Matthew 26:39
CHAPITRE II. PRÉDICTION DU RENIEMENT DE SAINT PIERRE.
5. « Mes chers petits enfants, je ne suis plus que pour peu de temps avec vous. Vous me chercherez ; et comme je l’ai dit aux Juifs, vous ne pouvez venir où je vais. Je vous fais un commandement nouveau, c’est que vous vous aimiez réciproquement, et qu’ainsi que je vous ai aimés, vous vous aimiez les uns les autres. Simon Pierre lui dit : Seigneur, où allez-vous ? Jésus lui répondit : Là où je vais, tu ne peux venir maintenant, mais tu y viendras plus tard. Pierre ajouta : Pourquoi ne pourrais-je vous suivre maintenant ? je donnerai ma vie pour vous. Jésus lui répondit : Tu donneras ta vie pour moi ? En vérité, en vérité je te le dis, le coq n’aura pas encore chanté que tu m’auras renié trois fois a. » Cette prédiction du reniement de saint Pierre, formulée par saint Jean dans les termes que je viens de rapporter, est aussi mentionnée par les trois autres évangélistes b. Il faut reconnaître, cependant, que dans tous ces auteurs, cette prédiction n’est pas faite dans la même circonstance. Ainsi, saint Matthieu et saint Marc qui se suivent ici absolument, ne font mention de cette prophétie que quand le Sauveur fut sorti du cénacle même. Mais on peut facilement tout concilier en supposant que saint Matthieu et saint Marc ne font que récapituler ce qui s’était dit précédemment. Ne pourrait-on pas supposer aussi, en voyant les protestations de Pierre précédées de paroles et de réflexions si diverses faites par le Sauveur, que frappé des prédictions de son maître, Pierre lui attesta, par trois fois différentes, qu’il était disposé à donner sa vie pour lui ou avec lui, et qu’à chacune de ses attestations présomptueuses, le Sauveur lui répondit, qu’avant le chant du coq il aurait trois fois renié son maître ? 6. En effet tout porte à croire que dans trois moments différents, quoique peu séparés, Pierre fut victime de la présomption comme il devait par trois fois différentes, renier Jésus-Christ, et que, trois fois il reçut du Seigneur une réponse pareille ; comme après la résurrection il s’entendit demander par trois fois s’il aimait, et par trois fois, sans qu’aucune autre parole fut échangée, il reçut l’ordre de paître les agneaux et les brebis c. Dans cette interprétation, on s’explique parfaitement l’espèce de variété que l’on remarque dans les récits évangéliques, au sujet des paroles de saint Pierre et de celles du Sauveur, paroles citées assez diversement et dans des circonstances différentes. Rappelons-nous la suite du récit, tel que nous le trouvons en saint Jean : « Mes chers petits enfants, je ne suis plus que pour peu de temps avec vous. Vous me chercherez ; et comme j’ai déjà dit aux Juifs : vous ne pourrez venir où je vais, je vous le dis maintenant à vous-mêmes. Je vous fais un commandement nouveau, c’est que vous vous aimiez réciproquement, et qu’ainsi que je vous ai aimés, vous vous aimiez les uns les autres. Chacun pourra reconnaître que vous êtes mes disciples, si vous vous aimez les uns les autres. Simon Pierre lui dit : Seigneur, où allez-vous ? » Rien de si naturel que ce mouvement qui pousse saint Pierre à demander : « Seigneur, où allez-vous ? » puisqu’il venait d’entendre ces mots : « Où je vais, vous ne pouvez pas venir vous-mêmes. » Jésus lui répondit : « Là où je vais, tu ne peux me suivre maintenant, mais tu me suivras plus tard. » Et Pierre de répliquer : « Pourquoi ne pourrais-je pas vous suivre maintenant ? je donnerai ma vie pour vous. » À cette présomption, le Sauveur répond en lui prédisant son – renoncement. Quant à saint Luc, il rappelle d’abord ces paroles de Jésus-Christ : « Simon, voici que Satan vous à convoités pour vous cribler, comme on crible le froment. Mais j’ai prié pour toi, afin que ta foi ne défaille pas. Lors donc que tu seras revenu, confirme tes frères. » Puis, il ajoute que saint Pierre répondit : « Seigneur, je suis prêt à aller avec vous et en prison et à la mort. Jésus lui dit : Je t’affirme, Pierre, qu’avant que le coq ait chanté aujourd’hui, tu me renieras trois fois. » On voit que ce qui a provoqué la présomption de Pierre, est bien différent dans le récit de saint Jean et dans celui de saint Luc. Voici maintenant le texte de saint Matthieu : « Et l’hymne étant achevée, ils se rendirent à la montagne des Oliviers. Alors Jésus leur dit : Cette nuit, vous serez tous scandalisés à mon sujet, car il est écrit : Je frapperai le pasteur et les brebis du troupeau seront dispersées. Mais lorsque je serai ressuscité, je vous précéderai en Galilée. » C’est à peu près le texte de saint Marc. Or quelle ressemblance trouver entre ce texte et le langage présomptueux de Pierre dans saint Jean ou dans saint Luc ? Saint Matthieu continue : « Et Pierre répondit : Lors même que tous seraient scandalisés à votre sujet, pour moi, je ne le serai jamais. Jésus lui répliqua : Je te dis, en vérité, que dans cette nuit même, avant que le coq chante, tu me renieras trois fois. Pierre lui répondit : Quand il me faudrait mourir avec vous, je ne vous renierai pas. Les autres disciples en dirent autant. » 7. Saint Marc se sert à peu près des mêmes expressions, mais avec plus de précision encore sur la manière dont les choses devront se passer : « En vérité je te