Psalms 52:7
DISCOURS SUR LE PSAUME 51
SERMON AU PEUPLE.
FAUSSE VANITÉ DES MÉCHANTS.
Saül, image de la mort, persécutait David ; David, image de la vie, était persécuté par Saül ; retiré chez le prêtre Achimélech, il est trahi par Doëch. Sous le nom de ce traître on désigne les hommes terrestres, et sous relui de David les hommes célestes ; c’est la totalité du genre humain. Les hommes terrestres ou les méchants se glorifient de ce qu’ils font le mal. Pourquoi s’en glorifier ? il leur est si facile de mal faire ! D’ailleurs, à quoi aboutissent leurs efforts ? À se rendre malheureux, à nous enlever des biens superflus, à s’aveugler, à se perdre pour toujours, à faire l’éternelle risée des justes. Pour les justes, ils tremblent en voyant le sort réservé aux impies, et au lieu de mettre comme ceux-ci leurs espérances en des biens caducs qui causeraient leur perte et les feraient condamner au tribunal de l’Éternel, ils se laissent porter au bien par la confiance en Dieu et le bonheur de le servir. 1. Le psaume dont nous allons entretenir votre charité est peu étendu, mais son titre exige quelques explications ; écoutez-nous donc patiemment, nous vous l’expliquerons de notre mieux, et dans la mesure des grâces que Dieu nous accordera à cet effet. Nous ne pouvons passer outre sans donner un développement suffisant à notre interprétation, puisque, selon le bon plaisir de nos frères, nos paroles doivent être recueillies non seulement par vos oreilles et vos cœurs, mais aussi par le stylet ; nous devons donc avoir en vue nos auditeurs présents et nos futurs lecteurs. Nous vous avons fait lire aussi un passage du livre des Rois, oit il est question de l’événement qui a donné lieu à ce psaume. Saül avait été choisi de Dieu, il était devenu roi, mais à titre transitoire et à cause de la dureté de cœur et des mauvaises dispositions du peuple juif : non pour le bien-être de ce peuple, mais pour sa punition, selon cette sentence de nos livres saints qui parlent ainsi de Dieu : « Il fait régner l’homme hypocrite, parce que le peuple est corrompu a ». Arrivé ainsi au pouvoir, Saül persécutait David : David en qui Dieu préfigurait le royaume du salut éternel, David que Dieu avait choisi pour régner toujours dans la personne de ses descendants, puisque notre Roi, le Roi des siècles, avec qui nous devons régner éternellement, devait « naître de la race de David selon la chair b ». Dieu choisit, élut et prédestina donc David pour être roi, mais il ne voulut point le laisser monter sur le trône avant de lui avoir fait subir l’épreuve de la persécution et de l’en avoir délivré ; et en cela David devait nous figurer d’avance, et figurer en nous le corps dont le Christ est le chef. Car si notre chef lui-même n’a voulu régner dans le ciel qu’après avoir fourni sur la terre une carrière pénible ; s’il n’a voulu élever jusqu’au ciel le corps dont il s’était revêtu ici-bas, qu’en lui faisant suivre une voie douloureuse, de quel droit les membres oseraient-ils se promettre de pouvoir être plus heureux que leur chef ? « S’ils ont appelé le Père de famille Belzébuth, ne traiteront-ils pas de même ses serviteurs c ? » N’espérons donc point un chemin plus facile : marchons où il a marché avant nous, suivons la route qu’il nous a tracée ; ses pas doivent nous servir de guides ; si nous nous écartons, notre perte est certaine. Vois donc ce que figurait David ; vois, par conséquent, ce que figurait Saül : Saül annonçait le règne du mal, David, celui du bien ; celui-ci la vie, l’autre la mort. Nous ne sommes, à vrai dire, persécutés que par la mort ; et, encore, en triompherons-nous à la fin et pourrons-nous lui dire : « O mort, où est ta force ; ô mort, où est ton aiguillon d ? » Comment puis-je dire que la mort seule nous persécute ? Parce que si nous n’étions point condamnés à mourir, quel mal pourrait nous faire notre ennemi ? Nuit-il aux anges ? La mort elle-même, source de nos plus amères tribulations, la mort elle-même verra finir son règne, lorsqu’à la fin des siècles nous ressusciterons d’entre les morts : si alors on nous trouve établis dans la justice, sa puissance s’évanouira à notre égard, comme elle s’est évanouie à l’égard de notre chef. Car en mourant, le Christ devint l’assassin de la mort ; au moment où il rendit le dernier soupir, elle périt bien plutôt sous ses coups, qu’il ne succomba lui-même victime de ses atteintes. 2. Si, maintenant, nous voulons étudier le nom même de Saül, nous y rencontrerons encore un sens mystérieux ; car ce nom signifie demande ou désir. Pouvons-nous avoir le moindre doute sur la cause de notre mort ? Le péché de l’homme, en voilà l’origine : l’homme s’est donc, à vrai dire, souhaité la mort ; voilà pourquoi on donne le nom de « désir » à la mort ; car il est écrit : « Dieu n’a point fait la mort, et il ne se réjouit point dans la perte des vivants ; il a créé toutes choses afin de les faire subsister, et il a mis toutes les nations de la terre dans un même de état de santé et de bonheur » ; mais, diras-tu, d’où vient donc la mort ? « Les impies l’ont attirée par leurs mains et leurs paroles ; ils la considéraient comme une amie, ils ont péri e ». Ils l’ont désirée et se sont perdus, ils sont tombés dans les pièges de la mort, alors même qu’ils la regardaient comme une amie ; ainsi le peuple juif, en demandant un roi, crut avoir en lui un ami, et il n’y rencontra qu’un ennemi. Cette nation arracha au Seigneur la permission d’avoir un roi, et il lui donna Saül, comme il avait livré en leur propre puissance ceux-là mêmes qui, par leurs mains et leurs désirs, s’étaient efforcés d’attirer la mort ; la mort fut donc figurée en la personne de Saül, c’est pourquoi le dix-septième psaume porte ce titre : « Psaume pour le jour où le Seigneur délivra David de la main de ses ennemis et de la main de Saül ». Il parle d’abord de ses ennemis et ensuite de la main de Saül, parce que la mort, notre plus cruelle ennemie, sera détruite la dernière ; « et de la main de Saül », signifie donc qu’il nous a rachetés de l’enfer et délivrés de l’empire de la mort. 3. Au moment où Saül persécutait le saint homme David, celui-ci s’enfuit en un lieu où il pensait trouver un abri sûr ; pendant sa fuite il s’arrêta en passant chez le prêtre Achimélech, qui lui donna les pains consacrés à Dieu, et ainsi figura-t-il en sa personne la royauté et le sacerdoce ; puisque, selon la parole du Sauveur citée dans l’Évangile, « il mangea les pains de proposition que les prêtres seuls avaient le droit de manger f ». Ce fut alors que Sait ! commença à vouloir découvrir ses traces, et s’irrita contre ses serviteurs, parce qu’aucun d’eux ne consentait à le lui livrer : voilà ce que nous avons lu dans le livre des Rois. Quand David vint chez le prêtre Achimélech, le prince des pasteurs de Saül, un Iduméen, nommé Doëch, se trouvait là ; témoin de la colère de son maître, et de la persistance de tous à ne point lui livrer David, Doëch déclara traîtreusement en quel endroit il l’avait aperçu. Saül envoya donc chercher le prêtre avec toute sa famille, et donna l’ordre de les mettre à mort ; mais aucun de ceux qui accompagnaient le roi n’osa, même sur ses ordres réitérés, porter la main sur les prêtres du