Psalms 9:13
DISCOURS SUR LE PSAUME 9
LES ACTES MYSTÉRIEUX DE JÉSUS-CHRIST.
Ces actes secrets consistent dans son avènement, tellement humble que les Juifs ne l’ont point connu, et dans cette sagesse mystérieuse qui lui fait abandonner aux impies les prospérités temporelles ; piège funeste auquel ils seront, pris ! tandis qu’il attire à lui les justes en les châtiant dès ici-bas. 1. Ce psaume a pour titre : « Pour la fin, psaume de David, pour les secrets du Fils a ». On peut se demander quels sont ces mystères du Fils : mais comme ce Fils n’est point précisé, nous devons comprendre que c’est le Fils unique de Dieu. En effet, le psaume qui porte en inscription : Pour le fils de David, ajoute : « Quand il fuyait devant son fils Absalon b ». Nominer celui-ci, c’était ne laisser aucun doute sur le fils dont il était question ; et toutefois il n’est pas dit seulement : « Devant la face du fils Absalon », mais bien : « De son fils ». Or, ici comme il n’est pas dit : « Son fils », et comme d’ailleurs beaucoup de passages regardent les Gentils, le psaume ne peut s’entendre d’Absalon ; et d’ailleurs la guerre que ce fils de perdition fit à son père, n’a aucun rapport avec les Gentils, puisque le peuple seul d’Israël se divisa contre lui-même c. Ce psaume est donc le chant des mystères du Fils unique de Dieu. Car le Sauveur se veut désigner lui-même, quand il dit simplement : Le Fils, sans rien ajouter ; ainsi dans ce passage : « Si le Fils vous délivre, vous aurez la vraie liberté d », il ne dit pas : « Le Fils de Dieu », mais simplement : Le Fils, laissant à juger de qui il est fils. Cette expression ne convient qu’à ce Fils par excellence, que l’on peut reconnaître dans notre langage, quand même il ne serait pas désigné plus spécialement. C’est ainsi que nous disons : Il pleut, il fait beau, il tonne, – et autres manières de parler, sans préciser qui fait ces choses, parce que l’auteur par excellence s’offre de lui-même à notre esprit, sans être plus désigné. Quels sont donc les mystères du Fils ? D’abord cette expression nous fait comprendre que le Fils a des actes connus, dont on distingue ceux que l’on appelle secrets ou mystérieux. Or, comme nous croyons à deux avènements du Sauveur, l’un accompli et que les Juifs n’ont pas compris ; l’autre à venir, que nous attendons tous ; comme le premier, ignoré des Juifs, a été avantageux aux Gentils, on peut fort bien entendre par les mystères ou les secrets du Fils, ce premier avènement, où l’aveuglement a frappé une partie d’Israël, jusqu’à ce que la plénitude des nations entrât dans l’Église e. Pour l’homme attentif, l’Écriture insinue aussi deux jugements, l’un occulte, et l’autre évident. Le jugement occulte se fait actuellement, selon cette parole de saint Pierre : « Voici le temps où Dieu va commencer le jugement par la maison du Seigneur f ». Ce jugement occulte est don la peine qui stimule chaque homme à se purifier, ou l’avertit de retourner à Dieu, ou le frappe d’un aveuglement qui le perdra s’il méprise la voix et les corrections du Seigneur. On appelle manifeste, ce jugement dans lequel Jésus-Christ viendra juger les vivants et les morts, où tous confesseront que c’est de lui que viendront et aux bons la récompense, et aux méchants le supplice. Mais cette confession faite alors, loin de remédier au malheur, portera la damnation à son comble. Il est probable que le Seigneur parlait de ce double jugement, dont l’un est occulte et l’autre manifeste, quand il disait : « Celui qui croit en moi, a passé de la mort à la vie, et ne tombera point au jugement g » ; c’est-à-dire au jugement visible. Car, passer de la mort à la vie, par une de ces