déclare, dit le Seigneur, que toi-même, aujourd’hui, dans cette nuit, avant que le coq ait chanté deux fois, tu m’auras renié trois fois. » Les autres évangélistes avaient annoncé que Pierre renierait son maître avant le chant du coq, sans préciser combien de fois le coq chanterait. Saint Marc est le seul qui se soit montré aussi explicite. De là certains auteurs ont prétendu que saint Marc était en désaccord avec les autres écrivains sacrés ; mais cette prétention ne peut être que l’effet, ou d’une grande légèreté, ou d’un profond aveuglement, fruit de leur haine contre l’Évangile. En effet, il est certain que Pierre renia trois fois son Maître. Il resta sous la peur dont il était saisi, et dans sa résolution de nier jusqu’au moment où le Sauveur lui rappelant ce qui lui avait été prédit, il trouva sa guérison dans des larmes amères et dans le repentir du cœur. Or, si ce triple reniement n’eut lieu qu’après le premier chant du coq, les trois Évangélistes peuvent être accusés d’erreur. Saint Matthieu dit : « En vérité je te déclare que, dans cette nuit, avant que le coq ait chanté, tu me renieras trois fois. » Saint Luc : « Je te dis, Pierre, qu’avant que le coq chante aujourd’hui, tu me renieras trois fois ; » et saint Jean : « En vérité, en vérité je t’affirme que le coq ne chantera pas que tu ne me renies trois fois. » On voit que ce n’est pas dans les mêmes termes ni dans le même ordre, que les évangélistes rapportent cette sentence du Sauveur, annonçant qu’avant le chant du coq Pierre l’aurait renié trois fois. Or pourquoi préciser les deux chants du coq, si le triple reniement devait être accompli avant le premier, et, par là même, avant le second, avant le troisième et avant tous les autres chants du coq durant cette nuit ? Observons qu’avant le premier chant du coq, la série des reniements était commencée ; or les trois évangélistes ne se sont pas proposé de nous dire à quel moment saint Pierre compléta cet acte de lâcheté ; il leur a suffi de nous révéler l’heure avant laquelle il le commença, et le nombre de fois qu’il le renouvela. Il le renouvela trois fois et il le commença avant le chant du coq. Bien plus, il est certain que dans sa pensée il consomma son crime avant le premier chant du coq ; qu’importe alors qu’il ait commencé, avant le premier chant, sa triple négation, et qu’il ne l’ait achevée qu’avant le second chant ? Sa faute était voulue et consommée avant le premier chant du coq. Qu’importe aussi que ses négations eussent été séparées par des intervalles plus ou moins longs ? Avant le premier chant, il était tellement victime de la crainte et de la lâcheté, qu’il était disposé à renier son maître, une première, une seconde, une troisième fois si on l’interrogeait encore. Il réalisait une parole du Sauveur qui déclare que jeter, sur une femme, un regard adultère, c’est déjà avoir commis l’adultère dans son cœur d. Par la même raison, quand Pierre exhalait dans ses paroles cette crainte étrange, à laquelle il était en proie, et dont il subit l’influence jusqu’à une seconde et une troisième négation, on peut dire que tout son crime lui devint imputable, au moment même où il se laissa dominer par cette frayeur qui devait le faire apostasier trois fois. En admettant dès lors, que ce ne fut qu’après le premier chant du coq, que tourmenté par les questions qui lui étaient faites, il commença cette triste série de dénégations, même alors serait-il donc si absurde de dire qu’il a renié trois fois avant le chant du coq, puisque avant ce chant du coq il était déjà tout entier sous le coup de cette crainte qui devait l’amener à un triple reniement ? Or cette assertion est d’autant plus naturelle que ce reniement fut commencé réellement avant le premier chant du coq, quoiqu’il n’ait été complet qu’avant le second. Je dis à quelqu’un : cette nuit, avant que le coq chante, tu m’écriras une lettre dans laquelle tu m’insulteras trois fois. Aurai-je fait une fausse prophétie, parce que cette lettre, commencée avant le premier chant du coq, n’a été terminée qu’après ? Toute la différence présentée par saint Marc vient donc de l’énonciation formelle des intervalles qui marquèrent les protestations de l’Apôtre infidèle : « Avant que le coq ait chanté deux fois, « tu me renieras trois fois. » Du reste, quand nous serons en face du récit lui-même, nous montrerons le parfait accord des évangélistes. 8. Chercher à connaître toutes les paroles que le Seigneur adressa à Pierre, est une prétention vaine et inutile. Il suffit de connaître la pensée générale, qui fut comme le résumé de ces paroles ; et cette pensée nous est révélée dans les différents récits des évangélistes. Soit donc qu’on admette que ce fut à diverses reprises, pendant les discours du Seigneur, que Pierre ému laissa échapper cette triple et présomptueuse protestation qui provoqua la triple prophétie de son reniement, et c’est là le plus probable ; soit que l’on coordonne le récit des Évangélistes, de telle manière, qu’il en résulte que le Seigneur ne prédit qu’une seule fois à Pierre, trop présomptueux, qu’il le renierait la nuit même ; toujours est-il que l’on ne peut surprendre dans ces textes différents aucune contradiction ; et en effet il n’y en a aucune.CHAPITRE III. DISCOURS APRÈS LA CÈNE.