Seigneur ; pourtant celui qui avait imité Judas dans sa trahison, persévéra comme lui jusqu’à la fin dans ses honteux errements, et continua à faire sortir de la racine empoisonnée de son cœur des fruits tels qu’un mauvais arbre peut en produire. À un signe du roi, ce Doëch tua donc de sa propre main le prêtre avec tous les siens, et leur ville elle-même fut ensuite entièrement détruite. Doëch fut donc l’ennemi du roi David et du prêtre Achimélech. Il n’y avait en lui qu’un homme, et néanmoins il représentait toute une classe d’hommes, comme David, personnification visible de la royauté et du sacerdoce, n’était non plus qu’un homme tout à la fois prêtre et roi, et pourtant représentait une autre classe d’hommes. Voyons donc ce que sont dans le temps présent et sur cette terre ces deux classes d’hommes, afin que nous puissions faire tourner à notre profit les paroles que nous avons chantées ou entendu chanter. Portons notre attention sur Doëch, puis sur ceux que représentent le roi et le prêtre, enfin sur les hommes opposés au Pontife et au roi. 4. D’abord réfléchissez au sens même ries noms, vous y verrez déjà de mystérieuses choses : Doëch signifie mouvement ; Iduméen veut dire terrestre. Voyez donc quelle classe d’hommes désigne ce Doëch en mouvement. Il est terrestre, sa durée ne sera donc pas éternelle : elle est éphémère. Que peut-on attendre d’un homme terrestre ? des œuvres célestes ? Non, car il sera toujours homme. Pour le dire brièvement et sans retard, il y a aujourd’hui ici-bas un royaume terrestre et un royaume céleste. Qu’ils soient de la terre ou du ciel, qu’ils doivent être détruits, ou qu’ils soient destinés à persévérer toujours, ces deux royaumes ont leurs citoyens, passagers comme le temps, mélangés en ce monde les uns parmi les autres ; les membres de celui-ci et les membres de celui-là sont donc comme confondus ensemble. Les citoyens du royaume céleste gémissent, répandus au milieu des citoyens du royaume terrestre ; et si, parfois, je dois le dire encore, les membres du royaume du ciel se trouvent engagés dans les affaires du royaume de la terre, les affaires du royaume des cieux ne restent point non plus tout à fait étrangères aux membres du royaume d’ici-bas ; les divines Écritures nous en fournissent plus d’un exemple. Babylone a vu Daniel et les trois enfants à la tête de l’administration royale. En Égypte Joseph tenait le premier rang après le roi pour exercer cet empire souverain dont le peuple de Dieu devait être plus tard délivré. Comme les trois enfants, comme Daniel, Joseph se livrait donc d’une certaine façon au soin des affaires publiques : de là il résulte évidemment que le royaume terrestre attire à lui les citoyens du royaume céleste, non pour en faire les complices de ses œuvres d’iniquité, mais pour se décharger sur eux du soin de ses affaires, c’est-à-dire de ses intérêts publics. Qu’est-ce que le royaume des cieux ? En quel sens peut-il s’attacher ici-bas pour un temps les membres du royaume terrestre ? ces hommes que l’Apôtre accusait de ne point annoncer le pur Évangile, d’annoncer le royaume des cieux tout en bornant leurs désirs à ce monde périssable, de rechercher leurs propres intérêts tout en prêchant le Christ ? Soyez bien persuadés qu’ils ont été appelés à titre de mercenaires pour travailler au profit du royaume céleste ; car l’Apôtre dit d’eux dans l’élan de sa joie : « Il y en a qui prêchent Jésus-Christ avec un esprit d’envie et de jalousie, avec une intention qui n’est pas pure, croyant qu’ils ajouteront une affliction nouvelle à mes liens : mais que m’importe ? pourvu que Jésus-Christ soit annoncé de quelque manière, par occasion ou par un vrai zèle, je m’en réjouis et m’en réjouirai g ». C’est aussi de tels hommes que Jésus-Christ disait : « Les scribes et les pharisiens sont assis sur la chaire de Moïse, faites donc ce qu’ils disent, mais ne faites pas ce qu’ils font h ». Ils parlent le langage de David, ils agissent à la manière de Doëch. Écoutez-les comme si je vous parlais moi-même, mais ne les imitez pas. Voilà les deux classes d’hommes bien distinctes que l’on rencontre en ce monde, c’est d’elles qu’il est question dans ce psaume. 5. En voici le titre : « Pour la fin, intelligence à David, lorsque l’Iduméen Doëch dit à Saül : David est venu en la maison d’Achimélech ». Et pourtant nous lisons qu’il est venu en la maison d’Achimélech. Les noms se ressemblent, il n’y a de différent qu’une syllabe ou plutôt qu’une lettre : nous sommes donc autorisés à penser que les titres ont été probablement changés. En examinant avec attention divers manuscrits des Psaumes, nous avons remarqué le nom d’Abimélech plus souvent que celui d’Achimélech. Dans un autre endroit des psaumes il y a plus qu’une dissimilitude de noms, c’est une différence très marquée entre les noms, et qui ne laisse aucun doute. En effet, David changea de visage, non devant le roi Abimélech, mais devant le roi Achis, dont il prit ensuite congé et quitta la présence, tandis que le titre du psaume porte : « Quand il changea de visage devant Abimélech i ». Ce changement de nom renferme un mystère, attachons-nous donc plus particulièrement à découvrir le sens caché ; et, sous prétexte de discuter un point d’histoire, ne négligeons point de soulever le voile qui dérobe à notre vue un trésor secret. En expliquant ce psaume, nous avons fait connaître le sens du nom d’Abimélech, et nous avons dit qu’il signifie : Royaume de mon père. Comment David a-t-il quitté le royaume de son père ? comment est-il parti ? De la même manière que le Christ s’est éloigné du royaume des Juifs pour passer du côté des Gentils. David a été trahi, lorsqu’il est venu prendre possession du royaume de son père ; comme Notre-Seigneur Jésus-Christ a été livré à la mort marquée par Saül, lorsqu’il est venu prendre possession du royaume des Juifs établi par son Père et dont il a dit : « On vous ôtera le royaume de Dieu et on le donnera à un peuple qui produira les fruits de justice j ». Voilà sans doute pourquoi l’esprit prophétique, en donnant à ce psaume le titre que vous savez, a dicté le nom d’Abimélech et non point celui d’Achimélech. Pas plus qu’Isaac, qui pourtant figurait la passion du Sauveur, David ne fut mis à mort ; néanmoins le sang coula pour donner à ces toux figures leur signification parfaite : du côté d’Isaac ce fut le sang du bélier ; du côté de David ce fut celui du prêtre Achimélech. Comme ils ne devaient point ressusciter, ils ne levaient pas non plus être mis à mort ; mais, in les délivrant du danger de mourir par l’effusion du sang, Jésus marquait mieux sa résurrection, dont ils étaient ainsi la figure, parce qu’elle lui était réservée, à lui, comme le souverain Seigneur. Nous pourrions en ire davantage sur ce sujet, si nous avions pris à tâche d’expliquer les mystérieuses significations de ces choses passées. 