Psalms 144:1
DISCOURS SUR LE PSAUME 143
SERMON AU PEUPLE
VICTOIRE DE DAVID SUR GOLIATH.
Ce géant, c’est le démon qu’il nous faut combattre, et David, c’est le chrétien aimé de sa foi, ou même le Christ. Les cérémonies symboliques de la loi sont les armes qui embarrassent David. Il les quitte pour prendre cinq pierres, qui figurent la loi de Moïse en cinq livres ; pierres du torrent ou du peuple qui passe, et que la charité fait découvrir. Or, la charité, c’est l’effet de la grâce, qui se donne gratuitement c’est pourquoi David mit ces pierres dans son vase de berger destiné à recueillir le lait du troupeau. Armé de ces pierres ou de la charité, il renverse Goliath et lui tranche la tête avec sa propre épée, comme le Christ tourne contre Satan les hommes dont il se servait. Nos mains dressées au combat et nos doigts à la guerre, n’ont qu’un même sens ; mais les doigts marquent la division de l’action divine qui a divers dons pour les hommes. La guerre pour nous, c’est le combat contre ce monde qui n’a pas connu le Sauveur ; contre la chair qui a des aspirations contraires à celles de l’esprit. Cette chair sera rebelle jusqu’à sa transformation, mais il nous faut la soumettre en nous soumettant nous-mêmes à Dieu, autrement nous combattrons en vain. Disons pendant le combat : Vous êtes ma miséricorde, ou plutôt vous m’accordez d’user de miséricorde en me remettant mes dettes à condition que je remettrai, en me donnant à la condition que je donnerai. Or, la miséricorde éteint les feux du jugement. Le Seigneur est mon soutien, dit l’Église qui jouit par avance d’une certaine paix, parce qu’elle a mis sa confiance dans le Seigneur. Qu’est-ce que l’homme pour que Dieu le rachète par son Fils unique ? s’il l’estime à ce point pendant qu’il combat, que sera-ce après la victoire ? Quant à l’homme pécheur, il n’est qu’un néant : qu’il fasse des œuvres dignes de la lumière, et recherche Dieu en sa présence, ou Dieu qui veille sur nous. L’Église dit à Dieu : Inclinez vos cieux et descendez. Ces cieux sont les Apôtres qui ont converti le monde. Faites briller vos éclairs contre les conspirateurs. Tendez-nous la main, afin que nous puissions surmonter les grandes eaux de la contradiction. Le cantique nouveau du Prophète, n’est le Nouveau Testament, celui de la grâce qui nous fait accomplir la loi par les œuvres de la charité Dieu a sauvé son Christ du glaive des méchants, glaive qui désigne ce que le Prophète appelait tout à l’heure les grandes eaux, c’est-à-dire les hommes frivoles, et la main des fils de l’étranger qui ont parlé la vanité, c’est-à-dire ambitionné le bien terrestre. Abraham, Isaac et Jacob furent riches, à la vérité ; mais ils ne regardaient les biens de la terre que comme des biens de la gauche, ou biens périssables, leur préférant les biens de la droite, ou Dieu avec l’éternité. C’est là ce que signifie : Sa gauche est sous ma tête, et sa droite m’embrasse ; c’est-à-dire, il ne m’abandonne point en cette vie, et me réserve les biens de l’avenir. Le langage de ces hommes est donc vain, parce qu’ils ont appelé heureux celui qui possède ces biens, tandis que celui-là seul est heureux qui a pour Dieu le Seigneur. 1. Le titre de ce psaume ne renferme que peu de paroles, mais beaucoup de mystères. « A David pour Goliath a ». Votre charité se souvient que l’Écriture nous parle de ce combat qui eut lieu au temps de nos pères. Un peuple étranger faisait la guerre au peuple de Dieu, et Goliath provoqua David à un combat singulier, afin que la victoire de l’un ou de l’autre champion fit voir la décision de Dieu. Mais à quoi bon parler de la victoire quand nous connaissons celui qui provoque et celui qui est provoqué ? C’est l’impiété qui provoque la piété, l’orgueil qui s’attaque à l’humilité, le diable qui s’attaque au Christ. Faut-il s’étonner que le diable soit vaincu ? Le premier était d’une stature gigantesque, l’autre petit de taille, mais grand par la foi. David, qui était saint, prit des armes guerrières pour marcher contre Goliath. Mais son âge et sa taille trop petite l’empêchèrent de les porter. Il jeta donc ces armes qui le chargeaient sans l’aider, et prit au torrent cinq pierres qu’il mit dans son vase de berger. Ainsi armé à l’extérieur, mais armé intérieurement du nom de son Dieu, il marcha contre le géant et le vainquit b. Voilà ce que fit David ; mais développons ces figures mystérieuses. Le titre est court, avons-nous dit, à n’en considérer que les paroles ; mais il est très important à cause des mystères qu’il renferme. Rappelons à notre mémoire cette parole de saint Paul : « Tout cela se passait « pour eux en figure c » ; afin que l’on ne nous accuse pas de témérité en cherchant des mystères dans des passages sans mystères et écrits très simplement. Nous avons donc une autorité qui stimule notre attention à rechercher ces mystères, notre vigilance à les développer, notre dévotion à les écouter, notre fidélité à les croire, notre diligence à les pratiquer. En David nous trouvons le Christ ; mais comme vous ne sauriez l’ignorer, vous tous qui êtes instruits à son école, dans le Christ il y a la tête et le corps ; n’appliquez donc pas ces paroles au Christ de telle manière qu’il n’y ait rien pour vous qui êtes ses membres. Après avoir posé cette base, voyons ce qui suit. 2. Vous savez que le premier peuple fut chargé de nombreux sacrements visibles et corporels, d’une circoncision, d’un sacerdoce laborieux, d’un temple plein de figures, d’un grand nombre d’holocaustes et de sacrifices. Telles sont les armes plus embarrassantes que utiles qu’a dû déposer notre David. « Car si la loi qui a été donnée avait pu donner la vie, il serait vrai de dire que la justice vient de la loi ». À quoi donc a servi la loi ? L’Apôtre continue : « Mais l’Écriture a tout renfermé sous le péché, afin que la promesse de Dieu s’accomplît par la foi en Jésus-Christ, en ceux qui croiraient d ». Aussi qu’a fait ce David, c’est-à-dire Jésus-Christ, la tête et le corps, qu’a-t-il fait quand la nouvelle alliance a été dévoilée, quand la grâce de Dieu a dû être enseignée et appréciée ? Il a quitté les armes et a pris cinq pierres e : ces armes qui l’embarrassaient, il les a mises de côté ; il a donc rejeté les sacrements de la loi, sacrements qu’il n’a point imposés aux Gentils, et que nous n’observons point. Vous savez en effet combien sont nombreux ces préceptes de la loi que nous ne pratiquons point, et qui sont néanmoins établis et mis sous nos yeux, pour en figurer d’autres ; non que nous devions rejeter la loi de Dieu, mais depuis l’accomplissement des promesses nous n’avons plus à nous arrêter aux symboles qui les annonçaient. Ce qu’ils nous promettaient est arrivé. La grâce du Nouveau Testament, voilée dans la loi, nous est dévoilée dans l’Évangile. Nous avons écarté le voile et reconnu ce qu’il nous dérobait ; nous l’avons reconnu dans la grâce de Notre-Seigneur Jésus-Christ, notre chef et Sauveur, qui a été crucifié pour nous, et à la mort de qui le voile du temple se déchira f. Enfin ce David quitta ces armes, ce fardeau de l’ancienne loi, pour prendre la loi même. Car ces cinq pierres sont la figure des cinq livres de Moïse. Il prit ces cinq pierres dans le torrent, et vous savez ce que signifie ce torrent ; car cette vie mortelle s’écoule, et tout ce qui vient au monde ne fait que passer. Ces pierres étaient donc dans le torrent, ou dans ce peuple primitif, pierres inutiles, ne rapportant rien, ne produisant rien ; le torrent passait dessus. Que fit David pour que la loi devînt utile ? Il prit la grâce. Car on ne saurait accomplir la loi sans la grâce ; puisque « la plénitude de la loi c’est la charité g ». Mais cette charité, d’où vient-elle ? Vois si elle ne vient pas de la grâce. « L’amour de Dieu », dit l’Apôtre, « est répandu dans nos cœurs par l’Esprit-Saint qui nous a été donné h », C’est donc la grâce qui nous fait accomplir la loi, et la grâce est figurée par le lait. Rien dans la chair ne se donne plus gratuitement que le lait, puisque la mère, loin d’attendre du retour, ne cherche qu’à le donner ; elle le donne gratuitement, elle s’attriste quand elle ne peut le donner. Comment donc David a-t-il montré que la loi ne peut agir sans la grâce, si ce n’est qu’en voulant joindre avec la grâce ces cinq pierres qui désignaient la loi renfermée dans les cinq livres, il les mit dans son vase de berger destiné à garder le lait du troupeau ? Armé de ces pierres, c’est-à-dire armé de la grâce, et dès lors loin de présumer de lui-même, plein de confiance en Dieu, il s’avança contre l’orgueilleux Goliath, plein de jactance et de confiance en lui-même. Il prit une de ces pierres, la lança, en frappa le front de son adversaire, qui tomba blessé dans cette partie du corps où n’était pas le signe du Christ, Remarquez aussi que David prit cinq pierres et n’en jeta qu’une seule ; les livres sont au nombre de cinq et n’ont qu’un même objet : car « la plénitude de la loi c’est la charité », comme nous l’avons dit tout à l’heure. Et l’Apôtre a dit : « Supportez-vous les uns les autres dans la charité, vous appliquant à conserver l’unité de l’esprit dans le lieu de la paix i ». Après avoir blessé et renversé Goliath, David lui prit son épée et lui trancha la tête. C’est ce que fit aussi notre David, qui chassa le démon de ceux qui lui appartenaient. C’est ce qui arrive quand les principaux de ceux qui lui appartiennent, et qui étaient au pouvoir du diable qui s’en servait pour lacérer d’autres âmes, quand ces hommes viennent à tourner leurs âmes contre le diable ; alors l’épée de Goliath sert à lui trancher la tête. Voilà, en peu de mots, autant que le temps nous le permet, les figures du titre ; voyons ce que renferme le psaume. 3. « Béni soit le Seigneur mon Dieu, qui as instruit mes mains au combat, et mes doigts à la guerre j ». Ce cri vient de nous, si nous appartenons au Christ. Bénissons le Seigneur notre Dieu, qui instruit nos mains au combat, et nos doigts à la guerre. Il semble qu’il y ait ici une répétition, et que nos mains au combat n’aient d’autre sens que mes doigts à la guerre. Est-il une différence entre la main et les doigts ? Car la main n’agit que par les doigts. On pourrait donc sans absurdité prendre les doigts pour la main. Et toutefois, dans les doigts nous trouvons la division de l’action et la racine de l’unité. Vois cet effet de la grâce dans cette parole de l’Apôtre : « L’un reçoit du Saint-Esprit le don de parler avec sagesse, l’autre reçoit du même Esprit le don de parler selon la science ; un autre reçoit le don de la foi fans le même Esprit, un autre reçoit du même Esprit le don de guérir les malades, un autre le don de parler diverses langues, un autre le don de prophéties, un autre le discernement des esprits. Or, c’est un seul et même Esprit qui opère toutes ces choses, distribuant à chacun ses propres dons, comme il lui plaît k ». Mais faire ce don à l’un, cet autre don à l’autre, c’est là une diversité d’opérations. Toutefois, comme « c’est un seul et même esprit qui opère toutes ces choses », nous trouvons ici la racine de l’unité. C’est donc par ces doigts que le Christ combat, qu’il marche à l’ennemi, qu’il s’avance en bataille. 