Psalms 55:1
DISCOURS SUR LE PSAUME 54
SERMON AU PEUPLE.
AMOUR DE DIEU ET DU PROCHAIN.
Figuré par David, le chrétien se trouve environné de méchants ; dans ses pénibles épreuves, il a recours à la prière, à l’espérance, à la patience et au pardon. Ses sens se révoltent à la pensée des mauvais traitements auxquels il est en butte ; mais, loin de s’ouvrir à la haine, son cœur s’ouvre à la charité il voudrait mourir, mais l’amour pour le prochain te retient ici-bas. Obligé de rester au milieu de ses ennemis, il se retire du moins dans la solitude de sa conscience, mais il n’y rencontre que le trouble ; alors il recourt de nouveau à la prière, à une prière animée par le pur amour de la gloire de Dieu et la confiance en lui. Son amour pour Dieu lui fait désirer la punition et l’aveuglement de ceux qui le détestent et l’oublient : sa confiance lui fait demander, pour lui-même, d’être éclairé et affermi dans la foi. 1. Le titre de ce psaume est : « Pour la fin, dans les hymnes, intelligence à David a ». Quelle est cette fin ? Nous allons vous l’expliquer, mais en peu de mots, parce que vous le savez déjà. « Jésus-Christ est la fin de la loi, pour justifier tous ceux qui croient en lui b ». Dirigeons donc notre intention vers cette foi ; dirigeons-la vers Jésus-Christ. Pourquoi est-il appelé notre fin ? Parce que nous devons lui rapporter tout ce que nous faisons, et que, quand nous serons parvenus à le posséder, nous n’aurons plus rien, ni à désirer, ni à acquérir. Il y a deux sortes de fins : l’une qui consiste à périr ; l’autre à se perfectionner : on entend ce mot dans un sens ou dans l’autre, suivant les circonstances. Ainsi, quand on dit : Cette viande est finie, on ne donne pas au mot finie la même signification que lorsqu’on dit : Ce vêtement est fini. La manière de s’exprimer est la même dans les deux cas ; mais, dans le premier, on veut dire : ces aliments sont consommés, ils n’existent plus ; dans le second, ce vêtement est achevé, il est parfait. Notre fin doit consister dans notre perfection, et notre perfection, c’est le Christ : c’est en lui que nous devenons parfaits, car nous sommes ses membres, et il est notre chef. On dit qu’il est la fin de la loi, parce que, sans lui, personne ne peut l’accomplir. Lors donc que, dans les psaumes, vous lisez ces mots : « Pour la fin » (et plusieurs d’entre eux portent ce titre), votre pensée ne doit pas s’arrêter à une idée de mort, mais à l’idée de la consommation de la perfection. 2. « Dans les hymnes » : dans les louanges. Que nous soyons dans la tribulation et l’angoisse, ou dans le bonheur et la joie, notre devoir est de louer celui qui nous instruit en nous éprouvant, et qui nous console par ses bienfaits : car la louange de Dieu doit se trouver toujours dans le cœur et sur les lèvres du chrétien. S’il bénit le Seigneur au moment de la prospérité, qu’il ne le maudisse pas à l’heure de l’épreuve, mais qu’il accomplisse cette recommandation du Psalmiste Je bénirai le Seigneur en tout temps : ses louanges se trouveront toujours sur mes lèvres c. Si le bonheur te sourit, reconnais dans la conduite de Dieu à ton égard les caresses d’un père. Es-tu soumis à l’épreuve ? Vois-y la main d’un père qui te corrige. Qu’il te caresse ou te corrige, il t’instruit pour te rendre digne de l’héritage qu’il te réserve. 3. Quel est le sens de ces mots : « Intelligence à David ? » Nous le savons : David était un saint prophète, roi d’Israël, fils de Jessé d ». Mais parce que, selon la chair, Jésus-Christ est sorti de sa race pour notre salut e, il est souvent désigné sous le nom de David : et l’on parle de David en figure, c’est-à-dire pour parler du Christ, à cause de l’origine charnelle qu’il a tirée de David. Sous un rapport, il est fils de David ; et, sous un autre, il en est le Seigneur. Fils de David selon la chair, il en est le Seigneur en tant que Dieu. Si toutes choses ont été faites par lui f, par lui aussi a été créé David, de la race de qui il s’est fait homme. Aussi quand le Sauveur interrogea les Juifs, et leur demanda de qui le Christ était Fils, « ils répondirent : de David ». Voyant qu’ils s’arrêtaient à la chair, et perdaient de vue la divinité, il redressa leur jugement et leur fit cette question : « Comment donc David, parlant sous l’inspiration du Saint-Esprit, l’appelle-t-il son Seigneur en disant : Le Seigneur a dit à mon Seigneur : Asseyez-vous à ma droite, jusqu’à ce que je réduise vos ennemis à vous servir de marchepied ? Si donc David, parlant par le Saint-Esprit, l’appelle son Seigneur, comment peut-il être son Fils g ? » Il leur proposa cette difficulté, mais il ne nia pas qu’il fût le fils de David. Vous voyez qu’il est le Seigneur de David : expliquez-moi comment il en est le Fils ; vous voyez qu’il en est le Fils, dites-moi comment il en est le Seigneur. La foi catholique tranche cette difficulté. Comment est-il le Seigneur de David ? « Parce que au commencement était le Verbe, que le Verbe était en Dieu, que le Verbe était Dieu ». Comment en est-il le Fils ? Parce que le « Verbe s’est « fait chair, et qu’il a habité parmi nous » h. David est la figure du Christ. Le Christ, comme nous l’avons sot dit à votre charité, est tout à la fois tète et corps. Nous ne devons point nous considérer comme lui étant étrangers, puisque nous sommes ses membres : ne nous croyons pas, non plus, autres que lui, parce que, dit l’Apôtre, « ils seront deux dans une même chair : ce sacrement est grand, je dis dans Jésus-Christ et dans l’Église i ». Jésus-Christ, dans son ensemble, est en même temps tête et corps ; nous devons donc appliquer ces paroles : « Intelligence à David », à nous aussi bien qu’au Christ, car nous sommes comme lui, désignés sous le nom de David. Que les membres du Christ aient l’intelligence, que le Christ ait l’intelligence dans ses membres, et que ses membres l’aient en lui, parce que la tête et les membres ne font qu’un seul et même Christ. La tête était dans le ciel, et elle disait : « Pourquoi me persécutes-tu j ? » Nous sommes avec lui dans le ciel par nos espérances, et il est avec nous sur la terre par la charité. Donc, « Intelligence à David ». Puissent les paroles que nous entendons devenir pour nous une source de réflexions ! Puisse l’Église avoir l’intelligence, car c’est pour nous une grave obligation de nous appliquer sérieusement à comprendre de quels maux nous sommes accablés en cette vie, de quels maux nous désirons être délivrés, quand, à la fin de l’Oraison dominicale, nous disons : « Seigneur, délivrez-nous du mal k ». Par un effet de cette intelligence, le Psalmiste déplore ici quelqu’une des nombreuses tribulations dont nous sommes accablés peu dans le cours de notre vie. Pour celui qui n’a point cette intelligence, il ne joint par ses gémissements à ceux du Psalmiste. Nous devons nous le rappeler, nos très-chers frères, si nous avons, comme créatures, des traits de ressemblance avec Dieu, c’est uniquement par notre intelligence. Nous sommes en effet, sous une multitude de rapports, inférieurs aux animaux ; mais ce qui donne à l’homme de la ressemblance avec Dieu, c’est précisément ce qui établit une différence marquée entre lui et les bêtes. De toutes les facultés qu’il a reçues de la munificence divine, la raison seule le distingue des brutes. Ce don, qui nous est propre et particulier, ce don de l’intelligence, que nous tenons de la bonté du Créateur, plusieurs le méprisent : aussi le Seigneur leur fait-il un reproche sévère de leur conduite : « Ne vous rendez point », leur dit-il, « semblables au chevalet au mulet, qui sont privés d’intelligence l ». « L’homme », ajoute-t-il ailleurs, « avait été élevé en dignité ». Quelle était cette dignité, sinon sa ressemblance avec Dieu ? « L’homme », donc, « avait été élevé en dignité, et il ne l’a pas compris : on l’a comparé aux bêtes dépourvues de raison, et il leur est devenu semblable m ». Comprenons bien à quel degré d’honneur nous avons été élevés : ayons intelligence. Si nous avons l’intelligence, il nous est facile de voir que notre demeure d’ici-bas n’est pas le séjour de la joie, mais qu’elle est celui des gémissements : le moment de tressaillir d’allégresse n’est pas encore venu : nous sommes encore condamnés à nous plaindre. Et si la joie habite déjà dans les cœurs, elle est occasionnée par l’espérance, et non par la possession de l’objet que nous désirons. Les promesses divines nous réjouissent, car celui qui nous les a faites n’est point trompeur. Mais, quant au temps présent, apprenez de quels maux, de quelles sollicitudes nous y sommes accablés ; et, si vous êtes dans la bonne voie, remarquez bien que mes paroles s’appliquent à vous-mêmes. Pour celui qui n’est pas encore engagé dans le chemin de la vertu, il s’étonne de voir ces membres de David condamnés à de telles épreuves, parce qu’il ne s’y voit pas exposé. Et, tant qu’il ne ressent point de pareils maux, il n’est point du nombre des membres du Christ ; ce qu’éprouve le corps du Christ, il ne l’éprouve pas, parce qu’il n’en fait pas partie : qu’il y entre, et il verra par sa propre expérience quels sont ces maux. Que le Prophète parle donc ; écoutons-le, et disons avec lui : 4. « Mon Dieu, écoutez ma prière et ne méprisez pas ma demande : soyez attentifs à me secourir et exaucez-moi n ». Ces paroles sont celles d’un homme affligé, accablé d’ennuis et de tribulations. Livré à une épreuve pénible, brûlé du désir d’en être délivré, il a recours à la prière. Il nous reste maintenant à apprendre en quels maux il se trouve plongé ; et, quand il nous l’aura dit, nous devrons reconnaître que nous avons parts à son affliction : unis dans la souffrance, nous le serons aussi dans la prière. « Je suis affligé dans mon exercice, et je suis troublé ». Affligé, troublé, en quoi ? « Dans mon exercice » Il va parler des méchants qui le font souffrir et des épreuves qu’ils lui font