6. Nous venons de parler avec bien de la difficulté, peut-être trop longuement, de ce titre ; mais nous l’avons fait comme Dieu tous a permis de le faire ; puisque nous en sommes venus à bout, parlons maintenant es deux classes d’hommes dont il a déjà été question. Faites attention qu’il y a en onde deux sortes de personnes : les unes souffrent, on souffre au milieu des autres. Celles-ci pensent à la terre, celles-là au ciel ; d’un côté les cœurs sont plongés dans la boue ; de l’autre, ils s’élèvent jusqu’aux anges. Ici on espère les biens temporels dont le monde dispose ; là on a en vue les biens éternels que nous a promis un Dieu fidèle en ses promesses. Ces deux sortes de, personnes se trouvent confondues ensemble. Parfois nous rencontrons à la tête d’une administration terrestre un citoyen de Jérusalem, un citoyen du royaume des cieux : ainsi nous le voyons revêtu de la pourpre, occupant une place parmi les magistrats ; il est édile, prêteur, empereur ; il gouverne une république terrestre ; mais il tient son cœur élevé bien au-dessus de ce bas monde, s’il est chrétien, fidèle et pieux, s’il éprouve du mépris pour ce qui l’entoure, s’il place ses espérances là où il n’est pas encore. À cette classe de personnes appartint autrefois Esther. Cette sainte femme, devenue reine, se trouva dans la périlleuse nécessité de prier pour ses concitoyens, et pendant qu’elle priait en, présence de Dieu dont elle ne pouvait tromper l’infinie science, elle confessa qu’elle n’avait jamais estimé ses ornements royaux plus qu’un vêtement de femme souillé par la boue k. Si nous voyons des citoyens du royaume des cieux engagés dans la question des affaires de Babylone, tout occupés du gouvernement des biens terrestres, ne désespérons pas d’eux ; par la même raison n’applaudissons pas à tous ceux qui s’occupent des choses du ciel, parce que bien souvent l’on voit assis sur la chaire de Moïse des fils de pestilence, des hommes dont il est écrit : « Faites ce qu’ils disent, mais gardez-vous de faire ce qu’ils font, car ce qu’ils disent, ils ne le font pas ». Au milieu des embarras du siècle, ceux-là portent leurs affections jusque dans le ciel, et ceux-ci traînent leurs cœurs par terre, au moment même où ils ouvrent la bouche pour des conversations toutes célestes ; viendra plus tard le temps du vanneur ; alors on fera le discernement exact des uns et des autres, et de la sorte aucun bon grain ne tombera dans l’état de paille destinée au feu, aucun fétu de paille ne viendra se mêler au froment que l’on doit renfermer dans les greniers. Mais pendant que les bons et les méchants vivent confondus les unis avec les autres, prenons-en occasion d’écouter notre voix, c’est-à-dire la voix des citoyens du royaume des cieux ; car, s’il est un désir que nous devions former, c’est d’avoir à supporter les méchants plutôt que d’être à charge aux bons ; unissons-nous à cette voix par nos oreilles, notre langue, notre cœur et nos œuvres. Par là nous disons nous-mêmes ce que nous entendons. Parlons d’abord de l’ensemble des hommes mauvais qui appartiennent au royaume de la terre. 7. « Pourquoi celui qui est puissant en malice se glorifie-t-il l ? » Considérez bien, mes frères, de quelle nature est la gloire de la malignité, la gloire des hommes mauvais. Quelle est cette gloire ? « Pourquoi celui qui est puissant en malice se glorifie-t-il ? » C’est-à-dire : De quoi peut se glorifier celui qui surabonde de malice ? Il faut être puissant en bonté et non en méchanceté. Y a-t-il de la grandeur à se glorifier d’être méchant ? Le nombre de ceux qui peuvent bâtir une maison est peu considérable, mais le premier ignorant venu peut la détruire. Semer du froment, le cultiver ensuite, en attendre la maturité, user joyeusement du fruit de ses labeurs, voilà le propre d’un petit nombre ; avec une étincelle chacun est à même de réduire en cendres toute la récolte ; donner la vie à un enfant, le nourrir après l’avoir mis au monde, l’élever et le conduire jusqu’à l’adolescence, c’est une grande affaire ; le tuer en un clin d’œil, quoi de plus facile ? Rien de plus aisé que de détruire. Que celui qui se glorifie, se glorifie dans le Seigneur m. Que celui qui se glorifie, se glorifie dans sa bonté. Tu te glorifies, parce que tu es puissant dans le mal. Mais de quoi es-tu capable, ô puissant ? que peux-tu faire ? tu te vantes beaucoup. Tu feras mourir un homme ; un scorpion, un accès de fièvre, un champignon vénéneux peut en faire autant. Égaler en puissance un champignon empoisonné, voilà ce à quoi tu peux réussir ; est-ce là pour toi un sujet d’orgueil ? Les bons citoyens de Jérusalem, qui ne prennent point plaisir à faire le mal, mais qui se réjouissent d’opérer le bien, se glorifient non en eux-mêmes, mais dans le Seigneur. Ils s’efforcent aussi de bien faire, ce qui tend à l’édification, et d’agir de telle sorte que leurs œuvres puissent durer longtemps. Mais quand ils travaillent à détruire, ils le font pour la correction et le profit des autres, et non point dans le but d’opprimer des innocents. Comparée au pouvoir des bons, la puissance des méchants ne mérite-t-elle pas qu’on leur adresse ces paroles du psaume : « Pourquoi celui qui se glorifie, se glorifie-t-il dans la malice ? » 8. « Votre langue a médité l’injustice, elle « a pensé tout le jour à l’iniquité n » ; tout « le jour » ; c’est-à-dire en tout temps, sans éprouver de lassitude, sans interruption, sans repos. Quand tu ne fais pas le mal, tu y penses, en sorte que tes mains sont vides d’iniquité, ton cœur en est rempli. Tu fais du mal ; et, si tu ne peux en faire, tu en dis, c’est-à-dire, la médisance sort de tes lèvres, et lorsque tu ne peux même en venir jusque-là, tu veux et tu penses le mal. « Tout le jour » signifie donc sans cesse. À un pareil homme nous souhaitons un châtiment. Mais n’est-il pas pour lui-même un châtiment assez sévère ? Tu le menaces ; lorsque tu le menaces, où veux-tu le jeter ? dans le malheur ? abandonne-le à lui-même. Pour le punir exemplairement, tu veux le livrer aux bêtes. Celles-ci peuvent bien déchirer son corps ; mais il est, lui, incapable de ne pas se déchirer le cœur. Au dedans il est son propre supplice, et tu voudrais le tourmenter au-dehors ? 2 vaut mieux prier Dieu pour lui, afin qu’il soit délivré de lui-même. Remarquez-le toutefois, mes frères, il n’y a dans ce psaume ni prière en faveur des méchants, ni imprécation contre eux, nous ne devons y voir que l’annonce de ce qui leur adviendra ; ne vous imaginez donc pas que le psalmiste, animé de mauvais vouloir envers eux, ait voulu manifester dans ses paroles les sentiments de son cœur, il n’a fait qu’une prophétie. Voyons ce qui suit. Toute ta puissance, toutes ces pensées iniques que tu nourrissais en ton âme durant le jour ; ces réflexions malignes, sans cesse exprimées par ta langue, à quoi ont-elles abouti ? quel en est le résultat ? « Tu as fait le mal comme un rasoir affilé ». Voilà bien ce que les méchants font aux bons, ils leur rasent les cheveux. Mépriser les biens de la terre et la vie même, telle est la disposition d’esprit où se trouvent les vrais citoyens de Jérusalem, parce qu’ils écoutent cette parole de leur Seigneur et Roi : « Ne craignez point ceux qui ne peuvent tuer que le corps et ne peuvent tuer l’âme o ». Parce qu’ils ont entendu ces autres paroles de l’Évangile qu’on a lues tout à l’heure : « Que sert-il à l’homme de gagner tout le monde entier, s’il vient à perdre son âme p ? » que peut faire le rasoir de Doëch à un homme qui pense ici-bas au royaume des cieux, et qui doit plus tard y