Matthew 26:8
CHAPITRE LXXIX. FESTIN DE BÉTHANIE.
154. Saint Matthieu continue ainsi le passage déjà cité à la fin de l’examen que nous venons de faire : « Alors les princes des prêtres et les anciens du peuple s’assemblèrent dans la salle du grand-prêtre appelé Caïphe, et tinrent conseil pour se saisir de Jésus par ruse et le faire mourir. Mais ils disaient que ce ne fût pas au jour de la fête, de peur qu’il ne s’élevât du tumulte parmi le peuple. Or, comme Jésus était à Béthanie, dans la maison de Simon le lépreux, vint auprès de lui une femme ayant un vase d’albâtre plein d’un parfum de grand prix, et elle le répandit sur sa tête lorsqu’il était à table », etc, jusqu’à ces mots : « On dira même, en mémoire d’elle, ce qu’elle vient de faire a. » Examinons maintenant l’histoire de cette femme qui vint à Béthanie, avec son parfum d’un grand prix. Saint Luc raconte un fait semblable ; c’est le même nom donné à celui chez qui vint manger le Seigneur, il l’appelle Simon. Mais s’il n’est point impossible ni contraire à l’usage que le même homme porte deux noms à la fois, il est moins étonnant encore que le même nom soit donné à deux hommes différents. Aussi me paraît-il plus probable que Simon, dont parle saint Luc, n’est point le même que le lépreux chez qui eut lieu la scène de Béthanie. En effet, saint Luc ne dit nullement que ce qu’il raconte se passait en cette localité, et quoiqu’il ne désigne aucune autre ville, ni aucun autre bourg, son récit lui-même semble indiquer un endroit différent. C’est tout ce que je veux démontrer. Mais il ne faudrait pas voir une autre femme dans cette pécheresse qui vint aux pieds de Jésus, les baisa, les arrosa de ses larmes, les essuya avec ses cheveux, et y répandit son parfum, alors que le Seigneur, par la parabole des deux débiteurs, déclara que beaucoup de péchés lui avaient été remis, parce qu’elle avait beaucoup aimé. La même femme, Marie, répandit deux fois des parfums ; la première fois, lorsque, comme saint Luc le raconte, son humilité et ses larmes lui méritèrent le pardon de ses péchés b. Saint Jean ne rapporte point, comme saint Luc, les circonstances de ce fait, mais il fait connaître également que cette femme était Marie. En commençant l’histoire de la résurrection de Lazare, et avant de nous faire arriver à Béthanie ; il s’exprime ainsi : « Or, il y avait un certain malade ; Lazare de Béthanie, du bourg où demeuraient Marie et Marthe sa sœur. Marie était celle qui oignit le Seigneur de parfums, et lui essuya les pieds avec ses cheveux ; or, Lazare, alors malade, était son frère c. » Saint Jean confirme ainsi le récit de saint Luc, qui place le fait dans la maison d’un Pharisien nommé Simon. Ainsi donc Marie avait déjà répandu des parfums ; elle en répandit de nouveau à Béthanie, et il n’y a rien de commun entre le récit de saint Luc et ce qui est ensuite raconté par les trois autres évangélistes, saint Jean, saint Matthieu et saint Marc d. 155. Examinons donc s’il règne un accord parfait entre ces trois différents récits de saint Matthieu, de saint Marc et de saint Jean ; car c’est bien le même fait, qui eut lieu à Béthanie, où le : disciples, d’après les trois évangélistes, murmurèrent contre cette femme de ce qu’elle prodiguait inutilement un parfum d’un si grand prix. Saint Matthieu et saint Marc font répandre ce parfum sur la tête du Seigneur, saint Jean sur ses pieds ; mais une telle différence n’implique aucune contradiction, comme déjà nous l’avons démontré au sujet des cinq pains dont fut nourrie la multitude. De ce que dans l’un il est dit qu’on s’assit par groupes de cinquante et de cent, et dans l’autre par groupes de cinquante, les deux passages ne peuvent se contredire. L’un aurait dit qu’ils étaient par centaines, et l’autre par cinquantaines, qu’il eût encore fallu en` conclure qu’on avait formé ces deux sortes de groupes. Ce fait nous apprend, comme je l’ai fait observer alors, que si les évangélistes racontent, celui-ci un fait, celui-là un autre, nous devons en conclure que les deux faits ont eu lieu ▼▼Ci-dessus 46, 98
. Disons donc aussi que cette femme répandit son parfum, non seulement sur la tête du Seigneur, mais encore sur ses pieds. Il est vrai que d’après saint Marc elle brisa son vase pour oindre la tête : voudra-t-on, pour ce motif, pousser l’absurdité jusqu’à nier que dans un vase brisé il puisse rester assez de parfum pour oindre les pieds ? Si pourtant un soutenait, afin de mettre en défaut le récit évangélique, que le vase fut tellement brisé, qu’il n’en resta rien ; un autre ne montrerait-il pas plus de logique, et plus de vraie piété, en soutenant, pour appuyer la véracité des Évangiles, qu’après que le vase fut brisé tout ne fut pas immédiatement répandu ? Enfin, si l’on s’opiniâtrait dans cette lutte aveugle et de mauvaise foi, et qu’on voulût en brisant le vase, briser l’accord des évangélistes, je répondrais L’onction des pieds eut lieu avant que le vase fut brisé, et il était encore intact, quand on répandit le parfum sur la tête ; alors seulement le vase fut, brisé, et tout fut entièrement répandu. Sans doute il est dans l’ordre de commencer par la tête ; mais c’est agir également avec ordre de monter des pieds à la tête. 156. Le reste de l’histoire ne peut soulever aucune difficulté. D’après les autres évangélistes, ce sont les disciples qui se plaignent de voir ainsi répandu un parfum d’aussi grand prix, tandis que saint Jean attribue cette plainte à Judas, parce qu’il était voleur. Or, il est évident, selon moi, que Judas se trouve désigné par ce nom de disciples au pluriel. C’est une manière de parler que nous avons déjà signalée dans l’histoire des cinq pains au sujet de l’apôtre Philippe, où le pluriel est employé pour le singulier ▼▼Ci-dessus n. 96.
. On pourrait croire aussi que les autres Apôtres ont pensé ou parlé comme lui, ou bien encore se sont laissé persuader par Judas, et qu’ainsi saint Matthieu et saint Marc ont pu mettre cette réflexion dans la bouche de tous, comme l’expression de leur conviction ; que Judas a parlé parce qu’il était voleur, et les autres, par compassion pour les pauvres, et que saint Jean, en ne désignant que celui-là, a voulu faire connaître à cette occasion sa funeste habitude de dérober.
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