9. Suivons maintenant, autant que nous le pourrons, l’ordre chronologique d’après tous les évangélistes. Après avoir rapporté la triste prédiction faite à Pierre, saint Jean nous représente le Sauveur continuant à s’entretenir avec ses apôtres et leur disant : « Que votre cœur ne se trouble point ; vous croyez en Dieu, croyez aussi en moi. Il y a bien des demeures dans la maison de mon Père ; », etc. Le texte de ce discours sublime et magnifique va jusqu’à cet endroit où le Seigneur s’écrie : « Père juste, le monde ne vous connaît pas, mais moi je vous connais, et ceux-ci savent que vous m’avez envoyé, et je leur ai fait connaître votre nom et je le leur ferai connaître encore, afin que l’amour dont vous m’avez aimé soit en eux et que je sois aussi en eux e. – Or, comme le raconte saint Luc, il s’éleva entre eux une contestation sur la question de savoir lequel d’entre eux devait être considéré comme le plus grand. Mais Jésus leur dit : Les rois des nations exercent sur elles leur autorité, et ceux qui les dominent prennent le nom de bienfaiteurs. Il n’en sera pas ainsi pour vous ; il faut que le plus grand soit comme le plus petit, et celui qui est à la tête comme celui qui obéit. Et en effet, lequel est le plus grand, de celui qui est à table ou de celui qui le sert ? Mais pourtant me voici au milieu de vous dans l’attitude de celui qui sert. Pour vous, vous êtes demeurés fermes avec moi au milieu de mes tentations. Et voici que je vous prépare le royaume comme mon Père me l’a préparé, afin que vous y mangiez et que vous y buviez à ma table, « et que vous y soyez assis sur des trônes pour juger les douze tribus d’Israël. Or, ajoute saint Luc, le Seigneur dit à Simon : Voilà que Satan vous a convoités pour vous cribler comme on crible le froment ; mais j’ai prié pour toi, afin que la foi ne défaille point ; toi donc, lorsque tu seras revenu, confirme tes frères. Pierre lui répondit : Seigneur, je suis prêt à aller avec vous et en prison et à la mort. Et le Seigneur lui dit : Je te l’assure, Pierre, le coq n’aura pas chanté aujourd’hui, que déjà tu m’auras renié trois fois. Puis il leur dit à tous : Quand je vous ai envoyés sans sac de voyage, sans bourse et sans chaussure, est-ce que quelque chose vous a manqué ? Non, répondirent-ils. Le Seigneur ajouta : Mais, maintenant, que celui qui a un sac le prenne, qu’il prenne aussi sa bourse, « et que celui qui n’en a point, vende sa tunique pour acheter une épée. Car je vous assure qu’il faut encore que l’on voie s’accomplir en moi cette parole de l’Écriture : Il a été mis au rang des criminels, et ce qui me concerne touche à son accomplissement. Ils lui dirent : Voici deux épées, Seigneur. C’est assez, leur répondit-il f. Et l’hymne étant dite, ajoutent saint Matthieu et saint Marc, ils se rendirent au mont des Oliviers. Alors Jésus leur dit : Vous serez tous scandalisés cette nuit, à mon sujet, car il est écrit : Je frapperai le pasteur, et les brebis du troupeau seront dispersées ; mais quand je serai ressuscité, je vous précéderai en Galilée. Pierre prenant la parole lui dit : Lors même que tous seraient scandalisés à votre sujet, moi je ne me scandaliserai jamais. Jésus lui répondit : « Je te déclare en vérité, que dans cette nuit, « avant que le coq ait chanté, tu me renieras trois fois. Pierre répliqua : Lors même qu’il me faudrait mourir avec vous, je ne vous renierai pas. Les autres disciples en dirent autant g. » Nous avons inséré ici les paroles de saint Matthieu, mais saint Marc s’exprime d’une manière à peu près identique h; la seule différence est celle que nous avons signalée plus haut, relativement au chant du coq.
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