demeurer, à un homme qui possède Dieu en lui-même et qui doit être éternellement uni avec Dieu ? Encore une fois, que peut lui faire ce rasoir ? Il lui rasera les cheveux ; il le rendra chauve. Telle a été la destinée du Christ, puisqu’il a été crucifié au sommet du Calvaire. Il en fait un enfant de Coré, qui veut dire Chauve. Par cheveux on entend les choses superflues d’ici-bas ; non point que Dieu ait fait des cheveux un ornement inutile du corps humain, mais comme on peut les couper sans faire souffrir la personne à laquelle on les coupe, ceux qui s’attachent cordialement à Dieu considèrent les biens de la terre du même œil que s’ils étaient des cheveux. Parfois néanmoins tu dois te servir de ces cheveux pour opérer le bien ; par exemple, partager ton pain avec celui que la faim tourmente, recevoir en ta maison l’indigent dépourvu d’un toit protecteur, vêtir le malheureux que tu vois condamné à la nudité. Les martyrs qui ont répandu leur sang pour l’Église à l’imitation du Seigneur et entendu celte parole : « Comme le Christ a donné son urne pour nous, nous devons aussi la donner pour nos frères q », les martyrs se sont en quelque façon servis de leurs cheveux pour nous faire du bien ; ils se sont dépouillés en notre faveur de ce que le rasoir de Doëch peut nous ôter d’une manière plus ou moins absolue. Que l’on puisse faire du bien à l’aide de ces cheveux, la femme pécheresse nous en a donné la preuve : prosternée aux pieds du Seigneur elle avait amèrement pleuré ; après les avoir arrosés de ses larmes, elle les essuya avec ses cheveux. Quelle leçon devons-nous tirer delà ? c’est qu’en usant de miséricorde à l’égard d’autrui, tu dois encore lui venir en aide, si tu le peux. Lorsque tu prends pitié de lui, tu sembles verser sur lui des larmes ; tu les essuies avec tes cheveux, quand tu lui procures ton secours. Si telle doit être notre conduite envers tous les hommes, à plus forte raison devons-nous agir de la sorte dès qu’il est question des pieds du Seigneur. Or, quels sont-ils ? Ce sont les saints prédicateurs de l’Évangile dont il est écrit : « Qu’ils sont beaux les pieds de ceux qui annoncent la paix, de ceux qui annoncent les biens r ! » Que Doëch aiguise donc sa langue comme un rasoir, que ses machinations deviennent plus ténébreuses encore, qu’il emploie à les ourdir toute sa malice ; il nous enlèvera toutes les superfluités de cette vie passagère, mais pourra-t-il nous arracher les biens nécessaires qui subsisteront éternellement ? 10. « Tu as préféré la malice à la bonté ». Tu avais devant toi la bonté, n’aurais-tu point dû l’aimer ? Il n’aurait fallu ni dépense, ni lointaine navigation pour la posséder ; devant toi se trouvent la bonté et la méchanceté ; compare-les et choisis ; mais peut-être as-tu un œil pour voir la méchanceté et n’en as-tu pas pour voir la bonté. Malheur au cœur méchant ! Le pire est qu’il se détourne pour ne point voir ce qui frappe ses regards. C’est bien de telles gens qu’il a été écrit : « Il n’a pas voulu avoir l’intelligence pour faire le bien » Nous ne pouvons croire qu’il n’ait pu, car il est dit : « Il n’a pas voulu avoir l’intelligence pour faire le bien ». Il a fermé les yeux à la lumière qu’il avait devant lui. Nous lisons ensuite : « Il s’est livré à des pensées iniques, jusque sur son lit s », c’est-à-dire, dans le plus profond secret de son cœur. Voilà ce que le Psalmiste reproche à cet Iduméen Doëch, à cet ensemble d’hommes méchants, sans cesse agités d’un mouvement terrestre, passager et non céleste. « Tu as préféré la malice à la bonté ». Veux-tu être assuré que le méchant voit distinctement l’une et l’autre, qu’il se détourne de l’une et choisit l’autre ? Voici la preuve. Pourquoi se plaint-il, lorsqu’il est victime de quelque injustice ? Pourquoi exagère-t-il autant que possible le mal dont il soutire, et fait-il l’éloge de la bonté ? Pourquoi blâme-t-il son persécuteur d’avoir préféré pour lui le mal au bien ? Qu’il soit donc à lui-même sa – propre règle de vie, c’est d’après lui-même qu’il sera jugé, s’il fait ce qui est écrit : « Vous aimerez votre prochain comme vous-même t » ; et : « Faites aux autres le « bien que vous voulez qu’ils vous fassent u ». Il trouve dans le fond de son cœur la connaissance de ce principe : il ne faut point faire à autrui ce que nous ne voudrions point qui nous fût fait à nous-mêmes. « Tu as préféré la malice à la bonté » ; homme injuste, déréglé et pervers, tu veux mettre l’eau au-dessus de l’huile, mais l’eau reprendra le dessous et l’huile le dessus Tu prétends soumettre la lumière aux ténèbres, mais les ténèbres disparaîtront et la lumière restera. Tu veux placer la terre au-dessus du ciel : entraînée par son propre poids, elle reviendra bientôt en son lieu. Tu périras donc comme submergé, en préférant le mal au bien, car jamais le mal ne vaincra le bien : « Tu as préféré le mal au bien, tu as mieux aimé dire des injustices que parler selon l’équité ». Devant mi l’iniquité et la justice se trouvent, tu n’as qu’une langue et tu la tournes où bon te semble ; pourquoi donc la tournes-tu plutôt du côté de l’iniquité que du côté de la justice ? Tu ne voudrais point te nourrir d’aliments amers, et tu donnes à ta maligne langue l’iniquité pour nourriture. Puisque tu choisis tes aliments, choisis de même tes paroles. Tu donnes à l’iniquité la préférence sur la justice, tu mets la malice au-dessus de la bonté ; mais quoi que tu fasses, qu’est-ce qui prendra le dessus, sinon la justice et la bonté ? En te plaçant d’une certaine manière sur ce qui doit, nécessairement prendre le dessous, non seulement tu ne réussiras jamais avec tes appuis à dominer le bien, mais tu te précipiteras avec eux dans le mal ; voilà pourquoi le Psalmiste ajoute : 11. « Tu as aimé toutes les paroles de submersion v ». Dérobe-toi, si tu le peux, au danger de périr submergé Tu fais naufrage et tu t’accroches à du plomb. Si tu ne veux pas noyer, saisis donc une table, monte sur du bois ; que la croix soit ta sauvegarde, si tu ne veux pas noyer. Mais parce que tu es Doëch, Iduméen, parce que tu es ébranlé et terrestre, que fais-tu ? « Tu aimes toutes les paroles de ruine et la langue trompeuse ». Cette langue est venue la première et à sa suite les paroles de ruine. Qu’est-ce qu’une langue trompeuse ? C’est un instrument de fourberie au service de ceux qui pensent une chose et qui en « lisent une autre. Le fruit de tout cela, c’est le bouleversement et la ruine. 