4. Pour ce qui est de ces guerres et de ces combats, il serait long de les exposer, et il est plus facile de les soutenir que de les expliquer. Mais nous avons une guerre dont l’Apôtre nous dit : « Ce n’est plus contre la chair et le sang qu’il nous faut combattre l », c’est-à-dire contre les hommes qui semblent vous persécuter ; ce n’est point contre eux que vous combattez, « mais contre les princes et les puissances, contre les directeurs du monde ». Et de peur que par le monde vous n’entendiez le ciel et la terre, il vous montre ce qu’il entend par là : « De ces ténèbres », nous dit-il. Ce monde n’est donc point celui qu’il a fait et dont l’Évangile nous dit : « Et le monde a été fait par lui » ; mais c’est le monde qui ne l’a point connu, car il est dit aussi : « Et le monde ne l’a point connu ». Ces ténèbres ne sont point telles par nature, mais par volonté. L’âme ne s’éclaire point par elle-même. Quand elle est humble, elle chante avec humilité et avec vérité : « C’est vous, Seigneur, qui faites luire mon flambeau ; ô Dieu, éclairez nos ténèbres m ». Et encore : « C’est en vous qu’est la source de la vie ; et c’est en votre lumière que nous verrons la lumière n ». Non point cri la nôtre, mais en votre lumière. Car on donne aux yeux le nom de lumière, et toutefois, que la lumière extérieure vienne à manquer, fussent-ils sains et ouverts, ils demeureront dans les ténèbres. Donc nous faisons la guerre aux princes de ces ténèbres, c’est-à-dire aux princes des infidèles, au diable et à ses anges, qui dirigent ce glaive dont le diable frappe les fidèles. Mais de même qu’une fois que Goliath est renversé, on lui prend son glaive pour lui en couper la tête o ; de même quand les fidèles embrassent la foi, on leur dit : « Vous étiez autrefois ténèbres, et maintenant vous êtes lumière dans le Seigneur p ». Vous avez combattu avec la main de Goliath, maintenant avec la main du Christ, coupez la tête à Goliath. 5. Voilà une guerre. Il en est une autre que chacun soutient au dedans de lui-même. Tout à l’heure on nous parlait de cette guerre dans l’épître de saint Paul : « La chair conspire contre l’esprit, et l’esprit contre la chair, au point que vous ne faites point ce que vous voulez q ». C’est là une guerre pénible, d’autant plus pénible qu’elle est intérieure. Quiconque triomphe dans cette guerre, surmonte des ennemis qu’il ne voit pas. Car le démon et ses anges n’attaquent chez toi que la chair qui domine. Comment pourrions-nous, en effet, vaincre des ennemis que nous ne voyons pas, sinon parce que nous ressentons intérieurement des mouvements charnels ? Combattre ces mouvements, c’est ruiner l’empire du diable. Dans l’amour de l’argent, c’est l’avarice qui domine, et comme l’avarice domine en toi, le diable te propose un gain au moyen de la fraude. Car souvent on ne saurait que par la fraude parvenir au gain. Il propose donc au-dehors à cette avarice, que tu n’as pas vaincue intérieurement, dont tu n’es pas maître, que tu n’as pas domptée ; ce perfide juge des combats te propose donc, comme à son athlète, la fraude et le gain, l’œuvre et la récompense : Agis et reçois le prix. Mais si tu es parvenu à fouler aux pieds l’avarice, tu n’es pas intérieurement dominé par cet ennemi que tu sens et peux vaincre ; car tu ne sens point le diable qui te tend cette embûche. Si donc tu as dompté l’avarice, tu feras attention à celui qui te propose l’œuvre et le prix. Qu’est-ce qu’il te propose ? L’injustice et le gain. Qu’est-ce que Dieu propose au contraire ? L’innocence et la couronne. Agis et prends, te dit l’un aussi bien que l’autre. Toi donc, athlète intérieur, si, loin d’être vaincu par l’avarice, tu en es vainqueur, tu tiens tes regards fixés en Dieu et tu surmontes le démon. Tu fais le discernement de l’un et de l’autre, et tu dis : Je vois ici l’œuvre et le prix, mais là au contraire l’appât et l’hameçon. Car tu ne dis rien intérieurement, qui ne regarde ton salut. Par le péché tu es divisé contre toi-même. Tu traînes après toi une source de concupiscence qui va te conduire à la mort ; tu as devant toi un ennemi à combattre, et en toi un ennemi à vaincre ; mais tu peux recourir à celui qui t’aidera dans le combat, qui te couronnera après la victoire, et qui t’a fait quand tu n’étais l’as encore. 6. Comment pourrai-je vaincre, diras-tu ? Voilà que l’Apôtre me propose un combat très difficile, et lui-même prend soin de me montrer combien il est difficile, sinon impossible, de vaincre, si je n’en comprends l’importance. « La chair », dit-il, as conspire contre l’esprit, et l’esprit contre la chair, en sorte « que vous ne faites point ce que vous voulez r ». Comment me commander de vaincre, quand lui-même nous dit : « En sorte que vous ne faites point ce que vous voulez ? » Veux-tu savoir comment ? Jette les yeux sur la grâce de ce vase pastoral, mets dans ce vase de lait la pierre du fleuve, Eh bien ! je vous le dis, ou plutôt c’est la Vérité qui vous le dit : Tu ne fais point ce que tu veux, parce que la chair combat contre l’esprit. Dans ce combat, si tu présumes de tes forces, je t’en avertis, ne fais pas bon marché de cette parole : « Réjouissez-vous en Dieu notre soutien » s. Si tu pouvais tout par toi-même, tu n’aurais pas besoin de soutien ; et si tu ne faisais rien par ta propre volonté, il ne te faudrait aucun aide, car on n’a besoin d’aide que quand on agit. Aussi, après avoir dit : « La chair conspire contre l’esprit, l’esprit contre la chair, en sorte que vous ne faites point ce que vous voulez », et après t’avoir mis toi-même sous tes propres yeux, comme dépourvu de force contre toi-même, l’Apôtre te renvoie tout d’un coup à celui qui peut t’aider : « Si vous êtes conduits par l’esprit, vous n’êtes as plus sous la loi » t. Celui qui est sous la loi, au lieu d’accomplir la loi, se trouve sous le fardeau de la loi, comme David sous le poids de ses armes. Si donc tu es conduit par l’esprit, vois qui est celui qui t’aidera pour accomplir ce que tu veux ; ton aide est pour toi un sauveur, une espérance, c’est lui qui dresse tes mains au combat, tes doigts à la lutte. « Les œuvres de la chair sont faciles à reconnaître ; ce sont la fornication, l’impureté, la luxure, l’idolâtrie, les empoisonnements, les dissensions, les inimitiés, les ivrogneries, les débauches, et autres crimes semblables ; car je déclare, et je l’ai déjà dit, que ceux qui les commettent ne posséderont point le royaume de Dieu 1 ». Non point ceux qui combattent ces crimes, mais ceux qui les commettent. Il est une différence, en effet, entre combattre, vaincre, et jouir de la paix et du repos. Je vais le montrer par quelques exemples : Écoutez. On te propose un gain à faire, et cela te plaît ; il faut user de fraude, mais le gain est considérable ; cela te plaît, et toutefois tu résistes : c’est là le combat ; mais on te persuade, on fait des instances, on délibère. Combattre, c’est donc être en danger. Après avoir vu le combat, voyons le reste. Au mépris de la justice, tel a commis la fraude : le voilà vaincu ; mais il rejette le gain pour demeurer juste, le voilà vainqueur Dans ces trois états je plains le vaincu, je crains pour celui qui combat, j’applaudis au vainqueur. Mais celui-là même qui a vaincs a-t-il pu gagner sur lui de n’être point tenté par l’argent, de n’y point goûter un certain attrait, quoiqu’il l’ait surmonté et méprisé, quoique, loin d’y consentir, il n’ait point daigné même le combattre ? Il a ressenti néanmoins quelque vibration de plaisir, et cette vibration, cet ennemi qui déjà ne combat plus, qui ne règne plus, persiste néanmoins en nous : il y a dans cette chair mortelle quelque chose qui n’y sera plus un jour. Tout sera absorbé dans une pleine victoire, mais à l’avenir ; quant à cette vie, « le corps est mort à cause du péché », et de là vient que le péché subsiste dans notre corps sans toutefois y régner : « Mais l’esprit est vivant à cause de la justice. Si donc l’Esprit de celui qui a ressuscité Jésus-Christ habite en vous, celui qui a ressuscité Jésus-Christ rendra aussi la vie à vos corps mortels, à cause de son Esprit qui habite en vous u ». C’est là qu’il n’y aura plus de combat, plus même de vibration ; tout sera dans une paix profonde. Ce n’est point une nature contraire qui combattra une autre nature, mais c’est comme deux Époux sous un même toit. Qu’ils viennent à se quereller, c’est un séjour fatigant et plein de périls ; que le mari ait le dessous, la femme l’avantage, c’est une paix contre tout ordre ; que le mari domine au contraire, que la femme lui soit soumise, la paix est dans l’ordre ; et toutefois ce ne sont point deux natures différentes, puisque la femme a été tirée de l’homme. Ta chair est pour toi une Épouse, une servante ; donne-lui tel nom qu’il te plaira, il te faut la soumettre ; et s’il y a combat, que la victoire te reste. Tel est l’ordre, en effet, que l’inférieur soit soumis au supérieur ; afin que celui-là même qui veut s’assujettir ce qui lui est inférieur soit soumis à son tour à celui qui est au-dessus de lui. Reconnais donc l’ordre et cherche la paix toi à Dieu, et la chair à toi. Y a-t-il rien de plus juste, rien de plus beau ? Toi soumis au supérieur, l’inférieur à toi. Sois serviteur, e celui qui t’a créé, afin d’avoir pour serviteur ce qui a été créé pour toi. L’ordre que nous traçons et que nous prêchons n’est point : À toi la chair, et toi à Dieu ; mais bien : Toi à Dieu, et la chair à toi ; si tu dédaignes « toi à Dieu », tu n’obtiendras jamais la chair à toi. Rebelle envers ton Seigneur, tu seras sous l’esclave de l’esclave. Si tu n’es d’abord soumis à Dieu, et ensuite la chair soumise à toi-même, pourras-tu dire ces paroles : « Béni soit le Seigneur mon Dieu, qui dresse mes mains au combat et mes doigts à la guerre ? » Tu veux combattre sans savoir, tu seras vaincu et condamné. Soumets-toi donc à Dieu tout d’abord, puis avec ses leçons et son secours tu combattras en disant : « C’est lui qui dresse mes mains au combat, mes doigts à la guerre ». 