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aiSag 8,1 ; 7,24
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hdJn 25,6
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luRom 19,14
Psalms 104:29
PREMIER DISCOURS SUR LE PSAUME 103 ▼▼Prêché à Carthage dans la vieillesse de saint Augustin
PREMIÈRE PARTIE DU PSAUME.
LE MONDE INVISIBLE DANS LE MONDE VISIBLE.
Les œuvres visibles du Seigneur ont un sens que nous devons chercher dons ce psaume. « Vous êtes infiniment grandi par moi ». Cette parole doit s’entendre comme cette autre : Que votre nom soit sanctifié ; ce nom toujours saint est sanctifié quand les hommes deviennent assez droits pour que Dieu leur plaise. Alors le nom du Seigneur est grandi quand nous le connaissons assez pour comprendre cette grandeur, et cette connaissance nous grandit à notre tour. Dieu s’est revêtu de confession et de beauté, parce que l’Église, non pins que l’âme, ne peut s’approcher de Dieu, qu’en avouant une laideur qui vient à l’une du péché, à l’autre de l’idolâtrie. Toutefois le Christ ; en mourant pour les impies, nous aimait malgré notre laideur ; il s’abaissait pour nous, et n’avait ni éclat ni beauté, afin de nous en donner, Il a fait les cieux, comme on déploie une peau, et cette peau signifie la mortalité, car elle fut donnée aux premiers coupables, devenus mortels par le péché. C’est encore l’Évangile prêché par des hommes mortels et qui couvre la terre. La hauteur des cieux que Dieu couvre d’eau, c’est la sainte Écriture, et au-delà cette charité qu’il répand dans nos cœurs, et qui est bien supérieure à tous les autres dons. Les nuées sont une échelle pour lui, c’est-à-dire que par les prédicateurs il conduit au ciel des Écritures ceux qui écoutent avec docilité ; malheur à ceux qui ne montent pas, et qui sont ou branches stériles, ou produisant des épines. Il est porté sur les ailes des vents ou des âmes qui sont un souffle de vie, et dont les ailes sont des vertus, La charité en Dieu ou la croix, a sa largeur dans les bonnes œuvres, sa longueur dans la persévérance finale, sa hauteur dans l’espérance des biens de l’autre vie, sa profondeur dans les sacrements. Les esprits deviennent ses anges, quand ils portent ses messages : quelquefois il se sert du feu, comme il se sert de l’homme spirituel pour la prédication. L’Église est solidement fondée sur le Christ. Écoutons la parole de Dieu de manière à porter pour fruit principal le pardon des offenses. 1. Avant-hier, autant que vous daignez vous en souvenir, nous vous avons largement rassasiés. Mais comme après un long discours, vous ne laissiez pas de témoigner une grande avidité, nous n’avons pas voulu aujourd’hui refuser l’acquittement de notre dette, afin de joindre à cet acquittement le gain que nous espérons en tirer. Le psaume qu’on vient de lire est plein de figures et de mystères, et demande non seulement de notre part, mais aussi de la vôtre, une attention soutenue. À la rigueur, cependant, on pourrait donner à ce qu’il contient un sens littéral et religieux à la fois. On y retrouve en effet, sinon toutes les merveilles du Seigneur, du moins ces œuvres connues de tous ceux qui les voient, et qui, dans ces merveilles qu’il a faites, merveilles visibles, savent lire ses merveilles invisibles b. Nous y voyons un grand ouvrage, la création du ciel et de la terre, et de tout ce qu’ils renferment ; et la grandeur et la beauté de cette création nous font sinon voir l’ineffable grandeur, l’ineffable beauté du Créateur, du moins l’aimer. Ce divin ouvrier, que notre cœur n’est pas encore assez pur pour contempler, ne cesse de remettre ses œuvres devant nos yeux, et par ces merveilles que nous pouvons découvrir, de stimuler notre amour envers celui que nous ne pouvons voir, afin que nous méritions de le voir un jour. Toutefois, dans tout ce que nous lisons, il faut chercher un sens spirituel, et avec le secours de Jésus-Christ, vos désirs m’aideront à sonder ces mystères, et seront comme autant de mains invisibles, frappant à la porte invisible aussi, afin qu’elle s’ouvre invisiblement, que vous y entriez invisiblement, et que vous soyez invisiblement guéris. 2. Disons donc tous : « Bénis le Seigneur, ô mon âme c ». Adressons-nous tous à notre âme, car nous tous, nous n’avons par la foi qu’une seule âme, de même que nous tous, qui croyons en Jésus-Christ, ne formons, par notre union corporelle avec lui, qu’un seul et même homme. Que notre âme bénisse donc le Seigneur pour tant de bienfaits, pour les dons si grands et si nombreux de ses grâces. Nous retrouvons ces dons dans le psaume, avec un peu d’attention, en secouant le nuage des pensées charnelles, en élevant notre esprit autant qu’il nous est possible, en stimulant son attention autant que nous pourrons, en purifiant l’œil de notre cœur autant qu’il est en nous, autant que le permettent les occupations de cette vie, autant que nous ne sommes point aveuglés par les plaisirs du siècle. Élevons-nous donc pour entendre les dons si grands, si admirables, si désirables, si pleins d’allégresse et de joies saintes, que voyait en esprit celui qui a chanté notre psaume, quand il exhalait son allégresse, en s’écriant : « Bénis le Seigneur, ô mon âme ». 3. « Seigneur, mon Dieu, votre grandeur a e été trop relevée ». Voyez quelles magnificences va chanter le Prophète, et néanmoins dans ces magnificences, il ne faut bénir que l’auteur de ces grandes œuvres. « Vous vous êtes revêtu de gloire et de beauté ». O Seigneur mon Dieu, dont la grandeur est infinie, d’où vient qu’on chante cette grandeur ? N’êtes-vous point toujours grand ? toujours magnifique ? N’êtes-vous point parfait, et pouvez-vous croître encore ? Y a-t-il chez vous déchéance ou diminution ? Mais vous êtes ce que vous êtes, et vous êtes véritablement, c’est vous qui vous êtes ainsi nommé à Moïse votre serviteur « Je suis celui qui suis d » ; vous êtes grand dès lors, et votre grandeur est éternelle ; elle n’a ni commencement ni fin ; elle n’a point commencé avec le temps, elle ne s’écoule point vers la fin du temps, ne souffre point diminution au milieu des temps ; c’est une grandeur immuable. Comment donc votre grandeur eut-elle été trop relevée ? Un autre prophète nous avertit ce disant : « Votre science est devenue admirable par moi e ». Or, si l’on peut dire avec vérité : « Votre science est devenue admirable par moi » ; on peut dire aussi : « Vous êtes infiniment grandi par moi, Seigneur mon Dieu ». Mais on peut demander encore : Est-ce moi qui puis relever Dieu ? moi qui puis le grandir ? La prière que nous offrons chaque jour à Dieu pour notre salut, nous enseigne quelque chose de semblable : « Que votre nom soit sanctifié », disons-nous ; c’est là ce que nous demandons chaque jour, Si quelqu’un nous interrogeait : Comment demandez-vous que le nom du Seigneur soit sanctifié ? Y a-t-il un moment où il ne soit pas saint, pour demander qu’il soit sanctifié ? Et pourtant, si nous ne désirions pas qu’il en fût ainsi, nous ne le demanderions point. Car autre est la congratulation, et autre la prière ; noue félicitons de ce qui est, nous demandons ce qui n’est pas encore. Quel est donc le sens de cette parole : « Que votre nom soit sanctifié ? f » Il nous aidera à comprendre cette autre : « Seigneur mon Dieu, vous êtes grandi à l’excès ». Or, « Que votre nom soit sanctifié », signifie : Que votre nom soit saint parmi les hommes. Sans doute, Seigneur, votre nom est toujours saint, mais il n’est pas encore saint pour les âmes impures. Car l’Apôtre l’a dit : « Tout est pur pour ceux qui sont purs, mais rien n’est pur pour les cœurs immondes et infidèles g ». Si rien n’est pur pour les cœurs infidèles et immondes, j’en demande la cause, et l’Apôtre me répond que « leur raison et leur conscience sont souillées ». Or, si pour eux rien n’est pur, Dieu lui-même ne l’est pas ; à moins de croire peut-être qu’ils le regardent comme pur, tout en le blasphémant. S’il est pur, qu’il leur plaise donc ; et s’il leur plaît, qu’ils le bénissent. Mais s’ils le blasphèment, c’est qu’il leur déplaît ; et s’il leur déplaît, comment peut être pur celui qui déplaît ? Que demandons-nous alors par cette parole : « Que votre nom soit sanctifié ? » Nous demandons que le nom du Seigneur soit saint dans ces hommes, pour qui il ne l’est pas à cause de leur infidélité, dans ceux pour qui n’est pas encore Saint, celui qui est saint en lui-même, par lui-même, et dans ses saints. Nous prions donc pour le genre humain, nous prions pour l’univers entier, pour tous les Gentils, pour tous ceux qui passent les journées à raisonner et à nous dire que Dieu n’est point juste, que ses jugements ne sont point justes, afin qu’ils se corrigent enfin eux-mêmes, et qu’ils redressent leur cœur sur sa droiture, qu’ils s’attachent à lui ; devenus droits, selon la règle même, qu’ils ne blâment plus l’équité de Dieu, mais que le Seigneur, toujours droit, plaise à ceux qui seront droits eux-mêmes. Car le Seigneur, « le Dieu d’Israël est bon », mais « à ceux qui ont le cœur droit h ». Alors celui qui chante ainsi, c’est-à-dire nous-mêmes, qui formons le corps du Christ, nous membres du Christ, à la vue des biens qu’a prodigués le Seigneur au genre humain, pour qui naguère Dieu n’était pas, ou n’était qu’un faux Dieu, ou du moins un Dieu moins grand, cet homme, dis-je, en voyant Dicta dans ses œuvres, s’écrie : « Seigneur mon Dieu, vous êtes grandi à l’infini », c’est-à-dire, naguère je ne vous connaissais point, et je comprends que vous êtes grand. Vous êtes toujours grand, même quand vous êtes caché ; mais Vous êtes devenu grand pour moi en m’apparaissant. Vous êtes donc grandi de ma part ; de même que j’ai contribué à rendre votre science admirable i, quand elle est devenue admirable pour moi. Je l’admire quand je reviens à elle ; mais quand je n’y reviendrais pas, et quand, après y être revenu, je m’en détournerais, votre sagesse n’en demeure pas moins dans son intégrité. Mais quand par elle je deviens grand, que de petit elle me rend parfait, j’admire ce que je ne connaissais pas, non que mon admiration le grandisse, mais arriver à le connaître, de ma part, c’est grandir. Écoute alors où Dieu me paraît grandi à l’excès, lui qui est toujours grand ; c’est dans ses œuvres qu’il nous a paru démesurément grand. 4. « Vous vous êtes revêtu de confession et de beauté ». Le Prophète place avant la beauté la confession, qui est la beauté dans la beauté même. Tu veux la beauté, ô mon âme, et tu as raison. Mais pourquoi chercher la beauté ? Afin d’être aimée de l’Époux dans ta laideur tu ne peux que ici déplaire. Qu’est-il en effet lui-même ? « Il surpasse en beauté les enfants des hommes ». Dans ta laideur, veux-tu donc embrasser un Époux si beau ? Mais tu ne considères point que tu es couverte d’iniquité, « tandis que la grâce est s répandue sur ses lèvres ». Car c’est de lui qu’il est dit : « Il surpasse en beauté les enfants des hommes, la grâce est répandue sur mes lèvres : et pour cela les jeunes filles l’ont aimé j ». Cet Époux est donc beau, il est plus beau que « les enfants des hommes », et quoique fils de l’homme, il surpasse « les enfants des hommes ». Est-ce à lui que tu veux plaire, ô âme humaine, ô unique. Choisie entre tant d’autres ? ici entendons l’Église dont les membres n’ont en Dieu qu’un cœur et qu’une âme k ; c’est à elle que s’adresse le Prophète. Veux-tu plaire à cet Époux ? Tu ne le peux dans ta laideur, que feras-tu pour être belle ? D’abord prends à dégoût la laideur, et embellie par celui-là même à qui tu veux plaire, tu mériteras alors la beauté e celui qui te reformera, est celui-là même qui t’a formée. Vois donc tout d’abord ce que tu es, afin de n’aller point dans la laideur t’offrir aux baisers d’un Époux si ravissant. Mais où pourrai-je me contempler, me diras-tu ? Il t’a donné pour miroir ses saintes Écritures ; c’est là qu’il est dit : « Bienheureux ceux dont le cœur est pur, parce qu’ils verront Dieu l ». Cette parole même est un miroir, vois si tu es ce que dit cette Écriture ; et si tu ne l’es pointe gémis afin de le devenir. Le miroir te remettra devant les yeux ton propre visage ; et comme il ne te flattera point, ne te flatte point toi-même. Sa pureté te montrera ce que tu es ; et si tu te déplais à toi-même, travaille à n’être plus telle. Te déplaire dans ta laideur, c’est déjà plaire à celui qui est parfaitement beau. Quoi donc ? Te déplaire dans la laideur, c’est déjà commencer un aveu ; comme il est dit ailleurs : « Commencez par confesser au Seigneur m ». Accuse d’abord ta laideur ; car cette laideur de ton âme vient de tes péchés, de tes iniquités. Commence à confesser ta laideur, et cette confession deviendra pour toi un commencement de beauté ; et qui te donnera cette beauté, sinon celui qui surpasse en beauté les enfants des hommes ? 5. Mais pour t’embellir, j’ose le déclarer, il t’a aimée dans ta laideur. Qu’est-ce à dite qu’il t’a aimée dans ta laideur ? « Le Christ, en effet, est mort pour les impies n ». Quelle vie ne te réserve pas, quand tu seras justifiée, celui qui est mort même pour les impies ? Le voilà donc beau, « le plus beau des enfants des hommes », celui qui était le plus juste des hommes, et qui, venant trouver une Épouse difforme, je le dirai, puisque je le trouve consigné dans les Écritures, est devenu lui-même difforme. Ce n’est point moi qu’il faut écouter ici, de peur que je n’aie avancé trop légèrement cette parole. Mais en disant que Jésus-Christ a aimé son Épouse lorsqu’elle était difforme encore, de peur de parler d’une manière inexacte pour ceux qui aiment le Christ, je me suis appuyé d’un témoignage, et j’ai dit ce qu’a dit l’Apôtre : veux-tu savoir comment il a aimé celle qui était laide encore ? « Le Christ est mort pour les impies », De même, comment prouver que le Christ, en venant trouver cette Épouse difforme, est devenu lui-même difforme afin de l’embellir : comment le prouver, si l’Écriture elle-même ne venait à mon aide, en disant tout d’abord qu’« il est supérieur en beauté aux enfants des hommes ? » Et c’est encore dans l’Écriture que je lis : « Nous l’avons vu et il n’avait ni apparence, ni beauté o ». D’une part, « c’est le plus beau des enfants des hommes » ; d’autre part, « nous l’avons vu, et il n’a ni apparence, ni beauté ». Le Prophète ne dit point : Nous ne l’avons pas vu, et dès lors, nous ne savons s’il avait apparence ou beauté ; mais « nous l’avons vu », dit-il, « et voilà qu’il n’avait ni apparence ni beauté ». Où donc l’a vu le Prophète qui nous dit : « Il surpasse en beauté tous les enfants des hommes ? » Et où l’a vu celui qui dit : « Il n’avait ni apparence ni beauté ? » Écoutez où l’a vu celui qui le proclame « le plus beau des enfants des hommes : étant Dieu par nature, il n’a pas craint de se dire égal à Dieu p ». Il est donc bien supérieur aux hommes, puisqu’il est égal à Dieu. Je le comprends donc, je sais où l’a vu celui qui a dit : « Il surpasse en beauté tous les enfants des hommes ». Où l’ai-je vu, me dit le Prophète ? Mais « dans la forme de Dieu ». Où donc l’as-tu vu, ô Prophète, dans la forme de Dieu ? Comment le voir en la forme de Dieu ? « Les perfections invisibles deviennent compréhensibles par tout ce qui est visible q ». Tout cela est fort bien, je comprends maintenant, et celui que tu as vu, et sous quel aspect tu l’as vu, et où tu l’as vu, et par où tu l’as vu. Qui as-tu vu ? Notre Époux. Sous quel aspect l’as-tu vu ? « Supérieur en beauté aux enfants des hommes ». Où l’as-tu vu ? « En la forme de Dieu ». Par où l’as-tu vu ? « Par ses ouvrages visibles que l’on comprend ». Voyons maintenant ce que dit de lui l’autre Prophète, mais non pas un autre esprit ; car ils ne sont pas en désaccord. L’un nous a montré celui qui est supérieur en beauté aux enfants des hommes, que l’autre nous montre ce que signifie : « Nous l’avons vu, et il n’avait ni apparence ni beauté ». Un seul apôtre vient mettre en accord ces deux Prophètes ; le résumé de saint Paul rend témoignage à chacun des deux Prophètes. D’une part, il est supérieur en beauté aux enfants des hommes, « Celui qui, étant Dieu par nature, n’a pas cru qu’il y eût usurpation à s’égaler à Dieu r ». C’est que je retrouve encore ce qu’a dit l’autre Prophète, qu’il n’a ni apparence ni beauté : « Il s’est anéanti et a pris la forme de l’esclave ; il a paru un homme, semblable aux autres hommes, par tout ce qui a été vu de lui ; il s’est humilié, se rendant obéissant jusqu’à la mort, et la mort de la croix s ». C’est donc avec raison qu’on l’a vu sans apparence ni beauté. C’est avec raison, qu’en face de la croix, ils branlaient la tête, en disant : Est-ce à quoi est réduit ce Fils de Dieu ? « S’il est Fils de Dieu, qu’il descende de la croix t ». Mais il n’avait alors ni éclat ni beauté. Or, je vous adjure, ô vous à qui déplaît ce Christ, n’a-t-il donc ni éclat ni beauté ? O vous, qui branliez la tête devant la croix, qui ne l’affermissiez point dans ce Chef qui y était suspendu ? N’est-il pas juste qu’elle soit branlante, la tête de ceux qui lui insultent, jusqu’à ce qu’il soit la tête des insulteurs, lui que l’on insultait alors ? Mais voilà qu’il reprend sa beauté, et une beauté incomparable. Tes défis sont bien au-dessous de ce qu’il a fait. « S’il est Fils de Dieu », dis-tu, « qu’il descende de la croix ». Il n’est point descendu de la croix, mais il est sorti du sépulcre. 6. Donc, ô mon âme, tu ne peux être belle, qu’en faisant l’aveu de ta laideur à celui qui est toujours beau, et qui, pour un temps, ne l’a pas été pour toi ; qui ne l’était point quand il avait la forme de l’esclave, et qui était beau néanmoins dans la forme de Dieu. Tu es donc belle, ô sainte Église, et c’est toi que le Cantique des cantiques proclame « la plus belle des femmes u ». C’est de toi qu’il est dit : « Quelle est celle-ci qui s’élève dans cette blancheur v , ▼▼selon les LXX
? » Qu’est-ce à dire « dans cette blancheur ? » Dans cette lumière, car cette blancheur n’est pas le fard dont se servent les femmes qui veulent paraître ce qu’elles ne sont point ; elle n’est point blanche à la manière d’une muraille blanchie x ? car toute muraille blanchie sera détruite y, a dit l’Apôtre, c’est-à-dire l’hypocrisie et la dissimulation. Une muraille blanchie n’est un toit qu’au-dehors, une boue au dedans. Ce n’est point ainsi que l’Église est blanchie ; elle est blanchie parce qu’elle est illuminée, car elle n’est point blanche d’elle-même. « J’ai été tout d’abord un blasphémateur z », dit saint Paul ; et encore : « Nous avons été nous-mêmes, par nature, enfants de colère, ainsi que les autres aa ». La grâce est donc venue nous éclairer et nous blanchir : ainsi donc, ô sainte Église, vous avez été noire, et la grâce vous a blanchie : « Vous étiez autrefois ténèbres, et maintenant vous êtes lumière en Jésus-Christ ab ». C’est donc de vous qu’il est dit : « Quelle est celle-ci qui s’élève dans sa blancheur ? » La voilà dans sa beauté, on peut à peine la contempler. Aussi l’on dit avec admiration : « Quelle est celle-ci qui s’élève dans sa blancheur » ; avec tant de beauté, tant de lumière, sans ride et sans tache ac ? N’est-ce point celle qui gisait dans le bourbier de l’iniquité ? N’est-ce point celle qui gisait dans la fange de l’idolâtrie ? N’est-ce point celle qui était souillée par toutes les convoitises, tous les désirs charnels ? « Quelle est donc celle-ci qui s’élève dans sa blancheur ? » Vois celui qui pour elle est devenu sans apparence, sans beauté, et tu comprendras qu’elle ait tant d’éclat. Si tu es surpris de l’humiliation à laquelle son Époux s’est réduit pour elle, ne le sois point de la gloire où elle est élevée à cause de lui. Quel n’est point le bonheur de cette Épouse éclatante de blancheur, puisque tendant qu’elle était noire, elle a pu enfanter l’Époux éclatant de beauté qui est mort pour les impies ? Donc, le Seigneur notre Dieu s’est revêtu de confession et de beauté, en se revêtant de l’Église : car l’Église est confession et beauté. Confession d’abord, beauté ensuite ; confession des fautes, beauté dans les bonnes œuvres, « Vous vous êtes revêtu de confession et de beauté ». 7. « Il se revêt de lumière, comme d’un vêtement ad ». Tel est le vêtement de celle dont nous avons dit, qu’« elle n’a ni tache, ni ride ». On l’appelle lumière, d’après ces autres paroles : « Vous fûtes autrefois ténèbres, vous êtes maintenant lumière dans le Seigneur ». Ce n’est donc point en vous, car en vous-mêmes, vous êtes ténèbres, mais c’est dans le Seigneur que vous êtes lumière. Dieu donc « s’est revêtu de la lumière comme d’un vêtement, en étendant le ciel comme une peau ». Le Prophète use de plusieurs figures pour nous montrer comment le Christ s’est revêtu, comme d’un vêtement, de cette Église qui est la lumière, comment elle est devenue lumière, comment sans ride et sans tache, comment elle est devenue belle, comment éclatante pour être le vêtement de son Époux, en lui demeurant unie étroitement ; voilà ce qu’il nous faut écouter. « Il étend les cieux comme une peau ». Je le vois de mes yeux. Qui donc a déployé ce pavillon des cieux que voient nos yeux charnels, si ce n’est Dieu ? « Il a étendu les cieux comme une peau », ou à la lettre, avec facilité. Comme on ne saurait faire la moindre voûte sans un grand travail, sans de grandes machines, sans s’appliquer longtemps à vaincre les difficultés, l’Écriture semble craindre que la vue de ce grand ouvrage de la création ne nous fasse croire à un semblable travail de la part de Dieu. Elle nous donne un exemple de cette facilité, que nous pouvons Plus aisément comprendre, et ne veut point nous laisser croire qu’il a bâti les cieux comme nous bâtissons le toit d’une maison, mais qu’il a étendu les cieux avec la même facilité qu’on déroule une peau. Admirable facilité ! et cependant le langage de l’Esprit-Saint est trop lent encore, oui trop lent, dis-je, car Dieu n’a pas étendu les cieux comme tu étends une peau ; qu’on mette en effet devant toi une peau avec des rides et des plis ; commande-lui de s’étendre, étends-la de ta parole. Je ne puis, me réponds-tu ; donc, pour étendre cette peau, tu es loin de cette facilité qui est en Dieu : « Car il a dit, et tout a été fait ae » ; il a dit : « Qu’il y ait un firmament entre les eaux et les eaux, et il en a été ainsi af ». Mais pour marquer la facilité de Dieu, dans ses ouvrages, on te donne cette comparaison, à la portée de ton esprit. 8. Toutefois si nous regardons cette expression comme le voile de quelque mystère, si nous frappons contre cette porte fermée, nous trouvons que Dieu étend le ciel comme une peau, pour nous désigner, par le ciel, la sainte Écriture. Dieu lui a donné tout d’abord une grande autorité dans son Église, puis il a fait le reste. Il plaça donc le ciel, et l’étendit comme une peau, et « comme une peau » n’est pas inutile. Il étendit comme une peau la renommée des prédicateurs ; ce mot de peau désigne la mortalité ; de là vient que les deux premiers hommes, nos deux premiers parents, les premiers auteurs du péché parmi les hommes, Adam et Eve ayant méprisé dans le paradis, et, à la persuasion du serpent, violé le précepte de Dieu, furent assujettis à la mort et chassés du paradis ; or, pour leur faire comprendre cet assujettissement à la mort, Dieu les revêtit de tuniques de peau. Ils reçurent donc ces tuniques faites avec des peaux ag. Or, ce n’est qu’aux animaux morts que l’on enlève la peau, qui dès lors figura la mortalité, Mais si le mot de peau signifie ici l’Écriture, comment Dieu de cette peau a-t-il fait un ciel ? « Il étendit le ciel comme une peau ». C’est que les hommes qui nous ont prêché l’Écriture étaient mortels. Quant au Verbe de Dieu, il est toujours le même, toujours immuable, toujours éternel. Voilà qu’« au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu ah ». L’était-il donc alors, sans l’être maintenant ? il l’est, et le sera toujours. Si donc le Verbe de Dieu est Dieu en Dieu, lis ce Verbe, si tu le peux. Diras-tu qu’il est trop relevé, et que tu ne saurais le lire ? Le Verbe de Dieu est partout ; il atteint avec force, d’une extrémité à l’autre, et s’étend partout à cause de sa pureté ai. « Il était dans ce monde, et le monde a été fait par lui aj ». Et en venant dans ce monde, il y était déjà. Car il y est venu dans sa chair, mais sa divinité n’a point cessé d’y être. Pourquoi donc ne saurais-tu lire le Verbe ? « C’est que le monde par sa sagesse n’a pu reconnaître Dieu dans les œuvres de sa sagesse », bien qu’il fût constitué dans cette même sagesse ; car c’est en elle que tout réside, et ce qui s’y soustrait n’est rien ; et toi, au milieu de ces œuvres, tu ne pouvais connaître Dieu par la sagesse humaine. Il fallait donc nécessairement, comme le dit ensuite saint Paul « qu’il plût à Dieu de sauver par la folie de la prédication ceux qui croiront en lui ak ». Mais si c’est par la folie de la prédication que doivent être sauvés ceux qui croient, Dieu a donc choisi un moyen mortel ; il a mis en œuvre des hommes mortels, des hommes qui doivent mourir, il a employé des langues mortelles, à donner des sons mortels ; se servant donc d’instruments mortels pour un ministère mortel, il en a fait un ciel pour toi, afin de te montrer dans des choses périssables ce Verbe qui né meurt point, et de te rendre participant de cette immortalité. Moïse vécut, et il mourut. Dieu lui dit : « Va sur la montagne pour y mourir al ». Jérémie est mort, et tous les Prophètes sont morts ; et les paroles de ces morts, paroles qui étaient moins les leurs que de Celui qui parlait en eux, et qui « étend les cieux comme une peau », ont subsisté jusqu’à nous. Le voilà délivré de cette vie, cet Apôtre qui disait : « Être délivré et avec le Christ, est pour moi plus avantageux am » ; il vit maintenant avec le Christ aussi bien que tous les autres Prophètes. Mais par quel moyen nous a-t-il laissé ce que nous lisons de ses écrits ? Par ce qu’il y avait de mortel en lui, sa bouche, sa langue, ses dents, ses mains ; voilà ce qui a servi à Paul d’instruments pour nous laisser ce que nous lisons : le corps obéissait à l’âme, et l’âme à Dieu ; le ciel fut donc étendu comme une peau. Nous qui sommes sous le ciel comme sous la tenture des saintes lettres, nous lisons tant que Dieu la déploie. « Car elle doit être ensuite repliée comme un livre an ». Ce n’est point sans raison que l’on compare ici l’Écriture à un livre, là à une peau. Il y a là pour nous une figure. Quant aux saintes Écritures, c’est la parole des morts qui s’étend ; elle s’étend dès lors comme une peau, et d’autant plus qu’ils sont morts. Car ce n’est qu’après leur mort, que les Prophètes et les Apôtres furent connus. Vivants ils étaient ignorés, ces Prophètes connus pendant leur vie en Judée seulement, et après leur mort dans toutes les nations. La tenture n’était donc point déroulée pendant leur vie ; le ciel n’était pas encore étendu de manière à couvrir l’univers entier. « Dieu a déployé le ciel comme une tenture ». 