Matthew 27:25
CHAPITRE VII. JUGEMENT DU MATIN. – JÉRÉMIE CITÉ AU LIEU DE ZACHARIE.
27. Nous lisons dans saint Matthieu : « Le lendemain, de grand matin, tous les princes des prêtres et les anciens du peuple tinrent conseil contre Jésus, pour le livrer à mort. Puis ils le garrottèrent, l’emmenèrent enchaîné, et le remirent au gouverneur Ponce-Pilate a. » Saint Marc raconte ainsi le même fait : « Dès le matin, les princes des prêtres tinrent conseil avec les anciens du peuple et tout le sanhédrin, conduisirent Jésus enchaîné et le livrèrent à Pilate b. » Après avoir raconté le reniement de Pierre, saint Luc récapitule ce qui s’est fait dès le matin à l’égard de Jésus et lie ainsi sa narration. « Ceux qui le gardaient se mirent à l’insulter et à le maltraiter ; ils lui voilèrent la tête et le frappant au visage ils lui disaient : « Prophétise ; quel est celui qui t’a frappé ? Et ils ajoutaient à cela beaucoup d’autres blasphèmes. Et dès que le jour fut venu, les anciens du peuple, les princes des prêtres et les Scribes se réunirent et le conduisirent au conseil, en disant : Si tu es le Christ, dis-le-nous. Jésus leur répondit : Si je vous le dis, vous ne me croirez pas, et si je vous interroge, vous ne me répondrez rien et vous ne me renverrez pas. Mais désormais, le Fils de l’homme sera assis à la droite de la majesté divine. Ils lui dirent tous : Tu es donc le Fils de Dieu ? Il leur répondit : Vous le dites et je le suis. Ils s’écrièrent : Qu’avons-nous encore besoin d’autre témoignage, car nous venons d’entendre ses propres paroles ? Toute la multitude se leva et ils le conduisirent à Pilate c. » Tel est le narré de saint Luc ; c’est la confirmation de ce qui est rapporté par saint Matthieu et par saint Marc sur l’interrogation adressée au Seigneur au sujet de sa filiation divine : « Je vous déclare, répond le Sauveur, que vous verrez le Fils de l’homme assis à la droite de la majesté divine et venant sur les nuées du ciel. » Ceci dut se passer au lever du jour, suivant cette parole de saint Luc : « Dès qu’il fut jour. » Du reste son récit est le même que celui des autres évangélistes, excepté qu’il mentionne certains détails sur lesquels les autres gardent le silence. Toujours est-il que tout ce qui regarde les dépositions des faux témoins s’est passé pendant la nuit ; on peut en lire le récit dans saint Matthieu et saint Marc ; quant à saint Luc, omettant ce qui concerne les faux témoins, il nous a raconté ce qui s’est passé le matin. Les deux premiers, après avoir suivi les événements jusqu’au matin, nous ont rapporté le reniement de saint Pierre, puis ils ont repris la suite de leur récit sans mentionner les faits du matin d. Quant à saint Jean, après avoir raconté ce qui concerne le Seigneur et le reniement de saint Pierre, il ajoute : « Ils conduiront donc Jésus au prétoire devant Caïphe. Or c’était le matin e. » De là nous sommes portés à conclure, ou bien que quelque raison avait forcé Caïphe de se trouver au prétoire, au lieu d’être présent à l’assemblée des princes des prêtres ; ou bien qu’il y avait un prétoire dans sa maison. Toujours est-il que le Seigneur, arriva enfin près de lui et que dès le principe on voulait le lui présenter. Quoi qu’il en soit, les ennemis du Sauveur le considèrent comme un accusé convaincu ; de son côté Caïphe depuis longtemps croit qu’il doit mourir ; rien n’empêchait dès lors de le conduire immédiatement à Pilate, pour le condamner au dernier supplice. Voici comment saint Matthieu raconte ce qui s’est passé au tribunal de Pilate. 