sSag 2,21
bwPsa 51,21
cbPsa L ; LXXII
ckEcc 6, 30
co2Ti 1, 19
cxSag 8, 21
cySir 2, 16
daSir 5, 8-9
cbPsa L ; LXXII
Psalms 51:17
DISCOURS SUR LE PSAUME 50
SERMON AU PEUPLE DE CARTHAGE.
LA PÉNITENCE.
Culpabilité des chrétiens au théâtre, et prière à Dieu de les ramener comme David. La faute d’un si grand homme n’est un encouragement que pour les méchants. Profit qu’en doivent tirer les âmes de bonne foi. Danger de la prospérité, David persécuté demeure juste. Précaution contre le désespoir. David n’a point péché par ignorance, mais il implore la miséricorde et se fait justice à lui-même. Parabole de Nathan. La brebis du pauvre. La femme adultère obtient son pardon ; comme pour David, son péché est toujours sous ses yeux. Dieu seul est sans péché. Souillure universelle. Dieu pardonne à quiconque se châtie. Les Ninivites. L’hysope ou l’humilité aide à nous purifier. L’homme humble écoute comme Jean-Baptiste. Dieu châtie en cette vie pour épargner en l’autre. David en face d’Absalom et de Séméi. Union à l’Esprit-Saint, au Verbe de Dieu. Sacrifice de la loi nouvelle ; prière pour l’Église. Réprimons le péché dans nous et dans les autres. 1. La vue d’une foule si nombreuse m’impose le devoir de ne point tromper son attente, et de ne pas surcharger sa faiblesse. Je vous demanderai seulement du silence et du repos, afin qu’après les fatigues d’hier, j’aie encore assez de voix et de force. Il faut croire que dans votre charité, vous ne venez en si gram nombre aujourd’hui, qu’afin de prier pour ceux qu’éloigne d’ici une folle et malheureuse passion. Nous ne parlons en effet ni des païens, ni des juifs, mais bien des chrétiens ; non de ceux qui sont encore catéchumènes, mais de plusieurs qui sont baptisés, dont vous n’êtes nullement éloignés par le baptême, mais à qui vous êtes loin de ressembler par le cœur. Combien de frères ne devons-nous pas pleurer aujourd’hui, à la pensée qu’ils courent après la vanité et les folies du mensonge a, et négligent d’aller où ils sont appelés ! Qu’un accident quelconque les effraie au milieu du cirque, ils feront le signe de la croix ; ils se tiendront là, marquant leur front d’un signe qui devrait les en éloigner, s’il était dans leur cœur. Demandons à Dieu que, dans sa miséricorde, il leur donne la lumière qui condamne ces folies, l’amour qui les fuit, le pardon qui les oublie. Il est donc heureux pour nous que nous ayons chanté aujourd’hui un psaume de la pénitence. Parlons même aux absents, votre mémoire sera pour eux notre voix. Ne négligez ni ceux qui souffrent, ni ceux qui languissent ; mais, afin de les guérir plus facilement, conservez vous-mêmes votre santé. Que vos réprimandes les corrigent, que vos discours les consolent, que la sainteté de votre vie leur serve de modèle, et celui qui vous a pris en pitié aura aussi pitié d’eux. Car en vous retirant de si grands dangers, la bonté du Seigneur n’a pas été épuisée. Ils viendront par le chemin que vous avez pris, ils passeront où vous avez passé. Leur état est fâcheux, j’en conviens ; il est périlleux, ils courent à leur perte, à une mort certaine, puisqu’ils connaissent le mal qu’ils font. Il y a une différence, en effet, entre courir à ces folies quand on méprise la parole du Christ, et y courir quand on sait ce qu’il faut éviter. Mais notre psaume nous apprend à ne pas désespérer même de ceux qui en sont là. 2. En voici le titre : « Psaume à David, lorsque le prophète Nathan vint le trouver, après son adultère avec Bethsabée » b ; car Bethsabée était femme et Épouse d’un autre homme. Nous ne le disons qu’avec douleur et en tremblant ; et pourtant ce n’est point pour qu’on en garde le silence, que le Seigneur l’a fait consigner dans l’histoire. J’en parlerai donc, non de plein gré, mais parce que j’y suis contraint, et j’en parlerai non comme d’un modèle à imiter, mais comme d’un motif de crainte. David, roi et prophète, qui devait être selon la chair l’aïeul du Seigneur c, s’éprit de la beauté de cette femme étrangère, et commit un adultère avec elle. Les psaumes n’en disent rien, mais le titre nous l’indique, et nous le lisons plus à découvert dans le livre des Rois. Ces deux ouvrages sont canoniques, et tout chrétien doit y croire sans hésiter. Le crime fut commis et ensuite consigné dans l’Écriture. David fit même tuer à la guerre le mari de cette femme ; à l’adultère il joignit le meurtre : et après ce crime le prophète Nathan lui fut envoyé, et envoyé par le Seigneur, pour lui reprocher un si grand forfait d. 3. Voilà ce que les hommes doivent éviter ; écoutons ce qu’ils doivent imiter, s’il leur arrive de tomber. Plusieurs, en effet, veulent bien tomber comme David, mais non se relever avec lui. Ce n’est donc point lorsqu’il tombe, mais bien quand il se relève qu’il devient ton modèle, si tu es tombé. Veille donc à ne point tomber. Que la chute des grands ne soit point un sujet de joie pour les petits, mais que les petits craignent en voyant tomber les grands. Tel est le but de cette histoire, c’est pour cela qu’elle est écrite, pour cela que l’Église fait souvent lire et souvent chanter ce psaume. Que les hommes qui ne sont point tombés l’écoutent, afin de ne point tomber, et ceux qui sont tombés, afin de se relever. Le crime d’un si grand saint n’est pas couvert du silence ; on le publie dans l’Église. Les cœurs dépravés l’écoutent, et y cherchent un encouragement au péché, ils s’efforcent d’y voir une excuse pour le crime qu’ils ont résolu de commettre, et non un moyen d’éviter celui qu’ils n’ont pas encore commis. Ils disent en eux-mêmes : David l’a fait, et moi, pourquoi non ? Et voilà qu’en se livrant au crime, parce que David l’a commis, cette âme devient plus criminelle que David lui-même. Je vais m’expliquer plus clairement, s’il est possible. David ne s’était point, comme toi, proposé de modèle : il tombait sous le poids de la concupiscence, et non sous le patronage de la sainteté ; tandis que toi, tu t’enhardis au péché par l’exemple d’un saint ; et, loin d’imiter sa sainteté, tu n’imites que sa chute. Tu aimes en David ce que David hait en lui : tu te prépares au crime, tu pèches avec réflexion ; tu cherches dans le livre de Dieu une autorisation à la licence, et tu n’écoutes la parole de Dieu que pour faire ce qui déplaît à Dieu. Voilà ce que n’a point fait David, Un prophète le reprit, un prophète ne le fit point tomber. Mais à d’autres cette histoire est très utile, et ils mesurent leur faiblesse sur la chute d’un homme si fort ; afin d’éviter ce que Dieu condamne, ils interdisent à leurs yeux jusqu’au regard peu dangereux ; ils ne les arrêtent point sur la beauté d’une chair étrangère, et ne se rassurent point avec une simplicité perverse ; ils ne disent point : J’ai regardé sans malice, avec bonté, c’est par charité que j’ai regardé longtemps. Ils ont devant les yeux la chute de David, et ils comprennent que ce grand homme est tombé afin d’apprendre aux petits à ne point regarder ce qui pourrait causer leur chute. Ils répriment la liberté de leurs regards : ils ne se familiarisent pas facilement, ne s’entretiennent pas avec des femmes étrangères, ne lèvent point les yeux vers les appartements des autres, ni sur les terrasses voisines. Car David ne vit que de loin cette femme qui causa sa chute. La femme était loin, la luxure était proche. Ce qu’il voyait était loin de lui, ce qui le perdait était en lui. Il faut donc veiller à cette faiblesse de la chair, et se souvenir de ces paroles de l’Apôtre : « Que le péché ne règne pas dans votre chair mortelle e ». L’Apôtre n’a pas dit : Qu’il n’y soit point ; mais : « Qu’il n’y règne pas ». Le péché est en toi, quand tu en ressens l’attrait ; il y règne, si tu y consens. Il faut réprimer l’attrait charnel, surtout lorsqu’il nous porte à ce qui est défendu, à ce qui est funeste, et non lui lâcher les rênes. Il faut le dominer, et non pas en être dominé. Regarde sans crainte, si tu n’as rien qui te porte au mal. Mais, diras-tu, je résiste avec force. Es-tu donc plus fort que David ? 4. Un tel exemple nous dit aussi que nul ne doit s’élever dans la prospérité. Il en est beaucoup en effet qui craignent l’adversité et non la prospérité de cette vie. Or, la prospérité est plus dangereuse pour l’âme que le malheur ne l’est pour le corps. L’une commence à corrompre l’esprit, afin que l’autre le puisse abattre. Il nous faut donc, mes frères, redoubler de précautions contre la félicité. Aussi voyez comment la parole de Dieu cherche à nous prémunir contre toute sécurité, quand la félicité nous sourit. « Servez le Seigneur », nous est-il dit, « avec crainte et tremblement, et servez-le avec allégresse » f. Avec allégresse, pour le remercier ; avec crainte, pour éviter la chute. David ne pécha point quand il était en butte aux persécutions de Saül. Quand ce saint prophète avait pour ennemi Saül qui le fatiguait de ses poursuites, quand il fuyait çà et là pour ne pas tomber entre ses mains g, il ne convoita point la femme d’un autre, il ne fit point mourir l’Époux après avoir débauché l’Épouse. Dans cette instabilité du malheur, son âme était d’autant plus fixée en Dieu, qu’il paraissait plus malheureux. Le malheur a donc son utilité, et le fer du médecin est plus utile que les amorces du démon. La disparition de ses ennemis lui donna la tranquillité ; délivré de toute poursuite, son cœur s’enfla. Cet exemple doit donc nous faire craindre la félicité. « J’ai rencontré », dit-il, « la tribulation et la douleur, et j’ai invoqué le nom de mon Dieu h ». 5. Mais le crime fut commis ; que mes paroles soient donc un avertissement pour ceux qui ne sont point tombés, afin qu’ils veillent à conserver leur innocence, et que les petits craignent, en voyant tomber un si grand saint. S’il est dans cet auditoire quelque pécheur à qui la conscience reproche quelque crime, qu’il écoute les paroles de ce psaume ; qu’il sonde la profondeur de cette plaie, mais qu’il ne désespère point de la puissance du médecin. Le péché joint au désespoir, c’est la mort certaine. Loin de vous de dire : Puisque j’ai commis telle faute je serai certainement réprouvé, Dieu ne me pardonnera point de si grands crimes, pourquoi n’entasserai-je pas faute sur faute ? Jouissons ici-bas de tous les plaisirs dans la volupté, comme dans la débauche : tout espoir de salut est perdu, jouissons au moins de ce qui est sous nos yeux, si nous ne pouvons posséder ce que promet la foi. Ce psaume est donc de nature à mettre sur leurs gardes ceux qui ne sont pas tombés encore, et à prémunir contre le désespoir ceux qui sont tombés. O pécheur, qui que tu sois, et qui hésites à faire pénitence de tes fautes, parce que tu désespères de ton salut, écoute les gémissements de David. Ce n’est pas le prophète Nathan que Dieu t’envoie, mais David lui-même, Écoute ses cris, et crie avec lui ; écoute ses gémissements, et gémis avec lui ; écoute ses pleurs, et joins-y tes pleurs ; écoute-le qui se corrige, et prends part à sa joie. Si tu n’as pu fermer ton cœur au péché, du moins ne le ferme pas à l’espérance du pardon. Dieu envoie le prophète Nathan vers ce pécheur i, vois l’humilité du roi. Il ne rejette point la leçon qui lui est faite, il ne dit pas : Oses-tu me parler ainsi à moi qui suis roi ? Ce prince dans sa majesté écouta le Prophète ; que le peuple dans son humilité écoute le Christ. 