‏ Psalms 15:2

DISCOURS SUR LE PSAUME 14

LE VRAI JUSTE.

Après avoir gémi sur les blasphèmes, le Prophète nous expose les vertus dont l’âme doit être ornée pour jouir du Seigneur et entrer dans ses tabernacles.

PSAUME POUR DAVID (Psa 15,1).

1. Le titre ne soulève aucune difficulté. « Seigneur, quel voyageur trouvera un abri sous votre tente a ? » Quelquefois la tente ou tabernacle, se dit de la demeure éternelle ; mais dans son acception propre, c’est un logement de guerre ; de là vient que les soldats se nomment contubernales, compagnons de la tente, comme si leurs tentes étaient contiguës. Une raison de plus de l’entendre ainsi, c’est qu’il est dit : « Quel voyageur trouvera un abri ? » Sur la terre en effet nous sommes en guerre avec le démon, et nous avons besoin d’une tente pour nous reposer. Cette tente désigne surtout notre foi à l’économie temporelle de l’Incarnation qui s’est accomplie en cette vie par notre Seigneur et pour notre salut. « Qui se reposera sur votre montagne sainte b ? » Peut-être nous marque-t-il ici déjà la demeure éternelle, et par cette montagne faut-il entendre la charité suréminente du Christ dans la vie éternelle.

2. « Celui qui marche dans l’innocence, et dont la vie est pure c ». C’est là une proposition qu’il va détailler.

3. « Qui dit la vérité qu’il a dans son cœur d ». Quelques-uns, en effet, ont sur les lèvres une vérité qui n’est pas dans leur cœur. Ainsi, qu’un homme nous montre un chemin, qu’il sait être infesté par les voleurs, et nous dise : Dans cette voie, vous n’avez aucun voleur à craindre. Si en réalité nous ne rencontrons aucun voleur, il a dit une vérité qui n’était pas en son cœur. Il pensait le contraire et a dit la vérité à son insu. C’est donc peu que la vérité soit dans notre bouche, si elle n’est aussi dans notre cœur. « Dont la langue n’a point menti ». La langue est menteuse, quand il y a désaccord entre la parole extérieure et la pensée qui se cache dans notre cœur. « Qui n’a fait aucun mal à son prochain ». Ce mot de prochain, on le sait, doit s’étendre à tous les hommes. « Qui n’adopte point l’injure que l’on fait à ses frères e », c’est-à-dire, qui ne croit ni volontiers, ni témérairement aux paroles accusatrices.

4. « Celui dont la présence anéantit le méchant f ». La perfection pour l’homme c’est que le méchant n’ait aucune prise sur lui, et qu’il ne soit rien à ses yeux, c’est-à-dire que cet homme sache bien qu’il n’y a point de méchant, à moins que l’âme ne se détourne de l’éternelle et immuable beauté du Créateur, pour s’attacher à cette beauté d’une créature tirée du néant. « Mais il honore ceux qui craignent le Seigneur », comme le Seigneur le fait lui-même ; car la sagesse commence par la crainte du Seigneur g ». Ce qui précède regarde les parfaits, et maintenant ce qui va suivre est pour ceux qui commencent.

5. « Celui qui s’engage par serment envers le prochain, mais sans le tromper ; qui ne donne point son argent à usure, et ne reçoit e point de présents contre l’innocent h ». Ce ne sont point là de grandes vertus ; mais celui qui ne peut les pratiquer pourra bien moins encore parler selon la vérité qu’il connaît en son cœur, sans employer sa langue à la fourberie, disant toujours au-dehors ce qu’il croit être vrai, ayant dans la bouche : Oui, oui ; non, non i. Il pourra moins encore ne pas nuire à son prochain, c’est-à-dire à qui que ce soit, ne point écouter l’injure contre ses frères : ces œuvres sont de l’homme parfait, dont la présence anéantit les pervers. Bien que ces vertus soient moins élevées, le Prophète ne laisse pas de conclure ainsi : « Quiconque fait ces œuvres, ne doit point déchoir dans l’éternité » ; c’est-à-dire qu’il arrivera aux œuvres plus parfaites, qui nous valent cette grande et inébranlable stabilité. Car ce n’est probablement pas sans raison que le Prophète a passé d’un temps à un autre, que la première conclusion est au passé, tandis que celle-ci est au futur. Dans la première, il disait : « Le méchant s’est anéanti en sa présence » ; et ici : « il demeurera ferme éternellement ».

PSAUME 14 bis

DISCOURS SUR LE PSAUME 14
Dans plusieurs manuscrits, ce discours précède le discours reproduit dans le tome 8 sur le psaume 14. D’autres manuscrits attribuent ce fragment à saint Jérôme.

L’HOMME DU CIEL.

