‏ Matthew 28:1-15

D’autres Sermons, sur la Résurrection, se trouve en Luc 24.

SERMONS INÉDITS. QUATRIÈME SUPPLÉMENT.

CINQUANTE-TROISIÈME SERMON. POUR LA VEILLE DE PÂQUES.

ANALYSE. —1. Il faut célébrer solennellement la veille de Pâques. —2. Pourquoi doit-elle être pour nous un jour d’allégresse. —3. Passons avec le Christ, pour être sauvés.

1. Avec l’aide miséricordieuse de notre Seigneur et Sauveur Jésus-Christ, nous devons, frères bien-aimés, célébrer religieusement ce jour qui lui est solennellement consacré : qu’en cette fête, sa bonté ineffable à notre égard soit, pour nous, un sujet d’admiration ! En effet, il ne s’est point contenté de subir toutes sortes d’infirmités pour opérer l’œuvre de notre rédemption, il a voulu encore partager le culte que nous rendons à Dieu en différentes solennités, et faire de chacune d’elles une occasion précieuse de mériter l’éternel bonheur ; car, alors, notre sainte religion nous invite, par ses attraits, à sortir du long sommeil de notre inertie ; aussi, pour nous préparer à la célébration de ces grands jours, nous éveillons-nous, non point malgré nous, mais avec empressement et de bon cœur. Puisque nous avons entendu volontiers son appel, sortons donc de notre léthargie, passons, dans les élans de la joie, cette sainte nuit de Pâques, et célébrons cette grande solennité avec toute la dévotion dont notre âme est capable. Élevons-nous au-dessus de ce monde, pour échapper à la mort qui doit le ravager : par nos désirs, faisons descendre du ciel les rayons brillants de sa divinité, célébrons la Pâque, « non avec le vieux levain, ni avec le levain de la malice et de l’iniquité, mais avec les, azymes de la sincérité et de la vérité a », c’est-à-dire, non dans l’amertume de la malice humaine, car tout ce qui ne vient que de l’homme n’est pas sincère ; mais dans la sincérité de la sainteté qui vient de Dieu. La sainteté qui vient de Dieu consiste dans la chasteté, l’humilité, la bonté, la miséricorde, l’humanité, la justice, la douceur, la patience, la vérité, la paix, la bénignité : tel est l’ensemble de la sainteté chrétienne, que corrompt le levain de la malice humaine ; or, ce levain n’est autre que l’impudicité, l’orgueil, l’envie, l’iniquité, l’avarice, l’intempérance, le mensonge, la discorde, la haine, la vaine gloire, toutes choses auxquelles l’apôtre saint Paul veut que nous restions étrangers ; car il nous dit : « Non avec le vieux levain de la malice ».

2. Que la Pâque du Christ devienne le sujet de notre joie ! C’est pour nous, en effet, qu’il naît, qu’il meurt dans les souffrances et qu’il ressuscite ; c’est afin que, par lui, nous renaissions à la vie au milieu des tribulations, et qu’avec lui nous ressuscitions dans la pratique de la vertu. N’a-t-il pas, dans cette nuit, opéré la restauration de toutes choses ? Il y est ressuscité en qualité de prémices, afin que nous ressuscitions tous après lui : il y brise les chaînes de notre esclavage, il nous rend la vie que nous avons perdue en Adam. Celui qui nous a formés à l’origine des temps, revient, après son voyage sur cette terre, à sa patrie, au paradis, de la porte duquel il a écarté le chérubin. À partir de cette nuit où s’est opérée la résurrection du Seigneur, le paradis est ouvert. Il n’est fermé que pour ceux qui se le ferment, mais il n’est ouvert que par la puissance du Christ. Qu’il revienne donc au ciel, et nous devons le croire ; qu’il revienne au ciel Celui qui ne l’a jamais quitté ! Qu’il monte à côté du Père, Celui qui y est toujours resté. De fait, ne croyons-nous pas que la vie est morte pour nous ? Et comment la vie est-elle morte ? Nous croyons que le Christ, qui est mort, qui a été enseveli, qui est ressuscité et monté au ciel, n’a jamais, pour cela, quitté le Père et le Saint-Esprit.

3. Phase ou Pâque signifie : passage ou traversée. Consacrons-nous nous-mêmes en nous marquant du sang du Christ ; ainsi passera, sans nous nuire, celui qui ravage le monde ; ainsi la mort, qui doit faire tant de victimes, nous épargnera. Ceux-là sont épargnés par le démon, ceux-là échappent à ses coups, devant lesquels il ne s’arrête pas ; car le sang du Christ une fois placé sur une âme, les innombrables gouttes de pluie que le diable répand sur le monde ne peuvent ni humecter ni délecter cette âme. Puissions-nous donc nous trouver ainsi imbibés du sang du Christ, c’est-à-dire marqués du signe de sa mort ! Ce signe reste parfaitement imprimé sur nous, aussi longtemps que nous mourons et que nous vivons pour celui qui est mort pour nous. Le sang du Christ rejaillit, en quelque sorte, sur trous, quand nous portons sa mort en nous b, de manière à ne jamais le laisser effacer par la pluie des passions humaines ou par l’eau torrentielle des persécutions du siècle. Que ce sang sèche donc sur nous, qu’il en devienne à jamais inséparable ; qu’il se répande sur nous et nous teigne : que non-seulement il nous teigne, mais nous purifie encore, après qu’il nous aura fait mourir au monde. Le Dieu qui a imprimé le signe de sa croix sur tous nos membres, peut les purifier toujours. C’est par là que nous pourrons nous réunir aux élus dans le ciel, moyennant le secours de celui qui vit et règne, avec le Père et le Saint-Esprit, dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

CINQUANTE QUATRIÈME SERMON. POUR PÂQUES
Voir le sermon CCXXIV.
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ANALYSE. —1. Ce discours s’adresse à tous mais particulièrement à ceux qui sont nouvellement baptisés, pour les exciter à résister aux vices. —2. L’orateur attaque le péché de la chair. —3. Il faut s’en corriger au plus vite.

1. Je dois, sans doute, ma parole à tous ceux dont il me faut prendre soin en vertu de ma charge ; mais aujourd’hui que les saintes cérémonies du baptême sont terminées, elle s’adresse plus particulièrement à vous, jeunes arbustes nouvellement plantés dans le champ de la sainteté et régénérés dans l’eau et le Saint-Esprit, à vous, race pieuse, essaim, qui faites l’éclat de ma gloire, qui êtes le fruit béni de mes travaux, ma joie et ma couronne ; vous tous qui êtes maintenant dans la grâce du Seigneur, c’est à vous que je parle, pour vous dire comme l’Apôtre « La nuit est déjà avancée, et le jour s’approche. Quittez donc les œuvres de ténèbres, et revêtez-vous des armes de lumière. Marchez dans la décence comme devant le jour, et non dans la débauche et dans les festins, dans les impudicités et dans les dissolutions, dans les querelles et dans les jalousies ; mais revêtez-vous de Notre-Seigneur Jésus-Christ, et ne cherchez point à contenter les désirs de la chair d ». « Vous tous qui avez été baptisés en Jésus-Christ, vous vous êtes revêtus de Jésus-Christ e », afin de mener la vie que vous avez puisée dans le sacrement. Si vous êtes les membres du Christ, si vous pensez à ce que vous êtes devenus, vous vous écrierez du fond de vos entrailles : « Seigneur, qui est-ce qui est semblable à vous ? f » Car, la faveur qu’il vous a faite surpasse toute pensée humaine. Tout discours, tout sentiment n’est-il pas, en effet, incapable de vous faire comprendre comment une grâce toute gratuite a pu se produire en – vous, sans aucun mérite antécédent de votre part ? Car on nomme ainsi la grâce, précisément parce qu’elle vous a été donnée par pure bonté. Et pourquoi vous a-t-elle été accordée ? Afin que vous deveniez les enfants de Dieu, les membres et les frères de son Fils unique, comme Jésus-Christ est le Fils unique du Père, et que, par là, vous soyez tous frères. Puisque vous êtes devenus les membres du Christ, je vous adresse mes conseils ; écoutez-moi, car, aujourd’hui, il faut que je vous instruise : Je crains pour vous, mais non pas tant de la part des païens, des juifs, des hérétiques, que de la part des mauvais chrétiens. Choisissez, dans les rangs du peuple de Dieu, ceux que vous devrez imiter. Pour ne pas se tromper et pouvoir suivre la voie étroite, il ne suffit pas d’imiter la masse des chrétiens : il faut arrêter son choix sur quelques-uns d’entre eux. Abstenez-vous de la rapine et du parjure, ne vous jetez point dans les abîmes de l’intempérance ; fuyez la fornication comme la mort même, non pas la mort qui sépare l’âme d’avec le corps, mais celle qui condamne l’âme à brûler éternellement avec le corps.

2. Mes frères, mes fils, mes filles, mes sœurs, sachez-le bien : le diable accomplit parfaitement son rôle, et ne cesse de parler au cœur de ceux qu’il ramène à son parti, en leur faisant abandonner celui de Dieu. Je ne l’ignore pas non plus : aux fornicateurs, aux adultères, qui ne se contentent pas de leurs épouses, l’esprit infernal dit intérieurement : Il n’y a pas grand mal à commettre le péché de la chair. À l’encontre de ses mensonges, nous devons prendre pour guides les oracles du Christ. Le démon prend les chrétiens aux appas du libertinage, en leur faisant considérer comme léger ce qui est grave, en leur déguisant la vérité et en leur débitant le mensonge. Mais quel profit y a-t-il à regarder, d’après les leçons de Satan, une faute comme peu grave, quand le Christ la déclare énorme ? Et si Dieu te dit que ce péché est mortel, que gagneras-tu à écouter le diable et à croire peu conséquente ta prévarication ? Au paradis terrestre, Satan a dit : « Vous ne mourrez pas de mort », tandis que le Seigneur avait fait cette menace formelle : « Le jour où vous mangerez de ce fruit, vous mourrez de mort g ». Nos premiers parents ont méprisé les avertissements de Dieu, et, pour avoir écouté le diable, ils sont tombés victimes de sa fourberie. L’ennemi est venu, qui leur a dit : « Vous ne mourrez pas de mort, mais vos yeux s’ouvriront et vous serez comme des dieux h ». Alors ils ont mis de côté la menace du Seigneur et prêté l’oreille aux promesses de Satan. De quoi a-t-il servi à la femme de dire : « Le serpent m’a séduite ? i » Son excuse a-t-elle été admise ? Sa condamnation n’a-t-elle pas suivi de près ? Aussi, je vous le dis : Vous, mes frères, qui avez des épouses, n’en connaissez pas d’autres ; vous qui n’en avez pas encore et qui voulez en avoir, conservez-vous purs pour elles, comme vous désirez qu’elles se conservent pures pour vous ; et vous, qui vous êtes engagés à garder la continence, ne portez pas vos yeux en arrière. Je vous ai dit ce que j’avais à vous dire, mon devoir est accompli. Le Seigneur m’a placé au milieu de vous pour vous exciter au bien, et non pour vous y forcer. Cependant, lorsque nous le pouvons, quand l’occasion s’en présente et que nous en avons la faculté, là où nous nous trouvons, nous reprenons, nous faisons des reproches, nous excommunions, nous anathématisons, mais nous n’avons pas le pouvoir de corriger, « Car celui qui plante n’est rien, non plus que celui qui arrose ; mais c’est Dieu qui donne l’accroissement j\ ». Sans doute, je vous parle en ce moment, je vous avertis de vos devoirs ; mais il faut aussi que Dieu m’exauce et qu’il agisse silencieusement sur vos cœurs : Je vous dis peu de mots, pour vous faire mes recommandations ; ce peu de mots suffira, toutefois, à vous inspirer une crainte salutaire si vous voulez rester fidèles, et à vous édifier. Vous êtes les membres du Christ : écoutez donc, non point mes propres paroles, mais celles de l’Apôtre : « Prendrai-je les membres du Christ pour en faire les membres d’une prostituée ? Non k. ». Mais, me dira quelqu’un, la femme que j’entretiens n’est pas une prostituée, c’est simplement une concubine. – Dis-tu vrai, en parlant de la sorte ? As-tu une épouse, toi qui tiens ce langage ? – Oui, me répondra-t-il, j’ai une épouse. – Alors, bon gré mal gré, la seconde femme est une véritable prostituée. Peut-être te reste-t-elle fidèle ; peut-être ne connaît-elle et ne veut-elle connaître que toi ? Mais, puisqu’elle est si chaste, pourquoi forniques-tu ? Si elle n’a. d’homme que toi, pourquoi as-tu deux femmes ? Cela n’est pas permis. Tous ceux qui se conduisent ainsi vont droit à la géhenne ; ils brûleront dans le feu éternel.