6. Écoute aussi, toi pécheur, et dis avec David : « Ayez pitié de moi, ô mon Dieu, selon la grandeur de votre miséricorde j ». Implorer une grande miséricorde, c’est avouer une grande misère. Qu’ils n’implorent qu’une miséricorde légère ceux qui n’ont péché que par ignorance : « Ayez pitié de moi », dit David, « selon votre grande miséricorde ». Guérissez ma large blessure, par la puissance de vos remèdes. Mon mal est grand, mais j’ai recours à la puissance infinie. Une blessure aussi mortelle me jetterait dans le désespoir, si je ne trouvais un médecin aussi puissant. « Ayez pitié de moi, dans toute l’étendue de votre miséricorde ; et dans la multitude de vos bontés, effacez mon péché ». Dire : « Effacez mon péché », revient à dire : « Ayez pitié de moi, mon Dieu ». De même : « La multitude de vos bontés », a le même sens que : « L’étendue de votre miséricorde ». Parce que votre miséricorde est grande, vos miséricordes sont nombreuses, et de votre grande miséricorde viennent vos bontés infinies. Vous avez l’œil sur les contempteurs pour les corriger, l’œil sur les ignorants pour les instruire, l’œil sur ceux qui avouent leurs fautes pour leur pardonner. Un homme a-t-il péché par ignorance ? Quelqu’un déjà qui vous avait beaucoup offensé, qui avait fait des maux nombreux, « a trouvé miséricorde », nous dit-il, parce qu’il avait agi dans l’ignorance et dans l’incrédulité k ». Mais David ne pouvait dire : « J’ai agi dans l’ignorance », car il n’ignorait pas, que toucher à l’Épouse d’un autre, est un crime, ni qu’il y a homicide à faire mourir le mari qui ignorait tout, qui n’en témoignait pas la moindre colère. Il obtient donc miséricorde celui qui pèche par ignorance ; mais celui qui pèche sciemment, obtient non pas une miséricorde quelconque, mais une grande miséricorde. 7. « Lavez-moi de plus en plus de mon « injustice ». Qu’est-ce à dire : « Lavez-moi de plus en plus ? » C’est que je suis beaucoup souillé. Lavez de plus en plus les péchés que j’ai commis en pleine connaissance, vous qui avez effacé les fautes que j’ignorais. Il ne faut pas désespérer de votre miséricorde. « Purifiez-moi de mon péché l ». Quel en sera le salaire ? C’est un médecin, offre une récompense ; c’est un Dieu, offre un sacrifice. Que donneras-tu pour être purifié ? Vois celui que tu invoques ; il est juste, et parce qu’il est juste il hait le péché ; parce qu’il est juste, il châtie le péché : tu ne saurais enlever à Dieu sa propre justice. Implore sa miséricorde, mais considère sa justice : sa miséricorde pardonne au pécheur, mais sa justice châtie le péché. Quoi donc ? Tu cherches la miséricorde, et le péché doit-il demeurer impuni ? Que David nous réponde, que les pécheurs nous répondent, qu’ils nous répondent comme David, et qu’ils disent : Non, Seigneur, mon péché ne sera point impuni ; je connais la justice de celui dont j’implore la miséricorde ; mon péché ne sera point sans châtiment ; mais, je vous en supplie, ne le châtiez point, car je veux le châtier moi-même : épargnez-moi, puisque je ne veux point m’épargner. 8. « Car je reconnais mon iniquité, et mon crime est toujours devant moi m ». Je n’ai point rejeté en arrière ce que j’ai fait, je ne m’oublie point moi-même pour regarder les autres, je ne cherche point à ôter la paille de l’œil de mon frère, quand il y a une poutre dans mon œil n ; mon péché est toujours sous mes yeux, et non derrière moi. Il était derrière moi, quand est venu le Prophète qui m’a exposé la parabole de la brebis du pauvre. Voici en effet ce que dit Nathan à David : « Un homme riche avait beaucoup de brebis ; un pauvre son voisin n’en avait qu’une seule qu’il élevait dans son sein et avec son pain ; un étranger vint chez le riche qui, sans toucher à son troupeau, jeta un œil d’envie sur la brebis du pauvre son voisin, et la tua pour son hôte ; qu’a mérité cet homme o ? » Dans son indignation David prononça une sentence, et ne sachant point que le Prophète le prendrait dans ses paroles, il dit que ce riche était digne de mort, et rendrait quatre brebis ; sentence sévère, mais juste ! Alors son péché n’était pas encore sous ses yeux, son action criminelle était derrière lui ; il ne connaissait point encore sa propre faute, et il était sans pitié pour celle d’un autre. Mais le Prophète, envoyé à dessein, remit sous les yeux du roi cette faute laissée en arrière, afin de lui faire comprendre qu’il s’était lui-même condamné par sa propre sentence. Il s’était servi de sa langue comme d’un fer salutaire, pour ouvrir la plaie et la guérir. Ainsi en usa le Sauveur avec les Juifs, qui lui amenaient une femme adultère, pour lui tendre un piège, et qui y tombèrent eux-mêmes. « Cette femme », lui disaient-ils, « vient d’être surprise en adultère : « or, Moïse nous a commandé de lapider ces « coupables ; pour vous, qu’en pensez-vous p ? » il y avait là un double piège tendu à la sagesse du Seigneur : s’il la condamnait à mort, il perdait sa réputation de douceur ; s’il la faisait renvoyer libre, il encourait leur calomnie et passait pour un violateur de la loi. Que répond le Sauveur ? Il ne leur dit point : Qu’on la fasse mourir ; il ne dit point : Qu’on la mette en liberté ; mais : « Que celui qui est sans péché lui jette la première pierre ». La loi était juste en décrétant la mort contre l’adultère ; mais donnez à cette loi juste des exécuteurs innocents. Vous considérez celle que vous amenez, voyez aussi ce que vous êtes. « A ces mots, ils s’en allèrent l’un après l’autre ». Il ne resta que la femme adultère avec le Seigneur ; que la malade avec le médecin ; que la profonde misère avec la profonde miséricorde. Ceux qui l’amenaient rougirent sans demander leur pardon ; celle que l’on amenait fut dans la confusion et fut guérie. « Le Seigneur lui dit : O femme, aucun ne vous a-t-il condamnée ? et celle-ci : Aucun, Seigneur. Et le Seigneur : Et moi non plus, je ne vous condamnerai point, allez et ne péchez plus à l’avenir ». Le Christ a-t-il donc agi contre sa loi ? Car son Père n’avait pas donné cette loi sans lui. Si le ciel, la terre et tout ce qui est en eux, ont été faits par lui, la loi aurait-elle été écrite sans le Verbe de Dieu ? Donc le Seigneur n’agit point alors contre sa loi, non plus qu’un potentat n’agit contre les lois, quand il fait grâce à des coupables qui avouent leurs crimes. Moïse était le ministre de la loi, le Christ en était le promulgateur ; Moïse fait lapider comme juge, le Christ fait grâce en roi. Le Seigneur eut pitié de cette femme selon l’étendue de sa miséricorde, comme le demande le Prophète, comme il en supplie le Seigneur par ses cris et ses gémissements. Voilà ce que n’ont point fait ceux qui lui présentaient la femme adultère ; et quand le médecin étalait leurs plaies sous leurs yeux, ils n’ont point demandé au médecin la guérison. Ainsi en est-il beaucoup qui ne rougissent point du péché, et qui rougissent de la pénitence. Incroyable folie : tu ne rougis point de la plaie, et tu rougis des bandes qui la couvrent ? N’est-elle pas plus hideuse et plus fétide, quand elle est à nu ? Va donc trouver le médecin, fais pénitence et dis-lui : « Je connais mon iniquité, et mon péché est toujours sous mes yeux ». 9. « J’ai péché contre vous, contre vous seul, j’ai commis le mal en votre présence q », Que veut dire cette parole ? Est-ce que l’adultère de cette femme et le meurtre du mari ne furent connus d’aucun homme r ? Tous ne savaient-ils point le crime de David ? Que signifie : « J’ai péché contre vous seul, j’ai commis le mal en votre présence ? » C’est que Dieu seul est sans péché. Celui-là seul punit avec justice, qui n’a rien en soi que l’on doive punir : il peut reprendre justement, celui en qui l’on ne peut rien reprendre. « J’ai péché contre vous seul, j’ai commis le mal en votre présence ; en sorte que vos paroles seront justifiées et que vous vaincrez quand vous serez jugé ». À qui s’adressent ces dernières paroles, mes frères ? il est difficile de le voir. Assurément le Prophète s’adresse à Dieu, et il est évident que Dieu le Père n’a pas été jugé. Qu’est-ce à dire : « J’ai péché contre vous seul, j’ai commis le mal en votre présence, en sorte que vous serez justifié dans vos discours, et que vous vaincrez quand vous serez jugé ? » Le Prophète voit dans l’avenir le juge suprême qui sera jugé, le juste que jugeront les pécheurs, et qui sera vainqueur, parce qu’il n’y aura en lui rien de condamnable. Seul de tous les hommes, l’Homme-Dieu a pu dire avec vérité : « Si vous trouvez en moi un péché, dites-le ». Mais il y avait peut-être en lui quelque faute qui échappait aux hommes, et alors ils ne pouvaient trouver en lui ce qui existait réellement, bien que d’une manière cachée ? Il dit ailleurs : « Voici le Prince de ce monde », celui dont l’œil perçant voit les péchés de tous : « Voici le prince de ce monde », ce préposé de la mort qui en frappe tous les pécheurs : « Car la mort n’est entrée dans l’univers entier que par la jalousie du démon s » ; « voici donc le m prince de ce monde » (disait Jésus-Christ la veille de sa passion), « et il ne trouvera rien en moi », rien de coupable, rien qui soit digne de mort, rien qui mérite condamnation. Et comme si on lui demandait : Pourquoi donc mourez-vous ? il continue en disant : « Mais afin que le monde connaisse que je fais la volonté de mon Père, levez-vous, sortons d’ici t ». Je souffre, dit-il, sans le mériter, pour ceux qui le méritent, afin de faire vivre en moi ceux pour qui j’endure si injustement la mort. C’est donc à ce juste sans péché que s’adresse David, quand il dit : « J’ai péché à l’encontre de vous seul, j’ai fait le mal en votre présence, en sorte que vous serez justifié dans vos paroles, et vainqueur quand on vous jugera ». Vous êtes bien supérieur à tous les hommes, à tous les juges, et quiconque se croit juste, n’est qu’injuste auprès de vous ; vous seul jugez dans la justice, et l’on vous a jugé injustement, vous qui aviez le pouvoir de donner votre vie, comme le pouvoir de la reprendre u. Vous triomphez donc alors qu’on vous-met en jugement. Vous surpassez tous les hommes, parce que vous êtes plus que tous les hommes, et que c’est par vous que les hommes ont été faits. 