Matthew 8
[]CHAPITRE XX. LE SERVITEUR DU CENTURION.
48. Saint Matthieu poursuit ainsi : « Lorsqu’il fut entré dans la ville de Capharnaüm, un centurion s’approcha de lui et lui fit cette prière : Seigneur, mon serviteur gît paralytique dans ma maison et il souffre extrêmement ; » et le reste jusqu’à l’endroit où nous lisons : « Et à l’heure même son serviteur fut guéri a. » Saint Luc de son côté rapporte cet événement, relatif au serviteur du centurion, non, comme saint Matthieu, après avoir parlé de la guérison du lépreux dont il fait plus tard le récit, mais immédiatement après l’exposition du long discours sur la montagne. « Jésus, dit-il, ayant achevé de faire entendre toutes ces paroles aux oreilles du peuple, entra dans Capharnaüm. Or, il. y avait là un Centurion dont le serviteur qui lui était cher était fort malade et près de mourir », et le reste, jusqu’à l’endroit où nous voyons ce serviteur guéri b. Entendons ici qu’à la vérité Jésus entra dans la ville de Capharnaüm après avoir achevé d’adresser au peuple toutes ses paroles, c’est-à-dire qu’il n’y entra pas avant d’avoir fini de parler ; mais que l’Évangéliste ne marque point l’intervalle de temps compris entre le discours du Seigneur et son entrée à Capharnaüm. Dans cet intervalle fut guéri le lépreux dont saint Matthieu fait l’histoire en son lieu, et que saint Luc rappelle plus tard. 49. Voyons actuellement si les deux évangélistes sont d’accord entre eux au sujet de ce serviteur du Centurion. Voici comme parle saint Matthieu : « Un centurion s’approcha de lui, le priant et disant : Mon serviteur gît paralytique dans ma maison. » Or saint Luc paraît le contredire : « Ce centurion, dit-il, ayant entendu parler de Jésus, lui envoya des anciens d’entre les Juifs pour le prier de venir guérir son serviteur. Étant donc venus trouver Jésus, « ces anciens le suppliaient instamment et lui disaient : Il mérite que vous fassiez cela pour lui. Il aime en effet notre nation, et il nous a même bâti une synagogue. Jésus s’en alla donc avec eux, et comme il n’était plus loin de la maison, le Centurion envoya de ses amis pour lui dire de sa part : Seigneur, ne vous donnez point tant de peine, car je ne suis pas digne que vous entriez chez moi. C’est pourquoi je ne me suis pas jugé digne d’aller vous trouver ; mais dites seulement une parole et mon serviteur sera guéri. » Si la chose a eu lieu de cette sorte, où est la vérité dans ces mots de saint Matthieu : « Un centurion s’approcha de lui », puisqu’il ne vint pas lui-même le trouver, mais lui envoya ses amis ? Ne faut-il pas qu’une observation attentive nous fasse comprendre que saint Matthieu a employé ici une figure de langage assez habituelle ? Car, non-seulement nous disons de quelqu’un qu’il s’approche, avant même qu’il arrive près de l’objet dont, il est dit s’approcher ; et de là les expressions : il s’approche peu, ou, il s’approche beaucoup du but qu’il veut atteindre : mais de plus, nous disons ordinairement qu’on est parvenu près de quelqu’un, (et l’on ne s’approche que pour parvenir,) bien qu’on ne le voie pas soi-même, quand on arrive, par l’intermédiaire d’un ami, près de quelqu’un dont on recherche la faveur. Cette forme de langage a tellement prévalu, que l’on dit vulgairement d’un homme, qu’il est parvenu jusqu’à certains personnages puissants, quand avec les manœuvres de l’ambition et au moyen de ceux qui les entourent, il a pu agir sur leur esprit, dont l’accès lui était en quelque sorte fermé. Si donc nous disons communément qu’on parvient soi-même, quand on parvient par autrui ; à combien plus forte raison peut-on s’approcher par d’autres, puisque d’ordinaire on n’avance pas autant en s’approchant qu’en parvenant ; car il est possible qu’on s’approche beaucoup, sans toutefois parvenir. Le centurion s’étant donc approché du Seigneur, par l’intermédiaire des anciens, saint Matthieu a pu dire pour abréger : « Un centurion s’approcha de lui. » C’est une façon de parler que tout le monde est capable d’entendre. 