subir : voilà son exercice. Ne vous imaginez point que les méchants sont inutiles en ce monde, et que Dieu ne les emploie pas à opérer le bien. Il accorde la vie aux méchants, soit pour leur donner le temps de se convertir, soit afin de les faire servir à éprouver les bons. Puissent ceux qui nous persécutent aujourd’hui, revenir au bien et partager nos épreuves : néanmoins, aussi longtemps qu’ils nous tourmentent, puissions-nous à notre tour ne pas les prendre en haine ! En effet, de ce qu’ils sont aujourd’hui dans la mauvaise voie, il nous est impossible de conclure que, plus tard, ils ne se convertiront pas : bien souvent il arrive que, au lieu de haïr un ennemi comme tu le crois, tu détestes sans le savoir un de tes frères. Les saintes Écritures nous l’attestent : le démon et ses anges sont condamnés au feu éternel : eux seuls ne nous laissent aucun espoir de les voir revenir au bien : nous avons à soutenir contre eux une lutte invisible, et c’est à cette lutte que l’Apôtre veut nous préparer, quand il nous dit : « Nous n’avons pas à combattre contre la « chair et le sang », c’est-à-dire, contre des hommes que nous sommes à même de voir ; « mais contre les principautés et les puissances, contre les princes de ce monde, de ces ténèbres o ». À l’entendre s’exprimer de la sorte, et dire : « de ce monde », tu croirais peut-être que le gouvernement du ciel et de la terre appartient au démon, mais ne t’y trompe pas ; aux mots « de ce monde », il a ajouté : de ces ténèbres. Par « le monde », il a entendu : les amis du monde. « Le monde » selon lui, ce sont les impies et les pécheurs : c’est du monde que l’Évangile a dit : « Le monde ne l’a pas connu p ». Car si le monde n’a pas connu la lumière parce qu’elle luit dans les ténèbres, et si les ténèbres ne l’ont point comprise, ces ténèbres, qui n’ont point compris la lumière, lorsqu’elle se présentait à eux, voilà ce que l’Écriture veut nous désigner sous le nom de monde, et les démons sont les princes de ces ténèbres. Au témoignage des saintes Écritures, il est donc certain que jamais aucun de ces princes des ténèbres ne se convertira. Mais ces ténèbres, qu’ils gouvernent, et ceux qui étaient ténèbres, ne deviendront-ils pas lumière ? Nous ne saurions l’affirmer, car l’Apôtre a dit à des hommes entrés dans les rangs des fidèles : « Vous étiez autrefois ténèbres ; mais, maintenant, vous êtes lumière dans le Seigneur q ». En vous-mêmes vous étiez ténèbres ; vous êtes lumière dans le Seigneur. Ainsi, mes frères, tant que dure leur méchanceté, les méchants servent à éprouver les bons. Écoutez-moi quelques instants, et comprenez-moi bien. Si tu es bon, tu n’auras pour ennemi qu’un méchant ; mais le Seigneur t’a donné la règle de la douceur que tu dois montrer à. son égard. Il faut que tu imites la bonté de ton Père céleste, qui fait lever son soleil sur les bons et sur les méchants, et qui fait tomber la pluie sur les justes et sur les pécheurs r. Si tu as un ennemi, Dieu lui-même n’en manque pas. Tu as pour ennemi un homme qui a été comme toi créé par Dieu, et Dieu a pour ennemi sa propre créature. En plusieurs endroits de l’Écriture, nous voyons que les méchants et les pécheurs sont ennemis de Dieu : personne, pas même eux, ne lui peut rien reprocher : tous ceux qui se déclarent contre lui sont des ingrats : tout ce qu’ils ont de bien, ils l’ont reçu de lui ; les maux mêmes dont ils souffrent sont un effet de sa miséricorde à leur égard, car, s’il les éprouve, c’est afin de les empêcher de s’enorgueillir ; c’est afin que, devenus humbles, ils reconnaissent la suprême majesté du Très-Haut ; néanmoins, il leur pardonne. Et toi, quel bien as-tu fait ? quel service as-tu rendu à cet ennemi que tu supportes si difficilement ? Le Seigneur l’a comblé de bienfaits : il fait lever son soleil sur les bons et sur les méchants ; il fait tomber la pluie sur les justes-et suries pécheurs ; et toi, qui ne peux ni faire lever le soleil ni faire tomber la pluie, tu ne peux conserver seulement la douceur à l’égard de mon ennemi, afin de posséder ici-bas la paix réservée aux hommes de bonne volonté s ? Tu as donc reçu le charitable commandement d’imiter ton Père céleste et d’aimer tes ennemis, car il est dit dans l’Évangile : « Vous aimerez vos ennemis t » Mais comment pourrais-tu t’exercer à l’accomplir, si tu n’avais rien à supporter de la part d’aucun ennemi ? Tu le vois donc : les méchants te servent à quelque chose : si Dieu les épargne, puisse son indulgence s’étendre aussi jusqu’à toi ! car si, aujourd’hui, tu es bon, ce n’est peut-être qu’après avoir été méchant. Si, au contraire, il ne les épargnait pas, on ne te verrait pas maintenant occupé à lui rendre grâces. De ce que tu es passé de l’iniquité à la justice, il ne suit nullement que le chemin de l’une à l’autre doive être fermé aux autres. 5. Placé au milieu des méchants, tourmenté par leurs procédés haineux, quelle prière le Prophète adresse-t-il à Dieu ? Que dit-il ? « Je suis affligé dans mon exercice ». Après avoir essayé de porter la charité jusqu’à aimer ses ennemis, il a été accablé de tristesse en se voyant en butte à l’inimitié d’une foule d’adversaires, et, comme assailli par autant de chiens enragés, il a défailli sous le fardeau de la faiblesse humaine. Une tentation affreuse s’est présentée alors à son esprit ; il a senti son âme envahie par une pensée diabolique, celle de prendre en haine ses ennemis. Alors il a lutté contre ce mouvement désordonné de son cœur ; il a voulu porter sa charité jusqu’à la perfection ; et, au milieu de ce combat, au milieu de cette lutte, il est tombé dans le trouble. Il avait déjà dit dans un autre psaume : « La colère a troublé mes yeux » ; et il avait ajouté : « J’ai vieilli au milieu de mes ennemis u ». La tempête l’avait assailli, et il avait, comme Pierre, commencé à s’enfoncer dans les flots v. Celui qui aime ses ennemis, marche d’un pas ferme sur les vagues de cette vie. Le Christ marchait sans crainte sur les eaux de la mer, parce que nulle épreuve ne peut éteindre en lui l’amour qu’il éprouve pour ses ennemis. Lorsqu’il était attaché à la croix, il s’écria en effet : « Mon Père, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu’ils font w ». Pierre voulut imiter Jésus. Jésus marchait sur les eaux en qualité de chef, et Pierre en qualité de corps, « parce que », avait dit le Sauveur, « sur cette pierre je bâtirai mon Église ». Il reçut l’ordre de marcher sur les eaux, et il y marcha, soutenu par la grâce de son Maître, et non par ses propres forces ; mais, quand il se vit assailli par la tempête, il eut peur, et les flots cédèrent sous ses pas, et il fut troublé dans son exercice. Quelle était cette tempête ? « La voix de l’ennemi et la persécution du pécheur ». L’Apôtre, plongé dans l’eau, s’écria : « Seigneur, sauvez-moi, je péris x ». Ainsi s’exprime le Psalmiste : « Seigneur, exaucez ma prière et ne méprisez pas ma demande : soyez attentif à me secourir, exaucez-moi ». Pourquoi ? Quelles sont tes souffrances ? Quelle est la cause de tes gémissements ? « Je suis accablé d’ennuis dans mon exercice ». Vous m’avez placé au milieu des méchants, afin qu’ils exercent ma patience : mais l’épreuve est trop au-dessus de mes forces : calmez mes alarmes, et rendez-moi la paix : tendez-moi une main secourable ; retirez-moi des eaux de la tribulation où je commence à m’engloutir. « Je suis devenu triste dans mon affliction : la voix u de mon ennemi, les persécutions des pécheurs m’ont jeté dans le trouble, car ils ont travaillé à faire peser sur moi leurs injustices ; et, dans leur colère, ils me noircissent » Vous comprenez quels sont et cette tempête et ces flots. Ses ennemis l’insultaient, comme on insulterait une personne plongée dans l’humiliation ; et, pourtant, il priait : ils exerçaient sur lui leur rage en l’accablant de leurs bruyantes injures, et, dans le secret de son cœur, il invoquait le Dieu qu’ils ne voyaient pas. 6. Lorsque le chrétien se sent en butte à de pareilles tribulations, il ne doit ni se laisser conduire par le sentiment de la haine, ni se raidir contre ses persécuteurs : il lui est inutile de lutter contre la tempête : recourir à la prière pour conserver la charité, tel est son devoir. Ton âme doit en effet demeurer inaccessible à la crainte des mauvais procédés de ton ennemi. Quel mal pourrait-il te faire ? Il peut te dire beaucoup d’injures, t’accabler de reproches sanglants, te noircir par ses calomnies : mais, en définitive, n’as-tu pas pour toi cette parole du Sauveur : « Réjouissez-vous et tressaillez d’allégresse, parce que votre récompense sera grande dans le ciel y ? » Ton ennemi multiplie ici-bas ses injures, et tu t’assures une plus ample récompense pour le ciel. Mais qu’il ajoute encore à l’iniquité de sa conduite, qu’il pousse sa malice jusqu’à l’extrême, ton avenir ne saurait t’inspirer aucune inquiétude, puisque à toi s’adressent ces paroles du Sauveur : Ne craignez « point ceux qui ne tuent que le corps, et ne peuvent tuer l’âme z ». Pourquoi craindre l’ennemi qui te tourmente ? Que ton cœur ne se trouble donc pas, et ne perde rien de cette charité que tu dois ressentir pour lui. Cet ennemi est homme ; il est chair et sang : il n’en veut qu’à ce qu’il voit en toi. Mais tu as un autre ennemi, un ennemi invisible : c’est le prince des ténèbres, qui se sert de cet homme de chair et de sang comme d’un instrument pour te faire souffrir ; il en veut à tes biens invisibles : il cherche à t’enlever et à détruire tes richesses intérieures. Tu as donc deux ennemis, ne l’oublie pas. L’un est visible, l’autre est caché : ton ennemi visible est un homme ; ton ennemi invisible, c’est le démon. Cet homme est pareil à toi sous le rapport de sa nature humaine : par rapport à la foi et à la charité, il ne te ressemble pas encore, mais il pourra te ressembler plus tard. De ces deux ennemis, vois l’un et