‏ Matthew 8:14-15

CHAPITRE XXI. GUÉRISON DE LA BELLE-MÈRE DE PIERRE.

51. Saint Matthieu continue ainsi : « Jésus étant venu dans la maison de Pierre, vit sa belle-mère gisante et travaillée de ta fièvre ; il lui toucha la main et la fièvre la quitta ; puis se levant elle se mit à les servir a. » Saint Mathieu n’indique pas en quel temps, c’est-à-dire, après quoi ni avant quoi ce fait eut lieu. Carde ce qu’une chose soit racontée à la suite d’une autre, on n’est pas obligé de conclure qu’elle s’est accomplie immédiatement après. On voit bien cependant qu’ici l’Évangéliste rappelle une œuvre qu’il a omis de mentionner plus haut. Car saint Marc raconte le même fait b, avant de rapporter la guérison du lépreux, qui dans son Évangile semble venir après le discours du Seigneur sur la montagne, quoiqu’il n’ait point parlé de ce discours. Aussi saint Luc parle de la belle-mère de Pierre, après avoir rapporté le même fait que saint Marc c, et avant d’arriver à ce long discours qu’il a reproduit, et dans lequel il est permis de. voir celui qui, selon saint Matthieu, fut prononcé sur la montagne. Mais qu’importe à un fait d’être relaté soit à sa place naturelle, soit avant soit après qu’il a été accompli, pourvu que l’historien ne soit en contradiction ni avec lui-même ni avec un autre, qu’il s’agisse du même fait ou de faits différents ? Il n’est au pouvoir de personne de fixer toujours l’ordre de ses souvenirs à l’égard même de ce qu’il tonnait le mieux ; car une chose ne revient pas plus tôt ou plus tarda l’esprit selon la volonté de l’homme, mais suivant l’inspiration qu’il reçoit. Il est donc assez probable que chacun des évangélistes a cru devoir écrire les faits à mesure qu’il plaisait à Dieu de les lui remettre en mémoire ; ce qu’il faut entendre uniquement des faits dont l’ordre, quel qu’il soit, ne nuit en rien à l’autorité ni à la vérité de l’Évangile.

52. Pourquoi l’Esprit-Saint, qui distribue à chacun ses dons comme il veut d, qui par conséquent et sans aucun doute, gouverne et dirige aussi l’intelligence et les souvenirs des auteurs sacrés dans la rédaction de Livres destinés à jouir d’une si haute autorité, a-t-il permis que l’un ordonnât son récit. de telle manière et l’autre de telle autre ? Quiconque en recherchera la raison avec attention et piété, pourra la trouver moyennant l’aide de, Dieu. Cette question cependant est étrangère au plan. d’un ouvrage où nous nous proposons seulement de montrer que chaque évangéliste n’est en contradiction ni avec lui-même ni avec les autres, quel que soit l’ordre que chacun ait pu ou voulu suivre en rapportant les mêmes actes et les mêmes paroles, ou des paroles et des actes différents. Ainsi donc, quand la suite des temps n’est point marquée, nous ne devons pas nous préoccuper de l’ordre suivant lequel un évangéliste a disposé son récit : dans le cas contraire, si quelque chose parait le mettre en opposition avec lui-même ou avec un autre, alors il faut examiner et résoudre la difficulté.

QUATRIÈME SERMON. SUR CES PAROLES DE L’ÉVANGILE SELON SAINT MATTHIEU (VIII, 14) : « JÉSUS, ÉTANT ENTRÉ DANS LA MAISON DE PIERRE, VIT LA BELLE-MÈRE DE CELUI-CI ÉTENDUE SUR SA COUCHE ET ATTEINTE DE LA FIÈVRE ». GUÉRISONS ET DISCIPLES.

ANALYSE. —1. La belle-mère de Pierre, modèle d’infidélité. —2. Que signifient les guérisons accomplies sur le soir ? —3. Pourquoi le Sauveur ordonne-t-il aux Apôtres de passer vers l’autre rivage ? —4. Du scribe qui veut s’attacher au Christ et le suivre partout où il ira.—5. En quel sens il a été dit : « Laissez les morts ensevelir leurs morts ».

