‏ Matthew 9:20-22

CHAPITRE XXVIII. RÉSURRECTION DE LA FILLE DE JAÏRE.

64. Saint Matthieu gardant toujours l’ordre chronologique continue ainsi : « Comme il leur disait ces choses, un prince de la synagogue l’aborda et l’adora en disant : Seigneur, ma fille vient de mourir ; mais venez, imposez – lui les mains, et elle vivra ; » et le reste, jusqu’à l’endroit où l’évangéliste nous fait lire : « Et la petite se leva, et le bruit de cet événement se répandit aussitôt dans tout le pays a. » Le fait est également raconté par saint Marc et saint Luc, mais non dans le même ordre. Ils s’en souviennent et l’exposent dans un autre endroit, c’est-à-dire après nous avoir montré Jésus repassant le lac et revenant du pays des Géraséniens, où il avait chassé les démons et leur avait permis d’entrer dans des pourceaux. En effet, saint Marc rapporte ce fait après avoir relaté ce miracle opéré chez les Géraséniens : « Lorsque Jésus, dit-il, eut repassé le lac sur une barque, et qu’il a était encore auprès de la mer, une grande a multitude de peuple s’assembla autour de lui. Et un chef de synagogue nommé Jaïre vint le trouver et le voyant il se jeta à ses pieds », etc b. On doit voir ici que ce qui regarde la fille du chef de synagogue arriva quand Jésus sortant du pays des Géraséniens eut repassé le lac : mais l’évangéliste ne dit pas combien de temps après. S’il n’y avait pas eu d’intervalle, on ne trouverait plus où placer ce que vient de raconter saint Matthieu sur le repas donné dans sa maison. Car après ce qui arriva chez lui et à son occasion, quoiqu’il en ait parlé, suivant l’usage des évangélistes, comme d’événements étrangers à sa personne ; il n’est d’autre fait que celui de la fille du chef de synagogue, pour se présenter immédiatement. Aussi la transition de saint Matthieu montre clairement par elle-même que ce qu’il va raconter fait suite à ce qu’il a raconté. Il vient de rapporter les paroles du Sauveur au sujet de l’étoffe neuve et du vin nouveau, puis il ajoute aussitôt : « Tandis qu’il leur disait ces choses, un prince de la synagogue l’aborda. » Mais si cet homme l’aborda quand il disait ces paroles, il n’y eut pas d’intervalle pour d’autres discours ni pour d’autres actions. Au contraire dans le récit de saint Marc, comme déjà nous l’avons montré, il y a place pour des événements intermédiaires. De même saint Luc, en passant du miracle opéré chez les Géraséniens à ce qui regarde la fille du chef de synagogue, ne le fait pas de manière à contredire saint Matthieu, qui présente ce dernier fait comme ayant suivi les comparaisons de l’étoffe neuve et du vin nouveau, en disant : « Comme Jésus parlait ainsi. » En effet, quand saint Luc a fini de raconter ce qui eut lieu chez les Géraséniens, il aborde de cette manière l’autre sujet : « Jésus, dit-il, étant revenu dans la Galilée, le peuple le reçut avec joie parce qu’ils l’attendaient tous. Et un homme appelé Jaïre, qui était chef de synagogue, vint à lui, et tombant à ses pieds, il le priait, etc c ; »De ce texte on conclut qu’à la vérité le peuple reçut alors avec joie le Seigneur dont il attendait impatiemment le retour ; mais ce qu’ajoute l’évangéliste : « Et un homme appelé Jaïre, etc » ne doit pas être pris comme une chose qui suivit immédiatement. Il faut faire précéder ce fait du festin où parurent les publicains et dont le texte de saint Matthieu rie permet pas de le séparer.

65. Au sujet de cette femme qui était affligée d’une perte de sang et dont l’histoire nous est présentée au milieu de la narration qui maintenant nous occupe, l’accord des trois évangélistes ne donne lieu à aucune question. Peu importé à la vérité que tel détail relevé par l’un, ne le soit point par l’autre ; que saint Marc fasse dire à Jésus : « Qui a touché mes vêtements ? » et saint Luc : « Qui m’a touché ? » L’un a usé du langage ordinaire, et l’autre a employé les termes propres. Car nous disons plus ordinairement : Vous me déchirez, que : Vous déchirez mes vêtements ; et il est hors de doute que tout le monde comprend alors notre pensée.

