‏ Matthew 6:10

LIVRE SECOND.

SECONDE PARTIE DU SERMON a.

CHAPITRE PREMIER.

POUR VOIR DIEU IL EST NÉCESSAIRE QUE LE CŒUR SOIT PUR.

1. Après la miséricorde, dont l’étude termine notre premier livre, vient la pureté du cœur, par où nous commençons le second livre. Or la pureté du cœur est en quelque sorte celle de l’œil destiné à voir Dieu, et que l’on doit avoir soin de tenir simple autant que l’exige la dignité de l’objet qu’il peut contempler. Mais il est difficile que dans cet œil en grande partie purifié, il ne se glisse pas quelque saleté provenant des choses mêmes qui accompagnent ordinairement nos bonnes actions, comme la louange humaine, par exemple. S’il est dangereux de mal vivre, qu’est-ce que bien vivre et renoncer à la louange ; sinon être ennemi du monde qui est d’autant plus misérable que la vie régulière lui déplaît davantage ? Si donc ceux parmi lesquels vous vivez ne vous louent pas quand vous faites le bien, ils sont dans l’erreur ; s’ils vous louent, vous êtes en danger, à moins que votre cœur ne soit si simple et si pur que, dans le bien que vous Mites, vous n’ayez point en vue les louanges des hommes ; que vous ne soyez plus disposé à féliciter ceux qui goûtent et approuvent le bien, qu’à vous féliciter vous-même, quoique vous meniez une vie régulière quand même on ne vous en louerait pas ; et enfin, à moins que vous ne compreniez crue l’éloge qu’on fait de vous n’est utile à celui qui le fait, qu’autant qu’il rapporte l’honneur de votre bonne conduite, non à vous mais à Dieu, dont toute âme fidèle est le temple très saint et qu’il veut accomplir ce que dit David : « Mon âme se glorifiera dans le Seigneur ; que ceux qui ont le cœur doux écoutent et soient dans l’allégresse b. » C’est donc le propre de celui qui a l’œil pur de faire le bien sans égard aux louanges des hommes, sans les avoir en vue dans le bien qu’il fait, c’est-à-dire de ne jamais faire le bien pour plaire aux hommes. En effet on pourra simuler le bien, si l’on se propose seulement d’être loué, car, l’homme ne pouvant lire au fond du cœur, ses éloges peuvent tomber à faux. Ceux qui agissent ainsi, c’est-à-dire qui simulent le bien, ont le cœur double. Celui-là a donc seul le cœur simple, c’est-à-dire pur, qui s’élève au-dessus des louanges humaines ; qui en faisant le bien, n’a en vue et ne cherche à plaire qu’à Celui qui pénètre les consciences. Et tout ce qui sort de sa conscience pure est d’autant plus louable qu’il a moins en vue les louanges humaines.

2. « Prenez donc garde, dit le Seigneur, de ne pas faire votre justice devant les hommes, pour être vus d’eux » c’est-à-dire prenez garde de pratiquer la justice pour que les hommes vous voient et de chercher là votre satisfaction. « Autrement vous n’aurez point de récompense de votre Père qui est dans les cieux » non pas précisément si vous êtes vus des hommes, mais si vous faites le bien pour en être vus. En effet qu’en serait-il de ce qui a été dit au commencement de ce sermon : « Vous êtes la lumière du monde ? une ville ne peut être cachée, quand elle est située sur une montagne ; et on n’allume point une lampe pour la mettre sous le boisseau, mais sur un chandelier, afin qu’elle éclaire tous ceux qui sont dans la maison ; qu’ainsi donc votre lumière luise devant les hommes, afin qu’ils voient vos bonnes œuvres ? » Mais ce n’est point là que le Seigneur fixe le but, car il ajoute : « et qu’ils glorifient votre Père qui est dans les cieux c. » Et ici, comme il défend de se proposer ce but, c’est-à-dire de faire le bien pour être vu des hommes, après avoir dit : « Prenez garde de faire votre justice devant les hommes, pourra être vus d’eux » il n’ajoute rien : ce qui prouve qu’il n’a pas défendu de faire le bien devant les hommes, mais de le faire pour être vu d’eux, c’est-à-dire de viser à cette fin, de fixer là son but.