10. « J’ai péché contre vous seul, j’ai fait le mal en votre présence, en sorte que vous serez justifié dans vos paroles, et triompherez quand vous serez mis en jugement. Voilà en effet que j’ai été conçu dans l’iniquité v ». Comme si l’on disait : Ceux-là sont vaincus qui ont agi comme vous, ô David ; car ce n’est pas un crime léger, une peccadille, qu’un adultère et un homicide : en est-il de même de ceux qui n’ont commis aucune faute depuis qu’ils sont sortis des entrailles de leur mère ? Imputeriez-vous à ceux-là quelques péchés, en sorte qu’il n’y ait pour triompher au jugement que celui dont vous venez de parler ? David parle ici au nom du genre humain, il a vu les chaînes de tous, il a considéré en nous la mort qui se propage il a vu l’iniquité à notre origine, et il s’écrie : « Voilà que je suis conçu dans l’iniquité ». David était-il donc né de l’adultère, lui fils de Jessé, homme juste, et de son Épouse w ? Pourquoi dit-il qu’il est conçu dans l’iniquité, sinon parce que l’iniquité nous vient d’Adam ? Et l’assujettissement à la mort s’est formé de l’iniquité même. Nul ne vient au monde qu’il n’entraîne avec lui sa peine, et le mérite de sa peine. Le Prophète a dit ailleurs : « Nul n’est pur en votre présence, pas même l’enfant qui est sur la terre depuis un jour x , ▼▼selon les LXX
». Car nous savons que le baptême du Christ a la force d’effacer les péchés, et qu’il est institué pour la rémission des fautes. Si les enfants naissent avec une parfaite innocence, pourquoi les mères, les voyant malades, viennent-elles en hâte les apporter à l’Église ? Qu’efface donc ce baptême, cette rémission ? Je vois cet innocent qui pleure au lieu de s’irriter. Qu’efface en lui le baptême ? Que délie la grâce ? Elle le délivre du péché transmis. Si cet enfant pouvait parler, il dirait ; et s’il avait l’intelligence comme David, il répondrait : Pourquoi ne voir en moi que l’enfant ? Tu ne vois pas mes fautes à la vérité ; « mais je suis conçu dans l’iniquité, et dans ses entrailles ma mère m’a nourri du péché ». Car ce lien de la concupiscence ne se trouvait pas dans le Christ né de la Vierge, qui l’avait conçu de l’Esprit-Saint. On ne peut dire de celui-là qu’il est conçu dans l’iniquité, il ne peut répéter : « Dans ses entrailles, elle m’a nourri du péché, cette mère », à qui l’ange avait dit : « L’Esprit-Saint viendra en vous, et la vertu du Très-Haut vous couvrira de son ombre z ». Si donc les hommes sont conçus dans l’iniquité, s’ils sont nourris du péché dans les entrailles maternelles, ce n’est point que l’union des Époux soit un péché ; mais parce qu’alors, ce qui a lieu, vient d’une chair condamnée, et la condamnation de la chair c’est la mort, et toute chair a son principe mortel. Aussi l’Apôtre ne dit-il point que notre corps doit mourir, mais qu’il est mort : « A la vérité le corps est mort à cause du péché, mais l’esprit vit à cause de la justice aa ». Comment pourrait naître sans les liens du péché ce qui est conçu, ce qui germe dans un corps que le péché a frappé de mort ? Cette action, dès qu’elle, est chaste, n’est point criminelle ; mais l’origine du péché entraîne le châtiment qui lui est dû. Un Époux, pour être Époux, n’en est pas moins mortel, et il n’est mortel qu’à cause du péché. Le Seigneur aussi était assujetti à la mort, mais non cause du péché ; il a pris sur lui notre peine, et a dès lors expié notre faute. Il est donc juste que tous meurent en Adam, et que tous vivent en Jésus-Christ ab. « Le péché », dit saint Paul, « est entré dans ce monde, et par le péché la mort ; ainsi la mort a passé en tous les hommes par celui-là seul en qui tous ont péché ac ». C’est un arrêt, dit l’Apôtre : tous ont péché en Adam. Un seul enfant a pu naître dans l’innocence, parce qu’il n’était point l’œuvre d’Adam. 11. « Voilà que vous avez aimé la vérité, vous m’avez découvert ce qu’il y avait pour moi d’incertain et de caché dans votre sagesse ad ». « Vous avez aimé la vérité » ; c’est-à-dire, vous ne laissez point sans châtiment les péchés que vous couvrez du pardon. « Vous avez aimé la vérité » ; et vous dispensez la miséricorde, de manière néanmoins à sauvegarder la vérité. Vous pardonnez à celui qui avoue sa faute, et vous lui pardonnez parce qu’il se châtie lui-même ; ainsi sont d’accord la miséricorde et la vérité : la miséricorde, parce que l’homme est délivré ; la vérité, parce que le péché reçoit son châtiment. « Voilà que vous avez aimé la vérité ; vous m’avez découvert ce qu’il y avait pour moi d’incertain et de caché dans votre sagesse ». Qu’y avait-il d’incertain, qu’y avait-il de caché ? C’est que Dieu pardonne même à de tels coupables. Rien d’aussi caché, rien d’aussi incertain. C’est dans cette incertitude que les Ninivites firent pénitence. Ils se dirent en effet, nonobstant les menaces du Prophète, nonobstant cette lugubre parole : « Dans trois jours Ninive sera détruite » ; ils se dirent qu’il fallait implorer la divine miséricorde ; ils se dirent dans leur perplexité : « Qui sait si Dieu n’adoucira point sa sentence et n’aura point pitié de nous ? » Dire : « Qui sait », c’est être dans l’incertitude. Donc dans leur incertitude ils firent pénitence, et obtinrent une miséricorde incertaine ; ils se prosternèrent et s’humilièrent dans les larmes, dans le jeûne, dans le cilice et dans la cendre ; ils gémirent, ils pleurèrent, et Dieu leur pardonna ae. Ninive demeura-t-elle sur pied ou, fut-elle renversée ? Autres sont les pensées des hommes, et autres celles de Dieu. Pour moi, je crois que la prédiction du Prophète fut accomplie. Voyez ce qu’était Ninive, et comprenez qu’elle fut renversée : elle fut détruite du côté du mal, et reconstruite dans le bien ; de même que Saul persécuteur dut être renversé, pour que s’élevât Saul le prédicateur af. Qui ne croirait que cette ville où nous sommes a été renversée pour son bonheur, si tous ces insensés quittaient leurs folies, pour revenir dans l’Église avec componction, et demandaient à Dieu pardon de leurs fautes passées ? Ne dirions-nous pas alors : Où est cette Carthage d’autrefois ? Elle n’est plus ce qu’elle était, elle est renversée ; mais, pour être ce qu’elle n’était pas, elle est donc reconstruite ? C’est en ce sens qu’il fut dit à Jérémie : « Voilà que je t’ai établi pour arracher, pour détruire, pour renverser, pour dissiper, et ensuite pour édifier et planter ag ». De là encore ce mot du Seigneur : « Je frapperai et je guérirai ah ». Il frappe ce qu’il y a de gangrené dans le vice, il guérit la douleur de la blessure. Ainsi en usent les médecins : ils tranchent, ils frappent, ils guérissent ; ils s’arment pour frapper, ils prennent le fer et ne viennent que pour guérir. Mais comme les Ninivites étaient de grands coupables, ils dirent : « Qui sait ? » Cette incertitude, le Seigneur en avait délivré David son serviteur. Quand, en face du Prophète qui lui reprochait son crime, il s’écria : « J’ai péché » ; aussitôt il entendit le Prophète, c’est-à-dire l’Esprit-Saint par la bouche du Prophète, qui, lui dit : « Votre péché vous est remis ai ». Le Seigneur donc lui avait découvert ce qu’il y a d’incertain dans sa sagesse. 12. « Vous me laverez avec l’hysope », dit-il, « et je deviendrai pur aj ». Nous savons que l’hysope est une herbe peu élevée, mais curative : on dit que sa racine s’attache à la pierre. De là vient qu’elle est choisie comme un symbole de la pureté du cœur. Toi aussi, embrasse la pierre, par la racine de l’amour : sois humble devant ton Dieu qui est humble, afin de t’élever un jour avec ton Dieu glorifié, Tu seras lavé avec l’hysope, l’humilité, du Christ te purifiera. Au lieu de mépriser la bassesse de cette herbe, considère sa vertu médicale. J’ajouterai ceci, que disent d’ordinaire les médecins, et dont les malades font l’expérience : c’est que l’hysope a la vertu de guérir les poumons. Or, le poumon est le symbole ordinaire de l’orgueil ; il s’enfle et se dilate par la respiration. Il est dit de Saul persécuteur ou de Saul l’orgueilleux, qu’il courait pour lier les chrétiens, ne respirant que le meurtre ak ; son poumon n’était point pur, et il respirait le meurtre, il respirait le sang. Mais écoute combien est pur celui qu’a lavé l’hysope : « Vous me laverez avec l’hysope et je serai pur ; vous me laverez, et je serai plus blanc que la neige ». « Quand même », est-il dit ailleurs, « vos péchés seraient comme la pourpre, ils se blanchiraient comme la neige al ». C’est de ceux-là que le Christ se forme un manteau sans tache et sans ride am. De là vient que sur la montagne son vêtement parut blanc comme la neige an, et fut le symbole de l’Église pure de tout péché. 