ne change pas, quoiqu’un des évangélistes dise cet homme, tandis que l’autre ne le dit pas. Mais n’y a-t-il pas une opposition véritable entre ces deux évangélistes et saint Luc qui prête au Centurion les paroles suivantes : « Celui-ci était juste », sans lui faire dire qu’il était le Fils de Dieu ? Et d’abord rien n’empêche de croire que le Centurion a réellement dit du Sauveur qu’il était juste et aussi Fils de Dieu, quoique chaque évangéliste ait omis de citer ces paroles tout entières. Ou bien on peut répondre aussi que saint Luc a voulu donner la raison qui a fait dire au Centurion que Jésus était Fils de Dieu. Peut-être en effet qu’il ne le croyait pas égal à son Père et qu’il ne voyait en lui qu’une filiation spirituelle et morale à cause de sa sainteté même, comme on dit de beaucoup de justes qu’ils sont les enfants de Dieu. D’un autre côté, saint Luc par cette expression générale : « Le Centurion voyant ce qui s’était passé », résume tous les prodiges qui venaient de s’accomplir à l’heure même. Si donc il n’en spécifie qu’un, c’est qu’il les regarde tous comme ne formant qu’un seul et même tout. Saint Matthieu adjoint au Centurion les soldats qui l’accompagnaient, tandis que les autres gardent le silence sur ce point ; mais nous avons déjà dit, que sans impliquer aucune contradiction, l’un peut dire ce que l’autre tait. Enfin saint Matthieu dit des assistants qu’ils furent saisis d’une grande crainte, tandis que saint Luc dit du Centurion qu’il glorifia Dieu ; mais il est facile de comprendre que c’est par sa crainte elle-même, qu’il glorifia Dieu.CHAPITRE XXI. LES SAINTES FEMMES AU CALVAIRE.
58. Selon Saint Matthieu : « Il y avait aussi là, mais éloignées, plusieurs femmes qui étaient venues de la Galilée avec Jésus, pour le servir ; de ce nombre étaient Marie-Magdeleine, Marie mère de Jacques et de Joseph, et la mère des fils de Zébédée bl. » Selon saint Marc : Il y avait là des femmes qui regardaient de loin ; de ce nombre étaient Marie-Magdeleine, Marie mère de Jacques le mineur et de Joseph et Salomé. Pendant qu’il était dans la Galilée elles le suivirent pour le servir ; et plusieurs autres encore qui étaient venues avec Jésus à Jérusalem bm. » Je ne vois pas que l’on puisse relever la moindre contradiction entre ces deux textes, car qu’importe que tel auteur se contente de constater la présence de certaines femmes, tandis qu’un autre les désigne par leur nom ? La vérité n’a rien à y voir. Voici le récit de saint Luc : « Et la foule de ceux qui assistaient à ce spectacle et qui voyaient ce qui ce passait, s’en allait en se frappant la poitrine. Tous ceux qui étaient de la connaissance de Jésus se tenaient aussi présents, ainsi que les femmes qui l’avaient suivi depuis la Galilée, et tous contemplaient ce spectacle bn. » On voit que sur la présence des femmes, saint Luc est parfaitement d’accord avec les deux évangélistes précédents, quoique aucune d’elles ne soit ici désignée par son nom. Quant à la foule de ceux qui étaient présents et qui se frappaient la poitrine, saint Luc est d’accord, en cela, avec saint Matthieu, quoique ce dernier ne parle que du centurion et de ceux qui étaient avec lui. Il n’y a qu’un seul point qui particularise le récit de saint Luc, c’est celui où il parle des connaissances ou amis de Jésus ; quant aux femmes, il avait précédemment constaté leur présence, avant la mort du Sauveur : « Auprès de la croix de Jésus, se tenaient, dit-il, la mère, de Jésus et la sœur de sa mère, Marie de Cléophas et Marie-Magdeleine. En apercevant devant lui sa mère et le disciple qu’il aimait, il dit à sa mère : Femme, voilà votre Fils. Ensuite il dit au disciple : Voilà ta mère ; et dès cette heure le disciple la prit avec lui bo. » Si saint Matthieu et saint Marc n’avaient pas désigné nominativement Marie-Magdeleine, nous pourrions dire que parmi ces femmes les unes se tenaient au loin et les autres assez près de la croix de Jésus ; du reste saint Jean est le seul qui mentionne la présence de la Sainte Vierge. Mais comment admettre avec saint Matthieu et saint Marc que Marie-Magdeleine se tenait au loin près des autres femmes, et avec saint Jean, qu’elle se trouvait au pied de la croix ? À moins qu’on n’admette que ces femmes étaient tout près, parce qu’elles étaient assez rapprochées pour voir Jésus et en être vues, et qu’elles étaient éloignées en comparaison de la foule qui, avec le Centurion, environnait la croix ? On pourrait peut-être dire aussi que les femmes qui accompagnaient la mère du Sauveur, se retirèrent dès que Jésus eut recommandé Marie à son disciple, pour se soustraire à la pression de la foule et contempler de plus loin ce qui se passait. Voilà ce qui nous explique pourquoi les autres évangélistes qui ont parlé de ces femmes après la mort du Sauveur, nous les représentent debout, assez loin de la croix.CHAPITRE XXII. JOSEPH D’ARIMATHIE.