50. Il ne faut pas du reste négliger de considérer la vérité profonde que révèle dans le sens mystique le langage du saint Évangéliste et qu’expriment ces paroles d’un Psaume : « Approchez-vous de lui, et vous serez éclairés c. » Aussi bien, la foi du centurion ayant été l’objet de ce magnifique éloge du Sauveur : « Je n’ai point trouvé une si grande foi dans Israël ; » l’Évangéliste a voulu dire qu’à raison de cette vertu qui nous approche véritablement de Jésus, le centurion s’était plutôt lui-même approché de lui que ceux qu’il avait chargés de lui présenter sa requête. Quant à saint Luc, s’il a expliqué comment tout s’est passé, c’est pour nous faire comprendre dans quel sens saint Matthieu, également infaillible, a dit que le centurion s’était approché de Jésus. C’est ainsi qu’en touchant seulement la frange du vêtement du Sauveur, l’hémorroïsse le toucha mieux que la foule dont il était pressé d. De même donc qu’elle toucha d’autant plus le Seigneur qu’elle avait plus de foi en lui, ainsi le centurion s’approcha d’autant plus de Lui que sa foi fut plus vive. À quoi bon maintenant discuter les particularités que l’un des évangélistes relève et que l’autre néglige dans ce passage, puisque selon la règle établie précédemment, on n’y trouve aucune opposition entre les deux récits ?CHAPITRE XXI. GUÉRISON DE LA BELLE-MÈRE DE PIERRE.
51. Saint Matthieu continue ainsi : « Jésus étant venu dans la maison de Pierre, vit sa belle-mère gisante et travaillée de ta fièvre ; il lui toucha la main et la fièvre la quitta ; puis se levant elle se mit à les servir e. » Saint Mathieu n’indique pas en quel temps, c’est-à-dire, après quoi ni avant quoi ce fait eut lieu. Carde ce qu’une chose soit racontée à la suite d’une autre, on n’est pas obligé de conclure qu’elle s’est accomplie immédiatement après. On voit bien cependant qu’ici l’Évangéliste rappelle une œuvre qu’il a omis de mentionner plus haut. Car saint Marc raconte le même fait f, avant de rapporter la guérison du lépreux, qui dans son Évangile semble venir après le discours du Seigneur sur la montagne, quoiqu’il n’ait point parlé de ce discours. Aussi saint Luc parle de la belle-mère de Pierre, après avoir rapporté le même fait que saint Marc g, et avant d’arriver à ce long discours qu’il a reproduit, et dans lequel il est permis de. voir celui qui, selon saint Matthieu, fut prononcé sur la montagne. Mais qu’importe à un fait d’être relaté soit à sa place naturelle, soit avant soit après qu’il a été accompli, pourvu que l’historien ne soit en contradiction ni avec lui-même ni avec un autre, qu’il s’agisse du même fait ou de faits différents ? Il n’est au pouvoir de personne de fixer toujours l’ordre de ses souvenirs à l’égard même de ce qu’il tonnait le mieux ; car une chose ne revient pas plus tôt ou plus tarda l’esprit selon la volonté de l’homme, mais suivant l’inspiration qu’il reçoit. Il est donc assez probable que chacun des évangélistes a cru devoir écrire les faits à mesure qu’il plaisait à Dieu de les lui remettre en mémoire ; ce qu’il faut entendre uniquement des faits dont l’ordre, quel qu’il soit, ne nuit en rien à l’autorité ni à la vérité de l’Évangile. 52. Pourquoi l’Esprit-Saint, qui distribue à chacun ses dons comme il veut h, qui par conséquent et sans aucun doute, gouverne et dirige aussi l’intelligence et les souvenirs des auteurs sacrés dans la rédaction de Livres destinés à jouir d’une si haute autorité, a-t-il permis que l’un ordonnât son récit. de telle manière et l’autre de telle autre ? Quiconque en recherchera la raison avec attention et piété, pourra la trouver moyennant l’aide de, Dieu. Cette question cependant est étrangère au plan. d’un ouvrage où nous nous proposons seulement de montrer que chaque évangéliste n’est en contradiction ni avec lui-même ni avec les autres, quel que soit l’ordre que chacun ait pu ou voulu suivre en rapportant les mêmes actes et les mêmes paroles, ou des paroles et des actes différents. Ainsi donc, quand la suite des temps n’est point marquée, nous ne devons pas nous préoccuper de l’ordre suivant lequel un évangéliste a disposé son récit : dans le cas contraire, si quelque chose parait le mettre en opposition avec lui-même ou avec un autre, alors il faut examiner et résoudre la difficulté.QUATRIÈME SERMON. SUR CES PAROLES DE L’ÉVANGILE SELON SAINT MATTHIEU (VIII, 14) : « JÉSUS, ÉTANT ENTRÉ DANS LA MAISON DE PIERRE, VIT LA BELLE-MÈRE DE CELUI-CI ÉTENDUE SUR SA COUCHE ET ATTEINTE DE LA FIÈVRE ». GUÉRISONS ET DISCIPLES.