afflictions, dont le Seigneur châtie ceux qu’il reçoit parmi ses enfants, c’est là le jugement occulte. « Celui qui ne croit point », disait-il encore, « est déjà jugé h », c’est-à-dire, que le jugement occulte de Dieu le prépare au jugement manifeste. Le Sage nous parle aussi de ces deux sortes de jugements, quand il dit : « Votre jugement les a livrés à la dérision comme de jeunes insensés ; et ceux que ce jugement n’a pas corrigés ont éprouvé le sévère jugement de Dieu i ». Ils sont donc réservés aux châtiments justes et sévères du jugement manifeste, ceux que ne redresse point le jugement secret du Seigneur. Ce psaume alors nous entretient des mystères du Fils, c’est-à-dire et de cet avènement dans son humilité, si utile aux nations, quand il tenait les Juifs dans l’aveuglement, et de cette peine dont Dieu se sert dans le secret, non pour damner les pécheurs, mais soit pour exercer la foi de ceux qui se convertissent, soit pour déterminer les autres à se convertir, soit afin de préparer à la damnation par l’aveuglement ceux qui demeurent dans l’impénitence. 2. « Je vous confesserai, Seigneur, dans toute l’étendue de mon cœur j » Douter quelque peu de sa providence, ce n’est point confesser Dieu de tout son cœur ; mais comprendre, dans les mystérieux desseins de la sagesse divine, combien se dérobe à nos regards la récompense de celui qui dit : « Nous goûtons la joie dans les afflictions k » ; comment toutes les peines corporelles qui nous affligent doivent aboutir à exercer ceux qui se convertissent à Dieu, ou à porter les pécheurs à se convertir, ou à préparer à la dernière et juste vengeance les pécheurs endurcis ; et de la sorte, rapporter au gouvernement de la divine Providence, tous ces événements que les insensés attribuent témérairement au hasard, et nullement à l’action divine ; c’est là confesser Dieu. « Je publierai toutes vos merveilles ». C’est publier toutes les merveilles de Dieu, que découvrir la main de Dieu, non seulement dans ce qu’elle opère de visible sur le corps, mais dans son action invisible et bien supérieure sur les âmes. Car les hommes terrestres et qui jugent par les yeux, verront une plus grande merveille dans la résurrection corporelle de Lazare, que dans la résurrection spirituelle de Paul le persécuteur l. Mais comme un miracle visible est pour l’âme un appel à la lumière, et qu’un miracle invisible éclaire celle qui obéit à cet appel ; c’est raconter toutes les merveilles de Dieu, que croire aux miracles visibles, et de là s’élever à l’intelligence des miracles invisibles. 3. « Je me réjouirai en vous, et en vous je tressaillerai d’allégresse m ». Ni ce monde, ni les voluptés de la chair, ni les saveurs qui flattent le palais et la langue, ni les odeurs suaves, ni l’harmonie des sons passagers, ni les couleurs si variées des corps, ni les vaines louanges des hommes, ni les épousailles et une postérité périssable, ni la surabondance des biens temporels, ni l’étude profane de ce que renferment les espaces, ou de tout ce qu’amène la succession des temps, rien de tout cela, Seigneur, « n’est le sujet de ma joie ; mais en vous, je tressaille d’allégresse », ou plutôt dans ces mystères du Fils, qui a « marqué sur notre front l’empreinte de votre lumière, ô mon Dieu n ». Car « vous les cacherez, dit le Prophète, dans le secret de votre face o ». C’est donc vous qui faites la joie et l’allégresse de ceux qui racontent vos merveilles ; et il racontera vos merveilles, celui que nous annonce le Prophète, et qui viendra faire, non sa propre volonté, mais la volonté de son Père qui l’a envoyé p. 4. Nous commençons donc à voir que c’est Jésus-Christ qui parle dans ce