59. Saint Matthieu continue : « Quand le soir fut venu, un homme riche de la ville d’Arimathie, nommé Joseph et qui était aussi disciple de Jésus, vint trouer Pilate et lui demanda le corps de Jésus ; Pilate commanda qu’on le lui donnât bp. » Voici le texte de saint Marc : « Quand le soir fut venu, comme on était à la préparation qui précède le sabbat, arriva Joseph d’Arimathie, noble décurion, qui, lui aussi, attendait le royaume de Dieu. Il alla sans crainte trouver Pilate et lui demanda le corps de Jésus. Or, Pilate s’étonnait que Jésus fût déjà mort ; il appela donc le centurion et lui demanda si la mort était bien réelle ; sur l’affirmation du centurion il donna le corps à Joseph bq. » Saint Luc raconte ainsi le même fait : « Et voici qu’un homme appelé Joseph, lequel était décurion, homme de bien et juste et n’avait pas consenti à leurs desseins et à leurs actions, né à Arimathie, ville de Judée et attendant, lui aussi, le royaume de Dieu, alla trouver Pilate et lui demanda le corps de Jésus br. » Après avoir parlé du brisement des jambes infligé à ceux qui avaient été crucifiés avec le Seigneur, et du coup de lance porté au côté du Sauveur, saint Jean, qui seul nous apprend ces détails, rapporte en ces termes la suite des événements : « Après cela Joseph d’Arimathie, qui était disciple de Jésus, mais en secret, parce qu’il craignait les Juifs, vint demander à Pilate l’autorisation d’enlever le corps de Jésus. Il vint donc et enleva ce corps bs. » Dans tout cela il n’y a lieu à aucune contradiction. Mais peut-être serait-on tenté de demander pourquoi saint Jean seul fait la remarque que Joseph d’Arimathie n’était que secrètement le disciple de Jésus, parce qu’il craignait les Juifs : en effet s’il en était ainsi, on s’étonne qu’il ait eu la hardiesse de demander le corps du Sauveur, ce que n’osa faire aucun de ceux qui étaient ses disciples déclarés. Or cette démarche s’explique facilement, si on se rappelle que la dignité dont il était revêtu, lui donnait un libre accès auprès de Pilate : d’un autre côté, comme il ne s’agissait que de rendre les derniers devoirs à un mort, il ne se crut obligé d’avoir aucun souci des Juifs, dont il craignait la haine, toutes les fois qu’il s’agissait, pour lui, d’aller entendre les prédications de Jésus.CHAPITRE XXIII. SÉPULTURE DE JÉSUS.
60. Saint Matthieu ajoute : « Ayant reçu le corps, Joseph l’enveloppa dans un linceul propre et le plaça dans un sépulcre neuf qu’il avait taillé dans la pierre ; il approcha ensuite une grande pierre de l’ouverture du tombeau et se retira bt. » Voici saint Marc : « Joseph acheta un linceul, en enveloppa le corps, qu’il déposa ainsi dans un tombeau, taillé dans la pierre ; puis il en ferma l’entrée avec une pierre bu. » Selon saint Luc : « Joseph ayant descendu le corps, l’enveloppa d’un linceul et le plaça dans un tombeau taillé, qui n’avait encore servi à personne bv. » Tous ces textes sont dans une harmonie parfaite ; cependant saint Jean nous apprend que Joseph fut aidé dans l’œuvre de la sépulture, par Nicodème. Voilà pourquoi il commence ainsi son récit : « Nicodème qui, dès le commencement, était venu trouver Jésus pendant la nuit, vint aussi, apportant environ cent livres d’une composition de myrrhe et d’aloès. » Parlant ensuite des deux à la fois il continue : « Ils prirent ensemble le corps de Jésus, et l’enveloppèrent de linceuls, avec des aromates, ainsi que les Juifs ont coutume d’ensevelir. Or dans le lieu où Jésus avait été crucifié se trouvait un jardin et dans ce jardin un sépulcre tout neuf, où nul n’avait encore été mis. Comme c’était le jour de la préparation des Juifs pour le sabbat, et que ce sépulcre était proche, ils y placèrent Jésus bw. » Quelle contradiction