9. « Il couvre d’eau ses parties les plus hautes ao ». Voilà ce que nous lisons, et ce que l’on peut très bien prendre à la lettre, Quand Dieu voulut établir le firmament entre les eaux et les eaux, il en fut ainsi ap, et il y eut des eaux inférieures pour arroser la terre, et des eaux supérieures loin de nos regards mais qui sont un objet de notre foi. « Et que les eaux », dit le Prophète, « qui sont au-dessus des cieux, bénissent le nom du Seigneur, car il a dit, et tout a été fait ; il a ordonné, et tout a été créé aq ». Voilà donc le sens littéral de ces paroles, que « Dieu couvre d’eau le plus haut des cieux ». Quel est le sens figuratif ? Car nous avons montré que le mot de peau figurait l’Écriture sainte, l’autorité du Verbe divin, dispersée par des hommes mortels dont la renommée s’est étendue après leur mort. Que signifie donc : « Il couvre d’eau ses parties les plus hautes ? » Quelles hauteurs ? Du ciel. Et qu’est-ce que le ciel ? La sainte Écriture. Quels sont les endroits supérieurs de la sainte Écriture ? Que trouvons-nous de plus élevé dans les saintes lettres ? Interroge saint Paul : « Je vous montre, dit-il, une voie bien supérieure encore ar ». Que peut-il appeler une voie bien supérieure ? « Quand je parlerais les langues des hommes et celles des anges, sans avoir la charité, je ne suis qu’un airain sonore, une cymbale retentissante as ». Si donc on ne saurait trouver dans les saintes Écritures rien de supérieur à la charité, comment couvrir d’eau les hauteurs des cieux, si les préceptes supérieurs des saintes Écritures sont la charité ? Écoute comment : « L’amour de Dieu », dit l’Apôtre, « est répandu dans nos cœurs, par d’Esprit-Saint qui nous a été donné at ». Ce mot seul de répandre marque les saintes eaux dans la charité de l’Esprit-Saint. Telles sont les eaux dont il est dit quelque part : « Que vos eaux coulent dans vos rues, et que nul étranger n’y ait part au ». Ces étrangers sont tous les hommes en dehors du sentier de la vérité, soit païens, soit Juifs, soit hérétiques, soit même mauvais chrétiens ; ils peuvent avoir des dons nombreux, mais non la charité. Et quel est ce don, mes frères ? Ne parlons point des dons du dehors, que partagent les autres hommes, puisque Dieu fait lever son soleil sur les bons et sur les méchants av ; de ces dons qui viennent de Dieu, à la vérité, biens communs non seulement aux bons et aux méchants, mais encore aux animaux, aux bêtes de somme. Être, vivre, voir, sentir, écouter, jouir des bienfaits des autres sens, voilà des dons qui viennent de Dieu : mais voyez avec combien de créatures, et quelles créatures nous les partageons, et auxquelles nous ne voudrions pas ressembler. Les hommes les plus méchants ont aussi l’esprit vif et pénétrant ; de vils comédiens ont l’adresse et la souplesse ; des voleurs ont de grandes richesses, des méchants ont une femme et des enfants. Ces dons excellents viennent de Dieu, nul n’en doute ; mais voyez avec qui tout cela nous est commun. Maintenant jette les yeux sur les dons de l’Église. Quelles richesses dans le baptême, dans l’Eucharistie et dans les autres sacrements ! Et néanmoins, Simon le magicien y prit part aw. Quels dons chez les Prophètes ! Et néanmoins Saül, ce roi réprouvé, prophétisa, et il prophétisa quand il persécutait David qui était saint. Il envoie des archers prendre David, et David était alors au milieu des Prophètes, du nombre desquels se trouvait Samuel, ce saint personnage tous furent saisis de l’esprit de prophétie, et prophétisèrent. Mais peut-être est-ce parce qu’ils étaient venus avec de bonnes intentions, par la seule nécessité de leur charge, ou sans vouloir obéir à l’ordre qu’ils avaient reçu. Saül en envoya d’autres qui firent comme les premiers ; et si nous leur prêtons les mêmes intentions, voilà que Saül, parce qu’ils tardaient à revenir, y alla lui-même dans sa fureur, ne respirant que le meurtre, et tout altéré d’un sang innocent, qu’il payait d’ingratitude : ce fut alors qu’il fut saisi de l’esprit de prophétie, et qu’il prophétisa ax. Ils n’ont donc point à se vanter, ceux qui ont reçu de Dieu quelques dons, comme le baptême, sans avoir la charité ; mais bien, qu’ils pèsent le compte qu’ils doivent rendre à Dieu, puisqu’ils n’usent pas saintement des choses saintes. C’est parmi eux que l’on dira : « Nous avons prophétisé en votre nom ». On ne répondra point : Vous mentez ; mais on leur dira : « Je ne vous connais point, retirez-vous de moi, ouvriers d’iniquité ay. Car j’aurais en vain l’esprit de prophétie, je ne suis rien si je n’ai l’esprit de charité az ». Saül prophétisa, et il était un ouvrier d’iniquité. Or, qui fait l’iniquité, sinon celui qui n’a point la charité ? « Car la charité est la plénitude de la loi ba ». Que signifie dès lors : « Il couvre d’eau ses hauteurs ? » C’est que, dans toutes les Écritures, c’est la charité qui est la voie la plus élevée, qui obtient le plus haut rang ; qu’il n’y a que les bons pour y arriver ; que les méchants n’y ont aucune part ; qu’ils peuvent avoir part au baptême, avoir part aux autres sacrements, avoir part aux prières publiques, être dans les murailles de l’Église, et dans l’unité extérieure, mais qu’ils n’ont point de part avec nous dans la charité. Telle est la source de tous les biens, la source propre aux saints, et dont il est dit : « Que nul étranger n’ait part avec toi bb ». Quels sont les étrangers ? tous ceux qui entendent : « Je ne vous connais point ». Puisqu’on ne les connaît point, puisqu’on leur dit : « Je ne sais qui vous êtes », ils sont bien des étrangers. La voie suréminente de la charité est donc proprement pour ceux qui appartiennent au royaume des cieux. Donc le précepte de la charité domine les cieux, domine tous les livres ; puisque les livres lui sont subordonnés, puisque c’est pour elle que combat toute langue des saints, tout mouvement des dispensateurs de Dieu, soit de l’intérieur, soit de l’extérieur. C’est donc là une voie suréminente, et c’est avec raison que Dieu couvre d’eau les hauteurs du ciel ; car, dans les livres saints, on ne trouve rien de supérieur à la charité. 10. Mais écoute plus clairement encore ce qu’est l’eau. Nous avons dit que la charité est répandue dans nos cœurs par l’Esprit-Saint qui nous a été donné bc. Nous avons dit encore : « Que les eaux coulent dans nos rues bd ». Mais, me dira quelqu’un, rien ne dit qu’il faut entendre par là la charité : et s’il plaisait à un autre d’y assigner un autre sens ? Souviens-toi seulement de cette parole de l’Apôtre. « La charité est répandue dans nos cœurs ». Comment ? « Par l’Esprit-Saint, qui nous a été donné ». Écoute maintenant le Maître des Apôtres : « Si quelqu’un a soif, qu’il vienne et qu’il boive ». Qu’il poursuive encore : « Si quelqu’un croit en moi, des fleuves d’eau vive jailliront de ses entrailles ». Qu’est-ce à dire ? Que l’Évangéliste nous l’explique « Or, il parlait ainsi de l’Esprit que devaient recevoir ceux qui croiraient en lui : car l’Esprit-Saint n’était pas encore envoyé, parce que Jésus n’était pas encore glorifié ». Donc, mes frères, si l’Esprit-Saint n’était pas encore envoyé, après qu’il fut glorifié par son ascension au ciel, le Saint-Esprit fut envoyé be, et les Apôtres furent remplis de cette charité bf, qui fut répandue dans leurs cœurs par l’Esprit–Saint qui leur était donné, parce que les hauteurs des cieux sont couvertes d’eau. Et cela est marqué par l’ascension du Sauveur, qui dut dominer les cieux, et de là répandre la charité. Pour Dieu, en effet, couvrir n’est pas être soutenu par ce qu’il couvre ; il soutient lui-même ce qu’il couvre sans le surcharger : si donc il couvre d’eau les cieux, c’est plutôt de manière qu’ils soient soutenus par l’Esprit-Saint. Ce qui soutient est en haut, ce qui est soutenu est en bas ; l’un suspend, l’autre est suspendu. Si donc l’un suspend, si l’autre est suspendu, écoute bien que le ciel des Écritures est suspendu à la charité. Il y a en effet deux préceptes de la charité qui sont très connus : « A ces deux préceptes sont suspendus la loi et les Prophètes bg. Or, le Seigneur couvre d’eau ses hauteurs ». 11. « Il se fait des nuées une échelle ». On peut très bien l’entendre à la lettre. Le Seigneur est monté visiblement au ciel. Comment les nuées lui ont-elles servi d’échelle ? « Quand il parlait ainsi, une nuée le reçut bh ». C’est encore ce qui doit arriver à notre résurrection : « Et ceux », dit l’Apôtre, « qui sont morts en Jésus-Christ ressusciteront les premiers ; ensuite nous qui sommes en vie, nous u serons enlevés avec eux sur les nuées, pour aller dans les airs au-devant du Christ ; et ainsi nous serons éternellement avec lui bi ». Voyez les nuées qui sont l’échelle du ciel : je vais vous montrer aussi dans ces nuées l’échelle de cet autre ciel, ou des saintes Écritures. Qu’est-ce à dire, mes frères ? Puisse le Seigneur mon Dieu me mettre au nombre de ces nuées, quelles qu’elles soient. Il sait que je suis une nuée ténébreuse ; et cependant regardez comme des nuées tous les prédicateurs de la vérité. Quiconque est assez infirme pour ne point monter à ce ciel, c’est-à-dire à l’intelligence des saintes Écritures, doit y monter par ces nuées. C’est peut-être ce qui nous arrive à ce moment ; si je dis quelque chose d’utile, si mon travail n’est point inutile pour vous, vous montez au ciel des divines Écritures, ou plutôt vous arrivez à les comprendre, au moyen de ma prédication. Combien était haut le ciel de notre psaume ! Nul d’entre vous ne voyait ce qu’il figurait : « Alors celui qui couvre d’eau ses hauteurs, a étendu le ciel comme une tenture ». Cette expression même qu’« il se fait des nuées une échelle », voilà que notre parole vous l’a fait comprendre autant que Dieu nous en a fait la grâce ; car ce n’est point par elles-mêmes que les nuées répandent la pluie. Montez donc, mes frères, montez par l’intelligence, et que cette intelligence porte en vous ses fruits ; ne soyez point comme cette vigne dont le Prophète a dit : « Je commanderai aux nuées de ne point pleuvoir sur elle bj ». Dieu accusait cette vigne de lui donner des épines au lieu de raisins, et de ne point lui rendre un fruit proportionné à ses pluies douces. Car entendre le bien, et faire le mal, c’est recevoir une pluie douce, pour produire des épines. Ne nous imaginons pas ; mes frères, que Dieu parle ici d’une vigne terrestre et visible. Pour empêcher en effet que l’obscurité de cette comparaison ne serve de voile à l’iniquité, le Seigneur a exposé par la bouche de son Prophète ce qu’il entendait par cette vigne, et il a dit : « Cette vigne du Seigneur des armées, c’est la maison d’Israël ». Pourquoi, hommes d’iniquité, jeter vos cœurs sur les montagnes et les coteaux des vignerons ? Je sais, dit le Seigneur, de quelle ville je veux parler ; je sais où je cherchais des raisins, et n’ai rencontré que des épines. Il est inutile de porter ailleurs vos pensées et vos opinions, sans vouloir comprendre, afin de ne point faire le bien. Car il est écrit aussi : « Il n’a point voulu comprendre, de peur de faire le bien bk ». Bannissez donc de vos esprits toutes ces conjectures. « La vigne du Seigneur des armées, c’est la maison d’Israël ; et l’homme de Juda, c’est le plan choisi bl » ; plan choisi quand il fut planté, plan réprouvé quand il a produit des épines. Direz-vous donc, mes frères, que la maison d’Israël fut la vigne, et que nous ne sommes point la vigne ? Écoutons en tremblant ce qui est dit aux Juifs. Voyez comment l’Apôtre porte l’effroi parmi les branches insérées à propos des branches retranchées bm, et comment, par ces branches retranchées, il nous fait craindre la sévérité, tout en nous signalant la bonté dans les branches insérées. Ne sois donc pas sans fruit au temps de la bonté, afin de ne pas éprouver le châtiment de l’arbre stérile. Mais je ne suis pas une vigne, me diras-tu. Que devient alors cette parole du Seigneur : « Je suis la vigne, et vous êtes les sarments, mon Père est le vigneron bn ? » Que devient ce qu’a dit saint Paul ? « Qui plante une vigne sans en recueillir le fruit bo ? » Tu es donc une vigne, ô sainte Église, et tu as Dieu pour vigneron. Nul vigneron ne peut lui-même arroser sa vigne. Vous donc, mes frères bien-aimés, vous, les entrailles de l’Église, les objets de sa tendresse, les enfants de notre céleste mère, écoutez quand il en est temps. Dieu a menacé cette vigne de la plus terrible vengeance. « Je commanderai aux nuages », dit-il, « de ne point pleuvoir sur elle ». Et il en fut ainsi. Les Apôtres vinrent aux Juifs qui les méprisèrent, et ils répondirent : « Nous étions envoyés vers vous, mais comme vous repoussez la parole de Dieu, nous allons chez les nations. bp » Voyez comment le même esprit de Dieu, qui habite au fond de leur cœur et leur enjoint ce qu’il lui plaît, commande ici aux nuées du Seigneur de ne point pleuvoir sur sa vigne, parce qu’elle a donné des épines bq, au lieu des raisins qu’il attendait. C’est pour cela qu’il s’est fait des nuées une échelle, et qu’il a déployé le ciel comme une tenture. Ne cherchons pas davantage : l’autorité des Écritures englobe toute la terre, les nuées ne cessent de verset’ leurs eaux, on prêche la parole de la vérité, on éclaircit tout ce qui est obscur, afin que vos cœurs se fassent des nuées une échelle. Voyez comment vous devez croire, voyez comment vous devez recevoir cette parole. Après la prédication viendra le juge, après les semailles viendra celui qui doit recueillir. « Il se fait des nuées une échelle ». 12. « Il marche sur les ailes des vents ». Il est difficile de prendre ceci à la lettre, Quelles sont ces ailes des vents ? Allons-nous, comme dans les peintures, nous représenter les vents qui volent, qui ont des ailes ? Il n’y a d’autres vents, mes frères, que ceux que nous sentons, un mouvement, une agitation de l’air, qui pousse avec effort ce qu’il rencontre. Quelles sont les ailes des vents ? Quelles sont même les ailes de Dieu ? Et néanmoins, il est dit : « Ils espéreront à l’ombre de vos ailes br ». Essayons donc de prendre ces paroles à la lettre, comme un fait particulier à cette créature. L’Écriture a signalé quelque part la rapidité de la parole, rapidité dont nous avons déjà parlé dans un autre psaume, où il est écrit « Sa parole court avec rapidité bs ». Or, chacun le sait, rien n’est plus rapide que le vent. De même alors que la tenture nous marquait tout à l’heure la facilité de Dieu dans ses œuvres ; car rien n’est plus facile pour l’homme que de déployer une tenture : de même ici, pour nous marquer que Dieu ou son Verbe est présent partout, et que la rapidité de ses mouvements ne lui fait rien abandonner, car nous ne connaissons rien de plus rapide que le vent, le Prophète nous dit : « Il marche sur les ailes des vents », c’est-à-dire que sa rapidité l’emporte sur la rapidité des vents : en sorte que nous devons comprendre par les ailes des vents leur rapidité, que surpasse de beaucoup la parole de Dieu. Voilà le sens qui se présente tout d’abord : mais frappons à la porte intérieure, et voyons ce que veut dire le Prophète sous cette figure. 13. Il n’est pas absurde, par les vents, d’entendre les âmes ; non que l’âme soit un souffle, mais parce que le vent est invisible, bien qu’il soit corporel et qu’il renverse les corps ; néanmoins il se dérobe à la perspicacité de l’œil humain ; notre âme aussi, étant invisible, nous pouvons, sous le nom des vents, comprendre les âmes. De là cette expression, que Dieu souffla l’esprit de vie dans l’homme qu’il venait de former, et que « l’homme eut une âme vivante bt ». Le vent peut donc très bien désigner les âmes dans le sens allégorique. Et toutefois n’allez point croire que ce mot d’allégorie je l’emprunte aux pantomimes certains mots, en effet, parce qu’ils sont des mots, et que la langue les prononce, nous sont communs avec les jeux du théâtre qui n’ont rien d’honnête ; mais ces expressions ont un sens dans l’Église, et encore un sens au théâtre. Je n’ai rien dit ici que l’Apôtre n’ait dit lui-même, quand, à propos des enfants d’Abraham, il s’écrie : « Tout ceci est une allégorie bu ». Il y a allégorie quand les paroles semblent nous indiquer un sens, et que l’intelligence en voit un autre. Ainsi, dire que le Christ est l’agneau bv, est-ce dire pour cela qu’il est réellement un agneau ? Dire qu’il est le lion bw, est-ce dire qu’il est animal ? Dire qu’il est la pierre bx, est-ce dire qu’il en a la dureté ? Dire qu’il est la montagne by, est-ce dire qu’il est un monceau de terre ? C’est ainsi que beaucoup d’expressions semblent désigner un objet, et en désignent un autre en réalité : telle est l’allégorie. Si l’on croit que j’ai emprunté au théâtre le mot d’allégorie, on peut croire également que le Seigneur a aussi pris au théâtre celui de parabole. Voyez à quoi nous oblige une ville qui a tant de spectacles ; je parlerais plus librement à la campagne ; et mes auditeurs n’auraient sans doute connu que par les saintes Écritures le mot d’allégorie, Si donc nous disons que l’allégorie est une figure, il y a allégorie chaque fois qu’un mystère est figuré. Que faut-il dès lors comprendre ici : « Il marche sur l’aile des vents ? » Nous avons dit que les vents peuvent très bien figurer les âmes. Quelles sont les ailes des vents ou des âmes, sinon ce qui leur sert pour s’élever en haut ? Or, les ailes des âmes sont les vertus, les bonnes œuvres, les actions droites. Toutes les plumes forment deux ailes, comme tous les préceptes se résument en deux préceptes. Quiconque aime Dieu et son prochain, a une âme pourvue d’ailes, d’ailes très libres, et il s’élève par l’amour vers le Seigneur. Quiconque s’embarrasse dans un amour charnel, n’a que des ailes pleines de glu. Si l’âme n’avait des plumes et des ailes, comment dirait-elle en gémissant dans ses tribulations : « Qui me donnera des ailes comme à la colombe ? » et encore : « Je volerai, puis me reposerai bz ». Ailleurs encore : « Où irai-je, pour fuir votre esprit ? où fuir devant votre face ? Si je monte au ciel, vous y êtes ; si je descends au fond des enfers, vous voilà. Si je prends des ailes comme la colombe, je volerai jusqu’aux extrémités de la mer ca ». Comme s’il disait : Je ne puis éviter votre colère qu’en prenant les ailes de la colombe, pour voler jusqu’à l’extrémité des mers. Et s’envoler à l’extrémité des mers, c’est étendre ses espérances jusqu’à la fin des siècles, comme l’a dit encore le Psalmiste : « Tout est labeur devant moi, jusqu’à ce que j’entre dans le sanctuaire du Seigneur, et que je comprenne la fin des méchants cb ». Comment est-il parvenu aux extrémités de la mer, même avec des ailes ? « C’est là », répond-il, « que votre main me conduira, que votre droite me fera parvenir cc. Même avec mes ailes, je tomberai, si vous ne me soutenez. Les ailes solides, libres et dégagées de toute glu, sont donc pour les âmes qui observent les préceptes de Dieu, qui ont la charité dans une conscience pure, et une foi sans feinte cd. Mais quels que soient les feux de leur charité, qu’est-ce que cela, en le comparant à cet amour que Dieu avait pour elles, même quand elles étaient embarrassées par la glu ? L’amour de Dieu pour nous, surpasse donc le nôtre pour lui. Nos ailes sont notre amour ; mais lui « marche sur les ailes des vents ». 14. L’Apôtre disait aussi à quelques-uns : « Je fléchis le genou pour vous devant le Père, afin que selon l’homme intérieur, il fasse habiter le Christ en vos cœurs par la foi, afin que vous soyez enracinés et fondés dans la charité ». Il leur donne déjà la charité, il leur donne déjà des plumes et des ailes. « Afin que vous puissiez comprendre », nous dit-il, « quelle est la largeur, la longueur, la hauteur, la profondeur ce ». Peut-être désigne-t-il ici la croix du Seigneur. C’était une largeur sur laquelle furent étendues ses mains sacrées une longueur qui s’élevait de la terre et où était fixé son corps ; une hauteur qui dépassait le bois transversal ; une profondeur sur laquelle était affermie la croix, et qui est toute l’espérance de notre salut. Largeur, en effet, signifie bonnes œuvres ; longueur, la persévérance finale ; hauteur, l’élévation du cœur, afin que toutes les bonnes œuvres, par lesquelles nous persévérons jusqu’à la fin, n’aient d’autre motif que l’espérance des récompenses du ciel, et nous donnent ainsi l’ampleur du bien, et la longueur par la persévérance finale. Il y a hauteur en effet à ne point chercher ici-bas sa récompense, mais en haut : de peur qu’on ne nous dise : « En vérité, je vous le déclare, ils ont reçu leur récompense cf ». Enfin ce que j’ai appelé profondeur était cette partie de la croix qu’on ne voyait pas, et d’où s’élevait ce que l’on en voyait. Or, qu’y a-t-il dans l’Église de caché, et qu’on ne voit point ? Les sacrements du baptême et de l’eucharistie. Car les païens voient nos bonnes œuvres, mais les sacrements leur sont cachés ; et toutefois ce qui est visible s’élève sur ce qui ne paraît point, comme c’est de la profondeur de la croix cachée en terre que s’élève cette croix que l’on voit, qui frappe nos regards. Que dit ensuite l’Apôtre ? Après avoir ainsi parlé, l’Apôtre ajoute : « Afin que vous connaissiez l’amour de Jésus-Christ qui surpasse toute connaissance cg ». Et déjà il avait dit : « Afin que vous soyez enracinés et affermis dans la charité de Jésus-Christ ». Vous aimez en effet le Christ, et dès lors vous travaillez en sa croix. Mais l’aimez-vous autant qu’il vous a aimés ? Toutefois en l’aimant comme vous l’aimez, vous volez à lui, afin de connaître combien il vous a aimés, c’est-à-dire afin de comprendre l’amour du Christ qui dépasse toute science. Vous l’aimez donc autant qu’il vous est possible, et vous volez autant que vous le pouvez ; mais « celui qui marche sur les ailes des vents » s’élève bien au-dessus de ces mêmes ailes. 15. « Il fait des esprits ses messagers, et de ses ministres des feux ardents ch ». Et cela, bien que nous ne voyions pas les anges : leur présence est dérobée à nos yeux ; ils sont les citoyens de cette grande république dont Dieu est le chef. Toutefois nous savons par la foi qu’il y a des anges, et par l’Écriture qu’ils sont apparu à plusieurs. Nous en sommes certains, et le doute ne nous est pas permis. Or, les anges sont des esprits ; mais ils ne sont point des anges par cela même qu’ils sont des esprits ; ils ne le deviennent que quand ils sont envoyés ; car le nom d’ange désigne un ministère, et non une nature. Tu cherches le nom de cette nature, c’est celui d’esprits ; le nom de leur ministère, c’est celui d’anges. Exister, pour eux, c’est être esprits ; agir, c’est devenir anges. Voyez en effet dans ce genre humain : homme est le nom de la nature ; soldat un nom d’office : homme est le nom qui convient à la nature ; héraut celui qui convient à son ministère : c’est-à-dire que celui qui est homme, devient un héraut, mais de héraut on ne devient pas homme. Il en est de même de ces esprits que Dieu créa dès le commencement du monde ; il en fait des anges en les envoyant porter ses ordres, et ses ministres sont des feux ardents. Nous lisons en effet qu’il apparut dans un buisson ardent ci, et nous lisons encore qu’il fit tomber du ciel un feu qui exécuta ses volontés. Il fut donc sou ministre en accomplissant ses ordres. Être feu, c’était là sa nature, accomplir des ordres, c’était pour lui un ministère. On peut donc à la lettre entendre ces paroles des créatures. 16. Mais quel sens leur donnerons-nous dans l’Église ? Dans quel sens dirons-nous que « Dieu prend des esprits pour ses messagers, et des feux ardents pour ses ministres ? » Par ces esprits il faut entendre ceux qui sont spirituels. Or, Dieu se sert de ceux qui sont spirituels, pour en faire ses messagers. « Car l’homme spirituel juge de tout, et ne subit le jugement de personne cj ». Voyez l’homme spirituel devenu ange de Dieu. « Je n’ai pu parler comme à des hommes spirituels, mais bien comme à des hommes charnels ck ». Il descend de sa hauteur spirituelle pour aller à des hommes charnels, comme un ange du ciel qui vient sur la terre. Quel sens donner à ces ministres qui sont un feu ardent, sinon celui que saint Paul exprime : « Ayez la ferveur de l’Esprit cl ? » En sorte que tout homme à l’âme fervente, sera le feu ardent ministre du Seigneur. N’était-ce donc pas un feu ardent que saint Étienne ? Quel feu le brûlait ? Quel était ce feu qui le portait à prier quand on le lapidait, et pour ceux qui le lapidaient cm ? Dire qu’un serviteur de Dieu est une flamme, est-ce dire qu’il va tout brûler ? Qu’il brûle sans doute, mais qu’il, brûle ce qui est paille chez toi, c’est-à-dire que le ministre de Dieu brûle tous tes désirs charnels, en prêchant la parole de Dieu. Écoute celui-ci : « Que l’homme nous regarde comme les ministres du Christ, et les dispensateurs des mystères de Dieu cn ». De quelle flamme n’était-il pas embrasé, quand il disait : « Notre bouche vous est ouverte, ô Corinthiens, notre cœur s’élargit co ». Il était alors tout ardent, tout brûlant de charité, et il leur portait cette flamme sacrée. Tel est le feu que le Seigneur promettait d’envoyer sur la terre, quand il disait : « Je suis venu apporter le feu sur la terre cp ». Il parle du feu comme du glaive cq. Le glaive tranche les affections charnelles, le feu les consume. L’un et l’autre doivent s’entendre de la parole de Dieu, se reconnaître dans son esprit. Laisse-toi brûler par cette parole que tu entends, et vois ce qu’aura lait en loi le ministre de Dieu, « qui fait des esprits ses messagers, et du feu dévorant son ministre ». 17. « Il a fondé la terre sur sa propre base, elle ne sera pas ébranlée de siècle en siècle cr ». Je ne sais s’il serait possible d’adapter ces paroles à notre terre, et si l’on pourrait dire : « Elle ne sera pas ébranlée de siècle en siècle » ; puisqu’il est dit d’elle : : « Le ciel et la terre passeront cs ». Il est difficile d’assigner ici un sens littéral. Cette expression, en effet : « Il a fondé la terre sur sa propre solidité », pourrait nous faire croire à une solidité inconnue qui soutient la terre. Aussi le Prophète a-t-il dit : « Il a fondé », sur quoi ? sur la solidité de la terre même, appuyée à son tour sur une base qui nous est peut-être inconnue. Que la création nous dérobe des mystères, cette obscurité, chez les créatures, ne nous dérobera point le créateur ; voyons ce qu’il nous est possible, et par ce que nous voyons, aimons et bénissons le Seigneur. Efforçons-nous de chercher ici ce qui est caché sous cette figure. « Il a fondé la terre », et par là j’entends l’Église. « La terre est au Seigneur, et tout ce qu’elle renferme ct » ; et par cette terre nous comprenons l’Église. Telle est la terre qui a soif, et qui dit dans les psaumes, car une seule parle pour toutes : « Mon âme est sans vous comme une terre sans eau cu ». Qu’est-ce à dire, « sans eau ? » Une terre qui a soif. Mon âme a donc soif de vous, comme une terre sans eau ; car si elle n’est altérée, elle ne peut être bien arrosée. Pour une âme abreuvée, la pluie est un déluge, il faut qu’elle ait soif. « Bienheureux ceux qui ont faim et soif de la justice cv ». Qu’elle dise : « Mon âme est sans vous comme une terre sans eau » ; comme elle dit ailleurs : « Mon âme a eu soif du Dieu vivant cw ». Cette terre est donc l’Église. Quelle est cette solidité sur laquelle elle est basée, sinon son fondement ? Est-ce déroger que d’entendre par cette solidité sur laquelle la terre est basée, ce fondement qui est l’appui de l’Église ? Quel est ce fondement ? « Nul », dit l’Apôtre, « ne saurait poser un fondement autre que celui qui est posé, et qui est Jésus-Christ cx ». Voilà donc ce qui nous affermit. Aussi, affermis de la sorte, ne serons-nous pas ébranlés de siècle en siècle ; rien n’est plus inébranlable que ce fondement. Tu étais infirme, mais un fondement aussi solide te rassure. Appuyé sur toi-même, tu ne pouvais être solide, mais tu seras toujours ferme, si tu ne t’écartes jamais de ce fondement. « Il ne sera pas ébranlé de siècle en siècle ». L’Église, en effet, est destinée à servir de colonne et de fondement à la vérité cy. 18. « L’abîme est pour lui comme un vêtement ; ses eaux dépassent les montagnes. Elles fuiront à votre menace, et seront ébranlées à la voix de votre tonnerre. Les montagnes s’élèvent et les campagnes s’abaissent au lieu que vous leur assignez. Vous leur avez fixé des bornes qu’elles ne dépasseront point, elles ne reviendront point couvrir la terre. Vous envoyez les fontaines dans les vallons ; leurs eaux coulent à travers les montagnes. C’est là que s’abreuvent les animaux des champs, l’onagre y étanchera sa soif. Les oiseaux du ciel habiteront leurs bords, et feront entendre leur voix du milieu des rochers. Vous arrosez les montagnes des pluies du ciel, la terre sera rassasiée des fruits que répandent vos mains. Vous produisez le foin pour les animaux, et les plantes pour le service de l’homme. Afin de tirer de la terre le pain, et le vin qui réjouit le cœur de l’homme, les parfums qui embellissent sa face, et le pain qui affermit ses forces. Les arbres des campagnes seront abreuvés, et les cèdres du Liban plantés par le Seigneur. C’est là que les oiseaux font leur nid, le nid des foulques est à leur tête cz ». Voilà le ciel étendu ; vous voulez, je le crois, y monter par la pensée ; et je crois encore que vous en mesurez la hauteur. J’ai voulu, en effet, vous citer plusieurs versets, afin que vous compreniez mieux à quelle hauteur Dieu élève ses mystères. On dédaigne ce que l’on découvre, quand il est facile de le trouver : aussi la recherche de ces vérités nous est-elle pénible, afin que la découverte en soit plus agréable. Dans tout ce que je viens de dire, mes frères, et que l’on peut prendre à la lettre, peut-on aussi prendre à la lettre cette parole : « C’est là que les oiseaux feront leurs nids, le nid des foulques est à leur tête ? » La famille de la cigogne est-elle à la tête des oiseaux ? ou bien serait-elle à la tête des cèdres ? Car il y a dans le texte : « Et les cèdres du Liban qu’il a plantés, c’est là que les oiseaux feront leur nid, et le nid des foulques est à leur tête ». Toutefois le latin ne nous permet pas de traduire comme s’il y avait « de ces cèdres » ; puisque dans cette langue « ces » est masculin, tandis que « cèdres » est féminin. Comment alors la famille des foulques est-elle à la tête des passereaux ? Cela ne peut se dire de l’oiseau que nous avons sous les yeux. Le mot « foulques » ou fulicae désigne des oiseaux de la mer ou des étangs. Prenons pour la maison des foulques, domus fulicae, leur nid : comment le nid des foulques est-il un guide pour les oiseaux ? Pourquoi l’Esprit-Saint mêle-t-il aux choses visibles des choses qui paraissent absurdes, sinon pour nous forcer à chercher un sens spirituel, quand nous ne pouvons accepter le sens littéral ? 