12. « C’est pourquoi Dieu te détruira à la fin w », quoique tu sembles en ce moment aussi vigoureux que l’herbe des champs paraît l’être avant de subir les ardeurs du soleil. Car toute chair n’est que de l’herbe, et l’éclat de l’homme ressemble à la fleur de l’herbe. L’herbe s’est desséchée, sa fleur est tombée, mais la parole de Dieu demeure éternellement x. Attache-toi donc à ce qui demeure éternellement. Si tu t’attaches à l’herbe et à sa fleur, Dieu te détruira à la fin, parce que l’herbe se desséchera et que sa fleur tombera. Il te détruira sinon aujourd’hui, du moins à la fin, quand il prendra le van et qu’il séparera le tas de paille de la masse du froment. Est-ce qu’alors on ne renfermera pas le bon grain dans les celliers ? Est-ce qu’on ne jettera pas la paille dans le feu ? Est-ce que Doëch tout entier ne se tiendra pas à sa gauche, au moment où le Seigneur dira : « Allez au feu éternel qui a été préparé au diable et à ses anges ? » « Dieu te détruira donc à la fin, il t’arrachera et te fera sortir de ta tente ». L’Iduméen Doëch est sous la tente, mais le serviteur ne demeurera pas toujours dans la maison de son père y. Il fait encore un peu de bien, sinon par ses œuvres, du moins par la parole de Dieu, car tout en cherchant son profit dans le service de l’Église, il prêche encore la parole du Christ. Mais il te fera sortir de ta tente. « En vérité, je vous le dis, ils ont reçu leur récompense ». « Et il arrachera ta racine de la terre des vivants ». Nous devons donc avoir notre racine dans la terre des vivants. Puisse-t-elle y être ! La racine est cachée ; on voit les fruits, mais on ne peut voir la racine. Notre racine, c’est la charité ; nos fruits, ce sont nos bonnes œuvres : tes bonnes œuvres doivent donc provenir de la charité, et alors ta racine se trouve dans la terre des vivants. Doëch en sera arraché, il est impossible qu’il y reste, parce qu’il n’y a point jeté profondément ses racines ; il ressemble aux plantes dont la semence a été jetée sur, la pierre : elles poussent bien des racines, mais comme elles manquent de terre, elles se dessèchent aussitôt que le soleil se lève z. Pour ceux qui enfoncent profondément leurs racines, l’Apôtre leur dit : « Je fléchis pour vous les genoux devant le Père de Notre-Seigneur Jésus-Christ, afin que vous soyez enracinés et fondés dans la charité ; et, comme vous avez jeté là vos racines, afin que vous puissiez connaître quelle est la hauteur, la largeur, la longueur et la profondeur, et comprendre aussi l’amour de Jésus-Christ envers nous, amour qui surpasse toute connaissance, pour être comblés de toute la plénitude des dons de Dieu ». Une racine si grande, si simple, si féconde, si profondément affermie est bien digne de produire de pareils fruits. Mais la racine de Doëch sera arrachée de la terre des vivants. 13. « Et les justes verront et ils seront saisis de crainte, et ils riront de lui » aa. Quand craindront-ils ? quand riront-ils ? Cherchons à le comprendre et. à bien voir en quel temps l’on peut craindre et rire d’une manière vraiment utile. Pendant le cours de notre pèlerinage ici-bas, prenons garde de rire, dans la crainte de pleurer ensuite. Nous lisons ce que l’avenir réserve à Doëch, et parce que nous le comprenons et le croyons, nous voyons, mais nous craignons. Il a donc été dit : « Les justes verront et seront saisis de crainte ». À la vue de ce qui adviendra finalement aux méchants, pourquoi tremblons-nous ? parce que l’Apôtre a dit : « Opérez votre salut avec crainte et tremblement ab ». Pourquoi avec tremblement ? « Que celui qui croit être ferme prenne garde de tomber ac ». Pourquoi avec tremblement ? parce qu’il est dit en un autre endroit : « Mes frères, si quelqu’un est tombé par surprise en quelque faute, vous qui êtes spirituels, ayez soin de le relever dans un esprit de douceur, chacun de vous pensant à lui-même et craignant d’être tenté de la même manière ad ». Donc ceux qui sont justes aujourd’hui, qui vivent de la foi et qui connaissent l’avenir réservé à Doëch, craignent pour eux-mêmes le même sort, car ils savent se qu’ils sont aujourd’hui, ils ignorent ce qu’ils seront demain. « Les justes verront d’abord, et ils craindront », et quand riront-ils ? quand le règne de l’iniquité sera venu à son terme ; lorsque le temps de l’incertitude aura disparu, comme il a déjà disparu en grande partie : quand se seront évanouies les ténèbres de ce monde, au milieu desquelles nous ne marchons que guidés par la lumière des Écritures, et toujours tourmentés par la crainte de nous perdre dans les ombres de la nuit. Nous marchons en effet à la clarté de la prophétie ; car voici ce que nous dit l’apôtre saint Pierre : « Nous avons les oracles des prophètes, dont la certitude ne laisse aucun doute et auxquels vous ferez bien de vous arrêter comme devant une lampe qui luit dans un lieu obscur jusqu’à ce que le jour commence à vous éclairer et que l’étoile du matin se lève en vos cœurs ae ». Tant que nous marchons à la lumière d’une lampe, il nous faut vivre avec le sentiment de la crainte ; mais quand sera venu pour nous le véritable jour, c’est-à-dire quand aura lieu cette manifestation du Christ dont l’Apôtre nous parle en disant : « Lorsqu’apparaîtra. Jésus-Christ votre vie, vous « paraîtrez aussi avec lui dans sa gloire af », alors les justes riront de Doëch, alors le temps de lui venir en aide sera passé : aujourd’hui si tu vois un homme de mauvaise conduite, tu travailles à le corriger ; car celui qui vit dans l’injustice, peut se convertir et redevenir bon, comme le juste est capable de perdre son innocence et de devenir coupable. Tu ne dois donc ni avoir de toi trop bonne opinion, ni désespérer d’autrui. Si donc tu es bon, si tu ne préfères point le mal au bien, mets tous tes soins, à ramener dans b chemin droit celui qui marche dans la voie de l’iniquité. Mais quand aura sonné l’heure du jugement, il n’y aura plus lieu à correction, ce sera le moment de la condamnation ; et si alors on se repent, le repentir sera inutile, parce qu’il viendra trop tard. Veux-tu que ta pénitence soit profitable ? N’attends pas, corrige-toi dès aujourd’hui tu es coupable, Dieu est ton juge, efface tes fautes et l’approche de ton juge te remplira de joie. Aujourd’hui il t’exhorte à la conversion afin de n’avoir pas à te juger ; il te demandera plus tard un compte rigoureux, aujourd’hui il se fait ton avocat. Alors donc, mes frères, ce sera le temps de rire. Le livre de la Sagesse nous parle clairement de ces moqueries adressées aux justes par les méchants. Car la Sagesse elle-même, prenant possession des âmes pures, leur fera tenir ce langage : « Je vous reprenais et vous ne m’écoutiez pas, je vous parlais et vous ne prêtiez pas l’oreille à mes discours ; aussi je rirai lorsque je verrai votre perdition ag ». Ainsi les justes parleront-ils à Doëch. Voyons aujourd’hui et tremblons, dans la crainte de nous entendre dire de semblables paroles ; et, si nous ressemblons à Doëch, corrigeons-nous, afin que vivant aujourd’hui sous l’empire de la crainte, nous puissions plus tard nous livrer à la joie. 14. Que diront alors ceux qui riront ? « Et ils se moqueront de lui et ils diront : Voilà l’homme qui n’a pas mis en Dieu son appui ah ». Vous le voyez, il est ici question du l’assemblée des hommes terrestres. Plus de biens tu auras, plus grand tu seras : voilà bien la manière dont s’expriment les avares, les ravisseurs du bien d’autrui, les oppresseurs de l’innocence, les envahisseurs des propriétés qui ne leur appartiennent pas, ceux qui refusent de rendre les dépôts à eux confiés. Plus tu posséderas, plus grand tu seras c’est-à-dire, la mesure de ta fortune en argent et en propriétés sera la mesure de ta puissance : « Voilà l’homme qui n’a pas mis en Dieu son appui, mais qui a placé son espérance dans la grandeur de la fortune ». Un pauvre méchant dira peut-être : Je ne suis pas du nombre de ces gens-là, parce que le Prophète a dit. « Il a mis son espérance dans