3. En effet l’Apôtre nous dit : « Si je plaisais encore aux hommes, je ne serais point serviteur du Christ d » bien qu’il dise ailleurs Complaisez à tous en toutes choses, comme je le fais moi-même e. Pour ceux qui ne savent pas comprendre, il y a là une contradiction pourtant en disant qu’il ne plaît pas aux hommes, il veut dire qu’il ne fait pas le bien pour leur plaire, mais pour plaire à Dieu, à l’amour duquel il voulait amener tous les hommes en cherchant à leur plaire. Il avait donc raison de dire qu’il ne plaisait pas aux hommes, parce qu’en cela il n’avait en vue que de plaire à Dieu : et il n’avait pas moins raison de recommander de plaire aux hommes, non pour chercher là une récompense à de bonnes actions, mais parce qu’on ne peut plaire à Dieu sans se présenter comme modèle à ceux qu’on veut sauver, et que personne n’est tenté d’imiter celui qui ne lui plaît pas. Ainsi comme il ne serait point déraisonnable de dire : En prenant la peine de chercher un vaisseau, ce n’est pas un vaisseau, mais une patrie, que je, cherche ; de même l’Apôtre pouvait dire : En cherchant à plaire aux hommes, ce n’est pas aux hommes, mais à Dieu que je plais : car, mon but n’est pas là, mais je tends à être imité par ceux que je veux sauver. C’est ainsi qu’il dit en parlant des oblations faites pour les saints « Non que je recherche vos dons, mais je désire le fruit qui en résultera f » c’est-à-dire en recherchant vos dons, ce ne sont pas vos dons que je recherche, mais les fruits qui en résulteront pour vous. Car c’était là un indice du progrès qu’ils avaient faits dans les voies du Seigneur, puisqu’ils offraient de bon cœur ce que l’Apôtre leur demandait, non pour son plaisir, mais pour entretenir les liens de la charité.

4. Quant à ce que le Seigneur ajoute : « Autrement vous n’aurez point de récompense de votre Père qui est dans les cieux » cela prouve simplement que nous devons nous tenir en garde pour ne pas chercher la récompense de nos bonnes œuvres dans les louanges humaines, c’est-à-dire pour ne pas nous imaginer que nous puissions y trouver le bonheur.

CHAPITRE II. HYPOCRISIE. – MAIN GAUCHE.

5. « Lors donc que tu fais l’aumône, ne sonne pas de la trompette devant toi, comme font les hypocrites dans les synagogues et dans les rues, afin d’être honorés des hommes. » C’est-à-dire ne cherche pas, comme les hypocrites, à te faire un noie. Or il est clair que l’hypocrite n’a point dans le cœur les sentiments qu’il affecte aux yeux, des hommes. Car il simule, joue, pour ainsi dire, le rôle d’un autre, comme les acteurs au théâtre. En effet celui qui représente, dans une tragédie, Agamemnon, par exemple, ou tout autre personnage historique ou fabuleux, n’est point ce personnage même ; mais il fait semblant de l’être' et on l’appelle comédien. Ainsi quiconque, dans l’Église ou dans toute condition humaine, veut paraître ce qu’il n’est pas, est un comédien. Il feint d’être juste, et ne l’est pas réellement, parce qu’il place tout, son profit dans la louange humaine, que, les hypocrites peuvent, obtenir en trompant ceux à, qui ils paraissent, bons et en recevant leurs éloges. Mais de tels hommes ne reçoivent, du, Dieu qui lit dans les cœurs, d’autre récompense que la punition due à la fourberie : car, dit le Saveur, « ils, ont reçu » des hommes « leur récompense ;» et c’est avec, grande raison qu’on leur dira : Retirez-vous de moi, ouvriers de fraude ; vous avez porté mon nom, mais vous n’avez pas fait mes œuvres. Ceux-là donc ont reçu leur, récompense, quine font l’aumône que pour être honorés des hommes ; non pas précisément parce qu’ils sont honorés, mais parce qu’ils ont agi pour être honorés, ainsi, que nous l’ayons exposé plus haut. En effet la, louange humaine ne doit, pas être recherchée, par celui qui fait le bien, mais l’accompagner ; pour le ; profit de ceux qui peuvent imiter ce qu’ils louent, et non, pour que celui qu’ils louent croie tirer quelque profit de leurs éloges.