13. Mais où est l’humilité qui vient de l’hysope ? Écoutez la suite : « Vous ferez entendre à mon oreille la joie et l’allégresse, et les ossements brisés tressailliront ao. Vous mettrez dans mon oreille la joie et l’allégresse ». Je me réjouirai de vous entendre et non de parler contre vous. Tu es pécheur, ô homme, pourquoi t’en défendre ? Tu veux parler : souffre que Dieu te parle, écoute, cède à la parole divine, ne te trouble point afin de ne point augmenter tes blessures : une faute est commise, ne la défends point, confesse-la sans l’excuser. Tu succomberas si tu te constitues l’avocat de ta faute : tu n’es pas un avocat irréprochable, ta défense ne peut être que malheureuse. Qui es-tu en effet, pour te défendre ? Tu n’es propre qu’à t’accuser. Loin de toi donc ces excuses : ou, je n’ai rien fait ; ou, quelle grande faute ai-je commise ? ou, d’autres l’ont faite ainsi que moi. Si, coupable d’un crime, tu dis que tu n’as rien fait, tu ne seras rien devant Dieu, tu ne recevras rien de lui : Dieu est tout prêt à t’accorder le pardon, tu en fermes l’issue jusqu’à toi : il est prêt à te faire grâce, ne lui oppose point ta défense comme une digue, ouvre-lui ton cœur par l’aveu. « Vous me ferez entendre la joie et l’allégresse ». Que Dieu, mes frères, me donne d’exprimer ma pensée. Les auditeurs sont plus heureux que les prédicateurs : quiconque s’instruit est humble, mais celui qui instruit les autres doit se mettre en garde contre l’orgueil, contre toute volonté de plaire aux hommes, ce qui serait alors déplaire à Dieu. Ceux qui instruisent, mes frères, tremblent devant ces paroles, et je ne vous parle qu’en tremblant. Croyez-en à mon cœur que vous ne pouvez voir : mais puisse s’adoucir en notre faveur, et nous être propice, celui qui connaît avec quel tremblement je vous instruis ! Mais lorsque nous l’écoutons qui nous parle intérieurement, qui nous enseigne, alors nous sommes en sûreté, notre joie est sans crainte : nous avons un maître, nous cherchons sa gloire, nous le louons dans ses enseignements : sa vérité nous transporte à l’intérieur où nul ne fait et n’entend le bruit. C’est là que David trouvait sa joie et son allégresse. « Vous mettrez », dit-il, « dans mon oreille la joie et l’allégresse ». Mais il écoute parce qu’il est humble. Celui qui écoute, qui écoute vraiment, sincèrement, celui-là écoute avec humilité, car toute sa gloire est dans celui dont il écoute la parole. Après avoir dit : « Vous mettrez dans mon oreille la joie et l’allégresse, il nous montre ce qu’il en revient d’avoir écouté. Les ossements brisés tressailliront ». Les ossements brisés, les ossements de celui qui écoute, n’ont point ce faste et cet orgueil que surmonte difficilement en lui-même celui qui parle. De là encore l’humilité de ce grand homme dont le Christ a dit que nul ne fut plus grand parmi les enfants des hommes ap, et qui s’humilia au point de se dire indigne de délier les cordons des souliers du Seigneur aq, de ce Jean-Baptiste, qui rendit toute la gloire à son maître et devint ainsi son ami. Et quand on le prenait pour le Christ, et qu’il pouvait se prévaloir et s’enorgueillir de cette erreur ; non que lui-même se soit dit le Christ, mais quand il pouvait accepter cet honneur de la part des hommes qui voulaient spontanément le lui déférer ar, il repoussa ce faux honneur afin de trouver la vraie gloire ; et voyez comme son humilité venait de ce qu’il écoutait : « Celui qui a l’Épouse », dit-il, « est l’Époux ; mais celui qui se tient debout et qui écoute, est l’ami de l’Époux ». Il dit qu’il est debout et qu’il écoute, non pas, qu’il tombe et qu’il parle. « Il est debout », dit-il, « et il écoute l’Époux ». Vous l’entendez, il est debout, où donc est la joie et l’allégresse ? Il continue aussitôt : « Il est debout, et il l’écoute, et il tressaille de joie à la voix de l’Époux as. Quand j’écouterai, vous me donnerez la joie et l’allégresse, et les ossements jetés à terre tressailliront ». 14. « Détournez votre face de mes fautes, effacez toutes mes iniquités at » Déjà tressaillent mes ossements jetés à terre, déjà l’hysope m’a purifié, et je suis devenu humble. « Détournez votre face, non de moi, mais de mes péchés ». Car il dit ailleurs en suppliant : « Ne détournez point de moi votre face au ». Il ne veut donc point que Dieu détourne de lui sa face, mais il veut qu’il la détourne de ses péchés. Car Dieu voit tout péché dont il ne détourne pas sa face ; s’il le voit il le châtie. « Détournez donc votre face de mes fautes, effacez toutes mes iniquités ». Il se rassure au sujet de son grand péché ; il porte plus loin sa confiance, il veut que toutes ses fautes soient effacées : il met son espoir dans la main du médecin, dans cette grande miséricorde, qu’il a implorée au commencement du psaume : « Effacez toutes mes iniquités ». Dieu détourne ses regards, et c’est ainsi qu’il les efface : en détourner son regard, c’est les effacer ; les voir, c’est les écrire. Tu as entendu que Dieu efface nos péchés quand il s’en détourne, écoute ce qu’il fait quand il les voit : « La face du Seigneur est sur tous ceux qui font le mal, afin d’effacer de la terre jusqu’à leur souvenir av » ; parce qu’il n’efface pas leurs péchés. Mais ici, que demande le Prophète ? « Détournez vos regards de mes péchés ». Cette prière est sage, car lui-même ne détourne point les yeux de ses fautes, puisqu’il dit : « Pour moi, je connais mon péché ». Tu as donc le droit, tu fais bien de demander à Dieu qu’il détourne son regard de tes péchés, si tu n’en détournes pas le tien ; mais si tu rejettes ton péché en arrière, Dieu le tient présent sous ses yeux. Que ton péché soit donc toujours sous tes yeux, si tu veux que Dieu en détourne ses regards tu peux alors le demander en toute sûreté, et il t’exaucera. 15. « Créez en moi Seigneur, un cœur nouveau ». « Créez » ; le Prophète n’a point voulu dire par là : Faites en moi quelque chose de nouveau ; mais comme il priait avec repentir, comme il était coupable d’un crime, et qu’avant ce crime il était plus innocent, il nous montre ainsi la valeur de cette expression : « Créez. Et renouvelez au fond de mon âme l’esprit de droiture ». Mon crime, dit-il, avait détruit et courbé la droiture de mon esprit. Il dit dans un autre psaume : « Ils ont, courbé mon âme aw ». Et quand l’homme se penche vers les convoitises du temps, il se courbe en quelque sorte ; quand il s’élève aux biens d’en haut, de manière à trouver la douceur en Dieu, son cœur devient droit. « Combien est bon le Dieu d’Israël, pour ceux « qui ont le cœur droit ax ! » Donc, mes frères, écoutez. Souvent Dieu châtie de ses péchés en cette vie l’homme auquel il pardonne pour l’autre vie. David lui-même, à qui Dieu avait dit par son Prophète : « Votre péché vous est remis ay », dut subir les châtiments dont Dieu l’avait menacé à cause de sa faute. Son fils Absalon lui fit une guerre sanglante et le réduisit à d’humiliantes extrémités az. Il marchait dans la douleur, dans l’affliction et le mépris, tellement soumis à Dieu qu’il reconnaissait sa justice dans ces traitements, et confessait qu’il ne souffrait rien qu’il n’eût mérité. Déjà son cœur était redressé, et Dieu ne lui déplaisait point. Il entendit patiemment un homme qui l’injuriait et lui jetait à la face des imprécations ba, un homme qui se déclarait son ennemi, et marchait avec les soldats de son fils rebelle. À ces malédictions jetées au roi, un des compagnons de David voulut courir sur cet insolent et le tuer ; mais David le retint. En quels termes ? « C’est Dieu », dit-il, « qui l’a envoyé pour me maudire ». Il reconnaît donc sa faute, il en approuve le châtiment, il ne cherche point sa propre gloire ; il bénit le Seigneur du bien qu’il trouve en lui-même, il bénit le Seigneur des maux qu’il endure, il bénit le Seigneur en tout temps ; la louange du Seigneur est toujours en sa bouche bb. Tels sont les hommes au cœur droit : bien différents de ces hommes dépravés qui se croient justes et Dieu pervers ; qui jubilent quand ils font le mal ; qui blasphèment quand ils souffrent ; qui sous le fouet de la tribulation s’écrient dans leur âme dépravée : Dieu, que t’ai-je fait ? En vérité, ils n’ont rien fait pour Dieu, ils ont tout fait pour eux-mêmes : « Renouvelez dans mes entrailles d’esprit de droiture ». 16. « Ne me repoussez point de votre présence ». Détournez vos regards de mes péchés, mais ne m’éloignez pas de votre présence. Il redoute le regard de Dieu, et néanmoins il invoque ce regard. « Ne m’éloignez pas de votre présence, et ne retirez pas de moi votre Esprit-Saint bc ». Car le Saint-Esprit est dans celui qui avoue ses fautes. Que votre péché vous déplaise, c’est là un don de l’Esprit-Saint. Le mal plaît à l’esprit impur, il déplaît à l’esprit de sainteté : et quoique, d’une part, tu demandes encore pardon à Dieu, néanmoins comme d’autre part tu as en aversion le mal que tu as fait, lu es uni à Dieu, puisque tu hais ce qu’il hait. Ainsi, vous voilà deux contre la fièvre, le médecin et toi. Mais comme il n’est pas au pouvoir de l’homme d’avouer et de punir par lui-même son péché, quiconque s’irrite contre soi-même et se prend à dégoût, ne le fait que par un don de l’Esprit-Saint. Aussi le Prophète ne dit point : Donnez-moi votre Esprit-Saint, mais : « Ne le retirez pas de moi. Ne retirez pas de moi votre Esprit-Saint ». 17. « Rendez-moi la joie de votre salut bd ». « Rendez-la-moi », car je l’avais avant de la perdre par le péché : « Rendez-moi cette joie de votre salut » ; c’est-à-dire de votre Christ. Sans lui, qui peut être guéri ? Avant même qu’il fût né d’une vierge, « le Verbe était au commencement, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu be ». Ainsi les anciens croyaient à l’Incarnation dans l’avenir, comme nous y croyons au passé. Les temps ont changé, mais non la foi. « Rendez-moi la joie de votre salut, et fortifiez-moi de votre souverain Esprit ». Plusieurs ont vu ici la Trinité, si l’on envisage Dieu en lui-même et sans le mystère de l’Incarnation. Il est écrit en effet : « Dieu est esprit bf ». Ce qui n’est point corporel et qui existe néanmoins ne peut être qu’esprit. Quelques-uns donc ont vu ici la Trinité, « l’Esprit de droiture » serait le Fils ▼▼Cap 4, n. 6, Hieronimus in Epist. ad Galat
, « l’Esprit-Saint », le Saint-Esprit, et « l’Esprit souverain », le Père. Que l’on entende ainsi ces paroles, ou que dans cette expression : « Renouvelez dans mes entrailles l’esprit de droiture », le Prophète ait parlé de l’esprit de l’homme, que le péché a courbé, rendu tortueux, en sorte que l’Esprit-Saint soit cet esprit principal, qu’il demande à Dieu de ne point lui ôter, et dans lequel il veut être affermi, aucun de ces deux sens n’est contre la foi. 18. Mais voyez ce qu’il ajoute : « Fortifiez-moi », dit-il, « parle souverain Esprit ». En quoi veut-il être affermi ? Parce que vous m’avez accordé mon pardon, parce que j’ai la certitude que vous ne m’imputerez point ce que vous m’avez remis, cette faveur me donne la sécurité, cette grâce me fortifie, et je ne serai pas ingrat. Que ferai-je alors ? « J’enseignerai vos voies aux méchants ». Moi, jadis impie, j’instruirai les impies, c’est-à-dire qu’après avoir été méchant, je ne le suis plus, et que si vous ne retirez de moi votre esprit, si même vous m’affermissez dans l’esprit souverain, « j’enseignerai vos voies aux méchants ». Quelles voies leur enseignerais-tu ? « Les impies se retourneront vers vous bh ». Si le péché de David est regardé comme une impiété, que les impies ne se livrent point au désespoir, puisque Dieu pardonne à l’impie : mais à la condition qu’ils se convertiront à lui, qu’ils étudieront ses voies. Si l’on ne voit point dans les péchés de David une impiété, et si l’impiété est proprement l’apostasie contre Dieu, si elle consiste à n’adorer pas un seul Dieu, à ne l’avoir jamais servi, ou à le quitter après l’avoir servi, il y a comme exagération dans cette parole : « Les impies se tourneront vers vous ». Telle est l’abondance de votre miséricorde, que ceux qui se convertissent à vous, non seulement d’entre les pécheurs vulgaires, mais aussi