28. Il débute par le triste sort de Judas, dont il a été seul à parler : « Alors Judas, dit-il, qui l’avait livré, voyant que Jésus avait été condamné, rapporta, poussé parle repentir, les trente pièces d’argent aux princes des prêtres et aux anciens du peuple, en leur disant : J’ai péché en livrant le sang innocent. Mais ils lui répondirent : Que nous importe ? c’est ton affaire. Jetant alors les pièces d’argent dans le temple, il s’en alla et se pendit. Mais les princes des prêtres après avoir recueilli l’argent se dirent : Il n’est pas permis de le mettre dans le trésor du temple, parce que c’est le prix du sang. Ayant donc délibéré à ce sujet, ils achetèrent le champ d’un potier, pour la sépulture des étrangers. C’est pour cela que ce champ fut appelé Haceldama, c’est-à-dire le champ du sang, nom qu’il porte encore aujourd’hui. Alors fut accomplie cette parole du prophète Jérémie : Ils ont reçu les trente pièces d’argent, « somme donnée pour le paiement de celui qui a été mis à prix par les enfants d’Israël, et ils en ont acheté le champ d’un potier, ainsi que le Seigneur me l’a fait entendre. 29. Peut-être va-t-on se laisser ébranler par cette considération que ce passage ne se trouve nulle part dans les prophéties de Jérémie et dès lors qu’on ne peut plus ajouter foi à la véracité évangélique. Mais d’abord il ne faut pas oublier que le mot : Jérémie, ne se trouve pas dans tous les exemplaires des Évangiles ; on n’y voit que le mot prophète. Pourquoi ne pas admettre qu’on ne doit regarder en ce point, comme dignes de confiance, que les exemplaires qui ne portent pas le nom de Jérémie ? En effet, ce texte se trouve réellement dans la prophétie de Zacharie. Il suit de là que les exemplaires qui portent le nom de Jérémie ont été interpolés ; car ou bien ils doivent porter le nom de Zacharie, ou bien ils doivent ne parler que d’un prophète en général, et ce prophète c’est Zacharie. Ceux à qui ce moyen de défense sourit, peuvent s’en servir : pour moi il ne me sourit point, précisément parce que je rencontre un trop grand nombre d’exemplaires qui portent le nom de Jérémie. De plus, les auteurs qui ont fait des manuscrits grecs une étude particulière, ont trouvé que même les plus anciens portaient ce nom de Jérémie. Or, quel avantage pouvait-il y avoir à commettre une interpolation mensongère, dans ce cas en particulier ? Au contraire l’impossibilité où l’on était de vérifier ce texte dans Jérémie a pu déterminer une ignorance audacieuse à effacer le nom de ce prophète afin d’enlever ainsi toute la difficulté. 30. Il est bien plus sage de voir dans ce fait un secret dessein de la providence divine, qui dirige l’intelligence des évangélistes. Il a pu se faire, en effet, que saint Matthieu en écrivant son Évangile ait vu se présenter à son esprit le nom de Jérémie au lieu de celui de Zacharie. Mais comment admettre qu’il n’ait pas corrigé sa faute, ou qu’il n’ait pas été averti de la corriger par quelqu’un des lecteurs, sous les yeux de qui son Évangile dut tomber de son vivant, s’il n’avait été retenu par cette pensée qu’en écrivant il était sous la direction du Saint-Esprit, que ce n’était pas sans raison que le nom d’un prophète avait été substitué à celui d’un autre, puisque Dieu l’avait ainsi permis ? Or, Dieu peut l’avoir permis pour faire briller davantage le caractère divin des prophéties qui, dirigées par un seul et même Esprit, se réunissent toutes dans un accord parfait bien plus admirable qu’il ne serait si toutes ces prophéties étaient l’œuvre d’un seul écrivain. Avec cette diversité de prophètes, le Saint-Esprit nous apparaît dictant leurs révélations comme si chacune d’elles était l’œuvre de tous et comme si toutes étaient l’œuvre de chacun. Il suit de là que les prophéties écrites par Jérémie, sont autant de Zacharie que de Jérémie, et celles de Zacharie autant de Jérémie que de Zacharie. Pourquoi, dès lors, saint Matthieu eût-il attaché tant d’importance à corriger le nom d’un prophète, qu’il avait cité pour un autre ? N’était-il par préférable que, se soumettant d’une manière absolue à la direction du Saint-Esprit, dont il sentait plus que nous l’action puissante, il laissât écrit