‏ Psalms 119:73

1. Quand Dieu forma l’homme de poussière et l’anima de son souffle, il n’est point marqué qu’il le forma de ses mains a. Je ne vois donc point pourquoi quelques-uns ont cru que Dieu, ayant fait tout le reste de sa parole, fit de ses mains l’homme qui serait alors supérieur ; à moins peut-être qu’en lisant que Dieu forma de poussière le corps humain, on ne s’imagine que cela n’est possible que par les mains. Mais c’est là oublier que cette parole de l’Évangile, à propos du Verbe de Dieu, que « tout a été fait par lui b », n’est plus vraie, si le corps de l’homme n’a été aussi formé par le Verbe. Mais on s’appuie sur les paroles de notre psaume, et on nous dit : Voici l’homme qui s’écrie avec la dernière évidence : « Vos mains m’ont fait et m’ont donné la forme c ». Comme s’il n’était pas dit clairement encore : « Je verrai les cieux qui sont l’ouvrage de vos mains d » ; et non moins clairement : « Et l’ouvrage de vos mains, c’est le ciel e » ; et beaucoup plus clairement : « Et ses mains ont formé la terre f ». La main de Dieu, c’est donc la puissance de Dieu. Que si le nombre pluriel étonne, s’il n’est pas dit votre main, mais vos mains, qu’on entende par les mains de Dieu, la puissance et la sagesse de Dieu, que saint Paul a dit être Jésus-Christ seul g, lui qui est encore le bras de Dieu dans ce passage de l’Écriture : « Et à qui le bras du Seigneur a-t-il été montré h ? » Ou bien, qu’ils entendent par les mains de Dieu le Fils et le Saint-Esprit, puisque le Saint-Esprit agit conjointement avec le Père et le Fils. De là cette parole de l’Apôtre : « C’est un seul et même Esprit qui opère toutes ces choses i ». Il dit formellement que c’est un seul et un même Esprit, de peur qu’on n’imagine autant d’esprits que d’ouvrages, et non que le Saint-Esprit agit conjointement avec le Père et le Fils. Nous pouvons donc entendre comme il nous plaira ces mains de Dieu, pourvu qu’on ne refuse point au Verbe ce qu’il fait de ses mains ; ou à ses mains ce qu’il fait par son Verbe ; pourvu que ces mains ne fassent point croire à une forme corporelle, ou même à une droite et à une gauche ; ni que le Verbe ne fasse croire à un son, ou même à un mouvement transitoire dans les œuvres de Dieu.

2. Il s’est rencontré des hommes qui ont établi cette distinction entre les verbes faire et former, que l’âme serait « faite » par Dieu et le corps « formé », parce que Dieu a dit de l’âme : « C’est moi qui ai fait tout souffle j » ; et qu’on lit à propos du corps : « Et Dieu forma l’homme de la terre k » ; comme si Dieu faisait tout ce qu’il forme, sans néanmoins former tout ce qu’il fait. Alors on dirait de l’âme qu’elle est faite plutôt que formée, parce qu’elle est un esprit et non pas un corps ; comme s’il n’était pas dit que Dieu a formé dans l’homme l’esprit de l’homme l. Toutefois, comme ces deux expressions sont employées à propos de l’homme dans un même endroit de l’Écriture, et comme on ne saurait nier que chaque substance de l’homme, c’est-à-dire l’âme et le corps, ne soient l’ouvrage de Dieu, il n’est point sans élégance d’attribuer à chacune de ces substances une de ces expressions, et de dire que l’âme a été faite, que le corps a été pétri, ou formé, ou façonné. Quelques interprètes, en effet, n’ont pas voulu traduire finxerunt me, m’ont formé, et ont dit plasmaverunt me, m’ont façonné, préférant dans la langue latine s’éloigner du grec, pour ne pas employer le mot finxerunt, qui s’emploie quelquefois pour la dissimulation.