psaume. Car le verset suivant porte : « Je chanterai votre nom, ô Très-Haut, car vous avez fait rebrousser mon ennemi en arrière q ». Or, quand l’ennemi de Jésus-Christ rebroussa-t-il en arrière, sinon quand il lui fut dit : « Retire-toi en arrière, Satan r? » Car alors celui qui voulait par la tentation se mettre en avant, dut reculer en arrière, puisqu’il échoua dans ses tentatives de séduction, et n’obtint aucun avantage. L’homme terrestre est en arrière, mais l’homme céleste, quoique venu le dernier, est néanmoins en avant. « Le premier homme est terrestre, et vient de la terre, le second est céleste, et vient du ciel s ». C’est de la race du premier que venait celui qui a dit : « Celui qui vient après moi a été fait avant moi t », et l’apôtre saint Paul, oubliant ce qui est derrière lui, se porte à ce qui est en avant u. L’ennemi donc rebroussa en arrière quand il échoua auprès de l’homme céleste qu’il tentait, et il se retourna vers les hommes terrestres qu’il pouvait dominer. Nul homme, dès lors, ne peut prendre le devant sur cet ennemi, et le faire rebrousser en arrière, si ce n’est celui qui a échangé l’image de l’homme terrestre contre l’image de l’homme céleste v. Nous pouvons encore, sans absurdité, par « mon ennemi » entendre, si nous l’aimons mieux, ou le pécheur en général, ou l’homme idolâtre. Alors ces paroles : « Vous avez fait rebrousser mon ennemi en arrière », n’exprimeront point un châtiment, mais un bienfait, et un bienfait tel qu’on ne peut rien lui comparer. Quoi de plus heureux que d’abjurer son orgueil, et de renoncer à précéder le Christ, comme si nous étions en santé mais sans avoir besoin du médecin ; mais de préférer suivre le Christ qui, appelant son disciple à la perfection, lui dit : « Suivez-moi w ? » Il vaut mieux néanmoins appliquer au démon cette parole : « Vous avez fait rebrousser mon ennemi en arrière ». Car le démon a été forcé de reculer, même dans la persécution des justes, et il est plus avantageux pour nous de subir ses poursuites, que de le suivre, comme s’il était pour nous un guide et un chef, Chantons donc le nom du Très-Haut qui a fait rebrousser l’ennemi en arrière, puisqu’il est bien mieux pour nous de fuir ses poursuites, que de le suivre quand il veut nous conduire. Car nous avons une retraite et un asile caché dans les mystères du Fils : « Et le Seigneur deviendra notre refuge x. » 5. « Ils seront abattus et anéantis en votre présence y ». Qui donc tombera pour être anéanti, sinon le pécheur et l’impie ? « Il tombera », parce qu’il n’aura plus de force ; « il sera anéanti », parce qu’il cessera d’être impie ; « en votre présence », c’est-à-dire, quand il vous connaîtra, comme fut anéanti celui qui a dit : « Je vis, non pas moi, mais le Christ vit en moi z ». Mais pourquoi « l’impie sera-t-il abattu et anéanti en votre présence ? » C’est, répond le Prophète : « Parce que vous m’avez rendu justice, et que vous vous êtes déclaré pour ma cause aa » ; c’est-à-dire, vous avez tourné à mon avantage et ce jugement dans lequel je parus être jugé, et cette condamnation que les hommes prononcèrent contre moi, en dépit de ma justice et de mon innocence. Car tout cela servit au Fils de Dieu pour notre délivrance : ainsi le pilote appelle sien, le vent qui lui sert pour une heureuse navigation. 