ANALYSE. —1. La belle-mère de Pierre, modèle d’infidélité. —2. Que signifient les guérisons accomplies sur le soir ? —3. Pourquoi le Sauveur ordonne-t-il aux Apôtres de passer vers l’autre rivage ? —4. Du scribe qui veut s’attacher au Christ et le suivre partout où il ira.—5. En quel sens il a été dit : « Laissez les morts ensevelir leurs morts ». 1. L’attachement de la belle-mère de Pierre à l’infidélité est considéré comme coupable, parce qu’il était un effet de sa libre volonté nous avons, nous aussi, une volonté libre qui s’identifie avec l’essence même de notre être. Le Seigneur donc entre dans la maison de Pierre, c’est-à-dire dans le corps de Pierre, et cet homme est guéri aussitôt de son infidélité, c’est-à-dire de ses péchés. En proie à la fièvre brûlante de l’iniquité, la belle-mère de Pierre était vouée à une mort prochaine et inévitable : à peine a-t-elle reçu sa guérison également soudaine et imprévue, qu’elle s’empresse de faire l’office de servante. Pierre, en effet, a reçu le premier le bienfait de la foi, il est devenu le prince des Apôtres, et la parole de Dieu ayant ranimé en lui une ardeur et une énergie qui allaient s’éteignant chaque jour de plus en plus, il se dévoue avec un zèle admirable au grand œuvre de la guérison et du salut de ses frères. Quand le moment sera venu d’interpréter le passage relatif à la belle-fille et à la belle-mère, nous démontrerons que l’attachement volontaire à l’infidélité est bien réellement figuré ici par la maladie de la belle-mère de Pierre ; présentement nous parlerons de l’infidélité de celle-ci sans vouloir, par ce mot, désigner autre chose, sinon que cette femme, tant qu’elle n’eut pas la foi, demeura tristement esclave de sa propre volonté. 2. « Le soir étant venu, on lui présenta un grand nombre de démoniaques, et il chassait les esprits immondes i ». Dans ces guérisons multiples accomplies après la chute du jour, nous reconnaissons le concours de ceux que le Sauveur enseigna après sa Passion. Après avoir procuré à tous le pardon de leurs péchés, après avoir effacé la souillure de leurs iniquités et éteint le foyer des convoitises coupables et des inclinations dangereuses, il a, suivant l’expression des prophètes, absorbé et fait disparaître les infirmités et les faiblesses de la nature humaine. 3. « Or, Jésus voyant autour de lui une foule nombreuse, ordonna à ses disciples de passer vers le rivage opposé. Et un scribe s’approchant de lui : Maître, lui dit-il, je vous suivrai partout où vous irez, etc. j ». Il se présente fréquemment des passages qui peuvent alarmer plus ou moins notre manière ordinaire de juger, et nous n’avons pas alors la témérité de donner à ces passages une interprétation puisée dans notre imagination, mais notre exégèse est basée uniquement sur les faits et sur les circonstances des faits. Car notre intelligence doit s’accommoder aux choses, et non pas les choses à notre intelligence. Il y a une foule nombreuse, et le Seigneur ordonne à ses disciples de passer de l’autre côté de la mer ; je ne pense pas que la bonté du Sauveur lui eût permis de chercher à abandonner ceux qui se pressaient autour de sa personne ; je crois, au contraire, que dans cette circonstance il avait en vue quelque moyen secret de leur procurer la grâce du salut. Nous voyons ensuite un scribe déclarant hautement qu’il suivra le Maître partout où il ira ; et nous ne découvrons de la part du Sauveur ni la moindre action, ni la moindre parole, qui soit de nature à le froisser et à le déconcerter dans sa résolution généreuse. Le Seigneur lui répond seulement que les renards ont des tanières et les oiseaux du ciel des nids pour se reposer, mais que le Fils de l’homme n’a pas un endroit quelconque où il puisse appuyer sa tête. Et quand un autre disciple vient demander qu’on lui laisse le temps d’aller ensevelir son père, nous voyons