3. Les gens qui se rendent coupables de pareils désordres doivent se corriger pendant qu’ils sont en vie. La mort arrive subitement, et, alors, comment revenir à meilleure conduite ? C’est impossible. Du reste, personne ne sait quand sonnera la dernière heure. Quand on me dit : Demain ! demain, il me semble entendre la voix du corbeau, et aussitôt arrive le suprême malheur ! La dernière heure sonne, et elle ne sonne qu’une fois. Prenez-y donc garde, ne jetez point de ces cris de corbeaux, pour ne pas être surpris et condamnés. Nouveaux baptisés, écoutez-moi : prêtez l’oreille à mes paroles, enfants régénérés dans le Christ. Je vous en prie, par le nom que j’ai invoqué sur vous, par cet autel dont vous vous êtes approchés, par les sacrements que vous avez reçus, par le jugement à venir des vivants et des morts, je vous en supplie et vous en conjure par le nom du Christ, n’imitez point ceux que vous savez être en de pareilles dispositions : faites mieux qu’eux, et vous régnerez éternellement.

CINQUANTE-CINQUIÈME SERMON. POUR LE JOUR DE PÂQUES 1

ANALYSE. —1. Joies du jour de Pâques motivées parla résurrection des morts et par la nouvelle naissance de ceux qui ont reçu le baptême. Différents noms donnés à cette solennité. —2. On l’appelle le jour du Seigneur.—3. le jour du pain. —4. le jour de la lumière. —5. En le célébrant, il faut observer les règles de la tempérance.

1. Frères bien-aimés, que l’Église nous apparaît belle et gracieuse aujourd’hui ! L’éclat de ce jour surpasse de beaucoup l’éclat de tous les autres jours de l’année, non pas, sans doute, que les rayons du soleil soient plus brillants que d’habitude, mais parce que la résurrection de l’Agneau projette sur lui une lumière inaccoutumée. Aujourd’hui, en effet, le Soleil de justice, le Christ, s’est élevé dans les cieux, après avoir annoncé la bonne nouvelle aux âmes des saints, et en faisant sortir avec lui leurs corps du sein de la terre. Pareille à une assemblée d’astres spirituels, la Jérusalem céleste a brillé d’un nouvel éclat, quand ces morts, revenus à la vie, ont pénétré dans ses murs : l’Église se montre non moins radieuse, car tous ceux qui sont nés à la grâce répandent sur elle une vive lumière. Les morts ressuscités ont été témoins de la résurrection du Soleil de justice, comme le sont aussi ceux qui ont reçu le baptême dans l’eau et l’Esprit-Saint. Touchons donc de la harpe avec David, chantons avec lui : « C’est ici le jour que le Seigneur a fait ; réjouissons-nous en lui et tressaillons d’allégresse l ! » Voyons de quelle nuit est sorti ce beau jour. C’est une nuit dont l’éclat imite celui du ciel ; c’est une nuit où la terre, se voyant éclairée par des astres même plus nombreux que ceux du ciel, en ressent une indicible joie ; c’est une nuit où se sont accomplis un heureux enfantement et une sainte régénération. En elle je remarque un double sein, parce que j’y vois un double enfantement. Jadis ses entrailles ont été bouleversées, car elle a rendu la vie aux corps de ceux qui ont ressuscité avec le Christ ; aujourd’hui, elles le sont également, puisqu’elle a renouvelé les âmes en leur communiquant l’innocence. Il a été dit d’elle : « Et la nuit brillera comme le jour m ». Serait-ce le jour que le Seigneur a fait ? Les uns l’appellent le jour du Seigneur ; les autres, le jour du pain ; d’autres encore, le jour de la lumière : sur cette triple dénomination, embouchons la trompette et tirons-en des sons qui disent à tous notre joie.

2. C’est le jour du Seigneur, ou le jour du roi ; car notre chef est sorti, ce jour-là, du tombeau. Hier, dans l’espoir de recevoir notre roi, nous nous combattions ; aujourd’hui, nous le recevons, et sa venue nous remplit d’allégresse. C’est pourquoi le jour d’hier n’a pas été pour nous un vrai jour de jeûne. Aucun de vous a-t-il, à jeûner, ressenti la moindre fatigue ? Mais tous se préparaient un copieux repas en attendant l’arrivée du juge, comme, dans la cité, on s’en prépare un, quand on attend celui qui doit rendre la justice. Est-ce que les différents ordres de la cité, les hommes, les chefs ne s’éloignent pas, à chaque instant davantage, de ses portes, en s’avançant à la rencontre du juge et en préparant les chants par lesquels ils salueront sa venue ? Évidemment, pendant qu’ils l’attendent, ils jeûnent, et pendant qu’ils jeûnent, ils se préparent un repas. Ainsi, hier, nous attendions, en quelque sorte, notre juge, et tout en préparant notre réfection spirituelle, nous tombions de faiblesse, mais nous trouvions dans notre jeûne la source d’une grande joie. Nous avons reçu notre roi, et sa grâce répare nos forces épuisées.

3. C’est avec justesse qu’on donne encore à ce jour le nom de jour du pain, parce que nous y apprenons à connaître la résurrection spirituelle ; aujourd’hui, nous est venu en réalité le pain que les nuées de la prophétie laissaient tomber sous forme de glace. David ne s’écrie-t-il pas, en effet, dans l’un de ses psaumes : « Qui envoie la glace sur la terre comme des morceaux de pain n ? » De la bouche des Prophètes, comme du sein de saintes nuées, descendait sur des vallées couvertes de neige une glace spirituelle, et les morceaux de pain de la prophétie accomplie devaient produire dans son entier le pain précédemment symbolisé. La glace, tombée de la bouche des Prophètes, brillait d’un vif éclat, et la parole du salut, fruit de la fermentation opérée dans la glace de la prophétie, devenait, pour nous, du véritable pain. Cette glace de la prophétie a maintenant disparu : nous avons goûté du pain qui nous a été préparé, et, pour avoir goûté de ce pain, nous n’avons pas vu notre nudité comme Adam avait vu la sienne ; mais notre nudité a trouvé dans l’éclat de ce jour un voile sous lequel elle s’est dérobée.

4. On donne aussi, avec raison, à ce jour le nom de jour de la lumière, parce qu’avec lui ont disparu les ténèbres de l’aveuglement spirituel. On a entendu un grand cri, le cri de ceux qui, se trouvant plongés dans les ombres de la nuit, ont aperçu devant eux une vive lumière : « Le jour s’est levé sur ceux qui habitaient la région des ombres de la mort o ». Que la terre se réjouisse ! elle a vu apparaître un nouvel astre. Que les anges se réjouissent, car Dieu a fait briller la lumière aux yeux des pécheurs. Les enfers ont tremblé sur leurs bases, car des rayons insolites sont venus s’abaisser jusque sur eux, et, en présence du Seigneur Christ, tout genou a fléchi dans le ciel, sur la terre et dans les enfers p. Aujourd’hui, toutes les créatures prennent donc part à notre allégresse. Les anges apparaissent et solennisent avec nous cette grande fête, et tandis que nous célébrons le mystère pascal, la joie règne parmi les chœurs des Anges, des Trônes, des Dominations, des Chérubins et des Séraphins. Parmi les anges, ce n’est plus le même éclat, je ne dis pas dans les vêtements, mais dans le chant des cantiques. Nous-mêmes, nous n’exécutons plus le même chant, puisque nous chantons l’alléluia : ainsi encore en est-il des anges, puisqu’ils font entendre des cantiques célestes que notre langue humaine ne saurait maintenant proférer.

5. « Que les cieux se réjouissent » donc, « et que la terre tressaille d’allégresse q ». Tressaillons dans le Seigneur, mais avec crainte, sans perdre néanmoins notre tranquillité ; car Jean, le bienheureux précurseur, a tressailli dans le sein de sa mère, mais ce précepteur de l’ange Gabriel n’a point bu de vin. Pour nous, qui sommes faibles, buvons avec mesure. Ne dépassons pas les bornes, afin que notre joie soit modérée, qu’elle ne ressente rien de l’influence des passions charnelles, et que nous entrions dans le port du salut par un ciel serein, celui de la sobriété. Nous portons en nos mains la palme du jeûne : ne perdons point les lauriers de cette fête. Daigne le Seigneur Christ nous les accorder par sa grâce ; car il a triomphé en nous par ses souffrances, afin que nous pussions chanter dignement l’hymne de la victoire et nous écrier : « La mort a été absorbée dans sa victoire. O mort, où est ton aiguillon ? O mort, où est ta victoire ? » Parce que le Christ a emmenés avec lui ceux que tu retenais captifs, chantons tous alleluia, et, en ce beau jour de fête, tournons-nous vers le Sauveur   si bon, etc. r

CINQUANTE-SIXIÈME SERMON. POUR LE JOUR DE PÂQUES 2

ANALYSE. —1. Joie qu’inspire la fête de Pâques. —2. Parallèle entre Judas, Pierre et le larron.

1. La résurrection du Seigneur a répandu l’allégresse dans le monde. Autant son éclat brille aux regards, autant ses bienfaits réchauffent le cœur : le vieil homme a disparu, l’homme nouveau a pris sa place : c’en est fini de la prévarication d’Adam ; elle a été pardonnée, grâce au Christ. Jadis, les âmes traînaient pitoyablement, derrière elles, la chaîne de l’erreur ; elles sont maintenant rachetées et vont au ciel conduites par les liens de la charité. Au milieu de ses fureurs, le diable est devenu honteux. Le Christ meurt, et, par sa mort, il délivre le monde du joug de l’erreur : il ressuscite et fait évanouir notre ennemi. Alors ont lieu des miracles et des prodiges, non pour confondre les hommes perfides, mais pour sauver ceux qui étaient perdus. Autant la synagogue juive se plaint et gémit, autant se réjouit l’Église chrétienne. Triomphons dans le Christ : dans sa miséricorde, il nous a donné un remède, celui de sa croix, et, par sa croix, il nous a apporté de glorieux trophées.