comprends l’autre : aime le premier, prends garde au second. Ton ennemi visible veut faire disparaître ce qui te donne de l’avantage sur lui : par exemple, si tes richesses surpassent les siennes, il veut te rendre pauvre : si tu le domines par ta haute position, il cherche à t’abaisser : si tu es plus fort que lui, son ambition est de t’affaiblir : ses efforts tendent à détruire en toi ou à te prendre ce qui lui porte ombrage. Ton ennemi caché prétend aussi te dépouiller des avantages que tu as sur lui : tu l’emportes sur ton semblable par le bonheur, qui est ici-bas ton partage : pour le démon, tu lui deviens supérieur par ta charité à l’égard de tes ennemis. De même que l’homme, opposé à toi, s’efforce de t’enlever la félicité temporelle dont tu jouis, de la diminuer, de la détruire ; de même le démon cherche à triompher des avantages que tu as sur lui. Travaille donc à garder toujours dans ton cœur l’amour pour ton ennemi, puisque cet amour te rend victorieux du démon même. Que l’homme te persécute autant qu’il le pourra, qu’il te ravisse par la violence ce qu’il pourra, si tu continues à aimer ton ennemi visible, la victoire sur ton ennemi caché est à toi. 7. Pendant que le Prophète priait, plongé dans le trouble et l’ennui, ses yeux étaient aussi comme troublés par la colère. Garder longtemps de la colère contre son semblable, c’est déjà. le détester. La colère trouble les yeux ; la haine aveugle ; la colère est une paille ; la haine est une poutre. Tu nourris parfois de la haine dans ton cœur, et tu réprimandes celui qui se fâche ; tu détestes le prochain, et celui que tu blâmes n’est qu’irrité contre lui ; tu mérites donc qu’on t’applique ces paroles : « Ote premièrement la poutre qui se trouve dans ton œil ; tu verras ensuite à tirer la paille qui est dans l’œil de ton frère » aa. Voyez la différence qui existe entre la colère et la haine. Tous les jours des pères de famille s’emportent contre leurs enfants : trouvez-en un seul qui les déteste. Plongé dans le trouble et la tristesse, le Prophète priait et luttait contre les ressentiments que lui inspiraient tous les outrages de ses détracteurs, car il ne voulait, ni les surpasser en méchanceté, ni leur rendre injure pour injure, ni haïr aucun d’eux voilà ce qu’il demandait à Dieu par ses prières et ses larmes : « La voix de mon ennemi, les persécutions des pécheurs m’ont jeté dans le trouble et la tristesse, car ils ont travaillé à faire peser sur moi leur injustice, et, dans leur colère, ils me noircissent. Mon cœur s’est troublé en moi ». Il avait déjà exprimé les mêmes sentiments dans un autre psaume : « La colère a troublé mes yeux ab ». « Mes yeux se sont troublés » : et qu’est-il arrivé ? « La crainte de la mort s’est abattue sur moi ». La charité est pour nous la vie : si elle est la source de la vie, la haine est le principe de la mort. Quand un homme craint de haïr celui qu’il aimait, il craint la mort, mais une mort plus redoutable, plus intime que celle du corps, la mort de l’âme. Tu tremblais à la vue d’un homme qui te persécutait : quel mal pouvait-il te faire, puisque, pour te rassurer, le Seigneur t’a dit : « Ne craignez point ceux qui ne peuvent vous ôter que la vie du corps ac ? » Par ses mauvais traitements, il aurait pu faire mourir ton corps, tes sentiments haineux ont tué ton âme ; il aurait privé de la vie le corps de son prochain, tu as fait périr une âme, qui est la tienne : donc, « la crainte de la mort s’est abattue sur moi ». 8. « La crainte et le tremblement m’ont saisi, et je me suis trouvé plongé dans les ténèbres, et j’ai dit ad » Celui qui déteste son frère est encore dans les ténèbres ; car si la charité est lumière, la haine est ténèbres ae. Quel langage se tient à lui-même l’homme qui est tombé dans cette faiblesse, et qui se sent troublé dans son exercice ? « Qui est-ce « qui me donnera des ailes comme à la colombe ? Je m’envolerai et je me reposerai ». L’objet de ses désirs, c’était la mort ou la solitude. Tant que je suis en cette vie, dit-il, et qu’on me commande d’aimer mes ennemis, je sens que les outrages, toujours nouveaux, dont ils m’accablent et me noircissent, troublent mes yeux, affaiblissent ma vue, pénètrent jusque dans mon cœur, et donnent la mort à mon âme. Je voudrais m’éloigner dans la crainte d’ajouter à mes péchés de nouvelles fautes, si je continuais à demeurer ici ; mais je suis faible. Je désirerais, du moins, me voir séparé davantage du reste des hommes, afin que mes plaies ne se rouvrent point sous le coup de nouvelles blessures, et que, rendu à la santé, je puisse me livrer encore à mon exercice. Voilà ce qui arrive souvent, mes frères : et, d’ordinaire, le serviteur de Dieu voit surgir en son âme le désir de la solitude : la multitude de ses tribulations et des scandales qui frappent ses regards, en est le seul motif : voilà pourquoi il dit : « Qui est-ce qui me donnera des ailes ? » Des ailes lui manquent-elles, ou plutôt, celles dont il est pourvu sont-elles liées ? S’il en manque, il faut qu’on lui en donne ; s’il en a, il faut lui rendre la liberté de s’en servir. De celui qui délie les ailes d’un oiseau on peut dire indifféremment, ou qu’il les lui donne, ou qu’il les lui rend. L’oiseau qui ne peut se servir de ses ailes pour s’élever dans les airs, n’en a véritablement pas : et des ailes qui ne peuvent se mouvoir, sont à vrai dire un fardeau. « Qui est-ce », dit le Psalmiste, « qui me donnera des ailes comme à la colombe ? Et je m’envolerai, et je me reposerai ». Où se reposera-t-il ? Ces paroles ont un double sens ; car l’Apôtre a dit : « Je désire mourir, et me trouver réuni au Christ, ce qui, sans aucun doute, est le plus avantageux ». Malgré sa force, sa grandeur d’âme, son courage intrépide, quoiqu’il fût un intrépide soldat du Christ, saint Paul s’est troublé dans son exercice l’Écriture en fait foi, car il a dit : « Que désormais personne ne m’inquiète af ». On croirait qu’il a emprunté au Psalmiste ce passage : « L’ennui me saisit quand je vois les « pécheurs abandonner votre loi ag ». Bien souvent un homme s’efforce de redresser ceux qui dépendent de lui, et dont les mœurs dépravées et corrompues inspirent à sa vigilance la plus vive sollicitude ; mais souvent aussi son adresse et ses soins demeurent stériles ; alors, il faut qu’il les supporte, puisqu’il est incapable de les ramener au bien. Ce malheureux, qui résiste à tes généreux efforts, t’appartient, soit parce qu’il est homme comme toi, soit parce que d’ordinaire les liens de la communion ecclésiastique vous unissent ensemble. S’il est membre de la même Église, que feras-tu ? En quel endroit te réfugier ? Comment te séparer de lui pour n’avoir plus rien à supporter de sa part ? Approche-toi de lui : adresse-lui la parole, exhorte-le, flatte-le, menace-le, réprimande-le. J’ai fait tout cela ; j’ai dépensé, j’ai épuisé tout ce que j’avais de forces, et je ne vois pas que j’aie réussi en quelque chose ; je suis à bout de ressources ; il ne me reste donc qu’à gémir et à pleurer. En présence de l’inutilité de mes efforts, mon cœur pourra-t-il jamais trouver le repos ? Je dirai donc : « Qui est-ce qui me donnera des ailes comme à la colombe ? » « Comme à la colombe », et non point, comme au corbeau. La colombe cherche, en prenant son vol, à échapper à ceux qui la tourmentent ; mais elle ne perd point pour cela la charité. Elle est le symbole de l’amour, et l’on aime à entendre ses cris plaintifs. Nul être n’est si ami des gémissements ; elle se plaint nuit et jour : on dirait que Dieu l’a placée ici-bas parce qu’il faut y gémir. Quel est donc le langage de cet homme, au cœur duquel la charité ne s’éteint pas ? Je ne puis supporter les outrages des hommes ; ils grincent des dents contre moi ; la rage les transporte ; la colère s’est allumée en eux, et, dans leur fureur, ils me noircissent ; je ne puis leur être utile ; puissé-je donc goûter le repos quelque part, éloigné d’eux corporellement, mais uni de cœur à eux tous ! Puisse mon amour pour eux ne point s’ébranler en moi ! Mes paroles et mes entretiens leur sont inutiles : je leur ferai peut-être plus de bien par mes prières. Les hommes parlent ainsi ; mais, d’habitude, ils se trouvent si étroitement liés, qu’ils sont incapables de prendre leur essor : ce n’est point la glu qui paralyse leurs ailes, c’est le devoir. Si le devoir et les exigences de leur charge les arrêtent, s’ils ne peuvent s’éloigner, ils sont, du moins, à même de dire avec saint Paul : « Je désirerais mourir et « me voir réuni au Christ : c’est ce qui m’est le plus avantageux ; mais je dois encore rester en vie à cause de vous ah ». Pareil à une colombe que retient, non pas la passion, mais la charité, il ne pouvait s’envoler : il ne manquait pas de mérites pour cela : la nécessité de remplir son devoir y mettait seule obstacle. Néanmoins, le désir de la séparation doit toujours vivre dans notre cœur : celui-là seul le comprend, qui se trouve déjà engagé dans la voie étroite ai ; car il sait que les persécutions ne font pas défaut à l’Église, même en ce temps où elle semble se reposer tranquillement de toutes celles qu’ont subies les martyrs. Non, les persécutions ne manquent pas de nos jours, car elle est vraie cette parole de l’Apôtre : « Tous ceux qui veulent vivre avec piété dans le Christ, souffriront persécution » aj. Tu ne souffres pas persécution, c’est que tu ne veux pas vivre avec piété dans le Christ. Veux-tu la preuve de ce que tu as entendu tout à l’heure ? Commence à vivre pieusement dans le Christ. Mais en quoi consiste cette vie pieuse ? À ressentir au dedans de toi-même la vérité de ces paroles de saint Paul, et à répéter : « Qui est-ce qui est faible, sans que je sois faible moi-même ? Qui est-ce qui est scandalisé, sans que je me sente enflammé ak ? » Les faiblesses et les scandales des autres, telles étaient les persécutions dont il avait à souffrir. Est-il maintenant nécessaire de demander, si, de nos jours, il y a des persécutions à souffrir ? Ceux qui s’y trouvent exposés, disent que jamais elles n’ont été plus nombreuses. Souvent, quand on voit de loin un homme, on dit de lui : Celui-là est bien heureux. Pourquoi tient-on ce langage ? Parce qu’on voit ses peines propres, sans voir celles d’autrui ; ou bien, on n’a rien à souffrir et l’on ne compatit nullement aux douleurs qui tourmentent et consument les autres. Que l’on commence donc à vivre pieusement dans le Christ, et l’on sentira bientôt toute la vérité de ce que dit saint Paul, et l’on désirera avoir des ailes, et l’on voudra s’éloigner, s’enfuir et demeurer dans le désert. 