3. Mais est-ce bien en Adam que nous pouvons tenir ce langage ? Et parce que tous les hommes viennent de lui, dès lors qu’il fut créé, tout homme ne peut-il pas dire qu’il a été fait à raison de son origine et de sa génération ? Ou bien pouvons-nous dire : « Vos mains m’ont fait et m’ont formé », parce que nul, sans l’œuvre de Dieu, ne saurait naître de ses parents, qui sont alors générateurs, et Dieu créateur ? Otez, en effet, aux choses de ce monde la puissance active de Dieu, elles périront bien vite ; et rien ne se produit soit des éléments, soit des parents, soit d’une semence quelconque, si Dieu n’opère en eux. Aussi le Seigneur dit-il au prophète Jérémie : « Je t’ai connu avant de te former au sein de ta mère m ». Mais Dieu a-t-il formé sans intelligence soit le premier homme, soit chacun de ceux qui naissent en cette vie, pour que le Prophète lui dise : « Vos mains m’ont fait et m’ont formé, donnez-moi l’intelligence ? » L’intelligence ne fait-elle point partie de la nature humaine, pour la distinguer de la brute ? Ou bien cette nature serait-elle déformée par le péché au point que Dieu doive même la réformer en cela ? Et n’est-ce point pour ce motif que saint Paul disait à ceux qui ont eu part à la régénération : « Renouvelez-vous dans l’intérieur de votre âme n ». Or, c’est dans l’âme qu’est l’intelligence. Puis il dit de nouveau : « Qu’il y ait une transformation dans votre esprit o ». Quant à ceux qui n’ont aucune part à cette régénération : « Je vous avertis », leur dit-il, « et vous conjure par le Seigneur de ne plus marcher comme les Gentils, qui s’avancent dans la vanité de leurs pensées, qui ont l’esprit plein de ténèbres, entièrement éloignés de la voie de Dieu, par l’ignorance qui est en eux à cause de l’aveuglement de leur cœur p ». C’est donc à cause de ces yeux intérieurs, dont l’aveuglement consiste à ne pas comprendre, c’est afin qu’ils soient ouverts, et qu’ils deviennent sereins de plus en plus, que nos cœurs sont purifiés par la foi q. Il est vrai que l’homme, s’il n’a aucune intelligence, ne saurait croire en Dieu ; et néanmoins la foi le guérit, et dilate son intelligence. Il est, en effet, des choses que nous ne croyons qu’à la condition de les comprendre, d’autres que nous ne comprenons qu’à la condition de les croire. La foi vient, en effet, de ce que nous entendons, et nous entendons la prédication r de la parole du Christ a, mais dès lors, pour ne rien dire de plus, comment peut croire à celui qui lui prêche la foi un homme qui n’entend pas même la langue du prédicateur ? Ensuite s’il n’y avait certaines choses que nous ne pouvons comprendre avant de les croire tout d’abord, le Prophète ne nous dirait point : « Si vous n’avez la foi, vous n’aurez point l’intelligence s ,
selon les LXX
 ». Ainsi donc notre intelligence doit s’accroître pour comprendre ce qu’elle croit, et notre foi pour croire les choses qu’elle doit croire : et l’âme pour le comprendre de plus en plus croit aussi en intelligence. Tout cela, néanmoins, ne s’accomplit point par nos propres forces, mais bien par la faveur et le secours de Dieu, comme c’est par l’effet de la chirurgie, et non de la nature, que l’œil, une fois blessé, recouvre la faculté de voir. Dire à Dieu dès lors : « Donnez-moi l’intelligence, afin que j’apprenne vos préceptes », ce n’est pas être dépourvu de toute intelligence comme l’animal, ni mériter d’être mis au nombre de ceux « qui s’avancent dans la vanité de leurs pensées, qui ont l’esprit plein de ténèbres, et qui sont entièrement éloignés de la voie de Dieu u ». S’il en était ainsi, l’interlocuteur ne tiendrait pas ce langage. Car il n’appartient pas à une intelligence médiocre de savoir à qui l’on doit demander l’intelligence. Il nous reste à réfléchir sur la profondeur des commandements de Dieu, quand, pour les connaître, celui-là demande encore l’intelligence, qui a déjà une si grande pénétration, et qui nous disait tout à l’heure qu’il a gardé les paroles de Dieu.

