‏ Matthew 8:23-26

SERMON LXIII. LE SOMMEIL DE JÉSUS-CHRIST a.

ANALYSE. – Jésus-Christ dort en nos cœurs lorsque nous ne pensons pas à lui ; il s’y réveille lorsqu’au souvenir de sa personne et de ses enseignements nous repoussons la tentation.

1. Je vais, avec la grâce du Seigneur, vous entretenir de la lecture du saint Évangile que vous venez d’entendre, et avec sa grâce encore vous exciter à ne pas laisser la foi sommeiller dans vos cœurs en face des tempêtes et des vagues de ce siècle. Si le Christ notre Seigneur a été réellement le maître de la mort, n’a-t-il pas été aussi le maître du sommeil ? Serait-il vrai que le sommeil ait accablé malgré lui le Tout-Puissant sur les flots ? Le croire serait une preuve qu’il dort en vous. S’il n’y dort pas, c’est que votre foi veille ; car l’Apôtre enseigne que par « la foi le Christ habite en vos cœurs b. » Le sommeil du Christ signifie donc aussi quelque mystère. Les navigateurs figurent les âmes qui traversent le siècle, appuyées sur le bois sacré. La barque du Sauveur représente aussi l’Église, car chaque fidèle est comme le sanctuaire de Dieu ; et le cœur de chacun est comme un esquif préservé du naufrage, s’il est occupé de bonnes pensées.

2. Tu as entendu une parole outrageuse, c’est un coup de vent ; tu t’irrites, c’est le flot qui monte. Or quand le vent souffle, quand le flot s’élève, le vaisseau est en péril, ton cœur est exposé, il est agité par la vague. Tu désires te venger de cette injure, tu te venges en effet ; tu cèdes ainsi sous le poids de la faute d’autrui et tu fais naufrage. Pourquoi ? Parce que le Christ sommeille dans ton âme. Qu’est-ce à dire : le Christ sommeille dans ton âme ? C’est-à-dire que tu l’oublies. Réveille-le donc, rappelle son souvenir, que le Christ s’éveille en toi ; arrête la vue sur lui. Que prétendais-tu ? Te venger. Tu oublies donc qu’au moment où on le crucifiait il disait : « Mon Père, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu’ils font c ? » Celui qui dort dans ton cœur n’a point voulu se venger. Réveille-le, pense à lui. Son souvenir, c’est sa parole ; son souvenir, c’est son commandement. Et quand il sera éveillé en toi tu diras. Qui suis-je pour vouloir me venger ? Qui suis-je pour menacer un homme comme moi ? Peut-être mourrai-je avant de m’être vengé. Et lorsque haletant, enflammé de colère et altéré de vengeance je quitterai mon corps, je ne serai pas reçu par Celui qui a refusé de se venger, je ne serai pas reçu par Celui qui a dit : « Donnez et on vous donnera ; pardonnez et on vous pardonnera d. » Aussi vais-je apaiser mon irritation et revenir au repos du cœur. Le Christ alors a commandé à la mer et le calme s’est rétabli.

3. Ce que j’ai dit de la colère, appliquez-le exactement à toutes vos tentations. Une tentation se fait sentir, c’est le vent qui souffle ; tu t’émeus, c’est la vague qui s’élève. Réveille le Christ, qu’avec toi il élève la voix. « Quel est-il, puisque les vents et la mer lui sont soumis ? » Quel est-il, puisque la mer lui obéit ? La mer est à lui, c’est lui qui l’a faite e. Tout a été fait par lui f. Toi surtout imite les vents et la mer, obéis à ton Créateur. La mer s’incline à la voix du Christ, et tu restes sourd ? La mer s’arrête, les vents s’apaisent, et tu souffles encore ? Qu’est-ce à dire ? Parler, agir, projeter encore, n’est-ce pas souffler toujours et refuser de s’arrêter devant l’ordre du Christ ? Que les flots ne vous submergent pas en troublant votre cœur. Si néanmoins, comme nous sommes des hommes, si le vent nous abat, s’il altère les affections de notre âme, ne désespérons point ; réveillons le Christ, afin de poursuivre tranquillement notre navigation et de parvenir à la patrie. Tournons-nous vers le Seigneur, etc.
Voir ci-dessus, Serm. I

CHAPITRE XXIV. TEMPÊTE APAISÉE. – DÉMONIAQUES DÉLIVRÉS.