2. Judas a vendu son Seigneur, Pierre a renié son maître, le larron a confessé le Christ. Judas a désespéré, Pierre a chancelé, le larron a mérité le paradis. Dans la trahison de celui qui a vendu le sang du Christ, dans le reniement de Pierre et la confession du larron, nous trouvons la preuve de la salutaire mission du Rédempteur. Ce que le Seigneur Dieu vient de nous inspirer pour l’instruction de vos âmes doit suffire à votre charité.

CINQUANTE-SEPTIÈME SERMON. POUR LE JOUR DE PÂQUES 3

ANALYSE. —1. En raison de la difficulté du sujet, l’orateur s’épouvante de parler de la résurrection du Christ. —2. Par sa résurrection, le Christ nous confère le privilège de ressusciter comme lui. L’orateur le compare au phénix et au grain de froment. —3. En ressuscitant, le Christ, lion et lionceau, nous invite à ressusciter comme lui. —4. Élisée a préfiguré la résurrection du Christ, quand ses ossements ont rendu la vie à un mort. —5. Dans la circonstance où il a ressuscité le fils de la Sunamite, le même Prophète symbolisait le Christ, son bâton était l’emblème de la Loi, Giési représentait Moïse. —6. Il nous faut célébrer la fête de Pâques dans les élans d’une joie, non pas mondaine, mais toute sainte, et, surtout par le renouvellement de notre vie. —7. Le mode usité chez les Juifs, pour la célébration de la Pâque, était l’image de la manière dont les chrétiens doivent la solenniser. —8. En fêtant ainsi ce grand mystère, nous mériterons d’entrer dans le royaume des cieux.

1. Aujourd’hui, l’univers entier a vu se lever tout radieux le soleil de la vénérable solennité qui nous rappelle la résurrection du Sauveur ; pas n’est besoin du secours de nos paroles, pour que vous en compreniez la dignité et la grandeur, car les autres fêtes ne revêtent point le même caractère : ce n’est pas seulement en un lieu ou en quelques lieux du monde, ce n’est pas dans les sentiments d’une allégresse circonscrite en certaines bornes étroites, que celle-ci doit se célébrer ; je la vois s’étendre jusqu’aux limites les plus reculées ; elle comprend et elle embrasse tous les pays, et la joie qu’elle inspire devient commune au ciel, à la terre et aux enfers. Elle n’a donc, comme nous l’avons dit, aucun besoin d’être recommandée par une langue humaine, puisqu’elle se recommande d’elle-même par la puissance d’en haut, dont elle est la plus haute expression. Les esprits bienheureux l’exaltent dans leurs cantiques : devant sa grandeur, l’homme n’a donc qu’à se taire. Pourtant, nous ne voulons point priver de la parole divine cette sainte multitude ; sa dévotion, sa foi vive, son empressement nous font un devoir de la lui adresser : nous allons donc essayer de bégayer quelques mots au sujet de cette solennité ; car si nous sommes à même de nous extasier au spectacle de sa majestueuse dignité, il nous est impossible d’en rien dire qui soit digne d’elle.

2. Le Christ est ressuscité en ce jour : que le monde entier se réjouisse ! N’est-il pas juste, en effet, qu’après avoir gémi profondément de la mort de leur Créateur et fait retentir, de leurs cris de douleur tous les échos de l’univers, toutes les créatures se réjouissent de sa résurrection ? Celles qui, malgré leur chagrin, avaient dît assister aux funérailles du divin Crucifié, ne devaient-elles pas également assister à la joyeuse résurrection du Christ et à son triomphal retour des enfers ? La résurrection de l’humanité du Christ a détruit cette antique malédiction, cette déplorable sentence de mort, attirée par Adam sur toute sa race : « Tu es terre et tu retourneras en terre s ». Du milieu de ses cendres est sorti vivant le corps du Phénix que des mains pieuses avaient consumé avec le bois de cinnamome : le grain de froment, qui, après les souffrances de la croix, a été jeté en terre pour y mourir et y est demeuré seul, a porté beaucoup de fruit par sa résurrection t. Il a été seul pour mourir, mais il s’en faut de beaucoup qu’il ait été seul à ressusciter : car, en descendant aux enfers, il en a brisé les portes ; il a triomphé de celui qui avait l’empire de la mort ; tous les fidèles qu’il a trouvés dans les lieux souterrains, il les a ramenés en triomphe, et après avoir ainsi vidé cette ténébreuse prison, il est ressuscité avec la multitude des saints. Tous ceux dont les sépulcres se sont ouverts au moment de sa mort ont vu leurs corps sortir de la poussière du tombeau, à l’heure de sa résurrection. Il convenait qu’il fût le premier à revenir à la vie, et que les autres n’y revinssent qu’ensuite ; car, dit l’apôtre Paul : « Jésus est ressuscité d’entre les morts, comme les prémices de ceux qui dorment u ». Et comme ils ont ressuscité avec le Seigneur, ainsi sont-ils encore montés au ciel avec lui : c’est là notre croyance.

3. Les naturalistes prétendent que le lionceau dort pendant les trois jours qui suivent sa naissance, qu’après ces trois jours, la mère pousse un long rugissement, et qu’alors il s’éveille et se lève. Or, les divines Écritures donnent ordinairement au Christ le nom de lionceau : c’est sous cet emblème que le patriarche Jacob l’a désigné, quand il a prophétisé à son sujet : « Juda est comme un jeune lion. Mon fils, tu t’es élancé sur ta proie, et, dans ton repos, tu dors comme le lion et comme la lionne : qui osera l’éveiller ? » Pareil à un lion, le Christ s’est couché à l’heure de sa passion, et il s’est endormi dans la mort : son dernier combat a été marqué au coin de la vivacité, d’une invincible constance et d’une confiance sans limites ; car, s’il est mort, c’est qu’il l’a bien voulu. Les autres hommes meurent parce qu’il le faut ; mais lui, il est mort, parce qu’il y a librement consenti. On l’a donc enfermé dans un sépulcre, et, pendant trois jours, il y est resté, fort et impassible comme un lion ; car il était sûr d’en sortir bientôt plein de vie. Mais « qui osera l’éveiller ? v » Quel est le père qui, par un rugissement tout-puissant, l’a tiré du sommeil de la mort ? David nous apprend, dans un psaume, quel a été ce rugissement ; il apostrophe le Fils au lieu et place du Père, et lui dit : « Réveille-toi, ma gloire ; réveille-toi, ô ma harpe, ô ma lyre w ». O mon Fils, toi qui es ma gloire, réveille-toi, que ta harpe et ta lyre, c’est-à-dire le chœur de toutes les vertus, se réveillent avec toi ! Et le Fils lui répond aussitôt : « Je me lèverai dès l’aurore x ». En effet, le premier jour de la semaine, au matin, le Sauveur est ressuscité et nous a conféré, à nous qui sommes ses membres, l’espoir de ressusciter un jour à son exemple ; car tous les fidèles croient, appuyés sur la vérité même, qu’ils sont les membres du Christ, chef du corps de l’Église y. Or, puisque nous sommes les membres du Christ et que nous sommes morts avec lui, il est évident que nous avons dû ressusciter comme lui. L’Apôtre ne dit-il pas : « Si nous sommes morts avec Jésus-Christ, nous croyons que nous vivrons aussi avec Jésus-Christ z » ; et encore : « Si vous êtes ressuscités avec Jésus-Christ, recherchez les choses du ciel ? aa » Après avoir subi le dernier supplice à cause des péchés de tous, il est ressuscité pour le salut de tous.

4. La résurrection du Christ est un miracle opéré en faveur de tous les hommes, et il a pris lui-même à tâche, dès le commencement du monde, de le préfigurer sous une foule d’emblèmes et de symboles, dans les différentes circonstances de la vie des saints. Citons-en un exemple entre mille, celui d’Élisée. Le Prophète était déjà mort ; son corps, renfermé dans le tombeau, a ressuscité un autre mort. « Il arriva que quelques hommes qui enterraient un mort virent des voleurs, et que, dans leur effroi, ils jetèrent le mort dans le sépulcre d’Élisée. Lorsque le corps eut touché les os d’Élisée, cet homme ressuscita et se leva sur ses pieds ab ». Élisée veut dire : Dieu mon Sauveur ; or, dans cette circonstance, qui est-ce que représente Élisée ? Nul autre, évidemment, que le Seigneur et Sauveur Jésus, qui, par sa mort, a conféré au genre humain le privilège de la résurrection future et lui a préparé la vie, en s’enfermant dans le sépulcre.

6. Mais puisque nous avons déjà fait une fois mention du prophète Élisée, qu’est-ce qui nous empêche de citer encore de lui un fait, bien plus mystérieux que digne d’admiration ? Nous allons en parler brièvement. En l’absence d’Élisée, le fils de la femme sunamite était venir à mourir : cette mère désolée alla donc trouver le saint homme, et, par ses plaintes, elle se déchargea sur lui de toute l’amertume du chagrin que lui, avait causé cette séparation ; le Prophète envoya donc son serviteur Giézi avec son bâton, en lui recommandant de placer ce bâton sur le cadavre inanimé du défunt. Mais bientôt Giézi revint annoncer à l’homme de Dieu que l’enfant ne s’était point levé ; alors, Élisée vint lui-même, et quand il eut enlevé le bâton, il se coucha sur l’enfant, et la vie revint au cœur de celui-ci, et il se leva ac. Dans cette occasion mémorable, Élisée a-t-il préfiguré autre chose que notre Dieu Sauveur ? Certainement non. Pour Giézi, il représentait Moïse a qui a été très-fidèle dans toute sa « maison ad ». Quant au bâton, n’était-il pas le symbole de la loi ? Élisée envoya Giézi avec son bâton, Dieu a envoyé Moïse avec la loi : elle devait frapper de peines très-sévères ceux qui la violeraient ; mais le mort ne revint pas à la vie, parce que si la loi pouvait faire connaître le péché, elle était incapable d’y porter remède et d’en guérir. Élisée vint ensuite, enleva le bâton et se coucha sur le mort, parce que la majesté divine, l’ineffable gloire du Très-Haut, c’est-à-dire le Fils de Dieu, égal à son Père, est descendu en ce monde ; il a fait disparaître la servitude de la loi, il a procuré aux hommes repentants le bienfait gratuit du pardon, il a pris la forme d’esclave, il s’est rapetissé entièrement jusqu’au niveau de notre fragile nature, et, sans avoir commis aucun péché, il a subi les coups de la mort, que le péché avait amenée sur la terre. Mais, par sa mort, il a détruit la puissance de la mort, et, en ressuscitant le troisième jour, sa chair est sortie du tombeau, à jamais immortelle et incorruptible.