66. Mais d’après saint Matthieu le prince de la synagogue vint dire au Seigneur non pas que sa fille était en danger de mort, ou qu’elle était mourante, ou qu’elle rendait le dernier soupir, mais bien qu’elle était déjà morte ; et suivant les deux autres elle était à l’article de la mort, mais encore vivante cependant ; au point que leurs récits nous parlent des gens qui arrivèrent ensuite pour annoncer qu’elle était morte, et dire qu’il ne fallait pas davantage tourmenter le Maître, comme s’il fût venu non avec le pouvoir de la rendre à la vie du moment qu’elle serait morte, mais pour l’empêcher de mourir en lui imposant les mains. Afin d’écarter toute apparence de contradiction, il faut comprendre que saint Matthieu pour abréger a mieux aimé dire que le prince de synagogue pria le Seigneur de faire ce qu’il fit en effet lorsqu’il ressuscita sa fille. L’évangéliste ne considère pas tant les paroles que l’intention de ce père ; et il lui prête un langage conforme à ses pensées. Jaïre aussi bien avait tellement désespéré de sa fille, qu’il avait plutôt dessein de demander une résurrection qu’une guérison ; ne croyant pas la retrouver en vie après l’avoir laissée mourante. Saint Marc et saint Luc ont donc reproduit ses paroles ; saint Matthieu a exprimé sa pensée et sa volonté. Ainsi demanda-t-il également au Seigneur ou de guérir sa fille mourante ou de la rendre à la vie si elle était morte ; mais saint Matthieu se proposant de tout dire en peu de mots, fait demander au père ce qu’il voulait certainement, et ce que fit le Christ. Sans aucun doute, si, d’après les deux autres évangélistes ou l’un des deux, le père avait dit lui-même, ce que les gens de sa maison vinrent lui représenter, qu’il ne fallait plus importuner Jésus, parce que la fille était morte, le texte de saint Matthieu contredirait la pensée de Jaïre ; mais on ne lit pas qu’il se soit rendu aux observations de ceux qui en venant lui apporter la triste nouvelle, lui disaient de ne plus faire d’instance près du Maître. On voit encore par là que quand le Seigneur dit à Jaïre : « Ne crains pas ; crois seulement, et elle sera sauvée ; » il ne lui reprochait pas de défiance ; mais voulait affermir sa foi. La foi chez lui était la même que chez cet autre qui, en demandant la délivrance de son fils, dit à Jésus : « Je crois Seigneur, mais suppléez vous-même ce qui manque à ma foi d. »

67. Puisqu’il en est ainsi ; ces différentes manières, de parler, qui n’empêchent pas les évangélistes d’être d’accord entr’eux, donnent lieu à une observation bien utile et bien nécessaire. C’est que dans le langage de qui que ce soit, il faut considérer seulement l’intention, que les mots sont destinés à exprimer, et qu’on n’est pas menteur pour rendre en d’autres termes ce qu’a voulu dire quelqu’un dont on n’emploie pas les expressions. Il est certain que, non-seulement dans les paroles, mais dans tous les autres signes des pensées, on ne doit chercher que la pensée elle-même ; et c’est être misérable que de tendre pour ainsi dire aux mots et de se représenter la vérité comme enchaînée à des accents.

68. On lit dans plusieurs exemplaires de saint Matthieu : « Cette femme n’est point ; morte, mais elle dort. » Comme saint Marc et saint Luc déclarent que la fille dont il s’agit avait douze ans, il faut voir dans l’expression employée par saint Matthieu une locution hébraïque. Aussi bien, dans d’autres passages de l’Écriture ce terme désigne, non-seulement celles qui ont eu commerce avec un homme mais les vierges elles-mêmes. Il est dit d’Eve : « Et de la côte qu’il avait tirée d’Adam, le Seigneur Dieu bâtit la femme e. » Au livre des Nombres il est ordonné d’épargner les femmes, mulieres, qui n’ont point connu d’homme, c’est-à-dire les vierges f ; et saint Paul donne le même sens à ce mot quand il dit que Jésus-Christ est né d’une femme, ex muliere g. Mieux vaut comprendre ainsi la variante de saint Matthieu que de regarder cette fille de douze ans comme étant déjà mariée, ou n’étant plus vierge.
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