6. « Vous êtes monté sur votre siège, vous qui jugez avec équité ab ». Tel peut être le langage du Fils à son Père, dans le même sens qu’il disait : « Vous n’auriez aucun pouvoir sur moi s’il ne vous était donné d’en-haut ac », regardant comme un effet de l’équité de son Père et de ses propres secrets, que le juge des hommes ait été jugé pour le salut des hommes. Peut-être est-ce l’homme qui dit à Dieu : « Vous êtes monté sur votre trône, vous qui jugez dans l’équité » ; désignant son âme sous le nom d’un trône, et alors son corps serait la terre, appelée escabeau des pieds du Seigneur ad : car Dieu était en Jésus-Christ, se réconciliant le monde ae. Peut-être est-ce l’âme de l’Église, déjà parfaite, sans tache et sans ride af, digne des secrets du Fils, parce que le roi l’a introduite dans sa demeure secrète ag, l’âme de l’Église qui dit à son Époux : « Vous êtes monté sur « votre trône, vous qui jugez avec justice », parce que vous êtes ressuscité d’entre les morts, pour vous élever au ciel et vous asseoir à la droite du Père. On peut, sans blesser les règles de la foi, donner à ces paroles, l’une ou l’autre de ces trois interprétations. 7. « Vous avez châtié les nations, et le méchant a péri ah ». Il est mieux d’appliquer ces paroles à Jésus-Christ que d’en faire son langage. Quel autre a châtié les nations pour en faire disparaître l’impie, comme il le fit, après son ascension ? Car alors il envoya l’Esprit-Saint, dont furent remplis les Apôtres qui prêchèrent avec confiance la parole de Dieu et accusèrent avec liberté les péchés des hommes. Leurs réprimandes firent disparaître l’impie, qui fut justifié et devint pieux. « Vous avez effacé son nom pour le siècle, et « dans les siècles des siècles ai », Le nom de l’impie a disparu, car on ne peut appeler impie celui qui croit au vrai Dieu ; son nom est donc effacé pour le siècle, c’est-à-dire, pendant que s’écouleront les jours du siècle. « Et dans les siècles des siècles ». Qu’est-ce que le siècle du siècle, sinon la durée dont le siècle n’est que l’image et comme l’ombre ? Car cette révolution des temps qui se succèdent, alors que la lune croît et décroît, que le soleil revient chaque année dans sa gloire, que le printemps, que l’été, que l’automne et que l’hiver ne s’en vont que pour revenir encore, tout cela nous donne une certaine image de l’éternité. Mais la durée qui subsiste dans une immuable continuité, s’appelle siècle de ces siècles qui s’écoulent ; elle est pour eux, comme le vers que vous avez dans l’esprit à l’égard de celui que vous prononcez de la voix. Le premier se comprend, le second s’entend, a sa mesure dans le premier, qui est l’œuvre de l’art et qui demeure, tandis que le second passe dans l’air avec le son de la voix. C’est ainsi que le siècle qui passe trouve son modèle dans le siècle immuable, que l’on appelle siècle des siècles. Celui-ci demeure chez le divin ouvrier, il est en permanence dans la sagesse et dans la puissance de Dieu : tandis que celui-là en mesure l’action dans chaque créature. Peut-être encore n’est-ce qu’une répétition, et qu’après avoir dit : « Dans le siècle », pour qu’on ne l’entendît point du siècle qui s’écoule, le Prophète aura ajouté : « Et dans le siècle du siècle ». Car il y a dans la version grecque : eis ton aiona, kai eis ton aiona tou aionos. Ce que plusieurs versions latines ont exprimé, non point en disant : « Dans le siècle, et dans le siècle du siècle » ; mais bien : « Dans l’éternité et dans le siècle des siècles ». Le nom de l’impie est donc détruit pour l’éternité, c’est-à-dire, que jamais à l’avenir il n’y aura plus d’impies ; et si leur nom ne peut subsister dans ce siècle, il ne tiendra point dans le siècle des siècles. 