7. Et pendant ce combat, comme il n’est pas sans danger, dis alors ce qui suit dans cette lutte périlleuse : « Vous êtes ma miséricorde v » Je ne serai pas vaincu dès lors. Que veut dire « ma miséricorde ? » Que vous me faites miséricorde, que vous l’exercez envers moi, ou bien que vous m’accordez d’user de miséricorde ? Car il n’y a rien pour vaincre plus complètement notre ennemi que la miséricorde que nous avons pour tous. Il se prépare à nous calomnier au jugement de Dieu, mais il ne peut rien objecter de faux, il n’est point devant celui qui écoute la fausseté. S’il plaidait contre nous au tribunal d’un homme, il pourrait alléguer le mensonge, nous accabler de fausses récriminations ; mais comme notre procès se plaide au tribunal de ce juge que l’on ne saurait tromper, notre ennemi cherche à nous séduire par le péché, pour avoir de véritables crimes à nous reprocher. Et quand la fragilité humaine vient à succomber sous ses artifices, qu’elle s’humilie par un aveu, et s’exerce par des œuvres de miséricorde et de piété. Tout s’efface quand, avec sincérité et une pleine confiance, nous disons à celui qui nous voit : « Remettez-nous, comme as nous remettons à notre tour w ». Dis alors de tout ton cœur, dis en toute confiance et en toute sécurité : « Remettez-nous, comme nous remettons nous-mêmes » ; ou ne nous pardonnez point, si nous ne savons pardonner. Quand même tu ne dirais pas : Ne nous remettez point si nous ne remettons point nous-mêmes, le Seigneur ne nous pardonne qu’à la condition que nous pardonnions aussi. Pour te laisser impuni dans tes crimes, il ne sera point menteur dans ses promesses. Veux-tu ton pardon, dit-il ? Pardonne toi-même. Il est une autre œuvre de miséricorde, veux-tu obtenir ? donne toi-même. C’est ce qui est marqué au même endroit de l’Évangile : « Remettez et il vous sera remis, donnez et l’on vous donnera x ». J’ai sur toi une créance, et loi une créance sur un autre ; remets-lui sa dette, et je te remets la tienne. Tu me demandes, celui-là te demande aussi. Donne-lui, et je te donnerai. Or, qui est-ce qui remet ? Qui est-ce qui donne ? N’est-ce pas la charité ? « Et d’où vient la charité, sinon par cet Esprit-Saint qui nous a été donné y ? » Si donc c’est par les œuvres de miséricorde que notre ennemi peut être vaincu, si nous ne pouvons faire des œuvres de miséricorde sans avoir la charité, et si nous n’avons la charité que par le Saint-Esprit : c’est lui qui dresse nos mains au combat et nos doigts à la guerre : c’est à lui que nous disons avec justice : « ma miséricorde », puisque c’est par lui que nous devenons miséricordieux. « Quiconque n’aura point fait miséricorde sera jugé as sans miséricorde z ». 8. Pensez-vous que des œuvres de miséricorde soient peu importantes ? Il est bon d’en dire quelques mots. Écoutez d’abord cette sentence tirée des livres saints et que j’ai citée tout à l’heure : « Quiconque n’aura pas fait miséricorde subira un jugement sans miséricorde » ; il sera donc jugé sans miséricorde, celui qui n’aura pas fait miséricorde avant d’être jugé. Qu’est-il dit ensuite ? Que dit l’Apôtre ? « La miséricorde s’élèvera au-dessus du jugement aa ». Qu’est-ce à dire, qu’« elle s’élèvera au-dessus du jugement ? » C’est-à-dire que Dieu lui donne la préférence sur le jugement, et que, chez l’homme qui aura fait des œuvres de miséricorde, l’eau de cette miséricorde éteindra le feu du péché, quand même il aurait au jugement des fautes à punir. « La miséricorde est au-dessus du jugement ». Quoi donc ? Dieu sera-t-il injuste à nos yeux, en venant au secours de ces âmes, en les délivrant, en leur pardonnant ? Nullement, il est juste au contraire : la miséricorde n’efface point en lui la justice, non plus que la justice n’efface la miséricorde. Vois si Dieu n’est point juste : Remets, et je te remettrai ; donne et je te donnerai. Vois s’il n’est point juste : « On se servira pour toi de la mesure dont tu te seras servi ab ». C’est la mesure elle-même, non point une mesure du même genre, mais la même mesure ; pardonne, et je te pardonne. Tu as en toi pour mesure le pardon que tu accorderas, tu trouveras en moi cette même mesure dans le pardon que tu recevras. Tu as en toi la mesure ; c’est de donner ce que tu as, et tu trouveras en moi cette mesure ; c’est de recevoir ce que tu n’as pas encore. 9. « Vous êtes ma miséricorde, mon refuge, mon soutien, mon libérateur ». Voilà un athlète fort à la peine, parce que sa chair conspire contre l’esprit. Tiens ferme néanmoins, tes vœux seront comblés quand la mort sera absorbée dans une entière victoire, quand ce corps mortel sera ressuscité et doué de la vie des anges et de qualités célestes. « Ceux qui sont morts dans le Christ ressusciteront les premiers, ensuite nous qui vivons, qui sommes demeurés jusqu’alors, nous serons enlevés avec eux dans les airs au-devant du Christ, et ainsi nous serons éternellement avec le Seigneur ac ». C’est là que la mort sera absorbée dans sa victoire. C’est là que l’on dira : « O mort, où est ton combat ; ô mort, où est ton aiguillon ad ? » Il n’y aura en effet de rébellion contre Dieu, ni dans notre corps, ni dans notre âme. La victoire sera complète, la paix complète. Telle est cette paix dont on nous dit ici-bas, au milieu de nos combats : « Venez, mes enfants, écoutez-moi, je vous enseignerai la crainte de Dieu ae ». Vous êtes dans le combat, engagés au fort de la mêlée, et néanmoins vous désirez un certain repos. « Quel est l’homme qui aime la vie, qui souhaite de voir des jours heureux af ? » Qui ne répondra aussitôt : C’est moi ? La vie, les jours heureux sont dans ces lieux où la chair ne conspire plus contre l’esprit, et où l’on ne dit plus : Combattez, mais : Réjouissez-vous. Or, quel est l’homme qui désire ces jours ? Tout homme dira certainement : C’est moi. Écoute ce qui suit : Je vois que tues dans la peine, dans le combat, dans les périls, écoute ce que le psaume ajoute pour dresser tes mains au combat, tes doigts à la guerre : « Détourne ta langue du mal, et que tes lèvres n’usent point de fourberie ; détourne-toi du mal et fais le bien ag ». Comment pourrais-tu faire le bien, sans te détourner du mal ? Comment t’engager à vêtir l’homme nu, si tu es encore spoliateur ? Comment t’engager à donner, si tu es ravisseur ? « Détourne-toi donc du mal, d’abord, et fais le bien ». Que le pauvre d’abord ne pleure point à ton sujet, si tu veux qu’un pauvre se réjouisse. « Détourne-toi du mal et fais le bien ». Quelle sera ta récompense ? Car maintenant tu es encore dans le combat : « Cherche la paix, et poursuis-la ». Apprends à dire : « Vous êtes ma miséricorde et mon refuge, mon soutien, mou libérateur, mon protecteur ». « Mon appui », de peur que je ne tombe ; « mon libérateur », de peur que je ne reste dans le piège ; « mon protecteur », de peur que je ne sois blessé. « Oui, mon protecteur, en qui j’ai mis mon espoir ». Dans tous ces embarras, dans mes fatigues, dans mes combats, dans toutes ces difficultés, j’ai mis en lui mon espoir. « C’est lui qui m’assujettit mon peuple ». Ce langage est de notre chef. 10. « Seigneur qu’est-ce que l’homme, pour vous faire connaître à lui ah ? » Il est tout ce qu’il est, précisément parce que vous « vous êtes fait connaître à lui ». « Qu’est-ce que l’homme, pour vous révéler à lui, ou le fils de l’homme, pour que vous songiez à lui ? » Vous songez à lui, vous l’aimez, vous lui assignez son prix, vous le mettez en son rang, vous savez au-dessous de qui vous le placez, au-dessus de qui vous l’élevez. Car estimer c’est assigner un prix. Quel prix a donc assigné à l’homme Celui qui a donné pour l’homme le sang de son Fils unique ? « Qu’est-ce que l’homme, pour vous révéler à lui ? » À qui vous faire connaître, et qui êtes-vous ? « Qu’est-ce que le fils de l’homme, pour l’estimer à ce prix ? » Vous l’estimez, vous en faites cas, comme s’il était d’un grand prix. Car aux yeux de Dieu l’homme n’est point tel qu’aux yeux d’un autre homme ; qu’il trouve un esclave à acheter, et il mettra plus de prix à un cheval qu’à un homme. Vois, au contraire, combien un Dieu t’a estimé, dès lors que tu peux dire : « Si Dieu est pour nous, qui sera contre nous ? » À quel prix t’a évalué « Celui qui n’a pas épargné son propre Fils, mais qui l’a livré pour nous tous ? Comment ne nous a-t-il pas tout donné avec lui ai ? » S’il nourrit ainsi les combattants, quel sera le prix du vainqueur ? Je suis », dit-il, « le pain vivant descendu du ciel aj ». C’est là le pain qu’il donne aux combattants, pain qu’il fait venir des greniers célestes, et dont il nourrit les anges ; « car l’homme a mangé le pain des anges ak ». Mais après les combats et après ce pain que donnera-t-il ? Quel prix réserve-t-il aux vainqueurs, sinon ce qui est marqué dans un autre psaume : « J’ai fait une demande au Seigneur, et je la ferai encore : c’est d’habiter dans la maison du Seigneur tous les jours de ma vie, afin de contempler ses délices et d’être à l’abri dans son temple al ? Qu’est-ce que l’homme pour vous révéler à lui, ou le fils de l’homme pour l’estimer à ce point ? » 11. « L’homme est semblable au néant am », et néanmoins vous vous révélez à lui, vous l’appréciez. « L’homme est devenu semblable au néant ». À quel néant ? Au temps qui passe et qui s’écoule. Voilà ce que l’on appelle vanité dès qu’on le compare à la vérité, qui demeure toujours, qui est toujours stable. Toute créature visible n’est bonne qu’en son lieu. « Car c’est Dieu », dit l’Écriture, « qui a rempli la terre de ses biens an ». Qu’est-ce à dire de ses biens ? De ceux qui lui conviennent. Mais tous ces biens terrestres, volages, passagers, comparés à cette vérité dont il est dit : « Je suis celui qui suis ao », tout ce bien qui passe est appelé vanité. Car il s’évanouit avec le temps, comme la fumée dans les airs. Que dirai-je de plus fort que l’Apôtre saint Jacques, lorsqu’il veut contraindre les superbes à s’humilier ? « Qu’est-ce que notre vie », dit-il ? « Une vapeur qui apparaît un instant pour se dissiper ensuite ap ». Donc l’homme est semblable au néant. Le péché l’a rendu semblable au néant, car au moment de sa création il était semblable à la vérité ; mais le péché qu’il a commis, le châtiment qui lui a été infligé, l’ont rendu semblable au néant. « Vous avez châtié l’homme à cause de son iniquité », dit un autre psaume, « et vous avez fait sécher son âme comme l’araignée aq ». De là aussi : « L’homme est devenu semblable à la vanité ». Qu’ajoute le Prophète dans l’autre psaume ? « Vous avez fait vieillir mes jours ar ». Et ici : « Ses jours passent comme l’ombre ». Que l’homme donc veille sur lui-même dans ces jours qui passent comme l’ombre, afin qu’en soupirant après sa lumière, il fasse des œuvres qui en soient dignes ; et s’il est dans l’ombre de la nuit, qu’il cherche le jour. Pour l’homme qui comprend son état, les jours de cette vanité sont des jours de tribulation. Soit que les misères et les chagrins nous viennent accabler, soit que les prospérités du monde nous sourient, nous n’en devons pas moins craindre et gémir : « Parce que la vie de l’homme sur la terre est une tentation as ». De là cette parole : « Tout le jour je marchais dans l’affliction at ». Nous avons besoin de consolations, et tout ce que Dieu nous montre en fait de prospérités n’est point pour réjouir les heureux du monde, suais bien pour soulager les malheureux. Que l’homme donc, je le répète, dans ces jours qui sont une ombre, fasse des œuvres dignes de cette lumière qu’il désire, et dans cette nuit qu’il cherche Dieu, ainsi qu’il est écrit : « Pendant la nuit mes mains ont cherché Dieu en sa présence, et je n’ai pas été déçu au ». Quel est ce jour qu’il appelle un jour de tribulation, sinon celui qu’il appelle encore la nuit ? « Je l’ai cherché de mes mains pendant la nuit en sa présence ». Nous sommes encore dans la nuit, et nous veillons à la lumière de cette prophétie. Ce que l’on nous a promis, nous l’attendons encore ; mais que dit l’apôtre saint Pierre ? « Nous avons d’ailleurs une preuve as plus frappante encore dans les oracles des Prophètes, sur lesquels vous faites bien d’arrêter vos regards comme sur un flambeau qui luit dans un lieu obscur, jusqu’à ce que le jour commence à paraître et que l’étoile du matin se lève dans nos cœurs av ». C’est là le jour, c’est là notre jour. « Au matin vous entendrez ma voix, au matin je me tiendrai debout et je vous contemplerai ». Donc, travaille, bien que ce soit la nuit, et cherche Dieu de tes mains, ou par de bonnes œuvres, avant que ce jour vienne combler ta joie, de peur qu’il n’en vienne un autre pour t’affliger. Vois quelle sécurité dans ton labeur ; vois comment ne t’abandonne pas celui que tu cherches : « De mes mains j’ai cherché le Seigneur pendant la nuit en sa présence ». « Afin que ton Père qui voit dans le secret te donne ta récompense aw ». De là cette expression « en sa présence ». Que la miséricorde et la charité soient dans ton cœur, de peur que tu n’agisses dans l’intention de plaire aux hommes. J’ai cherché Dieu de mes mains, dit le Prophète, par mes œuvres ; le chercher dans l’ombre, ou dans cette vie ; où lui-même voit, et non où je chercherais à plaire aux hommes. Qu’ajoute le Prophète ? « Et je n’ai pas été déçu. L’homme est semblable à la vanité, ses jours ont passé comme une ombre », et pourtant vous vous êtes fait connaître à lui, et vous l’estimez. 