d’entre les impies, ne doivent point désespérer. « Les impies, se retourneront vers vous ». Pourquoi ? Afin que leur foi leur soit imputée à justice, quand ils croiront en celui qui justifie l’impie bi. 19. « Délivrez-moi des sangs, Seigneur, Dieu de mon salut ». En mettant au pluriel le mot sang, le traducteur latin s’est servi d’une expression peu latine pour rendre la force du grec. Nous savons tous que le mot sang n’a pas de pluriel ; et néanmoins comme le grec l’a mis au pluriel, non sans raison, et parce qu’il en était ainsi dans l’hébreu, le pieux interprète a mieux aimé employer une expression moins latine qu’une autre moins exacte. Pourquoi donc a-t-il dit au pluriel : « Délivrez-moi des sangs ? » Il a voulu montrer dans la pluralité du sang, comme dans l’origine de cette chair du péché, la pluralité de fautes. C’est dans le même sens que sain Paul, envisageant ces fautes sans nombre qui nous viennent de la corruption du sang et de la chair, s’écriait : « La chair et le sang ne posséderont pas le royaume de Dieu bj ». Et néanmoins, d’après l’enseignement du même Apôtre, il est de foi que notre chair ressuscitera, et qu’elle méritera d’être incorruptible selon cette parole : « Il faut que ce corps corruptible soit revêtu d’incorruptibilité, et que cette chair mortelle soit revêtue d’immortalité bk ». Comme donc c’est du péché que vient cette corruption, elle donne son nom aux péchés ; de même qu’on donne le nom de langue à cette parcelle de chair, à ce membre qui se meut dans la bouche quand nous articulons des mots distincts, et langue encore ce que profère cette langue ; ainsi nous disons la langue latine ou la langue grecque ; non que la chair soit différente, mais simplement le son. De même alors qu’on appelle une langue ce que produit une langue ; de même on appelle sang l’iniquité qui vient du sang. Jetons donc les yeux sur le grand nombre d’iniquités, ainsi qu’il l’a dit plus haut : « Effacez toutes mes fautes ; et les attribuant à la corruption de la chair et du sang, « Délivrez-moi », dit-il, « des sangs » ; c’est-à-dire, délivrez-moi de mes iniquités, purifiez-moi de toute corruption. Dire alors : Délivrez-moi des sangs, c’est témoigner le désir d’être incorruptible : car la chair et le sang ne posséderont pas le royaume de Dieu, non plus que la corruption ne possédera l’héritage incorruptible. « Délivrez-moi des sangs, Seigneur, Dieu de mon salut ». Il nous montre ainsi que quand notre corps sera parfaitement sain, il n’y aura en lui rien de cette corruption, que l’on désigne sous le nom de chair et de sang : et que la santé du corps sera complète. Maintenant, en effet, comment dire qu’il est sain, ce corps qui tombe, qui est dans le besoin, qui est sans cesse tourmenté par la maladie de la faim ou de la soif ? Voilà ce qui disparaîtra car les aliments sont pour l’estomac, et l’estomac pour les aliments bl, mais Un jour Dieu détruira l’un et les autres. Dieu donnera au corps une beauté parfaite, la mort sera absorbée dans sa victoire bm, il n’y aura plus aucune corruption, nulle défaillance ne nous surprendra, les années ne nous changeront point, nul travail ne nous fatiguera, nous n’aurons besoin ni de viande pour réparer nos forces, ni de nourriture pour les soutenir. Toutefois nous ne serons privés ni d’aliments ni de breuvage ; mais nous aurons pour nourriture et pour breuvage Dieu lui-même : c’est le seul aliment qui nourrisse toujours et qui ne s’épuise jamais. « Délivrez-moi des sangs, Seigneur, Dieu de mon salut ». Ce salut, nous en jouissons dès maintenant. Écoutez l’Apôtre : « Nous sommes sauvés par l’espérance ». Et voyez qu’il parlait du salut du corps : « En nous-mêmes nous gémissons dans l’attente de l’adoption des enfants de Dieu, qui sera la délivrance de notre corps ; nous sommes en effet sauvés par l’espérance ; or, l’espérance que l’on verrait ne serait plus de l’espérance ; comment espérer ce que l’on voit ? Si donc nous ne voyons pas encore ce que nous espérons, nous l’attendons par la patience bn ». Celui qui persévérera jusqu’à la lin, et telle est la patience, celui-là sera sauvé bo ; et voilà le salut que nous n’avons pas encore, mais que nous devons avoir. La réalité n’existe pas encore, l’espérance est certaine. « Et ma langue alors publiera votre justice ». 20. « Seigneur, vous ouvrirez mes lèvres, et ma bouche publiera vos louanges bp. Vos louanges, parce que vous m’avez créé ; vos louanges », parce que vous ne m’avez pas abandonné, malgré mon péché ; « vos louanges », parce que vous m’avez averti de confesser ma faute ; « vos louanges », parce que vous m’avez purifié afin que je fusse en sûreté : « Vous ouvrirez mes lèvres, et ma bouche publiera vos louanges ». 21. « Si vous aviez voulu des sacrifices, je vous en aurais offert bq ». Au temps de David on offrait à Dieu des animaux en sacrifice, mais il voyait les temps à venir. N’est-ce point nous que nous reconnaissons dans ces paroles ? Ces sacrifices étaient des symboles qui annonçaient l’unique sacrifice du salut. Dieu ne nous a donc pas abandonnés sans nous laisser un sacrifice que nous puissions lui offrir. Écoute le Prophète soucieux de son péché, et cherchant à obtenir le pardon du crime qu’il a commis : « Si vous eussiez voulu des sacrifices », dit-il, « je vous en aurais offert. Mais les holocaustes ne vous sont point agréables br ». N’aurons-nous donc rien à offrir ? Nous présenterons-nous ainsi devant Dieu ? Comment alors l’apaiser ? Eh bien ! offre à Dieu, tu as en toi de quoi lui offrir. Ne va pas au loin chercher de l’encens ; mais dis : « En moi, Seigneur, sont les vœux que je vous présenterai, les louanges que je vous offrirai bs ». Ne cherche point un animal pour l’égorger, tu as en toi de quoi immoler à Dieu. « Le sacrifice que veut le Seigneur est une âme brisée, et Dieu ne dédaigne pas un cœur contrit et humilié bt ». Le taureau, le bouc, le bélier, il les dédaigne ; ce n’est plus le moment de les offrir. On les offrait quand ils étaient des symboles, des promesses ; mais la promesse a dû disparaître devant l’objet lui-même. « Dieu donc ne rejette pas un cœur contrit et humilié ». Dieu est élevé, tu le sais : si tu t’élèves, il s’éloignera de toi ; si tu t’abaisses, il s’en approchera. 22. Voyez celui qui parle ici : il semblait que cette prière n’était que de David, et néanmoins voyez ici notre image, et la figure de l’Église. « Dans votre bonté, Seigneur, répandez vos faveurs en Sion bu ». Soyez favorable à cette Sion. À quelle Sion ? À la cité sainte. Quelle est la cité sainte ? Celle qui ne peut être cachée, qui est établie sur la montagne bv. En Sion est la contemplation, parce qu’elle contemple ce qu’elle espère. Sion signifie donc la contemplation, et Jérusalem vision de la paix. Vous vous reconnaissez donc en Sion et en Jérusalem, si vous attendez avec certitude l’espérance à venir, et si vous êtes en paix avec Dieu. « Elevez les murs de Jérusalem. Seigneur, dans votre bonté, répandez vos faveurs en Sion ; élevez les murs de Jérusalem ». Que Sion ne s’attribue aucun mérite ; mais vous, Seigneur, comblez-la de vos grâces : « Elevez les murs de Jérusalem », mettez les boulevards de notre immortalité, dans la foi, dans l’espérance, dans la charité. 23. « Alors vous recevrez le sacrifice de justice bw. Maintenant pour nos fautes vous recevez le sacrifice d’une âme brisée, d’un cœur contrit et humilié, alors on ne vous offrira plus qu’un sacrifice de justice, uniquement des louanges. « Bienheureux ceux qui habitent vos demeures, ils vous béniront éternellement bx ». Voilà le sacrifice de justice. « Quant aux offrandes et aux holocaustes ». Qu’appelle-t-on holocaustes ? L’offrande entièrement consumée par le feu. Quand le corps de la victime était brûlé entièrement par le feu de l’autel, ce sacrifice prenait le nom d’holocauste. Que le feu divin nous consume entièrement, qu’une sainte ferveur nous absorbe. Quelle ferveur ? « Nul ne peut se dérober à ses feux by ». Quelle ferveur encore ? L’Apôtre l’a dit : « Ayons la ferveur de l’esprit bz ». Non seulement que notre âme, que notre corps aussi soit embrasé de ce feu de la divine sagesse, afin de mériter là-haut l’immortalité ; que notre holocauste s’élève jusqu’à absorber la mort dans sa victoire ca. « On fera en votre honneur des offrandes et des holocaustes, et l’on placera la chair des veaux sur vos autels ». Pourquoi des veaux ? Qu’y choisira le Seigneur ? Est-ce l’innocence du jeune âge, ou l’affranchissement du joug de la loi ? 24. Nous voici, mes frères, par la grâce du Christ, à la fin du Psaume, non peut-être comme nous l’aurions voulu ; mais, du moins, comme nous l’avons pu. Il nous reste à vous adresser quelques mots sur les malheurs dans lesquels nous vivons. Car nous vivons en ce monde et il nous est impossible de nous séparer des désordres du monde. Il nous faut donc de la patience pour vivre au milieu des méchants, car les bons qui vivaient avec nous quand nous étions impies, nous ont supportés avec patience. N’oublions pas ce que nous étions, ne désespérons pas de ceux qui sont aujourd’hui ce que nous avons été. Toutefois, mes frères, dans une telle diversité de mœurs, et dans une si effroyable corruption, gouvernez vos maisons, gouvernez vos enfants, gouvernez vos familles. Autant nous sommes obligés de vous parler au nom de l’Église, autant le devoir vous oblige à veiller sur vos familles, afin que vous puissiez rendre un bon témoignage de ceux qui vous sont confiés. Dieu aime l’ordre. C’est une innocence bien fausse et bien perverse, que de lâcher les rênes aux péchés. C’est une indulgence bien inutile et même bien funeste que celle d’un père pour un fils qui ressentira la sévérité de Dieu ; et non seulement le fils, mais avec lui ce père dissolu. Quoi donc en effet ? S’il ne pèche point, n’est-il pas cause des péchés de son fils, n’est-ce pas à lui d’en arrêter les désordres ? Veut-il faire croire à ce fils qu’il commettrait les mêmes fautes, s’il n’était trop vieux ? Une faute que tu ne détestes pas dans ton fils est une faute qui te plaît ; c’est l’âge qui te fait défaut et non la concupiscence. Surtout, mes frères, veillez sur ceux de vos enfants pour qui votre foi vous a fait demander le baptême. Mais peut-être un fils indigne méprisera les avertissements, les réprimandes, les châtiments de son père ; eh bien ! accomplissez votre devoir, Dieu lui demandera compte du sien. Ces cinquante premiers Psaumes ont été traduits par M. l’abbé MORISOT
SERMON XIX. SUR LA PÉNITENCE cb. Prononcé à Carthage, dans la grande basilique, un jour de jeux publics.