Le chiffre du psaume est quatorze et nous rappelle que l’Agneau fut immolé au quatorzième jour, quand la lune est dans son plein. Or, habiter les tabernacles du Seigneur, c’est demeurer dans l’Église, qui n’est point une demeure permanente, et cette montagne où l’on doit se reposer c’est le ciel. Or, celui-là s’y reposera « qui marche dans l’innocence », c’est-à-dire qui est encore en chemin, et qui est déjà innocent, « qui pratique la justice » en faisant du bien aux autres, « qui parle selon la vérité, qui ne fait aucun mal au prochain », c’est-à-dire aux autres hommes. Un tel saint méprise le méchant fût-il haut placé dans le monde.

1. On vient de lire fort à propos le psaume quatorzième ; bien qu’il vienne à son tour, on le dirait choisi tout exprès. Le lecteur l’a pris dans l’ordre des psaumes, et néanmoins j’y vois la sagesse de Dieu, qui a mis dans l’ordre de nos explications ce qui devait vous être utile. Ce psaume est le quatorzième, qui a pour titre : « Psaume de David » k. Or, David c’est pour nous le Christ, nous l’avons dit souvent. Et puis, nous avons lu dans l’Exode que l’Agneau doit être immolé le quatorzième jour l ; oui, ce quatorzième jour, quand la lune est dans son plein, quand il ne lui manque rien de sa splendeur ; d’où vous pouvez voir que le Christ ne saurait être immolé qu’en pleine et parfaite lumière. Comme donc l’Agneau doit être immolé au quatorzième jour, voilà que le Prophète saisi d’admiration s’écrie :

2. « Seigneur, qui habitera dans votre tabernacle ? » O vous qui voulez habiter dans le tabernacle, du Seigneur, écoutez cette apostrophe du Prophète : « Qui habitera dans vos tabernacles, ô mon Dieu, ou qui se reposera sur votre montagne sainte ? » Non point d’abord sur la montagne et dans le tabernacle ensuite, mais d’abord dans le tabernacle et ainsi sur la montagne. Le tabernacle n’est point une demeure permanente, le tabernacle n’a point de fondement, mais on le plante ; çà et là, il suit les migrations de l’homme. Aussi est-il appelé paroikia, et non point habitation. « Seigneur, qui habitera dans vos tabernacles ? » Comme ce n’est qu’une tente, ou l’appelle en grec paroikia. Voyons donc ce qu’est un tabernacle, ce qu’est une montagne. Un tabernacle n’a aucun fondement, c’est une demeure passagère ; les montagnes, au contraire, ont des fondements solides ; c’est pourquoi ce tabernacle me parait être l’Église de ce monde. Or, les églises que vous voyez aujourd’hui sont des tabernacles, puisque nous ne devons point y demeurer, nous devons passer ailleurs. Car, si la figure de ce monde passe m, et si le ciel et la terre passeront n, comme il est dit ailleurs, à combien plus forte raison les pierres de ces églises que nous avons sous les yeux ? On appelle donc maintenant les églises des tabernacles, parce que nous devons en sortir pour aller à la montagne sainte du Seigneur. Quelle est cette montagne sainte du Seigneur ? Ezéchiel nous le dit en parlant contre le prince de Tyr : « Tu as été blessé sur la montagne du Seigneur o ,
selon les LXX
. Et qui reposera sur votre montagne sainte ? » Puisque nous devons quitter les tabernacles pour aller sur les saintes montagnes, il nous faut apprendre à quels hommes il appartient d’aller sur la sainte montagne de Dieu.