6. Mes frères, réjouissons-nous donc dans le Seigneur ; rendons grâces au triomphateur de la mort, dans les élans d’une joie toute spirituelle, de l’allégresse de tous nos sens ; car a il nous a appelés du sein des ténèbres à « son admirable lumière ae », « et, après nous avoir arrachés à la puissance du démon, il nous a fait entrer dans le glorieux royaume de son Fils af ». Mais cette joie qu’il nous faut ressentir ne doit avoir rien de commun avec la joie mondaine ou séculière ; elle ne doit point se traduire, comme au milieu des festins, par des applaudissements qui sentent l’insanité et le libertinage, comme celle de la vile populace : « Car Jésus-Christ est notre Agneau pascal, qui a été immolé pour nous ag ». Puisque le Christ est notre Agneau pascal, et que cet Agneau est saint et divin, notre joie, en lui rendant hommage, doit donc être sainte et surnaturelle. Le même Apôtre dit ailleurs : « Si vous êtes ressuscités avec Jésus-Christ, recherchez les choses du ciel, et non celles d’ici-bas ah ». Donc, « nous » aussi, « en communiquant les choses spirituelles à ceux qui sont spirituels ai, purifions-nous du vieux levain aj », c’est-à-dire « dépouillons-nous du vieil homme avec ses œuvres et revêtons-nous de l’homme nouveau qui est créé à la ressemblance de Dieu dans une justice et une sainteté véritable ak ». Méprisons donc le monde, dédaignons les choses d’ici-bas et tout ce qui tient à la terre : portons-nous vers les biens célestes ; que toute notre intention se dirige vers l’éternité et le paradis ; marchons d’un pas allègre sur le chemin qui conduit de cette terre d’exil au séjour des élus, à notre bienheureuse patrie, où nous aurons les anges pour concitoyens, où nous trouverons, pour entrer en participation et en jouissance de notre félicité, tous les saints. Le mot hébreu Pâques se traduit en latin par le mot passage. Donc, mes frères, passons des vices aux vertus, des choses du temps à celles de l’éternité, des biens caducs de cette terre aux biens permanents de l’autre vie. C’est ainsi que nous mériterons de porter le nom d’hébreux et de l’être en réalité ; car hébreu veut dire passage. Nous pourrons donc célébrer dignement la Pâque, si nous nous efforçons d’opérer en nous-mêmes ce passage.

7. La manière dont les Juifs devaient célébrer la Pâque se trouve parfaitement indiquée dans la loi de Moïse ; et si nous voulons entendre ses prescriptions dans un sens spirituel, nous y trouverons des indications suffisantes sur le mode à suivre pour solenniser nous-mêmes convenablement la vraie Pâque. Voici, entre autres choses, ce que nous lisons dans l’Exode : « Vous le mangerez ainsi (l’Agneau pascal, évidemment) : vous ceindrez vos reins, vous aurez vos chaussures à vos pieds et un bâton en vos mains ; et vous mangerez à la hâte al ». Par conséquent, celui qui veut faire dignement la Pâque doit ceindre ses reins, ou, en d’autres termes, maintenir, par le cordon de la chasteté, toutes les convoitises des passions charnelles. Qu’il ait des souliers à ses pieds, c’est-à-dire qu’il dirige les pas de ses œuvres dans le chemin tracé devant lui par l’exemple des saints Pères ; c’est ainsi qu’il surmontera tous les obstacles semés sur sa route ; c’est ainsi qu’il échappera, sans meurtrissure, aux épreuves dont il se verra assailli, comme un voyageur aux aspérités de sa route, et foulera aux pieds, sans crainte de se voir blessé par eux, les animaux venimeux qui cherchent à nous mordre au talon. Il tiendra aussi en sa main un bâton, c’est-à-dire, qu’avec une sollicitude toute pastorale, il s’efforcera de veiller sur lui-même et sur tous ceux dont il est chargé. Quant à ce qui suit : « Vous le mangerez en toute hâte », il faut le remarquer avec beaucoup plus de soin ; car il ne s’agit pas d’écouter les préceptes du Seigneur avec nonchalance, par manière d’acquit, et comme en passant ; il faut, au contraire, les confier à notre mémoire, avec un soin extrême et les accomplir pour le mieux et avec tout l’empressement possible ; car il est écrit : « Maudit soit celui qui fait négligemment l’œuvre de Dieu am ». Au sujet des Gentils convertis et de ceux qui cherchent très-avidement à goûter le pain du Verbe de Dieu, le Prophète dit ces paroles : « Ils ouvriront la bouche, comme le pauvre qui mange en secret an ».

8. Dès lors que nous célébrerons ainsi la pâque, notre Sauveur et Rédempteur se fera lui-même un vrai plaisir de prendre part à nos joies ; il daignera, pour notre plus grand bien, accorder à notre corps, c’est-à-dire à nous, son corps trois fois saint. Puisque nous sommes ici pour célébrer cette grande solennité de Pâques, prenons toutes les précautions précédemment indiquées : c’est par là que nous éviterons le malheur d’être privés des joies et des plaisirs du ciel. À quoi bon assister aux solennités de la terre, si, ce qu’à Dieu ne plaise, il nous arrivait d’être exclus des fêtes célébrées par les anges ? Tous les jours que nous fêtons ici-bas sont comme une image des réjouissances du ciel ; ils sont l’avant-goût du bonheur que les anges éprouvent dans l’éternité, non pas au retour annuel de certaines époques, mais continuellement, parce qu’ils sont établis pour toujours dans la condition d’un bonheur sans fin. Nous célébrons donc ici-bas la fête de Pâques et toutes les autres solennités, afin de tenir notre esprit en éveil et d’élever dès maintenant ses pensées vers les ineffables joies de la patrie éternelle : là, nous goûterons un bonheur plein et parfait, un bonheur que rien rie viendra troubler, parce qu’on n’y éprouve ni la crainte qui épouvante l’âme, ni les inquiétudes qui rongent le cœur ; le repos y est parfait, la sécurité y est entière, on y surabonde de délices. Là, nous dirons : Je vois notre Roi assis à la droite de la majesté de son Père. Alors nous pourrons avec confiance nous approcher du trône glorieux de Celui en la personne de qui nous verrons notre chair, désormais immortelle et déifiée, commander en maître aux vertus et aux puissances soumises à ses ordres. Car c’est Dieu lui-même, c’est le Fils de Dieu, c’est « Jésus-Christ homme, médiateur de Dieu et des hommes ao », « qui est mort à cause de nos péchés, et qui est ressuscité pour notre justification ap ». À lui avec le Père, dans l’unité de l’Esprit-Saint, appartiennent la louange et la bénédiction pendant les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

CINQUANTE-HUITIÈME SERMON. POUR LE JOUR DE PÂQUES 4

ANALYSE. —1. Après la tristesse vient la joie. —2. Les nouveaux baptisés doivent conserver intact le trésor qu’ils ont reçu.

1. Réjouissons-nous, mes bien-aimés, et tressaillons d’allégresse dans le Seigneur. Aujourd’hui, il a fait briller à nos yeux la lumière du salut, selon cette parole que le Psalmiste ajoute aux précédentes : « Le Seigneur est le Dieu fort ; sa lumière s’est levée sur nous aq ». Il dit ensuite : « Solennisez ce jour en vous réunissant jusqu’à l’angle de l’autel ar ». Je le vois, cet oracle trouvé aujourd’hui son accomplissement dans l’Église de Dieu. Toutes les parties en sont remplies, jusqu’aux angles de l’autel, de la religieuse multitude qui se presse dans son enceinte : cette plénitude de la sainte Église est l’accomplissement de ces paroles de l’Écriture. Ce jour, mes très-chers frères, est le jour de la résurrection et de la vie. En rendant plus vifs les heureux tressaillements de notre foi, la sainte Quarantaine a donné pour nous plus de charmes à ce jour ; car à une époque que le souvenir de nos fautes avait imprégnée de tristesse a succédé l’époque du pardon ; notre patiente pénitence se trouve donc immédiatement suivie de sa récompense, selon qu’il est écrit : « Ceux qui sèment dans les larmes récolteront dans la joie as ». O vous tous qui avez semé dans les larmes, recueillez, comme votre récompense, les plaisirs de l’allégresse. Que chacun le sache ; plus abondante a été la semaille des larmes, plus abondante est aujourd’hui la moisson des joies. Dans le présent se rencontre donc pour nous une image des béatitudes à venir. De même, en effet, qu’aujourd’hui les adoucissements du pardon succèdent aux rigueurs de la pénitence ; de même, dans le ciel, le repos succédera au travail et à la peine.

2. C’est pourquoi je m’adresse à vous surtout, mes bien-aimés, qui avez puisé une nouvelle vie dans le sacrement de la régénération, et qui portez, à cause de cela, la robe blanche ; je vous en supplie avec toute l’Église, conservez pur et sans tache le trésor de grâces que vous avez reçu : montrez, dans toute votre conduite, l’innocence que symbolise la blancheur de vos vêtements : que vos cœurs soient aussi purs que vos habits sont nets de toute souillure. Vous l’avez entendu, l’Évangile vous l’a dit aujourd’hui. Tous ceux qui croient en Dieu sont ses enfants. « Car il a donné le droit de devenir enfants de Dieu à tous ceux qui ne sont point nés du sang, ni de la volonté de la chair, ni de la volonté de l’homme, mais de Dieu même at ». Vous non plus, vous n’êtes pas nés d’un commerce charnel ; car vous avez été engendrés de Dieu le Père. Il ne vous reste donc qu’une chose à faire : c’est, pour ne pas déchoir de votre céleste origine, de mener une vie sainte, une conduite parfaite. Voilà le conseil que vous donne l’Apôtre : « Comme des enfants nouvellement nés, désirez ardemment le lait spirituel et pur qui vous fasse croître pour le salut au ». « Et que la paix de Dieu, qui surpasse tout sentiment, garde vos cœurs et vos corps av », par Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartiennent l’honneur et la gloire pendant les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

CHAPITRE XXV. APPARITIONS DE JÉSUS RESSUSCITÉ.

70. Il nous faut maintenant étudier les diverses apparitions du Sauveur à ses disciples, après la résurrection, pour faire ressortir l’accord qui existe non-seulement entre les Évangélistes aw, mais encore entre les Évangiles et saint Paul, qui s’exprime ainsi à ce sujet, dans sa première épître aux Corinthiens : « Je vous ai rapporté tout d’abord ce que j’avais appris, savoir, que Jésus-Christ est mort pour nos péchés, selon les Écritures ; qu’il a été enseveli et que selon les Écritures encore, le troisième jour il est ressuscité ; qu’il apparut ensuite à Pierre, puis aux douze et ensuite à plus de cinq cents frères dont le plus grand nombre est encore sur la terre, et dont quelques-uns se sont endormis ; il apparut plus tard à Jacques, puis à tous les apôtres ; enfin il m’apparut à moi-même, qui ne suis au milieu d’eux que comme un avorton ax. » Cet ordre d’apparitions n’est observé par aucun évangéliste ; nous devons donc examiner si l’ordre qu’ils ont suivi est en contradiction avec celui de saint Paul. Il est certain, d’abord, que saint Paul n’a pas tout dit ; les évangélistes n’ont pas tout raconté non plus ; nous allons voir seulement si dans ce que les uns et les autres ont dit, on ne peut surprendre aucune contradiction.