6. « Pour toi, quand tu fais l’aumône, que ta main gauche ne sache pas ce que fait ta droite. » Si par main gauche vous entendez ici les infidèles, il vous semble qu’il n’y a pas de mal à chercher à plaire aux fidèles, bien : qu’on nous défende absolument de fixer, pour but et pour prix de nos bonnes œuvres, les louanges de qui que ce soit : Au, point de vue de l’imitation de la, part de ceux qui auront approuvé votre conduite, vous, ne devez pas être modèle pour les fidèles seulement, mais aussi pour les infidèles, afin que la vue de vos bonnes œuvres, objets de leurs éloges, les porte à honorer Dieu : et les attire au salut. Que si par main gauche vous entendez un ennemi, ce qui voudrait dire que votre ennemi doit ignorer votre aumône : pourquoi le Seigneur lui-même a-t-il guéri des hommes avec tant de bonté au milieu des Juifs ses ennemis ? Pourquoi l’apôtre Pierre, après avoir guéri par compassion le boiteux près de la porte appelée la Belle, a-t-il supporté la haine de ses entremis envers lui et envers les autres disciples du Christ g ? Enfin si notre ennemi doit ignorer notre aumône, comment la lui ferons-nous, à lui-même, en accomplissement de ce précepte : « Si ton ennemi a faim, donne-lui à manger ; s’il a soif, donne-lui à boire h ? »

7. Il y a là-dessus une troisième opinion d’hommes charnels, mais tellement absurde, tellement ridicule, que je n’en parlerais pas si je ne savais qu’elle est admise par un grand nombre. Ceux-là prétendent que la main gauche désigne ici l’épouse ; parce que, disent-ils, la femme tenant davantage à l’argent au sein du ménage, il faut que les hommes fassent l’aumône à leur insu, pour éviter les discussions domestiques. Comme si l’homme seul était chrétien, et que le commandement de l’aumône ne regardât point la femme ! Quelle sera donc la main gauche à qui la femme devra cacher ses œuvres de miséricorde ? L’homme sera-t-il la main gauche de la femme ? Ce serait la plus grande des absurdités. Et si on prétend que les époux sont l’un pour l’autre cette main gauche, si toute aumône faite par l’un du bien domestique contrarie l’autre, ce n’est plus là un mariage chrétien ; il faudra que celui des deux qui voudra accomplir, bon gré malgré, le précepte divin de l’aumône, blesse en même temps la volonté de Dieu, et soit rangé parmi les infidèles : car il est prescrit, en pareil cas, au mari fidèle de gagner sa femme par sa bonne conduite et ses mœurs, et à la femme pareillement à l’égard de son mari ; par conséquent ils ne doivent point se cacher naturellement leurs bonnes œuvres, qui doivent au contraire devenir entre eux une sorte d’invitation réciproque, un moyen de s’attirer à la foi chrétienne. Il ne faut pas non plus voler pour se concilier l’amitié de Dieu. Et s’il est nécessaire de cacher quelque chose, par égard pour l’infirmité du conjoint encore incapable de voir l’aumône de bon œil, en quoi il n’y a ni injustice ni péché ; cependant cette interprétation du mot main gauche ne s’accommoderait guère à l’ensemble du chapitre qui va, du reste, nous apprendre ce que le Christ a entendu par là.

8. « Prenez garde, nous dit-il, à ne pas faire votre justice devant les hommes, pour être vus d’eux ; autrement vous n’aurez point de récompense de votre Père qui est dans les cieux. » Il parle ici de la justice en général, puis il entre dans les détails. En effet l’aumône est une partie de la justice, et c’est pourquoi il ajoute immédiatement : « Lors donc que tu fais l’aumône, ne sonne pas de la trompette devant toi, comme font les hypocrites dans la synagogue et dans les rues, afin d’être honorés des hommes » et ceci se rattache à ce qu’il a dit plus haut : « Prenez garde à ne pas faire votre justice devant les hommes, pour être vus d’eux. » De même ce qui suit : « En vérité je vous le dis, ils ont reçu leur récompense » se rapporte à ce texte précédent : « Autrement vous n’aurez point de récompense de votre Père qui est dans les cieux. » Puis il continue : « Pour toi, quand tu fais l’aumône. » Que signifient ces mots : Pour toi, si non : à la différence d’eux ? Que me commande-t-il donc ? Pour toi, quand tu fais l’aumône, « que ta main gauche ne sache pas ce que fait ta droite. » Donc les hypocrites agissent de manière à ce que leur main gauche sache ce que fait leur droite. On vous défend par conséquent de faire ce qu’on blâme en eux. Or ce qu’on blâme en eux, c’est d’agir en vue des louanges des hommes. Le sens le plus naturel de ce mot, main gauche, semble donc être le plaisir d’être loué ; tandis que la droite signifie l’intention d’accomplir les préceptes divins. Donc quand la recherche de la louange humaine se glisse dans la conscience de celui qui fait l’aumône, la gauche sait ce que fait la droite. Par conséquent, « que ta main gauche ne sache ce que fait ta droite » c’est-à-dire que le désir de la louange humaine ne se glisse point dans votre conscience, quand vous cherchez à remplir le précepte divin de l’aumône.

