bMrc 2, 15-82
cLuc 5, 27-89

‏ Matthew 9:10-17

CHAPITRE XXVII. FESTIN DONNÉ PAR SAINT MATTHIEU.

60. Saint Matthieu poursuit ainsi : « Or il arriva que Jésus étant à table dans la maison, beaucoup de publicains et de gens de mauvaise vie vinrent s’y asseoir avec lui et avec ses disciples », etc, jusqu’à l’endroit où nous lisons : « Mais on met le vin nouveau dans des outres neuves, et tous deux se conservent a. » Ici l’évangéliste ne dit pas dans la maison de qui Jésus mangeait avec des publicains et des pécheurs. On pourrait croire alors que son récit ne présente pas ce fait dans l’ordre chronologique et qu’il s’agit d’un fait arrivé dans un autre temps et dont le souvenir lui revient. Mais saint Marc et saint Luc, qui le racontent absolument de même, déclarent que Jésus était à table chez Lévi ou Matthieu, le nouveau disciple, et que là fut dit tout ce qui suit. Car à ce sujet, voici en effet le texte de saint Marc : « Et il arriva, dit-il, en gardant le même ordre, que Jésus étant à table dans la maison de cet homme beaucoup de publicains et de gens de mauvaise vie y étaient avec lui et avec ses disciples b. » Quand il dit « dans la maison de cet homme », il désigne évidemment celui dont il vient de parler, c’est-à-dire Lévi. Ainsi encore, saint Luc, après ces mots : « Jésus lui dit : Suis-moi ; et quittant tout, il se leva et le suivit ; » ajoute aussitôt : « Et Lévi lui lit un grand festin dans sa maison, où il se trouva un grand nombre de publicains et d’autres gens qui étaient avec eux à table c. » On sait donc clairement dans quelle maison tout cela se passa.

64. Voyons maintenant, rapportées d’après les trois évangélistes, les paroles qui furent adressées au Seigneur et les réponses qu’il y fit : « Témoins de tout cela, dit saint Matthieu, les Pharisiens disaient à ses disciples : Pourquoi votre maître mange-t-il avec des publicains et des pécheurs ? » Sauf deux mots de plus, cette question a été rapportée de la même manière par saint Marc : « Pourquoi votre maître mange-t-il et boit-il avec des publicains et des pécheurs ? » Saint Matthieu n’a donc pas reproduit les mots : « et boit-il », que nous trouvons dans le texte de saint Marc ; mais qu’importe, puisque dans saint Matthieu le sens est complet et donne pareillement l’idée de convives ? Le récit de saint Luc parait offrir un peu plus de différence : « Or, dit-il, les Pharisiens et leurs Scribes murmuraient, et ils disaient aux disciples de Jésus : D’où vient que vous mangez et buvez avec des publicains et des pécheurs ? » Il ne veut pas sans doute nous faire entendre que ce discours ne regardait pas le divin Maître, mais il veut montrer que le reproche était en même temps dirigé contre le maître et contre les disciples ; que cependant les paroles n’étaient directement adressées qu’aux seuls disciples. Aussi bien, cet évangéliste rapporte lui-même que le Seigneur répondit : « Je ne suis pas venu appeler les justes, mais les pécheurs à la pénitence. » Une pareille réponse n’aurait pas eu de raison, si les mots « vous mangez et vous buvez », n’eussent principalement regardé le Sauveur. Si donc, d’après saint Matthieu et saint Marc, on formule devant les disciples un reproche qui s’adresse au Maître, c’est parce qu’en s’appliquant aux disciples on le fait tomber plus vivement sur le maître dont la vie était la règle de la leur. Ainsi la pensée est la même, et d’autant mieux exprimée, qu’il y a, sans préjudice de la vérité, certaines différences dans les termes. Ainsi encore, quand saint Matthieu rapporte que le Seigneur répondit : « Ce ne sont pas ceux qui se portent bien, mais ce sont les malades qui ont besoin de médecin ; allez donc et apprenez ce que veut dire ceci : J’aime mieux la miséricorde que le sacrifice ; car ce sont les pécheurs et non les justes que je suis venu appeler ; » saint Marc et saint Luc exposent la même pensée à peu près dans les mêmes termes, sauf que ni l’un ni l’autre ne relèvent ce témoignage emprunté au prophète : « J’aime mieux la miséricorde que le sacrifice. » Saint Luc, après avoir écrit : « Je ne suis pas venu appeler les justes, mais les pécheurs », ajoute les mots : « à la pénitence. » Ce qui sert à faire mieux ressortir la pensée et empêche de supposer que les pécheurs soient, comme pécheurs, aimés de Jésus-Christ. Car la comparaison même, établie entr’eux et les malades, montre bien que Dieu veut, en les appelant comme un médecin appellerait des malades, les guérir de leur iniquité comme d’une maladie, et c’est ce qui a lieu par la pénitence.