Saint Luc est le seul des évangélistes qui garde le silence sur les apparitions du Sauveur aux saintes femmes, il ne parle que de l’apparition des anges. Saint Matthieu dit que Jésus leur apparut au moment où elles revenaient du sépulcre ; saint Marc, comme saint Jean, rapporte que le Seigneur se montra d’abord à Marie-Magdeleine, mais il ne décrit pas cette apparition que nous ne trouvons détaillée que dans saint Jean. Non-seulement saint Luc ne nous dit pas que Jésus se montra aux saintes femmes, mais en nous rapportant la conversation qu’eurent avec Jésus les deux disciples d’Emmaüs, dont l’un s’appelait Cléophas, il laisse supposer que les femmes n’avaient vu que les anges. « Ce jour-là même, dit-il, deux d’entre eux s’en allaient à un bourg, nommé Emmaüs, éloigné de soixante stades de Jérusalem. Et ils parlaient ensemble de tout ce qui s’était passé. Or il arriva que pendant leur entretien, Jésus lui-même les joignit et se mit à marcher avec eux, mais leurs yeux étaient retenus, en sorte qu’ils ne pouvaient le reconnaître. Et il leur dit : De quoi vous entretenez-vous ainsi, en marchant, et d’où vient que vous êtes tristes ? L’un deux nommé Cléophas, lui répondit : Êtes-vous seul si étranger dans Jérusalem, que vous ne sachiez pas ce qui s’y est passé ces jours-ci ? Quoi donc ? leur dit-il. Ils répondirent : Relativement à Jésus de Nazareth, qui a été un prophète puissant en œuvres et en paroles, devant Dieu et devant tout le peuple, et de quelle manière les princes des prêtres et les anciens l’ont livré, pour être condamné à mort, et l’ont crucifié. Cependant nous espérions que ce serait lui qui rachèterait Israël ; et après tout cela néanmoins, voici le troisième jour que ces choses se sont passées. Il est vrai que quelques femmes de celles qui étaient avec nous, nous ont effrayés ; car étant allées dès le grand matin à son sépulcre et n’y ayant point trouvé son corps, elles sont venues dire qu’elles avaient vu même des anges qui disaient qu’il est vivant. Et quelques-uns des nôtres, étant aussi allés au sépulcre, ont trouvé toutes ces choses comme les femmes les avaient rapportées, mais pour lui ils ne l’ont point vu. » Voilà, selon saint Luc, comment ils racontent les événements, c’est-à-dire selon que leur mémoire a pu leur rappeler ce qu’avaient rapporté les femmes ou les disciples qui avaient couru au sépulcre en apprenant que le corps de Jésus avait disparu. Saint Luc ne cite même que saint Pierre qui ait couru au tombeau : il nous le représente se courbant à l’entrée du sépulcre, n’y voyant plus que les linceuls, et s’en retournant tout préoccupé de ce qui s’était passé. Saint Luc nous raconte ce fait de saint Pierre, avant de parler de l’apparition aux disciples d’Emmaüs, et après avoir rapporté l’histoire des saintes femmes, qui avaient vu les anges et qui en avaient appris que Jésus était ressuscité ; mais il ne faut voir ici qu’une sorte de récapitulation de la part de saint Luc, au sujet de saint Pierre. En effet, Pierre courut au tombeau avec saint Jean, aussitôt qu’ils apprirent des saintes femmes, et surtout de Marie-Magdeleine, que le corps avait été enlevé ; or elle vint le leur annoncer aussitôt qu’elle eut aperçu que la pierre ne fermait plus le tombeau ; ce n’est qu’après cela qu’eut lieu la vision des anges et la double apparition du Sauveur aux femmes, la première quand elles étaient auprès du tombeau et la seconde au moment où elles retournaient à Jérusalem. Tout cela se passa avant l’événement des disciples d’Emmaüs, dont l’un était Cléophas. En effet Cléophas, s’adressant à Jésus, qu’il ne reconnaissait point, ne dit pas que Pierre alla au sépulcre, mais : « Quelques-uns des nôtres se sont rendus au tombeau et ont reconnu la vérité de ce que les femmes avaient dit. » Ce n’est donc que par forme de récapitulation qu’il rapporte ce que les femmes avaient annoncé à Pierre et à Jean sur l’enlèvement du corps de Jésus.

Ainsi donc saint Luc nous dit d’abord que saint Pierre courut au sépulcre, puis il fait dire à Cléophas que quelques-uns d’entre eux étaient allés au tombeau, évidemment c’est de saint Jean qu’il est ici question ; saint Pierre avait été nommé seul la première fois, uniquement parce que c’était d’abord à lui que Magdeleine avait annoncé ce qu’elle avait vu. D’un autre côté saint Luc ne dit pas que Pierre soit entré dans le tombeau ; il se contente de dire qu’il s’inclina, aperçut les linceuls et s’en retourna, en proie à un grand étonnement. Saint Jean, au contraire, dit du disciple bien-aimé ou de lui-même, qu’il n’entra pas d’abord ; mais qu’il se courba et vit les linceuls pliés ; pendant ce temps, Pierre arrivait, regardait, entrait ensuite et était suivi du disciple bien-aimé. Ainsi nous devons conclure que Pierre, à son arrivée, regarda d’abord, comme l’affirme saint Luc, saint Jean n’en disant rien, ensuite il entra, mais il entra avant saint Jean ; de cette manière tout se concilie parfaitement.

71. En admettant que les femmes eurent les premières l’honneur de voir et d’entendre Jésus, on peut ainsi, d’après les évangélistes et d’après saint Paul, établir l’ordre des apparitions aux disciples. Le, contexte de tous ces auteurs prouve que le Sauveur apparut d’abord à Pierre. Qui néanmoins oserait avancer ou nier en face du silence de l’Écriture, qu’un autre que Pierre eut la préférence ? Saint Paul ne dit pas : Jésus apparut d’abord, mais : « Jésus apparut à Pierre, ensuite aux douze et enfin à plus de cinq cents de nos frères en même temps. » L’Apôtre ne dit ni quels étaient les onze auxquels il apparut, ni quels étaient ces cinq cents. Il peut se faire que ces douze ont été du nombre des disciples, je ne sais lesquels, car les apôtres n’étaient plus douze, mais onze ; aussi quelques exemplaires ne portent que le chiffre onze ; ce que j’explique assez facilement en supposant que les copistes se souvenant que la mort de Judas réduisait à onze le nombre des disciples, auront corrigé dans ce sens le texte primitif. Cependant, soit que les véritables exemplaires soient ceux qui écrivent onze, soit que saint Paul ait voulu désigner par ce nombre de douze des disciples différents des Apôtres, ou même ces onze apôtres par le nombre de douze, car le nombre douze était pour eux si sacré et si mystérieux qu’il fallut pour en conserver la signification profonde, le compléter par l’élection de saint Matthias, en remplacement de Judas ay; toujours est-il que l’on ne peut signaler entre tous ces textes aucune contradiction réelle. Disons néanmoins qu’il est assez probable que Jésus apparut d’abord à Pierre, puis aux deux disciples d’Emmaüs dont l’un s’appelait Cléophas, et dont nous a parlé saint Luc, et auxquels saint Marc fait allusion dans les paroles suivantes : « Après cela il apparut dans une autre forme à deux d’entre eux qui se dirigeaient vers une villa. » Rien n’empêche, en effet, de désigner le bourg sous le nom de villa ou maison des champs. N’est-ce pas sous ce nom que l’on désigne aujourd’hui Bethléem qui autrefois portait le nom de cité ? et cependant jamais Bethléem ne fut entourée d’autant de gloire et de renommée que depuis la naissance du Messie, dont le nom est si hautement célébré dans toutes les Églises. Les exemplaires grecs emploient plutôt le nom de champ que le nom de villa ; or ce mot champ désigne non-seulement les châteaux ou maisons détachées, mais aussi les municipes et les colonies, situées en dehors de la ville, qui en est comme le chef et la mère, d’où lui vient le nom de métropole.

72. Saint Marc nous dit que Jésus apparut sous une autre forme aux deux disciples ; saint Luc a exprimé la même pensée en disant que leurs yeux étaient retenus pour qu’ils ne le reconnussent pas. En effet, quelque chose était venu affecter leurs yeux et y resta jusqu’à la fraction du pain, en sorte que, jusqu’à ce moment, ils ne virent le Sauveur que sous une forme étrangère qui disparut à la fraction du pain, comme le rapporte saint Luc. C’était par une sorte d’aveuglement d’esprit qu’ils ignoraient qu’il fallait que le Christ mourût et ressuscitât ; et pour ce motif quelque chose de semblable affecta leurs yeux et les rendit incapables de découvrir la vérité ; ce n’était pas la vérité qui les trompait, c’était eux qui voyaient autre chose que ce qui était. De même que personne ne se flatte de connaître Jésus-Christ, s’il ne participe pas à son corps, c’est-à-dire à l’Église dont l’unité nous est figurée dans le sacrement du pain, d’après ce témoignage de l’Apôtre : « Tout nombreux que nous soyons, nous sommes un seul pain, un seul corps az. » Aussi, c’est quand Jésus leur présenta le pain consacré, que leurs yeux s’ouvrirent et qu’ils le reconnurent ; ils s’ouvrirent à sa connaissance, parce que l’obstacle qui les empêchait de le reconnaître, disparut aussitôt. Ils ne marchaient pas les yeux fermés, mais quelque chose les empêchait de reconnaître ce qu’ils voyaient : un brouillard ou une humeur produisent d’ordinaire des effets semblables. Je ne veux pas dire cependant que le Seigneur ne pouvait pas transformer son corps et se revêtir d’un autre extérieur que celui sous lequel ils avaient coutume de le contempler ; avant sa passion, il s’était ainsi transformé, et son visage brillait de tout l’éclat du soleil ba. Celui qui a le pouvoir de changer l’eau en vin ne pouvait-il pas faire d’un corps véritable un autre corps véritable bb ? Mais ce n’est pas ce changement que le Sauveur avait opéré, en apparaissant d’une autre manière aux deux disciples. Comme leurs yeux étaient retenus, afin qu’ils ne le reconnussent pas, il ne leur apparut pas réellement ce qu’il était. Rien n’empêche d’admettre que ce fut le démon lui-même qui plaça devant leurs yeux un obstacle qui les empêcha de reconnaître Jésus ; mais le Sauveur ne le permit que jusqu’à la fraction du pain sacramentel ; aussitôt qu’on a participé à l’unité de son corps, tout obstacle ennemi doit disparaître et on peut reconnaître Jésus.

73. Nous devons regarder les deux disciples dont parle saint Marc comme étant les deux disciples d’Emmaüs ; cet auteur en effet ajoute qu’ils allèrent aussitôt raconter à leurs frères ce qu’ils avaient vu ; comme saint Luc rapporte de son côté qu’ils se levèrent aussitôt, rentrèrent à Jérusalem, et trouvèrent les onze réunis et les autres qui étaient avec eux, disant que le Seigneur était ressuscité, et qu’il avait apparu à Pierre ; ils racontèrent de leur côté ce qui leur était arrivé en route et comment ils avaient reconnu Jésus à la fraction du. pain. En ce moment donc, il n’était plus question que de la résurrection, qu’attestaient les saintes femmes ainsi que Pierre qui avait déjà eu le bonheur de voir Jésus ; et c’est de cela qu’ils s’entretenaient tous, quand arrivèrent au milieu d’eux les deux disciples d’Emmaüs. Il peut se faire que retentis par la crainte, ils n’aient pas osé avouer, dans leur voyage, qu’ils avaient appris que Jésus était ressuscité, et se contentèrent de dire que les femmes avaient vu des anges ; comme ils ne connaissaient pas celui qui s’entretenait ainsi avec eux, le long du chemin, ils pouvaient craindre d’avoir affaire à un ennemi, et de tomber entre les mains des Juifs s’ils proclamaient hautement la résurrection de Jésus-Christ. Saint Marc ajoute : « Ils vinrent l’annoncer aux autres, quine les crurent pas ; » de son côté, saint Luc fait entendre que les disciples réunis s’entretenaient de la résurrection de Jésus et de son apparition à Pierre ; pour dissiper toute apparence de contradiction entre ces deux textes, il suffit de dire que dans la foule des disciples quelques-uns refusèrent de croire. 2 n’est pas moins évident, que saint Marc a omis de parler de la conversation, que le Sauveur engagea avec les deux disciples le long du chemin, et de la manière dont ils le reconnurent à la fraction du pain. Il n’y a là qu’une omission, car immédiatement après avoir rapporté qu’il apparut sous une autre forme à deux d’entre eux, qui allaient à une maison des champs, l’auteur ajoute : « Et ils vinrent le dire aux autres, quine les crurent pas. » Or pouvaient-ils annoncer un homme qu’ils n’avaient pas connu, ou pouvaient-ils reconnaître un homme sous une autre forme Saint Marc a donc omis de nous dire comment ils étaient arrivés à le connaître. Et ceci est d’autant plus important à remarquer, que nous avons besoin d’admettre que les Évangélistes sont réellement dans l’usage de passer ainsi sous silence une multitude de détails, et de continuer sans aucune autre transition, leur récit, en sorte qu’il suffit de méconnaître cet usage pour s’exposer à voir des contradictions là où il n’y en a aucune.