9. Pourquoi, en effet, les serviteurs de Dieu vont-ils, en si grand nombre, peupler la solitude des déserts ? Qu’en pensez-vous, mes frères ? S’ils trouvaient le bonheur au milieu des hommes, s’éloigneraient-ils de toute société humaine ? Et, pourtant, à quoi réussissent-ils en lin de compte ? Ils s’éloignent, ils s’enfuient, ils établissent leur demeure dans le désert, c’est vrai : mais parviennent-ils à n’y rencontrer personne ? La charité qui les anime les réunit ensemble ; et, dans la multitude de leurs compagnons, il en est qui exercent leur patience. Toute assemblée nombreuse renferme infailliblement, en son sein, des méchants : Dieu sait que nous avons besoin d’être exercés, et il fait entrer dans nos rangs, et des gens qui ne persévéreront pas, et des hypocrites qui ne se sont pas même encore engagés dans la voie où ils devraient toujours marcher. Il le sait aussi ; nous devons nécessairement supporter les méchants et tirer profit de ce que nous sommes bons : aimons nos ennemis, réprimandons-les, châtions-les, excommunions-les, séparons-les même de nous ; mais toujours sous l’inspiration de la charité : car voyez ce que dit l’Apôtre : « Si quelqu’un « n’obéit pas à notre parole, faites-le-moi connaître par une lettre, et n’ayez plus rien de commun avec lui ». Et afin que tu ne te laisses point emporter par la colère, et que les yeux ne se troublent pas, il ajoute : « Ne le regardez pas comme un ennemi, mais reprenez-le comme un frère, afin qu’il rougisse al ». Ainsi, il ordonne la séparation, sans détruire la charité. Par là, tes yeux ne s’éteignent pas, et la vie demeure entière en loi, car la perte de la charité serait ton coup de mort. C’est ce que redoutait le Psalmiste, quand il disait : « La crainte de la mort s’est abattue sur moi » ; et, pour que je ne perde pas la vie de la charité, « qui est-ce qui me « donnera des ailes comme à la colombe ? Et « je volerai, et je me reposerai ». Où aller ? De quel côté diriger mon vol ? En quel lieu trouverai-je le repos ? Je me suis éloigné « par la fuite, et j’ai établi ma demeure dans le désert ». En quel désert ? Partout où tu pourras fixer ton séjour, d’autres hommes s’y réuniront avec toi : ils chercheront la solitude et vivront avec toi : tu ne peux refuser de vivre en compagnie de tes frères, et, dès lors, tu rencontres des méchants ; dès lors, tu es condamné à souffrir. « Je me suis éloigné par la fuite et j’ai établi ma demeure « dans le désert ». En quel désert ? Ne serait-ce point dans celui de ta conscience, dans cette solitude, où nul ne saurait entrer, où personne n’habite avec toi, où tu rencontres la société de Dieu seul ? Car si tu choisissais, comme lieu de retraite, un désert ordinaire, un endroit quelconque, que ferais-tu de ceux qui viendraient se joindre à toi ? Tant que tu vivras parmi les hommes, tu ne pourras te séparer de tes semblables. Porte plutôt tes regards sur le divin Consolateur, sur notre Seigneur et notre Roi, sur notre Maître et notre Créateur, sur celui qui est devenu créature au milieu de nous : rappelle-toi qu’entre ses douze disciples, il y en eut un qu’il dut supporter. 10. « Voilà », dit le Prophète, « que je me suis éloigné par la fuite, et que j’ai établi ma demeure dans le désert am ». Je vous l’ai déjà fait remarquer : peut-être s’est-il enfui dans la solitude de sa conscience ; peut-être a-t-il trouvé là une retraite capable de lui procurer le repos. Néanmoins, sa charité l’y troublait ; car, s’il avait rencontré un désert dans sa conscience, sa charité ne l’y laissait pas seul. Sa conscience le consolait intérieurement, mais des tribulations venues du dehors le tourmentaient : tranquille du côté de lui-même, mais inquiet du côté des autres, il s’écrie : « J’attendais celui qui devait me « délivrer du découragement et de la tempête ». Te voilà exposé aux flots de la mer, à la fureur des vents : tu n’as plus qu’une ressource, c’est de crier : « Seigneur, je « péris an ». Daigne celui qui marche sur les eaux sans trembler, te tendre une main secourable ! Puisse-t-il te soutenir au milieu de tes alarmes, établir solidement sur lui-même ta sécurité, te parler Intérieurement et te dire : Jette les yeux sur moi ; rappelle-toi ce que j’ai moi-même enduré ! Si tu es condamné à endurer un frère méchant ou un ennemi étranger, n’ai-je pas eu le même sacrifice à faire ? Au-dehors, les Juifs frémissaient de rage contre moi : au dedans, j’étais trahi par un de mes disciples. La tempête est déchaînée ; mais « il délivre de la crainte et de la tempête ». Les vents et les vagues secouent ton esquif : n’est-ce point parce qu’il dort en ton cœur ? Une mer furieuse ballottait la barque conduite par les disciples : pendant ce temps-là, Jésus dormait. À la fin, il leur vint en pensée que celui qui dormait au milieu d’eux, était le Créateur et le Maître des vents : ils s’approchèrent donc du Christ et l’éveillèrent : aussitôt il commanda aux vents, et à la tempête succéda un grand calme ao. Si ton cœur est en proie à l’agitation, faut-il s’en étonner ? Tu as perdu le souvenir de celui en qui tu crois : tu manques de patience pour souffrir, parce que tu oublies ce que le Christ a souffert pour toi. Si le Christ n’occupe point les pensées, il dort : éveille-le, ranime ta foi. Il dort en toi, dès que tu oublies ses souffrances ; quand tu en gardes la mémoire, il y veille. Que si tu t’appliques de tout ton cœur à la considération de ses souffrances, ne supporteras-tu pas les tiennes avec patience, et même avec bonheur ? Ne seras-tu pas heureux d’avoir quelque ressemblance avec ton roi humilié et persécuté ? Les consolations et la joie que tu puiseras dans cette pensée, seront, pour toi, la preuve que le Christ s’est levé, qu’il a commandé aux vents et que le plus grand calme a succédé à la tempête. « J’attendais celui qui devait me délivrer de a mes alarmes et de la tempête ». 11. « Seigneur, précipitez-les dans les abîmes, et divisez leurs langues ap». Expression d’un désir et non d’un mouvement de colère de la part du Prophète : car, mes frères, il avait jeté les yeux sur ceux qui le persécutaient et noircissaient sa réputation. À ceux qui se sont élevés pour le mal, il est utile d’être profondément abaissés ; pour ceux qui ont malicieusement conspiré, il est avantageux que « leurs langues soient divisées » ; qu’ils s’accordent pour le bien et qu’ils parlent tous le même langage. « Tous mes ennemis », dit-il ailleurs, « murmuraient ensemble contre moi aq ». Qu’ils perdent cet accord pour le mal ; que leurs langues soient divisées ; qu’ils ne s’entendent plus. « Seigneur, précipitez-les dans les abîmes, et divisez leurs langues ». « Précipitez-les dans les abîmes » : pourquoi ? parce qu’ils se sont élevés. « Divisez » : pourquoi ? parce qu’ils ont méchamment conspiré. Souviens-toi de cette tour bâtie par les orgueilleux après le déluge : quel fut leur langage ? « Pour qu’un « nouveau déluge ne nous engloutisse pas, élevons une haute tour ar ». Ils se croyaient bien abrités contre le bras de Dieu par leur orgueil ; ils bâtirent une tour élevée, et le Seigneur divisa leurs langues ; ils commencèrent à ne plus s’entendre, et c’est alors que se forma la multitude des langues. Une seule langue avait jusque-là régné dans le monde ; l’unité de langage était utile aux hommes qui s’accordaient pour le bien et demeuraient dans l’humilité ; mais lorsque leur réunion dégénéra en une assemblée de conspirateurs, Dieu prit pitié d’eux et divisa leurs langues, afin qu’ils ne fussent plus à même de se comprendre et de former une société mauvaise. Les langues ont donc été divisées par l’orgueil des hommes ; elles ont été réunies par l’humilité des Apôtres ; l’esprit d’orgueil fut la cause de leur division : l’Esprit-Saint fut le principe de leur réunion. Lorsqu’en effet le Saint-Esprit descendit sur les disciples du Sauveur, ils parlèrent toutes les langues, tout le monde les comprit ; auparavant dispersées, les langues se rassemblèrent. Si donc les hommes agissent encore par méchanceté, s’ils sont encore païens, il est bon pour eux que leurs langues soient dans la confusion ; mais s’ils veulent ne parler qu’une seule langue, qu’ils viennent tous dans le giron de l’Église : ils y rencontreront sans doute une grande diversité dans la manière de parler, mais aussi, ils y rencontreront la même foi, parlant a leurs cœurs le même langage. « Seigneur, précipitez-les dans les abîmes, et divisez leurs « langues ». 