la grandeur de sa fortune » ; puis, jetant les yeux d’une part sur ses haillons, d’autre part, sur son voisin, qui fait partie du peuple de Dieu, mais qui est riche et bien mieux vêtu que lui, il se dira encore intérieurement : Le Prophète a voulu parler de celui-ci : il n’a pas pu parler de moi. Ne t’y trompe pas, il n’y a ni distinction ni exception à faire en ta faveur. Vois et crains, afin de rire plus tard. Les ressources te manquent, mais si ton cœur est rongé par la convoitise, en es-tu plus innocent ? Notre-Seigneur Jésus-Christ dit un jour à un riche : « Va, vends ce que tu possèdes ; donne-le aux pauvres, tu auras un trésor dans le ciel, viens et suis-moi ». Cet homme s’éloigna le cœur chagrin, le Seigneur avait alors donné aux riches un grand sujet de craindre pour leur salut, car il avait ajouté qu’« il serait plus facile à un chameau de passer par le trou d’une aiguille, qu’à un riche d’entrer dans le royaume des cieux. À ces mots, ses disciples contristés se dirent les uns aux autres : S’il en est ainsi, qui est-ce qui pourra se sauver ai ? » En parlant de la sorte ne faisaient-ils attention qu’au petit nombre des riches ? L’innombrable multitude des pauvres n’occupait-elle point leur pensée ? Ne pouvaient-ils pas se dire : Puisqu’il est aussi difficile, aussi impossible à des riches d’entrer dans le royaume des cieux qu’à un chameau de passer par le trou d’une aiguille, tous les pauvres entreront dans le ciel, les riches seuls en seront exclus ? Y a-t-il beaucoup de riches ? la multitude des pauvres est immense, on les compte par milliers. Ce n’est point de nos vêtements, mais de l’éclat de notre justice que dépendra notre gloire dans le royaume céleste. Les pauvres y seront égaux aux anges de Dieu, revêtus de la robe de l’immortalité, ils brilleront de l’éclat du soleil dans le royaume de leur père. Pourquoi donc nous inquiéter, pourquoi nous tourmenter d’un si petit nombre de riches ? Mais ce n’était point là la pensée des Apôtres ; et lorsque le Seigneur leur disait : « Il serait plus facile à un chameau de passer par le trou d’une aiguille qu’à un riche d’entrer dans le royaume des cieux », et qu’ils demandaient : « Qui est-ce qui pourra se sauver ? » ils avaient en vue les convoitises et non la fortune. Ils voyaient en effet que les pauvres eux-mêmes sont rongés par l’avarice, malgré leur pénurie. L’avarice, voilà la cause de la condamnation des riches ; ce n’est pas leur aisance, et pour vous en assurer, remarquez bien ce que je dis : Ce riche que tu vois à. tes côtés e de la fortune et n’est peut-être pas avare ; pour toi tu ne possèdes rien, mais la soif des richesses te dévore. Un pauvre couvert d’ulcères, accablé de maux, léché par des chiens, n’ayant ni ressources, ni aliments, ni même de quoi se vêtir, a été emporté par les anges dans le sein d’Abraham aj. À ce souvenir tu te réjouis d’être pauvre ; est-ce que tu désirerais aussi les ulcères de Lazare ? Est-ce que la santé n’est pas pour toi une véritable fortune ? Lazare a tiré son mérite, non de sa pauvreté, mais de sa piété. Qui est celui qui a été emporté par les anges ? Tu le vois ; où a-t-il été emporté ? Tu ne le vois pas. Quel est-il ? Un pauvre accablé de maux et couvert d’ulcères. Où les anges l’ont-ils transporté ? Dans le sein d’Abraham. Si tu lis les Écritures, tu verras qu’Abraham était riche ak. Sache-le bien, les richesses ne sont point blâmables, car Abraham possédait de l’or en abondance, aussi bien que de l’argent, des troupeaux, des serviteurs ; en un mot, il était riche, et c’est dans son sein que le pauvre Lazare s’est vu transporter. Oui, un pauvre a été reçu dans le sein d’un riche : quel contraste ! Mais non, ils étaient tous deux riches de Dieu ; ils étaient l’un et l’autre pauvres de convoitises. 15. Qu’est-ce donc que l’Écriture condamne en Doëch ? Elle ne dit pas : Voilà l’homme qui a été riche ; mais : « Voilà l’homme qui n’a point mis en Dieu son appui, qui a placé sa confiance dans ses grandes richesses ». Il est condamné, puni, enlevé de sa tente, comme un tourbillon tout terrestre, comme la poussière que le vent emporte de dessus la surface de la terre : il est déraciné et arraché de la terre des vivants, non parce qu’il a été riche, mais parce qu’il a placé ses espérances dans sa fortune au lieu de les placer en Dieu al. Est-ce de pareils riches que parle l’apôtre saint Paul quand il dit : « Ordonne aux riches de ce monde de ne pas être orgueilleux » comme Doëch, « et de ne pas mettre leur confiance en des richesses incertaines et périssables », comme Doëch qui a mis son appui dans leur multitude ; mais d’espérer dans « le Dieu vivant » et de ne pas ressembler à Doëch qui « n’a pas pris Dieu pour son appui ? » Enfin, que leur recommande-t-il encore : « Qu’ils soient riches en bonnes œuvres, qu’ils donnent facilement, qu’ils partagent avec les pauvres am ». S’ils donnent facilement, s’ils partagent leurs biens avec ceux qui n’en ont pas, passeront-ils par le trou de l’aiguille ? Oui, ils y passèrent, car le chameau y a passé avant eux et pour eux. Il y est en effet entré le premier, celui qui a dû s’abaisser à l’exemple d’un chameau, pour pouvoir être chargé du fardeau de sa passion ; d’ailleurs il a dit lui-même : Ce qui est impossible à l’homme est facile à Dieu an. Que Doëch soit donc condamné et que les justes trouvent maintenant en lui un sujet de crainte. Tu as peut-être de la fortune, mais au lieu d’espérer en elle, tu espères en Dieu. Celui qui ne suit pas ton exemple et qui ne cherche pas son appui dans le Seigneur est à juste titre condamné : « Et il a placé son espérance dans « la multitude de ses richesses », pareil en cela à ceux qui disent : Bienheureux le peuple qui possède ces choses, c’est-à-dire, les biens de la terre ; tandis que les adversaires de Doëch répètent : « Bienheureux le peuple qui a pour Dieu le Seigneur ». Le Psalmiste énumère tous les biens qui, selon eux, font le bonheur d’un peuple, car ils parlent comme des enfants étrangers, comme Doëch l’Iduméen, le terrestre : « Leur bouche s’est répandue en vanité, et leur droite est une droite d’iniquité ; leurs enfants sont dans leur jeunesse comme de nouveaux plans d’arbres ; leurs filles sont parées et ornées comme l’est un temple ; leurs celliers sont remplis ; ils regorgent et se déversent l’un dans l’autre : « leurs vaches sont grasses, la clôture de leurs héritages n’est ni brisée ni ouverte à tout venant, on n’entend aucun cri dans leurs places publiques ao ». Ils semblent trouver dans cette tranquillité d’ici-bas une félicité sans bornes. Mais celui qui est terrestre est aussi ébranlé que la poussière enlevée par le vent de dessus la surface de la terre. Mais enfin, que leur reproche-t-on ? On ne leur reproche pas de jouir de tous ces biens, car il y a des justes qui les possèdent aussi. Alors que leur reproche-t-on ? Écoutez-moi attentivement et vous ne blâmerez point, indistinctement tous les riches, comme vous ne ferez ni de la pauvreté ni des privations auxquelles elle condamne, un titre assuré de salut. Car s’il ne faut point s’appuyer sur les richesses, il ne faut pas davantage compter sur les mérites de la pauvreté ; le Dieu vivant doit être seul le fondement de notre espérance. Encore une fois, que leur reproche-t-on donc ? d’avoir proclamé bienheureux le peuple qui jouit de ces avantages, et d’avoir par conséquent agi comme des enfants étrangers ; « d’avoir parlé le langage de la vanité, d’avoir eu en leur droite une droite d’iniquité ». Et toi, que diras-tu ? « Bienheureux le peuple qui a pour Dieu le Seigneur ». 