74. Saint Luc continue : « Pendant qu’ils parlaient ainsi, Jésus se présenta debout au milieu d’eux et leur dit : La paix soit avec vous, c’est moi, ne craignez pas. Ils furent tout troublés et effrayés et croyaient voir un fantôme. Jésus leur dit : Pourquoi vous troublez-vous et pourquoi ces pensées montent-elles dans votre cœur ? Voyez mes mains et mes pieds et reconnaissez que c’est bien moi : palpez et voyez, un esprit n’a ni chair ni os, comme vous m’en voyez. Après avoir dit ces paroles, il leur montra ses mains et ses pieds. » C’est à cette apparition du Sauveur après sa résurrection que nous devons rapporter les paroles suivantes de saint Jean : « Le soir du premier jour de la semaine étant venu, les portes de la salle où les disciples étaient réunis avaient été fermées parce qu’on craignait les Juifs ; Jésus se présenta, se tint de bout au milieu d’eux, et leur dit : La paix soit avec vous. Et après avoir ainsi parlé il leur montra ses mains et son côté. » À ces paroles de saint Jean on peut ajouter ce que dit ensuite saint Luc, quoique saint Jean n’en parle pas : « Mais comme ils ne croyaient, point encore, tant ils étaient transportés de joie et d’admiration, il leur dit Avez-vous là quelque chose à manger ? Ils lui présentèrent un morceau de poisson rôti et un rayon de miel. Après qu’il eut mangé devant eux, prenant les restes il les leur donna. » Il faut ajouter ici avec saint Jean : « La vue du Seigneur remplit les disciples d’une grande joie. Jésus leur dit de nouveau : La paix soit avec vous : comme mon Père m’a envoyé je vous envoie. Ayant dit ces paroles, il souffla sur eux et ajouta : Recevez le Saint-Esprit : les péchés seront remis à qui vous les remettrez, et ils seront retenus à qui vous les retiendrez. » Continuons avec saint Luc : « Il leur dit encore : Voilà ce que je vous disais, étant encore avec vous, qu’il fallait que tout ce qui a été écrit de moi, dans les psaumes, s’accomplit. Alors il leur ouvrit l’esprit, afin qu’ils entendissent les Écritures, et il leur dit : Il est ainsi écrit et il fallait que le Christ souffrit de la sorte, qu’il ressuscitât le troisième jour et qu’on prêchât en son nom la pénitence et la rémission des péchés, parmi toutes les nations, en commençant par Jérusalem. Or vous êtes témoins de ces choses. Et je vais vous envoyer le don que mon Père vous a promis ; cependant tenez-vous dans la ville, jusqu’à ce que vous soyez revêtus de la force d’en haut. » C’est ainsi que saint Luc mentionne la promesse du Saint-Esprit, que nous ne trouvons faite par le Seigneur que dans l’Évangile de saint Jean bc. Ceci nous prouve de nouveau que les Évangélistes s’appuient l’un l’autre, même dans ce qu’ils ne disent pas personnellement, quoiqu’ils sachent que telle parole a été dite, ou telle action faite. Saint Luc ne dit plus rien des apparitions du Sauveur, il transporte subitement son récit à l’ascension de Jésus au ciel. Et cependant ce récit continue sans aucune suspension, quoiqu’il sût fort bien que ce qu’il venait de raconter s’était passé le jour même de la résurrection et que l’ascension n’eut lieu que quarante jours après, comme il l’atteste lui-même dans le livre des Actes9. Quant à saint Jean, il nous rapporte que Thomas n’était pas avec les autres, à cette apparition du Sauveur, et saint Luc nous avait dit qu’à leur retour à Jérusalem, les deux disciples d’Emmaüs avaient trouvé réunis les onze et ceux qui étaient avec eux. Il faut en conclure que Thomas sortit avant que se montrât le Sauveur.

75. Saint Jean nous décrit ensuite une autre apparition du Sauveur à ses disciples. Elle eut lieu huit jours après, et cette fois Thomas était présent : « Huit jours après, dit-il, les disciples étaient de nouveau enfermés et Thomas avec eux. Jésus apparut, les portes étant closes, se tint au milieu d’eux, et leur dit : La paix soit avec vous. Il dit ensuite à Thomas : Avance ton doigt ici, et vois mes mains ; avance ta main et plonge-la dans mon côté, et ne sois point incrédule, mais fidèle. Thomas lui répondit : Mon Seigneur et mon Dieu ! Jésus lui dit Parce que tu m’as vu, tu as cru ; bienheureux ceux qui n’ont pas vu et qui ont cru. bd » Cette apparition, que saint Jean nous présente comme étant la seconde du Sauveur, se trouverait brièvement rapportée par saint Marc quand il dit, avec sa concision ordinaire : « Comme les onze étaient à table, Jésus leur apparut une dernière fois. » Sans doute saint Jean ne dit pas que les disciples étaient à table, mais il a pu omettre cette circonstance. Quant au mot : « Une dernière fois » ce qui supposerait que le Sauveur ne leur apparut plus, doit-il nous empêcher de rapporter cette apparition à la seconde de saint Jean, qui en décrit une troisième auprès de la mer de Tibériade ? Du reste saint Marc ajoute Il leur reprocha leur incrédulité et la dureté de leur cœur, par ce qu’ils n’avaient point cru au témoignage de ceux qui l’avaient vu ressuscité. » Il s’agit ici du témoignage des deux disciples d’Emmaüs, de Pierre à qui le Sauveur apparut d’abord, selon saint Luc, et peut-être aussi de celui de Marie-Magdeleine et des autres femmes qui étaient avec elle quand elles virent le Sauveur auprès du tombeau et pendant leur retour à Jérusalem. Enfin l’auteur unit étroitement ce récit à ce qu’il vient de dire des disciples d’Emmaüs : « En dernier lieu, dit-il, il apparut aux onze lorsqu’ils étaient à table. Il leur reprocha leur incrédulité et la dureté de leur cœur, parce qu’ils n’avaient point cru au témoignage de ceux qui l’avaient vu ressuscité. » Ce mot : « en dernier lieu », ne doit pas s’appliquer à une dernière apparition ; car la dernière apparition eut lieu seulement quarante jours après la résurrection, le jour même de l’ascension. Ce jour là le Sauveur devait-il leur reprocher de n’avoir pas cru au témoignage de ceux qui l’avaient vu ressuscité, quand ils l’avaient vu eux-mêmes si souvent depuis, quanti ils l’avaient vu surtout le soir même du jour de la résurrection, le premier jour de la semaine, comme saint Luc et saint Jean nous – l’attestent ? Par conséquent, c’est le jour même de la résurrection ou le premier jour de la semaine, le jour où Marie-Magdeleine et les autres femmes virent le Sauveur de grand matin ; le jour où le virent saint Pierre d’abord, puis les deux disciples d’Emmaüs dont semble parler saint Marc, enfin vers le soir les onze, excepté Thomas, et ceux qui étaient réunis avec eux quand ces disciples leur racontaient ce qu’ils avaient vu, que Saint Marc a voulu désigner brièvement à son ordinaire, dans les paroles que nous examinons. Ce mot employé par lui : « en dernier lieu », signifie seulement que ce fut là le dernier événement du jour, et que la nuit commençait déjà, ce qui suivit d’assez près le retour des disciples d’Emmaüs. Ceux-ci, en rentrant à Jérusalem, trouvèrent les disciples réunis et s’entretenant de la résurrection et de l’apparition faite à Pierre ; ils racontèrent eux-mêmes avec empressement ce qui leur était arrivé en chemin, et comment ils avaient reconnu Jésus à la fraction du pain. Malgré tous ces témoignages il s’en trouvait encore qui refusaient de croire, et de là ce mot de saint Mare : « Ils ne le crurent pas. » C’est alors qu’eut lieu la dernière apparition du jour ; les disciples étaient à table, d’après saint Marc, ils s’entretenaient entre eux, nous dit saint Luc ; le Sauveur se tint de bout au milieu d’eux et leur dit : La paix soit avec vous, disent également saint Luc et saint Jean ; de plus les portes étaient fermées, c’est saint Jean seul qui nous en fait la remarque. Aux paroles que nous avons citées de saint Luc et de saint Jean, il faut donc joindre encore les reproches que leur attira, selon saint Marc, le refus qu’ils firent de croire au témoignage de ceux qui avaient vu Jésus ressuscité.

76. Mais voici une nouvelle difficulté. Comment saint Marc peut-il dire que le Sauveur apparut aux onze apôtres, quand ils étaient à table, si cette apparition se confond avec celle dont parlent saint Luc et saint Jean et qui eut lieu le soir du jour de la résurrection ? En effet, saint Jean dit clairement qu’au moment de cette apparition Thomas était absent ; et en réalité nous croyons qu’il quitta ses frères après l’arrivée des deux disciples d’Emmaüs, et avant l’apparition de Jésus-Christ. Saint Luc dans sa narration laisse croire, de même, que Thomas était parti, pendant que les deux disciples parlaient, et avant que le Sauveur entrât. Et voici saint Marc qui affirme qu’en dernier lieu Jésus apparut aux onze réunis à table, ce qui nous force de conclure que Thomas était avec eux. À cela on peut d’abord répondre que malgré cette précision du nombre onze, on peut admettre l’absence de saint Thomas, parce que ce nombre était alors la dénomination reçue pour désigner le collège apostolique, avant l’élection de saint Matthias en remplacement de Judas. Si cette interprétation parait forcée, regardons cette apparition dont parle saint Marc comme ayant eu lieu, après une multitude d’autres, le quarantième jour qui suivit la résurrection. Comme alors le Sauveur était sur le point de monter au ciel, il saisit l’occasion pour adresser publiquement un reproche d’incrédulité à ceux qui avaient refusé de croire à sa résurrection avant de l’avoir vu ressuscité ; et pour rendre ce reproche encore plus vif, il leur annonce : que quand ils prêcheront l’Évangile, ils verront les nations croire sans avoir vu. Et en effet, le reproche est immédiatement suivi de ces paroles : « Et Jésus leur dit : Allez par tout le monde, prêchez l’Évangile à toute créature ; celui qui croira et sera baptisé sera sauvé ; mais celui qui ne croira pas sera condamné. » Bientôt ils vont prêcher que celui qui ne croira pas sera condamné, même en refusant de croire ce qu’il n’a pas vu ; comment d’abord ne pas leur reprocher à eux-mêmes, d’avoir refusé de croire au témoignage de ceux qui avaient vu le Seigneur, avant de l’avoir vu ?