12. « Seigneur, inclinez vos cieux et descendez : touchez les montagnes, elles seront embrasées. Faites briller vos éclairs, et dispersez-les ; lancez vos flèches, et ils seront dans l’effroi. Tendez la main d’en haut, et délivrez-moi, sauvez-moi des grandes eaux ax ». Le corps en Christ, l’humble David, plein de grâce et de confiance en Dieu, et combattant ici-bas, implore le secours de Dieu. « Inclinez vos cieux et descendez. » Quels sont les cieux à incliner ? Les Apôtres dans leur humilité. Tels sont en effet « les cieux qui annoncent la gloire de Dieu » ; et de ces cieux qui racontent la gloire de Dieu, le Prophète va nous dire : « Il n’est as point de discours, point de langage dans lequel on n’entende cette voix ; leur parole a retenti dans toute la terre, et leur voix jusqu’aux extrémités du monde ay ». Quand la voix de ces cieux retentissait dans le monde entier, alors qu’ils opéraient des merveilles, et que le Seigneur faisait briller en eux les éclairs de ses miracles, et retentir le tonnerre de ses préceptes, on crut que des dieux étaient venus du ciel vers les hommes. Quelques païens dans cette pensée leur voulurent offrir des sacrifices. À la vue de ces honneurs qui ne leur étaient point dus, ces hommes saisis d’effroi et d’une vive horreur, afin de ramener ceux qui s’égaraient de la sorte, et leur montrer ce qu’ils ressentaient intérieurement, déchirèrent leurs vêtements et s’écrièrent : « Que faites-vous ? nous sommes des mortels comme vous az ». Et ils prirent de là occasion de leur prêcher la divinité de Notre-Seigneur Jésus-Christ, s’humiliant ainsi pour relever la gloire de Dieu : parce que les cieux s’inclinaient pour que Dieu descendît. « Inclinez donc vos cieux, et descendez, Seigneur », dit le Prophète ; et cela s’est fait. « Touchez les montagnes, elles s’embraseront » ; les montagnes orgueilleuses, les sommités de la terre, les grandeurs qui s’enflent ; touchez-les, dit le Prophète, touchez ces montagnes, donnez-leur de votre grâce ; « elles seront embrasées » parce qu’elles confesseront leurs fautes. La fumée de ces pécheurs avouant leurs péchés arrachera les larmes de ces superbes humiliés. « Touchez les montagnes, et elles s’évanouiront en fumée ». Tant que vous ne les toucherez point, elles croiront à leur grandeur. Une fois touchées, elles diront : « Vous seul êtes grand, ô mon Dieu ba ». Voilà ce que diront les montagnes, et encore : « Vous êtes le Très-Haut, au-dessus de toute la terre bb ». 13. Mais il est des conspirateurs ; il en est qui s’unissent contre le Seigneur et contre son Christ bc. Ils s’unissent et ils conspirent. « Faites briller vos éclairs, et dispersez-les ». Multipliez vos miracles et leur conspiration se dissipera comme la fumée. « Lancez vos éclairs et dispersez-les bd ». Une fois effrayés par vos miracles, ils n’oseront rien contre vous, l’effroi de vos prodiges les arrêtera. Quel est ce Dieu dont le pouvoir est si grand ? Quel est ce Dieu qui s’élève, et dont le nom a tant de puissance ? Mais dire qui il est, c’est pour eux déjà croire ; vos miracles ont brillé et dissipé leur funeste coalition. « Lancez vos flèches, et vous les troublerez. Que les flèches acérées du puissant be », que vos préceptes frappent leurs cœurs. « Lancez vos flèches, et vous les troublerez ». Ruinez leur fausse santé, afin que de bienheureuses plaies les guérissent ; et qu’ayant place dans l’Église et dans le corps du Christ, ils disent enfin avec l’Église ; « Je suis blessée par d’amour bf , ▼▼selon les LXX
. Lancez vos flèches et vous les troublerez ». 14. « Tendez la main d’en haut bh ». Qu’en résultera-t-il ? Quelle en sera la fin ? Comment le corps du Christ pourra-t-il vaincre, sinon par le secours du ciel ? « Car le Seigneur viendra lui-même, à la voix de l’archange, descendra du ciel au son de la trompette de Dieu bi », lui qui est le Sauveur de son corps et la main de Dieu. « Tendez votre main d’en haut, et délivrez-moi, sauvez, moi des grandes eaux ». Qu’est-ce à dire, « des grandes eaux ? » Des peuples nombreux. De quels peuples ? Des étrangers, des infidèles, soit qu’ils m’attaquent au-dehors, soit qu’ils me tendent des embûches à l’intérieur. « Délivrez-moi de ces grandes eaux, dans lesquelles vous m’exerciez, et dans lesquelles vous me plongiez pour me laver de mes souillures ». C’est encore l’eau de la contradiction bj. « Délivrez-moi, et sauvez-moi des grandes eaux ». 15. Écoutons encore de quelles grandes eaux Dieu délivrera le corps du Christ, Dieu délivrera l’humilité de David. Qu’est-ce à dire, « des grandes eaux ? » Qu’avez-vous dit, ô Prophète, afin qu’on ne leur donnât pas un autre sens, qu’avez-vous dit de ces grandes eaux ? Écoute ce que j’en ai dit : « De la main des enfants étrangers » Écoutez, mes frères, au milieu de quel peuple nous vivons, et dont nous voulons être délivrés. « Leur bouche parle la vanité ». Combien de vanités n’entendriez-vous pas aujourd’hui même, si vous n’étiez point rassemblés pour ces divines pompes de la parole de Dieu ? « Leur bouche parle la vanité ». Comment ces diseurs de vanités pourraient-ils vous entendre dire la vérité ? « Leur bouche parle la vanité, leur droite est la droite de l’iniquité bk ». 16. Que ferais-tu parmi eux, avec ton vase pastoral et tes cinq pierres ? Dis-le-moi autrement, ô Prophète, et montre-moi d’une autre manière la loi que tu as figurée dans tes cinq pierres. « Seigneur, je vous chanterai un cantique nouveau ». Ce cantique nouveau, c’est le chant de l’action de grâces ; le cantique nouveau est celui de l’homme nouveau ; le cantique nouveau, c’est le cantique du Nouveau Testament. « Je vous chanterai », dit le Prophète, « un cantique nouveau ». Et de peur qu’on ne croie que la grâce diffère de la loi, tandis au contraire que c’est par la grâce que la loi s’accomplit : « Je vous chanterai », dit-il, « sur le psaltérion à dix cordes bl ». « Sur le psaltérion à dix cordes », ou par les dix préceptes de la loi. C’est ainsi que je vous chanterai : puissé-je trouver en vous ma joie, puissé-je vous chanter dans la loi, ce nouveau cantique ; « parce que la charité est la plénitude de la loi bm ». Du reste, quiconque n’a point la charité, peut porter le psaltérion ; mais il ne saurait chanter. Pour moi donc, dit l’interlocuteur, au milieu des eaux de la contradiction, je vous chanterai un cantique nouveau : et jamais le bruit des eaux de la contradiction ne fera taire mon psaltérion : « Je vous chanterai sur le psaltérion à dix cordes ». 17. « C’est lui qui donne le salut aux rois » ; aux montagnes s’évanouissant en fumée, « Qui délivre David son serviteur ». Ce David, vous le connaissez, soyez donc David. De quoi Dieu a-t-il délivré David son serviteur ? De quoi a-t-il délivré le Christ ? De quoi le corps du Christ ? « Délivrez-moi du glaive des méchants bn ». « Du glaive » ne suffirait pas ; il ajoute : « du méchant ». Assurément il est un glaive de faveur. Quel est ce glaive de faveur ? Celui dont le Seigneur a dit : « Je ne suis point venu apporter la paix sur la terre, mais le glaive bo ». Il devait alors séparer les fidèles des infidèles, les fils des pères, il devait trancher de ce même glaive d’autres engagements, enlever toute chair corrompue, et guérir en tranchant ainsi les membres du Christ. Il est donc un glaive de bonté, ce glaive à deux tranchants, puissant de part et d’autre, par l’Ancien et par le Nouveau Testament, par le récit du passé et par les promesses de l’avenir. Tel est donc le glaive de la bonté ; l’autre est celui des méchants, et leur fait parler vanité, comme c’est par le glaive de la faveur que Dieu nous dit la vérité. Donc « délivrez-moi du glaive des méchants. Quant aux enfants des hommes, leurs dents sont pour eux des armes et des flèches, leur langue est un glaive tranchant bp ». Délivrez-moi de ce glaive des méchants. Ce que le Prophète vient d’appeler « glaive », il l’appelait tout à l’heure « grandes eaux ». « Délivrez-moi des grandes eaux ». Ce que j’ai nommé grandes eaux, je l’appelle maintenant glaive des méchants. Enfin, après avoir parlé des grandes eaux, il continue : « De la main des étrangers, dont la bouche parle la vanité ». Et pour nous faire comprendre qu’il parle d’eux encore, quand il dit ici : « Du glaive des méchants délivrez-moi », il ajoute : « Délivrez-moi de la main des fils de l’étranger, dont la bouche parle la vanité », comme il l’avait dit plus haut. Et quand il nous dit que leur droite est la droite de l’iniquité, il avait déjà exprimé cette pensée, en nous parlant des grandes eaux. Et de peur que tu ne prennes ces grandes eaux dans un sens favorable, il nous l’exprime de nouveau dans le glaive des méchants. Qu’il vous explique maintenant cette expression : « Leur bouche parle la vanité, leur droite est la droite de l’iniquité ». De quelle vanité a parlé leur bouche ? et comment leur droite peut-elle être la droite de l’iniquité ? 