19. Si donc vous voulez par l’intelligence vous élever jusqu’au ciel, à ce pavillon que Dieu a déployé, si Dieu fait monter cette intelligence au-dessus des nuées ; cette nuée qui vous parle est impuissante à vous expliquer aujourd’hui tant de choses. Épargnez sinon votre faiblesse, du moins la mienne. L’avidité que vous témoignez me fait croire que vous seriez toujours prêts ; mais il est ici deux points que nous ne saurions dédaigner, notre faiblesse corporelle, et le souvenir de ce que nous expliquons, voilà ce qui est à considérer. En attendant, réfléchissez à ce que vous avez entendu. Qu’ai-je dit ? Digérez votre nourriture, et vous serez ainsi des animaux purs, propres aux festins du Seigneur. Remarquez par vos œuvres le fruit que vous recueillez ; car c’est mal digérer que bien entendre, et ne pas bien faire ; et Dieu ne cesse de nous donner une nourriture solide. Or, chacun sait que nous rendrons compte du pair ! que nous avons reçu, et que nous distribuons. Votre charité le sait très bien, l’Écriture n’est pas sans nous en avertir, et Dieu ne nous flatte point. Voyez avec quelle liberté nous vous parlons, du lieu où nous sommes : et quand moi-même, quand ceux qui vous parlent de ce lieu serions moins libres, la parole de Dieu ne redoute personne. Pour nous, que nous soyons sous le coup de la crainte, ou en pleine liberté, nous devons prêcher Celui qui ne craint personne. C’est une grâce qui vous vient de Dieu et non des hommes, que vous entendiez cette parole si libre par la bouche d’hommes qui sont timides. Au jugement de Dieu, vous n’aurez aucune excuse, si vous ne vous appliquez à l’exercice des bonnes œuvres, et ne portez un fruit proportionné aux paroles que nous répandons sur vous comme une pluie céleste. Ce fruit proportionné consiste dans les bonnes œuvres : ce fruit proportionné est un amour sincère non seulement de vos frères, mais aussi de vos ennemis. Ne méprise aucun suppliant ; et si tu ne peux lui donner ce qu’il te demande, au moins, ne le méprise pas. Si tu peux le lui donner, donne-le ; si tu ne le peux, sois du moins affable. Dieu couronne la volonté intérieure, quand il ne voit pas en nous le pouvoir. Que nul ne dise : je n’ai rien. Ce n’est point d’un coffre que la charité tire ce qu’elle donne : mais tout ce que nous disons, tout ce que nous avons dit, tout ce que nous pouvons dire encore, ou nous, ou ceux qui viendront après nous, ou ceux qui nous ont précédé, tout cela n’a d’autre but que la charité, car la fin de la loi c’est la charité émanant d’un cœur pur, d’une conscience irréprochable, d’une foi sans feinte da. En priant Dieu, interrogez vos cœurs, et voyez comment vous récitez ce verset : « Pardonnez-nous nos offenses, comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés » db. On ne prie point, si l’on ne fait cette prière ; Dieu n’exauce point, si l’on récite une autre prière, parce qu’elle ne nous a pas été enseignée par le jurisconsulte qu’il nous a envoyé. Il faut donc nécessairement que toutes les paroles que nous ajoutons, soient réglées sur cette prière, et qu’en récitant les paroles, nous comprenions ce que nous disons, parce que Dieu a voulu la rendre claire. Si donc vous ne priez point, vous n’avez point l’espérance ; si vous priez autrement que le maître a enseigné, vous ne serez point exaucés ; et si vous mentez en priant, vous n’obtiendrez point. Il faut donc prier, et en priant dire vrai, et prier comme Dieu nous a enseigné. Bon gré, malgré, il te faut dire tous les jours : « Pardonnez-nous nos offenses comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés ». Et veux-tu le dire en toute sûreté ? Crois alors ce que tu dis. DEUXIÈME DISCOURS SUR LE PSAUME 103
DEUXIÈME SERMON. – DEUXIÈME PARTIE DU PSAUME.
LE MONDE INVISIBLE DANS LE MONDE VISIBLE.
Dieu nous dérobe quelque peu ses enseignements, afin de nous stimuler à les chercher. Cette lumière dont il est revêtu, c’est l’Église ; l’eau qui couvre les hauteurs du ciel, c’est la charité ; la terre fondée sur la solidité de Dieu, c’est l’Église fondée sur le Christ, inébranlable comme lui. C’est encore l’Église qui a pour vêtement l’abîme ou les eaux de la persécution qui couvrirent jusqu’aux plus hautes montagnes, c’est-à-dire Jusqu’aux Apôtres qui devenaient invisibles, mais demeuraient inébranlables. Mais la menace de Dieu a dissipé ces eaux de la persécution, et les empereurs sont devenus chrétiens. Dieu qui fait les montagnes et les vallées, a renversé l’orgueil des persécuteurs qui ne prévaudront plus. Alors les eaux de la doctrine couleront du milieu des montagnes, c’est-à-dire que les docteurs auront une doctrine commune, et n’enseigneront rien qui leur soit propre. Quiconque parle de lui-même aboutit au mensonge. 1. Je sais que vous me regardez comme votre débiteur, non par nécessité, mais ce qui est bien plus fort, par la charité. Je suis donc redevable tout d’abord au Seigneur notre Dieu, qui habite en vous, et qui exige de moi cet acquittement ; ensuite à mon seigneur et Père qui est présent, qui m’ordonne de parler, et qui prie pour moi : enfin à la sainte violence qui vous porte à me faire parler, dans mon état de faiblesse. Néanmoins autant que me le permettra le Seigneur, qui daignera me donner des forces, selon la prière que vous lui en faites, puisque nous avons expliqué l’autre jour la première partie de ce psaume, j’entreprends de vous expliquer la suite, et d’en finir avec la grâce de celui au nom de qui j’ai commencé. Vous, qui étiez présents, j’avais averti votre charité, des figures mystérieuses qui composent le psaume tout entier, parce que le plaisir de trouver est proportionné a la peine de chercher. Dieu ne veut point nous les dérober par l’obscurité, mais les assaisonner par la difficulté ; afin, comme nous l’avons dit plusieurs fois, d’ouvrir à ceux qui demandent, de faire trouver à ceux qui cherchent, et entrer ceux qui frappent dc. Mais nous avons besoin de votre part d’un silence plus profond, d’une plus grande patience, afin que le peu que nous avons à dire ne nous prenne plus de temps à cause du bruit. Notre temps est restreint, et nous devons nous borner, votre charité sait bien qu’il nous faut assister aux obsèques d’un fidèle. Ne nous forcez donc point de répéter ce qui est dit, d’expliquer de nouveau les premiers versets. Si quelques-uns y ont manqué, je n’y puis rien. Peut-être leur sera-t-il bon de ne pas bien comprendre ce que comprendront facilement ceux qui m’ont entendu, afin qu’ils apprennent à se trouver à nos assemblées. Parcourons donc le psaume. 2. « Bénis le Seigneur, ô mon âme dd ». Que l’âme de chacun de nous, devenue une seule âme dans le Christ, répète aussi : « Seigneur, mon Dieu, vous avez été grandi à l’excès ». Comment grandi ? Parce que « vous vous êtes revêtu de confession et de beauté ». Offrez donc à Dieu cette confession, afin d’être embellie, afin qu’il vous revête « celui qui s’environne de lumière comme d’un vêtement de », qui s’est revêtu de son Église, et lui a donné La splendeur de la lumière, à elle qui par elle-même était ténèbres, selon cette parole de l’Apôtre : « Autrefois vous étiez ténèbres, aujourd’hui vous êtes lumière en Jésus-Christ df. C’est lui qui étend le ciel comme un pavillon ». C’est-à-dire, dans le sens littéral, aussi facilement que tu étends une peau ; ou bien par cette peau qui figure la mortalité, nous pouvons entendre l’autorité des Écritures qui couvre le monde entier ; et cette autorité des Écritures nous est venue par des hommes mortels dont la renommée s’étend après leur mort. 3. « Lui qui couvre d’eau ses hauteurs dg ». Les hauteurs de quoi ? du ciel. Qu’est-ce que le ciel ? Nous avons dit qu’en figure c’est l’Écriture sainte. Quelle est la partie supérieure des saintes Écritures ? Le précepte de la charité qui domine tout. Pourquoi comparer la charité à des eaux ? « Parce que l’amour de Dieu a été répandu dans nos cœurs par l’Esprit-Saint qui nous a été donné dh ». Comment le Saint-Esprit est-il désigné par l’eau ? Parce que « Jésus était là criant et disant : Si quelqu’un a soif, qu’il vienne à moi et qu’il boive. Celui qui croit en moi verra des fleuves d’eau vive sortir de ses entrailles ». Comment prouver que cela s’applique au Saint-Esprit ? Que l’Évangéliste nous le dise lui-même, lui qui ajoute : « Or, il parlait ainsi de l’Esprit-Saint que devaient recevoir ceux qui croiraient en lui di ». « Il marche sur les ailes des vents », c’est-à-dire sur les vertus des saintes âmes. Qu’est-ce que la vertu de l’âme ? La charité. Or, comment Dieu marche-t-il sur la charité ? Parce que la charité de Dieu pour nous, est bien supérieure à la nôtre pour lui. 4. « Il prend des esprits pour ses anges, et la flamme ardente pour ministre dj » ; c’est-à-dire qu’il se fait des messagers, de ces hommes qui sont des esprits, qui sont spirituels et non plus charnels, en les envoyant prêcher son Évangile. « Et la flamme ardente est son ministre ». Car si le prédicateur ne brûle du feu sacré, il ne peut l’allumer chez les autres. 5. « Il a fondé la terre sur sa propre solidité dk ». Il a affermi l’Église sur la solidité de l’Église. Qu’est-ce que la solidité de l’Église, sinon la base de l’Église ? Et quelle est la base de l’Église, sinon celle dont parle l’Apôtre : « Nul ne peut poser un fondement autre que celui qui a été posé, et qui est le Christ Jésus dl ? » Dès lors, appuyée sur une semblable base, qu’a-t-elle mérité d’entendre ? « Elle ne sera point ébranlée dans la suite des siècles : il a fondé la terre sur sa propre solidité », c’est-à-dire affermi l’Église sur le Christ qui en est le fondement. L’Église sera ébranlée, si ce fondement est ébranlé : mais comment serait ébranlé ce Christ qui, avant de venir à nous et de prendre notre chair, « avait tout fait, et rien n’avait été fait sans lui dm », qui embrasse tout dans sa majesté, et nous dans sa bonté ? Mais le Christ est immuable, et dès lors l’Église « ne sera point ébranlée de siècle en siècle ». Où sont-ils, ces hommes qui nous disent qu’elle a disparu du monde, cette Église qui ne peut même pas être ébranlée ? 6. Mais d’où le Seigneur a-t-il commencé à parler de cette Église, à en jeter les bases, à la révéler, à la manifester, à la répandre ? D’où a-t-il commencé cet ouvrage ? Qu’y avait-il auparavant ? « Car il a fondé la terre sur sa stabilité, et de siècle en siècle elle ne sera point ébranlée. L’abîme est comme son vêtement dn ». De qui ? de Dieu peut-être ? Mais déjà le Psalmiste a dit, à propos de ce vêtement : « Il est revêtu de lumière comme d’un manteau ». J’entends par là que Dieu est revêtu de lumière, et cette lumière c’est nous, si nous le voulons, Qu’est-ce à dire, si nous le voulons ? Si déjà nous ne sommes plus ténèbres. Si donc Dieu est revêtu de lumière, à qui l’abîme servira-t-il de vêtement ? On appelle abîme l’immense quantité des eaux : toutes les eaux, tout l’humide élément, toute la substance répandue dans les mers, dans les fleuves, dans les réservoirs cachés, prennent le nom générique d’abîme. Nous comprenons de quelle terre le Prophète a dit : « Il a fondé la terre sur sa propre solidité ; elle ne sera point ébranlée de siècle en siècle ». C’est d’elle qu’il dit aussi : « L’abîme l’environne comme son vêtement ». Car l’eau est pour la terre comme un vêtement qui l’environne et qui la couvre. Mais il est arrivé pendant le déluge que ce vêtement de la terre s’est élevé jusqu’à la couvrir entièrement, jusqu’à surpasser les plus hautes montagnes de quinze coudées do, au témoignage de l’Écriture. C’est peut-être ce temps du déluge qu’avait en vue le Prophète, lorsqu’il dit : « L’abîme est pour elle comme un vêtement ». 7. « Les eaux s’élèveront au-dessus des montagnes » : c’est-à-dire ce vêtement de la terre, qui est l’abîme, s’est élevé au point que les eaux couvraient les montagnes. Nous l’avons lu, dis-je, à l’occasion du déluge. Est-ce là ce que dit le Prophète ? Parle-t-il du passé, ou annonce-t-il l’avenir ? S’il parlait du passé, il ne dirait pas : « Les eaux s’élèveront sur les montagnes » ; mais bien, les eaux se sont élevées. Nous voyons que l’Écriture emploie souvent le passé pour le futur, puisque l’Esprit de Dieu voit l’avenir comme s’il était présent. De là vient que, dans un autre psaume, nous lisons comme un récit de l’Évangile : « Ils ont percé mes mains et mes pieds, ils ont compté tous mes os, et ont jeté le sort sur mes vêtements dp ». Tout cela, que l’on prévoyait pour l’avenir, est consigné comme un fait accompli. Mais, hélas ! que peuvent nos faibles efforts ? Où peut aboutir notre travail ? Et quand pouvons-nous examiner suffisamment, pour affirmer que tel est le sens du Prophète ? Nous voyons donc souvent les Prophètes employer le temps passé pour annoncer l’avenir ; mais je rencontre difficilement dans mes lectures le futur au lieu du passé. Je n’ose pas affirmer que cela n’est point ; j’indique seulement aux hommes, qui aiment les saintes Écritures, un point à rechercher. S’ils en trouvent des exemples, qu’ils me les apportent ; et dans une vieillesse surchargée d’occupations, nous applaudirons à la jeunesse qui voudra bien employer ainsi ses loisirs, et nous profiterons de leurs travaux. Nous ne témoignerons aucun dédain, puisque le Christ se sert de tous pour nous instruire. Le Prophète s’écrie donc : « Les eaux s’élèveront au-dessus des montagnes », pour nous annoncer l’avenir, et non pour raconter le passé, et il parle ainsi pour nous désigner l’Église, qui doit être sous le glaive des persécutions. Il fut un temps, en effet, où les eaux de la persécution couvrirent la terre de Dieu, l’Église de Dieu, et la couvrirent au point que les grands eux-mêmes, ou les montagnes, n’apparaissaient point, quand ils fuyaient çà et là, comment eussent-ils pu paraître ? C’est peut-être à propos de ces eaux qu’il est dit : « Sauvez-moi, mon Dieu, parce que les eaux ont pénétré jusqu’à mon âme dq ». Ces grandes eaux, qui forment la mer, sont turbulentes et stériles, et quelle que soit la terre qu’elles viennent à couvrir, elles y causent la stérilité plutôt que l’abondance. Les montagnes donc étaient sous les eaux, puisque les eaux dépassaient les montagnes : les peuples dans leur résistance dominaient l’autorité de ceux qui prêchaient la parole de Dieu avec courage. Les eaux les couvraient, les eaux s’élevaient bien au-dessus d’eux et disaient : Frappez, frappez ; et on les opprimait : Éteignez-les, qu’ils disparaissent. Ils parlaient ainsi et prévalaient sur les martyrs, et les chrétiens fuyaient de toutes parts, et cette fuite rendait les Apôtres invisibles. Comment cette fuite les rendait-elle invisibles ? Parce que les eaux s’élevaient au-dessus des montagnes. Les eaux avaient alors une grande puissance. Mais combien dura-t-elle ? Écoute ce qui suit. 8. « Elles fuiront devant vos menaces dr ». Voilà, mes frères, ce qui est arrivé : les eaux ont fui devant la menace du Seigneur, c’est-à-dire qu’elles ont cessé de couvrir les montagnes. Voilà que Pierre et Paul sont debout ; quelle majesté dans ces montagnes ! Vexés jadis par les persécuteurs, ils reçoivent aujourd’hui l’hommage des empereurs. Les eaux ont fui devant la menace de Dieu, car c’est dans la main de Dieu qu’est le cœur des rois, qu’il tourne comme il lui plaît ds ; il lui a plu de donner par eux la paix aux chrétiens, et alors s’est élevée dans son éclat l’autorité des Apôtres. Ces montagnes, toutefois, en étaient-elles moins grandes, pour être couvertes d’eau ? Cependant, comme Dieu voulut montrer à tous leur grande élévation, afin qu’ils pussent procurer le salut au genre humain ; car : « J’ai levé les yeux vers les montagnes, d’où me viendra le secours dt » : voilà que Dieu par sa menace a mis les eaux en fuite. « Elles trembleront au bruit de votre tonnerre ». Qui ne tremble maintenant à la voix de Dieu qui retentit par les Apôtres, à la voix de Dieu dans les saintes Écritures, dans ses nuées ? La mer s’est calmée, les eaux ont tremblé, les montagnes se sont dépouillées, l’empereur a fait des lois. Mais les eût-il faites, si Dieu n’eût fait entendre son tonnerre ? Dieu l’a donc voulu, les princes ont fait des lois, elle calme s’est produit dans l’Église. Que nul d’entre les hommes ne s’attribue rien ici ; les eaux ont tremblé, mais, « Seigneur, c’est au bruit de votre tonnerre ». Aussitôt qu’il a plu à Dieu, les eaux ont fui, pour ne plus couvrir les montagnes ; avant cela, néanmoins, les montagnes étaient sous les eaux, mais inébranlables. 9. « Les montagnes s’élèvent, les campagnes s’abaissent, au lieu que vous leur assignez du ». Le Prophète parle encore des eaux. Nous ne devons point voir ici des montagnes terrestres, ni des campagnes terrestres ; mais bien des flots si grands qu’on peut les comparer à des montagnes. La mer fut autrefois agitée, ses flots s’élevèrent comme des montagnes qui couvrirent d’autres montagnes ou les Apôtres. « Mais jusques à quand ces montagnes ont-elles pu s’élever, ces campagnes s’abaisser ? » Leur fureur a monté, puis s’est calmée. Dans leur fureur, c’étaient des montagnes ; dans le calme, des plaines ; Dieu leur a assigné leur place. Il est en effet un certain réservoir, où s’en vont, en quelque sorte, tous les cœurs des hommes avec, leur furie. Combien sont aujourd’hui remplis d’eau salée et amère, et néanmoins demeurent calmes ? Combien en est-il qui ne veulent point s’adoucir ? Quels sont ceux qui ne veulent point s’adoucir ? Ceux qui refusent encore de croire au Christ. Mais quel qu’en soit le nombre, quel mal font-ils à l’Église ? Montagnes autrefois, aujourd’hui ce sont des plaines unies ; et pourtant, mes frères, la mer, quel que soit son calme, n’en est pas moins la mer. Pourquoi n’ont-ils maintenant aucune fureur ? Pourquoi ne sont-ils plus en délire ? Pourquoi renoncer, sinon à détruire notre terre, du moins à la couvrir d’eau ? Pourquoi ? Écoutez : « Vous leur avez assigné un terme qu’elles ne dépasseront point ; elles ne reviendront point pour couvrir la terre dv ». 10. Mais depuis que ces flots si amers sont devenus tels que nous pouvons prêcher librement ces vérités, parce qu’il leur a été donné des bornes convenables et qu’ils ne dépasseront point ces bornes, pour venir de nouveau submerger la terre, que se passe-t-il sur la terre ? Qu’y fait-on depuis que la mer l’a mise à découvert ? Bien que de légères vagues bruissent encore sur la plage, bien que les païens murmurent, j’entends le bruit du rivage, sans redouter le déluge. Que fait-on dès lors, que fait-on sur la terre ? « Vous faites couler des ruisseaux dans les vallées ». Telle est la réponse du Prophète : Vous faites jaillir « des ruisseaux dans les vallées dw ». Vous connaissez les vallées, des lieux abaissés dans les terres ; aux collines et aux montagnes, on oppose ici, en figures, les vallons et les vallées. Les collines et les montagnes sont les gonflements de la terre ; les vallons et les vallées sont les lieux les plus bas. Ne méprisez point les lieux abaissés, car de là jaillissent les fontaines : « Vous faites jaillir les ruisseaux dans les vallons ». Écoute une montagne : « J’ai travaillé plus que tous les autres », dit saint Paul. On voit là une certaine hauteur : et toutefois, afin de faire jaillir les eaux, il s’abaisse comme une vallée : « Non pas moi, mais la grâce de Dieu avec moi dx ». Il ne répugne point à ces montagnes de devenir des vallées ; de même que leur hauteur spirituelle les faisait appeler montagnes, de même aussi leur spirituel abaissement les fait appeler des vallées. « Non pas moi, mais la grâce de Dieu avec moi ». « Non pas moi », voilà bien le vallon, mais « la grâce de Dieu avec moi », voilà bien la source. « Vous faites jaillir des sources dans les vallons ». C’est de l’Esprit-Saint qu’est dit ce que je citais tout à l’heure : « Si quelqu’un a soif, qu’il vienne à moi et qu’il boive : celui qui croit en moi verra jaillir de ses entrailles des sources d’eau vive. Car il parlait ainsi à cause du Saint-Esprit que devaient recevoir ceux qui croiraient en lui dy ». Voyons maintenant s’il y a des vallons, afin que la source jaillisse dans ce vallon. Écoute le Prophète : « Sur qui reposera mon Esprit, sinon sur l’homme humble, sur l’homme calme, sur l’homme qui craint mes paroles ? » Qu’est-ce à dire : « Sur qui reposera mon Esprit, sur l’homme humble et calme ? » Où coulera mon eau vive ? Dans le vallon. 11. « Les eaux passeront au milieu des montagnes ». C’est jusque-là que le lecteur a parcouru notre psaume, que cela suffise à votre charité. Voilà ce que nous expliquerons, puis nous terminerons au nom du Seigneur. Qu’est-ce à dire : « Que les eaux passeront par le milieu des montagnes ? » Nous avons déjà vu que par montagnes on entend ces grands prédicateurs de la parole de Dieu, anges sublimes du Seigneur, quoique revêtus encore d’une chair mortelle, élevés non par leur propre vertu, mais par sa grâce ; mais autant qu’il est en eux, ce sont des vallons, d’où jaillissent humblement les eaux. « Et ces eaux », dit le Prophète, « passeront au milieu des montagnes » ; comme s’il disait que par l’intermédiaire des Apôtres nous viendra la prédication de la parole de vérité. Qu’est-ce à dire, par l’intermédiaire des Apôtres ? Une chose intermédiaire est une chose commune, et une chose commune est une chose dont tout le monde vit également, elle est en quelque sorte au milieu, et ne m’appartient pas ; elle n’est ni à toi ni à moi, Aussi disons-nous de quelques hommes : La paix règne entre eux, la bonne foi règne entre eux, la charité règne entre eux. Ainsi disons-nous. Qu’est-ce à dire entre eux ? Au milieu d’eux. Que signifie au milieu d’eux ? Elle leur est commune. Écoute maintenant le sens de ces eaux au milieu des montagnes. La foi leur était commune, et nul n’avait des eaux qui lui fussent propres. Des eaux qui ne sont point au milieu, sont des eaux particulières, qui ne coulent point publiquement ; j’aurai la mienne, un autre la sienne ; ce que j’ai, ce qu’a cet autre, n’est plus dans le milieu. Il n’en est pas ainsi de la prédication pacifique de la vérité. Mais pour que ces eaux coulent par le milieu des montagnes, écoute le mot d’une montagne : « Que le Dieu de la paix vous donne d’être toujours unis de sentiments dz ». Et ensuite : « Afin que vous ayez tous un même langage, et qu’il n’y ait aucun schisme parmi vous ea ». Mes sentiments sont-ils vos sentiments ? L’eau coule entre nous. Je n’ai rien à moi, toi rien à toi, Que la vérité ne soit ni à moi seul, ni à toi seul, qu’elle soit à toi et à moi. « Les eaux couleront au milieu des montagnes ». Écoute encore, d’après l’une de ces montagnes, que, « Les eaux doivent couler au milieu des montagnes. Que ce soit moi, que ce soit d’autres, voilà ce que nous prêchons, et ce que vous avez cru eb ». C’est avec sécurité qu’il nous tient ce langage : « Soit moi, soit d’autres, voilà ce que nous prêchons, et ce que vous avez cru ». Les eaux coulaient alors au milieu des montagnes, nulles discordes parmi les montagnes au sujet des eaux, tout y était dans l’accord, et dans l’union de la charité. Si quelqu’un prêchait autrement, c’était une eau privée, et non plus une eau du milieu des montagnes. Voyez encore ce qu’a dit celui qui a fait couler les eaux dans les vallons : « Celui qui dit le mensonge, dit ce qui lui est propre ec ». Aussi, de peur que l’on ne mette sa confiance dans quelque montagne qui donnerait ses eaux non du milieu, mais d’elle-même, l’Apôtre nous dit : « Quiconque annoncera un Évangile autre que celui que vous avez reçu, qu’il soit anathème ». Voyez comme il craint que l’on ne mette sa confiance dans la montagne, de peur que cette montagne, se séparant des eaux qui coulent dans le milieu, ne vienne à donner une eau qui lui serait propre : « Quand même ce serait moi ». Quelle montagne peut tenir ce langage ? Quelles eaux abondantes coulaient dans ces vallons ? mais il voulait que cette eau coulât entre les montagnes, et que les fidèles trouvassent une toi certaine, dans la doctrine que les Apôtres tenaient commune entre eux. « Quand même ce serait moi », dit-il. O vous, Paul, pourriez-vous prêcher autrement ? C’est de Paul qu’il s’agit. « Quand même ce serait moi, ou quand un ange venu du ciel vous annoncerait un Évangile autre que celui que vous avez reçu, qu’il soit anathème » ed. Anathème à toute montagne, anathème à tout ange qui vous prêcherait une autre doctrine. D’où vient cela ? Parce qu’il veut couler de lui-même, et non au milieu. Un homme qui a sa chair comme un voile, séparé de la source commune, et réduit au mensonge qui lui est propre, tomberait peut-être ainsi, mais un ange ? Un ange, en vérité, le pourrait-il ? Si l’on avait écouté dans le paradis terrestre un ange distillant une eau qui lui était propre, nous ne serions point précipités dans la mort. Le précepte de Dieu était une eau coulant pour les hommes au milieu du jardin. C’était une eau du milieu, une eau en quelque sorte publique, qui s’entretenait sans ruse, ainsi que nous l’avons dit à votre charité, qui coulait limpide, et sans aucune boue. Boire toujours de cette eau, c’était vivre toujours. Survint alors un ange tombé du ciel et devenu serpent, et qui voulait répandre astucieusement ses poisons. Il lança donc son venin, et parla de lui-même, de ce qui lui était propre ; car, « c’est parler de son propre, que dire le mensonge » ; et nos misérables parents l’écoutèrent pour laisser l’eau commune qui faisait leur félicité. Réduits à ce qui leur était propre, et voulant, dans leur extravagance, devenir semblables à Dieu, (car on leur avait dit « Goûtez du fruit et vous serez comme des dieux » ee, ils perdirent ce qu’ils avaient reçu, en voulant être ce qu’ils n’étaient point. Puisse, mes frères, ce que nous vous avons dit au sujet de ces eaux, les faire couler de vous-mêmes. Soyez des vallées, communiquez à tous ce que vous avez reçu de Dieu. Que les eaux coulent au milieu, ne les enviez à personne. Buvez, rassasiez-vous, et une fois rassasiés, faites couler. Que la gloire de Dieu soit répandue partout par l’eau qui est commune, et non par le mensonge de quelque particulier.TROISIÈME DISCOURS SUR LE PSAUME 103
TROISIÈME SERMON. – TROISIÈME PARTIE DU PSAUME.