16. Il est condamné l’homme « qui amis sa confiance dans la grandeur de ses richesses et qui s’est prévalu dans sa vanité », car y a-t-il pensée plus vaine que celle d’attribuer à une pièce de monnaie un pouvoir supérieur à celui de Dieu ? Il est condamné l’homme qui a proclamé bienheureux le peuple riche des biens de la terre. Mais toi qui dis : « Heureux le peuple qui a pour Dieu le Seigneur », que penses-tu de toi ? Où places-tu tes espérances ? « Pour moi », ce sont tous les justes qui parlent ici : « Pour moi, je suis comme un olivier fertile dans la maison de mon Dieu ». Ce langage n’est pas seulement celui d’un homme, c’est le langage de l’olivier fertile dont les rameaux orgueilleux ont été retranchés, et sur lequel on a greffé l’humble olivier sauvage ap. « Pareil à un olivier fertile dans la maison de mou Dieu, j’ai mis mon espérance dans la miséricorde du Seigneur ». Doëch a dit : « J’ai placé mon espérance dans la multitude de mes richesses » : ainsi il sera déraciné et arraché de la terre des vivants. Pour moi, parce que je suis pareil à un olivier fertile dans la maison du Seigneur », dont les racines vont puiser leur sève dans cette terre des vivants au lieu d’en être arrachées, j’ai mis toute ma confiance dans la miséricorde divine ». Mais peut-être y a-t-il là une réserve. Parfois, en effet, il est des hommes qui se trompent à cet égard, ils adorent Dieu et sous ce rapport ils ne ressemblent point à Doëch ; mais s’ils espèrent en Dieu, c’est dans la vue d’en obtenir des biens temporels, c’est comme s’ils se disaient : J’adore mon Dieu, aussi il me rendra riche, il me donnera des enfants, il m’accordera une Épouse. Dieu seul peut distribuer de tels dons, mais il ne veut point qu’on l’aime dans l’intention d’en obtenir la jouissance, car souvent il les accorde aux méchants, afin d’apprendre aux justes à attendre de sa part autre chose. En quel sens dis-tu donc : « J’ai placé mon espérance dans la miséricorde divine ? » N’est-ce point pour obtenir du Seigneur des avantages temporels ? Non. « J’ai placé mon espérance dans la miséricorde divine pour toujours, pour les siècles des siècles ». À ces paroles : « Pour toujours », il a voulu ajouter ces autres : « Pour les siècles des siècles », afin de montrer plus clairement par cette répétition combien solidement il était établi dans l’amour des choses célestes, dans l’espérance de l’éternel bonheur. 17. Je vous bénirai à jamais et je confesserai que c’est vous qui l’avez fait aq ». Qu’avez-vous fait ? Vous avez condamné Doëch et couronné David : « Je vous bénirai à jamais et je confesserai que c’est vous qui l’avez fait ». Magnifique aveu : « Vous l’avez fait ». Qu’avez-vous fait, sinon ce qui a été dit tout à l’heure : « Pareil à un olivier fertile dans la maison, de mon Dieu, j’ai placé mon espérance dans la miséricorde du Seigneur pour toujours, pour les siècles des siècles ? » C’est votre œuvre ; l’impie est incapable par lui-même de se justifier. Quel est donc celui qui rend juste et saint ? « Croyant en celui qui justifie l’impie », dit saint Paul. « Qu’as-tu en effet que tu n’aies reçu ar ? » Comme si tu pouvais le trouver en toi-même ! A Dieu ne plaise que je me glorifie de la sorte, dit l’homme qui s’est déclaré contre Doëch, qui le supporte ici-bas, en attendant qu’il sorte de sa tente et soit arraché de la terre des vivants. Je ne me glorifie point comme si je n’avais rien reçu, je me glorifie en Dieu. Et je confesserai devant vous que vous l’avez fait ; c’est-à-dire, vous l’avez fait sans aucun mérite de ma part, c’est un effet de votre miséricorde. Qu’ai-je fait, moi ? si vous vous le rappelez : « J’ai été d’abord un blasphémateur, je vous ai persécuté, je vous ai insulté ». Et vous qu’avez-vous fait ? J’ai obtenu miséricorde, parce que j’ai agi dans l’ignorance as. Je confesserai à jamais devant vous que vous l’avez fait ». 18. « Et j’attendrai votre nom, parce qu’il est doux ». On ne rencontre qu’amertumes en ce monde, mais votre nom est rempli d’agréments ; et si l’on trouve ici-bas quelques douceurs, quelles amertumes on ressent quand on les a goûtées ! La grandeur et la douceur donnent à votre nom la prééminence sur toutes choses. Les méchants m’ont fait le récit de leurs plaisirs ; mais, Seigneur, que leurs charmes sont loin de ressembler à ceux de votre loi at ! Si les martyrs n’avaient trouvé aucune douceur dans leurs tourments, auraient-ils pu en supporter les amertumes ? Il était facile pour tous de voir en quelles amertumes ils étaient plongés, mais on ne pouvait guère éprouver la joie qu’ils ressentaient. Le nom de Dieu est donc plein de charmes pour ceux qui préfèrent le Seigneur à tous les plaisirs : « J’attendrai votre nom, parce qu’il est doux ». Mais à qui prouver que le nom de Dieu est doux ? Dis-moi quelle personne peut en savourer les délices ? Fais du miel toutes les louanges possibles ; exagère autant que tu voudras sa douceur ; l’homme qui ne connaît pas le miel ne te comprendra pas avant d’en avoir goûté. Voilà pourquoi le Psalmiste t’invite d’une manière si pressante à faire l’expérience des charmes du nom de Dieu : « Goûtez », dit-il, « et voyez combien le Seigneur est doux au ». Tu ne veux pas le goûter et tu dis : Il est doux. À quoi sert de parler ainsi ? Si tu l’as goûté, qu’on le voie dans les fruits de salut que tu produiras, et non pas seulement dans tes paroles, c’est-à-dire dans tes feuilles, parce que tu pourrais bien être maudit de Dieu comme le figuier stérile av. « Goûtez », dit le Psalmiste, « et voyez combien le Seigneur est doux ». « Goûtez et voyez ». Si tu goûtes, tu verras. Mais comment en viendras-tu à persuader un homme qui ne goûte pas ? Quels que soient tes efforts à exalter la douceur du nom de Dieu, tes louanges ne seront jamais que des paroles incapables de la faire apprécier ; il en serait tout autrement si tu pouvais la faire savourer. Les impies eux-mêmes entendent les louanges qu’on en fait, mais il n’y a que les saints pour les comprendre. Le Psalmiste sent toute cette douceur du nom de Dieu, il veut en donner une idée et la faire en quelque sorte toucher des yeux, mais il ne trouve personne à qui il puisse expliquer sa pensée ; car, d’une part, les saints qui savourent et connaissent cette douceur du nom de Dieu, n’ont aucunement besoin d’en entendre parler ; d’autre part, les impies sont incapables d’apprécier ce qu’ils ignorent. Que faire alors ? Comment parler de cette douceur du nom de Dieu ? Il se sépare aussitôt de la foule des méchants et il dit : « J’attendrai votre nom, parce qu’il est doux en présence de vos saints ». Votre nom n’est pas doux en présence des impies, mais je sais à qui sa douceur est bien comme, c’est à ceux qui en ont fait l’expérience.VINGT-DEUXIÈME SERMON. SUR CES PAROLES DU PSAUME 51, v. 10 « J’AI ESPÉRÉ DANS LA MISÉRICORDE DE DIEU ». ▼▼Dans le Codex, fol. 74, on lit : « Sermon de saint Augustin, évêque ». Il parle avec beaucoup d’éclat de l’espérance humaine et de l’espérance divine. On croit, d’après l’exorde, qu’il le prêcha le soir. On ne sait quel fut cet évêque qui préféra la charité tranquille à la charité inquiète. Possidius, dans son Indiculus Opp, c.8, fait mention d’un sermon sur la charité inquiète, que l’on retrouverait peut-être, si les fureteurs de bibliothèques ne se contentaient point de parcourir les tables ou les titres. Possidius, au même endroit, fait mention de celui-ci.