4. Ce que nos traducteurs ont rendu par : « Donnez-moi l’intelligence », est exprimé plus succinctement en grec par sunetison me: car ce seul mot sunetison exprime ce qui en demande plusieurs en latin : comme si l’on ne pouvait dire en latin, en un seul mot, guérissez-moi, et que l’on eût recours à la circonlocution, donnez-moi la santé ; ainsi le Prophète a dit ici : Donnez-moi l’intelligence, ou rendez-moi sain, comme on pourrait dire : Rendez-moi intelligent. Un ange aurait pu le faire aussi ; car un ange dit à Daniel : « Je suis venu vous donner l’intelligence v » ; et dans le grec on trouve le même verbe qui est ici, sunetisai se, comme si le latin disait rendre la santé, quand le grec porterait, te guérir. Le traducteur latin n’aurait point recours à une circonlocution, pour dire, vous donner l’intelligence ; si l’on pouvait dire, vous « intelligencier », comme on dit, vous guérir. Mais si l’ange peut accorder cette grâce, pourquoi le Prophète a-t-il recours à Dieu pour obtenir cette faveur ? Est-ce que Dieu avait commandé à l’ange de le faire ? Oui, certainement, car on comprend que ce fut le Christ qui fit cette injonction à l’ange ; et les paroles du Prophète en font foi : « Or, lorsque je voyais, moi Daniel, la vision, et que j’en cherchais l’intelligence, voilà que s’arrêta devant moi comme la ressemblance d’un homme, et j’entendis la voix d’un homme dans Ubal, et il appela, et dit : Fais-lui comprendre cette vision w ». Or, le grec a le même verbe que nous trouvons dans notre psaume, c’est-à-dire sunetison. Dieu donc, qui est la lumière, illumine par lui-même les saintes âmes x, afin qu’elles comprennent les choses divines qu’on leur annonce ou qu’on leur montre. Mais s’il a recours pour cela au ministère d’un ange, l’ange peut agir sur l’esprit de l’homme, de manière qu’il comprenne la lumière de Dieu, et que cette lumière lui donne l’intelligence ; mais on dit alors qu’il donne l’intelligence à l’homme, ou qu’il le rend intelligent, comme on dit d’un architecte qu’il éclaire une maison, ou lui donne de la lumière, quand il y ouvre une fenêtre. Ce n’est point sa propre lumière qu’il y fait entrer pour l’éclairer, il ouvre seulement une entrée à la lumière. Le soleil qui, par l’ouverture de la fenêtre, éclaire cette maison, n’a point créé la maison, non plus que l’architecte qui a ouvert la fenêtre : il n’a ni commandé de construire cette maison, ni aidé à la construire, il n’a même rien fait pour pratiquer l’ouverture afin de répandre sa lumière. Dieu, au contraire, a fait à l’homme une âme raisonnable et intelligente, capable de recevoir la lumière qui vient de lui ; il a fait l’ange capable d’agir sur l’esprit de l’homme, de telle sorte que celui-ci pût recevoir la lumière ; il aide notre esprit et le dispose aux opérations de l’ange ; et par lui-même il éclaire l’esprit de manière non seulement à voir ce que la vérité lui montre, mais à contempler la vérité elle-même. Mais après avoir donné des éclaircissements nécessaires, autant que j’en puis juger, quoique peut-être un peu longs, finissons ce discours, et remettons à un autre jour les versets suivants de notre psaume.

DIX-NEUVIÈME DISCOURS SUR LE PSAUME 118

LA JOIE DANS LE SERVICE DE DIEU.