8. « Les framées de l’ennemi ont fait défaut jusqu’à la fin aj. ». Ici, l’ennemi est au singulier, et non au pluriel. Or, cet ennemi, dont les armes ont fait défaut, quel est-il, sinon le démon, dont les armes sont les mille formes de l’erreur, qu’il emploie comme des glaives pour tuer les âmes ? Mais à l’encontre de ces glaives, et pour les anéantir, il y a le glaive du Seigneur, dont il est dit au psaume septième : « il brandira son glaive, si vous ne retournez à lui ». C’est lui peut-être qui est le terme où doit échouer la force des glaives ennemis, qui doivent prévaloir jusqu’à lui. Aujourd’hui, il travaille en secret, mais au dernier jugement, il resplendira de tout son éclat. C’est lui encore qui détruit les cités ; car, après avoir dit que la puissance doit être en défaut, le Prophète ajoute : « Et vous avez détruit leurs cités ». Une âme devient la ville de Satan, quand les conseils artificieux et mensongers lui établissent en quelque sorte une cour, qui se fait obéir par ses membres chacun dans son usage, comme par autant de satellites et de ministres ; les yeux servent la curiosité, les oreilles ses instincts licencieux, et elles recueillent tout propos qui porte à la débauche, les mains exercent la rapine et toute violence criminelle, et les autres membres soumis à une semblable tyrannie, travaillent dans ces desseins pervers. La populace de cette ville consisterait dans ces appétits sensuels et ces mouvements tumultueux de l’âme, qui soulèvent journellement dans l’homme des conflits séditieux. Il y a donc une cité partout où vous trouverez un roi, une cour, des ministres et un peuple. Et dans les villes déréglées nous ne verrions point tant de maux, s’ils n’existaient d’abord dans chacun des citoyens, qui sont pour les cités des germes et des éléments. Ces cités donc, Jésus-Christ les détruit quand il en chasse le prince, ainsi qu’il est dit : « Le prince de ce siècle a été chassé dehors ak » : la parole de la vérité porte le ravage dans ces royaumes, y étouffe les pernicieux desseins, y réprime les affections honteuses, y réduit en servitude l’action des membres et des sens, qui doivent servir à l’œuvre de la justice et du bien ; et ainsi s’accomplit cette parole de l’Apôtre : « Que le péché ne règne plus dans notre corps mortel al », et le reste du passage. Alors l’âme apaisée se trouve en état d’acquérir le repos et le bonheur éternel. « Leur mémoire a péri avec fracas am », c’est-à-dire, la mémoire des impies. « Avec fracas », l’impiété ne se détruit pas sans bruit. Car nul homme n’arrive au calme du silence, à la paix profonde, s’il n’a d’abord fait à ses vices une guerre bruyante. Ou bien, « avec fracas », signifierait que la mémoire de l’impie périt avec ce fracas que fait ordinairement l’impiété. 9. « Tandis que le Seigneur demeure éternellement an. À quoi bon dès lors ces frémissements des nations et ces vaines machinations des peuples contre le Seigneur et contre son Christ ao », puisque le Seigneur demeure éternellement ? « Il a préparé son trône pour le jugement, et il jugera l’univers dans l’équité ap ». C’est quand il a été jugé qu’il a préparé son trône. La patience qu’il a montrée nous méritait le ciel, et ce Dieu caché dans l’homme, stimulait notre foi. C’est là le jugement occulte du Fils. Mais parce qu’il doit venir d’une manière visible et dans sa gloire pour juger les vivants et les morts, il s’est préparé un trône par un jugement caché. « Et il jugera ouvertement le monde « selon la justice », c’est-à-dire qu’il rendra à chacun selon son mérite, en plaçant les agneaux à sa droite et les boucs à sa gauche aq. « Il jugera les peuples dans la justice », c’est la répétition de ce qui vient d’être dit, « qu’il jugera l’univers dans l’équité ». Dieu donc ne jugera point à la manière des hommes qui ne voient point le cœur, et qui en viennent plus souvent à renvoyer les coupables qu’à les condamner ; mais il jugera dans l’équité, selon la justice, selon le témoignage de la