ce qui était écrit, pour nous rappeler qu’il règne entre tous les prophètes une concordance telle, que loin devoir un absurdité on ne vit qu’une haute convenance à attribuer à Jérémie, ce qui avait été réellement dit par Zacharie ? Je suppose qu’aujourd’hui un auteur, voulant citer les paroles d’un autre, se trompe de nom et prenne pour le nom de l’auteur véritable, le nom d’un homme qui lui est très-lié par l’amitié et parles idées. S’apercevant de sa méprise, il se recueille et pour toute correction, il s’écrie je ne me suis pas trompé, en ce sens du moins qu’il a voulu prononcer qu’il y avait une telle similitude de pensées entre le nom cité et celui de l’auteur réel, que l’un est censé avoir dit ce que l’autre a dit réellement. Une telle réponse ne donnerait que plus de force à son témoignage. Or, combien cela n’est-il pas plus vrai encore des prophètes, puisque les livres de chacun doivent être envisagés par nous comme étant les livres d’un seul, ce qui leur donne un caractère bien plus frappant d’unité et de véracité qu’ils n’en auraient s’ils étaient réellement l’œuvre d’un seul ? Laissons donc aux infidèles et aux ignorants le soin de profiter de cette circonstance pour publier le désaccord des saints Évangiles ; que les fidèles et les chrétiens instruits y voient clairement l’unité divine des saintes prophéties. 31. Pour expliquer pourquoi l’Esprit-Saint a permis, ou plutôt a prescrit de substituer le nom de Jérémie à celui de Zacharie, il y a une autre raison ; je la développerai avec plus de soin ailleurs, car je sens le besoin de terminer ce livre. Nous lisons dans Jérémie qu’il acheta le champ du fils de son frère et lui en donna l’argent. Il ne s’agit pas ici, sans doute, du prix dont il est parlé dans Zacharie, c’est-à-dire de trente pièces d’argent ; mais ce dernier prophète ne parle pas davantage de l’achat du champ, en sorte que c’est uniquement l’Évangéliste qui, interprétant la prophétie a réuni et l’achat du champ et les trente pièces de monnaie qui furent le prix de la trahison du Sauveur. Nous trouvons ici l’accomplissement d’une double prophétie, celle de Jérémie parlant de l’achat du champ, et celle de Zacharie parlant des trente pièces d’argent. Si donc, après, avoir lu l’Évangile et y avoir rencontré le nom de Jérémie, on est tenté de lire la prophétie elle-même, on n’y trouvera aucune mention des trente pièces d’argent, mais bien de l’achat du champ ; le lecteur n’aura plus qu’à réunir ces différents passages et à en chercher l’accomplissement dans la personne du Sauveur. Qu’on n’oublie pas toutefois qu’on ne doit pas s’attendre à lire soit dans Zacharie, soit dans Jérémie ces paroles qui terminent le passage de saint Matthieu : « Celui qui a été mis à prix par les enfants d’Israël, et ils en ont acheté le champ d’un potier, ainsi que le Seigneur me fa fait entendre. » Nous devons donc voir, dans ces paroles, une interprétation élégante et mystique de la prophétie, interprétation inspirée divinement et appliquant à Jésus-Christ le prix dont parle le prophète. En lisant Jérémie nous voyons que le prix d’achat du champ doit être jeté dans un vase de terre f ; ici le prix de la trahison du Sauveur sert à acheter le champ d’un potier, lequel champ est destiné à la sépulture des étrangers ; image du repos réservé à ceux qui, dans le voyage de cette vie, auront été ensevelis en Jésus-Christ par le baptême. Aussi le Seigneur fait-il entendre à Jérémie que l’achat de ce champ désignait le séjour qu’on ferait, même après la délivrance, sur la terre étrangère. Tels sont les points de vue que je tenais à esquisser pour inviter à examiner plus attentivement ces témoignages prophétiques en les rapprochant l’un de l’autre et en les comparant au récit évangélique. – Voilà ce qu’a dit saint Matthieu du traître Judas.
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