LE MONDE INVISIBLE DANS LE MONDE VISIBLE.
Les bêtes des forêts, qui boivent l’eau des vallées, sont les nations qui entrent dans l’Église pour être purifiées par les sacrements, ainsi que nous le montrent et l’arche de Noé qui renfermait des animaux purs et des animaux impurs, et le linceul de saint Pierre renfermant aussi des animaux impurs et tenant au ciel par les extrémités. Elles boiront les eaux qui passent ers cette vie, en attendant que le Verbe leur soit donné. L’onagre y vient comme le lièvre, c’est-à-dire les grands esprits comme les faibles, parce qu’il y a des préceptes à la portée de tous. Les oiseaux qui habitent sur les montagnes sont les âmes tout à fait spirituelles, qui se nourrissent de la doctrine des Prophètes et des Apôtres. Elles ne se divisent point non plus que les oiseaux dans le sacrifice d’Abraham, tandis que les animaux étaient divisés, c’est là le symbole du schisme et de l’hérésie, la fournaise du jugement met les uns à droite, les autres à gauche. Pour l’éviter, ressemblons aux oiseaux qui habitent les montagnes, les rochers, ou le Christ ; c’est de là qu’ils prêchent. Dieu donne la rosée de sa parole, ils la répandent en se proportionnant aux simples ; delà cette terre arrosée de la grâce de Dieu. C’est lui encore qui produit le foin pour les animaux, et par là le salaire pour les ouvriers évangéliques, l’herbe pour la servitude de l’homme ou la substance pour ceux qui ne font serviteurs de tous par la charité et l’humilité, que ne connaissaient point d’abord ni Pierre ni les fils de Zébédée. Donnons la subsistance aux prédicateurs : le Seigneur eut une bourse pour recueillir et pour donner, se proportionnant à ceux qui devaient demander, comme il pâlit devant la mort pour se mettre au niveau de nos craintes. Dieu tire de la terre ou des ouvriers évangéliques, le pain et le vin ou le Christ, et la grâce qui donne l’éclat des vertus. Les cèdres du Liban sont les grands du monde, et ils sont plantés par le Seigneur, quand ils deviennent chrétiens parfaits. Ces passereaux sont les âmes ferventes qui abandonnent leurs biens si elles possèdent, leurs espérances et leurs désirs de l’être s’ils sont comme Pierre et André. Ces âmes font leurs nids sur les cèdres, c’est-à-dire dans les monastères ou dans les Églises que bâtissent les riches du monde. La foulque les guide, elle qui établit sur les rochers des mers, ou sur le Christ, un nid bas et solide. C’est encore au Christ que s’attachent les passereaux. Les cerfs des montagnes sont les plus élevés dans la spiritualité ; mais il y a aussi le hérisson couvert d’épines ou de péchés légers, qui trouve son asile dans la pierre, qui devient ainsi avantageux pour tous. La lune est l’image de l’Église, qui semble croître et renaître comme les générations. Le soleil c’est le Christ qui se lève pour ceux qui comprennent la charité, mais non pour l’impie ; il connaît son couchant, c’est-à-dire qu’il a bien voulu mourir. La nuit alors se ferma sur les Apôtres, et les lionceaux demandèrent leur proie, c’est-à-dire que le diable demanda de les cribler, comme il demanda de tourmenter Job. Mais il doit demander, car tout pouvoir vient de Dieu. Mais à mesure que le jour se fait, les lions s’étendent dans leurs tanières, ou cessent de persécuter l’Église ; l’homme ou le chrétien fait son œuvre, et la terre est remplie des créatures de Dieu par son Christ, ou d’hommes renouvelés par la grâce. 1. Votre charité n’a point oublié que nous vous sommes redevables de ce qui reste du psaume ; je n’ai donc besoin d’aucun exorde pour stimuler votre attention. Je vous vois tous en suspens, dans le désir de comprendre les mystères qu’il renferme, et il n’est aucunement nécessaire de faire naître chez vous une attention que le Saint-Esprit a fait naître lui-même. Allons donc à ce qui nous presse. Nous avons déjà parlé des ruisseaux qui coulent dans les vallées, et des eaux qui coulent au milieu des montagnes : c’est là que j’en suis demeuré, là qu’il nous faut reprendre. 2. Voici ce qui suit : « Les bêtes de la forêt boiront ef ». Que boiront-elles ? Les eaux qui coulent au milieu des montagnes. Que boiront-elles ? Ces eaux qui coulent dans les vallées. Qui boira ? Les bêtes de la forêt. Cela se voit à la lettre dans les créatures ; les bêtes de la forêt boivent aux fontaines et aux ruisseaux qui coulent entre les montagnes ; mais comme il a plu à Dieu de nous présenter sous des figures les secrets de sa sagesse, non pour les dérober à une sainte curiosité, mais pour fermer aux paresseux une entrée qu’il ouvre seulement à ceux qui frappent ; il a plu à ce même Dieu de vous exhorter par notre bouche à chercher dans ces créatures corporelles et visibles, dont il est ici question, le sens spirituel qui s’y cache, et dont la découverte fera notre joie. Par les bêtes de la forêt, nous entendons les nations, et l’Écriture en donne plusieurs témoignages. Deux passages surtout nous paraissent très évidents. Dans l’arche de Noé, qui est sans aucun doute la figure de l’Église, Dieu n’aurait pas fait enfermer toutes sortes d’animaux eg, s’il n’eût voulu marquer que tous les peuples seraient ralliés dans cette admirable unité ; à moins peut-être que nous ne venions à croire que si tous ces animaux étaient détruits par le déluge, Dieu ne pût ordonner à la terre de les reproduire, comme elle en avait produit tout d’abord à sa parole eh. Ce n’est donc pas en vain, ce n’est pas sans raison, ce n’est par aucun besoin, ni par impuissance que Dieu fit enfermer les animaux dans l’arche. Au temps marqué, en effet (car il faut bien produire l’autre témoignage de l’Écriture, qui a aussi son évidence), au temps marqué, afin d’accomplir dans l’Église ce qui était figuré dans l’arche, comme l’apôtre saint Pierre hésitait à livrer aux incirconcis de la gentilité les mystères de l’Évangile, et même comme, sans hésiter, il ne croyait devoir le faire aucunement ; un jour qu’il avait faim, et qu’il voulait manger, il monta pour prier. Voilà ce que comprennent ceux qui lisent l’Écriture, et qui savent nous écouter. Or, pendant qu’il priait, il eut un ravissement d’esprit, appelé extase chez les Grecs ; c’est-à-dire que son âme fit taire tout ce qui est corporel, et loin des choses présentes, s’adonna à contempler ce qu’elle voyait. Ce fut alors qu’il vit un certain vase, semblable à un linceul, suspendu par ses quatre coins, qui descendait du ciel en terre, et qui renfermait des animaux de toutes les espèces ; et une voix se fit entendre : « Pierre, tue et mange ». Mais Pierre, instruit dans la loi, et qui avait grandi dans les coutumes des Juifs, qui observait les préceptes de Moïse, sans les avoir jamais enfreints, répondit : « Loin de moi, Seigneur, car jamais rien de commun n’est entré dans ma bouche ». Ceux qui connaissent les saintes Écritures, savent que commun, pour les Juifs, signifie impur. Or, la voix lui répondit : « N’appelle point impur ce que Dieu a purifié ». Cela se répéta trois fois, et le linceul, qui paraissait descendre du ciel, disparut ei. Ce linceul tenait au ciel par les quatre coins, et signifiait les quatre Parties du monde, l’Orient, l’Occident, le Nord, le Midi ; et parce que l’univers entier était appelé par l’Évangile, Dieu a suscité quatre évangélistes. Or, ce linceul qui descend trois fois du ciel marque celte parole adressée aux Apôtres : « Allez, baptisez les nations, au nom du Père s et du Fils, et du Saint-Esprit ej » De là aussi ce nombre douze qui fut celui des Apôtres. Car ce n’est pas sans raison que le Christ et voulut avoir douze ; et ce nombre était tellement sacré, qu’à la place de celui qui était tombé, on ne pouvait se dispenser d’en ordonner un autre. Pourquoi donc douze Apôtres ? Parce qu’il y a quatre parties du monde, et que le monde entier est appelé à l’Évangile, de là quatre évangélistes, et tout l’univers appelé au nom de la Trinité à former l’Église : or, trois répété quatre fois forme douze. Ne nous étonnons donc plus que toutes les bêtes des forêts viennent boire aux eaux qui coulent au milieu des montagnes, ou à cette doctrine des Apôtres qui coule au milieu de l’Église, par une harmonieuse communion. Toutes étaient en effet dans l’arche, toutes dans le linceul ; Pierre a dû les tuer toutes, les manger toutes, parce que Pierre est la pierre, et que la pierre est l’Église. Mais qu’est-ce à dire, tuer et manger ? Tuer ce qu’elles étaient, les faire passer dans ses entrailles. Détourner le païen du sacrilège, c’est tuer ce qu’il est ; l’incorporer à l’Église en lui donnant les sacrements du Christ, c’est le manger. 3. Ces bêtes des forêts boivent de ces eaux, mais des eaux qui passent ; car toute doctrine que l’on prêche aux hommes est passagère comme cette vie. De là cette parole de l’Apôtre : « La prophétie passera, la science sera abolie ». Pourquoi passeront-elles ? « Nous ne voyons qu’en partie, nous ne prophétisons qu’en partie, mais quand sera venu ce qui est parfait, tout ce qui est imparfait disparaîtra ek ». Car vous ne croyez pas sans doute que, dans cette ville à laquelle on chante : « Chante le Seigneur, ô Jérusalem bénis ton Dieu, ô Sion ; parce qu’il a consolidé les serrures de tes portes el » ; alors que les portes seront fermées et les serrures consolidées, ainsi que nous l’avons dit ▼, alors que nul ami ne veut sortir, que nul ennemi ne saurait entrer, vous ne croyez point qu’on y lise des livres, ou qu’on y fasse des discours, comme nous en faisons maintenant. Nous expliquons ici-bas, afin que vous possédiez là-haut ; ici-bas nous divisons le verbe en syllabes, afin que là-haut vous puissiez le contempler dans son intégrité. Sans doute la parole de Dieu ne vous manquera pas ; mais elle ne vous arrivera ni par des sons, ni par des lèvres, ni par la lecture, ni par la prédication. Comment donc ? Comme le dit l’Évangile. « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu ». Car il n’est point venu à nous de manière à quitter le ciel, mais : « Il était dans le monde, et le monde a été fait par lui en ». Tel est le Verbe que nous devons contempler. « Le Dieu des dieux apparaîtra en Sion eo ». Mais quand ? Après l’exil de cette vie ; si toutefois, après cette vie, nous ne sommes point livrés au juge, et si le juge ne nous jette point en prison. Mais si, après cette vie, nous arrivons à la patrie bienheureuse, comme nous en avons et l’espoir, et le désir, et l’impatience, nous contemplerons alors ce que nous bénirons. Présent à notre amour, il ne voudra point s’y soustraire, non plus que nous en finir ; festin sacré, il n’inspirera aucune lassitude, et ne manquera jamais à notre avidité. Ce sera une sainte et ravissante contemplation. Et qui peut en parler dignement ici-bas, quand les eaux coulent au milieu des montagnes ? Qu’elles coulent alors, ces eaux, qu’elles coulent au milieu des montagnes ; pendant qu’elles s’écoulent, on peut boire dans cet exil, afin de ne point mourir de soif en chemin. « Les bêtes de la forêt en boiront ». C’est de là que vous venez, c’est de la forêt que vous avez été recueillis. Et de quelle forêt ! Nul homme ne la traversait, parce que nul prophète n’y avait été envoyé. Mais pour construire l’arche, on a coupé des bois dans la forêt ; de là sont venus les bois, de là les bêtes, de là nous tous. Buvez donc, buvez. « Toutes les bêtes des forêts en boiront ». 4. « L’onagre y viendra étancher sa soif ». Par l’onagre le Prophète veut désigner les grands animaux. Qui ne sait pas que l’âne sauvage s’appelle onagre ? Il entend par là ceux qui sont grands et insoumis. Les Gentils n’étaient point assujettis au joug de la loi beaucoup de peuples vivaient à leur manière, promenant çà et là leur orgueil audacieux, comme dans un désert. Il est vrai que tous les animaux sauvages vivent de la sorte, mais l’onagre désigne ici quelque chose de grand. Ils viendront donc étancher leur soif, et les eaux couleront pour eux. C’est là que s’abreuve le lièvre, et que s’abreuve l’onagre le lièvre est petit, l’onagre bien plus grand le lièvre est timide, l’onagre féroce ; tous deux viennent y boire, mais chacun selon sa soif. L’eau ne dit point : Je suffis au lièvre, pour rejeter l’onagre ; elle ne dit pas non plus : Que l’onagre s’approche, mais si le lièvre vient, il sera emporté. Cette eau inspire tant de confiance, coule avec tant de modération, qu’elle abreuve l’âne sans effrayer le lièvre. Voilà qu’on entend la voix sonore de Cicéron, je lis un de ses livres, un de ses dialogues, ou de Platon, ou de quelque autre philosophe. Des ignorants le comprennent-ils ? des hommes d’une médiocre intelligence ? qui oserait porter si haut ses prétentions ? C’est le bruit d’une eau, d’une eau quelque peu trouble, etqui coule avec tant de rapidité, qu’un animal timide comme le lièvre n’ose y monter pour y boire. Qui, au contraire, a entendu : « Au commencement Dieu fit le ciel et la terre ep » et n’a osé s’approcher pour boire ? Qui entend un psaume, et répond C’est trop élevé pour moi ? À la vérité le psaume que nous expliquons est chargé de symboles, et cependant les enfants mêmes prennent plaisir à l’entendre, Les ignorants s’en approchent pour boire, et nous donner dans leurs chants l’exubérance de cette joie qui les rassasie. Les petits animaux viennent donc à cette eau, comme les grands ; mais les grands y puisent davantage, car : « L’onagre y étanchera sa soif ». Que les petits y viennent puiser ce précepte : « Époux, aimez vos Épouses comme le Christ a aimé son Église. « Que les femmes soient soumises à leurs maris eq ». Voilà pour les petits. On dit un jour au Sauveur : « Est-il permis de renvoyer sa femme, pour tout sujet er ? » Le Seigneur le défendit, et dit qu’il n’était point permis. « Ne savez-vous pas », ajouta-t-il, « que Dieu, dès le commencement, fit un homme et une femme ? Que l’homme donc ne sépare point ce que Dieu a joint ». Puis il dit encore : « Quiconque renvoie sa femme, si ce n’est pour cause de fornication, la rend adultère, et celui qui Épouse la femme renvoyée commet l’adultère es ». Il resserre le nœud du mariage, ce qui convient à celui qui en est lié : que ne prenait-il garde avant de se lier ? « Êtes-vous lié avec une femme ? Ne cherchez point à vous en délier. N’avez-vous point de femme ? ne cherchez point à vous marier et ». Si tu n’es pas encore l’onagre, si tu es dégagé de toute femme, tu peux boire ici comme le lièvre : et toutefois tu n’as point péché en prenant une Épouse. Les disciples, entendant dire au Sauveur, qu’il n’était permis de dissoudre le mariage, que pour le seul cas de fornication, lui demandèrent : « S’il en est ainsi de l’homme à l’égard de la femme, il n’est pas avantageux de se marier ». Et le Seigneur : « Tous ne comprennent point cette parole eu ». Il est vrai en effet qu’il n’est pas avantageux de se marier, si telle est la condition de l’homme avec la femme ; et pourtant, n’y aurait-il que l’onagre pour boire de ces eaux ? Tous ne comprenant point cette parole, ce n’est pas le grand nombre qui la comprend. Qui donc la comprend ? « L’onagre y viendra étancher sa soif ». Qu’est-ce à dire : « L’onagre y viendra étancher sa soif ? » « Que celui qui peut entendre, entende ev ». 5. Voici comment continue le texte du psaume : « Les oiseaux du ciel habiteront au-dessus ew ». Au-dessus de quoi ? des onagres ou plutôt des montagnes ? Voici en effet d’où nous devons chercher un sens : « Les eaux couleront au milieu des montagnes ; tous les animaux des forêts viendront s’y abreuver ; les onagres y boiront à leur soif ; et les oiseaux du ciel habiteront au-dessus ». Il paraît plus convenable, d’entendre par là les montagnes, puisque nous voyons en effet cela dans la création. Les oiseaux du ciel habitent sur les montagnes, et non sur les onagres voilà le sens que nous prendrions, si nous y étions contraints. Nous voyons beaucoup d’oiseaux habiter les montagnes, mais il en est beaucoup aussi pour demeurer dans les plaines, beaucoup dans les vallées, beaucoup dans les bois, beaucoup dans les jardins, tous ne sont point sur les montagnes. Toutefois, il y a des oiseaux qui n’habitent que les montagnes seulement. Cette dénomination désigne quelques âmes tout à fait spirituelles. Ces oiseaux désignent ces âmes élevées, qui volent librement en plein air. La joie de ces oiseaux, c’est la sérénité de l’air, et pourtant ils paissent sur les montagnes ; c’est là qu’ils habitent, Vous connaissez les montagnes, déjà nous en avons parlé. Les Prophètes sont des montagnes, les Apôtres des montagnes, les prédicateurs de la vérité des montagnes. C’est là que doit habiter quiconque veut être spirituel ; qu’il ne s’égare point dans les pensées de son cœur ; qu’il y habite, qu’il s’y élève par ses efforts. Il y a des oiseaux qui ont une signification symbolique. Ce n’est pas en effet sans raison qu’il est dit : « Votre jeunesse sera renouvelée comme celle de l’aigle ex ». Ce n’est pas en vain qu’il est dit d’Abraham qu’« il ne divisa point les oiseaux ey ». Dans ce sacrifice tout à fait mystérieux, Abraham prit trois sortes d’animaux, un bélier de trois ans, une génisse de trois ans, une chèvre de trois ans, une tourterelle et une colombe. Il partagea le bélier, et en mit les parties vis-à-vis l’une de l’autre. Il partagea la chèvre, et en mit les parties, l’une vis-à-vis de l’autre ; il partagea la génisse, dont il mit les parts dans le même ordre, et l’Écriture ajoute qu’« il ne divisa point les oiseaux ez ». On remarque aussi que le bélier avait trois ans, la génisse trois ans, la chèvre trois ans : il n’est rien dit de l’âge des oiseaux. Pourquoi, je vous le demande, sinon parce que les oiseaux désignent ces hommes spirituels, qui ne comptent point les années des temps, occupés qu’ils sont des années de l’éternité, et qui s’élèvent au-dessus des choses de cette vie, par la charité, par l’élan de l’esprit ? Tels sont les hommes spirituels qui jugent de tout et ne sont jugés par personne fa : de là vient qu’ils ne forment aucune secte ni par le schisme, ni par l’hérésie. Le bélier désigne dans l’Église les pasteurs qui conduisent le troupeau. La génisse désigne le peuple juif, qui a porté le joug de la loi, qui lui était pénible. Quant à la chèvre, elle marque l’Église venue de la gentilité, qui bondissait en toute liberté dans ses forêts, et s’y nourrissait de bourgeons amers et sauvages. Les trois années de ces animaux, désignent le troisième âge, ou l’âge de la révélation de la grâce. Le premier âge devança la loi, le second suivit la publication de la loi, et le troisième est l’âge actuel, depuis qué l’on nous prêche le royaume des cieux. Eh quoi donc ? disons-nous que le bélier ne fut point divisé ? Ne s’est-il point trouvé d’évêques fauteurs de schismes et d’hérésies ? Si leurs peuples ne s’étaient point divisés, si la génisse, si la chèvre n’eussent pas été divisées, peut-être eussent-ils rougi de leurs divisions, et fussent-ils rentrés dans le bercail. Les chefs se divisent donc, les peuples se divisent, l’aveugle suit l’aveugle, et tous deux tombent dans la fosse fb. Ils sont en face l’un de l’autre. « Mais les oiseaux ne sont point divisés ». Car les hommes spirituels ne connaissent ni schismes ni divisions. La paix est en eux-mêmes, ils la gardent chez les autres autant qu’ils le peuvent, et quand elle vient à défaillir chez les autres, ils la gardent en eux-mêmes. « S’il y a là un fils de la paix, votre faix reposera sur lui, sinon elle retournera vers vous fc ». Cet homme n’est-il pas un enfant de la paix ? A-t-il voulu être divisé ? Votre paix retournera sur vous, car Abraham ne divisa point les oiseaux. Viendra la fournaise, car Abraham se tint là jusqu’au soir, et alors il éprouva l’invincible terreur du jugement. Car ce soir est la fin du monde, et cette fournaise le jour du jugement à venir. La fournaise divisa aussi ce qui était divisé fd. En passant par le milieu elle voit des parties à droite et d’autres à gauche. Il y a donc des hommes charnels, qui sont néanmoins dans le giron de l’Église, d’autres qui vivent d’une certaine manière choisie par eux, et nous font craindre pour eux la séduction des hérétiques. Tant qu’ils sont charnels, ils sont divisibles, « Abraham ne divisa point les oiseaux », mais on divise les hommes charnels. « Je n’ai pu vous parler comme à des hommes spirituels, mais bien comme à des hommes charnels ». Et comment leur prouve-t-il que les hommes charnels se divisent ? Écoutez ce qu’il ajoute : « Quand chacun de vous dit : Moi je suis à Paul, moi je suis à Apollo, moi à Céphas, n’êtes-vous point charnels, et ne marchez-vous pas à la manière de l’homme fe ? » Je vous en supplie, mes frères, écoutez, et mettez à profit : secouez tout ce qu’il y a de charnel en vous, passez à l’état de colombe et de tourterelle. Car les oiseaux ne furent point divisés. Mais quiconque demeurera charnel, quiconque vivra d’une manière qui convient aux personnes charnelles, sans toutefois se retirer du giron de l’Église, ni céder aux séductions de l’hérésie pour passer au parti contraire, la fournaise viendra pour lui, et sans la fournaise il ne peut être mis à droite. S’il ne veut passer par la fournaise, qu’il devienne tourterelle ou colombe. Que celui qui peut comprendre comprenne. S’il n’en est pas ainsi, et « qu’il bâtisse sur le fondement avec du bois, du foin, de la paille » ; s’il élève sur le fondement de la foi, l’édifice des convoitises charnelles, mais en conservant le Christ à sa base, en lui donnant dans le cœur la première place, en ne lui préférant rien autre chose ; on supporte ces sortes de personnes, on les tolère : viendra la fournaise qui brûlera le bois, le foin et la paille : « Mais lui, sera sauvé, et néanmoins comme en passant par le feu ff ». Tel sera l’effet de la fournaise, de mettre les uns à gauche, et ceux qu’elle aura épurés à la droite. « Abraham ne divisa point les oiseaux ». C’est aux oiseaux à voir s’ils sont des oiseaux, à demeurer sur les montagnes. Ils ne doivent point suivre leurs pensées altières comme ceux dont il est dit : « Ils ont ouvert leur bouche contre le ciel2 ». Qu’ils reposent sur les montagnes pour n’être pas emportés par les vents. Ils ont l’autorité des saints : qu’ils reposent sur les montagnes, sur les Apôtres, sur les Prophètes. C’est là que doivent habiter de tels oiseaux, qui trouvent sur les montagnes des rochers, ou la solidité des préceptes divins, De même en effet que cette pierre unique est le Christ, le Verbe de Dieu, de même plusieurs verbes ou paroles de Dieu, sont plusieurs pierres, et ces pierres sont des montagnes. Vois les oiseaux qui habitent ces lieux : « Les oiseaux du ciel y habiteront ». 6. Ne va point t’imaginer, toutefois, que ces oiseaux du ciel suivent leur propre sentiment ; vois ce que dit le psaume : « Leurs voix retentiront du milieu des pierres fg ». Si je vous disais maintenant : Croyez, voilà ce que dit Cicéron, ce que dit Platon, ce que dit Pythagore, qui d’entre vous ne rirait de moi ? Je serais alors un oiseau dont la voix ne retentirait point de la pierre. Que devrait me dire chacun d’entre vous ? Que devrait me dire quiconque a entendu cette parole : « Anathème à quiconque vous annonce un évangile autre que celui que vous avez reçu fh ? » À quoi bon me parler de Platon, de Cicéron, de Virgile ? Tu as devant toi les pierres des montagnes, fais entendre la voix du milieu de ces pierres. « Leurs voix retentiront du milieu des pierres ». Qu’on écoute ceux qui écoutent la pierre ; qu’on les écoute, parce que dans toutes ces pierres, c’est la pierre que l’on écoute : « La pierre était en effet le Christ fi ». Qu’on écoute avec empressement ceux qui font entendre leur voix du milieu des pierres, rien n’est plus mélodieux que la voix de ces oiseaux. Ils chantent, et les pierres en retentissent : ils chantent, les hommes spirituels ont des colloques spirituels ; les pierres en retentissent, l’Écriture leur rend témoignage. C’est ainsi que les oiseaux font entendre leurs voix du milieu des pierres, et habitent les montagnes. 7. Mais à ces montagnes et à ces pierres d’où vient la voix ? Pour avoir la rosée des saintes Écritures, nous avons recours à l’apôtre saint Paul. Mais à lui d’où vient cette rosée ? Nous recourons à Isaïe. Mais où Isaïe va-t-il la puiser ? Ecoute : « De ses hauteurs Dieu arrose les montagnes fj ». Qu’un homme, un païen, un incirconcis vienne à nous, pour embrasser la foi du Christ, nous lui donnons le baptême, sans le ramener aux œuvres de la loi. Qu’un juif nous demande pourquoi nous en agissons de la sorte, nous faisons retentir la pierre, et nous disons : Voilà ce qu’a fait Pierre, ce qu’a fait Paul, nous faisons retentir nos voix du milieu des pierres. Mais cette pierre, ou plutôt Pierre, la grande montagne, quand il priait et avait sa vision, recevait la rosée d’en haut. L’apôtre saint Paul dit aux Gentils : « Si vous recevez la circoncision, le Christ ne vous servira de rien fk ». Ainsi dit Paul, cette montagne élevée : voilà ce que nous disons après lui, et parlant du milieu de la pierre. Que Dieu arrose d’en haut cette pierre. Car elle était encore dans la rudesse de l’infidélité, lorsque le Seigneur, pour l’arroser de ses hauteurs, afin qu’il en coulât des eaux dans les vallées, lui cria : « Saul, Saul, pourquoi me persécutes-tu fl ? » Il ne lui lit point un Prophète, il ne lui cite point un Apôtre, une montagne aussi élevée eût dédaigné tout cela ; Dieu donc l’arrosa de ses hauteurs, et aussitôt qu’il fut arrosé, il voulut couler : « Seigneur », dit-il, « que faut-il que je fasse fm ? » Prenez cette montagne, prenez cette pierre, d’où vous pouvez faire éclater votre voix, prenez-la, et voyez comme elle est arrosée d’en haut, comme l’eau en jaillit dans les parties basses. Vois ces deux vérités dans un même passage : « Que nous soyons hors de nous-mêmes, c’est pour Dieu ; que nous soyons calmes, c’est pour vous fn ». Ce qu’il dit ici : « Nous sommes ravis en esprit », c’est là que vous ne pouvez atteindre. Nous nous élevons bien au-dessus de tout ce qui est charnel, tandis que vous êtes charnels encore. C’est donc pour Dieu que nous sommes ravis en esprit, et ce que nous voyons dans ces ravissements, nous ne pouvons le redire. « C’est là que nous avons entendu de ces ineffables paroles, qu’un homme ne peut répéter fo ». Quoi donc, diront ces hommes charnels, ces lièvres, ne serons-nous donc point arrosés, nous aussi ? rien ne nous arrivera-t-il ? Comment alors Dieu fait-il jaillir ses fontaines dans les vallées ? Comment ces eaux passeront-elles au milieu des montagnes ? C’est à quoi répond saint Paul : « Soit que nous soyons calmes, c’est pour vous ». Pourquoi ? Qui voulons-nous imiter en cela ? « C’est la charité de Jésus-Christ qui nous presse fp », dit l’Apôtre. O toi, qui es participant du Verbe, toi spirituel aujourd’hui, hier encore charnel, dédaignerais-tu de te rabaisser jusqu’au niveau des hommes charnels, quand le Christ s’est fait chair pour habiter parmi nous fq ? 