9. « Afin que ton aumône soit dans le secret. » Qu’est-ce dans le secret, sinon dans la bonne conscience elle-même, qui ne peut ni être rendue visible aux yeux des hommes, ni être manifestée par des paroles ? En effet beaucoup mentent de bien des façons. Par conséquent si la main droite agit à l’intérieur et en secret, à la gauche appartient l’extérieur, tout ce qui est visible et temporel. Que votre aumône soit donc dans votre propre conscience, où beaucoup la font par leur bonne volonté, quand ils n’ont pas d’argent ni autre chose à donner au pauvre. Mais beaucoup aussi la font au-dehors, et non au dedans : ce sont ceux qui, par ambition ou par des vues temporelles, veulent paraître miséricordieux et en qui il faut croire que la gauche seule opère. D’autres tiennent une sorte de milieu entre ces deux extrêmes : ils font l’aumône en dirigeant leur intention vers Dieu, et cependant à ce but excellent se mêle un certain désir de la louange ou de toute autre chose fragile et passagère. Mais le Seigneur, qui ne veut pas même que la gauche se mêle en rien des œuvres de la droite, défend bien plus énergiquement de la laisser seule agir en nous ; afin que non seulement nous évitions de faire l’aumône uniquement par un motif temporel, mais encore qu’en la faisant, notre intention soit tellement dirigée vers Dieu qu’aucun désir d’avantages extérieurs ne vienne s’y mêler ou s’y joindre. Car il s’agit de purifier le cœur, qui ne peut être pur qu’à moins d’être simple. Or comment sera-t-il simple s’il sert deux maîtres, s’il ne purifie pas ses yeux parla contemplation des biens éternels, et les laisse s’obscurcir par l’amour des choses mortelles et fragiles ? Donc que ton aumône soit dans le secret ; et ton Père, qui voit dans le secret, te le rendra. » Rien de plus juste ni de plus vrai. En effet si vous attendez votre récompense de Celui qui lit seul dans la conscience, que le témoignage de votre conscience vous suffise pour mériter ce prix. Beaucoup d’exemplaires latins portent : « Et ton, Père, qui voit dans le secret, te le rendra devant les hommes » mais comme cette expression devant les hommes, ne se trouve pas dans les exemplaires grecs, qui.sontles plus anciens, nous n’avons pas cru devoir nous y arrêter.

CHAPITRE III. DE LA PRIÈRE, SES CONDITIONS, SON UTILITÉ.

10. « Et lorsque tu pries, ne sois pas comme les hypocrites qui aiment à prier debout dans les synagogues et au coin des grandes rues, afin d’être vus des hommes. » Ici encore il n’est point défendu d’être vu par les hommes, mais d’agir pour être vu d’eux ; et il est, superflu de le répéter, puisque la règle est donnée, une fois pour toutes, non de craindre et d’éviter que les hommes sachent ce que nous faisons, mais de rien faire avec l’intention de rechercher leur approbation pour récompense. Le Seigneur lui-même emploie ici les mêmes expressions, en ajoutant, comme la première fois : « En vérité je vous le dis, ils ont reçu leur récompense » faisant voir par là qu’il condamne la récompense que les insensés cherchent dans les louanges humaines.