1. L’attachement de la belle-mère de Pierre à l’infidélité est considéré comme coupable, parce qu’il était un effet de sa libre volonté nous avons, nous aussi, une volonté libre qui s’identifie avec l’essence même de notre être. Le Seigneur donc entre dans la maison de Pierre, c’est-à-dire dans le corps de Pierre, et cet homme est guéri aussitôt de son infidélité, c’est-à-dire de ses péchés. En proie à la fièvre brûlante de l’iniquité, la belle-mère de Pierre était vouée à une mort prochaine et inévitable : à peine a-t-elle reçu sa guérison également soudaine et imprévue, qu’elle s’empresse de faire l’office de servante. Pierre, en effet, a reçu le premier le bienfait de la foi, il est devenu le prince des Apôtres, et la parole de Dieu ayant ranimé en lui une ardeur et une énergie qui allaient s’éteignant chaque jour de plus en plus, il se dévoue avec un zèle admirable au grand œuvre de la guérison et du salut de ses frères. Quand le moment sera venu d’interpréter le passage relatif à la belle-fille et à la belle-mère, nous démontrerons que l’attachement volontaire à l’infidélité est bien réellement figuré ici par la maladie de la belle-mère de Pierre ; présentement nous parlerons de l’infidélité de celle-ci sans vouloir, par ce mot, désigner autre chose, sinon que cette femme, tant qu’elle n’eut pas la foi, demeura tristement esclave de sa propre volonté.

2. « Le soir étant venu, on lui présenta un grand nombre de démoniaques, et il chassait les esprits immondes e ». Dans ces guérisons multiples accomplies après la chute du jour, nous reconnaissons le concours de ceux que le Sauveur enseigna après sa Passion. Après avoir procuré à tous le pardon de leurs péchés, après avoir effacé la souillure de leurs iniquités et éteint le foyer des convoitises coupables et des inclinations dangereuses, il a, suivant l’expression des prophètes, absorbé et fait disparaître les infirmités et les faiblesses de la nature humaine.

3. « Or, Jésus voyant autour de lui une foule nombreuse, ordonna à ses disciples de passer vers le rivage opposé. Et un scribe s’approchant de lui : Maître, lui dit-il, je vous suivrai partout où vous irez, etc. f ». Il se présente fréquemment des passages qui peuvent alarmer plus ou moins notre manière ordinaire de juger, et nous n’avons pas alors la témérité de donner à ces passages une interprétation puisée dans notre imagination, mais notre exégèse est basée uniquement sur les faits et sur les circonstances des faits. Car notre intelligence doit s’accommoder aux choses, et non pas les choses à notre intelligence. Il y a une foule nombreuse, et le Seigneur ordonne à ses disciples de passer de l’autre côté de la mer ; je ne pense pas que la bonté du Sauveur lui eût permis de chercher à abandonner ceux qui se pressaient autour de sa personne ; je crois, au contraire, que dans cette circonstance il avait en vue quelque moyen secret de leur procurer la grâce du salut. Nous voyons ensuite un scribe déclarant hautement qu’il suivra le Maître partout où il ira ; et nous ne découvrons de la part du Sauveur ni la moindre action, ni la moindre parole, qui soit de nature à le froisser et à le déconcerter dans sa résolution généreuse. Le Seigneur lui répond seulement que les renards ont des tanières et les oiseaux du ciel des nids pour se reposer, mais que le Fils de l’homme n’a pas un endroit quelconque où il puisse appuyer sa tête. Et quand un autre disciple vient demander qu’on lui laisse le temps d’aller ensevelir son père, nous voyons que cette faveur lui est refusée et qu’il ne lui est pas permis de remplir ce devoir de piété filiale. Il nous faut donc faire connaître ici la raison de ces choses si sublimes et si diverses ; et, en respectant scrupuleusement l’ordre du texte sacré, donner une explication qui soit en même temps conforme à la plus rigoureuse vérité et propre à donner une intelligence claire et précise de ce qu’il y a de plus profond dans ces passages. Il faut d’abord considérer que le mot disciples ne désigne pas seulement les douze Apôtres. Car, outre ceux-ci, il y avait un grand nombre de disciples, d’après la teneur même du texte évangélique. Il semble donc que, parmi toute cette multitude, le Seigneur fait un certain choix, savoir, de ceux qui devaient le suivre au milieu des périls et des épreuves sans nombre de la vie présente. L’Église, en effet, ressemble à un vaisseau (et c’est le nom qu’on lui donne en plusieurs endroits) ; elle ressemble, dis-je, à un vaisseau qui, chargé de passagers des races et des nations les plus diverses, vogue au milieu des gouffres, exposé à la fureur des vents et des tempêtes, toujours à la veille de se voir inopinément englouti : tel est le sort de l’Église au milieu de ce monde, où elle est de plus en butte aux incursions des esprits impurs. Quand nous entrons dans ce vaisseau, c’est-à-dire dans le sein de l’Église, nous n’ignorons pas les écueils et les périls sans nombre auxquels nous allons être exposés, nous savons parfaitement jusqu’où peut aller la fureur de la mer et des vents que nous affrontons. Afin donc de rendre tout à fait facile et rationnelle l’interprétation allégorique de ces faits, le Seigneur rapproche ici la conduite du scribe et celle du disciple, ce dernier figurant les fidèles qui montent sur le vaisseau, et le premier figurant la multitude des infidèles qui restent sur le rivage.