ANALYSE.—1. Combien doit durer notre espérance.—2. Les espérances humaines traînent en longueur, sont vaines, trompeuses.—3. Quand est-ce que notre espérance est vraie. 1. Il me faut répondre tout d’abord à mon frère, à mon collègue dans l’épiscopat. J’ai avancé, le matin, que la charité n’est pas tranquille, point paresseuse ; mais puisqu’il l’a voulu, nous obéirons et à lui, et à Dieu par lui, et à vous, demandant au Seigneur qu’il mette en vous l’obéissance. Nous venons de chanter : « J’ai espéré dans la miséricorde de Dieu ax ». Disons un mot de notre espérance. Quand il en sera temps, nous mettrons un terme aux paroles de notre discours, mais l’espérance dont il est question doit durer toujours, et ne point finir avec notre discours lui-même. Que nous parlions et que nous cessions de parler, notre espérance crie incessamment vers le Seigneur. Toutefois l’espérance elle-même (ce que je vais dire paraîtra dur, sans doute, mais ne blessera personne, j’ai la confiance que ma parole bien expliquée sera inoffensive), cette même espérance n’aura point une éternelle durée. Quand la réalité sera venue, il n’y aura plus d’espérance. Elle porte en effet ce nom d’espérance, tant que nous ne possédons pas la réalité, selon cette parole de l’Apôtre : « L’espérance que l’on voit n’est plus une espérance. Comment espérer ce que l’on voit ? Or, si nous espérons ce que nous ne voyons pas, nous l’attendons par la patience ay ». Si donc l’espérance que l’on voit n’est plus une espérance, puisque nul ne saurait espérer ce qu’il voit, et qu’elle porte ce nom d’espérance parce qu’elle a pour objet ce que nous ne voyons point ; quand cet objet sera devenu visible, alors il n’y aura plus espérance, mais réalité. Ce ne sera point alors une malédiction d’être sans espérance ; tandis que maintenant, vivre sans espérance, c’est pour chacun une malédiction, un opprobre. Malheur à celui qui est sans espérance en cette vie ! Vivre en effet sans espérance est un grand malheur ici-bas, puisque nous ne tenons pas la réalité. Mais en face de la réalité, arrière toute espérance. 2. Toutefois, cette réalité que nous tiendrons alors, quelle est-elle ? Qu’est-ce qui doit succéder à l’espérance ? Nous rencontrons bien des hommes qui nourrissent beaucoup d’espérances terrestres et purement de cette vie. Pour nul homme la vie n’est sans espérance, et cette espérance ne s’éteint qu’à la mort. Pour les enfants, il y a espérance de grandir, de s’instruire, de connaître. L’adolescent a pour espérance le mariage, des enfants. Les parents ont l’espérance de nourrir leurs enfants, de les instruire, de voir grandir ceux qu’ils ont cajolés dans leur enfance. En sorte qu’on pourrait dire que c’est l’espérance qui domine dans la vie humaine, que c’est ce qu’il y a de plus naturel, de plus excusable et de plus vulgaire. Il est en effet bien des espérances vulgaires et très-répréhensibles ; mais bornons-nous à la plus honnête, à la plus naturelle. Chacun ne vient au monde que pour croître, pour s’unir par le mariage, pour avoir des enfants, les instruire, être appelé près de ses enfants. Que cherche-t-il de plus ? Là ne se borne point son espérance. Il aspire à donner des épouses à ses fils ; il l’espère encore. A-t-il atteint ce but, qu’il désire des petits-fils. Quand il en a, quand il est à sa troisième génération, le voilà vieillard, mais cédant à regret sa place à ses petits-fils. Il cherche encore ce qu’il pourrait désirer, ce qu’il pourrait espérer, et il se drape de bienveillance. Puisse, dit-il, cet enfant m’appeler grand-père ; puissé-je entendre ce mot de sa bouche et mourir ! L’enfant grandit, l’appelle grand-père ; mais celui-ci ne se regarde point encore comme aïeul. Car s’il est aïeul, s’il est vieillard, pourquoi ne point reconnaître qu’il doit s’en aller et faire place aux autres ? Mais quand il entend ce nom d’honneur dans la bouche d’un enfant, cet enfant, il veut l’instruire. Et pourquoi se refuserait-il l’espérance d’un arrière-petit-fils ? C’est ainsi qu’il meurt, tout en espérant ; qu’il espère tantôt une chose, tantôt une autre chose, quand il a obtenu ce qu’il espérait. Mais voir une espérance réalisée ne le satisfait point, il se jette dans une autre. Pourquoi cette espérance vient-elle à se réaliser ? Assurément, c’est pour mettre un terme à ton voyage ; car ce terme n’est pas reculé. Et combien sont dupes de cette espérance, espérance usée ? D’abord elle ne satisfait point, quand elle se réalise, et combien n’arrivent pas à la réalité ! Combien ont espéré le mariage, sans y arriver ? Combien l’ont espéré, avec celles qu’ils aimaient, ont réussi, pour n’aboutir qu’à des tourments ! Combien ont désiré des enfants sans pouvoir en obtenir ! Combien ont dû gémir de ceux qu’ils avaient obtenus ! Ainsi du reste. Tel désire les richesses, ne les a-t-il point, que le désir le dévore ; les a-t-il, qu’il est torturé par la crainte. Il n’est personne qui cesse d’espérer, personne qui soit rassasié. Les dupes sont en si grand nombre, et toutefois nul n’abandonne ses espérances mondaines. 3. Qu’elle se réalise un jour cette espérance qui n’est point trompeuse, mais qui rassasie, qui nous donnera ce bien qu’on ne saurait dépasser. Quel est donc cet objet de notre espérance, dont la réalisation mettra fin à toute espérance ? Quel est cet objet ? La terre ? Non. Quelque chose qui naît sur la terre, comme l’or, l’argent, un arbre, des moissons, des fleuves ? Rien de tout cela. Quelque chose qui vole dans les airs ? Mon âme l’a en horreur. Serait-ce le ciel, si beau, si étincelant de lumière ? Quoi de plus beau parmi les choses visibles, quoi de plus séduisant ? Ce n’est point cela non plus. Qu’est-ce donc ? Tout cela est beau, est délicieux, plein de charmes. Cherche celui qui a fait tout cela. C’est lui, ton espérance. Il est ici-bas ton espérance, avant d’être plus tard ton bien. L’espérance pour la foi, la réalité pour la vision. Dis-lui : « Vous êtes mon espérance ». Oui, tu as raison de dire ici-bas : « Vous êtes mon espérance ». Car tu crois, tu ne vois pas encore. Tu as la promesse, non la réalité. Tant que tu es dans ce corps, tu es éloigné de Dieu, tu es en chemin, non dans la patrie. C’est Dieu qui te dirige ; celui qui a fait la patrie s’est fait aussi la voie pour t’y conduire. Dis-lui donc maintenant : « Vous êtes mon espérance ». Que sera-t-il ensuite ? « Ma portion dans la terre des vivants az ». Celui-là qui est maintenant ton espérance, sera plus tard ta portion. Qu’il soit ton espérance sur la terre des mourants, et il sera ta portion sur la terre des vivants. Tournons-nous vers le Seigneur, etc.
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