8. Bénissons donc le Seigneur, et chantons celui qui de ses hauteurs arrose les montagnes. Cette rosée descendra de là sur la terre, et ce qu’il y a de plus bas sera rassasié ; car le Prophète ajoute : « La terre sera u rassasiée du fruit de vos œuvres ». Qu’est-ce à dire, « du fruit de vos œuvres ? » « Que nul ne se glorifie dans ses œuvres, mais que celui qui se glorifie le fasse dans le Seigneur fr ». Si elle est rassasiée, c’est par votre grâce ; et qu’elle ne dise point que la grâce lui a été donnée à cause de ses mérites. Si c’est une grâce, elle est donnée gratuitement ; si Dieu la donnait en échange des œuvres, elle serait une récompense fs. Reçois donc gratuitement, puisque d’impie tu es devenu juste. « La terre sera rassasiée du fruit de vos œuvres ». 9. « Il produit du foin pour les animaux, et des plantes pour le service de l’homme ft ». Cela est vrai, je le vois, je reconnais la création ; la terre produit du foin pour les animaux, et des plantes pour le service de l’homme. Mais le Seigneur a d’autres animaux désignés par cette parole : « Vous ne lierez point la bouche au bœuf qui foule le grain ». Un de ces bœufs mystérieux s’écrie : « Dieu se met-il donc en peine des bœufs ? » C’est pour nous que l’Écriture tient ce langage. Comment donc la terre produit-elle du foin pour les bêtes de somme ? « C’est que Dieu a réglé que ceux qui prêchent l’Évangile, doivent vivre de l’Évangile ». Il a envoyé des prédicateurs, et leur a dit : « Mangez tout ce que l’on vous présentera, car l’ouvrier est digne de son salaire fu ». Après leur avoir dit : « Mangez ce que l’on mettra devant vous » ; de peur qu’ils ne répondent : Irons-nous donc, lorsque nous aurons faim, nous présenter à la table des hommes, nous commandez-vous cette effronterie ? Non, dit le Sauveur, ce n’est point un don qui vous sera fait, mais une récompense que vous recevrez. Une récompense de quoi ? Que donnent-ils ? Que reçoivent-ils ? Ils donnent le spirituel, ils reçoivent le temporel. Ils donnent de l’or et reçoivent du foin. « Car toute chair n’est que foin, tout éclat de la chair n’est que la fleur d’une herbe fv ». Tous ces biens temporels, qui sont chez toi abondants et superflus, ne sont que le foin des animaux. Pourquoi ? Parce que ce sont des biens charnels. Écoute à quels animaux ils servent de nourriture : « Si nous avons semé des biens spirituels, est-ce beaucoup de recueillir quelque peu, de vos biens du temps ? » Voilà ce que disait l’Apôtre, ce prédicateur si laborieux, si courageux, si infatigable, qui rendait même à la terre son foin. « Pour moi, dit-il, je n’ai fait aucun usage de tout cela ». Il montre ce qu’on lui doit, sans l’accepter néanmoins, mais sans condamner ceux qui recevaient ce qui leur était dû. Ils eussent été condamnables d’accepter ce qui n’était point dû, mais non d’accepter leur récompense : bien que pour lui, il abandonne cette récompense. Qu’un homme te remette ce que tu dois, tu n’en es pas moins débiteur envers un autre ; en ce cas, tu ne serais plus une terre arrosée, et produisant du foin pour les animaux. « La terre sera rassasiée de tes fruits ; elle produira du foin pour les bêtes de somme ». Quant à toi, ne sois point stérile, produis du foin pour les bêtes de somme ; si elles ne veulent pas de ton foin, ne sois pas stérile pour cela. Tu reçois des biens spirituels, donne dès biens temporels : on doit la solde au milicien, donne-lui sa solde, tu es l’intendant du Christ. « Qui marche à la guerre à ses propres dépens ? Qui plante une vigne sans en goûter le fruit ? Qui fait paître le troupeau, sans avoir « quelque part à son lait ? » Je ne vous tiens pas ce langage pour que vous en agissiez de la sorte à mon égard. S’il se trouve un milicien pour remettre sa solde à l’intendant, que l’intendant paie toujours la solde. Et pour parler avec David, ce sont des bêtes de somme ; or : « Ne liez pas la bouche au bœuf qui foule le grain fw. La terre produit du foin pour les bêtes de somme » ; et comme pour expliquer cette parole, il ajoute : « Et des plantes pour le service des hommes ». De peur que tu ne comprennes point ces paroles : que « la terre produit du foin pour les bêtes de somme ». Il les explique en répétant ce qu’il a dit d’abord. Ce qu’il avait appelé « foin », il l’appelle ensuite « une herbe », et ce qu’il appelait « bêtes de somme », il l’appelle « service de l’homme ». C’est donc pour la servitude, et non pour la liberté. Que devient cette parole : « Vous êtes appelés à la liberté fx ? » Mais écoute le même Apôtre : « Libre à l’égard de tous, je me suis fait le serviteur de tous, pour les gagner en plus grand nombre fy ». À qui dit-il : « Vous êtes appelés à la liberté ? » Que dit-il ensuite ? « Gardez-vous seulement d’abuser de cette liberté pour vivre selon la chair ? Mais assujettissez-vous les uns aux autres par la charité fz ». Le voilà qui asservit ceux qu’il appelait tout à l’heure à la ’liberté ; toutefois ils ne sont point assujettis par condition, mais par la rédemption du Christ, non par la nécessité, mais par la charité, « Assujettissez-vous les uns aux autres par la charité », dit saint Paul. Nous sommes serviteurs du Christ, me répondra quelqu’un, mais non de la populace, non des hommes charnels, non des faibles, Tu n’es vraiment serviteur du Christ, qu’en servant ceux dont le Christ a été serviteur. N’est-il pas dit de lui, qu’« il a été le serviteur de plusieurs ? » Le Prophète l’a dit, et on ne peut l’entendre que du Christ. Écoutons cependant ce qu’il dit lui-même dans l’Évangile : « Quiconque veut être le plus grand, sera votre serviteur ga ». Il te fait donc mon serviteur, celui qui t’a fait libre par son sang. Parlez-nous de la sorte, et vous direz vrai. Écoute un autre passage : « Nous sommes vos serviteurs par Jésus-Christ gb ». Aimez donc vos serviteurs, mais serviteurs dans le Christ. Qu’il nous donne d’être de bons serviteurs. Car, de gré ou de force, il nous faut servir : et si nous servons volontairement, nous servons par charité, non par nécessité. Car cet orgueil des serviteurs se soulevait en quelque sorte à cette parole du Seigneur : « Quiconque voudra être le plus grand parmi vous sera votre serviteur ». Déjà les fils de Zébédée lui avaient demandé les premières places : l’un voulait s’asseoir à sa droite et l’autre à sa gauche, et ils faisaient demander par leur mère ce qu’ils désiraient. Sans leur refuser ces places, le Seigneur leur montra cette vallée de larmes, comme pour leur dire : Voulez-vous venir où je suis moi-même ? venez par le même chemin. Qu’est-ce à dire, par le même chemin ? Par l’humilité. Je suis venu d’en haut, et c’est de si bas que je remonte : je vous ai trouvés sur la terre, et vous prétendez voler avant d’avoir pris des forces : nourrissez-vous d’abord, fortifiez-vous, et supportez votre nid. Que dit-il ? Comment rappeler à l’humilité ces disciples qui recherchent déjà la grandeur ? « Pouvez-vous boire le calice que je « boirai moi-même ? » Et eux, orgueilleux jusque dans la réponse : « Nous le pouvons », dirent-ils ; de même que Pierre dira plus tard : « Je vous suivrai jusqu’à la mort ». Il montre du courage, mais jusqu’à ce qu’une femme dise : « Celui-ci était aussi avec eux gc ». « Nous le pouvons », disent les deux frères. « Pouvez-vous ? Nous pouvons ». Quant au Christ : « Vous boirez à la vérité mon calice », bien que vous ne le puissiez maintenant : « Vous le boirez » néanmoins : comme le Sauveur avait dit à Pierre : « Tu ne saurais me suivre » aujourd’hui ; tu me suivras plus tard gd. Vous boirez à la vérité mon calice ; mais quant à vous asseoir à ma droite ou à ma gauche, il ne m’appartient pas de vous le donner ge ». Qu’est-ce à dire : « Il ne m’apparut tient pas de vous le donner ? » Il ne m’appartient pas de le donner à des orgueilleux. Or, vous êtes orgueilleux, vous à qui je m’adresse ; et dès lors : « Il ne m’appartient pas de vous le donner ». Mais, diront-ils, nous deviendrons humbles. Vous ne serez donc plus ce que vous êtes, et c’est à vous tels que vous êtes que j’ai parlé. Je n’ai point dit que je ne le donnerai pas aux humbles, mais bien : Je ne le donnerai pas aux superbes. Or, que l’orgueilleux devienne humble, il n’est plus ce qu’il était, 10. Donc les prédicateurs du Verbe sont tout à la fois, selon les Écritures, bêtes de somme, et esclaves. Dès qu’elle est arrosée, que la terre produise, « du foin pour les bêtes de somme, et des plantes pour le service des hommes ». Car le fruit désiré, c’est que l’on, puisse faire ce qui est prescrit dans l’Évangile : « Afin qu’ils puissent vous recevoir dans les tabernacles éternels ». Vois ce que tu peux faire du foin, acheter à un prix aussi vil. « Afin qu’ils vous reçoivent dans les tabernacles éternels gf ». Afin qu’ils vous reçoivent où ils seront eux-mêmes. Pourquoi ? « Parce que recevoir un juste, au nom du juste, c’est recevoir la récompense du juste ; et recevoir un Prophète, au nom du Prophète, c’est recevoir la récompense du Prophète ; et quiconque donnera un verre d’eau froide au nom d’un disciple et au moindre d’entre les miens, je vous le déclare, celui-là ne perdra point sa récompense gg ». Quelle récompense ne perdra-t-il point ? Ils vous recevront dans les tabernacles éternels. Qui, dès lors, ne se hâterait point ? qui ne courrait avec ardeur à ces récompenses ? Si vous êtes une terre, soyez arrosés du fruit des œuvres de Dieu, et ne dites point : Il n’y a personne envers qui nous puissions agir en charité ; nos prédicateurs, ces bœufs mystérieux qui foulent le grain, ces hommes qui nous servent, n’ont aucun besoin de nous. Cherche néanmoins, de peur qu’un seul n’en ait besoin ; et qu’enfin ; celui qui n’a aucun besoin, trouve en toi de quoi refuser. Car il accueillera toujours ta bonne volonté quand tu recevras sa paix. Car s’il ne cherche point le don, il cherche néanmoins le fruit gh. Cherche donc, de peur que quelqu’un ne se trouve dans le besoin ; et ne dis point : Je donnerai, s’il me demande. Tu attends qu’il te demande ? Peux-tu traiter le bœuf du Seigneur, comme le mendiant qui passe à ta porte ? Tu donnes à ce dernier quand il te demande, ainsi qu’il est écrit : « Donne à quiconque te demande gi ». Mais qu’est-il écrit de tout autre ? « Bienheureux celui qui comprend le pauvre et l’indigent gj ». Cherche à qui donner : « Bienheureux celui qui a l’intelligence du pauvre et de l’indigent », qui devance la prière du mendiant. Ainsi il est parmi vous des soldats du Christ, pressés par le besoin au point de mendier. Prenez garde qu’ils ne vous jugent, avant de vous solliciter. Comment, dites-vous, m’en informer ? Soyez curieux, ayez de la prévoyance ; voyez, examinez la vie de chacun, comment il subsiste, quel est son revenu : c’est là une curiosité qui n’est point répréhensible. Tu seras alors une terre, « qui produira du foin pour les bêtes de somme, et des plantes pour le service des hommes ». Sois curieux, et comprends les besoins du pauvre et de l’indigent. Voici que l’un vient à toi pour demander ; préviens l’autre, afin qu’il ne demande point. De même qu’il est dit de l’un : « Donne à quiconque te demande » ; il est dit de l’autre : « Que ton aumône sue dans ta main, jusqu’à ce que tu rencontres un juste pour la lui donner ». Il faut donner, il est vrai, aux pauvres qui vous demandent, puisque Dieu ne détourne point de ces mendiants nos aumônes, et que le Christ nous dit : « Si vous faites un festin, appelez-y les aveugles, les boiteux, les malades, ceux qui n’ont point de quoi vous rendre, et Dieu vous le rendra à la résurrection des justes gk ». Invite-les donc, nourris-les : mange, quand ils mangent ; réjouis-toi quand ils sont rassasiés, car ils se rassasient de ton pain, et toi de la justice de Dieu, Qu’on ne vienne point me dire, que le Christ a commandé de donner au serviteur de Dieu, mais pas au mendiant. Loin de là ; cette maxime est impie. Donne à l’un, mais encore plus à l’autre. L’un demande, et dans la prière de celui qui demande, vous savez à qui donner ; quant à l’autre, moins il demande, et plus tu dois veiller à prévenir sa demande : peut-être même, sans rien te demander aujourd’hui, te condamnera-t-il un jour. Ayez donc, mes frères, une sainte curiosité pour toutes ces indigences, et vous trouverez dans l’indigence bien des serviteurs de Dieu ; il s’agit seulement de vouloir les trouver. Mais vous aimez l’excuse ; comme vous êtes bien aises de dire : Nous ne savions pas ; voilà pourquoi vous ne trouvez point. 11. Le Seigneur avait lui-même une bourse gl, où l’on mettait ce qui était nécessaire pour subsister ; et l’on gardait de l’argent pour son usage et l’usage de ceux qui le suivaient ; et il n’est pas faux de dire de lui avec l’Évangile : « Il eut faim gm ». C’est pour toi qu’il voulut avoir faim, de peur que tu ne sois réduit à la faim en celui qui est devenu pauvre, de riche qu’il était, afin que nous fussions enrichis de sa pauvreté gn. Il avait donc une bourse, et il est dit de quelques saintes femmes, qu’elles le suivaient dans ses courses évangéliques, et qu’elles l’entretenaient de leur bien propre. Ces femmes sont nommées dans l’Évangile, et il y avait avec elles l’Épouse d’un certain Chuza, intendant de la maison d’Hérode go. Vois ce qui se passait alors. Paul devait venir, ne demandant rien de semblable, et remettant toute paie aux intendants. Mais comme un grand nombre d’infirmes devaient exiger cette solde, voilà que le Christ personnifie en lui les infirmes. Paul agit-il plus généreusement que le Christ ? Le Christ est plus généreux, parce qu’il est plus miséricordieux. Il voyait que Paul refuserait un jour ces soulagements, mais il ne voulut pas condamner ceux qui les exigeraient, et il donna l’exemple aux plus faibles. De même, prévoyant que plusieurs accepteraient les douleurs et iraient avec joie au martyre, qu’ils tressailliraient dans les souffrances, qu’ils seraient forts et produiraient cent pour un dans les greniers du Père céleste, mais prévoyant aussi que bien des faibles se troubleraient aux approches de la passion, il voulut, dans sa propre passion, se les identifier à lui-même, afin qu’ils ne fussent point abattus, mais qu’ils conformassent leur volonté à la volonté de Dieu ; aussi dit-il : « Mon âme est triste jusqu’à la mort » ; et ensuite : « Mon Père, s’il est possible, que ce calice s’éloigne de moi ». Il parle d’abord comme l’infirme, afin de montrer à l’infirme ce qu’il doit faire : « Toutefois, ô mon père, non point ce que je veux, mais ce que vous voulez gp ». Ainsi donc, de même que dans sa passion, le Christ a voulu se revêtir de la personne des faibles, qui ne laissent point d’être ses membres ; et qu’il n’a pas été dit en vain : « Vos yeux ont vu toutes mes imperfections, leur nombre est consigné dans votre livre gq » ; de même il est revêtu de la personne des pauvres, quand il a tenu une bourse, et a en quelque sorte exigé la solde qu’il ne demandait point, mais qu’on avait soin de lui donner. Zachée le reçoit, et en tressaille de joie gr. À qui doit profiter cette réception ? Au Christ ou à Zachée ? En vérité, si Zachée ne le recevait point, le Créateur du monde n’aurait-il donc point où demeurer ? Ou si Zachée ne lui donnait point à manger, serait-il dans l’indigence, celui qui avec cinq pains nourrit tant de milliers d’hommes ? Recevoir donc un saint, c’est un avantage pour celui qui reçoit, et non pour celui qui est reçu. Pendant une famine Élie n’était-il pas nourri ? Un corbeau ne lui apportait-il point du pain et de la viande, la créature servant ainsi le serviteur de Dieu gs ? Et pourtant ce Prophète fut envoyé chez une veuve, non pour que le soldat, mais pour que l’intendant reçût une solde. 12. Nous le disions donc, mes frères, le Seigneur avait une bourse d’où l’on tirait pour nourrir les pauvres, et néanmoins quand il dit à Judas, qui devait le trahir : « Fais promptement ce que tu fais » ; les autres, ne comprenant point ce qu’il disait, crurent qu’il lui ordonnait de préparer au pauvre quelque aumône. Car Judas tenait l’argent, au témoignage de l’Évangile gt. Cette pensée eût-elle pu venir aux disciples, si le Seigneur n’eût eu cette coutume ? Sur ces deniers qu’on lui donnait et que l’on mettait en bourse, il y avait une part pour les pauvres, que Dieu nous apprend à ne point mépriser. Mais si tu ne méprises point ce pauvre, combien moins dois-tu mépriser ce bœuf mystérieux qui foule dans l’aire de l’Église ? Combien moins son serviteur ? S’il n’a pas besoin de nourriture, il lui faut peut-être un vêtement. S’il n’a pas besoin de vêtement, il lui faut peut-être un abri, peut-être construit-il une Église, ou fait-il dans la maison de Dieu quelque réparation urgente. Il attend que tu le comprennes, que tu aies l’intelligence du pauvre et de l’indigent. Mais toi, comme une terre dure, pierreuse, sans rosée, ou arrosée vainement, tu te réserves cette excuse : Je ne savais rien de cela, je l’ignorais complètement, nul ne m’en a parlé. Nul ne te l’a dit ? Mais Jésus-Christ ne cesse de dire, mais le Prophète ne cesse de dire : « Bienheureux celui qui a l’intelligence du pauvre et de l’indigent gu ». Tu ne vois point si la caisse de ton pasteur est vide ? Mais tu vois du moins cette église qui s’élève, et où tu dois aller prier. Ne frappe-t-elle pas tes regards ? À moins peut-être, mes frères, que vous ne croyiez que vos pasteurs thésaurisent : et moi, j’en connais un bon nombre qui, loin de thésauriser, n’ont pas de quoi vivre tous les jours, et dont on ne soupçonne pas le besoin : et vous les trouveriez, si vous le vouliez, si vous y apportiez quelque attention, quelque vigilance, afin de donner du fruit, comme une bonne terre. J’ai dit à ce sujet tout ce que j’ai pu, et autant que j’ai pu. Je me persuade que je suis assez connu de vous, comme dit saint Paul, et que vous ne croyez point que j’aie parlé de la sorte pour attirer sur moi vos largesses. Dieu veuille que, je n’aie point parlé en vain ; Dieu veuille que vous soyez une terre bien arrosée, et non une terre pierreuse comme les Juifs, qui méritèrent de recevoir la loi sur des tables de pierre ; mais une terre fertile, une terre arrosée qui produit pour le laboureur. Ils donnaient la dîme, ces hommes au cœur de pierre, comme le marquaient leurs tables de pierre. Vous soupirez, et cependant rien ne sort. Si vous gémissez, soyez en travail, et si vous êtes en travail, enfantez. Pourquoi ces vains gémissements, ces gémissements stériles ? Vos entrailles se déchirent, et ce qui est à l’intérieur ne paraîtra-t-il point ? « Dieu, de ses hauteurs, arrose les montagnes, et la terre sera rassasiée du fruit de ses œuvres ». Bienheureux ceux qui écoutent ces vérités, bienheureux ceux qui les écoutent avec fruit, bienheureux ceux qui ne chantent pas en vain : « La terre sera rassasiée du fruit de vos œuvres : c’est vous qui produisez le foin pour les bêtes de somme, et les plantes pour le service des hommes ». Pourquoi ? « Afin de tirer le pain de la terre ». Quel pain ? le Christ. De quelle terre ? de Pierre, de Pan !, des autres dispensateurs de la vérité. Écoute que c’est bien une terre : « Nous avons ce trésor », dit saint Paul, « dans des vases d’argile, afin qu’on reconnaisse l’éminence de la force de Dieu gv ». « Il est le pain descendu du ciel gw », afin d’être tiré de la terre, quand il est annoncé par la voix de ses serviteurs. La terre produit du foin, afin de tirer le pain de la terre. Quelle terre produit du foin ? Les peuples pieux, les peuples fidèles. De quelle terre doit-on tirer le pain ? Ce pain est le Verbe qui doit nous venir par les Apôtres, par les dispensateurs des sacrements de Dieu, pendant qu’ils vivent sur la terre, et qu’ils ont un cœur terrestre. 13. « Et le vin qui réjouit le cœur de l’homme gx ». Que nul ici ne se promette l’ivresse, ou plutôt que tout homme se prépare à l’ivresse. « Quelle splendeur dans votre coupe enivrante gy ! » Nous ne disons point : Que nul ne s’enivre. Au contraire, enivrez-vous, mais voyez à quel calice. Si vous vous enivrez au splendide calice du Seigneur, cette ivresse paraîtra dans vos œuvres, elle paraîtra dans l’amour sacré de la justice, elle paraîtra dans le ravissement de votre esprit, transporté de la terre au ciel. « Et l’huile qui parfume son visage ». Je vois quel fruit produit la terre, puisqu’elle produit du foin pour les bêtes de somme. Ils ne vendent point ce qu’ils donnent, car ils ne vendent point l’Évangile : ils donnent gratuitement ce qu’ils ont reçu gratuitement. Ils se réjouissent de vos bonnes œuvres, parce qu’elles vous sont utiles : car ils ne recherchent point ce que vous leur donnez, mais le fruit que vous en tirez. Qu’est-ce en effet que la face embellie par l’huile ? C’est la grâce de Dieu, un certain éclat qui rejaillit au-dehors, comme l’a dit l’Apôtre : « L’esprit est donné à chacun pour la manifestation gz ». Une certaine grâce qui se transmet d’un homme à un autre, et leur concilie un saint amour, prend le nom d’huile à cause de son éclat divin : et comme elle a paru dans le Christ d’une manière suréminente, tout l’univers l’embrasse d’un saint amour. Autrefois méprisé sur la terre, il est aujourd’hui adoré dans le monde entier : « Car à lui appartient l’empire, et il dominera les nations ha ». Telle est aujourd’hui l’effusion de sa grâce, que beaucoup qui ne croient pas en lui, le bénissent, et s’excusent de ne point croire en lui, parce qu’il commande ce que l’on ne peut accomplir. Les louanges les retiennent, eux qui sévissaient avec outrage. Il a néanmoins l’amour de tous, la bénédiction de tous, parce qu’il est le Christ, ou l’oint par excellence. Car Christ signifie oint ; du chrême divin est venu le nom de Christ Messie, en hébreu, signifie Christ en grec, et oint en latin. Mais le Christ oint tout son corps. Tous ceux qui viennent à lui reçoivent sa grâce, et l’huile embellit leur face. 14. « Et que le pain fortifie le cœur de l’homme hb ». Le Prophète nous force en quelque sorte à comprendre quel est ce pain. Ce pain visible que nous mangeons ne fortifie que l’estomac, que les entrailles ; il est un autre pain qui fortifie le cœur, parce qu’il est le pain du cœur. Déjà plus haut, le Prophète avait dit, en parlant du pain : « Afin de tirer le pain de la terre », mais il n’avait point dit quel était ce pain. « Et le vin réjouit le cœur de l’homme ». Il semble parler ici d’un vin spirituel ; car tel est le vin qui réjouit le cœur de l’homme. On pouvait croire toutefois qu’il n’est question que d’un vin ordinaire, car ceux qui en sont enivrés paraissent avoir la joie au cœur. Puissent-ils avoir une joie véritable, et non une joie querelleuse ! Mais, diras-tu, quoi de plus joyeux qu’un homme ivre ? Et aussi quoi de plus insensé ? Quoi de plus irascible ? Il est donc un vin qui réjouit le cœur de l’homme, et qui n’a pas d’autre effet, Mais ne t’imagine pas que l’on peut parler ainsi d’un vin spirituel, et non d’un pain, car le Psalmiste nous montre aussi que ce pain est spirituel encore, quand il nous dit : « Et que le pain fortifie le cœur de l’homme ». Il faut donc l’entendre du pain aussi bien que du vin, en avoir une faim intérieure, comme une soif intérieure. « Bienheureux ceux qui ont faim et soif de la justice, parce qu’ils seront rassasiés hc ». Ce pain c’est la justice, ce vin c’est la justice : c’est la vérité, et la vérité c’est le Christ hd. « Je suis », dit-il, « le pain de la vie, descendu du ciel he » Et encore : « Je suis la vigne, vous les sarments hf. Et que le pain affermisse le cœur de l’homme ». 15. « Les arbres des campagnes seront rassasiés » : de cette même grâce tirée de la terre. « Les arbres des campagnes » sont la populace chez les peuples. « Et les cèdres du Liban qu’il a plantés hg ». Les cèdres du Liban désignent les puissants du siècle, qui seront aussi rassasiés. Le pain, le vin, l’huile du Christ sont parvenus aux hommes puissants, aux nobles, aux rois ; les arbres des champs sont rassasiés. Les humbles furent tout d’abord rassasiés, ensuite les cèdres du Liban, mais les cèdres que Dieu lui-même a plantés : les cèdres pieux, les âmes fidèles et religieuses, voilà ceux qu’il a plantés. Quant aux impies, ce sont aussi des cèdres du Liban ; car « le Seigneur brisera ces cèdres du Liban hh ». Le Liban est une montagne, et ces arbres sont, à la lettre, des arbres très élevés et qui vivent bien longtemps. Or, Liban veut dire blancheur, comme nous le disent ceux qui ont parlé des étymologies. Liban signifie donc blancheur : et aujourd’hui tout paraît d’une blancheur éclatante, tout est brillant de pompes et de magnificence. Mais il y a là des cèdres du Liban que le Seigneur a plantés, et ces mêmes cèdres seront rassasiés. « Car tout arbre », dit le Sauveur, « que mon Père céleste n’a point planté, sera arraché hi. Et les cèdres du Liban qu’il a plantés ». 