18. « Leurs enfants sont dans leur jeunesse, comme des plants nouveaux bq ». Il veut montrer ici leur félicité. Écoutez donc, enfants de la lumière, enfants de la paix, écoutez, enfants de l’Église, membres du Christ ; écoutez ce que le Prophète nomme étrangers, fils de l’étranger, eaux de contradiction, glaive du méchant. Écoutez, je vous en supplie vous qui, chaque jour, courez des dangers au milieu d’eux ; qui, au milieu de leurs discours, combattez contre les désirs de votre chair, qui avez à lutter au milieu de ces langues, de ces suppôts de Satan, et dont il se sert contre vous. « Car vous ne combattez plus contre la chair et le sang, mais contre les princes et les puissances, contre ceux qui gouvernent ce monde de ténèbres br », c’est-à-dire des méchants, Écoutez, afin de vous en séparer ; écoutez, afin de ne point regarder comme la vraie félicité celle que convoitent les hommes faibles ou corrompus. Ce sont bien là, mes frères, les fils de l’étranger, ce sont bien les grandes eaux, c’est bien là le glaive des méchants. Voyez quelle est cette vanité dont ils parlent, et gardez-vous de tenir leur langage, gardez-vous de parler comme eux, de peur de vivre comme eux. « Leur bouche parle la vanité, leur droite est la droite de l’iniquité ». De quelle vanité a donc parlé leur bouche, et comment leur droite peut-elle être la droite de l’iniquité ? Ecoute : « Leurs enfants sont dans la jeunesse, comme des plants nouveaux ; leurs filles sont parées, elles sont ornées comme des temples ; leurs celliers sont pleins, et regorgent deçà et delà ; leurs brebis sont fécondes, on les voit sortir en foule de leurs étables ; leurs bœufs sont gras ; il n’y a ni ruine ni ouverture dans leurs clôtures, ni cri dans leurs places publiques bs ». N’est-ce donc point là le bonheur ? J’interroge les enfants du royaume des cieux, j’interroge cette race de ceux que Dieu ressuscités pour l’éternité, j’interroge le corps du Christ, les membres du Christ, le temple de Dieu, N’est-ce donc point une félicité que d’avoir des enfants en santé, des filles bien parées, des celliers bien remplis, de nombreux troupeaux, de n’avoir aucune ruine non seulement dans ses maisons, mais jusque dans ses clôtures, de n’entendre dans les places publiques aucun bruit, aucune clameur, mais le repos, la paix, l’abondance, la richesse dans les maisons et dans les villes ? N’est-ce donc point là le bonheur ? Les justes doivent-ils le fuir ? Aucun juste n’a-t-il donc possédé une maison regorgeant de biens, comblée d’un semblable bonheur ? La maison d’Abraham n’était-elle donc point riche en or, en argent, en enfants, en domestiques, en troupeaux bt ? Jacob, ce saint Patriarche fuyant la face d’Esaü son frère, en Mésopotamie, ne s’enrichit-il point par ses services, et en retournant dans son pays ne rendit-il point grâces à Dieu, parce qu’ayant passé le fleuve avec son bâton, il revenait avec tant d’enfants, et des troupeaux si nombreux bu ? Que dirai-je encore ? N’est-ce donc point là le bonheur ? Soit ; mais le bonheur de la gauche. Qu’est-ce que la gauche ? Ce qui est du temps, périssable, corporel. Sans vous dire de le fuir, gardez-vous de le regarder comme de la droite. Car les hommes du Psalmiste n’étaient point vains et méchants, parce qu’ils les possédaient, mais parce qu’ils prenaient pour biens de la droite, ce qui ne devait être que de la gauche. Que devaient-ils mettre à droite ? Dieu, l’éternité, les années de Dieu qui ne finiront point et dont il est dit : « Et vos années ne passeront point bv ». Telle est la droite où doivent tendre nos désirs. Servons-nous de la gauche pour un temps, mais soupirons après la droite pour l’éternité. Si les richesses coulent chez vous en abondance, n’y attachez point votre cœur bw. Car si vous attachez vos cœurs aux richesses qui coulent, de – votre gauche vous ferez votre droite. Corrigez-vous, admirez ces chastes baisers que vous donne la Sagesse « Sa gauche est sous ma tête, et il m’embrasse de sa droite bx ». Voyez ces admirables chants d’amour, ces Cantiques des cantiques, ce chant des saintes épousailles du Christ et de l’Église. Que dit l’Épouse à propos de l’Époux ? « Sa gauche est sous ma tête, et il m’embrasse de sa droite ». La gauche est sous la tête, la droite sur la tête. C’est ce que l’on fait quand on embrasse, on met la droite sur la tête, et la gauche au-dessous. « Sa gauche » ; dit l’Épouse, « est sous ma tête ». Car il ne m’abandonnera point en ce qui est nécessaire à la vie ; et toutefois cette main gauche sera sous ma tête ; non point sur ma tête, mais au-dessous, afin qu’il m’embrasse de cette même droite qui promet la vie éternelle. Car sa gauchie ne sera sous ma tête que quand il m’embrassera de sa droite ; et ainsi s’accomplira ce que saint Paul écrit à Timothée : « Il a les promesses de la vie présente et de la vie future by ». Qu’avons-nous dans cette vie ? La gauche sous notre tête. Qu’avons-nous pour l’avenir ? Sa droite m’embrasse. Cherchez-vous ce qui est nécessaire en cette vie ? « Cherchez d’abord le royaume de Dieu », c’est-à-dire sa droite, et tout cela vous sera donné par surcroît bz ». Vous aurez ici-bas les richesses et la gloire, et dans le siècle à venir la vie éternelle ; ma gauche soutiendra votre faiblesse, et ma droite couronnera vos vertus. Mais les Apôtres, qui avaient tout quitté et distribué leurs biens aux pauvres, ont-ils vécu ici-bas sans aucune richesse ? Que serait alors devenue cette promesse relative à la gauche : « Il recevra sept fois autant dans ce monde ? » ca Le Sauveur nous promet la multiplication des biens. Et, en effet, qu’est-ce qui manque au serviteur de Dieu ? Un infidèle a une maison, quelques maisons peut-être ; « mais le fidèle a pour richesses le monde entier cb
,
▼▼selon les LXX
». Vois comme elle est sous la tête, cette gauche pleine de tous ces biens : « Il recevra en ce monde sept fois autant ». Vois la droite qui nous embrasse : « Et dans le siècle à venir la vie éternelle ». C’est bien avec raison que la Sagesse a dit ailleurs : « Les années de la vie sont dans sa droite, et dans sa gauche les richesses et les honneurs cd ». 19. Comment donc ces hommes disent-ils des choses vaines ? comment leur bouche a-t-elle dit la vanité ? Parce que « leur droite est celle de l’iniquité ». Je ne leur fais pas un crime d’avoir des enfants qui sont dans leur jeunesse comme des jeunes plants, ni des filles ornées comme des temples, ni des biens en abondance et une félicité terrestre. Où est donc leur crime ? « D’avoir appelé heureux le peuple qui a de tels biens ce ». O futiles discoureurs ! Appeler bienheureux un peuple qui a de tels biens ! Ils ont perdu la véritable droite, et se sont vêtus au rebours des dons de Dieu. Hommes pervers, hommes futiles, fils de l’étranger, ils ont appelé heureux le peuple qui possède ces biens. « Ils ont mis à droite ce qui était à gauche, et ont appelé heureux le peuple qui possède ces biens ». Mais vous, ô David ? Mais vous, ô corps du Christ ? Mais vous, ô membres du Christ ? Mais vous, fils de Dieu, et non fils de l’étranger, que dites-vous ? Les hommes vains dans leurs paroles, les fils de l’étranger ont appelé heureux le peuple qui possède ces biens. Mais vous, que dites-vous ? « Bienheureux le peuple qui a pour Dieu le Seigneur cf ». Ayez donc la gauche, si vous le voulez, mais dans votre main gauche ; ambitionnez la droite, afin d’être placés à la droite. C’est ainsi qu’ils ont placé à gauche la gauche elle-même, auprès de qui le Christ a eu faim, et ils lui ont donné à manger ; a eu soif, et ils lui ont donné à boire ; a été étranger, et ils l’ont reçu ; a été nu, et ils l’ont revêtu cg. Ce sont des avantages qu’ils ont tirés de la gauche, dont ils ont fait des œuvres de la droite, afin d’être eux-mêmes placés à la droite. Donc ces hommes vains, ces fils de l’étranger ont dit : « Bienheureux le peuple qui a de tels biens » ; mais vous, dites avec nous : « Bienheureux le peuple qui a pour Dieu le Seigneur ». SERMON XXXII. DAVID ET GOLIATH. Ou : LA CONFIANCE EN DIEU ch.
ANALYSE. – On venait de lire plusieurs passages remarquables de l’Écriture. Saint Augustin s’arrête au psaume 143, qui célèbre la victoire de David sur Goliath. Or l’idée principale que le grand Docteur développera dans cet important discours, l’idée mère à laquelle il rattachera toutes les autres, peut se nommer la confiance en Dieu. De Dieu seul et de sa grâce nous devons attendre la force d’accomplir les divins commandements : de Dieu seul et de sa bonté nous devons espérer le vrai bonheur. – I. De Dieu seul et de sa grâce nous devons attendre la force nécessaire pour accomplir les divins commandements – En effet, 1° n’est-ce pas en Dieu seul que se confiait David quand il marchait contre son terrible ennemi ? 2° Que signifient les cinq pierres qu’il amasse dans le torrent pour les mettre dans la panetière où il recueille le lait, sinon les cinq livres de la loi ou plutôt la loi elle-même que l’ancien peuplé a violée, foulée aux pieds, et que le peuple nouveau supporte, pratique avec bonheur, parce que le bon Pasteur l’a toute pénétrée de sa grâce ? 3° Cette nécessité de la grâce, et conséquemment, de la confiance en Dieu, ne nous est-elle pas révélée encore dans ce que dit le psaume médité par nous, de l’impuissance et de la corruption de notre nature ? – II. De Dieu seul et de sa bonté nous devons attendre encore le vrai bonheur : car, ce bonheur n’est pas dans les biens de la terre. En effet, 1° ces biens sont plutôt des instruments de péché, et le démon ne, nous fait commettre le mal qu’en excitant en nous le désir de les posséder ou la crainte de les perdre. 2° Dieu souvent les refuse à ses serviteurs, parce qu’il prévoit qu’ils leur seraient nuisibles. 3° Ils importent si peu au bonheur, que quelquefois les méchants en sont comblés outre mesure. Aussi le bonheur n’est qu’en Dieu ; et nous devions nous attacher à Dieu pour lui-même. 1. Lorsqu’on lisait les saintes Écritures, notre Dieu et Seigneur, pour panser et guérir les plaies de l’âme, nous y a présenté, comme dans des trésors divins, des remèdes en grand nombre notre ministère doit maintenant les appliquer à nos blessures comme aux vôtres. Serviteurs employés par le grand Médecin à guérir autrui, nous ne prétendons pas n’avoir pas besoin de guérison nous-mêmes ; et si nous nous attachons à lui, si de tout notre cœur nous nous abandonnons d son traitement, tous nous serons guéris. On a lu aujourd’hui beaucoup de passages de haute importance et de nécessité première. Il est vrai, tout se ressemble dans l’Écriture : il y a cependant des vérités qui s’y cachent plus profondément pour exercer ceux qui les recherchent ; il en est d’autres qui sont pour ainsi dire sous la main et à découvert afin de servir de remèdes à ceux qui les désirent. Le psaume que nous allons étudier contient de profonds mystères, et si nous voulions les examiner tous en particulier, nous n’y suffirions pas, je le crains. Notre faiblesse rencontrerait des obstacles, soit dans les chaleurs de la saison, soit dans le défaut de forces corporelles, soit dans la lenteur de l’intelligence, soit même dans notre incapacité, car nous sommes au-dessous de cette tâche. Nous choisirons donc quelques traits seulement, comme il nous semble convenable pour accomplir notre devoir et nous conformer à l’intention de votre charité. 2. Voici d’abord le titre du psaume :« À Goliath. » Il en est parmi nous qui ne sont point étrangers à l’Écriture, qui aiment à fréquenter cette divine École, qui n’en haïssent point le maître comme des enfants désespérés, qui dans l’Église prêtent une oreille attentive à la voix des Lecteurs, qui ouvrent leur cœur pour y recevoir les flots de la parole sainte, qui ne s’occupent pas dans ce sanctuaire de soins domestiques, qui ne s’y amusent pas des bruits qui courent, qui n’y viennent pas pour s’entretenir de niaiseries plutôt que pour entendre en commun des vérités salutaires, qui ne se plaisent pas à parler des affaires d’autrui quand ils sont au-dessous de leurs propres affaires ; il en est donc quine viennent pas ici dans ces dispositions et qui y viennent assidûment, ceux-là connaissent le titre du psaume, ils savent qui était ce Goliath. Toutefois, comme il en est d’autres qui maintenant attentifs ne le sont pas toujours autant, ou qui peut-être étouffent habituellement dans leurs cœurs, sous les épines, c’est-à-dire sous les soucis du siècle, la féconde semence de la parole, rappelons ce qui est si ancien et si connu des esprits appliqués à l’étude des lettres sacrées. 