peut-on trouver dans ce texte ? Les Évangélistes, quine parlent pas de Nicodème, ne disent pas non plus que Joseph d’Arimathie ait été seul pour ensevelir le Sauveur. À moins qu’on ne prétende que, quand Joseph eut enveloppé le corps dans un linceul, Nicodème se présenta à son tour, avec un nouveau linceul et l’employa également ; c’est là en effet ce qui semble indiqué par saint Jean, quand il parle des linceuls ou linges. Mais en supposant qu’on n’eût employé qu’un seul linceul, saint Jean aurait pu encore mettre le mot linge au pluriel ; car outre le linceul il y avait le suaire qui cachait la tête et les bandelettes qui enveloppaient le corps tout entier et qui toutes devaient être de lin. De là le mot latin lintea, linges.CHAPITRE XXIV. CIRCONSTANCES DE LA RÉSURRECTION.
64. Nous lisons en saint Matthieu : « Or il y avait là Marie-Magdeleine et l’autre Marie, assises contre le sépulcre bx. » Saint Marc raconte ainsi le même fait : « Or Marie-Magdeleine et Marie de Joseph regardaient où on plaçait Jésus by. » C’est absolument la même pensée sans des termes différents. 62. Saint Matthieu continue : « Le lendemain, qui était le jour du Sabbat, les princes des prêtres et les pharisiens se réunirent auprès de Pilate et lui dirent : Seigneur, nous nous sommes rappelé que cet imposteur a dit, lorsqu’il était encore en vie : Je ressusciterai après trois jours. Commandez donc que le sépulcre soit gardé jusqu’au troisième jour, dans la crainte que, peut-être, ses disciples ne viennent dérober son corps, et ne disent ensuite au peuple : Il est ressuscité d’entre les morts, et qu’ainsi il ne s’accrédite une erreur pire que la première. Pilate leur répondit : Vous avez une garde, allez donc et faites-le garder comme vous l’entendrez. « Ils s’en allèrent ainsi, et s’assurèrent du sépulcre en scellant la pierre qui en fermait l’entrée et en y laissant des gardes bz. » Saint Matthieu seul nous fait connaître cette circonstance, mais les autres Évangélistes ne disent rien qui puisse contredire. 63. Le même auteur ajoute : « Cette semaine étant passée, lorsque le premier jour de la semaine suivante commençait à luire, Marie-Magdeleine et l’autre Marie vinrent pour visiter le sépulcre. Et voilà qu’il se fit un grand tremblement de terre, car un Ange du Seigneur descendit du ciel, vint renverser la pierre et s’assit dessus. Son visage était brillant comme un éclair et ses vêtements blancs comme la neige. Et les gardes en furent saisis de frayeur et devinrent comme morts. Mais l’Ange s’adressant aux femmes, leur dit : Pour vous, ne craignez point, car je sais que vous cherchez Jésus qui a été crucifié. Il n’est point ici ; il est ressuscité, comme il l’avait dit. Venez voir le lieu où le Seigneur avait été mis. Puis hâtez-vous d’aller dire à ses disciples : Il est ressuscité et il vous précède en Galilée, c’est là que vous le verrez. Voilà ce que je vous annonce. Elles sortirent aussitôt du sépulcre, saisies de crainte et transportées de joie, et elles coururent porter ces nouvelles à ses disciples. Et voilà que Jésus se présenta à elles et leur dit : Je vous salue. Et elles s’approchèrent de lui, embrassèrent ses pieds et l’adorèrent. Alors Jésus leur dit : Ne craignez point : « allez, dites à mes frères qu’ils se rendent en Galilée : c’est là qu’ils me verront. Quand et les furent parties, quelques-uns des gardes vinrent à la ville et rapportèrent aux princes des prêtres tout ce qui s’était passé. Et s’étant assemblés avec les anciens, et ayant délibéré ensemble, ils donnèrent une grosse somme d’argent aux soldats et leur dirent : Publiez que ses disciples sont venus la nuit, et l’ont dérobé pendant que vous dormiez. Si cela vient à la connaissance du gouverneur, nous l’apaiserons et nous vous mettrons en sûreté ca. » Saint Marc raconte le même fait cb. Mais on peut demander comment, selon saint Matthieu, l’ange se tenait assis sur la pierre du sépulcre après qu’elle eut été renversée. En effet, saint Marc nous dit que les saintes femmes entrèrent dans le sépulcre et y virent un jeune homme assis, vêtu d’une robe blanche, et qu’elles furent saisies d’étonnement. On peut d’abord supposer que saint Matthieu ne dit rien de ce second ange qu’elles virent en entrant, et que saint Marc ne dit rien de celui qu’elles virent assis hors