que cette faveur lui est refusée et qu’il ne lui est pas permis de remplir ce devoir de piété filiale. Il nous faut donc faire connaître ici la raison de ces choses si sublimes et si diverses ; et, en respectant scrupuleusement l’ordre du texte sacré, donner une explication qui soit en même temps conforme à la plus rigoureuse vérité et propre à donner une intelligence claire et précise de ce qu’il y a de plus profond dans ces passages. Il faut d’abord considérer que le mot disciples ne désigne pas seulement les douze Apôtres. Car, outre ceux-ci, il y avait un grand nombre de disciples, d’après la teneur même du texte évangélique. Il semble donc que, parmi toute cette multitude, le Seigneur fait un certain choix, savoir, de ceux qui devaient le suivre au milieu des périls et des épreuves sans nombre de la vie présente. L’Église, en effet, ressemble à un vaisseau (et c’est le nom qu’on lui donne en plusieurs endroits) ; elle ressemble, dis-je, à un vaisseau qui, chargé de passagers des races et des nations les plus diverses, vogue au milieu des gouffres, exposé à la fureur des vents et des tempêtes, toujours à la veille de se voir inopinément englouti : tel est le sort de l’Église au milieu de ce monde, où elle est de plus en butte aux incursions des esprits impurs. Quand nous entrons dans ce vaisseau, c’est-à-dire dans le sein de l’Église, nous n’ignorons pas les écueils et les périls sans nombre auxquels nous allons être exposés, nous savons parfaitement jusqu’où peut aller la fureur de la mer et des vents que nous affrontons. Afin donc de rendre tout à fait facile et rationnelle l’interprétation allégorique de ces faits, le Seigneur rapproche ici la conduite du scribe et celle du disciple, ce dernier figurant les fidèles qui montent sur le vaisseau, et le premier figurant la multitude des infidèles qui restent sur le rivage. 4. Et d’abord le scribe, en d’autres termes un des docteurs de la loi, demande s’il doit suivre, comme s’il croyait n’être pas réellement en présence du Christ auquel il reconnaît qu’il est utile de s’attacher. Son interrogation, bien qu’elle lui soit inspirée par la défiance, n’en est pas moins un hommage rendu à la fidélité des croyants ; mais pour embrasser la foi, il ne faut pas interroger, il faut suivre. Et pour que cette interrogation si contraire à la simplicité de la foi reçoive le juste châtiment qu’elle mérite, le Seigneur répond que les renards ont des tanières et les oiseaux du ciel des nids où ils peuvent se reposer ; mais que le Fils de l’homme n’a pas même un endroit où il puisse appuyer sa tête. Le renard est un animal plein de fourberie, se cachant dans les tanières creusées par lui autour des maisons, et toujours occupé à surprendre les oiseaux domestiques : nous avons vu quelque part les faux prophètes désignés sous ce nom. Nous savons aussi que très-souvent, sous le nom d’oiseaux du ciel, on entend désigner les esprits immondes. Le Fils de Dieu, voulant donc confondre la multitude de ceux qui ne le suivaient point, et en particulier ce docteur de la loi qui lui demandait, dans un esprit de défiance, s’il pouvait le suivre, le Fils de Dieu répond sur le ton du reproche que les faux prophètes mêmes ont des tanières et les esprits immondes des nids pour se reposer ; en d’autres termes, que ceux qui sont restés hors du vaisseau, c’est-à-dire ceux qui ne sont point entrés dans le sein de l’Église, sont devenus de faux prophètes et des réceptacles de démons ; que le Fils de l’homme, au contraire, c’est-à-dire celui qui a Dieu pour chef, ne trouve pas un endroit où il puisse se reposer après y avoir apporté la connaissance de Dieu : tous ont été invités, mais un petit nombre suivront, montant courageusement dans ce vaisseau de l’Église, exposé aux flots tumultueux de la mer de ce siècle. 