16. « C’est là que les oiseaux font leurs nids. La maison des foulques leur sert de guide hj ». Où les oiseaux feront-ils leurs nids ? Dans les cèdres du Liban. Déjà nous savons ce que signifient les cèdres du Liban, ceux qui tiennent dans le monde un rang distingué par la noblesse de leur origine, par leurs dignités, par leurs richesses, De tels cèdres sont aussi rassasiés, ceux-là que le Seigneur a lui-même plantés. C’est dans leurs branches que les passereaux font leurs nids. Quels passereaux ? Tous les oiseaux qui volent dans les airs sont des passereaux, mais ce nom désigne plus spécialement de petits oiseaux. Il est donc des hommes spirituels qui font leurs nids sur les cèdres du Liban ; c’est-à-dire qu’il y a quelques serviteurs de Dieu qui comprennent cette parole de l’Évangile : « Laisse-là tous tes biens » ; ou : « Vends ce que tu possèdes, donne-le aux pauvres, et tu auras un trésor dans le ciel, puis viens et suis-moi hk ». Ce ne sont pas les grands seulement qui ont entendu cette parole, mais les petits aussi l’ont entendue, les petits ont voulu l’accomplir et devenir spirituels, renoncer au mariage, n’être point distraits par les soins des enfants, n’être assujettis à aucune demeure particulière, mais embrasser une certaine vie commune. Dès lors, qu’ont-ils abandonné, ces passereaux ? Car les petits dans le monde ressemblent à des passereaux. Qu’ont-ils abandonné ? Quel sacrifice considérable ont-ils pu faire ? Celui-ci se donne àDieu, et laisse la chétive maison paternelle, à peine un lit et un coffre. Il se donne à Dieu néanmoins et devient passereau, il s’éprend des biens spirituels. Cela est bien, fort bien ; loin de nous tout sarcasme, ne lui disons pas : Tu n’as rien laissé. Mais que celui qui laisse beaucoup ne s’enorgueillisse point, Quand Pierre suivit le Sauveur, que put-il abandonner, lui, simple pêcheur, nous le savons ? Que purent quitter et André son frère, et les deux fils de Zébédée, Jacques et Jean, pêcheurs aussi hl ? Et pourtant que dirent-ils ? « Voilà que nous avons tout quitté pour vous suivre hm ». Or, le Seigneur ne lui dit point : As-tu donc oublié, ô Pierre, combien tu étais pauvre ; et qu’as-tu abandonné, pour recevoir le monde entier en échange ? Il quitta beaucoup, mes frères, oui beaucoup, parce qu’il ne quitta pas seulement ce qu’il avait, mais ce qu’il désirait avoir. Quel pauvre ne s’élève point par les espérances de cette vie ? Qui ne cherche à grossir chaque jour ce qu’il possède ? Tel est le désir qu’on sacrifie : le borner quand il s’étend à l’infini, n’est-ce donc rien quitter ? Pierre a ainsi abandonné le monde entier pour recevoir le monde entier. Ne possédant rien et néanmoins possédant tout hn, dit saint Paul. Voilà ce que font beaucoup d’autres ; ce que font ceux qui ont peu, qui viennent à nous et sont des passereaux utiles. Ils paraissent peu, parce qu’ils n’ont rien de l’élévation du monde. Ils font leur nid sur les cèdres du Liban. Les cèdres du Liban sont les grands, les riches, les puissants du siècle, qui n’entendent qu’en tremblant cette parole : « Bienheureux celui qui a l’intelligence du pauvre et de l’indigent ho », qui ne voient qu’avec mépris leurs richesses, leurs maisons de campagne, ces biens superflus, vaines pompes du monde, et qui les donnent aux serviteurs de Dieu, qui donnent leurs champs, leurs jardins, qui bâtissent des églises, des monastères, y rassemblent des passereaux, lesquels peuvent ainsi construire leurs nids sur les cèdres du Liban. Qu’ils soient donc rassasiés, « ces cèdres du Liban, que le Seigneur a plantés, et où les passereaux doivent faire leurs nids ». Voyez s’il n’en est pas ainsi dans tout l’univers ; ce n’est point de le croire que je parle ainsi, mais bien de le voir, et déjà l’expérience m’a donné l’intelligence. Interrogez les terres les plus lointaines, vous qui les connaissez, et voyez sur combien de cèdres du Liban les passereaux dont je vous ai parlé ont fait leur nid. 17. Toutefois, mes frères, ces passereaux, dès lors qu’ils sont devenus spirituels, ne doivent en rien envier les cèdres du Liban, quoiqu’ils fassent des nids sur leurs branches, ni croire que les cèdres aient un avantage sur eux, parce qu’ils en tirent ce qui est nécessaire à la vie. Les uns sont des passereaux, les autres des cèdres du Liban. Donc « la maison des foulques servira de guide aux passereaux ». Bien que les passereaux fassent leurs nids sur les cèdres du Liban, ces cèdres toutefois ne servent point de guide aux passereaux. Voilà que vont être rassasiés les arbres des campagnes, que seront également rassasiés les cèdres du Liban que le Seigneur a plantés, tous grands du monde, fidèles élevés en gloire. Là, c’est-à-dire parmi les cèdres du Liban, les passereaux feront leurs nids, c’est-à-dire que les cèdres étendront les branches de leurs richesses, pour recueillir les humbles, devenus spirituels. Telles sont les ressources que nous fournissent les cèdres du Liban plantés par le Seigneur ; ils le font, et le font avec joie, la foi leur fait comprendre ce qu’ils font. Mais quoique les passereaux fassent leurs nids sur les cèdres du Liban, « la maison des foulques est leur guide ». Qu’est-ce que la maison des foulques ? La foulque, ainsi que nous le savons tous, est un oiseau marin, qui vit sur la mer ou dans les étangs : difficilement ou presque jamais, elle ne fait sa demeure sur le rivage ; elle recherche un lieu au milieu des eaux, la plupart du temps un rocher battu par les flots de toutes parts. Le rocher est donc l’emplacement qui convient au nid de la foulque ; nulle part elle n’est plus en sûreté, plus solidement établie, que sur un rocher. Sur quel rocher ? Sur celui que la mer environne. Battu par les flots, il les brise et n’en est point brisé : tel est l’avantage des rochers en pleine mer. Combien de flots ont battu le Christ Notre-Seigneur, qui est notre rocher ! Les Juifs se sont rués sur lui, ils s’y sont brisés, sans le briser lui-même. Quiconque veut imiter le Christ, doit être dans le siècle, ou plutôt dans cette mer, où il n’est point possible que la tempête ne s’agite point, de manière à ne céder à aucune bourrasque, à aucune tempête, mais à recevoir un choc, et à résister toujours. La maison de la foulque est donc tout à la fois, et basse et solide. La foulque n’habite point les lieux élevés : rien de plus solide, comme rien de plus humble que son habitation. Les passereaux font leurs nids sur les cèdres à cause des besoins de la vie : mais ils ont pour guide cette pierre battue par les flots, sans en être brisée ; car ils imitent l’humilité du Christ. Que les cèdres du Liban se soulèvent dans leur colère, qu’ils causent du scandale aux serviteurs de Dieu, qu’ils les secouent dans leurs branches ; ceux-ci prendront leur essor : mais malheur au cèdre qui n’abrite point quelques passereaux. Ces passereaux ne feront pas naufrage, ils ne périront point ; car « le nid des foulques est leur guide ». 18. Que trouvons-nous ensuite ? « Les hautes montagnes sont pour les cerfs hp ». Ces grands cerfs désignent les hommes spirituels, qui franchissent dans leur course les épines et les broussailles des forêts. « C’est Dieu », dit le Prophète, « qui a rendu mes pieds légers comme ceux du cerf, qui m’a établi sur les hauts lieux hq ». Qu’ils se tiennent sur les montagnes escarpées, sur les préceptes les plus relevés du Seigneur, qu’ils en méditent les profondeurs, qu’ils se tiennent sur les hauteurs des saintes Écritures, qu’ils acquièrent la perfection dans ses cimes audacieuses ; les hauteurs sont pour les cerfs. Mais que deviendront les animaux inférieurs ? les lièvres, les hérissons ? Le lièvre est un animal petit et faible, le hérisson est couvert d’épines : l’un est donc un animal timide, l’autre un animal épineux. Que signifient les épines, sinon le péché ? Quiconque tombe chaque jour dans le péché, ces péchés fussent-ils très légers, est dès lors couvert de petites épines. S’il craint, c’est un lièvre ; s’il est couvert de péchés légers, c’est un hérisson ; et dès lors il ne peut se tenir ferme dans les préceptes d’une sublime perfection. Car ces hauteurs sont pour les cerfs. Ces faibles périssent-ils pour cela ? Non ; voici ce qui suit : « La pierre est le refuge des hérissons et des lièvres ». Car le Seigneur est un refuge pour le pauvre hr. Mettez ce rocher sur la terre, il sera le refuge des hérissons et des lièvres : mettez-le dans la mer, il sera l’asile de la foulque. Il est donc partout avantageux ; il est utile sur les montagnes, qui tomberaient dans l’abîme si elles n’étaient soutenues par les rochers qui en sont la base. N’est-il pas dit à propos des montagnes : « C’est là qu’habiteront les oiseaux du ciel, qui feront entendre leurs voix du milieu des pierres hs ? » Partout donc la pierre est pour nous un refuge, qu’on la mette soit sur les montagnes, soit dans la mer où elle est battue, mais non brisée par les flots, soit sur la terre qu’elle affermit : elle est l’asile des cerfs, l’asile des foulques, l’asile des lièvres et des hérissons. Que les lièvres se battent la poitrine, que les hérissons confessent leurs péchés : bien qu’ils se recouvrent chaque jour de fautes légères, la pierre ne leur manquera point pour leur apprendre à dire : « Remettez-nous nos dettes, comme nous remettons à ceux qui nous doivent ht. Le rocher est le refuge des hérissons et des lièvres ». 19. « Il a fait la lune pour marquer les temps hu ». La lune est l’image de l’Église qui, faible d’abord, grandit ensuite, puis à cause de cette vie mortelle, paraît vieillir, mais pour se rapprocher du soleil. Car il n’est point ici question de la lune qui apparaît à nos yeux, mais bien de l’Église, appelée ici du nom de lune ; or, quand cette Église était obscure, quand elle n’apparaissait point encore, et n’avait aucun éclat, les hommes tombaient facilement dans la séduction ; et l’on disait : Voilà l’Église, le Christ est là, « afin de percer de flèches les cœurs droits pendant l’obscurité de la lune hv ». Combien est aveugle aujourd’hui, celui qui s’égare en pleine lune. « Il a fait la lune pour marquer les temps ». Car l’Église est ici-bas dans un lieu de passage, assujettie au temps. Mais cette loi de la mort n’existera point toujours ; croître et décroître passeront, la lune est faite pour marquer le temps. « Le soleil connaît son couchant », et quel est ce soleil, sinon le soleil de justice qui fera regretter aux impies, au jour du jugement, qu’il ne se soit point levé pour eux ? Ils diront alors : « Nous avons donc erré loin du chemin de la vérité ; la lumière de la justice n’a pas lui à nos yeux, son soleil ne s’est point levé pour nous hw ». Ce soleil se lève pour quiconque comprend le Christ. Mais le Christ se dérobe à l’intelligence de celui qui se fâche contre son frère jusqu’à la haine. « Fâchez-vous donc, mais ne péchez point hx ». Car la colère de la charité, qui tend à corriger, n’est pas un péché, parce qu’elle n’est pas invétérée jusqu’à la haine. Mais si la colère se changeait en haine, le soleil alors se coucherait sur votre colère. « Or, que le soleil ne se couche point sur votre colère », a dit saint Paul hy. 20. Ne vous imaginez pas cependant, mes frères, qu’il nous faille adorer le soleil, parce que dans les saintes Écritures, le soleil est pris quelquefois pour l’emblème du Christ. Telle a été la folie de certains hommes, qu’ils ont cru qu’en disant que le soleil est la figure du Christ, on nous demandait un acte d’adoration. Adorez donc aussi la pierre qui est un emblème du Christ hz. « Il a été conduit à la mort comme une brebis ia » ; adorez donc aussi la brebis. « Il a vaincu, ce lion de la tribu de Juda ib » ; adorez donc le lion qui est l’emblème du Christ. Voyez combien sont nombreux les symboles du Christ. Tout cela c’est le Christ en figure, mais non dans le sens propre. Qu’est donc le Christ à proprement parler ? « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu ». Voilà ce qu’était le Christ à proprement parler, et par qui tu as été fait. Veux-tu savoir ce qu’était en propre le Christ par qui tu as été refait ? « Et le Verbe s’est fait chair, et il a habité parmi nous ic ». Tout le reste n’est que figures. Comprends donc, sois à la hauteur des Écritures, et quand l’on met sous tes yeux quelques figures, que ton intelligence s’élève plus haut. 21. Mais ce soleil, disons-le en toute sécurité, ce soleil de justice ne se lève point pour les impies, et ce n’est pas sans raison, quand même ils le voudraient. Car la Sagesse a dit : « Les méchants me chercheront et ne me trouveront point ». Ils la chercheront donc, mais sans la trouver, et pourquoi ? « Parce qu’ils haïssent la sagesse ». C’est la Sagesse elle-même qui nous parle et qui nous dit : « Les méchants me chercheront et ne me trouveront point, parce qu’ils haïssent la sagesse id ». Pourquoi la chercher, s’ils la haïssent ? Ils la cherchent, non pour lui obéir, mais pour s’en prévaloir ; ils la cherchent eu paroles, et la fuient dans leurs mœurs. « Car l’Esprit-Saint qui donne la science, fuit le déguisement, et se retire des pensées qui « sont sans intelligence ie ». Ce soleil se lève donc sur les bons, mais non suries méchants. Qu’est-il dit au contraire du soleil qui luit à nos yeux ? « Que Dieu le fait lever sur les bons comme sur les méchants if ». Notre psaume dès lors nous donne je ne sais quel sens mystérieux, à propos du soleil de justice, car nous voyons aussi bien dans toutes les créatures s’accomplir même visiblement, ce qui nous est dit ici : « Le soleil connaît son coucher ». Qu’est-ce à dire qu’« il connaît son coucher ? » Le Christ connaît ce qu’il doit souffrir, car son coucher c’est sa passion. Mais ce soleil se couche-t-il donc pour ne plus se lever ? « Celui qui dort ne doit-il donc point s’éveiller ig ? » Ne dit-il pas lui-même qu’ « il a dormi tout troublé ? » Et qu’est-il dit de lui ? « O Dieu, élevez-vous par-dessus les cieux ih ». Donc « le soleil a connu son coucher ». Mais qu’est-ce à dire, « l’a connu ? » Il lui a plu, il lui a été agréable. Comment prouver qu’il a connu ce coucher, et qu’il lui a plu ? Qu’y a-t-il que Dieu ne connaisse ? Et pourtant, au dernier jour, il doit dire à quelques-uns : « Je ne vous connais point ii ». De même alors que dans ce dernier cas : « Je ne vous connais point », signifie, vous ne me plaisez point, et non, vous m’êtes inconnus ; de même ici, « connaître son coucher », c’est y mettre ses complaisances ; s’il n’eût en effet agréé sa passion, comment eût-il pu l’endurer ? Un homme n’est point ce divin soleil, et voilà pourquoi il souffre, quand même il ne voudrait pas souffrir. Mais le Christ ne souffrirait point, s’il ne lui plaisait de souffrir, c’est-à-dire qu’il ne se fût point couché, s’il n’eût d’abord connu son couchant. C’est ce qu’il dit lui-même : « J’ai le pouvoir de donner ma vie, et le pouvoir de la reprendre ; nul ne m’ôte la vie, mais je la donne de moi-même ij ». Le soleil donc « connaît son coucher ». 22. Et après le coucher du soleil, après la passion du Seigneur, qu’est-il arrivé ? Je ne sais quelles ténèbres couvrirent les Apôtres, leur espérance vint à faillir, eux qui avaient vu tout d’abord en lui un grand personnage, le Rédempteur des hommes. Pourquoi ? Parce que « Vous avez répandu les ténèbres ▼, et la nuit s’est faite ; c’est là que passeront toutes les bêtes des forêts. Les lionceaux rugissent après leur proie, ils demandent à Dieu leur nourriture il ». Que devons-nous comprendre par ces lionceaux, sinon les esprits de malice im ? Que faut-il comprendre, sinon les mauvais esprits, ces esprits qui se repaissent des erreurs des hommes ? Car il y a parmi les démons des princes, et d’autres qui sont méprisables. Ces démons cherchent à séduire les âmes, mais là seulement où le soleil ne s’est point levé, où règnent encore les ténèbres. Et c’est dans ces ténèbres que les lionceaux cherchent des proies à dévorer. Or, qu’est-il dit à propos du premier de ces lions, du chef de ces lionceaux ? « Ne savez-vous pas que le diable votre ennemi tourne autour de vous, comme le lion qui rugit et cherche quelqu’un à dévorer in? » C’est donc à Dieu qu’ils demandent leur proie, car nul ne peut être tenté par le diable, sans la permission de Dieu. Job, dans sa sainteté, était en présence du diable, et néanmoins il en était bien éloigné ; il était présent aux yeux du démon, mais bien éloigné de sa puissance. Or, comment eût-il osé le tenter dans sa chair, ou dans ses biens, s’il n’en eût reçu le pouvoir ? Pourquoi ce pouvoir lui est-il donné ? Pour la condamnation des méchants, et pour l’épreuve des justes. En tout cela Dieu agit avec justice : et le diable n’a de pouvoir ni sur un homme, ni sur rien de ce qui lui appartient, s’il ne lui est accordé par celui qui a le grand, le souverain pouvoir. C’est ainsi que ni le diable, ni aucun homme n’ont de pouvoir sur un autre, s’il ne leur vient d’en haut. Le juge des vivants et des morts comparaissait devant un homme qui le jugeait ; et cet homme voyant le Christ à son tribunal, s’en enorgueillit, et lui dit : « Ne savez-vous donc pas que j’ai le pouvoir de vous faire mourir ou de vous renvoyer ? » Mais le Christ venant pour instruire celui-là même qui le jugeait, lui répondit : « Vous n’auriez sur moi aucun pouvoir, s’il ne vous était donné d’en haut io ». Ni l’homme donc, ni le diable, ni aucun démon, ne peuvent nous nuire s’ils n’en ont le pouvoir : mais ils ne nuisent point à ceux qui s’avancent dans la piété. Ils sont donc pour les méchants, ce que la flamme est pour le foin, et pour les bons, ce que le feu est pour l’or. Judas fut consumé comme le foin, Job éprouvé comme l’or. « Vous avez répandu les ténèbres, et la nuit s’est formée ; c’est là que passeront les bêtes de la forêt ». Ici nous donnons aux bêtes de la forêt un sens différent de celui que nous avons donné ; c’est que l’on donne aux mêmes noms des significations différentes ; de même que le Seigneur est tout à la fois un agneau et un lion. Et pourtant quelle différence entre le lion et l’agneau ! Mais quel agneau ? Un agneau qui triomphe du loup, qui triomphe du lion. C’est lui qui est la pierre, lui le pasteur, lui la porte. Le pasteur entre par la porte, et dit : « Je suis le bon pasteur » ; et encore : « Je suis la porte ip ». Or, cette dénomination de lion, désigne Notre-Seigneur, car : « Le lion de la tribu de Juda a vaincu iq », et aussi le diable ; car : « Tu marcheras sur le lion et sur le dragon ir ». Apprenez donc, mes frères, comment il faut entendre ces expressions figuratives, et toutefois ne vous imaginez pas que quand vous entendez que la pierre signifie le Christ is, toute pierre doit s’entendre du Christ. Elle a tantôt un sens, tantôt un autre sens il en est de ceci comme d’une lettre, la place qu’elle occupe nous en indique la force. En voyant la première lettre dans l’expression Dieu, si tu crois qu’elle ne peut avoir que cette signification, il faudra donc l’effacer de l’expression diable ; car c’est la même lettre qui commence le nom de diable, et celui de Dieu ; et toutefois rien n’est plus opposé que Dieu et diable. Comprends, dès lors combien il serait étranger aux usages divins et humains, celui qui dirait que le signe D ne doit point commencer le mot diable. Pourquoi ? lui direz-vous : parce que j’ai vu cette lettre dans le mot Dieu, vous répondra-t-il. Un tel homme vous ferait – sourire, mais vous dédaigneriez de lui rendre aucunement raison. Gardez-vous donc de tout sentiment puéril, quand il s’agit de choses divines, et parce que j’ai entendu par les bêtes des forêts, les Gentils, que j’entends maintenant les démons, les anges prévaricateurs, qu’on ne s’imagine pas que je sois en contradiction avec moi-même. Ce sont là des figures, que l’on explique selon les circonstances, et selon la place qu’elles occupent. « C’est là que passeront les bêtes des forêts ». Où ? Dans cette nuit que le Seigneur a répandue, parce que « le soleil a connu son coucher. Les lionceaux rugissent après leur proie, demandant à Dieu leur nourriture ». C’est donc avec raison que le Seigneur, touchant à sa dernière heure, ce même soleil de justice qui connaissait son couchant, dit à ses disciples, aux approches des ténèbres, et quand le lion allait rôder autour d’eux, cherchant à en dévorer quelques-uns, mais sans pouvoir dévorer personne qu’il ne l’ait demandé : « Cette nuit, Satan a demandé à vous cribler comme le froment, et moi, Pierre, j’ai prié pour toi, afin que ta foi ne connaisse point la défaillance it ». Or, quand Pierre jusqu’à trois fois reniait son maître iu, n’était-il point déjà entre les dents de ce lion ? « Les lionceaux rugissent après leur proie, demandant à Dieu leur nourriture ». 23. « Le soleil s’est levé iv ». Celui qui a dit : « J’ai le pouvoir de donner ma vie, et le pouvoir encore de la reprendre, a connu son couchant iw », et a donné sa vie : « Le soleil s’est levé », et il l’a reprise. « Le soleil s’est levé », parce que le soleil s’était couché, mais le soleil ne s’est pas éteint. La nuit dure encore pour ceux qui ne connaissent pas le Christ ; le soleil n’est pas encore levé pour eux. Qu’ils se pressent, qu’ils comprennent, afin de n’être point la proie du lion rugissant. Car les lionceaux n’attaquent point ceux qui ont reçu la lumière de ce soleil Aussi nous lisons ensuite : « Le soleil s’est levé, et ils se sont rassemblés, et ils s’étendront dans leurs tanières ». À mesure que le soleil se lève pour se manifester au monde entier, et faire glorifier le Christ dans l’univers, on voit que les lionceaux se rassemblent, que ces démons cessent de persécuter l’Église, eux qui agissaient dans les enfants de l’infidélité, les stimulant à persécuter la maison de Dieu. Car il est dit que « le prince des puissances de « l’air agit maintenant suries enfants de l’incrédulité ix ». Aujourd’hui que nul d’entre eux n’ose persécuter l’Église, « le soleil s’est couché, et ils se sont rassemblés ». Où sont-ils ? « Ils s’étendront dans leurs tanières » ; leurs tanières sont les cœurs des infidèles. Combien en est-il qui portent ces lions couchés dans leurs âmes ! Ils n’en sortent plus, ils ne se ruent plus sur cette Jérusalem dans son pèlerinage terrestre. Pourquoi ne le font-ils plus ? C’est que « le soleil s’est levé », et qu’il brille dans l’univers entier. 24. Vois donc ce qui suit : « Depuis que le soleil s’est levé, que les lions sont rassemblés, qu’ils sont étendus dans leurs tanières », que fais-tu, ô homme de Dieu ? Que fais-tu, ô Église de Dieu ? Que fais-tu, ô corps du Christ, dont la tête est au ciel ? Que fais-tu, ô homme, ô unité du Christ ? « L’homme sort pour son travail iy ». Que cet homme donc s’applique aux bonnes œuvres dans la paix, dans la sécurité de l’Église, qu’il s’y applique jusqu’à la fin. Il se fera parfois un certain obscurcissement, il y aura certains chocs, mais au soir, c’est-à-dire à la fin des temps : mais aujourd’hui l’Église travaille dans la paix et dans la tranquillité, parce que « l’homme s’en ira à son travail, et à son labeur jusqu’au soir ». 25. « Combien sont grandes vos œuvres, ô mon Dieu iz ». Oui vraiment grandes, vraiment élevées. Où donc vos œuvres sont-elles devenues si grandes ? Où Dieu s’est-il arrêté, s’est-il assis, pour accomplir ses œuvres ? En quel lieu les a-t-il faites ? D’où sont émanées tout d’abord de si grandes merveilles ? À prendre ces paroles à la lettre, d’où vient toute créature réglée, toute créature qui marche dans l’ordre, qui a sa beauté dans l’ordre, se lève dans l’ordre, se couche dans l’ordre, mesure le temps avec ordre ? Quant à l’Église, d’où viennent ses agrandissements, ses progrès, sa perfection ? Quelle immortalité Dieu lui a-t-il réservée ? Par quels éloges peut-on la relever ? par quels mystères la signaler ? Sous quels symboles la voiler ? Par quelle prédication la révéler ? Où Dieu a-t-il fait toutes ces merveilles ? Oui, je vois de grandes œuvres. « Que vos œuvres sont admirables, Seigneur mon Dieu ! » Je cherche en quel lieu Dieu les a faites, et je n’aperçois aucun lieu. Mais j’écoute ce qui suit : « Vous avez tout fait dans la sagesse ». Donc vous avez tout fait dans le Christ. Ce Christ méprisé, souffleté, couvert de crachats ; ce Christ couronné d’épines, ce crucifié, c’est en lui que vous avez tout fait. J’entends, Seigneur, je comprends ce que vous avez fait annoncer aux hommes par votre infatigable soldat, ce que vous avez fait prêcher aux Gentils par votre saint prédicateur, que le Christ est la vertu de Dieu, la sagesse de Dieu. Que les Juifs se raillent d’un Christ crucifié, qui est pour eux un scandale ; que les païens se moquent d’un Christ crucifié, qui est pour eux une folie : « Pour nous, nous prêchons Jésus-Christ crucifié, scandale pour les Juifs, folie pour les Gentils, mais la force de Dieu, la sagesse de Dieu pour ceux qui sont appelés, qu’ils soient Juifs ou Gentils ja. Vous avez fait tout dans votre sagesse » 26. « La terre a été remplie de vos créatures ». C’est des créatures du Christ que la terre est remplie. Et comment ? Comme nous le voyons. Quelle créature ne vient pas du Père par son Fils ? Tout ce qui marche ou qui rampe sur la terre, tout ce qui nage dans les eaux, tout ce qui vole dans l’air, tout ce qui tourne dans le ciel, et à plus forte raison sur la terre, le monde entier est créature de Dieu. Mais le Prophète semble parler ici de je ne sais quelle créature nouvelle, dont l’Apôtre a dit : « Si donc quelqu’un est à Jésus-Christ, c’est une nouvelle créature, le passé n’est plus ; tout est devenu nouveau, et tout vient de Dieu jb ». Quiconque a embrassé la foi du Christ, et s’est dépouillé du vieil homme, pour revêtir l’homme nouveau, celui-là est une créature nouvelle jc. « Vos créatures couvrent la terre ». Le Christ n’a été crucifié qu’en un seul lieu du monde, ce grain de froment n’est tombé que dans un petit coin de la terre pour y mourir ; mais il a porté un grand fruit. Vous étiez seul, Seigneur Jésus, quand vous passiez ici-bas ; j’entends dans un autre psaume votre voix qui s’écrie : « Me voilà seul, jusqu’à ce que je sois passé jd » ; vous étiez donc seul, quand vous connaissiez votre couchant ; mais du couchant vous avez passé au levant. Oui, vous vous êtes levé, vous avez resplendi, vous avez été élevé en gloire, en vous élevant au ciel, et voilà que « la terre est remplie de vos créatures ». Notre psaume n’est point terminé, mes frères, nous en réservons quelque peu pour dimanche, au nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ.QUATRIÈME DISCOURS SUR LE PSAUME 103
QUATRIÈME SERMON. – QUATRIÈME PARTIE DU PSAUME.