du tombeau. Dans cette interprétation il faudrait admettre la présence de deux anges, qui tous deux leur parlèrent de Jésus, l’un assis en dehors sur la pierre et l’autre assis à droite du sépulcre dans l’intérieur du tombeau. Au moment où elles allaient entrer, l’ange qui était assis au-dehors les encouragea en ces termes : « Venez et voyez le lieu où le Seigneur avait été placé. » Etant donc entrées, elles virent l’autre ange dont saint Matthieu ne parle pas et qui, selon saint Marc, était assis à droite et devait leur adresser à peu près le même lamage. Quoi qu’il en soit, il est certain que la pierre dans laquelle avait été creusé l’endroit de la sépulture, était précédée d’une sorte de barrière à travers laquelle on arrivait au tombeau ; de cette manière l’auge que saint Marc nous représente assis à droite du sépulcre peut fort bien être celui que saint Matthieu nous représente assis sur la pierre que le tremblement de terre avait renversée à l’entrée du tombeau c’est-à-dire du sépulcre qui était creusé dans la pierre. 64. On peut aussi se, demander comment saint Marc a pu dire, en parlant des saintes femmes n Elles s’enfuirent hors du tombeau ; car la crainte et la frayeur les avait saisies ; elles ne parlèrent à personne parce qu’elles étaient tremblantes de crainte. » Saint Matthieu dit, au contraire : « Elles sortirent aussitôt du sépulcre, saisies de crainte et d’une grande joie et coururent tout annoncer aux disciples. » Mais il nous semble que l’on concilie parfaitement ces deux passages, en admettant que ces femmes n’osèrent rien répondre à ce que les anges leur disaient, ni rien dire aux gardiens qu’elles voyaient morts de frayeur. Quant à cette joie dont parle saint Matthieu, elle peut se concilier facilement avec la crainte dont parle saint Marc nous devons admettre que ces deux sentiments envahirent simultanément leur cœur, lors même que saint Matthieu ne parlerait pas de la crainte, ce qui n’est pas ; car il dit expressément : « Elles sortirent aussitôt du sépulcre saisies de crainte et d’une grande joie. » Cette question est ainsi parfaitement résolue. 65. Il y a aussi à examiner une importante question relative à l’heure de l’arrivée des femmes au tombeau. Voici le texte de saint Matthieu : « Le soir du sabbat, lorsque le premier jour de « la semaine suivante commençait à luire, Marie-Magdeleine et l’autre Marie vinrent pour visiter le sépulcre. » Saint Marc dit au contraire : « Et le premier jour de la semaine, de grand matin, elles viennent au tombeau, au moment où le soleil se levait. » Les deux autres Évangélistes, saint Luc et saint Jean formulent la même pensée : « De grand matin », dit saint Luc ; « Le matin, quand les ténèbres régnaient encore », dit saint Jean. C’est absolument le sens de ces paroles de saint Marc : « De grand matin, quand le soleil se levait », c’est-à-dire, quand le ciel commençait à blanchir du côté de l’Orient ; c’est ce qui a lieu à l’approche du soleil, quand se produit le phénomène de l’aurore. Saint Jean a donc pu dire : « Quand les ténèbres régnaient encore », car ce n’est qu’à mesure que le soleil monte à l’horizon, que les ténèbres se dissipent insensiblement et disparaissent. Ces paroles : « De grand matin », ne doivent donc pas s’entendre en ce sens que le soleil eût déjà été sur la terre. C’est ainsi que nous parlons quand nous voulons que quelque chose se fasse de très-bonne heure. Si nous disons le matin, nous entendons que ce soit avant que le soleil darde pleinement ses rayons sur la terre ; nous ajoutons de grand matin, quand nous désignons le moment où le ciel commence seulement à blanchir. De même après que le coq a fait entendre tous ses chants du matin, nous disons ; il est matin ; mais quand le soleil ne fait encore que rougir ou blanchir, nous disons, de grand matin. Il importe donc peu que saint Marc ait dit : « le matin : » Saint Luc : « au premier rayon du jour », ou qu’ils aient ajouté de grand matin, quand le jour commençait seulement à poindre. Saint Jean a parfaitement exprimé cette pensée en disant : « Le matin, quand les ténèbres n’avalent pas encore disparu, au lever du soleil », c’est-à-dire quand, à son lever, le ciel commence à s’éclairer. Mais comment concilier avec ces passages, celui de saint Matthieu qui sans parler du matin se