12. Car j’ai vu l’injustice et la contradiction dans leur ville ». C’était avec raison qu’il cherchait à fuir dans le désert, puisqu’il voyait, dans leur ville, l’iniquité et la contradiction. Il est une ville pleine de troubles ; sus habitants ont bâti la tour dont nous venons de parler ; la confusion est sou partage ; elle a nom Babylone et se trouve dispersée parmi les innombrables nations du monde ; c’est de son sein que sortent, pour former l’Église, tous ceux qui se retirent dans le désert d’une bonne conscience, car ils voient la contradiction régner dans cette ville. Le Christ est venu. – Qui est le Christ ? – N’es-tu pas une ville de contradiction ? C’est le Fils de Dieu. – Dieu a-t-il un Fils ? – N’es-tu pas une ville de contradiction ? Il est né d’une Vierge, il est mort dans les tourments, il est ressuscité. – Comment cela peut-il se faire ? – N’es-tu pas une ville de contradiction ? Remarque au moins le glorieux éclat de sa croix. Cette croix, que ses ennemis ont insultée, a déjà trouvé place au front des rois ; l’événement a déjà prouvé la puissance de Celui qui y a été attaché ; il a dompté le monde, non par les armes, mais par le bois de sa croix. Ses ennemis avaient cru que ce bois était digne de tous les mépris ; ils s’arrêtaient devant lui, secouaient la tête et disaient : « S’il est le Fils de Dieu, qu’il descende de sa « croix as ». Cloué à ce bois, il tendait les bras à ce peuple incrédule et ennemi. Si celui qui vit de la foi est juste at, celui-là est injuste qui n’a pas la foi. Par le mot « injustice », j’entends donc la perfidie. Le Seigneur voyait donc l’iniquité et la contradiction dans la ville ; il étendait ses bras vers un peuple incrédule et ennemi ; il en attendait patiemment le retour au bien et disait : « Mon « Père, pardonnez-leur, car ils ne savent ce « qu’ils font au ». On ne peut en douter, les restes de cette ville le persécutent encore aujourd’hui ; ils sont encore animés, à son égard, du même esprit de contradiction ; sa croix est aujourd’hui imprimée sur tous les fronts, et, de là, il tend encore ses bras à ces restes incrédules et ennemis. « Parce que j’ai B vu l’iniquité et la contradiction dans la « ville ». 13. « Jour et nuit l’iniquité et la douleur « environneront ses murailles av », ses remparts, c’est-à-dire ces nobles citoyens qui en sont comme les chefs. Si ce prince, dit-on souvent, se faisait chrétien, personne ne resterait païen ; c’en serait fait du paganisme du jour où cet homme deviendrait chrétien. Chaque jour on répète le même propos. Oui, si ce grand personnage embrassait la religion chrétienne, on ne rencontrerait plus un seul païen. Mais, parce qu’ils persistent dans leur fausse religion, ils sont comme les murs de cette cité incrédule et pleine de contradiction. Combien de temps encore resteront-ils debout ? Pas toujours, car ils seront renversés. L’arche fait le tour des murailles de Jéricho ; bientôt elle le fera pour la septième fois, et alors s’écrouleront les remparts de cette ville sans foi et animée de l’esprit de contradiction aw En attendant, le Prophète se trouble dans son exercice, et, dans la nécessité où il se trouve de supporter les contradictions des restes de cette ville, il désire avoir des ailes pour s’envoler ; il souhaite la tranquillité du désert. Mais non ; qu’il demeure ferme au milieu des contradictions ; qu’il supporte les menaces ; qu’il boive les opprobres ; qu’il attende Celui qui le délivrera des alarmes et de la tempête ; qu’il porte ses regards sur son Chef, sur son modèle, et si les réalités de la vie le jettent dans le trouble, que, du moins, ses immortelles espérances ramènent le calme dans son âme. « Jour et nuit l’iniquité environnera ses « murailles ; la douleur et l’injustice se trouvent au milieu d’elle ». Il y a là de la douleur, parce qu’il y a là de l’iniquité ; on y voit l’injustice, c’est pourquoi on y voit la douleur. Qu’ils écoutent donc Celui qui leur tend les bras et leur dit : « Venez à moi, vous tous qui souffrez ». Vous le poursuivez de vos clameurs, de vos contradictions et de vos outrages, et il vous appelle : « Venez à moi, vous « tous que l’orgueil fait souffrir, et vous trouverez le repos dans mon humilité », car, ajoute-t-il, « apprenez de moi que je suis doux « et humble de cœur, et vous trouverez le repos de vos âmes ax ». En effet, pourquoi souffrent-ils, sinon parce qu’ils manquent de douceur et de l’humilité du cœur ? Dieu s’est abaissé ; rougir en face de cette humiliation de son Dieu, voilà le devoir de l’homme orgueilleux. 14. « Sur ses places on rencontre toujours « l’usure et la tromperie ay ». L’usure et la tromperie sont des crimes ; elles devraient donc, au moins, se dérober aux regards du public ; loin de là, elles s’étalent et s’exercent au grand jour. Celui qui se tient dans l’intérieur de sa maison pour faire le mal, rougit encore de sa conduite ; mais, « sur ses places on rencontre toujours l’usure et la tromperie ». L’usure est élevée à la hauteur d’une profession ; on dit qu’elle est un art ; ceux qui l’exercent forment une corporation, mais une corporation nécessaire au bien-être de la cité, qui recueille le bénéfice de sa profession, et qui, loin de se cacher, ne craint pas de se montrer sur les places publiques. À côté de cette usure il en est une autre plus coupable encore ; elle consiste à ne point pardonner les offenses d’autrui, et à avoir les yeux troublés quand tu récites ces paroles de l’Oraison dominicale : « Remettez-nous nos dettes ». Lorsque tu prieras et que tu en seras venu en cet endroit de la prière, à quoi t’arrêteras-tu ? Une parole outrageante est venue frapper tes oreilles, et pour cela tu exiges la honte d’une condamnation ? Malheureux usurier en fait d’injures ! N’exige pas plus que tu n’as donné. Tu as reçu un soufflet, et tu réclames la mort de ton agresseur ? Usure condamnable ! Comment pourras-tu prier ? Et si tu abandonnes la prière, comment trouveras-tu accès auprès de Dieu ? Tu diras : « Notre Père, qui êtes aux cieux, que votre nom soit sanctifié ; que votre règne arrive ; que votre volonté soit faite sur la terre comme dans le ciel ; donnez-nous aujourd’hui notre pain quotidien ». Tu arriveras enfin à ces paroles : « Remettez-nous nos dettes, comme nous remettons à ceux qui nous doivent az ». Qu’il y ait de ces usures dans cette ville méchante, j’y consens ; mais que jamais elles ne pénètrent à l’intérieur de cette cité où l’on se frappe la poitrine. À quel parti t’arrêteras-tu, quand lu te trouveras en cet endroit de ta prière ? C’est le divin avoué qui a composé pour toi cette formule de prière ; il savait d’avance l’opposition de ses paroles avec ta conduite ; aussi a-t-il ajouté : « Car en vérité je vous le dis, si vous remettez aux hommes leurs offenses qu’ils vous ont faites, les vôtres aussi vous seront remises ; mais si vous ne pardonnez pas aux hommes leurs offenses, votre Père ne vous pardonnera pas a non plus les vôtres ba ». Qui est-ce qui a dit cela ? Celui qui connaît tes dispositions, et qui le voit debout devant lui pour le prier. Il a voulu devenir ton avocat, ton avoué, ton intercesseur auprès de Dieu ; il sera plus tard ton juge et il te dit : Tu n’obtiendras rien autrement. Que faire alors ? Si tu ne prononces pas ces paroles, tu n’obtiendras rien ; il en sera de même, si lu les prononces contre ta façon de penser. Il faut donc que tu les répètes avec franchise ou que tu agisses d’accord avec elles, ou bien tu ne mériteras pas de voir ta prière exaucée ; car ceux qui ne se conduisent pas ainsi, sont du nombre de ces usuriers coupables dont nous avons parlé. Qu’il en soit ainsi de ceux qui adorent ou cherchent les idoles ; mais, ô peuple de Dieu, ô peuple de Jésus-Christ, ô corps sacré de ce divin chef, qu’il n’en soit jamais ainsi de toi ! Considère le lien de la paix qui vous unit ; considère les promesses de vie qu’on t’a faites. Quel bénéfice le procureraient tes exigences à l’égard de celui qui t’a offensé ? La vengeance pourrait-elle guérir les blessures de ton âme ? Aurais-tu à te réjouir du mal d’autrui ? Tu as eu à supporter des traitements mauvais : pardonne, afin que vous ne soyez pas deux méchants. « Sur ses places a on rencontre toujours l’usure et l’iniquité ». 15. Tu ne peux supporter la contradiction et l’iniquité qu’on rencontre dans cette ville ; voilà donc pourquoi tu cherchais la solitude ; voilà pourquoi tu désirais des ailes ; voilà la cause de tes murmures. Repose-toi au milieu de ceux qui sont, comme toi, dans le sein de l’Église. Ne cherche pas la solitude ; écoute ce que dit le Prophète en parlant d’eux : « Si un ennemi m’avait insulté ». Il avait dit plus haut qu’il était troublé dans son exercice parles clameurs de son ennemi et les persécutions des pécheurs ; car il se trouvait peut-être dans cette ville qui bâtit par orgueil une haute tour, et qui vit ses langues divisées par la destruction de son œuvre bb, Écoute les gémissements qui tombent de ses lèvres dans le sein même de l’Église, à cause des périls où l’exposent des faux frères, a Si un ennemi m’avait insulté, je l’aurais souffert en patience ; et si celui qui me haïssait a avait ouvert la bouche », c’est-à-dire s’il m’avait orgueilleusement insulté, s’il m’avait traité fièrement, s’il m’avait menacé de me faire tout le mal possible, je me serais peut-être dérobé à ses invectives. Qu’une personne, vivant hors de l’Église, te persécute, où te réfugieras-tu pour lui échapper ? Au milieu des membres de ta communion. Mais, dans le cas présent, te reste-t-il autre chose à faire qu’à te retirer dans la solitude ? « Mais toi », continue-l-il, « toi qui étais un même cœur « avec moi, toi qui étais mon ami et mon « guide ! » Autrefois, peut-être, tu m’as donné des conseils, tu m’as servi de guide, tu m’as aidé par de salutaires avertissements ; nous avons vécu ensemble dans l’Église de Dieu : a Mais toi, qui étais un même cœur avec moi, « toi qui étais mon ami et mon guide, toi ((qui prenais en ma société d’agréables « repas ! » Quels sont ces repas, ces aliments si doux ? Tous ceux qui se trouvent ici ne le savent pas ; pour ceux qui en ont été instruits, ils ne doivent pas s’en prévaloir avec aigreur ; ils doivent pouvoir dire à ceux qui l’ignorent : « Goûtez et voyez combien le Seigneur est a doux. Tu prenais en ma société d’agréables « aliments ; nous avons marché d’un même a pas dans la maison du Seigneur ». D’où est donc venue cette pénible mésintelligence ? Elle est venue de celui qui était dans l’Église et qui en est sorti. Il avait marché d’un même pas avec moi dans la maison du Seigneur ; depuis, il a bâti une autre maison contre celle de Dieu. Pourquoi a-t-il abandonné celle où nous marchions ensemble d’un même pas ? pourquoi s’est-il éloigné de celle où nous prenions tous deux de si doux aliments ? 