conscience, et selon que leurs pensées les accuseront ou les défendront ar. 10. « Et le Seigneur est devenu le refuge du pauvre as ». Quelles que soient les poursuites de cet ennemi qui a dû rebrousser en arrière, comment nuirait-il à ceux qui trouvent un asile dans le Seigneur ? Il sera leur refuge, si dans ce monde, dont Satan est le prince, ils choisissent la pauvreté, ne s’attachant à rien de ce qui échappe à notre avidité pendant cette vie, ou que nous abandonnons à la mort. C’est à ces pauvres que le Seigneur sert de refuge. « Il est leur appui dans les jours de bonheur, dans la tribulation at ». C’est lui qui fait le pauvre, puisqu’il chante celui qu’il reçoit au nombre de ses enfants au. Car le Prophète nous explique « l’appui dans les jours de bonheur », quand il ajoute : « Dans la tribulation ». L’âme, en effet, ne se tourne vers Dieu, qu’en répudiant le monde, alors que la fatigue et la douleur viennent se mêler à ses plaisirs si frivoles, si dangereux et si funestes. 11. « Qu’ils espèrent en vous ceux qui connaissent votre nom av », en cessant de mettre leur espoir dans les richesses, et dans les autres charmes de ce monde. L’âme qui se détache du monde, et qui cherche en qui mettre son espérance, se réfugie avec bonheur dans la connaissance du nom même de Dieu. À la vérité, ce nom se trouve aujourd’hui dans toutes les bouches ; mais le connaître, c’est connaître aussi Celui dont il est le nom. Car un nom n’est pas tel par lui-même, il n’a de valeur que dans sa signification. Or, il est dit : « Le Seigneur est son nom aw ». Connaître son nom, c’est donc se mettre avec plaisir à son service. « Et qu’ils espèrent en vous, ceux qui connaissent votre nom ». Le Seigneur dit encore à Moïse « Je suis celui qui suis ax, et tu diras aux enfants d’Israël : Celui qui est, m’a envoyé. Que ceux-là donc, Seigneur, espèrent en vous qui connaissent votre nom », de peur qu’ils ne mettent leur espoir dans les biens qui passent avec la rapidité du temps, qui n’ont rien que le futur et le passé. À peine ce qu’ils ont de futur est-il arrivé, qu’il est déjà passé. On l’atteint avec empressement, on le perd avec douleur. Mais dans la nature divine, il n’y a rien de futur qui ne soit point encore, rien de passé qui ne soit plus ; être, c’est là tout ce qu’elle est, c’est l’éternité. Qu’ils cessent donc de mettre leur espoir et leur amour dans les biens du temps, qu’ils élèvent leur espérance jusqu’à l’éternité, ceux qui connaissent le nom de celui qui a dit : « Je suis celui qui suis », et dont il est écrit : « Celui qui est, m’a envoyé. Parce que vous n’abandonnerez pas, Seigneur, ceux qui vous cherchent ». Le chercher, c’est ne plus chercher des biens passagers et périssables, puisque « nul ne peut servir deux maîtres ay ». 12. « Chantez au Seigneur qui habite en Sion az », est-il dit à ceux qui cherchent le Seigneur, et qu’il n’abandonne pas. Il habite Sion, qui signifie contemplation, et nous offre l’image de l’Église actuelle, comme Jérusalem figure l’Église à venir ou la cité des saints qui jouissent déjà de la vie des anges, puisque Jérusalem signifie vision de la paix. Or, la contemplation précède la vision, comme l’Église d’ici-bas précède la cité immortelle et éternelle qui nous est promise ; mais elle ne la précède que dans l’ordre du temps sans la surpasser en dignité, car la fin où nous tendons est plus honorable que l’effort que nous faisons pour y arriver ; or, notre effort actuel, c’est la contemplation, par laquelle nous arriverons à la vision. Mais si dès aujourd’hui le Seigneur n’habitait dans l’Église de la terre, la plus attentive contemplation pourrait aboutir à l’erreur. Aussi est-il dit : « Le temple de Dieu est saint, et vous êtes ce temple ba » ; et : « Le Christ habite dans l’homme intérieur et dans vos cœurs par la foi bb ». Il nous est donc ordonné de chanter au Seigneur qui habite en Sion, afin que nous chantions de concert les louanges du Dieu qui habite en son Église. « Annoncez parmi les peuples ses merveilles bc ». C’est ce qui a été fait, et se fera toujours. 