55. « Jésus entra dans la barque, suivi de ses disciples. Et aussitôt s’éleva sur la mer une grande tempête ; » et le reste, jusqu’à l’endroit où il est dit que « Jésus repassa le lac et vint dans sa ville. » Les deux faits que saint Matthieu raconte à la suite l’un de l’autre, le miracle de la tempête apaisée tout-à-coup sur l’ordre de Jésus éveillé par les disciples, et la délivrance de ces hommes que ; possédait un démon cruel, qui brisaient leurs liens et fuyaient au désert, se trouvent racontés semblablement dans saint Marc et dans saint Luc h. Quelques pensées sont rendues en termes différents, mais elles ne laissent pas d’être les mêmes. Ainsi quand saint Matthieu rapporte que le Seigneur dit aux disciples : « Pourquoi craignez-vous, hommes de peu de foi ? » nous lisons dans saint Luc : « Où est votre foi ? » et dans saint Marc : « Pourquoi craignez-vous ? n’avez-vous pas encore la foi ? » cette foi parfaite, semblable au grain de sénevé ? C’est une autre manière de dire : « Hommes de peu de foi. » Du reste le Seigneur put bien prononcer toutes ces paroles : « Pourquoi craignez-vous ? Où est votre foi ? Hommes de peu de foi ; » et alors chacun des trois évangélistes en rapporte ce que nous voyons dans son récit. Quant aux disciples qui éveillaient le divin Maître, saint Matthieu les fait ainsi parler : « Seigneur, sauvez-nous ; nous périssions ; » et saint Marc : « Maître, n’avez-vous point souci que nous périssions ? » et saint Luc : « Maître, nous périssons. » C’est encore ici une seule et même pensée ; c’est le cri d’hommes qui éveillent le Seigneur et qui veulent être sauvés. Il est inutile de rechercher quelle leçon doit être préférée comme reproduction littérale du langage des disciples. Que ce soit en effet l’une ou l’autre, ou bien que ce ne soit ni l’une ni l’autre, mais des paroles équivalentes pour le sens et qu’aucun évangéliste n’a citées, cela peut-il nuire à la vérité des récits ? D’ailleurs il est encore permis de supposer que, venant tous ensemble éveiller Jésus, les uns lui dirent : Seigneur, sauvez-nous, nous périssons », d’autres : « N’avez-vous point souci que nous périssions ? » d’autres enfin : « Maître, nous périssons. » Que saint Matthieu leur fasse dire ensuite, quand la tempête fut apaisée : « Quel est celui-ci, puisque les vents et la mer lui obéissent ? » et saint Marc : « Qui, pensez-vous, « est celui-ci, puisque les vents et la mer lui obéissent ? » et saint Luc : « Qui, pensez-vous, est celui-ci, qui commande aux vents et à la mer et qui s’en fait obéir ? » tout le monde ne voit-il pas dans les trois textes un seul et même sens ? « Qui, pensez-vous, est celui-ci » et « quel est celui-ci », sont des exclamations tout à fait semblables ; et si l’idée de commandement n’est pas formellement exprimée dans saint Matthieu ni dans saint Marc, elle se révèle par une conséquence nécessaire ; car obéir c’est exécuter un commandement.

56. Mais d’après saint Matthieu il y avait deux hommes possédés de cette légion infernale à laquelle il fut permis d’entrer dans les pourceaux ; tandis que saint Marc et saint Luc ne parlent que d’un seul. Comprenons que l’un des deux était un personnage plus fameux et plus renommé, dont le pays déplorait extrêmement le malheur, et au salut duquel chacun s’intéressait beaucoup. Pour faire connaître cette circonstance saint Marc et saint Luc auront jugé à propos de ne, faire mention que de celui des deux malades dont on parlait davantage et bien plus au soin. Si les paroles des démons se trouvent encore diversement rapportées par les évangélistes, il n’y a pas non plus matière à difficulté, car elles peuvent être dans chaque récit ramenées au même sens ; il est même permis d’admettre que toutes ont été prononcées. Il ne faut pas se préoccuper de ce que, d’après saint Matthieu, le possédé parle au pluriel, et au singulier d’après saint Marc et saint Luc. Car ces derniers nous disent eux-mêmes qu’interrogé par le Sauveur il déclara s’appeler légion, parce qu’il y avait avec lui un grand nombre de démons. Enfin si saint Marc dit que les pourceaux paissaient aux environs de la montagne, et saint Luc sur la montagne, il n’y a pas non plus contradiction. Le troupeau était considérable ; au rapport de saint Marc ; il comprenait jusqu’à deux mille pourceaux. Une partie alors était sur, la montagne et une autre dans la plaine environnante.

Copyright information for FreAug