16. « Que la mort les surprenne et qu’ils « descendent vivants dans l’enfer ». C’est ainsi que le Prophète rappelle à notre souvenir les origines du schisme d’Israël ; voilà comment il nous remet en mémoire l’époque où des orgueilleux se séparèrent de ce premier peuple de Dieu, et prétendirent faire des sacrifices en dehors du temple ; une mort d’un genre nouveau vint les frapper ; la terre s’entr’ouvrit sous leurs pas et les engloutit tout vivants bc. « Que la mort », dit-il, « les surprenne, et qu’ils descendent tout vivants dans l’enfer ». Que veut dire le mot « vivants ? » Qu’ils sachent qu’ils vont périr, et que néanmoins ils périssent. Périr vivant, être englouti dans les abîmes de la terre, veut donc dire ici : être dévoré, consumé par les passions terrestres. Tu dis à un homme : Mon frère, pourquoi souffres-tu ? Nous sommes frères, nous invoquons le même Dieu, nous croyons au même Christ, nous lisons le même Évangile, nous récitons le même psaume, nous répondons le même Amen, nous chantons le même Alléluia, nous célébrons la même pâque ; pourquoi donc es-tu hors de l’Église, tandis que je suis un de ses membres ? Pressé par ces raisons ; touchant en quelque sorte du doigt la vérité de ce qu’on lui dit, cet homme répond : Que Dieu rende à nos ancêtres selon leurs œuvres. N’est-il pas vrai qu’il meurt tout vivant ? Tu le presses davantage et tu ajoutes : C’est bien assez que tu aies eu le malheur de te séparer de nous ; faut-il y ajouter celui d’un second baptême ? J’ai autant que toi, avoue-le ; mais tu me détestes ; pourquoi détester en moi le Christ ? De telles gens reconnaissent souvent leur infortune ; ils en gémissent et ils disent : Nous te comprenons bien, nous faisons mal ; ah ! si seulement nous pouvions agir d’autre manière ! Mais pouvons-nous changer les choses établies par nos ancêtres ? « Qu’ils descendent vivants a dans les enfers ! » Si tu mourais avant d’y descendre, saurais-tu ce que tu fais ? Mais, puisque tu n’ignores pas que tu fais le mal, et que néanmoins tu persistes à le vouloir faire, ne descends-tu pas tout vivant dans les enfers ? Mais pourquoi la terre s’est-elle entr’ouverte seulement sous les pas des chefs pour les engloutir, tandis que le feu du ciel est tombé sur le peuple qui les suivait, et l’a consumé tout entier bd ? Le Psalmiste, en nous rappelant ce châtiment, nous parle d’abord de la punition du peuple, puis de celle des chefs de la sédition. « Que la mort descende sur eux ! » Voilà pour ceux sur lesquels le feu du ciel est tombé ; aussitôt il ajoute : « Qu’ils soient précipités vivants dans l’enfer ». Par là il veut désigner ceux que la terre engloutit tout vivants dans ses abîmes. Il commence par les plus petits pour finir par les plus grands. « Que « la mort descende » sur ceux qui ont écouté et suivi les séditieux. Pour les chefs et les princes, « qu’ils soient précipités tout vivants a dans les enfers », parce que les Écritures sont entre leurs mains, et parce qu’en les lisant tous les jours ils ont appris que l’Église catholique s’est répandue dans tout l’univers, de façon à ne laisser place à aucune objection ni à aucun témoignage en faveur de leur schisme. Ils le savent bien ; ils n’ignorent donc pas que ce qu’ils font est mal ; ils descendent donc tout vivants dans les enfers. Pour les autres, le feu de la colère divine les a consumés ; brûlés du désir de la contention, ils n’ont point consenti à se séparer de leurs chefs ; ces méchants les ont entraînés dans le mal ; le feu est venu en eux s’ajouter au feu, et la flamme dévorante de la colère de Dieu est venue se joindre à la flamme de la discorde. « Que la mort descende sur eux et qu’ils « soient précipités tout vivants dans les enfers, « parce que la malice est dans leur tente au « milieu d’eux ». « Dans leurs tentes », où ils ne sont que comme des étrangers et en passant ; car ils ne demeureront pas toujours sur la terre, quoiqu’ils apportent, dans la défense d’intérêts passagers, un acharnement extrême. « L’iniquité est donc dans leurs tentes ; « elle se trouve au milieu d’eux ». Que peuvent-ils avoir davantage, au milieu d’eux, que leur propre cœur ? 17. « Pour moi, j’ai crié vers le Seigneur ». Ce sont lus paroles du corps de Jésus-Christ : son unité est dans l’angoisse, l’ennui, les tourments et le trouble de son exercice. Cet homme unique, cet ensemble des membres d’un même corps, crie vers Dieu des extrémités de la terre, dans l’ennui profond où son âme est plongée : « J’ai », dit-il, a crié vers « vous des extrémités de la terre, pendant « que l’angoisse oppressait mon cœur be ». Il était unique, mais il représentait l’universalité, l’ensemble des membres du corps ; quoique se trouvant en tous lieux, il n’avait qu’une voix pour crier, des extrémités de la terre, vers le Seigneur. Si plusieurs n’étaient pas unis en lui, comment pourrait-il, des extrémités de la terre, ne faire entendre qu’un même cri ? « Pour moi, j’ai crié vers le Seigneur ». C’est bien : crie vers le Seigneur, et non pas vers Donat, dans la crainte d’avoir pour Ion Seigneur celui qui a renoncé à servir avec loi le Seigneur. « J’ai crié vers le Seigneur, et il m’a exaucé ». 18. « Le soir, le matin et à midi, je raconterai cl j’annoncerai, et il écoulera ma voix ». Ne garde pas le silence : annonce hautement ce que tu as appris, « le soir », sur le passé ; « le matin », sur l’avenir ; « à midi », sur l’éternité. À ce qu’il appelle « le soir », se rapporte ce qu’il raconte ; « au malin », ce qu’il annonce ; « à midi », l’accomplissement de ses désirs. Par le midi, il entend le sommet d’où l’on ne descend point vers le couchant : à midi, la lumière du soleil se trouve à son plus haut degré d’élévation ; c’est alors que se montre dans toute sa splendeur l’éclat de la sagesse, et que le feu de la charité fait sentir toute son ardeur. « Le soir, le matin, « à midi ». « Le soir », Jésus a été attaché à la croix ; « le matin », il est ressuscité ; il est monté au ciel « à midi ». « Le soir », je raconte la patience du Christ mourant ; j’annonce, « le matin », la nouvelle vie de sa résurrection ; je le prierai d’exaucer ma prière, lorsque « à midi » il sera assis à la droite de son Père. Celui qui intercède pour nous dans le ciel écoulera ma voix bf. Quelle sécurité est celle du prophète ! Quelle est sa consolation ! Comme il se sent devenu plus fort contre les alarmes et la tempête, contre les méchants, contre les pécheurs du dehors et du dedans, contre ceux qui, après avoir appartenu à l’Église, en sont sortis ! 19. C’est pourquoi, mes frères, tous ceux qui, réunis avec vous dans l’enceinte de l’Église, vous apparaissent comme des turbulents, des orgueilleux, des gens conduits par l’intérêt, vaniteux, dépourvus d’un zèle chaste, pur et tranquille pour la gloire de Dieu, suffisants, toujours prêts, s’ils en trouvaient l’occasion, à semer autour d’eux la discorde, tous ceux-là sont la paille de l’aire du Seigneur bg. Le vent de l’orgueil les a déjà réduits à ce petit nombre que vous voyez ; mais la paille n’en sortira en totalité qu’au jour du jugement, en ce jour où le Seigneur purifiera son aire. Pour nous, nous n’avons plus qu’à chanter, à prier et à gémir avec le Psalmiste, et à dire, dans le sentiment de la jilus complète sécurité : a II rachètera mon a âme dans la paix ». Cette prière a trail à ceux qui n’aiment pas la paix : « Il rachètera « mon âme dans la paix », parce que j’étais pacifique avec ceux qui la délestent bh. « Il rachètera mon âme dans la paix ; il la délivrera « de ceux qui s’approchent de moi ». Car, par rapport à ceux qui sont loin de moi, ma cause n’est pas en danger. J’ai bien moins à craindre un homme qui me dit : Viens, adore cette idole : un pareil homme est singulièrement loin de moi. Mais quand je dis à quelqu’un : Es-tu chrétien ? et qu’il me répond : Oui, je le suis ; j’ai près de moi mon ennemi : sa proximité est dangereuse. « Il rachètera mon âme dans la paix ; il la délivrera de ceux qui s’approchent de moi, car ils étaient avec moi en beaucoup ». Pourquoi ai-je dit qu’ils s’approchent de moi », sinon parce qu’ « ils étaient avec moi en beaucoup ? » Ce verset a deux sens. « Ils étaient avec moi en beaucoup de choses ». Nous avions les uns et les autres le même baptême : en cela, ils étaient avec moi ; nous lisions le même Évangile : en cela, ils étaient avec moi. Nous célébrions ensemble les fêtes des martyrs : en cela, ils étaient avec moi. Nous solennisions la même fête de Pâques : en cela encore, ils étaient avec moi. Mais nous n’étions pas tout à fait d’accord, car je n’étais avec eux ni dans le schisme, ni dans l’hérésie. Unis en beaucoup de points, nous différions en quelques-uns ; mais, parce qu’ils sont en désaccord avec moi sur un petit nombre de choses, il ne leur sert de rien de s’accorder avec moi sur beaucoup d’autres. Car voyez, mes frères, combien de choses nous énumère saint Paul, qui pourtant nous deviennent inutiles, dès qu’une seule nous manque, a Quand », dit-il, « je parlerais le langage des hommes et des « anges eux-mêmes, quand j’aurais le don de prophétie, quand je pénétrerais tous les mystères et que j’aurais une parfaite science a de toutes choses, quand je transporterais les montagnes, que je distribuerais mon bien « aux pauvres et que je livrerais mon corps au supplice du feu » : que de choses il énumère ! et pourtant, que la charité manque au milieu de ce merveilleux ensemble, elle l’emportera toute seule sur toutes les autres qualités, si nombreuses qu’elles soient bi. D’accord avec moi dans foules les pratiques religieuses, ils en diffèrent sous le rapport de la charité, car ils ne l’ont pas. « Ils étaient avec moi en « beaucoup de choses ». Autre sens : « Parce qu’ils étaient avec « moi en beaucoup », ceux qui se sont séparés de moi étaient avec moi, non pas en petit nombre, mais en grand nombre. Sur toute la surface de la terre, il y a peu de bon grain, mais beaucoup de paille. Que veut donc dire le Prophète ? Ils étaient avec moi comme de la paille ; ils n’y étaient pas comme du bon grain : la paille, je le veux bien, est proche, voisine du froment : tous deux viennent de la même semence ; le même champ les produit tous deux ; à l’une et à l’autre la même pluie donne la même sève ; à tous deux sont réservés le même moissonneur, le même fléau, le même van, mais non le même cellier : « Parce qu’ils étaient avec « moi en grand nombre ». 