5. Vient ensuite un disciple qui n’interroge pas pour savoir s’il doit suivre ; car il croit fermement que tel est son devoir, mais qui demande seulement la permission d’aller ensevelir son père. L’auteur même de l’Oraison dominicale nous a appris à commencer ainsi notre prière : « Notre Père, qui êtes aux a cieux k ». Le peuple croyant est donc, dans la personne de ce disciple, averti de se souvenir toujours qu’il a dans les cieux un Père invisible. Il est ordonné à ce même disciple de suivre le Seigneur, parce qu’il avait la volonté bien arrêtée de le faire ; il lui est ordonné aussi de laisser les morts ensevelir un mort. Mais je ne vois pas qu’on puisse attendre des morts un office quelconque ; comment ce mort pourra-t-il être inhumé par des morts ? Le Seigneur veut montrer d’abord que la perfection de la religion ne consiste pas à accomplir aucun office temporel vis-à-vis des autres hommes ; ensuite que, lorsqu’il s’agit d’un fils fidèle et d’un père infidèle, le soin d’ensevelir celui-ci n’incombe pas nécessairement à celui-là. Le Sauveur ne nie pas que l’action de rendre les derniers devoirs à un père ne soit bonne en elle-même ; mais en ajoutant : « Laissez aux morts le soin d’ensevelir leurs morts », il nous avertit que le souvenir des morts infidèles ne doit point trouver de place dans l’esprit des saints ; il nous apprend aussi que l’on doit considérer comme morts ceux qui vivent en dehors de Dieu, et que, par rapport aux derniers devoirs qu’il s’agit de rendre aux hommes de cette sorte, on doit les laisser ensevelir par ceux qui sont morts comme eux ; ceux qui ont le bonheur de vivre de la foi divine ne devant affectionner que ceux qui vivent de la même vie.CHAPITRE XXIII. JE VOUS SUIVRAI PARTOUT OU VOUS IREZ.
54. On lit ensuite dans saint Matthieu : « Or, un docteur de la loi s’étant approché, lui dit : Maître, je vous suivrai en quelque lieu que vous alliez ; » et le reste, jusqu’à la réponse du Seigneur : « Laisse les morts ensevelir leurs morts l. » C’est ce que raconte également saint Luc ; toutefois.après beaucoup d’autres détails et, sans exprimer l’ordre des temps, mais à la manière d’un homme qui suit la marche de ses souvenirs, et sans qu’on voie s’il reprend ce qu’il avait d’abord omis, ou s’il expose d’avance un événement postérieur à ceux qu’il rapporte ensuite. Voici comme il parle : « Tandis qu’ils marchaient sur le chemin, un homme dit à Jésus : Je vous suivrai partout ou vous irez. » La réponse du Seigneur à cet homme est tout à fait la même que dans saint Matthieu. Il est vrai que selon celui-ci la chose arrive quand Jésus vient de dire qu’il faut passer à l’autre bord du lac ; et que d’après saint Luc c’est quand Jésus et ses disciples marchent sur le chemin. Mais il n’y a pas de contradiction ; car il fallut marcher sans doute pour venir au lac. De même, à l’égard de celui qui demande la permission d’aller d’abord ensevelir son père, les deux évangélistes s’accordent parfaitement. Qu’importe en effet, pour le sens, que saint Matthieu place la demande de cet homme avant ces paroles de Jésus. « Suis-moi ; » et que saint Luc nous fasse lire les mêmes paroles du Sauveur : « Suis-moi ; » avant cette même demande ? Au rapport de saint Luc un autre vient encore dire à Jésus : « Seigneur, je vous suivrai ; mais permettez-moi d’aller auparavant renoncer à ce qui est dans ma maison. » Saint Matthieu n’en parle pas. Dès lors saint Luc passe à autre chose que ce qui viendrait selon l’ordre du temps. « Après cela, dit-il, le Seigneur choisit encore soixante-douze nouveaux disciples m. » Il déclare que c’est après – cela : mais il n’indique pas le temps qui s’est écoulé jusqu’à l’élection dont il s’agit. Durant l’intervalle cependant ont eu lieu les faits que rapporte ensuite saint Matthieu. Car cet évangéliste, qui continue ici sa narration suivant l’ordre des temps, ajouteSERMON LXIII. LE SOMMEIL DE JÉSUS-CHRIST n.