3. Il y a une interrogation dans cette parole : « Qui habitera dans vos tabernacles, ou qui se reposera sur votre montagne sainte ? » C’est maintenant l’Esprit-Saint qui répond à la question du Prophète ; et que lui dit-il ? Veux-tu savoir, ô Prophète, veux-tu savoir qui doit habiter dans mes tabernacles, et reposer sur ma montagne sainte ? Écoute ce qui suit : Si tu observes ce que je vais dire, tu habiteras sur ma montagne sainte. Vous donc qui voulez habiter les saints tabernacles, et vous élever sur la sainte montagne du Seigneur, vous n’avez pas besoin d’écouter mes paroles, écoutez ce que le Seigneur répondit au Prophète ; pratiquez ce que le Seigneur vous ordonne, et vous arriverez à la sainte montagne du Seigneur. « C’est celui qui marche dans l’innocence, et qui pratique la justice » q. Aussi le psaume cent-dix-huitième nous dit-il : « Heureux les hommes innocents dans leurs voies ! » Oui, c’est ainsi qu’il commence : « Bienheureux les hommes innocents dans leurs voies ! » r De même qu’il est dit là : « Innocents dans leurs voies », il est dit ici : « Qui marche dans l’innocence ». Or, marcher c’est être dans la voie, « Qui marche dans l’innocence ». Voyez ce qui est prescrit. Il n’est pas dit qui est pur en atteignant la fin ; mais qui est encore en chemin, et qui est sans tache. Quelqu’un pouvait dire : Je n’ai aucune tache, n’ayant commis aucun mal. Il ne suffit pas d’éviter le mal, si nous ne faisons aussi le bien. Car le Prophète continue : « Et qui pratique la justice ». Non point qui garde la chasteté, non point, qui fait des actes de sagesse ou de courage. Voilà sans doute les principales vertus. Ainsi la sagesse nous vient en aide pour résister aux persécutions : la tempérance et la chasteté nous sont utiles, pour ne point perdre nos âmes. Mais il n’y a que la justice pour dominer toutes les vertus dont elle est la mère. Comment, dira-t-on, la justice peut-elle dominer toutes les autres ? Les autres vertus font la joie de ceux qui les pratiquent, tandis que la justice fait la joie, non de celui qui la pratique, mais des autres. Que je sois sage, la sagesse fait mes délices ; que je sois courageux, le courage me plaît ; que je sois chaste, la chasteté a des charmes pour moi mais la justice fait moins le bonheur de ceux qui la possèdent, que des malheureux qui ne l’ont point. Donne-moi un pauvre qui a un différend avec mon frère, donne à ce frère une puissance telle qu’il opprime de son crédit tout ce qui n’est pas moi, ou qui m’est étranger ; de quoi ma sagesse va-t-elle servir à ce pauvre ? Que fait à ce pauvre ma chasteté ? Que lui fait mon courage ? Mais ma justice lui vient en aide, parce que, sans acception pour mon frère, je prononce selon la justice. La justice, en effet, ne connaît ni frère, ni mère, ni père ; elle connaît la vérité. Non plus que Dieu, elle ne fait acception de personne, Aussi le Prophète nous dit-il : « Et qui pratique la justice », de peur qu’il ne paraisse exclure les autres vertus. Quiconque se met dans une sainte colère pour en soulager un autre, quiconque ne fait point sa joie du malheur d’autrui, celui-là est juste.

4. Disons encore ce qui suit : « Celui qui dit la vérité dans son cœur » s. Beaucoup ont la vérité sur les lèvres, et non dans le cœur ; ils paraissent dire la vérité, et le cœur n’est point d’accord avec la bouche. « Celui qui ne cache point l’artifice dans ses paroles ». Qui dit au-dehors ce qu’il a dans la pensée. « Qui n’a fait aucun mal à son prochain ». Au nom de prochain beaucoup s’imaginent un frère, un voisin, un allié, un parent. Mais le Seigneur nous fait connaître le prochain dans cette parabole de l’Évangile, à propos de celui qui descendait de Jérusalem à Jéricho. Le prêtre passa outre, le lévite passa outre, sans en prendre pitié ; mais un samaritain qui vint à passer, fut ému de compassion. Le Seigneur fait ensuite cette question : « Lequel de ces hommes fut son prochain ? » On lui répond « Celui qui lui fit du bien ». Et le Seigneur ajoute : « Allez, vous aussi, et faites de même » t. Nous sommes donc tous notre prochain réciproquement, et nous ne devons faire aucun mal à personne. Mais si nous ne voyons le prochain que dans nos frères et dans nos proches, il nous sera donc permis de faire du mal aux autres ? Loin de nous de le croire. Nous sommes tous notre prochain, et nous n’avons qu’un même père. « Et que son prochain n’a point couvert d’opprobre ». C’est le comble de la louange. Jamais voisin n’a murmuré contre lui ; jamais il n’a trouvé occasion d’en dire du mal. C’est là une vertu bien supérieure à l’humanité, c’est un don de Dieu.

5. « Le méchant, sous ses yeux est réduit à néant » u. Qu’un homme soit empereur, qu’il soit préfet, qu’il soit évêque ou qu’il soit prêtre (car l’Église a aussi ses dignités), quiconque est méchant sous les yeux du saint par excellence, est compté pour rien. Puis aussitôt le Prophète ajoute : « Il glorifie ceux qui craignent le Seigneur ». Ce saint qui marche dans l’innocence, qui méprise les puissants dès qu’ils sont méchants, décerne l’honneur à tout homme qui craint Dieu, quelle que soit sa pauvreté. « Qui s’engage par serment à son prochain, sans le tromper ». Et ici nous devons entendre comme plus haut ce mot de prochain.

6. « Celui qui n’a point donné d’argent à usure » v. On pourrait dire ici bien des choses, mais le temps nous presse. Mais, avant-hier, nous en avons parlé au commencement de l’instruction, et puisque vous êtes par la grâce de Dieu sortis de la Chaldée avec Abraham w, et que vous vous souvenez de ce que nous avons dit au sujet de cette sortie, venez dans la terre des promesses. Quant à Abraham, dès qu’il fut entré dans la terre promise, il trouva des adversaires à droite et à gauche, des ennemis qui tenaient le pays : le Seigneur vint pour l’en tirer, et lui fit gravir une montagne d’où il lui montra la terre entière, en disant : « Je te donnerai toute cette terre et à ta postérité » x. À lui la promesse, à nous l’accomplissement.
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