3. Goliath était l’un des Philistins, c’est-à-dire des étrangers qui guerroyaient alors contre les enfants d’Israël. Et David, l’auteur de ces Psaumes, ou plutôt l’instrument dont s’est servi l’Esprit-Saint pour nous les donner, était au même temps un enfant tout jeune, ayant à peine touché l’adolescence, et occupé à paître les brebis de son père. Ses frères plus âgés que lui étaient sous les drapeaux et servaient dans l’armée du Roi. Envoyé par ses parents, il leur apporta des provisions ; et s’il se trouvait alors dans le camp, ce n’était pas comme soldat, c’était comme frère et serviteur de quelques soldats. Or Goliath, dont il est ici question, était d’une taille gigantesque, couvert d’une forte armure, d’une vigueur exercée, plein de jactance, et dans son orgueil il provoquait à un combat singulier le peuple ennemi. Il demandait qu’un homme choisi dans les rangs des Israélites s’avançât contre lui, que la décision de la guerre fût confiée, sous les yeux de tous, aux mains des deux combattants, à la condition expresse que la victoire serait attribuée au parti de celui d’entre eux qui aurait vaincu. Le Roi du peuple juif ou des enfants d’Israël était alors Saül. Embarrassé, inquiet, il cherchait dans toute son armée un homme qui pût répondre à Goliath : nul n’en était capable – ni sons le rapport de la taille, ni sous le rapport de l’audace. Quand donc il était livré à ces soucis, le jeune David osa se présenter pour marcher contre le géant : ce saint jeune homme ne mettait point sa confiance dans ses propres forces, mais dans le nom de son Dieu. Frappé de cette religieuse assurance plutôt que de la hardiesse de l’enfant, on parla au Roi de son dessein. Le prince ne refusa pas son consentement : il voyait dans l’intrépidité de cet enfant quelque chose de divin et il comprit qu’à un âge si tendre il était impossible de concevoir untel projet sans une divine inspiration. Il accueillit donc David avec joie et celui-ci s’avança contre Goliath. 4. Dans le parti de David on n’avait confiance qu’en Dieu ; tout l’espoir du parti contraire reposait sur la force d’un seul homme. Mais qu’est-ce que l’homme ? N’est-il pas vrai, comme David même l’a chanté dans ce psaume, qu’ « il est semblable au néant et que ses jours passent comme l’ombre ? » Ainsi l’espérance des ennemis était vaine, puisqu’elle ne reposait que sur une ombre qui passe. On arma David ; on voulait qu’inférieur en âge et en force à son adversaire, il fut sous ce rapport en quelque sorte son égal. Mais ces armes destinées à l’âge mûr ne lui allaient pas, elles étaient plutôt un poids pour son jeune âge. C’est à quoi se rapporte le sens de ce que nous avons lu dans l’Apôtre avant de chanter le psaume : « Dépouillez-vous du vieil homme et revêtez-vous de l’homme nouveau ci. » David ne voulut point de cette vieille armure, il la rejeta, il dit qu’elle était trop lourde, car elle l’embarrassait et il voulait aller tout dégagé au combat, appuyé non sur lui-même mais sur le Seigneur, et plutôt armé de la foi que de l’épée. 5. Néanmoins après avoir déposé son armure, il choisit un autre moyen de combattre et ce ne fut pas sans mystère. Ne voyez-vous pas qu’il y a ici comme deux vies en conflit, la vie ancienne parmi les Philistins, la vie nouvelle parmi les Israélites ; d’un côté l’armée du diable, de l’autre la figure de Jésus-Christ Notre-Seigneur ? David prit, donc cinq pierres dans le torrent, dans le fleuve ; il les mit dans la panetière où on recueille le lait. Ainsi équipé il s’avança cj. Les cinq pierres représentaient la loi contenue dans les cinq livres de Moïse. Or il y a dans la loi dix préceptes salutaires auxquels se rapportent tous les autres. Ainsi la loi est figurée par deux nombres, le nombre cinq et le nombre dix : David a combattu avec l’un, et il a chanté l’autre quand il a dit : « Je le chanterai sur le psaltérion à dix cordes. » Il ne lança point les cinq pierres, il n’en prit qu’une. Si le nombre des cinq pierres désigne le nombre des livres, la pierre lancée rappelle l’union de tous ceux qui accomplissent la loi ; car c’est l’unité même, c’est-à-dire la charité qui en pratique tous les commandements. Les cinq pierres ont de plus été tirées du fleuve. Que signifiait alors le fleuve ? 6. Il est des objets qui dans l’Écriture n’ont pas toujours la même signification. Votre sainteté doit le savoir pour comprendre d’autres règles d’interprétation et pour écouter utilement le Lecteur. Non, les passages allégoriques des Livres saints ne doivent pas toujours s’expliquer de la même manière. Montagne, pierre, lion ne désignent pas toujours le Seigneur ; ces mots ne sont pas pris toujours dans une bonne, ni toujours dans une mauvaise acception : il faut avoir égard aux autres circonstances du texte sacré. Dans tant de milliers de mots et de discours les mêmes lettres se reproduisent sans augmenter en nombre ; les paroles sont infinies, les lettres sont loin de l’être ; personne ne saurait compter les paroles, chacun peut compter les lettres qui les forment. Placée diversement, une lettre à sa valeur, mais cette valeur n’est pas toujours la même. Quels êtres plus opposés que Dieu et diable ? Néanmoins en tête de chacun de ces deux noms est la lettre D. N’a-t-elle pas ici des valeurs différentes ? Ne serait-ce pas se tromper, être par trop absurde, avoir l’esprit enfermé dans le cœur d’un enfant ; que de n’oser, par respect pour Dieu, placer cette lettre D dans le nom du diable, parce qu’elle fait partie du mot Dieu ? Tel serait, pour ne pas quitter l’exemple choisi par nous, l’ignorant interprète des Écritures : qui après avoir entendu le mot fleuve pris allégoriquement dans ce passage : « Le cours du fleuve réjouit la cité de Dieu ck », où il signifie l’abondance des dons du Saint-Esprit, dont il est dit ailleurs : « Ils seront enivrés de l’abondance de votre maison ; vous les abreuverez au torrent de vos délices ; cl » aurait peur ensuite de lui donner une acception différente, et qui après l’avoir employé dans un bon sens qu’il a approuvé et dont il a été ravi, craindrait pour ce motif de consentir à voir désignés par le même mot les hommes inconstants, attachés aux choses temporelles et qui passent avec l’amour de tous ces biens fugitifs. Cette peur et cette inquiétude le rendraient aussi muet en face des Écritures, que le serait en face des lettres le niais qui refuserait de les faire entrer dans d’autres mots que ceux où d’abord on les lui a montrées. 7. Si votre sainteté a saisi m’a pensée, elle vous sera, je crois, fort utile et vous aidera beaucoup, non-seulement à entendre nos commentaires, mais encore à comprendre les Écritures que nous vous expliquons actuellement. Donc le fleuve où David prit les cinq pierres n’était pas pris alors dans un bon sens. Quelques-uns peuvent s’imaginer, je le sais, que ce mot était employé dans une acception favorable ; que l’on pourrait y voir le baptême, et que les pierres tirées du fleuve, c’est-à-dire les hommes baptisés ont une grande puissance contre le démon, désigné par Goliath. Mais le nombre cinq : autorise notre interprétation, et, comme nous l’avons dit, il désigne les cinq livres de Moïse et par conséquent la loi. Pourquoi ces pierres ont-elles été tirées du fleuve et mises dans la panetière du berger ? Nous avons déjà observé qu’à l’avènement de Notre-Seigneur Jésus-Christ et pour triompher réellement du diable, la Loi ancienne est devenue la loi de grâce. Or qui représente mieux la grâce que la richesse du lait ? Ces pierres ont été prises dans le fleuve. Le fleuve signifiait un peuple inconstant, attaché aux choses temporelles, affectionné à ce qui passe et entraîné par la force de la passion, dans la mer du monde. Tel était le peuple Juif. Il avait reçu la loi, mais il la foulait aux pieds, il passait dessus comme le fleuve coulait sur ces pierres et se précipitait à la mer. Ces pierres n’avaient pu servir de digue au fleuve ni l’arrêter dans son cours. Autrement elles désigneraient le frein de la loi et rappelleraient ces âmes qui entraînées d’abord par les plaisirs et les passions, s’arrêtent devant les divins préceptes et répriment l’impétuosité de leurs convoitises. Mais ces pierres n’étaient point des digues ; elles étaient au fond du fleuve, et l’eau passait dessus, comme le peuple prévaricateur passait sur la loi. Ainsi le Seigneur éleva la loi jusqu’à la grâce, il la prit dans le fleuve et la plaça dans la panetière, qui servait aussi à recueillir le lait. 8. Qu’il pense donc à la grâce, celui qui veut pratiquer la loi. Les dix préceptes du psaltérion à dix cordes, étaient les mêmes pour l’ancien peuple, mais ils l’accablaient par la crainte, car ils ne renfermaient pas la charité produite par ta grâce, ils exprimaient plutôt la crainte. Ils étaient polir ce peuple des lois pénales, puisqu’ils ne pouvaient s’observer par amour. On faisait effort, mais la passion l’emportait. En passant sous la loi de grâce, on n’a point d’autres commandements à observer. Mais ce qu’on ne pouvait alors, on le peut aujourd’hui ; non par la force même des préceptes, mais par la force de la grâce de Dieu. Si en effet les préceptes de la loi communiquaient la force de les observer, on les aurait accomplis à cette époque également. Se donner au Christ, c’est passer de la crainte à l’amour et commencer à pouvoir faire par amour ce qu’on ne pouvait par la crainte. Or quiconque tremblait sous la crainte ne tremble passons l’impression de l’amour ; et comme David en disant : « Je vous chanterai sur le psaltérion à dix cordes » représente l’homme nouveau de la loi de grâce, chanter la grâce contenue aujourd’hui dans les dix préceptes, c’est les accomplir avec joie. 9. Frères, afin de connaître que c’est la grâce qui vous en rend capables, nul ne doit présumer de ses propres forces, ainsi il comptera sur la grâce de Dieu. Car c’est Dieu qui t’invite et te commande d’agir, mais c’est lui aussi qui accorde le pouvoir de faire ce qu’il commande. À toi de lui montrer une confiance assez étendue afin de t’humilier sous l’abondance de la grâce, d’implorer son secours, de n’espérer rien de toi-même, de te dépouiller de Goliath, de te revêtir de David. C’est à. quoi se rapporte cette parole du psaume que nous avions commencé de rapporter : « Qu’est-ce que l’homme ? » car il s’agit de montrer à l’homme qu’il ne peut compter sur lui-même. Reconnaissez en effet comment cette exclamation est jetée contre Goliath, trop confiant en ses forces ; et comment elle est à la louange de David, plus fort en s’appuyant sur Dieu qu’il n’était faible parmi les hommes. « Qu’est-ce que l’homme ? » Et on répond : « Vous vous êtes fait connaître à lui. » Tout l’homme consiste donc à connaître Dieu, et ne le connaître pas, c’est n’être rien. Qu’est-ce que l’homme à qui Dieu ne s’est pas fait connaître ? « Cet homme est devenu semblable au néant, ses jours passent comme l’ombre. » Qu’est-ce donc « que l’homme à qui vous vous êtes fait « connaître, et qu’est-ce que le fils de l’homme que vous honorez ? » Qu’est-ce à dire : « Que vous honorez ? » S’il vous a plu de le choisir, de le placer dans un lieu plus élevé, plus distingué ; c’est l’effet de votre miséricorde, ce n’est pas la récompense de ses mérites. 