4. Et d’abord le scribe, en d’autres termes un des docteurs de la loi, demande s’il doit suivre, comme s’il croyait n’être pas réellement en présence du Christ auquel il reconnaît qu’il est utile de s’attacher. Son interrogation, bien qu’elle lui soit inspirée par la défiance, n’en est pas moins un hommage rendu à la fidélité des croyants ; mais pour embrasser la foi, il ne faut pas interroger, il faut suivre. Et pour que cette interrogation si contraire à la simplicité de la foi reçoive le juste châtiment qu’elle mérite, le Seigneur répond que les renards ont des tanières et les oiseaux du ciel des nids où ils peuvent se reposer ; mais que le Fils de l’homme n’a pas même un endroit où il puisse appuyer sa tête. Le renard est un animal plein de fourberie, se cachant dans les tanières creusées par lui autour des maisons, et toujours occupé à surprendre les oiseaux domestiques : nous avons vu quelque part les faux prophètes désignés sous ce nom. Nous savons aussi que très-souvent, sous le nom d’oiseaux du ciel, on entend désigner les esprits immondes. Le Fils de Dieu, voulant donc confondre la multitude de ceux qui ne le suivaient point, et en particulier ce docteur de la loi qui lui demandait, dans un esprit de défiance, s’il pouvait le suivre, le Fils de Dieu répond sur le ton du reproche que les faux prophètes mêmes ont des tanières et les esprits immondes des nids pour se reposer ; en d’autres termes, que ceux qui sont restés hors du vaisseau, c’est-à-dire ceux qui ne sont point entrés dans le sein de l’Église, sont devenus de faux prophètes et des réceptacles de démons ; que le Fils de l’homme, au contraire, c’est-à-dire celui qui a Dieu pour chef, ne trouve pas un endroit où il puisse se reposer après y avoir apporté la connaissance de Dieu : tous ont été invités, mais un petit nombre suivront, montant courageusement dans ce vaisseau de l’Église, exposé aux flots tumultueux de la mer de ce siècle.

5. Vient ensuite un disciple qui n’interroge pas pour savoir s’il doit suivre ; car il croit fermement que tel est son devoir, mais qui demande seulement la permission d’aller ensevelir son père. L’auteur même de l’Oraison dominicale nous a appris à commencer ainsi notre prière : « Notre Père, qui êtes aux a cieux g ». Le peuple croyant est donc, dans la personne de ce disciple, averti de se souvenir toujours qu’il a dans les cieux un Père invisible. Il est ordonné à ce même disciple de suivre le Seigneur, parce qu’il avait la volonté bien arrêtée de le faire ; il lui est ordonné aussi de laisser les morts ensevelir un mort. Mais je ne vois pas qu’on puisse attendre des morts un office quelconque ; comment ce mort pourra-t-il être inhumé par des morts ? Le Seigneur veut montrer d’abord que la perfection de la religion ne consiste pas à accomplir aucun office temporel vis-à-vis des autres hommes ; ensuite que, lorsqu’il s’agit d’un fils fidèle et d’un père infidèle, le soin d’ensevelir celui-ci n’incombe pas nécessairement à celui-là. Le Sauveur ne nie pas que l’action de rendre les derniers devoirs à un père ne soit bonne en elle-même ; mais en ajoutant : « Laissez aux morts le soin d’ensevelir leurs morts », il nous avertit que le souvenir des morts infidèles ne doit point trouver de place dans l’esprit des saints ; il nous apprend aussi que l’on doit considérer comme morts ceux qui vivent en dehors de Dieu, et que, par rapport aux derniers devoirs qu’il s’agit de rendre aux hommes de cette sorte, on doit les laisser ensevelir par ceux qui sont morts comme eux ; ceux qui ont le bonheur de vivre de la foi divine ne devant affectionner que ceux qui vivent de la même vie.

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