ANALYSE. – Ce discours, où Saint Augustin fait entrer deux psaumes presque tout entiers, ou au moins les passages dominants de chacun deux, se rapporte uniquement à la pénitence et se divise en deux parties : savoir, la nécessité et la nature de la pénitence. – I. Il est nécessaire, à l’exemple de David, de déplorer constamment ses péchés propres, plutôt que de censurer les péchés d’autrui : car 1°, cette pénitence est le moyen de désarmer la divine justice ; 2° elle est le sacrifice demandé par Dieu dans le nouveau Testament. – II. La nature de la pénitence consiste 1° à repousser en nous tout ce qui en nous déplaît à Dieu ; 2° à ne pas convoiter les biens temporels comme récompense de nos efforts, car ces biens sont distribués indifféremment aux bons et aux méchants, mais à poursuivre l’acquisition des biens éternels. – Hâtons-nous de faire pénitence. Nous sommes aujourd’hui sous le pressoir de la justice et de la miséricorde. 1. Nous avons en chantant prié le Seigneur de détourner sa face de nos péchés et d’effacer tous nos crimes. Cependant, mes frères, vous pouvez remarquer que dans ce psaume nous avons entendu ces paroles : « Car je reconnais mon iniquité, mon péché est toujours devant moi », et qu’ailleurs nous disons à Dieu : « Ne détournez pas de moi votre face cc ; » après lui avoir dit ici : « Détournez votre face de mes péchés. » C’est que l’homme et le pécheur ne formant qu’une personne, l’homme dit : « Ne détournez pas de « moi votre face ; » et le pécheur : « Détournez votre face de mes péchés.. » Ce qui signifie Ne détournez pas votre face de celui que vous avez fait ; détournez-la de ce que j’ai fait. Que votre œil distingue l’un et l’autre, et que le vice ne fasse point périr la nature. Vous avez fait quelque chose : quelque chose aussi j’ai fait. Ce que vous avez fait s’appelle nature ; on donne à ce que j’ai fait le nom de vice. Ah ! guérissez le vice pour sauver la nature ! 2. « Je reconnais mon péché », dit encore le pénitent. Si je le reconnais, ne le reconnaissez plus. Vivons saintement, et gardons-nous, en vivant ainsi, de présumer que nous sommes sans péché : si on loue notre vie, ne cessons de demander, grâce. Moins les hommes perdus s’occupent de leurs propres péchés, plus leur curiosité recherche les péchés d’autrui. Ils cherchent non à corriger mais à mordre ; et dans l’impuissance de se justifier ils sont toujours prêts à accuser les autres. Tel n’est point le modèle qui nous est ici proposé pour la prière et pour la pénitence. « Car je reconnais mon iniquité et mon péché est toujours devant moi », est-il dit. Ce Roi repentant ne s’occupait point des péchés d’autrui ; il se recueillait non pour se voir superficiellement, mais pour se pénétrer et descendre au fond de lui-même. Il ne s’épargnait pas ; aussi pouvait-il sans, témérité demander d’être épargné. En effet, mes frères, le péché ne – peut rester impuni, ce serait une injustice : indubitablement donc il sera puni. Il le sera par toi ou par moi, dit le Seigneur ton Dieu : c’est-à-dire que le péché sera châtié ou par le repentir de l’homme ou par le jugement de Dieu : par le coupable s’exemptant ainsi, ou par Dieu, frappant en même temps le coupable. Qu’est-ce en effet que la pénitence, sinon la colère de l’homme contre lui-même ? Se fâcher c’est s’irriter coutre soi : n’est-ce pas pour ce motif qu’on se frappe la poitrine, si toutefois on le fait sincèrement ? Et pourquoi te frapper si tu n’es pas courroucé ? En te frappant la poitrine tu t’indignes donc contre ton propre cœur et tu exiges qu’il fasse réparation à ton Seigneur. On peut entendre aussi de cette manière ces expressions : « Entez en colère et gardez-vous de pécher cd. » Entre en colère parce que tu as péché, etc.en te punissant ne pèche plus. Ranime ton cœur par le repentir, et ce sera un sacrifice offert à Dieu. 3. Veux-tu te réconcilier avec Dieu ? Examine comment tu dois te traiter afin que Dieu se réconcilie avec toi. Remarque ce qui est dit dans le psaume : « Si vous aviez voulu un sacrifice, je vous l’aurais offert ; mais les holocaustes ne vous sont point agréables. ». – Seras-tu donc sans sacrifice ? N’auras-tu rien à offrir, ne pourras-tu apaiser Dieu par aucune oblation ? Qu’as-tu dit par ces paroles : « Si vous aviez voulu un sacrifice, je vous l’aurais offert ; mais les holocaustes ne vous sont point agréables ? » – Continue à lire, écoute et dis avec moi : « Le sacrifice que Dieu demande est une âme brisée de douleur ; Dieu ne méprise point un cœur contrit et humilié ce. » Après avoir rejeté ce que tu offrais d’abord, tu as trouvé mieux à offrir. Sous nos ancêtres tu offrais des victimes animales et on nommait sacrifices ces offrandes. « Si vous aviez voulu un sacrifice, je vous l’aurais offert. » Vous ne cherchez donc pas cette sorte de victimes, toutefois vous demandez un sacrifice. Puisque je n’offre plus ce que j’offrais, qu’offrirai-je ? demande votre peuple. Toujours renouvelé par les décès et les naissances, c’est toujours le même peuple. Les sacrements sont changés, la foi ne l’est pas : les signes le sont, ce qu’ils exprimaient ne l’est pas. Le Christ était figuré parle bélier, il l’était par l’agneau, il l’était par le jeune taureau, il l’était parle bouc : le Christ était tout. Il était figuré par le bélier parce qu’il conduit le troupeau. Ce bélier fut rencontré dans les buissons lorsque Abraham reçut l’ordre d’épargner son fils et néanmoins de ne pas quitter la montagne sans avoir offert un sacrifice. Ainsi Isaac figurait le Christ, le bélier le figurait aussi. Isaac porta le bois où il devait se consommer, et le Christ portait la croix où il devait mourir. À Isaac fut substitué un bélier, mais au Christ ne fut pas substitué un autre Christ ; et Isaac fut remplacé par le bélier et par le Christ. Le bélier se trouvait arrêté par les cornes dans un buisson cf. Demande aux Juifs de quoi ils ont formé la couronne du Seigneur. – Le Christ était aussi figuré par l’agneau : « Voici l’Agneau de Dieu, voici Celui qui efface les péchés du monde cg. » ; par le jeune taureau : contemple comme les cornes de la croix ; par le bouc, pour avoir pris la ressemblante d’une chair de péché. Tout cela demeura voilé jusqu’au lever du jour et l’éloignement des ombres ch. Ainsi les anciens justes croyaient au même Seigneur Jésus-Christ, non-seulement en tant qu’il est Verbe de Dieu, mais aussi en tant qu’il est homme, « médiateur entre Dieu et les hommes ci. » Et ils nous ont transmis cette foi par la parole et la prophétie. Ce qui a fait dire à l’Apôtre : « Ayant le même esprit de foi, « comme il est écrit : J’ai cru, c’est pourquoi j’ai parlé ; » ayant donc le même esprit qu’ont eu ceux qui ont écrit : « J’ai cru, c’est pourquoi j’ai parlé ; – ayant donc le même esprit de foi » qui a fait écrire aux anciens : « J’ai cru, c’est pourquoi j’ai parlé; nous aussi nous croyons, et c’est aussi pourquoi nous parlons cj. » Ainsi donc quand le prophète David s’écriait « Car si vous aviez voulu un sacrifice je vous l’aurais offert, mais les holocaustes ne vous sont point agréables », on offrait à Dieu ce sacrifice qu’on ne lui présente plus aujourd’hui ; son chant était une prophétie ; il dédaignait le présent et prévoyait l’avenir. « Les holocaustes, dit-il, ne vous sont point agréables. » S’ensuit-il que l’on cessera de vous présenter des sacrifices ? Nullement. « Le sacrifice que Dieu demande est une âme brisée de douleur ; vous ne méprisez point, mon Dieu, un cœur contrit et humilié. » Voilà de quoi offrir. Ne cherche point dans ton troupeau ; ne prépare point des vaisseaux, ne cours pas aux provinces éloignées pour en rapporter des parfums : cherche dans ton cœur ce qui est agréable à Dieu. Il faut briser ton cœur. Craindrais-tu de le faire périr en le brisant ? Mais ne lis-tu pas aussi : « Créez en moi un cœur pur, ô mon Dieu ? » Pour créer ce cœur pur il faut briser l’impur. 4. Déplaisons-nous à nous-mêmes quand nous péchons, parce que nos péchés déplaisent à Dieu. Puisque nous ne sommes point sans péché, ayons au moins avec Dieu cette ressemblance de n’aimer pas ce qu’il déteste. En réprouvant en toi ce qu’y réprouve ton Créateur, tu seras uni de quelque manière à sa volonté. Dieu est l’artiste qui t’a fait ; mais considère-toi attentivement et bannis ce qui ne vient pas de lui. Il est dit dans l’Écriture : « Dieu « a créé l’homme droit ck ; » et encore : « Que le Dieu d’Israël est bon pour qui a le cœur droit cl. » Si donc tu as le cœur droit, rien ne te déplaira en Dieu, pour toi il sera bon et tu le béniras. Tu le béniras de tout, de ses bienfaits et de ses châtiments. Avant de dire : « Que le Dieu d’Israël est bon à ceux qui ont le cœur droit ! » cet ancien s’était examiné avec soin. Il n’avait pas toujours eu le cœur droit et il avait trouvé du désordre en Dieu. Ensuite il changea de sentiment et reconnut qu’il n’y avait en Dieu aucun mal, mais que lui-même manquait de droiture. Se rappelant alors ses jours d’égarement et le moment actuel où il en revenait, il s’écria. « Que le Dieu d’Israël est bon ! » Mais pour qui ? « Pour ceux qui ont le cœur droit. » Pourquoi ce langage ? « C’est que les pieds m’ont presque manqué, mes pas ont glissé ; » c’est-à-dire j’ai failli tomber. Pourquoi ? « Parce que je me suis indigné contre les pécheurs en voyant la paix des impies. » En nous disant pourquoi ses pieds ont chancelé et pourquoi ses pas ont glissé, ne nous avertit-il pas de prendre garde nous-mêmes ? Il ignorait que dans l’ancien Testament étaient les figures de l’avenir et il attendait de Dieu la félicité de cette vie, cherchant sur la terre ce que Dieu lui réservait dans le ciel. Ici même il voulait être heureux quoique le bonheur ne soit pas ici. Le bonheur est une grande et belle chose, mais il a sa patrie. Le Christ est venu de cette patrie du bonheur qu’il n’a point trouvé parmi nous. Il a été tourné en dérision, censuré, enchaîné, flagellé, garrotté, indignement conspué, couronné d’épines ; le Seigneur enfin s’est échappé par la mort. Il est écrit dans un psaume (oui, oui, dirent ici ceux qui le savaient) : « Et le Seigneur a fini par mourir cm. » Quoi ! serviteur, tu cherches ici la félicité, quand ton Seigneur a fini par y mourir ? Cet homme, dont j’ai commencé de parler, cherchait donc le bonheur dans un pays où il est étranger, et pour l’obtenir en cette vie il s’attachait à Dieu, le servait et accomplissait ses commandements selon la mesure de ses forces. Or cette félicité ou ce qu’il croyait la félicité qu’il demandait à Dieu, et pour laquelle il le servait, il la vit à ceux qui ne servaient point Dieu, qui adoraient les démons et blasphémaient le Dieu véritable. Il la vit et se troubla comme s’il avait perdu le fruit de son labeur. Voilà ce qu’il envia aux pécheurs en considérant la paix dont ils jouissaient. Lui-même ne dit-il pas : « Voilà que ces impies, ces heureux du siècle ont multiplié leurs richesses ? Est-ce donc en vain que j’ai purifié mon cœur, ou lavé mes mains dans l’innocence ? J’ai été frappé de votre fouet durant tout le