20. « Dieu m’exaucera, et il les humiliera, « lui qui est avant tous les siècles ». Car ils ont placé leur confiance dans je ne sais quel chef, qui s’est mis à leur tête et qui n’est que d’hier. « Celui qui est avant tous les siècles « les humiliera ». Quoique le Christ soit né, dans le temps, de la Vierge Marie, néanmoins « le Verbe était au commencement », avant tous les siècles, « et le Verbe était en « Dieu, et le Verbe était Dieu bj ». Celui qui est « avant tous les siècles, les humiliera, car il « n’y a pas de changement pour eux ». Je parle de ceux pour lesquels il n’y a pas de changement. Il savait que quelques-uns persévéreraient dans la méchanceté et y mourraient. Nous le voyons, en effet, il n’y a pas de changement pour eux. Ceux-là ne changent pas, qui meurent dans le dérèglement, dans le schisme ; Dieu les humiliera, parce qu’ils se sont élevés par leur séparation ; ils seront humiliés par leur condamnation. Il n’y a point de changement pour eux, car on ne peut appeler de ce nom le mouvement d’une personne, non vers le bien, mais vers le mal : ils ne changeront ni maintenant, ni au moment de la résurrection, car nous ressusciterons tous, mais nous ne serons pas tous changés bk. Pourquoi ? Parce qu’il n’y a pas de changement pour eux, et qu’ils n’ont pas craint Dieu. Mes frères, je ne vois à cela qu’un remède : c’est qu’ils craignent le Seigneur et qu’ils abandonnent le parti de Donat. Tu dis à un donatien : Tu périras dans l’hérésie, dans le schisme ; il faut que Dieu te punisse de ton infidélité ; tu seras condamné, il est inutile de te flatter ; ne prends point un aveugle pour ton guide, « car si un aveugle 8 en conduit un autre, ils finissent par tomber tous deux dans le précipice bl ». Peu m’importe : je vivrai aujourd’hui comme j’ai vécu hier : ce qu’ont été mes parents, je le serai moi-même. – Tu ne crains pas Dieu. – Inspire-lui la crainte de Dieu. Si, à ses yeux, l’Écriture est la parfaite expression de la vérité, parce que tel est l’enseignement chrétien, qui n’est point sujet à l’erreur, comment pourra-t-il persévérer dans l’hérésie, surtout quand il portera son attention sur le spectacle frappant de l’existence de l’Église catholique, de cette Église que Dieu a répandue par tout le monde, dont il annonce l’admirable extension avant de l’opérer, à l’égard de laquelle enfin il a accompli toutes ses promesses ? Que ceux qui ne craignent pas Dieu prennent garde à eux et qu’ils tremblent, car a il a étendu son bras pour leur rendre suivant leurs mérites ». 21. « Ils ont profané son alliance ». Voici en quels termes est conçue cette alliance qu’ils ont profanée : « Toutes les nations « de la terre seront bénies en votre race bm ». Ils ont profané son alliance. Et toi, que dis-tu à rencontre de ces paroles du divin Testateur ? L’Afrique seule a mérité la grâce de posséder saint Donat : l’Église du Christ est demeurée en lui seul. Dis donc : L’Église de Donat. Pourquoi dis-tu : L’Église du Christ, puisqu’il a été dit de lui : a En lui a seront bénies toutes les nations de la terre ? » Veux-tu suivre Donat ? Renonce au Christ, et alors tu seras libre. Écoutez ce qui suit : « Us a ont profané son alliance ». Quelle était cette alliance ? « Des promesses ont été faites à « Abraham et à sa race ». L’Apôtre ajoute : « Mes frères, lorsqu’un homme a fait un contrat ou un testament qui a été confirmé, « nul ne peut le casser ni y ajouter quoi que a ce soit. Or, des promesses ont été faites h a Abraham et à sa race ». L’Écriture ne dit pas : À ceux de sa race, comme si elle eût voulu en marquer plusieurs, mais « à sa race », c’est-à-dire à l’un de sa race, qui est le Christ bn. C’est donc en ce Christ que reposent les promesses de l’alliance : « En ta race seront bénies toutes les nations de la terre ». Tu as donc profané celte alliance, puisque lu as fait schisme avec l’ensemble de toutes les nations, et que tu fais bande à part. Que tu aies été retranché et i)rivé de l’héritage céleste, c’est un effet de la colère de Dieu ; car, écoule bien ce qui suit : « Ils ont profané son alliance, ils ont été séparés par a la colère de son visage ». Se peut-il quelque chose de plus formel ? Est-il possible de désigner plus clairement les hérétiques ? « Ils ont été divisés par la colère de son visage ». 22. « Et son cœur s’est approché ». De qui veut nous parler le Prophète, sinon de celui qui les a séparés dans sa colère ? Pourquoi a son cœur s’est-il approché ? » C’est pour que nous comprenions ses desseins ; car les hérétiques ont servi à asseoir la vérité catholique, et ceux qui ne suivent pas les enseignements de la foi ont contribué à affermir ceux qui lui sont restés fidèles. Il y avait, dans nos saints livres, une foule de passages obscurs : des hérétiques se sont séparés, qui ont soulevé des doutes, au grand détriment de la tranquillité de l’Église de Dieu ; les obscurités ont disparu, et l’on a connu la volonté du Seigneur. Voilà pourquoi il est dit dans un autre psaume : a II s’est fait une assemblée de taureaux au milieu des peuples, qui les ont « suivis comme des vaches, afin de faire sortir ceux qui avaient été purifiés par l’argent bo ». « Faire sortir », signifie faire paraître, faire briller : ainsi, dans l’art de travailler l’argent, on appelle ressorteurs ceux qui donnent une forme à un informe lingot. Il y avait donc, dans les rangs du peuple de Dieu, une multitude d’hommes capables de connaître et d’expliquer parfaitement le sens des Écritures : mais ils ne se faisaient pas connaître eux-mêmes et ne s’appliquaient à résoudre aucune difficulté, parce que personne ne songeait à en soulever. Est-ce qu’on avait traité d’une manière complète du mystère de la sainte Trinité, avant d’entendre blasphémer les Ariens ? Avait-on dit tout ce qui concerne la pénitence, tant que les Novatiens n’avaient point fait d’objection à ce sujet ? Ainsi, jusqu’au moment où certains hérétiques se séparèrent de l’Église et soutinrent la nécessité de réitérer le baptême, on n’avait point épuisé les questions qui y ont trait. On n’avait point non plus parlé nettement de l’unité de l’Église, comme on l’a fait depuis que ce nouveau schisme a ébranlé ceux d’entre les catholiques qui étaient faibles ; mais alors, ceux qui étaient pleinement instruits de ces matières ont dû, pour empêcher la perte des âmes infirmes, réfuter les vaines subtilités (les impies, et éclaircir, par leurs discours, ce qu’il y avait d’obscur dans l’Écriture sainte. De la sorte, la colère du visage de Dieu a séparé ces malheureux, et son cœur s’est approché de nous. Comprenez donc ce que le Prophète a dit en un autre psaume : « L’assemblée a des taureaux », c’est-à-dire des orgueilleux, confiants dans leur force, « au milieu des vaches des peuples ». Qu’appelle-t-il des vaches ? Les âmes faciles à séduire. Et pourquoi cela ? « Afin de faire sortir », de faire paraître ceux qui étaient cachés, « et qui sont a purifiés par l’argent ». Cet argent désigne la parole de Dieu, « Les paroles du Seigneur « sont des paroles pures et chastes ; c’est un argent purifié par le feu, purgé de toutes « les souillures de la terre et épuré sept « fois bp». Voyez comme l’Apôtre éclaircit ce passage et en fait ressortir le sens caché, « Il faut », dit-il, « qu’il y ait des hérésies, afin que l’on découvre parmi vous ceux qui sont éprouvés bq ». Que veut dire le mot « éprouvés ? » Il signifie : « Affermis par l’argent », par la parole de Dieu. « Et afin qu’on les découvre ? » Qu’ils sortent. Pourquoi ? À cause des hérétiques. Qu’est-ce à dire ? À cause de « l’assemblée des taureaux, au milieu des vaches des « peuples ». Voilà pourquoi « la colère du visage de Dieu les a divisés » : voilà pourquoi « son cœur s’est approché ». 