LE MONDE INVISIBLE DANS LE MONDE VISIBLE.
Dieu a tout fait avec une sagesse que plusieurs créatures ne peuvent comprendre, que nous ne pouvons méconnaître sans crime et qui serait notre flambeau si nous la cherchions sincèrement ; cette sagesse est le Verbe de Dieu. Dans ces créatures qui remplissent la terre, arrêtons-nous à l’homme nouveau, qui renonce au passé pour s’occuper uniquement de l’avenir mais pour arriver à cet avenir, il faut passer la mer dont l’eau stérile et amère renferme des reptiles grands et petits ; et nous la passerons dans les vaisseaux ou les Églises que dirige le Christ. Il y a toutefois dans cette mer le dragon qui a empoisonné le genre humain à sa source, et don-t nous devons observer la tête ou repousser les premières suggestions, ce que nous ne pouvons faire que par Jésus-Christ notre vraie lumière. Job en observant cette tête, lui ferma son cœur et ne pécha point en paroles : s’il désire un arbitre, c’est la médiation du Christ. Le pouvoir du dragon est grand, mais il est le jouet des anges qui nous protègent contre lui ; il est tombé et ne peut rien que Dieu ne permette. Prenons alors Jésus-Christ pour chef. Dieu donne le pain à toute créature ; notre pain c’est le Christ ; celui du dragon, c’est nous, si nous sommes éloignés du Christ, si nous devenons terre par nos goûts terrestres. Mais cette nourriture, Dieu doit la donner aux animaux, et au démon qui ne peut toucher à personne, si Dieu ne l’autorise. Cette main que Dieu ouvre pour nous rassasier de ses dons, c’est le Christ ; qu’il se détourne et nous sommes dans le trouble ; et il se détourne quand nous présumons de nous-mêmes. Il nous retire notre esprit ou nos pensées humaines, et nous envoie le sien qui fait de nous des créatures nouvelles. Alors il se complaît dans ses œuvres et nous fait travailler avec crainte ; les cœurs les plus impies s’embrasent d’amour quand il les touche. Cette discussion dont il est parlé à la fin, c’est la discussion de notre conscience, et dès lors notre confession. Alors les pécheurs disparaîtront de la terre, c’est-à-dire que les hommes cesseront d’être pécheurs. 1. Votre charité ne l’a point oublié : sans doute il n’y a qu’une seule parole de Dieu répandue dans toutes les Écritures, et dans toutes les bouches des saints, qu’un seul Verbe qui retentit. Ce Verbe étant au commencement en Dieu je, n’a là aucune syllabe, puisqu’il n’est point soumis au temps ; mais il n’y a rien d’étonnant que pour se proportionner à notre faiblesse, il s’abaisse jusqu’à nos particules et nos syllabes, puisqu’il s’est abaissé jusqu’à se revêtir de notre chair si fragile. Déjà nous avons fait sur notre psaume plusieurs discours, et pour apercevoir les figures qui n’y sont voilées que pour se découvrir à ceux qui frappent, il nous a fallu pendant quelques jours des heures assez longues pour les lire, les signaler, en expliquer les symboles, les exposer, les développer, les montrer en un mot. Votre charité, dis-je, n’a point oublié qu’hier nous n’avons pu terminer notre psaume, et que nous l’avons remis pour aujourd’hui. Dieu nous a donné du temps pour acquitter notre dette : il m’a donné le moyen d’y satisfaire, à moi qui suis débiteur, et de vous mettre en repos, vous qui êtes mes créanciers : puisse-t-il nous suggérer le bien que nous vous devons rendre, lui qui ne nous a pas rendu le mal que nous méritions ! 2. Il vous souvient sans doute, mes frères, et c’est un doux souvenir pour vous, que toutes les fibres de notre cœur ont chanté avec le psaume : « Combien vos œuvres sont admirables, ô mon Dieu ! Vous avez tout fait dans votre sagesse ; la terre est remplie de vos créatures jf ». Tout ce que Dieu a fait, est fait avec sagesse, fait dans la sagesse. Tout ce qui connaît la sagesse, et tout ce qui ne la connaît point, et qui est néanmoins créé par Dieu, est tait dans la sagesse, fait par la sagesse. Connaître la sagesse, c’est avoir la sagesse pour flambeau ; ne pas la connaître, c’est avoir la sagesse pour créatrice, et demeurer dans la folie : et avoir la sagesse pour lumière, c’est l’avoir encore pour créatrice, mais elle peut être notre créatrice, et non pas notre lumière. Il en est beaucoup parmi les hommes qui ont part à la sagesse, et que l’on nomme sages, comme il en est beaucoup qui l’ignorent, qu’on appelle insensés. Ce nom de fous est une marque de mépris, parce que s’ils étudiaient la sagesse, s’ils la demandaient, s’ils la cherchaient, s’ils frappaient à la porte, ils pourraient avoir part à ses lumières, qui se dérobent à la négligence, et non à la nature. Il est d’autres créatures que la sagesse ne saurait éclairer, telles que les bêtes et les animaux, les arbres, qui n’ont pas même le sentiment. Mais pour être privées des lumières de la sagesse, en sont-elles moins créées dans la sagesse, et par la sagesse ? Dieu donc n’attend aucune intelligence du cheval et du mulet mais il dit aux hommes : « Ne soyez point comme le cheval et le mulet, qui n’ont point d’intelligence jg ». Ce qui est naturel dans le cheval devient criminel dans l’homme. Voici donc ce que dit le Seigneur : Je n’exige point la lumière de ma sagesse dans les créatures que je n’ai point faites à mon image ; mais je l’exige dans celles que j’ai faites ainsi, et leur demande l’usage des dons que j’ai départis. Donc en rendant à Dieu ce qui est de Dieu, et à César ce qui est de César jh ; c’est-à-dire en reportant à César sa monnaie, et à Dieu ce qui est à Dieu, les hommes élèvent leur esprit, non point jusqu’à eux-mêmes, mais jusqu’à Dieu leur créateur, jusqu’à cette lumière d’où ils viennent, jusqu’à ce foyer spirituel qui les embrase, loin duquel ils sont glacés, loin duquel encore ils ne sont que ténèbres, où ils retrouvent la lumière dès qu’ils s’en approchent ; et comme ils ont dit pieusement : « C’est vous, Seigneur, qui faites luire mon flambeau, vous dissiperez mes ténèbres, ô mon Dieu ji » ; les ténèbres de leur folie terrestre se dissipent, et voilà qu’ils ouvrent la bouche, qu’ils respirent, et qu’ils élèvent avec confiance les yeux du cœur, que la pensée leur découvre le monde entier, la terre, la mer et le ciel, qu’ils voient dans toutes ces créatures une admirable disposition, un cours parfaitement régulier, chaque créature distincte dans son genre, se reproduire par ses germes, renaître successivement, durer un temps marqué, et alors ils admirent dans ses œuvres le divin ouvrier, de manière que l’artiste divin les voit eux-mêmes avec complaisance au milieu de ses œuvres. Alors sous le poids de leur joie, de cette joie incomparable, ils s’écrient : « Que vos œuvres sont admirables, ô mon Dieu ! Vous avez fait tout avec sagesse ». Où est cette sagesse dans laquelle vous avez tout fait ? Par quel sens l’atteindre ? par quel œil la découvrir ? Avec quel empressement la chercher ? Par quel mérite la posséder ? Quel autre croyez-vous, sinon la grâce ? Celui qui nous a fait don de l’existence, nous a aussi fait don de la bonté. Il donne aux uns de se convertir, car avant leur conversion, quand ils marchaient encore dans les chemins de l’erreur, ne les a-t-il point cherché ? N’est-il point descendu ? Le Verbe ne s’est-il pas fait chair, afin d’habiter parmi nous jj ? N’a-t-il pas allumé la lampe de sa chair, lorsqu’il était à la croix, pour chercher la dragme perdue jk ? Il l’a cherchée, et l’a retrouvée au milieu des applaudissements de ses voisins, c’est-à-dire de toute créature spirituelle qui s’approche de Dieu. La dragme a été retrouvée aux applaudissements des voisins, et l’âme humaine rachetée aux applaudissements des anges. Qu’elle tressaille donc, cette âme retrouvée, et qu’elle dise : « Combien vos œuvres sont admirables, ô mon Dieu ! vous avez tout fait dans votre sagesse ». 3. « La terre est remplie de vos créatures ». De quelles créatures est remplie la terre ? Les arbres et les arbrisseaux, les troupeaux et les bêtes sauvages, le genre humain tout entier, voilà ce qui remplit la terre, créature de Dieu elle-même. Nous le voyons, nous le savons, nous le lisons, nous le reconnaissons, nous en louons Dieu, nous prêchons sa gloire, et nos louanges sont bien en arrière des jubilations de nos cœurs, à la vue de ces merveilles. Mais arrêtons-nous de préférence à cette créature, dont l’Apôtre a dit : « Si quelqu’un est à Jésus-Christ, c’est une nouvelle créature ; le passé n’est plus, tout est devenu nouveau jl ». Quel est ce passé qui n’est plus ? Chez les Gentils toute idolâtrie, chez les Juifs tout asservissement à la loi, les anciens sacrifices, ombres du sacrifice nouveau. Le vieil homme abondait, alors est venu celui qui devait renouveler son œuvre, il est venu jeter son argent à la refonte, y graver son effigie, et nous voyons la terre remplie de chrétiens qui croient en Dieu, qui ont en horreur leurs anciennes impuretés, leur idolâtrie, qui renoncent aux espérances du passé pour espérer une vie à venir ; ces biens ne se réalisent point encore, nous les tenons néanmoins en espérance, et cette espérance nous fait chanter et dire : « La terre est remplie de vos créatures ». Ce n’est point encore là le chant de la patrie, ni de ce repos qui nous est promis alors que seront affermies les portes de Jérusalem jm. Mais dans notre pèlerinage, à la vue de ce monde entier, de ces hommes qui de toutes parts accourent embrasser la foi, qui craignent l’enfer, qui méprisent la mort, qui aspirent à la vie éternelle, qui dédaignent celle-ci, transportés de joie à la vue d’un tel spectacle, nous chantons : « O Dieu, la terre est remplie de vos créatures ». 4. Cette vie, toutefois, est encore battue par les flots des tentations, elle est troublée par les tempêtes et par les orages de la tribulation et de l’orgueil ; telle est néanmoins la voie. Que la mer nous menace, que ses flots s’amoncellent, que ses tempêtes grondent, c’est là qu’il faut aller ; nous avons pour naviguer le bois sacré : « La terre est remplie de vos créatures ». Nous ne sommes point encore, il est vrai, à la terre des vivants, celle-ci est encore la terre où l’on meurt ; mais nous crions et nous disons : « Vous êtes mon espérance, vous êtes mon héritage dans la terre des vivants jn ». Mon espérance dans la terre de la mort, mon héritage dans la terre des vivants. Telle est la terre remplie de la créature de Dieu. Celui-ci qui est sur la terre de la mort, et pas encore dans la terre des vivants, par où va-t-il passer ? Écoute ce qui suit : « Voilà la grande mer qui s’étend au loin, là se meuvent des reptiles sans nombre, des animaux grands et petits jo ». La mer a un son effrayant : « Là se meuvent des reptiles innombrables ». Les pièges se glissent de toutes parts ici-bas, les imprudents y sont pris. Qui peut énumérer toutes les tentations qui se glissent partout ? Elles se glissent ; mais veille à n’être pas enlacé. Veillons sur le bois sacré, et alors nous sommes en sûreté, et sur les ondes et au milieu des flots : que le Christ ne dorme point, que notre foi ne dorme point ; si le Christ dort, éveillons-le, et il commandera aux vents, et la mer s’apaisera jp ; cette voie aura un terme qui nous donnera la joie de la patrie. « Là se meuvent des reptiles sans nombre, grands et petits ». Sur cette mer si formidable, je vois encore des incrédules ; je les trouve dans les eaux stériles et amères, les uns grands, les autres petits. Nous voyons cela. Il est encore dans cette vie bien des petits qui n’ont pas encore embrassé la foi, beaucoup de grands du monde ne croient point encore ; il y a dans cette mer « de grands et de petits animaux » : ils haïssent l’Église, le nom de Jésus-Christ leur pèse ; ils ne nous outragent point, parce que la loi ne le permet pas ; leur cruauté, n’osant éclater, se renferme dans leurs cœurs. Tous ceux, en effet, petits ou grands, qui voient avec douleur les temples fermés, les autels renversés, les idoles brisées, les lois qui défendent comme un crime capital de sacrifier aux idoles, tous ceux qui en sont affligés sont encore dans la mer. Mais nous, par où donc pourrons-nous aller à la patrie ? En traversant la mer, mais appuyés sur le bois. Ne crains aucun danger, le bois qui te porte soutient le monde entier. Redoublez donc d’attention : « Cette mer est vaste et s’étend au loin, là se meuvent des reptiles sans nombre, grands et petits ». Mais rassure-toi, bannis toute crainte, soupire après la patrie, et sache que tu es dans l’exil. 5. « C’est là que passeront les navires jq ». Voyez, sur cette mer effrayante, des vaisseaux qui se promènent sans être submergés. Dans ces vaisseaux, nous voyons les Églises. Elles traversent et les tempêtes et les orages des tentations, et les flots du monde, au milieu des petits et des grands animaux. Le Christ est là pour les diriger avec le bois de sa croix. « C’est là que passeront les navires ». Que ces navires ne craignent point, qu’ils ne considèrent point la mer qu’ils traversent, mais le pilote qui les conduit. « C’est là que passeront les navires ». Or, quelle traversée peut être fâcheuse, quand on sent que le Christ est le pilote ? Ils passeront donc en sécurité, ils passeront avec persévérance, ils arriveront au port, et seront conduits sur la terre du repos. 6. Mais il y a dans cette mer quelque chose de plus redoutable que ces animaux grands et petits. Qu’est-ce donc ? Écoutons le psaume : « Là est ce dragon que vous avez formé, pour être un jouet jr ». Il y a donc là des reptiles sans nombre, des animaux grands et petits, des navires qui passent et qui ne craindront ni les reptiles sans nombre, ni les animaux grands et petits, ni même le dragon qui est là, et « que Dieu a formé pour être un jouet ». Il y a ici un grand mystère, et néanmoins vous connaissez ce que je vais vous en dire. Vous connaissez ce dragon ennemi de l’Église ; sans l’avoir vu des yeux de la chair, vous l’avez vu des yeux de la foi. C’est lui qui est encore appelé lion, et dont l’Écriture nous a dit : « Vous foulerez aux pieds le lion et le dragon js ». Sois toi-même soumis à ta tête, et tiens ton corps en servitude, que les membres se tiennent unis à leur chef, afin d’en être véritablement les membres. Il est dit d’Eve, la première femme, que ce dragon la séduisit, en lui donnant un conseil de mort, en se glissant comme un serpent dans son cœur, par ses persuasions malignes. Alors arriva ce que nous savons, ce que nous fîmes là nous-mêmes, ce que nous déplorons. Dans ces deux premières tiges était le genre humain tout entier, De là vient cette source de mort ; de là ces dettes, ces fautes chez les enfants. « Qui donc est pur en votre présence », dit l’Écriture ? « pas même l’enfant qui n’a vécu sur la terre qu’un seul jour jt ». De ce premier péché vient la transmission du péché, la transmission de la mort. Car vous savez ce qui a été dit à la femme, ou mieux au serpent, lorsque Dieu entendit le péché du premier homme. « Elle observera ta tête et tu « observeras son talon ju ». Il y a ici un grand mystère, une figure de l’Église à venir, tirée du flanc de son Époux, et de son Époux endormi. Car Adam était la figure de l’Adam futur, ainsi que l’a dit l’Apôtre : « Cet Adam figurait l’Adam à venir jv ». En lui, nous voyons une image de ce qui devait arriver, puisque l’Église a été formée du côté du Christ qui dormait sur la croix. C’est du flanc du crucifié, ouvert par une lance jw, qu’ont découlé les sacrements de l’Église. Qu’est-il donc dit à l’Église ? Écoutez bien, mes frères, comprenez, et tenez-vous en garde : « Elle observera ta tête, et tu observeras son talon ». O Église, observe donc la tête du serpent. Qu’est-ce que la tête du serpent ? La première suggestion du péché. Te vient-il à l’esprit quelque désir du mal ? N’y arrête point ta pensée, n’y consens point. Une telle suggestion est la tête du serpent ; brise cette tête, et tu échapperas aux autres mouvements. Qu’est-ce à dire, brise la tête ? Dédaigne ses suggestions. Mais c’est un gain qu’il me suggère, il y a là beaucoup à gagner, beaucoup d’or ; telle fraude t’enrichira. C’est la tête du serpent, brise-la. Qu’est-ce à dire, brise-la ? Dédaigne ce qu’il te suggère. Mais il me propose un grand trésor. Et que sert à l’homme de gagner le monde entier, s’il vient à perdre son âme jx. Périsse le gain du monde, plutôt que mon âme. Parler ainsi, c’est observer la tête du serpent, et l’écraser. Mais le diable observe aussi ton talon. Qu’est-ce à dire qu’il observe ton talon ? Quand tu abandonnes le chemin de Dieu. Le quitter, c’est tomber ; tomber, c’est être au pouvoir du diable. Pour ne point tomber, n’abandonne pas le chemin. Dieu t’a ouvert un sentier étroit, tout ce qui l’environne est glissant. Aussi le Christ est ta lumière, comme le Christ est ta voie. « Il y avait », dit l’Évangile, « une lumière véritable, éclairant tout homme qui venait en ce monde jy ». Et encore : « Je suis la voie, la vérité et la vie jz ». Venir par moi, c’est venir à moi. Si donc il est notre lumière, il est aussi notre voie ; et nous éloigner de lui, c’est n’être ni dans la voie, ni dans la lumière, Que doit-il t’arriver ensuite ? Ce que dit le Prophète, dans un autre psaume : « Que leur voie soit ténébreuse et glissante ka ». 7. Donc ce dragon, cet antique ennemi, écumant de rage, si astucieux dans ses embûches, habite cette vaste mer. « Ce dragon que vous avez fait pour être un jouet ». Fais de lui un jouet, car c’est pour cela qu’il est devenu dragon, Son péché l’a fait tomber du haut du ciel ; d’ange qu’il était, devenu démon, il s’est choisi pour habitation cette mer si vaste et si spacieuse. Ce que tu prends pour son royaume est une prison. Beaucoup nous disent : Pourquoi tant de pouvoir au diable, qui domine ainsi le monde, qui a tant de force, tant d’autorité ? Quelle est cette puissance, cette autorité ? Il ne peut rien qu’on ne lui permette, Agis de façon qu’il ne lui soit rien permis sur toi ; ou s’il lui est permis de te mettre à l’épreuve, qu’il soit vaincu et se retire sans avoir rien gagné. Dieu lui a permis de tenter quelques saints serviteurs de Dieu ; ils l’ont vaincu, parce qu’ils ne se sont pas éloignés de la véritable voie, et ils ne sont point tombés, quoique ce dragon observât leurs pieds. Job, cet homme si saint, était assis sur un fumier, et courait néanmoins dans cette voie de Dieu. Voyez comment il observait la tête du serpent, et comment le serpent observait son talon. L’un repoussait la suggestion l’autre comptait sur la chute : il s’empara même de sa femme, qui était si faible ; il ôta tous les biens à Job, et ne lui laissa que celle dont il devait se faire une aide, non pour consoler son mari, mais pour lui tendre des embûches ; il s’empara d’elle, parce qu’elle n’observait point sa tête. C’était une nouvelle Eve, mais Job n’était plus Adam. Privé de tout bien, Job demeura avec son Épouse, qui devait le tenter, et avec Dieu qui devait le diriger. Quelle pauvreté plus grande et plus subite que la sienne, si l’on considère sa maison ? Quelle plus grande richesse, si l’on considère son cœur ? Vois le dénuement de sa maison. Tout en a disparu. Vois les richesses de son cœur : « Le Seigneur a donné, le Seigneur a ôté ; ainsi qu’il a plu au Seigneur, il a été fait ; que le nom du Seigneur soit béni ». « Le Seigneur a donné, le Seigneur a ôté kb » ; il savait qui le conduisait, qui le tentait, qui avait donné ce pouvoir à son tentateur. Que le diable, dit-il, ne s’attribue rien ; il a bien la volonté de nuire, mais il n’en aurait pas le pouvoir, s’il ne l’avait reçu ; je ne souffre qu’autant qu’il en a reçu la puissance ; ce n’est point de sa part que je souffre, mais de la part de celui qui lui a donné ce pouvoir : méprisons l’orgueil du tentateur, respectons les châtiments d’un père. Le tentateur fut repoussé, sa tête était observée, elle ne put entrer dans le cœur. Il assiégea extérieurement une ville bien fortifiée, et ne put l’emporter. Nouvelle épreuve. Dieu donna au diable un pouvoir sur son corps, et Job fut frappé d’un ulcère effroyable, de la tête aux pieds ; il tombait en pourriture, les vers sortaient de son corps, et n’ayant plus de maison, il s’asseyait sur un fumier. Là, Eve séduite, que le diable avait laissée à ce nouvel Adam, non pour le soutenir, mais pour le faire tomber, lui suggère le blasphème contre Dieu. Dans le paradis, il poussa au mépris de Dieu ; ici, il pousse au blasphème. Dans le paradis, il vainquit l’homme qui était sain de corps ; ici, il est vaincu par un homme en pourriture ; il renversa l’homme dans le paradis, et fut renversé par l’homme du fumier. Or, ce dragon épiait si Job ne pécherait point par la langue. Pour tout homme, en effet, l’action est une démarche ; et agir, c’est aller au but, et en quelque sorte avoir des pieds. Or, Job parlait beaucoup ; ceux qui lisent l’Écriture le savent bien ; et dans toutes ses paroles, le serpent observait son talon, afin de voir s’il ne tomberait point. Mais Job observait à son tour la tête du serpent, et repoussa toute suggestion. Il répondit à sa femme, comme il fallait répondre à une femme : « Vous avez parlé comme une femme insensée ; si nous avons reçu les biens de la main de Dieu, pourquoi n’en recevrions-nous pas les maux ? En toutes ces choses, Job ne pécha point par la langue kc ». Plusieurs néanmoins, ne comprenant pas bien les paroles de Job, y voient des expressions quelque peu dures contre le Seigneur. 8. Dans cette colère contre Dieu, que lui prêtent ceux qui ne le comprennent point, il dit ceci, entre autres, s’adressant à Dieu, alors qu’il était la grande personnification d’une grande prophétie : Puisse-t-il y avoir un « arbitre entre vous et moi kd , ▼▼selon les LXX
! » Qu’est-ce à dire, « un arbitre ▼▼O mesites emon.