ANALYSE. – Jésus-Christ dort en nos cœurs lorsque nous ne pensons pas à lui ; il s’y réveille lorsqu’au souvenir de sa personne et de ses enseignements nous repoussons la tentation. 1. Je vais, avec la grâce du Seigneur, vous entretenir de la lecture du saint Évangile que vous venez d’entendre, et avec sa grâce encore vous exciter à ne pas laisser la foi sommeiller dans vos cœurs en face des tempêtes et des vagues de ce siècle. Si le Christ notre Seigneur a été réellement le maître de la mort, n’a-t-il pas été aussi le maître du sommeil ? Serait-il vrai que le sommeil ait accablé malgré lui le Tout-Puissant sur les flots ? Le croire serait une preuve qu’il dort en vous. S’il n’y dort pas, c’est que votre foi veille ; car l’Apôtre enseigne que par « la foi le Christ habite en vos cœurs o. » Le sommeil du Christ signifie donc aussi quelque mystère. Les navigateurs figurent les âmes qui traversent le siècle, appuyées sur le bois sacré. La barque du Sauveur représente aussi l’Église, car chaque fidèle est comme le sanctuaire de Dieu ; et le cœur de chacun est comme un esquif préservé du naufrage, s’il est occupé de bonnes pensées. 2. Tu as entendu une parole outrageuse, c’est un coup de vent ; tu t’irrites, c’est le flot qui monte. Or quand le vent souffle, quand le flot s’élève, le vaisseau est en péril, ton cœur est exposé, il est agité par la vague. Tu désires te venger de cette injure, tu te venges en effet ; tu cèdes ainsi sous le poids de la faute d’autrui et tu fais naufrage. Pourquoi ? Parce que le Christ sommeille dans ton âme. Qu’est-ce à dire : le Christ sommeille dans ton âme ? C’est-à-dire que tu l’oublies. Réveille-le donc, rappelle son souvenir, que le Christ s’éveille en toi ; arrête la vue sur lui. Que prétendais-tu ? Te venger. Tu oublies donc qu’au moment où on le crucifiait il disait : « Mon Père, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu’ils font p ? » Celui qui dort dans ton cœur n’a point voulu se venger. Réveille-le, pense à lui. Son souvenir, c’est sa parole ; son souvenir, c’est son commandement. Et quand il sera éveillé en toi tu diras. Qui suis-je pour vouloir me venger ? Qui suis-je pour menacer un homme comme moi ? Peut-être mourrai-je avant de m’être vengé. Et lorsque haletant, enflammé de colère et altéré de vengeance je quitterai mon corps, je ne serai pas reçu par Celui qui a refusé de se venger, je ne serai pas reçu par Celui qui a dit : « Donnez et on vous donnera ; pardonnez et on vous pardonnera q. » Aussi vais-je apaiser mon irritation et revenir au repos du cœur. Le Christ alors a commandé à la mer et le calme s’est rétabli. 3. Ce que j’ai dit de la colère, appliquez-le exactement à toutes vos tentations. Une tentation se fait sentir, c’est le vent qui souffle ; tu t’émeus, c’est la vague qui s’élève. Réveille le Christ, qu’avec toi il élève la voix. « Quel est-il, puisque les vents et la mer lui sont soumis ? » Quel est-il, puisque la mer lui obéit ? La mer est à lui, c’est lui qui l’a faite r. Tout a été fait par lui s. Toi surtout imite les vents et la mer, obéis à ton Créateur. La mer s’incline à la voix du Christ, et tu restes sourd ? La mer s’arrête, les vents s’apaisent, et tu souffles encore ? Qu’est-ce à dire ? Parler, agir, projeter encore, n’est-ce pas souffler toujours et refuser de s’arrêter devant l’ordre du Christ ? Que les flots ne vous submergent pas en troublant votre cœur. Si néanmoins, comme nous sommes des hommes, si le vent nous abat, s’il altère les affections de notre âme, ne désespérons point ; réveillons le Christ, afin de poursuivre tranquillement notre navigation et de parvenir à la patrie. Tournons-nous vers le Seigneur, etc. ▼▼Voir ci-dessus, Serm. I
CHAPITRE XXIV. TEMPÊTE APAISÉE. – DÉMONIAQUES DÉLIVRÉS.