77. Ce qui nous détermine encore à croire que cette apparition de saint Marc a été réellement la dernière apparition corporelle de Jésus, ce sont les paroles dont saint Marc la fait suivre : « Et voici les miracles qui accompagneront ceux qui auront cru : ils chasseront les démons en mon nom ; ils parleront de nouvelles langues ; ils enlèveront les serpents, et s’ils boivent quelque breuvage mortel, il ne leur fera point de mal ; ils imposeront les mains sur les malades, et ceux-ci seront guéris. » L’Évangéliste ajoute immédiatement : « Et le Seigneur Jésus, après leur avoir parlé, « fut élevé au ciel, où il est assis à la droite de Dieu. Et eux, étant partis, prêchèrent partout, le Seigneur coopérant avec eux et confirmant sa parole par les miracles qui l’accompagnaient. » En disant : « Et le Seigneur Jésus, « après leur avoir parlé, fut élevé au ciel », l’évangéliste veut-il nous faire entendre que ce fut là le dernier discours qu’il leur adressa sur la terre ? C’est plus naturel de le croire ; cependant rien ne force absolument à tirer cette conclusion. En effet, l’auteur ne dit pas : Après que Jésus leur eut ainsi parlé ; mais seulement : « Après qu’il leur eut parlé. » Si la nécessité y contraignait, on pourrait donc encore, malgré ces paroles, croire que ce ne fut pas là le dernier entretien du Sauveur, ni le dernier jour qu’il passa sur la terre ; l’Évangile, par ces expressions : « Après qu’il leur eut parlé », aurait seulement fait allusion à tous les entretiens qu’eut Jésus avec ses disciples pendant ces quarante jours. Mais nous avons dit précédemment que la clarté avec laquelle saint Marc suppose la présence de saint Thomas à cette apparition et à cet entretien, nous amène à conclure qu’il est vraiment question ici des derniers moments que le Sauveur passa sur la terre. C’est donc après ces paroles et les autres détails, que nous rapportent les Actes des Apôtres be, que le Sauveur monta au ciel, le quarantième jour qui suivit sa résurrection.

78. Saint Jean, tout en avouant qu’il a passé sous silence un grand nombre des actions de Jésus, nous décrit cependant une troisième apparition du Sauveur à ses disciples ; auprès de la mer de Tibériade. Ces disciples étaient au nombre de sept : Pierre, Thomas, Nathanaël, les fils de Zébédée et deux autres qui ne sont pas désignés par leur nom et qui étaient aussi occupés à pêcher. D’après son ordre, ils jetèrent les filets sur la droite et retirèrent cent-cinquante-trois grands poissons ; c’est dans cette circonstance aussi qu’il fut trois fois demandé à Pierre s’il aimait son Maître et que, sur sa réponse affirmative, il lui fut dit de paître les agneaux et les brebis ; Jésus lui prédit aussi son martyre et dit de saint Jean : « Je veux qu’il reste ainsi jusqu’à ce que je vienne. » C’est par là que saint Jean termine son Évangile.

79. Il nous reste encore à rechercher à quel moment Jésus se montra pour la première fois en Galilée à ses disciples. En effet cette troisième apparition racontée par saint Jean eut lieu en Galilée, comme on le voit facilement par le récit du miracle des cinq pains, que saint Jean commence par ces paroles : « Après cela Jésus se rendit au-delà de la mer de Galilée ou la mer de Tibériade bf. » Il est certain que c’est en Galilée que l’on s’attend à voir le Sauveur apparaître tout d’abord à ses disciples, surtout si l’on se rappelle les paroles adressées par l’ange aux femmes venues au sépulcre. Voici le texte de saint Matthieu : « Pour vous, ne craignez pas, car je sais que vous cherchez Jésus qui a été crucifié ; il n’est point ici, il est ressuscité, comme il l’avait dit ; venez donc et voyez le lieu où le Seigneur avait été placé. Puis allez et dites à ses disciples qu’il est ressuscité, et voici qu’il vous précède en Galilée, c’est là que vous le verrez, je l’assure. » Saint Marc nous montre le même Ange ou un autre disant également : « Ne craignez rien ; vous cherchez Jésus de Nazareth, crucifié ; il est ressuscité, il n’est point ici ; « voici le lieu où ils l’ont placé. Allez donc et dites à ses disciples et à Pierre, qu’il vous précède en Galilée ; vous l’y verrez, comme il vous l’a annoncé. » La teneur de ces paroles semble devoir nous faire conclure, qu’après sa résurrection, le Sauveur ne devait apparaître à ses disciples, qu’en Galilée. Mais le contraire nous est attesté d’abord par saint Marc lui-même, d’après le récit duquel Jésus apparut à Marie-Magdeleine, de grand matin, le premier jour de la semaine ; elle raconta cette apparition aux disciples et à tous ceux qui, comme eux, étaient livrés à la tristesse et aux larmes, mais ils ne la crurent point ; il apparut ensuite aux deux disciples d’Emmaüs, dont le narré ne fut pas cru davantage, et, d’après saint Luc et saint Jean, se fit à Jérusalem, le jour de la résurrection, quand la nuit commençait à étendre son voile. Saint Marc nous raconte ensuite cette dernière apparition aux onze qui étaient à table et après laquelle Jésus monta au ciel ; or nous savons que ceci se passa sur le mont des Oliviers, non loin de Jérusalem. Il suit de là que saint Marc ne nous montre nulle part l’accomplissement de la parole de l’Ange. Quant à saint Matthieu, il ne mentionne d’autre apparition du Sauveur à ses disciples que celle qui eut lieu en Galilée selon la prédiction de l’Ange. Aussi, après avoir rappelé ce qui fut dit par l’Ange aux femmes, et après avoir rapporté comment, après leur départ, les soldats furent corrompus à prix d’argent et excités à l’imposture ; aussitôt, et comme si aucun événement n’était intervenu (de fait il avait été dit sans interruption : « Il est ressuscité, voilà qu’il vous précède en Galilée c’est là que vous le verrez) » l’Évangéliste continue : « Cependant les onze s’en allèrent en Galilée, sur la montagne que Jésus leur avait indiquée. Et le voyant, ils l’adorèrent ; quelques-uns néanmoins doutèrent r encore. Et Jésus s’approchant d’eux, leur parla ainsi : Toute puissance m’a été donnée dans le ciel et sur la terre. Allez donc et instruisez tous les peuples, les baptisant au nom du Père, « et du Fils et du Saint-Esprit, et leur enseignant à observer tout ce que je vous ai ordonné ; et voici que je suis tous les jours avec r vous jusqu’à la consommation des siècles. » C’est ainsi que saint Matthieu termine son Évangile.

80. Après cela, si les autres Évangiles n’étaient pas là pour nous inviter à un examen plus attentif, nous conclurions facilement que depuis sa résurrection le Seigneur n’apparut à ses disciples que dans le pays de Galilée. Bien plus, si saint Marc avait gardé le silence sur la prophétie de l’ange, on serait tenté de conclure, que si saint Matthieu nous représente les disciples se retirant sur une montagne de la Galilée et y adorant le Seigneur, c’est pour montrer l’accomplissement de l’ordre qui d’après lui avait été donné par l’ange. Mais voici que saint Luc et saint Jean nous affirment clairement que le jour même de la résurrection le Seigneur apparut à ses disciples, dans la ville même de Jérusalem : or à la distance qui sépare la Galilée de Jérusalem, comment admettre que les disciples le virent, le même jour, dans chacun des deux pays ? Enfin saint Marc, qui cependant rapporte la prédiction de l’Ange, ne nous parle d’aucune apparition en Galilée. Tout cela dès lors nous impose la nécessité d’examiner le sens de ces paroles : « Voici qu’il vous précède en Galilée, et là vous le verrez. »

Si saint Matthieu ne nous disait pas que les onze disciples se retirèrent sur une montagne en Galilée, que le Sauveur leur apparut et qu’ils l’adorèrent, nous jugerions que la prophétie ne reçut aucun accomplissement littéral et dès lors qu’elle doit être interprétée dans un sens figuré. Nous raisonnerions sur cette prophétie comme sur celle-ci, rapportée pas saint Luc : « Voici qu’aujourd’hui et demain je chasse les démons et rends la santé, et le troisième jour je suis consommé ; » ce qui ne s’est pas accompli à la lettre
Ci-dessus, 1. 2, c. 75, n. 115
. De même, si l’Ange avait dit : Il vous précède en Galilée, c’est là que vous le verrez d’abord ; ou bien : Là seulement vous le verrez, ou erre : Vous ne le verrez que là ; saint Matthieu serait évidemment en contradiction avec les autres Évangélistes. Mais il dit, sans aucune espèce d’exclusion : « Voilà qu’il vous précède en Galilée, là vous le verrez ; » il ne précise pas le temps où cette prophétie doit s’accomplir, si ce sera immédiatement et avant que Jésus leur apparaisse ailleurs ; ou bien si ce sera après qu’ils l’auront déjà vu en dehors de la Galilée. Enfin, en racontant que les disciples sont allés sur une montagne en Galilée, saint Matthieu n’indique pas le jour où ce voyage s’est accompli, et il n’y a rien dans sa narration qui force à croire que ce fut là le premier acte et la première démarche après la résurrection. De là je conclus que la narration de saint Matthieu n’est point en contradiction réelle avec celle des autres Évangélistes, et donne toute faculté pour les interpréter et les expliquer. Cependant s’il n’est pas dit explicitement en quel endroit le Seigneur doit d’abord apparaître en Galilée, comme l’ange l’avait annoncé positivement : « Voici qu’il vous précède en Galilée, là vous le verrez ; » Jésus avait dit lui-même : « Allez, dites à mes frères qu’ils aillent en Galilée, là ils me verront. » Il est naturel, après cela, pour peu qu’on y réfléchisse, de se demander quel mystère est renfermé dans ces paroles.

81. Mais voyons d’abord quand le Sauveur a pu se montrer corporellement en Galilée, d’après ces paroles de saint Matthieu : « Or onze disciples se retirèrent en Galilée sur la montagne que Jésus leur avait déterminée ; en le voyant ils l’adorèrent ; quelques-uns cependant doutèrent encore. » Il est d’abord certain que ceci n’eut pas lieu le jour même de la résurrection, car saint Luc et saint Marc nous disent d’une manière formelle, que le jour de la résurrection, à la nuit tombante, Jésus apparut à set disciples dans la ville même de Jérusalem. Saint Marc n’est pas aussi explicite. Quand donc le Seigneur apparut-il en Galilée ? Il ne peut être question ici de l’apparition qui eut lieu auprès de la mer de Tibériade et que nous rapporte saint Jean ; car les apôtres n’étaient alors qu’au nombre de sept et se livraient à la pêche ; tandis que dans l’apparition dont il nous parle, saint Matthieu déclare qu’ils étaient onze sur la montagne, où Jésus les avait précédés, selon la prédiction de l’Ange. En effet, la narration fait supposer qu’ils y trouvèrent Jésus et qu’il les y avait précédés, comme on en était convenu par avance. Cette apparition n’eut donc pas lieu le jour même de la résurrection ; elle ne se fit pas davantage dans les huit jours qui suivirent, car saint Jean nous raconte que, le huitième jour, le Seigneur apparut à ses disciples, et qu’il rencontra pour la première fois saint Thomas qui ne l’avait pas vu le jour de sa résurrection. Or, si cette apparition eut lieu pendant les huit jours qui suivirent la résurrection, comment expliquer que saint Thomas qui était un des onze ne l’avait pas vu ? À moins qu’on ne réponde que onze personnes se trouvaient en effet sur la montagne, mais que ce nombre était formé d’apôtres et de disciples. Il n’y avait que onze apôtres, mais les apôtres n’étaient pas les seuls disciples de Jésus. Si donc il y avait des Apôtres et des disciples pour former ce nombre onze, il est possible que saint Thomas eût encore été absent et que ce fut seulement le huitième jour qu’il vit Jésus pour la première fois. D’ailleurs quand saint Marc parle des onze apôtres il particularise : les onze. » Saint Luc dit de même : « Ils rentrèrent à Jérusalem et y trouvèrent les onze assemblés et ceux qui étaient avec eux. » C’est dire clairement que par ces onze il entend parler des apôtres, à qui, dans sa narration il donne la place d’honneur, en les distinguant des autres. Jusque-là on pourrait donc admettre que parmi les onze, dont parle saint Matthieu, d’une manière générale, il y avait à la fois des apôtres et des disciples.