10. Cherche ce qui est propre à l’homme, tu trouveras le péché ; cherche ce qui est propre à l’homme, tu trouveras le mensonge. Ôte le péché, et tu ne trouveras dans l’homme rien qui ne soit de Dieu. L’homme ne doit donc pas aimer ce qui lui est propre, et dans ce sens encore on peut prendre ces paroles de l’Apôtre : « Que nul ne cherche ce qui lui est propre cm. » Il est des hommes qui en les entendant quelquefois de la bouche des Lecteurs s’en servent pour enlever le bien d’autrui. Mais il importe de savoir qui les prononce : c’est tantôt un mauvais conseiller et tantôt un docteur de vérité. Dieu est le docteur de la vérité. Quand donc lu lui entends dire : Ne cherche pas ce qui t’est propre, ne comprends pas dans le sens de ces hommes pervers. Dieu te donne un sage avertissement, et puisque nous disions qu’en cherchant ce qui t’est propre tu trouveras le péché, de grâce, ne cherche point le péché et tu ne trouveras point ce qui t’est propre ; ne cherche pas non plus le mensonge, et tu ne trouveras pas non plus ce qui t’est propre ; car la vérité vient de Dieu et le mensonge vient de toi. 11. En vain aussi le démon te suggère une idée ; Une peut rien que par ton consentement, il ne saurait forcer ta volonté. Jamais il ne séduit, jamais il n’entraîne une âme gaie s’il la trouve déjà quelque peu semblable à lui. Il remarque qu’elle a quelque désir, ce désir ou cette cupidité ouvre la porte et la tentation pénètre. Il remarque qu’elle a quelque crainte, il l’invite à fuir ce qu’elle redoute, comme il l’a invitée à se procurer ce qu’elle convoite ; et par ces deux portes de la cupidité et de la crainte il rentre dans cette âme. Ferme-les, et tu accomplis ce précepte qu’on a lu aujourd’hui, « Ne donnez pas lieu au diable cn. » L’Apôtre a voulu montrer en effet, par ces paroles, que si le diable pénètre dans un cœur et s’en rend maître, c’est que l’homme lui a donné lieu de pouvoir y entrer. 12. Aussi l’homme n’étant rien quand il ne connaît pas Dieu et que Dieu ne l’honore pas, Dieu lui donne sa grâce : il trouve, hélas ! à condamner en lui, mais il pardonne tout à sa confession pour couronner sa foi. N’est-il pas vrai qu’en venant au milieu des hommes le Seigneur n’a trouvé qu’à condamner parmi eux ? Recherchez, frères, examinez avec soin : et dans le peuple juif, et parmi les gentils, le Seigneur n’a trouvé qu’à condamner. Aussi pour pardonner aux pécheurs, il est venu parmi nous avec humilité, non comme juge ; il voulait en pardonnant répandre d’abord sa miséricorde et seulement ensuite déployer sa sévérité en châtiant les coupables. N’abusons point, c’est-à-dire ne mésusons point de sa clémence, et nous n’éprouverons point les rigueurs de sa justice. Ainsi donc voici tout l’homme : connaître Dieu, et recevoir cette grâce sur laquelle s’appuyait David, tandis que superbe, orgueilleux et enflé de lui-même, Goliath comptait sur ses propres forces et commençait par mettre en lui seul la victoire de tout son peuple. Unis comme le front de tout orgueilleux est un front impudent, une pierre frappa le front de cet audacieux et il tomba. Le front de l’impudent fut brisé ; le front qui portait l’humilité de la croix du Christ fut vainqueur. 13. Aussi, pour qui peut le comprendre, c’est pour ce motif que nous portons au front le signe même de la croix. Je le rappelle, mes frères, parce que beaucoup tracent ce signe sans vouloir l’entendre. Dieu pourtant cherche plutôt des hommes qui exécutent ses signes que des hommes qui les peignent. Si tu portes au front le signe de l’humilité du Christ, portes-en l’imitation dans le cœur. Nous avons dit, mes frères, que c’est donner lieu au diable, que de lui ouvrir les portes de la cupidité ou de la crainte : mais de quelle cupidité ou de quelle crainte ? Car nous désirons aussi le ciel comme aussi nous redoutons l’enter ; et comme ces deux portes, la convoitise des biens temporels et la crainte des peines temporelles entraînent au crime la plupart du temps et donnent lieu au diable ; ainsi l’amour des biens éternels et la crainte d’éternels châtiments font place dans le cœur à la parole de Dieu. 14. En deux mots, mes frères, si nous voulons bien vivre, aimons ce que Dieu promet plus que ce que promet le monde ; et redoutons les menaces de Dieu plus que les menaces du monde. Est-ce là un discours long et étendu ? Tu es tenté de tromper, tu veux tromper pour t’enrichir : Dieu promet l’éternel royaume des cieux à qui ne trompe pas ; mais la cupidité l’emporte sur toi. Eh ! qui ne veut pas du royaume des cieux ? Mais le péché consiste à vouloir davantage les biens de la terre ; à vouloir davantage ce qui est présent, sans s’attacher à ce qui doit venir ; à vouloir davantage ce qu’on voit et à ne pas désirer ce que Dieu promet. Car on peut dérober ce que nous voyons, on peut le perdre après l’avoir possédé : quant aux biens promis de Dieu et que pour le moment on ne peut voir des yeux de la chair, une fois parvenu à la récompense, on ne craint pas de les perdre ; personne ne pouvant faire violence à Celui qui – les donne. C’est pourquoi, frères, attachez-vous par la charité aux divines promesses, et vous ne serez pas vaincus par les désirs mondains. 15. Voici une autre tentation, tentation de crainte. Quelqu’un te dit : Fais pour moi un faux témoignage, et d’abord il t’étale des promesses. Mais si tu viens à préférer les divines promesses aux promesses humaines, si tu ne te laisses pas séduire et que la cupidité ne l’emporte pas, il recourt aux menaces et te fait entrevoir des choses horribles. C’est un homme puissant dans la cité, puissant clans le inonde, il parait pouvoir faire ce qu’il dit. Tu te laisses vaincre alors par la peur du mal présent. Dieu ne pourrait-il t’en éloigner s’il le croyait avantageux pour toi ? Et dans le cas où il ne le voudrait point, ne devrais-tu pas comprendre qu’il ne permettrait pas que tu en fusses atteint, s’il ne savait que ce sera aussi pour ton avantage ? Il a préservé du feu les trois enfants. Est-il changé pour n’avoir pas préservé les martyrs du glaive ? Le Dieu des trois enfants était le Dieu des Machabées. Les premiers échappèrent aux flammes co ; les seconds en furent tourmentés cp ; tous cependant remportèrent en ce Dieu éternel une complète victoire : car ils ne mettaient point leurs délices dans cette vie temporelle et les menaces du temps ne les ébranlaient pas. 16. Ne crains donc pas un homme qui te fait des menaces. Qu’est-ce qu’un homme ? « il est devenu semblable au néant ; ses jours passent comme l’ombre. » Ou bien il ne te nuira pas et cette vaine ombre passera avant d’avoir pu te frapper, car Dieu est puissant ; ou bien, s’il lui permet de le nuire, elle ne nuira qu’à ton ombre, qu’à ce qui passe en toi, qu’à ta vie temporelle, qu’à ta vieille vie : jusqu’à la mort en effet nous portons les restes du vieil homme. Cet homme peut nuire à ta vie du temps ; nul ne peut t’enlever la vie de l’éternité. On te débarrassera des obstacles qui te retiennent ici, et tu t’attacheras intimement à Dieu après lui avoir déjà donné ta confiance et t’être uni à lui par les liens de la charité. 17. C’est pourquoi les Psaumes comparent avec beaucoup d’élégance l’homme méchant à « un rasoir tranchant qu’aiguise la fraude cq. » C’est ainsi que le méprise l’Esprit-Saint. Que considère-t-il ici dans le rasoir ? Non pas qu’il peut servir à donner la mort aux hommes, mais à quel usage il est naturellement destiné. Or il est destiné à raser les cheveux. Qu’y a-t-il dans le corps d’aussi superflu que les cheveux ? Et c’est pour couper des cheveux qu’on aiguise le rasoir avec tant de soin, et tant d’ardeur, tant de précautions et une attention si grande ? Ainsi le méchant se tire à l’écart, il pense, il médite, il pense encore, il entasse fraudes sur fraudes, il cherche des artifices, il se prépare des aides, il quête de faux témoins, il aiguise son rasoir contre le juste. Et pourquoi ? Pour le dépouiller de ce qui est en lui superflu ! 18. Voulez-vous donc, mes frères, vous disposer à suivre la volonté de Dieu ? Nous vous engageons, nous nous y excitons nous-mêmes, ou plutôt nous y sommes excités par Celui qui peut nous y exciter sans crainte. Voulons-nous donc nous disposer à suivre la volonté de Dieu ? N’aimons point ce qui passe, ne regardons point comme étant le bonheur ce qui en porte le nom dans ce siècle. Les Philistins avaient ces idées ; ils mettaient leur bonheur dans les choses du temps, ils mettaient leurs jouissances dans des ombres et non dans la lumière ni dans la vérité. Aussi considérez comment se termine le Psaume « à Goliath » ; il s’exprime en termes fort clairs, il n’y a aucune difficulté et il ne faut ni interprète ni commentateur. Par la miséricorde de Dieu tout y est si lucide, qu’on ne peut direIl l’a expliqué comme il a voulu, il l’a commenté selon ses idées, il a pensé ce qu’il lui a plu ; personne ne peut ici alléguer ces prétextes. Or celui qui parle c’est David, David la vie nouvelle, la vie du Christ, la vie qui nous a été communiquée par le Christ. Il s’exprime avec dédain pour la vie ancienne, la vieille félicité des hommes, pour ceux qui y 'mettent leur espérance, ceux qui y parviennent et ceux qui y mettent leur joie. 19. Dans ce siècle en effet les justes paraissent souffrir et les injustes vivre heureux. Comme si Dieu sommeillait et négligeait les choses humaines, les méchants s’exaltent souvent pour n’être point châtiés, et souvent les bons sont brisés par l’infirmité ; parce qu’ils ne possèdent pas les biens dont paraissent regorger les pécheurs, les hommes impies et cruels, ils s’imaginent n’avoir aucun avantage à pratiquer la vertu. Mais plus ils considèrent comme importants ces biens qu’ils demandent à Dieu, plus ils s’égarent, et plus il faut prendre soin de ne pas les livrer à la tyrannie de leur cupidité, selon cette expression : « Dieu les abandonna aux convoitises de leur cœur cr. » Aussi Dieu se montre d’autant plus propice qu’il exauce la demande de ces choses vaines et superflues, non pour les donner, mais pour guérir en les refusant. Qui ne voit en effet pourquoi on les recherche, pourquoi on prie Dieu de les donner ? N’est-ce pas afin de les consumer dans la débauche, dans les frivolités et dans les plus extravagants spectacles ? 20. Suppose un homme du siècle qui demande à Dieu des richesses et qui les obtient quels dangers mortels en naissent pour lui ! Il s’en sert pour opprimer le pauvre, pour s’élever, tout poussière qu’il est, au-dessus de son égal, pour mendier de vains honneurs, pour donner, afin de les obtenir, des divertissements lascifs et dissolus, pour acheter des jeux et des ours et enrichir des bestiaires, pendant que le Christ souffre la faim dans la personne des pauvres. Qu’est-il besoin de développer davantage, mes frères ? Songez vous-mêmes à ce que nous ne disons pas, aux maux immenses que produisent les biens superflus aux mains de ceux qui les possèdent en abondance. Et puisque l’homme peut malheureusement faire un si triste usage de l’opulence, ne vaut-il pas mieux que Dieu l’en dépouille, ne lui en fasse pas don ? Cette conduite n’est-elle pas miséricordieuse ? 