contente de dire : « Le soir du sabbat, quand le premier jour de la semaine suivante commençait à luire ? » Si saint Matthieu mentionne la première partie de la nuit, c’est pour signifier la nuit même à la fin de laquelle les femmes vinrent au tombeau. Et s’il donne ce nom à la nuit tout entière, c’est que dès le soir il était permis d’apporter des aromates, puisque le sabbat était passé. Comme elles ne pouvaient en apporter durant le sabbat, n’était-il pas naturel de faire commencer la nuit au moment où elles reprenaient le droit de faire ce qu’elles voulaient que fût d’ailleurs l’instant précis où elles le feraient ? Ces mots : « Le soir du sabbat », signifient donc la nuit du sabbat ou la nuit qui suivit le jour du sabbat. C’est ce qu’exprime parfaitement le texte : « Le soir du sabbat, quand le premier jour de la semaine suivante commençait à luire. » Ce texte n’a de sens qu’autant qu’il désigne la nuit tout entière et pas seulement le commencement de la nuit ; car ce n’est pas au commencement de la nuit mais à la fin que commence à luire le premier jour de la semaine. D’ailleurs, comme le commencement de la seconde moitié de la nuit est la fin de la première moitié, ainsi le jour termine la nuit entière. Il en résulte donc encore qu’à moins d’entendre par soir la nuit qui finit avec le jour, on ne peut dire que le soir finit quand le jour commence à luire. » De plus il est assez ordinaire, dans le langage de la Sainte Écriture, de prendre la partie pour le tout ; de prendre le soir du jour précédent pour la nuit tout entière qui se termine par le point du jour. Or, c’est au premier point du jour que les femmes vinrent au tombeau, et par là même durant la nuit désignée par le soir. Ce mot, nous l’avons dit, désigne la nuit tout entière ; c’était donc venir pendant cette nuit que de venir à quelque moment que ce fût de la nuit. Elles vinrent dans la seconde partie. Or le soir qui finit à l’aube du premier jour de la semaine désignant la nuit tout entière, en venant durant cette nuit, elles vinrent le soir ; et elles vinrent cette nuit, puisqu’elles vinrent durant la dernière partie de cette nuit même. 66. N’en est-il pas ainsi des trois jours qui s’écoulèrent depuis la mort jusqu’à la résurrection du Sauveur ? Pour que l’on puisse les compter ; il faut, suivant l’usage assez ordinaire, prendre la partie pour le tout. Jésus-Christ avait dit en personne : « Comme Jonas a été trois jours et trois nuits dans le ventre du poisson, de même le Fils de l’homme sera trois jours et trois nuits dans le sein de la terre cc. » Que l’on compte depuis le moment de sa mort ou de sa sépulture, on n’arrive pas à trouver les trois jours entiers. Mais il en est autrement si on suit la règle déjà si souvent exposée : le jour intermédiaire ou le sabbat forme un jour tout entier, la veille du sabbat ou préparation et le premier jour de la semaine ou le dimanche sont également comptés comme deux jours, parce qu’on prend la partie pour le tout. Ce principe résout sur le champ les difficultés inextricables que rencontrent tous ceux qui veulent s’en tenir à la rigueur de la lettre et qui ignorent combien de difficultés fait disparaître dans l’Écriture-la locution qui prend la partie pour le tout. Ainsi, d’après. eux, la première nuit comprendrait les trois heures, depuis la sixième jusqu’à la neuvième, pendant lesquelles le soleil s’est obscurci ; les trois autres heures, depuis la neuvième jusqu’au coucher du soleil, et durant lesquelles cet astre se montra de nouveau à la terre constitueraient le premier jour. Vient ensuite la nuit qui précède le sabbat, puis le sabbat tout entier, ce qui constitue déjà deux nuits et deux jours. Après le sabbat vient la nuit du premier jour de la semaine ou du dimanche, le jour même où le Sauveur est ressuscité ; cela fait seulement deux nuits, deux jours et une nuit, quand même on prendrait cette nuit dans toute son intégrité et quand nous n’aurions pas démontré que le point du jour de la résurrection en est la dernière partie. Ainsi donc, sans tenir compte des six heures de la passion, pendant trois desquelles le soleil s’obscurcit, pour briller pendant les trois autres, on obtiendra mieux les trois jours et les trois nuits. Car, en prenant, avec l’Écriture, la partie pour le tout, nous comptons la fin du jour