82. Mais voici une autre difficulté contre cette interprétation. Quand saint Jean nous raconte l’apparition de Jésus à sept disciples, auprès de la mer de Tibériade, il ajoute : « Et ce fut là la troisième manifestation de Jésus à ses disciples, « après sa résurrection. » Si donc on veut que l’apparition de Jésus aux onze disciples, racontée par saint Matthieu, ait eu lieu dans les huit jours qui suivirent la résurrection, et avant que saint Thomas eut vu le Sauveur, celle-ci n’est plus la troisième mais la quatrième. Une observation, toutefois : Quand saint Jean ajoute : « Ce fut la troisième fois que Jésus apparut à ses disciples », il ne dit pas qu’il ne leur apparut que trois fois, il indique seulement l’ordre et les jours où se firent ces apparitions ; il ne dit pas, non plus, qu’elles, se firent successivement, d’un jour à l’autre, mais par intervalle. En effet le jour même de la résurrection, Jésus apparut trois fois, sans compter les apparitions aux saintes femmes ; une première fois, à Pierre, une seconde aux deux disciples d’Emmaüs, et une troisième, au commencement de la nuit, aux apôtres et aux disciples réunis. Or, toutes ces manifestations ne sont comptées, par saint Jean, que comme une seule, parce qu’elles se firent dans un seul et même jour. La seconde fat celle à laquelle assistait saint Thomas et où il vit le Seigneur pour la première fois ; la troisième eut lieu auprès de la merde Tibériade. C’est donc ici le troisième jour de manifestation ou la troisième manifestation ; et ce n’est que plus tard, sur la montagne de Galilée, qu’eut lieu l’apparition dont parle saint Matthieu, apparition où se trouvèrent onze disciples que le Sauveur avait devancés sur la montagne, pour accomplir même à la lettre ce qu’il avait prédit par lui-même ou par l’ange.

83. Si donc nous résumons toutes les apparitions consignées dans les Évangiles, nous les trouvons au nombre de dix. La première auprès du tombeau, aux saintes femmes bh ; la seconde, à ces mêmes femmes, au moment où elles revenaient du sépulcre bi ; la troisième, à saint Pierre bj ; la quatrième, aux deux disciples d’Emmaüs bk ; la cinquième, aux Apôtres et aux disciples, pendant l’absence de saint Thomas bl ; la sixième, quand saint Thomas vit Jésus, pour la première fois bm ; la septième, auprès de la mer de Tibériade bn ; la huitième, d’après saint Matthieu, sur la montagne de Galilée bo ; la neuvième, dont nous parle saint Marc, au moment où les apôtres étaient à table, car ils ne devaient plus manger avec Jésus sur la terre bp ; la dixième eut lieu le même jour, au moment où Jésus quitta la terre pour monter au ciel. Cette dernière apparition nous est rapportée par saint Marc et par saint Luc. Saint Marc, après avoir raconté l’apparition de Jésus aux apôtres qui étaient à table, ajoute immédiatement : « Et après que le Seigneur eut parlé, il monta au ciel bq. » Saint Luc, après avoir gardé le silence sur tout ce qui s’accomplit pendant les quarante jours qui suivirent la résurrection, passe immédiatement, sans, en avertir, de la résurrection, au jour de l’ascension ; voici ses paroles : « Il les conduisit hors de Béthanie, et levant ses mains, il les bénit, et pendant qu’il les bénissait, il s’éloigna d’eux et était porté vers le ciel br. » Les disciples le virent donc encore, après qu’il eut quitté la terre, et pendant qu’il s’élevait vers le ciel. Ainsi les Livres saints nous apprennent que Jésus se fit voir à ses disciples neuf fois sur la terre, depuis sa résurrection, et une dixième fois, au moment où il montait au ciel.

84. Mais, comme le dit saint Jean bs, tout n’a pas été écrit. En effet, pendant ces quarante jours, avant de monter au ciel, Jésus s’entretenait fréquemment avec ses apôtres bt, sans cependant que nous prétendions qu’il leur eut apparu chaque jour. Ainsi, depuis le ; jour même de la résurrection, huit jours se passèrent sans aucune apparition de sa part. Le huitième jour, il leur apparut de nouveau et peut-être que ce fut dès le lendemain qu’il se montra à eux sur les bords de la mer de Tibériade. Depuis, il leur apparut sur la montagne de Galilée, où il leur avait annoncé qu’il les précéderait, et pendant le reste du temps il apparut aussi, souvent, à qui et comme il voulut. Saint Pierre disait effectivement à Corneille et à ceux qui l’accompagnaient : « Nous avons mangé et bu avec lui pendant quarante jours, après qu’il fut ressuscité d’entre les morts bu. » Saint Pierre ne dit pas qu’ils ont mangé et bu avec lui chaque jour, depuis la résurrection ; car il serait en contradiction avec saint Jean, qui ne suppose aucune apparition pendant les huit jours qui suivirent la résurrection. À partir de l’apparition aux bords du lac de Tibériade, rien n’empêche d’admettre qu’il se montra à eux, et mangea avec eux chaque jour. L’expression : « Pendant quarante jours », peut donc être ici comme une formule mystérieuse, figurant par les deux termes qui la composent, quatre et dix, le monde tout entier ou la durée temporelle du siècle, et dans la première dizaine qui contient les huit premiers jours de la résurrection, on peut prendre facilement la partie pour le tout, selon le langage de l’Écriture.

85. On peut maintenant rapprocher de ces textes, celui de saint Paul, pour voir s’il s’y rencontre quelque difficulté. « Jésus-Christ, dit-il, est ressuscité le troisième jour, conformément à l’Écriture et il a apparu à Pierre. » Saint Paul ne dit pas : il a apparu d’abord à Pierre, car il serait en opposition avec l’Évangile, qui déclare que Jésus est d’abord apparu aux saintes femmes. « Il apparut ensuite à douze, dit encore saint Paul. » Quels étaient ces douze ; à quelle heure ? L’Apôtre ne le dit pas, il affirme seulement que ce fut le jour même de la résurrection. « Ensuite à plus de cinq cents frères en même temps ;» étaient-ils réunis avec les onze, les portes fermées, par crainte des Juifs, quand Jésus se présenta après le départ de saint Thomas ? Est-ce après les huit jours qui suivirent la résurrection ? Toutes ces suppositions sont admissibles. « Ensuite à Jacques ; » ici nous ne. devons pas supposer que Jésus apparut d’abord à cet apôtre ; mais seulement qu’il jouit d’une manifestation particulière. « Ensuite encore à tous les apôtres ; » cette apparition n’eut lieu non plus que dans la suite, quand Jésus voulut converser jusqu’à l’Ascension plus familièrement avec eux. « Enfin il m’a apparu à moi-même, qui ne suis entre tous que comme un avorton bv. » Mais cette apparition se fit du haut du ciel, longtemps après l’ascension.

86. Nous avons dit enfin qu’il y avait un mystère caché dans ces paroles rapportées par saint Matthieu et par saint Marc : « Je vous précéderai en Galilée, et là vous me verrez bw. » C’est ce mystère qu’il nous reste à étudier. Cet ordre du Sauveur a été accompli, mais il ne l’a pas été immédiatement ; beaucoup de choses se sont passées auparavant, : et néanmoins, sans toutefois imposer de nécessité, ces apparitions en Galilée étaient annoncées, comme devant avoir lieu seules ou du moins avant toute autre. Cependant comme ces paroles ne viennent pas de l’Évangéliste lui-même, mais de l’Ange, qui en cela ne faisait qu’accomplir l’ordre du Seigneur ; et comme le Seigneur en personne les a redites peu de temps après, nous devons y voir un sens mystérieux et prophétique.

Le mot Galilée signifie transmigration ou révélation. Prenons d’abord ce mot dans le sens de transmigration et cherchons-en l’explication. « Il vous précède en Galilée, là vous le verrez : » n’est-ce pas annoncer que la grâce de Jésus-Christ quittera le peuple d’Israël pour passer ou émigrer chez les Gentils ? La prédiction de l’Évangile faite par les Apôtres eût-elle été reçue par les païens, si le Seigneur ne lui avait préparé la voie dans le cœur des hommes ? Et c’est là ce que signifient ces mots : « Il vous précède en Galilée. » La joie qu’éprouvèrent les Apôtres, en voyant que les obstacles de toute sorte se levaient si aisément et qu’ils trouvaient eux-mêmes une entrée si facile pour éclairer les intelligences, cette joie est prédite par ces mots : « Là vous le verrez », c’est-à-dire, là vous trouverez ses membres, là vous reconnaîtrez son corps vivant dans la personne de ceux qui vous recevront.

Si maintenant nous interprétons le mot Galilée dans le sens de révélation, if ne s’agit plus d’une manifestation faite sous la forme d’un esclave, mais dans la gloire d’un Fils, en tout semblable à son Père bx ; manifestation promise, en saint Jean, à ceux qui sont ses amis : « Et je l’aimerai, dit-il, et je me manifesterai à lui by. » Il ne s’agit donc plus seulement de le voir, après sa résurrection, portant la cicatrice de ses blessures, ni de le toucher ; mais on le verra dans cette lumière ineffable dont il illumine tout homme venant en ce inonde, et dont il brille dans les ténèbres, mais dans les ténèbres qui ne le comprennent point bz. C’est là qu’il nous précède, quoi qu’en venant à nous il n’en soit point sorti, comme en nous précédant il ne nous abandonne pas. Cette révélation, véritable Galilée, s’opérera quand nous lui serons semblables et que nous le verrons comme il est en. lui-même ca. Ce sera aussi notre transmigration de ce monde à l’éternité ; elle sera heureuse si nous nous dévouons à l’accomplissement de ses préceptes jusqu’à mériter d’être rangés à sa droite à l’heure du jugement. Alors en effet ceux qui seront à la gauche seront précipités dans les flammes éternelles, tandis que, les justes entreront dans l’éternelle vie cb. Là ceux-ci le verront, comme ne le voient pas les impies ; car l’impie disparaîtra pour ne point voir la clarté du Seigneur cc ; ces impies n’en verront pas même le reflet. « Or, est-il, dit voici la vie éternelle, vous connaître, vous, le seul vrai Dieu, et Jésus-Christ que vous avez envoyé cd ; » vous connaître et le connaître comme on connaîtra dans cette éternité, où sous la forme d’esclave il conduira les esclaves, afin que, devenus libres, ils contemplent en lui sa nature de Seigneur.

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