21. On dira : J’ai fait le bien, je n’ai rien dérobé, et vous ne m’avez pas exaucé ! Je donne à l’indigent une partie de ce que je possède, je n’enlève rien à autrui ; je vous en prie, accordez-moi. – Mais peut-il te donner une villa sans qu’un aucun autre la perde ? Que l’on vienne à te dire : Vends ta villa ; tu frémis comme à un outrage, tu crois que l’on t’injurie, et dans le cœur tu gardes du ressentiment contre celui qui t’a invité à vendre ta villa. Mais peux-tu en acheter une sans qu’un autre la vende ; Si donc il est mal de vendre, en désirant, en souhaitant d’acheter, tu cherches le mal d’autrui. Tu crois bon de trouver sur le chemin un sac de monnaie et tu dis après l’avoir trouvé : Dieu me l’a donné. Mais peux-tu le trouver sans qu’un autre le perde ? Pourquoi donc ne désirer pas ces trésors que tous peuvent posséder avec toi sans les diminuer ? Tu cherches de l’or, cherche plutôt la justice. Tu ne peux obtenir de l’or si un autre ne le perd : embrassez tous deux la justice, enrichissez-vous tous deux. 22. Revenons à notre psaume, pour faire comprendre à votre charité que n’imaginer d’autre félicité que ta félicité présente, c’est être Philistin, ou étranger. Tu prétends mériter que Dieu te donne aussi les biens temporels : comment en userais-tu ? S’il ne te les a pas octroyés, sache qu’il importe à ton salut que ce bon Père ne te les attribue pas. Quand ton fils pleure pour obtenir de toi un beau couteau au manche doré, ne le laisses-tu pas pleurer tant qu’il veut sans lui donner ce qui pourrait le blesser ? « Délivrez-moi, Seigneur de la puissance des fils de l’étranger, dont la bouche parle vanité et dont la droite est la droite de l’iniquité. » Qu’entend-on ici par droite et par vanité ? L’auteur l’expose. Il appelle la félicité de ce siècle la droite de l’iniquité ; non que cette félicité ne soit jamais pour les justes ; mais les justes, quand ils la possèdent, la tiennent de la main gauche, non de la droite. Dans leur droite est l’éternelle félicité, dans leur gauche, la prospérité temporelle. Or le désir des biens et du bonheur éternels ne se doit pas mêler au désir des biens temporels ou de la félicité présente qui dure si peu. De là ces paroles : « Que ta gauche ignore ce que fait ta droite cs. – Leur droite est donc « la droite de l’iniquité. ». 23. Entendez maintenant comment ils parlent vanité et comment leur droite est la droite de l’iniquité. Écoutons tous, cela vous est utile. Écoutez et ne prétextez pas que vous n’avez point entendu. Souvenez-vous qu’il a été dit au serviteur paresseux : « Tu aurais dû donner et je réclamerais ; » et nous l’avons observé hier, c’est nous qui sommes les serviteurs appelés à donner ; un autre que nous réclame. En refusant d’écouter, nos sueurs semblent vouloir échapper aux réclamations ; mais c’est sans raison, mes frères, personne ne peut s’autoriser par ce moyen. Autre chose est de n’avoir pas reçu et autre chose de n’avoir pas voulu recevoir. Refuser le don de Dieu, c’est se rendre coupable par ce refus même. « Pourquoi n’as-tu pas donné ct ? » a-t-il été dit au mauvais économe. Pourquoi n’as-tu pas reçu ? dira-t-on à qui il devait distribuer. Tu aurais une excuse, si personne n’était là pour donner. Mais si les lecteurs se font entendre lors même que se taisent les prédicateurs ; si la parole de Dieu est prêchée partout ; s’il est vrai de dire que « leur voix a retenti par toute la terre », que la chaleur de la divine parole se répand de tous côtés, « et que personne ne peut se soustraire à cette chaleur cu ; » quel prétexte faire valoir au jugement de Dieu ? Frères, écoutons et pratiquons ; ne nous excusons pas si nous voulons avoir confiance. N’est-il pas vrai encore qu’en mendiant une obole à ta porte, le pauvre te chante souvent les divins préceptes ? 24. Encore une fois, écoutons : « Leur bouche parle vanité et leur droite est la droite de l’iniquité. » En quoi consiste cette félicité mondaine où mettent leur espoir ceux qui parlent vanité et dont la droite est la droite de l’iniquité ? L’auteur sacré commence à la décrire ainsi« Leurs fils sont comme de jeunes plantes bien affermies. » Ici rien de coupable. Il n’est parlé ni de fraudes, ni de parjures, ni de rapines, ni d’autres crimes : c’est une félicité qui peut être le partage des justes. Si pourtant il faut la dédaigner, combien ne sont pas à plaindre ceux qui vont jusqu’à se livrer aux rapines, aux larcins, aux violences, aux homicides, aux adultères et aux autres crimes que condamne la félicité même du siècle ? 25. Quel ne doit donc pas être l’homme de la vie nouvelle, l’homme que rappellent les pierres placées dans la panetière, que Dieu comble de sa grâce et qu’il nourrit d’un lait divin ! Attention encore ! « Leurs fils sont comme de jeunes plantes bien affermies ; leurs filles sont parées comme les statues d’un temple. » C’est peut-être à cause de ceci que nos sœurs refusaient de venir : qu’elles écoutent donc de bonne volonté ou de force, et qu’elles apprennent à venir à la maison du Seigneur, non avec l’orgueil de Goliath, mais avec l’humilité de David. Est-il ici besoin d’éclaircissements ? Y a-t-il rien d’obscur ? Quand les hommes parlent vanité, ils sont traités d’étrangers, ils ne font point partie de l’héritage du Christ, ni du royaume de Celui à qui nous disons : « Notre Père ; » ils comptent comme étrangers. Et que nomment-ils félicité ? « Leurs fils sont comme de jeunes plantes bien affermies : » c’est une génération qui succède à un autre ; on a des enfants nombreux et de nombreux petits-enfants ; on est rassuré contre les dangers de mort. Comme si un seul accident n’enlevait pas maintes fois des milliers d’hommes ! « Leurs filles sont parées comme la statue d’un temple. » Passons rapidement. Il faut ménager la pudeur des femmes. Qu’elles se contentent de savoir ce qu’elles portent : nous rougissons de le rappeler. « Leurs filles sont parées comme la statue d’un temple. Leurs greniers sont pleins, ils regorgent de toutes parts. » Ainsi l’on dit des riches : Il n’a plus de place, il ne sait ce qu’il a. Un grenier est rempli, il déborde de fruits, ses richesses surabondent, les celliers regorgent de toutes parts. 26. « Leurs brebis sont fécondes ; on les voit multipliées quand elles sortent : » elles entrent peu nombreuses, elles produisent et sortent en grand nombre ; « on les voit multipliées quand elles sortent. » La première année il y en avait tant, il y en a tant cette année. On est dans la joie, dans les transports : c’est Goliath qui s’enfle et qui fier de ce bonheur provoque au combat. Qui pourrait, dit-il, qui oserait m’attaquer ? N’est-ce pas ce que disent ces riches de la terre ? N’est-ce pas ce que chaque jour chacun d’eux pense en soi-même ? Il possède quelque chose de plus que son voisin ; ne dit-il pas : qui peut m’attaquer ? et si ce voisin me fait une injure, ne le lui ferai-je pas sentir ? Ah ! c’est ici Goliath provoquant au combat. Mais David est en marche : sans armes proprement dites, il n’a que quelques pierres ; mais il est juste et il abattra tout cet orgueil. Ainsi ont fait les martyrs ; ils ont renversé les impies, vaincus au moment même où ils paraissaient vainqueurs, parce que les martyrs triomphaient en eux-mêmes, du diable leur chef. 27. Considérez encore cette félicité. « On voit leurs brebis multipliées quand elles sortent ; leurs bœufs sont gras ; point de brèche dans leur clôture », car ce mot s’emploie souvent pour celui de muraille. « Dans leur clôture point de brèche ni d’ouverture. » Tout est en bon état, tout est achevé, tout est rempli. « Point non plus de cri sur leurs places publiques : » ni querelles ni tumultes. N’est-ce pas ici la peinture du bonheur de l’innocence ? On ne peut donc se dire que le prophète a parlé de ceux qui ravissent le bien d’autrui ; non ce n’est pas de cela qu’il parle ; ailleurs il en est fait mention. Car il est manifeste que des châtiments sont réservés aux scélérats ; et ce qui doit leur faire voir la rigueur des peines qui les attendent, c’est que l’innocent même est réprouvé de Dieu, compté parmi les fils de l’étranger, lorsqu’il use de ces biens avec orgueil et sans règle. Ce riche de l’Évangile cherchait-il à s’emparer des moissons d’autrui, lui qui avait hérité de vastes et fertiles domaines ? Quand il ne pouvait plus loger ses récoltes et qu’il ne voyait, pas ces pauvres où il aurait dû conserver ses trésors pour le ciel ; quand il disait dans son embarras : « Je détruirai mes greniers, j’en construirai de nouveaux et de plus vastes et je les remplirai », n’était-ce pas de ses moissons qu’il voulait les remplir ? « Et je dirai à mon âme : Tu as beaucoup de bien, rassasie-toi. Mais Dieu lui dit : Insensé, cette nuit « même on te redemandera ton âme, et ce que tu as amassé, à qui sera-t-il cv ? » Ainsi donc, mes frères, l’Évangile jette le mépris sur celui qui met sa joie dans – la prospérité temporelle, quoique sa richesse lui vienne de ses propres domaines et non des rapines faites sur autrui ce psaume verse également le dédain sur la félicité temporelle, afin d’apprendre l’âme renouvelée et régénérée par le lait de la grâce à désirer une autre béatitude, la béatitude inaltérable et éternelle. Aussi considère comme tout s’enchaîne : « Leur fils sont comme de nouvelles plantes bien affermies ; leurs filles sont parées comme la statue d’un temple ; leurs greniers sont remplis, ils débordent de tous côtés ; leurs brebis sont fécondes, on les voit multipliées quand elles sortent ; leurs a bœufs sont gras ; dans la clôture ni brèche ni ouverture ; aucun cri sur leurs places publiques ; et ils ont proclamé heureux le peuple qui jouit de ces biens. » Mais quels sont ceux qui ont ainsi parlé ? « Ceux dont la bouche parle vanité ; » car il en a été question un peu plus haut. 28. Et toi, prophète, que dis-tu ? Que dis-tu en face de ces hommes « qui ont proclamé heureux le peuple qui jouit de ces biens ? » Ce que je dis ? « Heureux le peuple dont le Seigneur est le Dieu. » Ainsi donc il est heureux le peuple qui au lieu d’avoir des fils et des filles parées, des bœufs gras, des brebis fécondes, des greniers remplis, des édifices achevés ; au lieu de la paix, des procès, des discordes civiles, et de toute cette félicité du siècle, veut posséder son Dieu, avoir en place de tout Celui qui a fait tout, lui dire : « Il m’est bon de m’attacher à Dieu ? » le servir gratuitement, le servir quand il donne, quand il ôte et quand il ne donne pas les biens de cette vie ; enfin ne rien craindre autant que de le perdre. C’est pourquoi, mes frères, le peuple chrétien qui dit sincèrement : Qu’il me prive de tout, mais qu’il ne me prive pas de lui-même, c’est « l’heureux peuple dont le Seigneur est le Dieu. »
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