C’est à Dieu, qui nous a créés, qu’il appartient de nous créer encore, en nous donnant de comprendre ses préceptes. Ceux-là craignent qui sont dans le Christ et dans l’Église. Or, ils verront un jour cette Église qui est le corps du Christ, et dont ils font partie, mais qu’ils ne voient point dans sa splendeur ici-bas, à cause de la crainte inhérente à notre situation actuelle. Le Prophète appelle sur lui les divines miséricordes et la vie, c’est-à-dire la vie heureuse, car celle d’ici-bas est plutôt une mort. Cette vie s’obtient par la méditation des préceptes, méditation qui nous met en communion avec Jésus-Christ par la pureté du cœur, qu’il nous faut demander instamment.

1. Dans ce psaume, Jésus-Christ Notre-Seigneur, parlant au nom de son corps qui est l’Église, a demandé, comme pour lui-même, que Dieu lui donnât l’intelligence, afin de comprendre ses commandements. Car la vie de son corps, c’est-à-dire de son peuple, est cachée avec la sienne en Dieu y, et lui-même dans ce même corps souffre de l’indigence, et demande ce qui est nécessaire à ses membres. « Vos mains », dit-il, « m’ont fait et m’ont formé, donnez-moi l’intelligence afin que j’apprenne vos commandements z », Puisque vous m’avez formé, dit-il, formez-moi de nouveau, afin que dans le corps de Jésus-Christ s’accomplisse la parole de saint Paul : « Qu’il se fasse en vous une transformation dans le renouvellement de votre esprit aa ».

2. « Ceux qui vous craignent », dit-il, « me verront et seront dans la grâce » ; ou, comme plusieurs ont traduit : « Seront dans l’allégresse, parce que j’ai espéré en votre parole ab » ; c’est-à-dire, dans les serments que vous avez faits, afin de vous former ce peuple de la promesse, cette race d’Abraham, en qui seront bénies les nations ac. Or, quels sont les hommes qui craignent Dieu, et quel est celui qu’ils verront, qui les réjouira, parce qu’il a espéré en la parole de Dieu ? Si c’est le corps de Jésus-Christ ou l’Église qui parle ici par Jésus-Christ, ou si c’est le Christ qui parle d’elle et en elle comme de lui-même ; ceux qui craignent Dieu ne sont-ils pas dans le Christ et dans l’Église ? Qui donc verront-ils pour être dans la joie ? Est-ce parce que le peuple se voit lui-même et en est dans la joie, qu’il est dit : « Ceux qui vous craignent vous verront, et seront dans la joie, parce que j’ai espéré eu vos paroles » ; ou, comme d’autres ont traduit plus justement : « J’ai surespéré
Grec, epelpisa
 » ; comme s’il disait : « Ceux qui vous craignent verront » votre Église « et ils seront dans la joie, parce que j’ai surespéré en vos paroles » ; puisqu’ils sont eux-mêmes l’Église, ceux qui voient l’Église et en sont ravis ? Mais alors pourquoi ne pas dire : Ceux qui vous craignent me voient, et en sont ravis ; tandis que craignent est au présent, et que verront et seront dans la joie sont des paroles au futur ? Serait-ce parce que maintenant il y a crainte, tant que « la vie de l’homme est une épreuve sur la terre ae » ; et que cette joie dont il est question ici ne s’épanouira que quand les justes brilleront comme le soleil dans le royaume de leur père af ? De là vient qu’on lit encore dans un autre psaume : « Combien est grande, ô mon Dieu, la douceur que vous avez cachée à ceux qui vous craignent ag ? » Tandis qu’ils craignent, ils ne voient pas encore ; mais ils verront et seront dans la joie ; ce qui a rapport à la parole suivante : « Vous l’avez accomplie dans ceux qui espèrent en vous ah » ; comme il est dit ici : « Parce que j’ai espéré ou surespéré dans vos paroles ». Ici le traducteur a composé son verbe, afin de nous faire mieux comprendre que « Dieu est assez puissant pour faire au-delà de ce que nous pouvons demander ou comprendre ai » ; et que s’il dépasse la portée de nos prières et de notre intelligence, ce serait peu d’espérer, il nous faut un surcroît d’espérance.