55. « Jésus entra dans la barque, suivi de ses disciples. Et aussitôt s’éleva sur la mer une grande tempête ; » et le reste, jusqu’à l’endroit où il est dit que « Jésus repassa le lac et vint dans sa ville. » Les deux faits que saint Matthieu raconte à la suite l’un de l’autre, le miracle de la tempête apaisée tout-à-coup sur l’ordre de Jésus éveillé par les disciples, et la délivrance de ces hommes que ; possédait un démon cruel, qui brisaient leurs liens et fuyaient au désert, se trouvent racontés semblablement dans saint Marc et dans saint Luc u. Quelques pensées sont rendues en termes différents, mais elles ne laissent pas d’être les mêmes. Ainsi quand saint Matthieu rapporte que le Seigneur dit aux disciples : « Pourquoi craignez-vous, hommes de peu de foi ? » nous lisons dans saint Luc : « Où est votre foi ? » et dans saint Marc : « Pourquoi craignez-vous ? n’avez-vous pas encore la foi ? » cette foi parfaite, semblable au grain de sénevé ? C’est une autre manière de dire : « Hommes de peu de foi. » Du reste le Seigneur put bien prononcer toutes ces paroles : « Pourquoi craignez-vous ? Où est votre foi ? Hommes de peu de foi ; » et alors chacun des trois évangélistes en rapporte ce que nous voyons dans son récit. Quant aux disciples qui éveillaient le divin Maître, saint Matthieu les fait ainsi parler : « Seigneur, sauvez-nous ; nous périssions ; » et saint Marc : « Maître, n’avez-vous point souci que nous périssions ? » et saint Luc : « Maître, nous périssons. » C’est encore ici une seule et même pensée ; c’est le cri d’hommes qui éveillent le Seigneur et qui veulent être sauvés. Il est inutile de rechercher quelle leçon doit être préférée comme reproduction littérale du langage des disciples. Que ce soit en effet l’une ou l’autre, ou bien que ce ne soit ni l’une ni l’autre, mais des paroles équivalentes pour le sens et qu’aucun évangéliste n’a citées, cela peut-il nuire à la vérité des récits ? D’ailleurs il est encore permis de supposer que, venant tous ensemble éveiller Jésus, les uns lui dirent : Seigneur, sauvez-nous, nous périssons », d’autres : « N’avez-vous point souci que nous périssions ? » d’autres enfin : « Maître, nous périssons. » Que saint Matthieu leur fasse dire ensuite, quand la tempête fut apaisée : « Quel est celui-ci, puisque les vents et la mer lui obéissent ? » et saint Marc : « Qui, pensez-vous, « est celui-ci, puisque les vents et la mer lui obéissent ? » et saint Luc : « Qui, pensez-vous, est celui-ci, qui commande aux vents et à la mer et qui s’en fait obéir ? » tout le monde ne voit-il pas dans les trois textes un seul et même sens ? « Qui, pensez-vous, est celui-ci » et « quel est celui-ci », sont des exclamations tout à fait semblables ; et si l’idée de commandement n’est pas formellement exprimée dans saint Matthieu ni dans saint Marc, elle se révèle par une conséquence nécessaire ; car obéir c’est exécuter un commandement. 56. Mais d’après saint Matthieu il y avait deux hommes possédés de cette légion infernale à laquelle il fut permis d’entrer dans les pourceaux ; tandis que saint Marc et saint Luc ne parlent que d’un seul. Comprenons que l’un des deux était un personnage plus fameux et plus renommé, dont le pays déplorait extrêmement le malheur, et au salut duquel chacun s’intéressait beaucoup. Pour faire connaître cette circonstance saint Marc et saint Luc auront jugé à propos de ne, faire mention que de celui des deux malades dont on parlait davantage et bien plus au soin. Si les paroles des démons se trouvent encore diversement rapportées par les évangélistes, il n’y a pas non plus matière à difficulté, car elles peuvent être dans chaque récit ramenées au même sens ; il est même permis d’admettre que toutes ont été prononcées. Il ne faut pas se préoccuper de ce que, d’après saint Matthieu, le possédé parle au pluriel, et au singulier d’après saint Marc et saint Luc. Car ces derniers nous disent eux-mêmes qu’interrogé par le Sauveur il déclara s’appeler légion, parce qu’il y avait avec lui un grand nombre de démons. Enfin si saint Marc dit que les pourceaux paissaient aux environs de la montagne, et saint Luc sur la montagne, il n’y a pas non plus contradiction. Le troupeau était considérable ; au rapport de saint Marc ; il comprenait jusqu’à deux mille pourceaux. Une partie alors était sur, la montagne et une autre dans la plaine environnante.
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