23. « Ses discours sont plus doux que l’huile : a ils sont perçants comme des flèches ». Certaines paroles de l’Écriture semblaient dures, tant qu’elles n’étaient pas comprises : leur signification une fois saisie, elles ont paru douces à entendre. La première hérésie qui se soit déclarée parmi les disciples du Christ, a pris pour prétexte de son existence la dureté des discours du Sauveur. Il avait dit : « Si quelqu’un ne mange ma chair et ne boit mon sang, il n’aura point la vie en lui ». Ses disciples ne pénétrèrent pas le sens de ses paroles, et ils se dirent les uns aux autres : « Cette parole est dure : qui est-ce qui pourra « l’entendre ? » Us se plaignirent donc de cette dureté de ses discours, et ils se séparèrent de lui : aussi resta-t-il seul avec ses douze apôtres. Ceux-ci lui représentèrent que leurs compagnons avaient été scandalisés de l’entendre : alors il leur répondit : « Voulez-vous aussi me quitter ? Seigneur », dit saint Pierre, « où irions-nous ? Vous avez les paroles « de la vie éternelle br». Nous vous en conjurons, soyez attentifs à la leçon de l’Apôtre ; et, comme des enfants, apprenez de lui à être pieux. Est-ce que Pierre saisissait déjà, dans toute son étendue, le sens caché de ce discours de Jésus-Christ ? Non, il ne le saisissait pas, mais il croyait pieusement à la bonté des paroles qu’il ne comprenait pas. Par conséquent, si la parole de Dieu est dure, et qu’elle ne soit pas encore comprise, qu’elle reste dure pour les impies, mais que ta piété l’adoucisse pour toi, parce que, quand tu la comprendras, elle deviendra pareille à l’huile, et pénétrera jusqu’à tes os. 24. Pierre avait vu ses compagnons se scandaliser de la parole divine, trop dure à leur avis, et s’éloigner de lui, et alors il lui avait dit : « Seigneur, vous avez les paroles de la vie a éternelle : à qui pourrions-nous aller ? » Il semblerait que le Prophète est dans les mêmes sentiments que le prince des Apôtres, et qu’il tient à Dieu le même langage ; il ajoute : « Jette dans le sein du Seigneur toute ta sollicitude, et il te nourrira ». Tu es petit ; tu ne comprends pas encore le sens caché des paroles divines : il y a peut-être là du pain, et tu ne peux encore te nourrir que de lait bs. Ne t’irrite pas contre les mamelles que tu suces ; elles te rendront capable de l’asseoir plus tard à une table : aujourd’hui, tu ne saurais encore y prendre place. Voilà que, par suite de l’éloignement des hérétiques, plusieurs passages de l’Écriture ont perdu leur dureté et se sont amollis : de durs qu’ils étaient, les discours du Seigneur sont devenus plus doux que l’huile ; « et, pourtant, ce sont des flèches ». Entre les mains des prédicateurs de l’Évangile ils sont devenus une arme puissante. Munis de telles armes, ces prédicateurs les lancent au cœur de ceux qui les écoutent : ils les attaquent à temps et à contre-temps, et ces discours et ces paroles sont comme des flèches destinées à percer le cœur des hommes et à les disposer à la paix. Ces paroles étaient dures et elles se sont adoucies, et, pourtant, elles n’ont rien perdu de leur force : elles se sont changées en flèches. « Ses discours sont devenus doux comme de l’huile, et ils sont perçants comme des flèches ». Tu n’es peut-être pas encore capable de manier ces armes : ce que ces discours renferment d’obscurité n’est peut-être pas encore à la portée de ton intelligence ; ce qu’ils ont de dur ne s’est peut-être pas encore amolli pour toi : « Jette donc, dans le sein de Dieu, ta sollicitude, et il te nourrira ». Jette-toi dans les bras de Dieu ; et, si tu veux agir ainsi, que personne ne se substitue à lui. « Jette sur lui ta sollicitude ». Vois comment saint Paul, ce grand soldat de Jésus-Christ, a défendu aux petits de se décharger sur lui-même de tous leurs soins, « Est-ce Paul qui a été crucifié pour vous ? ou bien, est-ce au nom de Paul que vous avez été baptisés bt ? » N’était-ce pas leur dire : « Déchargez-vous sur le Seigneur de « tous vos soins, et il vous nourrira ? » Aujourd’hui un enfant veut se jeter avec sa sollicitude dans les bras du Seigneur, et voilà que je ne sais quel étranger se présente à lui, et lui dit : C’est moi qui te reçois. Cet enfant ressemble à un vaisseau qui est devenu le jouet de la tempête, et l’étranger lui dit : Je te reçois. Réponds-lui : Je cherche un port afin de m’y réfugier, et non pas un rocher pour me briser contre lui : « Jette dans le sein de « Dieu ta sollicitude, et il te nourrira », et vois bien qu’il est comme un port où tu trouveras ton salut. « Il ne permettra pas que le « juste soit éternellement agité ». Tu sembles ballotté au gré des flots de la mer orageuse de cette vie : tu arriveras au port ; seulement, avant d’y entrer, aie soin de ne pas laisser briser le câble qui te relient à l’ancre : maintenu par l’ancre, le vaisseau peut être agité : jamais la tempête ne le pousse loin du rivage, et, bien qu’il soit agité aujourd’hui, il ne le sera pas toujours. C’est à celle agitation que le Prophète faisait tout à l’heure allusion, quand il disait : « Je me suis affligé dans mon a exercice, et je me suis troublé : j’attendais « celui qui devait me délivrer du découragement et de la tempête ». Lorsqu’il parlait, il était en proie à l’agitation, mais il ne devait pas être toujours agité, car il était fortement retenu à l’ancre, et cette ancre était son salut. « Il ne permettra pas que le juste soit éternellement agité ». 25. Mais que deviendront les impies ? « Pour vous, Seigneur, vous les conduirez dans un puits de corruption bu ». Ce puits de corruption désigne un abîme de ténèbres. « Vous « les conduirez dans un puits de corruption » : parce que, quand un aveugle en conduit un autre, ils tombent tous les deux dans le précipice bv. Dieu les conduit dans le puits de la corruption, non parce qu’il est l’auteur de leurs fautes, mais parce qu’il est le juge de leurs iniquités : il les a abandonnés aux passions de leur cœur bw : car ils ont préféré les ténèbres à la lumière ; ils ont mieux aimé être aveugles que jouir de la vue. Le Seigneur Jésus a brillé aux yeux de l’univers entier : qu’ils s’unissent donc à tous les autres hommes, et qu’ils chantent : « Il n’y a personne qui « puisse se dérober à l’ardeur bienfaisante de « ses rayons ^ ». Mais non ; ils se sont séparés de tous pour s’attacher à. un seul : ils ont quitté tout le corps pour suivre un membre pourri ; ils ont abandonné la vie pour se jeter dans la mort : quel sera leur châtiment, sinon de tomber dans le puits de la corruption ? 26. « Les hommes de sang et d’hypocrisie ». Le Prophète les appelle a hommes de « sang », en raison de l’influence désastreuse et meurtrière qu’ils exercent autour d’eux : si seulement ils se bornaient à tuer les corps, sans toucher aux âmes ! Le sang qui s’échappe d’une plaie corporelle fait mal à voir : mais voit-on saigner le cœur de celui qu’on a rebaptisé ? Un spectacle pareil ne frappe que les regards de l’âme. Les circoncellions ne se font pas faute de commettre des meurtres visibles, et, par conséquent, nous pouvons les appeler à la lettre « des « hommes de sang ». Considère leurs armes, et dis-moi s’ils ne sont pas plutôt des hommes de sang que des hommes de paix. Ils ne se contentent pas de porter en leurs mains des bâtons : on y voit encore des frondes, des haches, des pierres, des lances : munis de ces instruments dangereux, ils se répandent et pénètrent partout où ils peuvent : ils ont soif du sang innocent ; ils sont donc, à vrai dire, a des hommes de sang ». Quoi qu’il en soit, nous serions encore tentés de dire : Plaise à Dieu que de tels hommes se bornent à faire mourir les corps sans faire périr les âmes ! Et qu’ils ne se l’imaginent pas : nous ne détournons point de leur sens les paroles du Psalmiste, quand nous appelons « hommes de sang », ceux qui tuent les âmes, car ils ont donné le même nom à leurs Maximianistes, Ils les ont, en effet, condamnés, et, dans la sentence de condamnation prononcée contre eux, les membres de leur concile ont dit : « Leurs pieds sont prompts et légers pour répandre le sang : l’affliction et le malheur a se trouvent dans leurs voies, ils n’ont point connu le chemin de la paix bx ». Voila ce qu’ils ont dit des Maximianistes. Et moi, je demande à quelle époque les Maximianistes sont devenus des assassins ? Je suis loin de dire qu’ils ne se seraient pas rendus coupables de meurtre, s’ils avaient pu se trouver en assez grand nombre pour espérer l’impunité ; mais enfui leur petit nombre les a rendus timides : ils préféraient souffrir eux-mêmes ce qu’ils ne pouvaient faire souffrir aux autres. J’interroge donc un donatiste, et je lui dis : Dans ton concile, tu as appliqué aux Maximianistes ces paroles ; « Leurs pieds étaient agiles a pour répandre le sang ». Eh bien ! indique-moi une seule personne que les Maximianistes aient touchée du bout du doigt. Me répondra-t-il autre chose que ce que je dis moi-même ? Ceux qui se sont séparés de l’unité, qui séduisent les âmes et les fout par conséquent mourir, ne sont-ils pas de vrais assassins ? S’ils ne tuent pas les corps, n’ôtent-ils pas la vie aux âmes ? Tu as parfaitement expliqué les paroles du Psalmiste ; et, puisque tu agis de la sorte, ne cherche point à te dérober aux conséquences de tes explications. « Les « hommes de sang et de ruse ». Leur ruse consiste à tromper les autres, à dissimuler leurs pensées, à séduire les âmes. Qui sont donc ceux « que la colère de Dieu a séparés ? » ce sont « des hommes de sang et de ruse ». 27. Qu’est-ce que le Prophète dit de pareilles gens ? « Us n’iront pas à la moitié de leurs « jours ». « Ils n’iront pas à la moitié de leurs a jours », c’est-à-dire, ils ne réussiront pas comme ils se le promettent : ils décherront avant que se soit écoulée la série des jours sur lesquels ils fondent leurs espérances. Ne ressemblent-ils pas à cette perdrix dont il a été écrit : « Ils l’abandonneront au milieu de ses « jours et, à la fin de sa vie, elle sera folle et a insensée by ? » Us réussissent, mais seulement pour un temps, car voici ce que dit l’Apôtre : a Les méchants et les imposteurs se fortifieront de plus en plus dans le mal, séduisant « les autres et se trompant eux-mêmes. – Si « un aveugle sert de guide à un autre aveugle, « ils tombent tous les deux dans le précipice bz». C’est donc à juste titre que le Prophète dit qu’ails tombent dans un puits de corruption ». Qu’est-ce donc que dit l’apôtre saint Paul : « Ils se fortifieront de plus en plus dans le mal », mais ce ne sera pas pour longtemps, puisqu’un peu auparavant il avait dit : Mais leurs progrès auront des bornes, c’est-à-dire, « ils n’iront pas à la moitié de leurs jours ». Écoutez ce qu’il ajoute, et vous y verrez la raison de ces paroles : « Leur folie sera connue de tout le monde, de la même manière que fut manifestée la folie de ces personnes ca ». « Les a hommes de sang et de ruse n’iront pas à la « moitié de leurs jours : pour moi. Seigneur, « j’espérerai en vous ». Les méchants n’arriveront pas à la moitié de leurs jours, puisqu’ils ont mis dans l’homme leur espérance ; mais moi, pourquoi passé-je des jours de cette vie au jour de l’éternité ? Parce que c’est en vous, ô mon Dieu, que j’ai placé mon espoir.
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