3. Ainsi donc, parce que l’Église ici-bas est encore dans la crainte, et ne se voit point dans ce royaume où elle jouira d’une entière sécurité, mais qu’elle est au milieu des périls et des épreuves de ce monde, où elle entend cette parole : « Que celui qui se croit debout, prenne garde de tomber aj » ; elle jette les yeux sur la misère de cette vie mortelle où les enfants d’Adam sentent le joug pesant qui les accable, depuis le jour qu’ils ont quitté le sein maternel, et qui s’étend sur chacun d’eux jusqu’au jour où ils retourneront au sein de la terre leur mère commune ak ; elle voit que même après la régénération, la convoitise de la chair contre l’esprit al leur arrache des gémissements contre cette oppression ; et à cette vue elle s’écrie : « J’ai connu, Seigneur, que la justice est dans vos jugements, et que c’est dans votre vérité que vous m’avez humiliée. Consolez-moi par le retour de votre miséricorde, et selon la promesse faite à votre serviteur am ». La miséricorde et la justice sont tellement liées dans les saintes Écritures, et particulièrement dans les psaumes, que même en certains passages on lit : « Toutes les voies du Seigneur sont miséricorde et vérité an ». Dans celui qui nous occupe, nous trouvons d’abord cette vérité qui nous a humiliés jusqu’à la mort par la sentence de Celui dont les jugements sont justice : vient ensuite la miséricorde qui nous rétablit dans la vie selon la promesse de Celui dont les bienfaits constituent la grâce. Aussi est-il dit : « Selon votre parole à votre serviteur » ; c’est-à-dire, selon la promesse faite à votre serviteur. Dès lors, bien que la régénération, ou si l’on veut, la foi, l’espérance et la charité, trois vertus qui s’affermissent en nous, soient un don de la divine miséricorde, elles ne sont néanmoins, dans cette vie d’orages et de misères, que le soulagement du malheur, et non le comble de la félicité. C’est pourquoi il est dit : « Que votre miséricorde s’étende sur moi pour me consoler ».

4. Mais comme c’est après ces misères, et même par ces misères que nous viendra le bonheur à venir, le Prophète poursuit « Que vos miséricordes viennent sur moi, et que je vive ao ». Je vivrai en effet quand je n’aurai plus rien à craindre, pas même la mort. Ce que l’on nomme la vie sans rien ajouter, ne peut s’entendre que de la vie éternelle et bienheureuse, comme si elle seule pouvait être appelée vie, et qu’en comparaison d’elle celle d’ici-bas méritât plutôt le nom de mort que le nom de vie. C’est ainsi qu’il est dit dans l’Évangile « Si tu veux arriver à la vie, observe les commandements ap ». Le Sauveur a-t-il dit vie éternelle ou vie bienheureuse ? De même, en parlant de la résurrection de la chair : « Ceux qui auront fait le bien ressusciteront pour la vie aq », il n’ajoute ni heureuse ni éternelle. De même ici le Prophète s’écrie : « Que vos miséricordes viennent, afin que je vive », sans parler de vie éternelle ni de vie heureuse comme s’il n’y avait aucune différence entre vivre, et vivre sans fin ou sans calamité. Mais comment mériter cette vie ? « Parce que votre loi est le sujet de mes pensées », dit le Prophète Et si cette méditation n’était pas selon la foi qui agit par la charité ar, nul homme ne pourrait jamais arriver à cette vie. J’ai cru devoir le dire, afin que nul ne s’imagine qu’il lui suffit de confier toute la loi à sa mémoire, de s’en souvenir souvent, de la chanter, de ne pas taire ce qu’elle ordonne, sans le faire néanmoins, pour dire à bon droit : « Votre loi est l’objet de mes pensées », et croire ensuite qu’il obtiendra par là ce qui est marqué dans les versets précédents, et que le Prophète sollicitait en vertu de cette méditation, quand il disait : « Que votre miséricorde s’étende sur moi, et que je vive ». Cette méditation est la pensée d’un cœur qui aime, et qui aime avec tant d’ardeur, que ce feu de méditation ne se refroidit point, quelque nombreuses que soient les iniquités qui l’environnent as.