jour. » J’adore Dieu, ils le blasphèment. À eux le bonheur, à moi le malheur, où est la justice ? Voilà ce qui fait chanceler mes pieds, ce qui a presque égaré mes pas, ce qui a failli me faire périr. Voyez en effet quel danger il y a couru :« J’ai dit, s’écria-t-il alors, comment Dieu les voit-il ? le Très-Haut en a-t-il connaissance ? » Voyez quel danger il a couru en demandant à Dieu, comme une grande récompense, la terrestre félicité. Apprenez donc, mes très-chers, à la mépriser si vous l’avez, et à ne pas dire en vos cœurs Parce que je sers Dieu je suis heureux. Tu verras, même à ceux qui ne le servent pas, ce que tu prends pour le bonheur, et tes pas chancelleront. Si tu le possèdes en servant Dieu, tu remarqueras un homme qui possède quelque chose de semblable sans servir Dieu, et celui-ci jouissant de cette même félicité, tu t’imagineras que la religion est inutile. Si d’un autre côté tu ne le possèdes pas, tu seras plus porté encore à accuser Dieu qui le donne à ses blasphémateurs et le refuse à ses adorateurs. Apprenez donc à mépriser ce qui flatte les sens, si vous voulez servir Dieu avec un cœur fidèle. Tu en jouis ? N’en conclus pas que tu es bon, emploie-le à le devenir. Tu en es privé ? N’en infère pas que tu es méchant, mais évite le mal que ne fait jamais celui qui est bon. 5. On le voit dans notre prophète. Rentrant en lui-même et se reprochant d’avoir commencé à mal penser de Dieu, ce pécheur haletant, qui a vu la paix des impies, s’écrie avec repentir : « Qu’y a-t-il pour moi au ciel et qu’ai-je attendu de vous sur la terre cn ? » Ainsi il se corrige, ainsi il redresse son cœur et connaît ce que mérite le service de Dieu, ce service qu’il estimait si peu quand pour lui il cherchait la terrestre félicité. Il connaît donc ce que les serviteurs de Dieu doivent attendre en haut, en haut où on nous commande de porter notre cœur et où nous répondons que nous le tenons élevé. Plaise à Dieu que nous ne soyons pas menteurs, au moins dans l’heure, au moins dans le moment, au moins dans l’instant où nous faisons cette réponse ! Rentrant donc en lui-même et redressant son cœur, ce prophète se reproche d’avoir cherché sur terre, comme récompense du service de Dieu, la félicité de la terre. Mais en se reprenant il dit « Qu’y a-t-il pour moi dans le ciel ? » Qu’y a-t-il pour moi ? L’éternelle vie, l’incorruptibilité, l’empire avec le Christ, la société des Anges ; l’exemption de tout trouble, de toute ignorance, de tout danger, de toute tentation ; une sécurité vraie, certaine, immuable. Voilà ce qu’il y a pour moi dans le ciel.« Et sur la terre qu’ai-je attendu de vous ? » Qu’ai-je désiré de vous sur la terre ? qu’ai-je désiré ? Des richesses qui s’écoulent, qui s’écroulent, qui s’envolent. Qu’ai-je désiré ? De l’or, ou un peu de terre pâle ; de l’argent, ou un peu de terre livide ; de l’honneur ou un peu de fumée qui se dissipe. Voilà ce que j’attendais de vous sur la terre. Et parce que je l’ai vu aux pécheurs, mes pieds ont chancelé et mes pas ont failli s’égarer. Oh ! que Dieu est bon pour ceux qui ont le cœur droit. Que cherches-tu donc, Prophète fidèle ? De l’or ? de l’argent ? des richesses terrestres ? Ainsi la foi d’une mère chrétienne mérite ce que possède même une courtisane ! Ainsi la foi d’un homme pieux mérite ce que possèdent un comédien, un cocher, un gladiateur, un larron ? Loin de nous, mes frères, loin de nous la pensée que tel soit le mérite de notre foi ! Que Dieu l’éloigne de nos cœurs ! Voulez-vous connaître ce que vaut cette foi ? Pour elle le Christ est mort. Mais qu’est-elle ? dis-tu, combien vaut-elle ? Écoute cet homme qui crie : « Qu’y a-t-il pour moi dans le ciel ? » Il ne dit pas ce qu’il y aura là pour lui, mais il ajoute : « Et qu’ai-je attendu de vous sur la terre ? » Il parle du ciel avec éloge, de la terre avec mépris, et dit néanmoins de l’un et de l’autre : Qu’y a-t-il ? Qu’y a-t-il au ciel ? Ce que l’œil n’a point vu. Qu’y a-t-il sur la terre ? Ce que ne convoite point l’œil fidèle. Qu’y a-t-il là ? Ce qu’a trouvé Lazare couvert d’ulcères. Qu’y a-t-il ici ? Ce qu’a possédé le riche enflé d’orgueil. Là ? ce qui ne peut se perdre. Ici ? Ce qui ne peut se conserver. Là ? Point de peine. Ici ? Des craintes incessantes. « Qu’y a-t-il pour moi dans le ciel ? » Quoi ? Celui qui a fait le ciel ; Dieu même est le prix de ta foi ; c’est lui que tu posséderas ; c’est lui qui se dispose à devenir là récompensé de ses serviteurs. Considérez, mes très-chers, tout l’univers, le ciel, la terre, la mer, ce qui est au ciel, ce qui est sur la terre, ce qui est dans la mer, comme tout est beau, comme tout est admirable, comme tout est disposé avec ordre et avec magnificence. Ces beautés vous touchent-elles ? Oui elles vous touchent. Pourquoi ? Parce que ce sont des beautés. Que penser donc de Celui qui les a faites : Je le crois, vous seriez frappés de stupeur, si vous voyiez la beauté des Anges. Quelle n’est donc pas la beauté du Créateur des Anges ? Il est lui-même la récompense de votre foi. O avares ! de quoi vous contenterez-vous si Dieu ne vous suffit point ? 6. Ainsi travaillons à bien vivre, et pour en avoir la force, implorons Celui qui nous en a fait un devoir. Mais pour cette bonne vie ne demandons pas au Seigneur un salaire terrestre. Portons nos vues sur les promesses qu’il nous fait. Portons notre cœur là où ne peuvent le corrompre les soucis du siècle. Tout ce qui occupe ici les hommes passe, s’envole : la vie des hommes sur terre n’est qu’une vapeur. Cette vie, déjà si fragile, est de plus exposée à d’immenses et continuels périls. On nous annonce du côté de l’Orient de grands tremblements de terre ; de grandes cités ont été tout-à-coup renversées. De frayeur, les Juifs et les Païens catéchumènes, qui habitaient Jérusalem, ont reçu le baptême : on compte environ sept mille hommes qui l’ont reçu et le signe du Christ s’est montré sur les vêtements des Juifs baptisés. Ces nouvelles reposent sur le récit invariable de chrétiens fidèles. La ville même de Sétif a été secouée par un tel tremblement de terre, que tous les habitants ont dû passer près de cinq jours dans les champs, où, dit-on, on a bien baptisé deux mille hommes. De toutes parts Dieu fait peur, pour n’avoir pas à condamner. Sous ce pressoir il se fait quelque chose. Car le monde est un pressoir et l’on y travaille avec activité. Soyez l’huile et non l’écume. Que chacun se convertisse à Dieu et change de vie. L’huile a des voies secrètes, elle se rend dans la coupe invisible. Les uns se moquent, rient, blasphèment, vocifèrent sur les places publiques c’est l’écume qui s’échappe. Cependant le Maître du pressoir ne cesse de faire travailler ses ouvriers, ses saints Anges. Il tonnait son huile, il connaît ce qu’il doit recueillir, et quel poids il faut au pressoir pour l’exprimer. « Le Seigneur tonnait ceux qui sont à lui. » Soyez l’huile, ayez horreur de l’écume, et « qu’ils s’éloignent de l’iniquité, tous ceux qui invoquent le nom du Seigneur co. » Surtout ne concevez point de haines ou étouffez-les à l’instant. Ces bouleversements ne sont pas à redouter. Tu crains un tremblement de terre ? Tu crains le bruit du ciel ? Tu crains la guerre ? Crains aussi la fièvre. Souvent on n’est pas frappé de ces graves bouleversements que l’on redoute, et soudain l’on est pris en travers par une petite fièvre qui enlève. Et si le Juge suprême nous trouve alors comme ceux qu’il ne connaît pas, comme ceux à qui il doit dire : « Je ne vous connais point, éloignez-vous de moi cp ; » que deviendrons-nous ? Où aller ensuite ? A quel patronage recourir ? Comment racheter sa vie pour la refaire ? A qui permet-on de vivre une seconde fois et de réparer ses désordres ? J’ai fini. Vous êtes venus en petit nombre ▼ ; mais si vous avez bien écouté, vous êtes riches. Que le trompeur ne vous trompe point, car vous n’êtes point déçus par Celui qui ne trompe jamais.SERMON XX. NÉCESSITÉ DE FAIRE PÉNITENCE cr.
ANALYSE. – Pour exhorter son peuple à la pénitence, saint Augustin expose plusieurs motifs qui doivent y engager ; il réfute ensuite plusieurs objections que l’on invoque pour chercher à s’en dispenser. – 1. Les motifs qui doivent nous exciter à confesser sincèrement nos fautes ou à en faire pénitence sont : 1° que nous pouvons nous perdre nous-mêmes, mais qu’il nous est impossible de nous sauver sans un divin secours ; 2° si nous reconnaissons nos péchés, Dieu les méconnaîtra ; 3° si au contraire nous les méconnaissons, Dieu les reconnaîtra et s’en vengera. – II. Les obstacles qui nous détournent de la pénitence sont : 1° la propension à nous excuser et à rejeter nos fautes.sur autrui. Que le démon est heureux lors même que nous les lui attribuons, car c’est nous perdre ! 2° Le découragement contre lequel nous prémunit l’Écriture est aussi un obstacle pour plusieurs. 3° Enfin la présomption séduit un grand nombre de pécheurs. Dieu a promis le pardon au repentir ; mais a-t-il promis de donner le temps de se repentir ? Que nul donc ne diffère de se convertir. Que nul ne prolonge sa vie mauvaise, c’est-à-dire un long mal, quand il peut avoir une bonne vie, c’est-à-dire un long bien. 1. D’une commune voix et d’un cœur unanime nous avons prié Dieu pour notre cœur même et nous avons dit : « Créez en moi un cœur pur, ô mon Dieu, et renouvelez au fond de mon âme l’esprit de droiture. » Nous vous exposerons, pour l’honneur de la grâce divine, les quelques idées que le Seigneur nous a données sur ce passage. On voit dans ce Psaume un pénitent qui désire recouvrer son espérance flétrie ; il est abattu sous le poids de sa chute et il presse Dieu à grands cris de venir à son secours : le malheureux a pu se blesser, il ne peut se guérir. Ne pouvons-nous, quand il nous plaît, frapper et meurtrir notre chair, mais pour lui rendre la santé ne courons-nous pas au médecin, sans avoir pour nous rétablir autant de pouvoir que nous en avons pour nous détruire ? Ainsi pour pécher, l’âme se suffit à elle-même ; pour guérir les plaies du péché, elle implore la main secourable de Dieu. De là ces paroles d’un autre psaume : « J’ai dit : « Seigneur ayez pitié de moi ; guérissez mon âme, car j’ai péché contre vous. » On veut, en parlant ainsi, montrer sensiblement que l’âme trouve en elle-même la volonté, la liberté du péché, et que pour se perdre elle se suffit, mais que c’est à Dieu de la chercher et de la guérir quand elle s’est meurtrie. Car « le Fils de l’homme est venu chercher et sauver ce qui s’était perdu cs. » Voilà pourquoi nous disons en répandant notre prière : « Créez en moi un cœur pur, ô mon Dieu, et renouvelez au fond de mon âme l’esprit de droiture. » Parle ainsi, âme pécheresse, pour ne pas te perdre par le désespoir plus que tu ne t’es perdue par le péché. 