de la mort et de la sépulture ou du vendredi avec la partie de la nuit qui précède le sabbat, pour un jour et une nuit ; nous avons ensuite le sabbat avec son jour tout entier et sa nuit tout entière ; enfin la 'nuit du dimanche qui suit le samedi et commence le jour du dimanche, qui forme le troisième jour, et ainsi nous obtenons trois jours et trois nuits. Nous trouvons quelque chose de semblable dans une circonstance de la vie du Sauveur, quand il monte sur la montagne. Saint Matthieu et saint Marc nous disent : « Six jours après », ils ne tiennent pas compte des parties de jours ; saint Luc en tient compte et dit : « Huit jours après ▼▼Ci-dessus, liv. 2, ch. 56. n. 113.
. » 67. Occupons-nous maintenant de considérer comment tout le reste concorde avec saint Matthieu. Saint Luc affirme clairement que les femmes virent deux anges, au moment où elles vinrent au tombeau. Les deux autres Évangélistes nous en ont mentionné chacun un ; saint Matthieu parle de celui qui était assis en dehors du tombeau, et saint Marc de celui qui était assis à droite dans l’intérieur du sépulcre. Voici maintenant le récit de saint Luc : « Or, ce jour était celui de la préparation, et le sabbat allait commencer. Les femmes qui étaient venues de Galilée avec Jésus, virent le sépulcre et comment on y avait placé le corps de Jésus. Et s’en étant retournées, elles préparèrent des aromates et des parfums et elles se tinrent en repos le jour du sabbat, selon la loi. Mais le premier jour de la semaine, ces femmes vinrent au tombeau de grand matin, et apportèrent les parfums qu’elles avaient préparés. Et elles virent que la pierre qui était au-devant du sépulcre en avait été ôtée. Et étant entrées, elles ne trouvèrent point le corps du Seigneur Jésus. Elles en étaient dans la consternation, quand deux hommes parurent tout-à-coup devant elles avec des robes éclatantes. Et comme elles étaient saisies de frayeur, et qu’elles se tenaient le front courbé vers la terre, ils leur dirent : Pourquoi cherchez-vous parmi les morts celui qui est vivant ? Il n’est point ici, il est ressuscité. Souvenez-vous de quelle manière il vous a parlé, lorsqu’il était encore en Galilée, et qu’il disait : Il faut que le Fils de l’homme soit livré entre les mains des pécheurs, qu’il soit crucifié et qu’il ressuscite le troisième jour. Et elles se ressouvinrent en effet des paroles de Jésus. Et étant revenues du sépulcre, elles racontèrent tout ceci aux onze et à tous les autres ce. » Comment donc ces deux anges furent-ils vus assis, l’un au-dehors, selon saint Matthieu et l’autre à droite dans l’intérieur, selon saint Marc, tandis que saint Luc nous les représente tous les deux en face des saintes femmes, quoique tenant à peu près le même langage ? Nous pouvons admettre qu’en arrivant auprès du tombeau elles virent, assis au-dehors, sur la pierre, l’ange dont nous parle saint Matthieu ; puis franchissant la barrière qui faisait au tombeau une sorte de vestibule, et en séparait l’entrée du tombeau lui-même, elles pénétrèrent dans le vestibule et aperçurent l’ange assis à droite sur la pierre qui avait fermé le sépulcre, c’est l’Ange de saint Marc ; enfin elles examinèrent attentivement le lieu où avait été déposé le corps du Sauveur et alors, tout à fait dans l’intérieur, elles aperçurent deux autres anges qui leur parlèrent à peu près de la même manière, pour soutenir leur courage et affermir leur foi ; ce sont les deux anges dont parle saint Luc. 68. Reste maintenant à voir si le texte de saint Jean peut s’accorder avec ce qui précède. Le voici : « Le premier jour de la semaine, Marie-Magdeleine vint au sépulcre de grand matin, lorsqu’il faisait encore obscur ; et elle vit que la pierre avait été ôtée. Elle courut donc et vint trouver Simon Pierre et cet autre disciple que Jésus aimait et elle leur dit : Ils ont enlevé le Seigneur du sépulcre, et nous ne savons où ils l’ont mis. Pierre sortit aussitôt, pour aller au sépulcre et cet autre disciple avec lui. Ils couraient tous deux ensemble ; mais cet autre disciple devança Pierre et arriva le premier au tombeau. Et s’étant baissé, il vit les linceuls qui étaient à terre ; mais il n’entra pas. Simon. Pierre qui le suivait, arriva et entra dans le sépulcre ; il vit aussi les linceuls qui y étaient, et le suaire qu’on lui