5. Le Prophète continue : « Confusion aux superbes, parce qu’ils m’ont injustement maltraité ; pour moi, je m’exercerai dans vos commandements at ». Voilà ce que fait la méditation de la loi de Dieu, ou plutôt qui est la loi.

6. « Qu’ils se tournent vers moi, ceux qui vous craignent, et qui connaissent vos oracles au ». Dans certains exemplaires et grecs et latins, on lit : « Qu’ils se tournent à moi », ce qui revient, ce me semble, à se tourner vers moi. Mais qui donc parle ainsi ? nul homme n’oserait tenir ce langage, et l’osât-il on ne devrait point l’écouter. C’est donc celui qui, plus haut, parlait encore en son nom, quand il disait : « Je suis associé à tous ceux qui vous craignent ». Comme il a pris part à notre mortalité pour nous donner part à sa divinité, nous avons aussi part à la vie en lui seul, comme il a eu part à la mort en plusieurs. C’est en effet vers lui que se tournent tous ceux qui craignent Dieu, qui connaissent ces témoignages que les Prophètes lui ont rendus si longtemps d’avance et qu’il a vérifiés par sa présence autorisée par tant de miracles.

7. « Que mon cœur », dit-il ensuite, « soit sans tache dans vos ordonnances, afin que je ne sois pas confondu av ». Voici de nouveau la parole du corps mystique, ou du peuple saint, qui demande à Dieu un cœur pur, c’est-à-dire le cœur de tous ses membres ; et cela par les justifications de Dieu, non par leurs propres forces. Il ne présume point de lui-même, il supplie. Ce qu’il ajoute : « Afin que je ne sois point confondu », nous l’avons déjà vu dans les premiers versets de notre psaume : « Puissent mes voies se redresser pour garder vos préceptes, alors je ne serai point confondu en méditant vos préceptes ». Cette expression « puissent », qui est un optatif, reparaît plus clairement encore dans la prière que fait le Prophète : « Que mon cœur soit sans tache ». Ni dans l’une ni dans l’autre de ces pensées, qui sont identiques au fond, nous ne trouvons la présomption du libre arbitre s’élevant contre la grâce. Cette expression : « Alors j’échapperai à la confusion », il la répète ici : « Afin que j’échappe à la confusion ». Ainsi donc, pour le corps et pour les membres du Christ, le cœur devient pur, au moyen de la grâce de Dieu, par le chef de ce corps, c’est-à-dire par Jésus-Christ Notre-Seigneur, dans le bain de la régénération, où toutes nos fautes anciennes sont effacées aw ; par le secours de l’Esprit qui nous donne des désirs contraires à ceux de la chair, de peur que nous ne succombions dans la lutte ax ; par l’effet de la prière dominicale et où nous disons : « Remettez-nous nos dettes ay ». Dès lors que notre âme a reçu le don de la régénération, est soutenue dans sa lutte, et répand sa prière, notre cœur devient pur, afin que nous ne soyons point confondus car c’est là un des points des ordonnances et des justifications de Dieu, puisque, parmi les préceptes, il nous dit : « Remettez et il vous sera remis, donnez et l’on vous donnera az ».

VINGTIÈME DISCOURS SUR LE PSAUME 118

LES SOUPIRS DE L’ÉGLISE PERSÉCUTÉE.

Le roi défaillance employé par le Prophète n’est qu’une sainte impatience vers le salut. Toujours ce désir a été exalté dans l’Église ; sous l’ancienne loi les saints soupiraient après le Christ incarné ; ils soupirent aujourd’hui après Jésus qui viendra nous juter. Telle est la langueur de l’Église, qui fait monter vers le ciel de brûlants soupirs ; et ces soupirs éloignent les convoitises charnelles et avivent la charité. Elle demande sa délivrance, et néanmoins elle subsistera jusqu’à la fin du monde ; elle répudie les fables que débitent les hérétiques ses persécuteurs, elle demande pour ses martyrs et obtient le secours du ciel qui les soutient.

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