11. « Pour vous, quand vous priez, entrez dans votre chambre. » Or quelle est cette chambre, sinon le cœur lui-même, ainsi que le Psalmiste l’enseigne quand il dit : « Ce que vous dites dans votre cœur, repassez-le avec amertume sur votre couche i.— Et, les portes fermées, priez votre Père en secret. » C’est peu d’entrer dans sa chambre, si on en laisse la porte ouverte aux importuns, si les choses du dehors s’y introduisent et envahissent notre intérieur. Or nous avons dit que le dehors ce sont tous les objets temporels et visibles, qui pénètrent dans nos pensées par la porte, c’est-à-dire par les sens charnels, et troublent nos prières par une multitude de vains fantômes. Il faut donc fermer la porte, c’est-à-dire résister au sens charnel, en sorte que notre prière, toute spirituelle, s’élève vers le Père du fond du cœur où l’on prie le Père en secret. « Et votre Père qui voit dans le secret, vous le rendra. » C’est par là qu’il fallait terminer ; car le Seigneur n’a pas en vue ici de nous recommander de prier, mais de nous appendre comment il faut prier ; comme plus haut, ce n’était point l’aumône qu’il recommandait, mais l’esprit dans lequel il faut la faire ; puisqu’il s’agit de la pureté du cœur, qui ne s’obtient qu’en fixant son intention unique, simple, sur la vie éternelle, par le seul et pur amour de la sagesse.

12. « Or, en priant, ne parlez pas beaucoup, comme les païens ; ils s’imaginent qu’à force de paroles ils seront exaucés. » Comme le propre des hypocrites est de se donner en spectacle dans la prière et de n’en attendre d’autre fruit que l’approbation des hommes ; ainsi le propre des païens, c’est-à-dire des gentils, est de s’imaginer qu’à force de paroles ils seront exaucés. Et en effet toute abondance de paroles vient des gentils qui s’appliquent plus à exercer leur langue qu’à purifier leur cœur. Ils s’efforcent de transporter dans la prière ce ridicule verbiage, dans l’espoir de fléchir Dieu, et dans la conviction que Dieu se laisse, comme l’homme, séduire par des paroles. « Ne leur ressemblez donc pas » dite le seul et véritable Maître. « Car votre Père sait de quoi vous avez besoin, avant que vous le lui demandiez. » Si en effet il faut une multitude de paroles pour informer et instruire celui qui ne sait pas, qu’en est-il besoin avec Celui qui connaît tout, à qui tout ce qui est parle, par cela seul qu’il est, et se présente comme un fait accompli ; à la science et à la sagesse duquel l’avenir n’est point caché ; pour qui tout ce qui est passé et tout ce qui passera est immuablement présent ?

13. Mais comme il doit lui-même nous apprendre à prier par des mots, quoique en petit nombre, on peut demander quel besoin il y a de ce peu de mots avec Celui qui sait toutes choses avant qu’elles arrivent, et connaît, il le dit lui-même, ce qui nous est nécessaire avant que nous le lui demandions ? Nous répondons d’abord que ce n’est point par des paroles qu’il faut traiter avec Dieu pour obtenir ce que nous désirons, mais par ce qui se passe en notre âme, par la direction de notre pensée accompagnée d’amour pur et de simple affection ; et de plus que le Seigneur nous a appris les choses par les mots, afin que les mots, confiés à notre mémoire, nous rappellent les choses au moment de la prière.

14. On peut insister et dire : Qu’il faille prier par des choses ou par des mots, à quoi bon la prière, si Dieu sait ce qui nous est nécessaire ? Non répondons que l’attention même de la prière calme et purifie notre cœur et le rend plus apte à recevoir les dons célestes qui nous viennent spirituellement ; car ce n’est pas parce qu’il ambitionne des prières que Dieu nous exauce, lui qui est toujours prêt à nous donner sa lumière, non celle qui est visible, mais la lumière intelligible et spirituelle. Seulement nous ne sommes pas toujours disposés à la recevoir, quand nous nous portons d’un autre côté et que la convoitise des choses temporelles nous remplit de ténèbres. La prière tourne donc notre cœur vers Celui qui est toujours prêt à nous donner, si nous sommes capables de recevoir ses dons ; et dans ce mouvement, le regard intérieur se purifie par l’exclusion des désirs temporels, en sorte que l’œil du cœur simple puisse supporter la lumière simple qui brille d’en haut, sans déclin, sans changement ; et puisse la supporter non seulement sans incommodité, mais avec cette joie ineffable qui constitue véritablement et réellement le bonheur.

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