avait mis sur la tête, lequel n’était pas avec les linceuls, mais lié dans un lieu à part. Alors cet autre disciple qui était arrivé le premier au sépulcre y entra aussi ; et il vit et il crut. Car ils ne savaient pas encore, comme l’Écriture l’enseigne, qu’il fallait qu’il ressuscitât d’entre les morts. Les disciples après cela rentrèrent chez eux. Mais Marie se tenait dehors, près du sépulcre, versant des larmes, Comme elle pleurait ainsi, elle se baissa et regardant dans le sépulcre, elle vit deux anges vêtus de blanc, assis au lieu où avait été le corps de Jésus, l’un à sa tête et l’autre aux pieds. « Ils lui dirent : Femme, pourquoi pleures-tu ? Elle leur répondit : Parce qu’ils ont enlevé mon Seigneur, et je ne sais où ils l’ont mis. Ayant dit cela, elle se retourna et elle vit Jésus qui se tenait là, sans qu’elle sût que ce fût lui. Jésus lui dit : Femme, pourquoi pleures-tu ? Qui cherches-tu ? Elle, croyant que c’était le jardinier, lui dit : Seigneur, si c’est vous qui l’avez enlevé, « dites-moi où vous l’avez mis, et je l’emporterai. « Jésus lui dit : Marie. Elle, se retournant, lui répondit : Rabboni ; c’est-à-dire Maître. Jésus lui dit : Ne me touche point, car je ne suis pas encore monté vers mon Père ; mais va trouver mes frères et dis-leur : Je monte vers mon Père et votre Père, vers mon Dieu et votre Dieu. Marie-Magdeleine vint donc dire aux disciples J’ai vu le Seigneur et il m’a dit ces choses cf. » Dans ce narré de saint Jean, tout est parfaitement d’accord quant au jour et au temps ou l’on vint au sépulcre ; comme saint Luc, il nous parle aussi de deux anges. Néanmoins saint Jean nous les représente debout, tandis que saint Luc nous les montre assis ; en outre il y a dans ce récit de saint Jean bien des circonstances dont ne parlent pas les autres évangélistes, la suite des événements ne paraît pas la même ; sans un examen plus approfondi on pourrait croire qu’il y a là contradiction. 69. Ainsi donc, ne faisant qu’un seul récit des quatre Évangiles combinés, indiquons, autant que le Seigneur nous en fera la grâce, dans quel ordre a pu se succéder tout ce qui est arrivé dans les premiers moments qui ont suivi la résurrection. Tous s’accordent à dire que c’est le premier jour de la semaine et de grand matin, que l’on vint au tombeau. À ce moment s’était déjà accompli ce qui ne nous est rapporté, que par saint Matthieu, le tremblement de terre, le renversement de la pierre et la frayeur qui se saisit des gardes et les jeta à demi-morts contre terre. D’après saint Jean on vit accourir au tombeau Marie-Magdeleine, sans aucun doute la plus ardente de toutes les femmes qui avaient servi le Sauveur ; c’est pour ce motif sans doute que saint Jean ne nomme qu’elle et ne parle pas de celles qui l’accompagnaient. Elle vint donc et bientôt elle s’aperçut que le tombeau était ouvert ; sans chercher à se rendre un compte plus exact de l’état des choses, bien persuadée qu’on a enlevé le corps de Jésus, elle court l’annoncer à Pierre et à Jean. Saint Jean est en effet le disciple que Jésus aimait. Ces deux Apôtres coururent aussitôt au sépulcre ; saint Jean arriva le premier, se baissa, reconnut les linceuls, mais n’entra pas. Pierre se présenta bientôt après, pénétra dans le tombeau, vit les linceuls et à côté d’eux le suaire qui avait été placé sur la tète de Jésus. Saint Jean entra ensuite, remarqua les mêmes circonstances, et crut, comme Marie-Magdeleine, que le corps de Jésus avait été enlevé. « Car ils ne savaient pas encore, comme l’enseigne l’Écriture, qu’il fallait qu’il ressuscitât d’entre les morts. Ils retournèrent ainsi dans leur demeure. Mais Marie-Magdeleine se tenait auprès du sépulcre en versant de larmes. » Elle n’avait pas quitté cet endroit qui précédait le sépulcre de pierre et dans lequel elles étaient entrées. Or, il. y avait là un, jardin, comme saint Jean nous l’atteste. C’est alors qu’elles virent un ange assis à droite sur la pierre qui avait fermé le tombeau ; c’est de cet ange que nous parlent saint Matthieu et saint Marc. « Il leur dit : Pour vous, « ne craignez rien ; car je sais que vous cherchez Jésus qui a été crucifié ; il n’est point ici ; il est ressuscité comme il l’a dit ; venez et voyez le lieu où le Seigneur avait été placé. Allez vite et dites à ses disciples qu’il est