2. Il faut avant tout prendre soin de ne pas pécher, de ne contracter pas avec le péché comme avec le serpent une amitié dangereuse. De sa dent venimeuse il tue celui qui pèche et ce n’est pas un être avec lequel on doive faire alliance. Mais s’il lui arrive d’opprimer le faible, de séduire un imprudent, de surpendre un égaré, de tromper et d’induire en erreur, que le coupable ne craigne pas de l’avouer et qu’il cherche non à s’excuser, mais à s’accuser. N’est-ce pas ce que l’on demande dans ces paroles d’un Psaume : « Mettez, Seigneur, une garde à ma bouche, et à mes lèvres une porte qui les ferme ; ne laissez pas mon cœur se porter aux paroles mauvaises, chercher des excuses à mes péchés ? ct » On te conseille un péché ? Repousse absolument. On t’a persuadé de le commettre ? Ne t’excuse pas, mais plutôt accuse-toi. Celui à qui nous avons entendu dire : « Créez en moi un cœur pur, ô mon Dieu », n’avait-il pas commencé ainsi : « Ayez pitié de moi, mon Dieu, selon la grandeur de votre miséricorde ? » Grand pécheur il demande une grande miséricorde ; à sa large plaie il veut un large remède. Il dit encore : « Détournez les yeux de mes crimes ; effacez toutes mes iniquités. Créez en moi un cœur pur, ô mon Dieu cu. » Ainsi Dieu détourne sa vue du péché quand on le confesse, quand on s’en accuse et que l’on implore son divin secours et sa miséricorde. Mais en détournant la vue des crimes, il ne la détourne pas du coupable. On lui dit ici : « Détournez les yeux de mes crimes ; effacez toutes mes iniquités ; » mais on lui dit ailleurs : « Ne détournez pas de moi votre face cv. » Il se détourne quand il ne remarque point ; car s’il remarque il châtie, comme font les juges lorsqu’ils prononcent leur sentence contre les accusés reconnus coupables. Si donc nous disons à Dieu : « Détournez les yeux de mes crimes », c’est pour obtenir qu’il ne nous châtie point, qu’il ne sévisse point contre nous. Ne pas les reconnaître, c’est les méconnaître. Nous nommons noble celui qui est noble et ignoble celui qui n’est pas noble : c’est à peu près ainsi que nous disons qu’un homme connaît quand il connaît, et qu’il méconnaît quand il ne connaît pas. Mais si tu veux que Dieu méconnaisse tes fautes, reconnais-les. Car le péché ne peut rester impuni : il ne convient pas, il ne faut pas, il n’est pas juste, qu’il le soit. Et puisqu’il ne peut demeurer impuni, punis-le donc pour n’être pas puni à cause de lui. Qu’il trouve en toi un juge ; non un défenseur. Monte sur le tribunal de ta conscience pour prononcer contre toi ; accusé, place-toi devant toi-même. Ne te place pas derrière : autrement Dieu te placerait devant lui. Aussi pour obtenir un facile pardon, le pénitent dit-il dans notre psaume : « Car je reconnais mon iniquité et mon péché est toujours devant moi cw. » Comme s’il disait : Puisqu’il est devant moi, il ne doit pas être devant vous ; méconnaissez-le, puisque je le reconnais. Ainsi ton péché sera châtié par toi ou par Dieu ; s’il l’est par toi il le sera sans toi ; s’il l’est par Dieu, tu seras châtié avec lui. Sévis donc contre lui pour que Dieu te défende. Dis franchement : C’est moi qui l’ai commis. « J’ai dit : Seigneur, ayez pitié de moi ; guérissez mon âme, parce que j’ai péché contre vous. »C’est moi, dit-il, qui ai dit. Je ne cherche pas, pour excuser mon péché, qui a péché en me tentant ou qui m’a poussé au crime. Je ne dis pas : La Fortune en est cause. Je ne dis pas : Le destin l’a voulu. Je ne dis pas non plus : Le diable en est l’auteur. Le diable en effet peut conseiller, effrayer ; il peut même tourmenter sérieusement s’il en a reçu la permission : et il faut demander au Seigneur la force de n’être ni séduit par ses attraits ni abattu par ses violences. Contre les charmes et les menaces de l’ennemi, qu’il daigne nous donner deux vertus : l’une pour contenir et l’autre pour souffrir : pour contenir les passions et n’être point pris par la prospérité ; pour soutenir les terreurs et n’être point abattus par l’adversité. «. Et comme je savais que nul ne peut se contenir sans un don de Dieu cx. » Il est dit clans le même sens : « Créez en moi un cœur pur, mon Dieu. ». Il est dit encore : « Malheur à ceux qui ont perdu la patience cy. » Ne cherche donc à accuser personne, autrement tu pourrais rencontrer un accusateur de qui tu ne pourrais te défendre. Notre ennemi lui-même, le diable est content lorsqu’on l’accuse ; il veut résolument que tu le charges et il est disposé à subir tous les reproches qu’il te plaira, pourvu que tu n’avoues point tes fautes. C’est pour déjouer ses ruses que ce pénitent s’écrie : « J’ai dit, Seigneur. » En vain cet ennemi me dresse des pièges, je connais ses embûches. Il cherche à captiver ma langue et à me faire dire : Le diable en est l’auteur. « J’ai dit » au contraire : « Seigneur. » C’est donc par ces artifices qu’il séduit les âmes et les éloigne du remède de la confession : tantôt il leur insinue de s’excuser et de chercher à en accuser d’autres ; tantôt il leur inspire, quand elles ont péché, de se livrer au désespoir et de considérer le pardon comme impossible à obtenir ; tantôt encore il leur persuade que Dieu oublie tout sur-le-champ et qu’il n’est pas nécessaire de se corriger. 3. Considérez donc quels sont les dangers contre lesquels doit se tenir en garde un cœur pénitent ! Pour ne pas rejeter la faute sur autrui ; qu’il se rappelle ces paroles : « J’ai dit : Seigneur, ayez pitié de moi ; guérissez mon âme, car j’ai péché contre vous. » Mais on ne doit pas succomber au désespoir, croire qu’il soit impossible de guérir après avoir péché et beaucoup péché. On ne doit pas s’abandonner aux passions, ni se laisser aller à la remorque de toutes les convoitises ; car alors on fait tout ce qui plaît, sans égard à la défense, ou si on ne le fait pas, c’est uniquement par respect humain ; et comme un gladiateur, comme un homme dévoué à l’immolation, qui désespère entièrement de la vie, on s’abandonne à tout ce qui peut satisfaire ses inclinations et ses penchants déréglés, on périt misérablement par désespoir. Afin donc de protéger ces pécheurs contre eux-mêmes, c’est-à-dire contre ces pensées funestes, l’Écriture dit avec soin : « En quelque jour que l’impie se convertisse et pratique la justice, j’oublierai toutes ses iniquités cz. » Hélas ! une fois guérie du désespoir, grâce à ces paroles si elle y ajoute foi, l’âme rencontre un autre précipice : le désespoir n’a pu la faire périr, la présomption peut la perdre. Et qui peut périr par présomption ? Le voici : c’est celui qui dit dans son âme : Dieu a promis le pardon à tous ceux qui renoncent aux péchés, à quelque heure qu’ils se convertissent il oubliera leurs iniquités. Donc je ferai ce qui me plaît, je me convertirai quand je le voudrai et rues fautes seront effacées. – Que répondre à cet homme ? Que Dieu ne prend pas soin de guérir le pénitent, qu’il ne lui remet pas tous les péchés commis lorsqu’il se convertit ? Mais le nier serait contester contre la clémence divine, traverser les enseignements des prophètes, résister aux divins oracles. Un fidèle dispensateur ne fera point cela. 4. Donc, me répliquera-t-on, tu lâcheras les rênes aux péchés et tu laisseras faire aux hommes ce qu’ils veulent en leur promettant le pardon, l’impunité même au jour de leur conversion ? C’est leur donner toute liberté pour le crime ; ils s’y précipitent avec impétuosité sans que personne les rappelle, et leur espérance en fait des désespérés. Mais quoi ? l’Écriture aurait des remèdes tout préparés contre le désespoir et elle n’en aurait point contre l’espérance trompeuse ? Écoute ce qu’elle dit contre l’espoir funeste et pervers : « Ne tarde pas de revenir au Seigneur et ne diffère point de jour en jour ; car sa colère viendra soudain, et il te perdra au moment de la vengeance da. » Comprends-tu, présomptueux ? Tu péris si tu désespères, et si tu espères tu péris encore. Où seras-tu en sûreté ? Comment échapper à ce double précipice ? Comment te placer dans la droite voie pour servir Dieu, avoir pitié de ton âme, plaire au Seigneur ? Tu désespérais et l’on t’a dit : « En quelque jour que l’impie se convertisse, j’oublierai toutes ses iniquités. » Tu commençais à te livrer à une espérance déréglée et l’on t’a dit : « Ne tarde point de revenir au Seigneur, et ne diffère point de jour en jour. » La providence et la miséricorde divine t’environnent de toutes parts. Que réponds-tu ? Dieu m’a promis le pardon ; il me l’accordera quand je me convertirai. Oui, il te l’accordera quand tu reviendras à lui : et pourquoi n’y reviens-tu point ? C’est parce qu’il me l’accordera lorsque je me convertirai. – Sans doute, au moment où tu te convertiras il te l’accordera. Mais ce moment, quand arrivera-t-il ? Pourquoi n’est-ce pas aujourd’hui ? Pourquoi n’est-ce pas en cet instant où tu m’écoutes ? Pourquoi n’est-ce pas maintenant que tu t’acclames, maintenant que tu applaudis ? Que mes cris te soutiennent, que les tiens te condamnent. Pourquoi n’est-ce pas aujourd’hui ? Pourquoi n’est-ce pas à l’instant ? Demain, dis-tu ; car Dieu m’a promis le pardon. Et c’est toi qui te promets un demain ? Eh bien ! si tu me montres dans le livre, sacré que Dieu t’a promis le jour de demain comme il a promis le pardon à quiconque est converti, j’y consens, diffère jusqu’à demain. Mais n’est-ce pas lui qui, pour te pénétrer d’une salutaire frayeur et en t’adressant de justes reproches, a dit en premier lieu : « Ne diffère point de jour en jour, car sa colère viendra soudain ? » Tu crains donc, homme sage, de mener une bonne vie pendant plus de deux jours ? Si c’est demain que tu commences cette bonne vie, commence dès aujourd’hui et elle aura deux jours. De cette manière encore, si le jour de demain vient à te faire défaut, celui d’aujourd’hui te mettra en sûreté, et si tu vis encore demain, ce sera un jour de plus. Quoi ! tu désires une longue vie, et tu ne crains pas une mauvaise vie ! Tu veux vivre longtemps et vivre mal ! Tu cherches un long mal ; pourquoi ne pas chercher plutôt un long bien ? Est-il rien que tu ne veuilles avoir en bon état ? La vie sera donc la seule chose mauvaise qui tombera sur toi ? Si je te demande quel vêtement tu désires : Un bon réponds-tu quelle campagne ? une bonne : quelle épouse ? une bonne ; quels enfants ? de bons : quelle demeure ? une bonne. La vie est la seule chose que tu veuilles mauvaise. Comment ? Tu préfères la vie à tous tes biens et de tous ces biens la vie est la seule chose que tu veuilles mauvaise ? Tous ces objets que tu voulais bons, vêtements, maison, campagne, et les autres, tu es disposé à les sacrifier pour ta vie. Qu’on vienne à te dire : Tous ces biens ou la vie ; tu es prêt à les donner tous pour la conserver même mauvaise. Pourquoi ne pas la vouloir bonne, quand pour elle tu donnes tout ? Ainsi tu n’as plus d’excuse : accuse-toi pour n’être pas condamné. Après le sermon : Nous exhortons votre charité à écouter avec soin et avec vigilance la parole de Dieu, quand les prêtres en sont les ministres. Car le Seigneur notre Dieu est la vérité même que vous entendez, quelle que soit la bouche qui l’exprime ; et il n’y a de premier parmi vous que celui qui est le dernier. Pour nous conformer à l’usage, nous avons dû parler d’abord : à vous maintenant d’obéir par amour.
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