? » Un homme jugeant entre nous, et dont le jugement ferait triompher ma cause. Tel est le premier sens qui s’offre d’abord : mais examine, afin d’éviter une erreur ; car le serpent a toujours l’œil sur ton talon kg. Quel paraît être le sens de cette parole ; « Puisse-t-il y avoir un arbitre entre vous et moi ! » c’est-à-dire un médiateur capable de juger entre vous et moi. Ce langage d’un homme à Dieu, d’un homme sur un fumier, un ange dans le ciel le tiendrait-il à Dieu : Puisse-t-il y avoir un arbitre entre nous ! Mais que prévoyait Job, que désirait-il ? « Beaucoup de justes et de Prophètes ont voulu voir », dit le Sauveur, « ce que vous voyez et ne l’ont point vu kh ». Il souhaitait donc un arbitre ; et qu’est-ce qu’un arbitre ? Un médiateur qui accommode un différend. N’étions-nous donc pas ennemis de Dieu, et notre cause contre lui n’était-elle point désespérée ? Or, qui pouvait terminer ce malheureux différend, sinon cet arbitre médiateur, sans l’avènement duquel toute voie miséricordieuse nous était fermée ? C’est de lui que l’Apôtre a dit : « Il n’y a qu’un Dieu, et qu’un médiateur entre Dieu et les hommes, Jésus-Christ homme ki ». S’il n’était homme, il ne serait point médiateur ; comme Dieu, en effet, il est égal à son Père. Il est dit ailleurs : « Un médiateur ne l’est pas d’un seul, et il n’est qu’un seul a Dieu kj ». On n’est médiateur qu’entre deux ; le Christ est donc médiateur entre l’homme et Dieu, Non parce qu’il est Dieu, mais parce qu’il est homme : comme Dieu, il est égal à son Père ; mais dans cette égalité il n’est point médiateur, Pour être médiateur, il doit descendre entre le supérieur et l’inférieur, et dès lors n’être plus égal au Père ; il doit faire ce qu’a dit l’Apôtre : « Il s’est anéanti en prenant la forme de l’esclave, en se faisant semblable aux hommes et reconnaître homme par tout ce qui a paru en lui kk ». Qu’il répande son sang, effaçant ainsi notre condamnation kl ; qu’il apaise le différend qui est entre nous, en redressant notre volonté selon la justice, et en inclinant sa sentence vers la miséricorde. C’est ainsi que nous expliquons avec le secours de Dieu, et selon qu’il nous est possible, une expression qui nous paraît dure dans Job ; de même il y a manière d’entendre les autres expressions qui semblent dures et blasphématoires. Nous pourrions penser le contraire, si Dieu n’eût rendu témoignage à son serviteur et avant qu’il eût parlé, et après qu’il eut achevé de parler. Car Dieu lui rendit tout d’abord témoignage, en l’appelant : « Un homme irréprochable, un véritable adorateur de Dieu km ». Ainsi dit le Seigneur, ainsi dit-il avant la tentation. Mais afin qu’on ne pût se scandaliser en interprétant mal ces paroles, et en s’imaginant que Job fût juste à la vérité avant l’épreuve, mais qu’une épreuve si rude le fit tomber, et même tomber dans le sacrilège et le blasphème, voilà qu’après tous les discours et de Job et des amis qui étaient venus pour le consoler, le Seigneur déclare que ces amis n’ont point parlé selon la vérité comme avait fait son serviteur Job. « Vous n’avez dit en ma présence aucune vérité, comme Job mon serviteur kn ». Puis il ordonne à Job d’offrir pour eux un sacrifice, afin que leurs péchés soient effacés. 9. Courage donc, mes frères, que celui qui veut observer la tête du serpent, et passer en toute sécurité la mer de cette vie, prenne garde au serpent dont elle est la demeure, et comme je le disais, le diable tombé du ciel, occupe maintenant cette place ; qu’il observe sa tête, loin de toute crainte et de tout désir du siècle. Car ses suggestions aboutissent à la crainte ou au désir ; c’est ton amour ou ta crainte qu’il s’applique à sonder, Toi donc, si tu crains l’enfer, si tu désires le ciel, tu observeras sa tête ; en évitant sa tête, tu es en assurance ; il ne te verra point tomber, et n’aura point de ta ruine une joie féroce. Que personne donc, je le répète, ne nous dise qu’il a un grand pouvoir. Les hommes semblent ne voir que la puissance qu’il a reçue, sans voir ce qu’il a perdu. Mais Job, ce saint personnage, dans un langage figuré et d’une haute profondeur, nous parle de ce pouvoir que l’on attribue au diable, et le décrivant sous un grand nombre de formes et de figures, nous dit ce qu’est ce diable : « Rien de semblable ne s’est fait sur la terre, afin que mes anges se jouent de lui ». C’est Dieu qui parle ainsi dans le livre de Job : « Rien de semblable ne s’est fait sur la terre, afin que mes anges se jouent de lui. Il voit tout ce qui est élevé ; il est le roi de tout ce qui est dans les eaux ko
,
▼▼selon les LXX
». Ces paroles sont d’accord avec celles de notre psaume. Car en parlant de cette mer vaste et spacieuse, où se meuvent des animaux grands et petits, des reptiles sans nombre, où passent les navires que sauvegarde le bois, il s’écrie : « Là est ce dragon que vous avez formé pour être un jouet ». Si donc il est un jouet, comment Dieu se jouait-il de lui ? Ou bien Dieu l’a-t-il livré à d’autres comme un jouet, c’est-à-dire afin qu’on lui insulte ? Nous croirions que c’est de Dieu qu’il est le jouet, si le livre de Job ne tranchait la difficulté ; car il nous dit : « Pour être le jouet de mes anges ». Veux-tu que le diable soit ton jouet ? Sois un ange de Dieu. Mais tu n’es pas encore un ange du Seigneur. Jusqu’à ce que tu le deviennes, si tu prends le moyen de le devenir, il est d’autres anges qui peuvent se jouer du dragon, l’empêcher de te nuire. Car ces anges du ciel sont établis sur les puissances de l’air, c’est par eux que vient toute parole qui s’accomplit ici-bas. Ils contemplent cette loi immuable, éternelle, qui commande sans écriture, sans syllabe, sans aucun son, toujours fixe, toujours la même ; les anges la contemplent d’un cœur pur, et selon ses préceptes, ils font tout ce qui s’accomplit ici-bas ; et depuis la plus haute puissance jusqu’à la dernière, tout est réglé par cette loi. Or, si les hautes puissances des cieux sont gouvernées par la parole de Dieu, combien plus les puissances inférieures et terrestres ? Il ne reste donc aux méchants que la volonté de nuire. C’est ce désir de nuire que l’homme a en propre, et désir qui le perd. Mais qu’il ne se glorifie point d’avoir pu nuire à quelqu’un : ce n’est pas lui qui a nui, c’est Dieu qui lui en a donné le pouvoir. C’est un arrêt prononcé, une sentence irrévocable : « Il n’y a point de puissance qui ne vienne de Dieu kq ». Que crains-tu donc ? Que le dragon soit dans les eaux, qu’il soit dans la mer, tu passeras. Il est destiné à être un jouet, c’est le rang qu’on lui a donné, la demeure qui lui est assignée. Si tu regardes comme grandes encore ces demeures, c’est que tu ne connais point les demeures des anges d’où il est tombé ; ce que tu vois comme une gloire, est une damnation. 10. Écoutez une simple comparaison ; car c’est un grand point que connaître et comprendre tout ceci. Imaginez-vous que toutes ces créatures ainsi coordonnées forment une vaste maison ; or, dans cette maison est un souverain maître qui a des serviteurs, et parmi ces serviteurs quelques-uns l’approchent de plus près, ont des emplois plus nobles, comme la garde des vestiaires, des trésors, des greniers, des grands fermages ; il a aussi des serviteurs pour des emplois inférieurs, toujours soumis à ce maître, qui en a même destiné aux cloaques ; voyez combien sont nombreux les degrés entre les premiers officiers et ces derniers. Mais qu’un des premiers vienne à offenser son maître qui l’envoie comme portier, par exemple, en quelque lieu écarté ; qu’en exerçant le pouvoir qui lui est assigné, il maltraite ceux qui voudront entrer ou sortir, selon le pouvoir qu’il a reçu du maître, et que ceux-ci ne sachent point qu’il occupa jadis un rang très élevé, ils lui croiraient une grande puissance, parce qu’ils ne connaîtraient point de quel rang il est tombé. Et pourtant, mes frères, ce portier dont je vous parle, dans cette comparaison d’une grande maison de la terre, pourrait agir encore à l’insu de son maître, et maltraiter quelqu’un sans son ordre. Mais le diable n’est pas même placé à cette porte par laquelle nous allons à Dieu. Car cette porte c’est le Christ, et c’est par le Christ que nous entrons dans la vie éternelle kr. Mais il est une autre porte par laquelle on entre dans le monde, c’est la porte de la mortalité ; il est comme portier à cette porte où notre chair infirme se détruit et se refait : il a le pouvoir sur cette mer que traversent les vaisseaux, mais pas un pouvoir tel qu’il agisse à l’insu ou contre la volonté du maître. Qu’on ne dise point : Il a perdu la puissance qu’il avait dans les grands emplois ; mais moi je suis dans les plus basses régions, il peut avoir un pouvoir sur moi, et je devrais le servir. Ici point d’illusion ; ton Naître te connaît, et il te connaît au point de savoir le nombre de tes cheveux ks. Que crains-tu donc ? Le démon t’aiguillonnera peut-être dans ta chair : mais c’est là le fouet de ton maître, et non le pouvoir du tentateur. Il voudrait nuire au salut qui t’est promis, mais il en est empêché ; afin qu’on ne le lui permette point, prends Jésus-Christ pour chef ; repousse la tête du dragon, éloigne ses suggestions, et ne t’éloigne point de ta voie. « Là est le dragon que vous avez fait pour servir de jouet ». 11. Veux-tu voir qu’il ne peut te nuire, si Dieu ne le permet ? « Toutes les créatures attendent de vous la nourriture au temps marqué kt ». Ce dragon voudrait manger aussi, mais il ne dévore point celui qu’il voudrait. « Toutes les créatures attendent de vous la nourriture au temps marqué » « Toutes », et celles qui rampent, qui sont sans nombre, et les grands animaux et les petits, et ce dragon, et toutes les créatures dont vous avez rempli la terre : « Toutes attendent de vous la nourriture au temps marqué » ; à chacun la nourriture qui lui est propre. Tu as ta nourriture, le dragon aussi a la sienne. Si la vie est chrétienne, tu as pour nourriture le Christ ; en t’éloignant du Christ, tu seras la nourriture du dragon. « Toutes les, créatures attendent de vous leur nourriture au temps marqué » Qu’est-il dit au dragon ? « Tu mangeras la terre ». Dieu dit donc au dragon : « Tu mangeras la terre, tous les jours de ta vie. » Voilà quelle est la nourriture du dragon. Tu ne veux pas que Dieu te donne en pâture à ce dragon ? Eh bien ! non, ne sois pas la pâture du dragon, c’est-à-dire, n’abandonne pas les préceptes de Dieu. À cet endroit même où Dieu dit au dragon : « Tu mangeras la terre », il est dit à l’homme prévaricateur : « Tu es terre, et tu retourneras dans la terre ku ». Veux-tu n’être point la proie du serpent ? Ne sois point terre. Mais, diras-tu, comment n’être pas une terre ? Arrière les goûts terrestres. Écoute saint Paul, afin de n’être pas une terre. Ton corps est une terre à la vérité, mais toi ne sois pas terrestre. Qu’est-ce à dire ? « Si vous êtes ressuscités avec le Christ, cherchez ce qui est en haut, où est le Christ assis à la droite de Dieu ; ayez des goûts d’en haut, et non des goûts de la terre kv ». Ne pas goûter la terre, c’est n’être point terrestre : et si tu n’es pas une terre, tu ne seras point la pâture du serpent, qui a la terre pour nourriture. Dieu donne au serpent sa nourriture, quand il veut, et comme il veut ; mais il fait un discernement exact, et ne saurait se tromper, il ne lui donnera point de l’or pour de la terre. « Toutes les créatures, Seigneur, attendent de vous la nourriture au temps marqué ; vous donnez, elles recueillent kw ». Cette nourriture est en leur présence ; mais si vous ne donnez, elles ne recueillent point. Job était en présence du diable ; et le démon n’en fit point sa proie, n’osa même l’attaquer, que sur la permission de Dieu kx. « Elles l’attendent de vous ; quand vous donnez, elles recueillent » : elles ne recueillent point, si vous ne donnez. 12. Et nous, mes frères, quelle est notre nourriture ? Voici ce que dit notre psaume : « Vous ouvrez la main, elles sont rassasiées de vos dons ». Que signifie cette parole, ô mon Dieu, vous ouvrez votre main ? Votre main, c’est le Christ. « A qui le bras du Seigneur a-t-il été révélé ky ? » Révéler ici, c’est ouvrir ; car une révélation est une manifestation. « Or, vous ouvrez la main, et elles sont rassasiées de vos dons ». Quand vous révélez votre Christ, « tout est comblé de vos bontés ». Ces créatures n’ont point par elles-mêmes ces richesses ; et souvent vous le leur faites sentir : « Car vous détournez votre face, et elles sont dans le trouble kz ». Plusieurs au comble des biens se sont attribué ce qu’ils avaient, et ont voulu s’en glorifier comme d’un fruit de leur propre justice, et se sont dit : Me voilà juste, me voilà grand : ils ont mis en eux-mêmes leur complaisance. Et l’Apôtre leur dit : « Qu’avez-vous, que vous n’ayez reçu la ? » Or, Dieu voulant nous prouver que c’est de lui que nous tenons tout, et nous faire unir l’humilité aux dons de sa bonté, nous jette parfois dans, la confusion. Il détourne de nous son visage, et nous tombons dans l’épreuve ; nous montre que notre justice, que notre vie régulière ne nous venaient que de sa direction. « Vous détournez votre face, et ils sont dans le trouble ». Voyez ce qui est dit dans un autre psaume : « J’ai dit dans mon abondance : Je ne serai point ébranlé éternellement lb ». Comblé de richesses, il a présumé de lui-même, il a cru que ses richesses venaient de lui-même, et il a dit dans son cœur : « Je ne serai point ébranlé éternellement ». Mais bientôt l’expérience lui ayant appris qu’il a reçu de Dieu la grâce, il remercie le Seigneur : « C’est dans votre bonté, Seigneur, que vous m’avez donné la beauté et la force lc ». De même ici : « Vous ouvrez votre main, vous ouvrirez donc votre main, la vôtre et non la leur, et toutes les créatures seront comblées de vos bontés. Elles seront dans le trouble quand vous détournerez votre face ». 13. Mais pourquoi en agir ainsi ? Pourquoi les jeter dans le trouble en détournant votre face ? « Vous retirez leur esprit, et ils meurent ». Leur esprit, c’est leur orgueil. Ils se glorifient donc, s’attribuent à eux-mêmes ce qu’ils sont, et se croient justes par eux-mêmes. Détournez donc votre face, afin qu’ils soient dans le trouble ; retirez leur esprit, afin qu’ils tombent, qu’ils crient vers vous en disant : « Exaucez-moi, ou plutôt, Seigneur, mon esprit est en défaillance ; ne détournez point de moi votre face ld. Vous retirez leur esprit et ils succomberont, et rentreront dans leur poussière ». L’homme qui se repent de son péché reconnaît qu’il n’a en lui-même aucune force, il confesse à Dieu qu’il n’est que cendre et poussière. O homme superbe, te voilà donc rentré dans la poussière : ton esprit n’est plus en toi ; tu n’as plus de jactance, plus d’orgueil, plus de confiance dans ta justice ; tu vois que tu viens de la poussière, et que le Seigneur en détournant sa face, te fait rentrer dans ta poussière. Implore donc sa démence, en confessant que tu es poussière et faiblesse. 14. Voyons la suite : « Vous enverrez votre esprit, et ils seront créés le ». Vous retirerez d’eux leur esprit pour leur envoyer le vôtre : « vous retirerez donc leur esprit » et ils n’auront plus leur esprit propre ; Sont-ils alors dénués complètement ? « Bienheureux ceux qui sont pauvres d’esprit » ; mais ils ne sont point dans le dénuement, puisque : « Le royaume des cieux leur appartient lf ». En renonçant à leur propre esprit, ils auront l’esprit de Dieu. Voici ce qu’il dit aux martyrs futurs : « Quand ils vous auront saisis, et qu’ils vous emmèneront, ne vous inquiétez pas comment vous parlerez, ni de ce que vous direz ; car ce n’est point vous qui parlez, mais bien l’Esprit de votre Père qui parle en vous lg ». Ne vous attribuez point votre force, car si elle venait de vous et non de moi, ce serait une dureté plutôt qu’une force. « Vous retirerez leur esprit et ils tomberont et retourneront dans leur poussière ; vous enverrez votre esprit, et ils seront créés. Car nous sommes l’œuvre de Dieu », nous dit l’Apôtre, « créés dans les bonnes œuvres lh ». De son esprit nous vient la grâce qui nous fait vivre dans la justice ; car c’est lui qui justifie l’impie li. « Vous retirerez leur esprit et ils tomberont ; vous enverrez votre esprit et ils seront créés, et vous renouvellerez la face de la terre » : c’est-à-dire, vous y mettrez des hommes nouveaux, qui confesseront que leur justice ne vient pas d’eux-mêmes, afin que votre grâce soit en eux. Voyez quels sont les hommes par qui la face de la terre a été renouvelée. Saint Paul nous répond : « J’ai travaillé plus que tous les autres ». Qu’est-ce à dire, ô Paul ? Voyez bien si c’est, vous, si c’est votre esprit. « Non pas moi », dit-il, « mais la grâce de Dieu avec moi lj ». 15. Qu’arrivera-t-il donc lorsque Dieu aura enlevé notre esprit, et que nous serons dans notre poussière, considérant pour notre bien quelle est notre infirmité, afin qu’en recevant l’esprit de Dieu nous soyons renouvelés ? Vois la suite : « Que la gloire de Dieu subsiste à jamais lk ». Non ta gloire, non la mienne, non celle de celui-ci ou de celui-là, mais « la gloire de Dieu » ; qu’elle subsiste non pour un temps, mais « à jamais ». « Le Seigneur se complaira dans ses œuvres ». Non point dans les tiennes comme venant de toi ; car si tes œuvres sont mauvaises, c’est à cause de l’iniquité qui vient de toi ; si elles sont bonnes, c’est par la grâce de Dieu. « Le Seigneur se complaira dans ses œuvres ». 16. « C’est lui qui regarde ta terre, et elle tremble ; il touche les montagnes, et elles s’embrasent ll ». O terre, tu t’applaudissais dans ta bonté, tu t’arrogeais tes forces, ton opulence, et voilà qu’un regard du Seigneur te fait trembler. Ah ! qu’il te regarde, et que son œil te fasse trembler ; mieux vaut l’humilité qui tremble, que l’orgueil qui s’applaudit. Voyez comment Dieu regarde la terre et la fait trembler. Voilà que l’Apôtre, s’adressant à une terre qui s’applaudit, qui a confiance en elle-même, lui dit : « Travaillez à vous sauver, avec crainte et tremblement ; car c’est Dieu qui opère en vous lm ». Voici donc vos paroles, ô bienheureux Apôtre : « Travaillez », c’est le travail qui nous est commandé ; pourquoi « avec tremblement ? » « C’est que Dieu », dit l’Apôtre, « opère en vous ». Ainsi donc c’est parce que « Dieu opère » que nous devons travailler « avec crainte ». Parce que c’est lui qui nous donne, que ce qui est en nous ne vient pas de, nous, il nous faut travailler avec crainte et avec tremblement ; si nous n’avons aucune crainte, il nous ôtera ce qu’il nous a donné. Travaille donc avec crainte ; vois dans un autre psaume : « Servez le Seigneur avec crainte, et tressaillez devant lui avec tremblement ln ». Si donc notre allégresse doit être mêlée de crainte, Dieu regarde la terre, et elle tremble : que son regard fasse trembler nos cœurs ; et alors Dieu y prendra son repos. Écoute aussi un autre passage : « Sur qui reposera mon esprit ? Sur l’homme humble et calme, sur l’homme qui tremble à ma parole lo. Lui qui regarde la terre et elle tremble ; qui touche les montagnes « et elles s’embrasent u. Ces montagnes, c’étaient les superbes, qui s’applaudissaient, et que Dieu n’avait pas encore touchés ; il les touche, et les voilà qui s’embrasent. Qu’est-ce que s’embraser pour des montagnes ? Offrir à Dieu leur prière. Voilà donc ces montagnes grandes, superbes, gigantesques, et qui n’invoquent point le Seigneur : elles voulaient être invoquées, sans invoquer aucun supérieur. Quel est sur la terre l’homme puissant, élevé, orgueilleux, qui daigne s’humilier devant Dieu pour prier ? Je parle ici des impies, et non des cèdres du Liban que le Seigneur a plantés. Tous ces impies, toutes ces âmes infortunées, ne savent invoquer le Seigneur, et veulent recevoir les hommages des hommes. Telle est la montagne qui a besoin d’être touchée par le Seigneur, pour s’enflammer ; mais dès qu’elle sera embrasée, sa prière montera vers Dieu comme le sacrifice du cœur. Ce n’est d’abord qu’une fumée légère, puis on se frappe la poitrine, puis on répand des larmes, car la fumée provoque les larmes. « Il touche les montagnes, et elles s’embrasent ». 17. « Je chanterai au Seigneur durant ma vie ». Que doit-il chanter ? Il chantera tout ce qu’il est. Chantons au Seigneur dans notre vie. Maintenant la vie est pour nous une espérance, elle sera ensuite une éternité. La vie d’une vie mortelle est l’espérance d’une vie immortelle, « Je chanterai durant ma vie au Seigneur ; je chanterai mon Dieu sur la harpe tant que je subsisterai lp ». Puisque je dois être en lui sans fin, je chanterai mon Dieu tant que je subsisterai. N’allons pas nous imaginer qu’après avoir commencé à chanter Dieu dans la céleste Jérusalem, nous puissions faire autre chose ; toute notre vie sera de chanter Dieu. Si Dieu pouvait nous fatiguer, nos louanges à sa gloire le pourraient aussi : mais l’aimer toujours, c’est le louer toujours. « Je chanterai mon Dieu, tant que je vivrai ». 18. « Que mon entretien soit agréable à son cœur ; pour moi, je n’aurai de joie que dans mon Dieu ». « Que mon entretien lui soit agréable lq ». Quel entretien peut avoir un homme avec Dieu, qui ne soit une confession de ses péchés ? Avouer à Dieu ce que tu es, c’est avoir un entretien avec lui. Dispute avec lui, fais de bonnes œuvres, et compte avec Dieu. « Lavez-vous, purifiez-vous », dit Isaïe, « effacez de devant mes yeux la malice de vos pensées ; cessez de commettre l’injustice, apprenez à faire le bien, relevez l’orphelin, défendez la veuve, puis venez, disputons ensemble, dit le Seigneur lr ». Qu’est-ce que disputer avec Dieu ? Fais-toi connaître à celui qui te connaît déjà, et il se fera connaître à toi qui l’ignores. « Que ma dispute lui soit agréable ». Voilà donc ce qui plaît au Seigneur, ta discussion, le sacrifice de ton humilité, l’affliction de ton cœur, l’holocauste de ta vie, voilà ce qui est agréable au Seigneur. Pour toi, où trouves-tu quelque douceur ? « Pour moi, je mettrai ma joie dans le Seigneur ». Tel est l’entretien : dont je parlais. Fais-toi connaître à celui qui te connaît, et il se fera connaître à toi, qui ne le connais pas. Ta confession lui est agréable, et sa grâce est pour toi une douceur. Car il s’est dit à toi. Comment se dire à toi ? Par son Verbe. Quel Verbe ? Le Christ, lite parle, et il se dit. Envoyer son Christ, c’était se dire. Écoutons donc, mes frères, écoutons le Verbe lui-même : « Celui qui me voit, voit aussi mon Père ls. Pour moi, je mettrai ma joie dans le Seigneur ». 19. « Que les pécheurs soient effacés de la terre lt ». On dirait une colère du Prophète. O bénie soit l’âme dont c’est là l’hymne et le gémissement ! Plaise à Dieu que votre âme soit avec cette âme, qu’elle y soit unie, liée, attachée ! Elle verrait alors la douceur de cette colère. Qui peut comprendre ceci, s’il n’est rempli de charité ? « Que les pécheurs soient effacés de la terre ». Tu trembles devant cette malédiction, et de qui vient-elle ? D’un saint. Assurément il sera exaucé. Mais il est dit aux saints : « Bénissez, et ne maudissez, point lu ». Que signifie donc : « Que les pécheurs disparaissent de la terre ? » Oui, qu’ils disparaissent ; que leur esprit leur soit retiré, et qu’ils s’affaissent, afin que Dieu envoie son esprit qui les créera de nouveau. « Que les pécheurs disparaissent de la terre, ainsi que les méchants, en sorte qu’ils ne soient plus ». Qu’est-ce qu’ils ne seront plus, sinon qu’ils ne seront plus méchants ? Mais pour n’être plus méchants, ils deviendront donc justes. Voilà ce que veut le Prophète, et il en est au comble de la joie, et il en revient au premier verset du psaume. « O mon âme, bénis le Seigneur ». Oui, mes frères, que notre âme bénisse le Seigneur, qui a daigné nous donner, à moi des forces et des paroles, à vous l’attention et la bonne volonté. Que chacun se souvienne de ce qu’il a entendu ; qu’il s’en entretienne intérieurement, qu’il rumine la nourriture qu’il a prise, et ne la perde point dans les entrailles de l’oubli. Que ce précieux trésor repose dans votre bouche lv. Il en a coûté un grand travail, pour étudier et pénétrer ces symboles, un grand travail encore pour les prêcher et les élucider : que cette fatigue vous soit profitable, et que notre âme bénisse le Seigneur.
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