ressuscité, voilà qu’il vous précède en Galilée, c’est là que vous le verrez, je vous l’assure. » Saint Marc s’exprime à peu près de la même manière. À ces paroles Marie, qui pleurait, se courba, jeta ses regards sur le tombeau et, comme le rapporte saint Jean, elle aperçut deux anges, assis et vêtus de blanc ; l’un était à la tète et l’autre au pied du sépulcre où Jésus avait été déposé. « Ils lui dirent : Femme, pourquoi pleures-tu ? Elle leur répond : Parce qu’ils ont enlevé mon Seigneur, et je ne sais où ils l’ont mis. » On doit croire qu’alors les anges s’étaient levés, en sorte qu’ils apparaissaient debout, comme saint Luc nous l’atteste. Or, comme ces femmes étaient saisies de crainte et courbées vers la terre : « Pourquoi, leur dirent les anges, cherchez-vous parmi les morts, celui qui est plein de vie ; il n’est point ici, mais il est ressuscité : rappelez-vous ce qu’il vous a dit, quand il était encore en Galilée : Il faut que le Fils de l’homme soit livré entre les mains des pécheurs et qu’il soit crucifié, mais il ressuscitera le troisième jour. Et le souvenir de ces paroles leur revint à l’esprit. – C’est alors que Magdeleine se retourna et aperçut Jésus, comme nous le dit saint Jean, et elle ne savait pas que ce fût Jésus. Le Sauveur lui dit : Femme, pourquoi pleures-tu ? qui cherches-tu ? Pensant que c’était le jardinier, elle lui dit : Seigneur, si c’est vous qui l’avez enlevé, dites-moi où vous l’avez mis et je l’emporterai. Jésus lui dit : Marie. Se retournant aussitôt, elle répondit : Rabboni ; c’est-à-dire : Maître. Jésus lui dit : Ne me touche pas, car je ne suis pas encore monté à mon Père ; va trouver mes frères et dis-leur : Je monte vers mon Père et votre Père, vers mon Dieu et votre Dieu. » Elle sortit alors du tombeau, c’est-à-dire du lieu particulier formé de la partie du jardin qui était en avant de l’ouverture pratiquée dans la pierre. Elle fut suivie des autres femmes, que saint Marc nous représente en proie à la crainte et à la frayeur, et elles gardaient un profond silence. C’est alors, selon saint Matthieu, que Jésus se présenta à leur rencontre et leur dit Je vous salue. Elles s’approchèrent de lui, saisirent ses pieds et l’adorèrent. » Ainsi nous pensons que ces femmes ouïrent deux fois les anges et deux fois Jésus ; une première fois quand Magdeleine le prit pour le jardinier, et la seconde, quand il se présenta à leur rencontre, voulant par là les affermir dans la foi et dissiper leur crainte. « Il leur dit alors : Ne craignez rien, allez, dites à mes frères de se rendre en Galilée, c’est là qu’ils me verront. – Marie-Magdeleine courut donc annoncer aux disciples qu’elle avait vu le Seigneur et leur rapporta ses paroles ; » les autres femmes en firent autant, car, selon saint Luc, « elles annoncèrent tout cela aux onze et à tous les autres. Or les disciples ne virent dans tout cela que des rêveries de femmes et ils refusaient d’y croire : » Saint Marc confirme tout cela. En effet, après avoir raconté qu’elles sortirent toutes tremblantes du sépulcre et dans le plus profond silence, il ajoute que le premier jour de la semaine, dès le matin, le Seigneur apparut d’abord à Marie-Magdeleine qu’il avait délivrée de sept démons ; qu’ensuite elle alla tout raconter aux disciples encore plongés dans les larmes et la douleur ; mais qu’en apprenant que Jésus vivait et qu’il avait apparu à Magdeleine, les disciples refusèrent d’y croire. Saint Matthieu ajoute qu’après le départ des femmes qui avaient tout vu et tout entendu, un certain nombre de gardes qui avaient été jetés contre terre, à demi-morts, rentrèrent dans la ville et annoncèrent aux princes des prêtres tout ce qui s’était passé, c’est-à-dire tout ce dont ils avaient pu s’apercevoir ; qu’aussitôt les princes des prêtres et les anciens tinrent conseil, donnèrent une grosse somme d’argent aux soldats, à condition qu’ils diraient que les disciples étaient venus et qu’ils avaient profité de leur sommeil pour enlever son corps ; qu’en même temps ils leur promirent qu’ils s’emploieraient auprès du gouverneur pour leur épargner tout châtiment ; que les soldats reçurent l’argent, firent exactement ce qui leur avait été recommandé ; et que ce fait est encore publié aujourd’hui parmi les Juifs.
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