62. Saint Matthieu dit ensuite : « Alors des disciples de Jean s’approchèrent et lui dirent Pourquoi les Pharisiens et nous jeûnons-nous fréquemment, tandis que vos disciples ne jeûnent point ? » Saint Marc dit pareillement : « Or les disciples de Jean et les Pharisiens étaient dans l’usage de jeûner. Plusieurs donc vinrent dire à Jésus Pourquoi les disciples de Jean et ceux des Pharisiens jeûnent-ils, tandis que les vôtres ne jeûnent pas ? » Il n’y a point de différence ; seulement saint Matthieu fait parler uniquement les disciples de Jean, au lieu que d’après saint Marc, les Pharisiens étaient avec eux pour adresser à Jésus la même question. Mais les paroles que nous lisons dans le texte de saint Marc paraissent plutôt avoir été prononcées par d’autres que par ceux qu’elles concernent. Ainsi, quelques-uns des convives s’approchant du Sauveur lui auraient objecté que les disciples de Jean et les Pharisiens avaient coutume de pratiquer le jeûne. Alors ceux dont l’évangéliste dit : « Plusieurs vinrent », ne seraient plus ceux dont il a parlé en disant : « Or les disciples de Jean et les Pharisiens jeûnaient ; » mais des hommes qui, frappés de l’opposition qu’ils voyaient entre l’usage de ceux-ci et la conduite des disciples de Jésus, se mirent à dire : « Pourquoi les disciples de Jean et ceux des Pharisiens jeûnent-ils, tandis que les vôtres ne jeûnent pas ? » C’est ce que nous fait mieux comprendre encore le récit de saint Luc. Car, après avoir reproduit les réponses du Seigneur aux Scribes et aux Pharisiens sur la vocation des pécheurs comparés à des malades, il ajoute : « Mais alors ils lui dirent : Pourquoi les disciples de Jean aussi bien que ceux des Pharisiens font-ils des jeûnes fréquents et de longues prières, tandis que les vôtres boivent et mangent ? » On voit que, comme saint Marc, cet évangéliste rapporte ce discours comme prononcé par d’autres que ceux dont il fait mention. D’où vient donc que nous lisons dans saint Matthieu : « Alors des disciples de Jean s’approchèrent et lui dirent : Pourquoi observons-nous des jeûnes fréquents, les Pharisiens et nous ? » sinon parce qu’il y avait là des disciples de Jean, et que tous à l’envi, et chacun selon son pouvoir, faisaient au Seigneur la même objection ? Les trois évangélistes ont énoncé la pensée commune dans un langage différent, mais toujours conforme à la vérité.

63. Saint Matthieu et saint Marc ont aussi l’un comme l’autre parlé des fils de l’époux qui ne jeûneront pas, tant que l’époux est avec eux. Seulement au lieu de dire comme saint Matthieu les fils de l’époux », saint Marc dit : « les enfants des noces. » Mais qu’importe au sens, puisque les enfants des noces sont à la fois les fils de l’époux et ceux de l’épouse ? Ce n’est donc pas chez lui une pensée contraire, mais c’est la même pensée qu’il exprime plus amplement. Saint Luc ne dit pas : « Est-ce que vous pouvez faire jeûner les fils de l’époux, tandis que l’époux est avec eux ? » Ici donc lui aussi exprime avec justesse la même pensée ; mais il fait de plus entendre autre chose. On entrevoit en effet qu’en mettant eux-mêmes l’époux à mort, les interlocuteurs devaient plonger les amis dans le jeûne et dans les larmes. Le mot pleurer dans le texte de saint Matthieu a le même sens que le terme jeûner dans saint Marc et dans saint Luc, puisque saint Matthieu écrit un peu après : « Alors ils jeûneront », et non pas : « Alors ils pleureront. » Mais par ce mot, il a fait entendre que le Seigneur parlait du jeûne spécial qu’inspirent l’humiliation et L’affliction, et que les comparaisons suivantes, empruntées à l’étoffe neuve et au vin nouveau et reproduites également par saint Marc et par saint Luc, désignent cet autre jeûne auquel porte la joie de l’esprit attaché aux choses spirituelles, dont la douceur lui imprime une sorte d’aversion pour les aliments corporels ; jeûne qui ne convient pas à l’homme animal et charnel, tout occupé de son corps, par là même toujours esclave de ses anciennes passions. Il est inutile, sans doute, de redire ici que deux évangélistes ne sont pas en contradiction, si l’on trouve dans l’un certaines expressions ou même certains détails que l’autre a négligés, du moment que le fond est le même ou qu’une pensée n’est pas opposée à l’autre.
Copyright information for FreAug