13. « Le Seigneur s’est souvenu d’eux, en recherchant leur sang répandu bd ». Comme si les Apôtres, envoyés porter l’Évangile aux peuples, répondaient à cette injonction : « Publiez ses merveilles parmi les peuples », et disaient : « Seigneur, qui pourra croire à notre parole be ? » et : « Chaque jour, votre amour nous fait égorger ? ». Le Prophète a raison d’ajouter que pour les chrétiens persécutés, le fruit de la mort sera la grande acquisition de l’éternité : « Parce que le Seigneur se souvient d’eux et venge leur sang ». Mais pourquoi le Prophète a-t-il choisi de préférence cette expression : « Leur sang ? » Répondrait-il à cette question que pourrait lui faire un homme ignorant et faible dans la foi : « Comment prêcheront-ils chez ces infidèles qui doivent les égorger bf ? » et dirait-il : « Le Seigneur se souviendra d’eux, et vengera leur sang », c’est-à-dire, viendra le dernier jugement pour mettre à découvert la gloire des victimes et le châtiment des bourreaux ? Car nul n’entendra cette expression : « Dieu s’est souvenu d’eux », comme s’il avait pu les oublier ; mais parce que le dernier jugement ne doit arriver qu’après un long espace de temps, le Prophète s’accommode au langage des hommes faibles, qui s’imaginent que Dieu oublie, parce qu’il agit avec plus de lenteur qu’eux-mêmes ne voudraient. C’est pour eux encore qu’il est dit plus bas : « Il n’a point oublié le cri des pauvres bg » c’est-à-dire, il n’a point oublié, comme vous le pensez ; et comme si, après avoir entendu ce mot : « Il s’est souvenu », ils disaient : « Il avait donc oublié » : « Non », dit le Prophète, « il n’oublie point le cri du pauvre ». 14. Mais quel est, dirai-je, ce cri du pauvre que le Seigneur n’oublie point ? Est-ce le cri exprimé dans les paroles suivantes : « Prenez-moi, Seigneur, en pitié, voyez à quelle humiliation me réduisent mes ennemis bh ? » Pourquoi donc ne disait-il pas au pluriel : « Prenez-nous en pitié, Seigneur, et voyez à quelle humiliation nous réduisent nos ennemis ? » comme si tant de pauvres criaient ensemble ; et dit-il : « Prenez-moi en pitié, Seigneur », comme s’il n’y avait qu’un seul pauvre ? Est-ce que celui-là seul parle au nom des saints qui, étant riche, s’est fait pauvre pour nous bi ? Lui aussi dirait alors : « C’est vous qui me relevez des portes de la mort, afin que je publie vos louanges aux portes de la ville de Sion bj ». Car c’est Jésus-Christ qui relève l’homme, non seulement cet homme dont il s’est revêtu, et qui est le chef de l’Église ; mais chacun de nous, qui sommes les membres de son corps, et il nous élève au-dessus des convoitises dépravées qui sont les portes du trépas, puisque c’est par là que nous allons à la mort. Et la mort est déjà dans ces joies que procurent les jouissances, quand nous acquérons ce qu’il était criminel de désirer : « Car la convoitise est la racine de tous les maux bk ». Aussi peut-on l’appeler porte de la mort, car une veuve qui vit dans les délices est déjà morte bl. Or, c’est par la convoitise que nous entrons dans les délices, comme par les portes de la mort. Mais les portes de Sion sont les saints désirs qui aboutissent à la vision de la paix dans la sainte Église. C’est donc dans ces portes qu’il nous faut publier toutes les louanges du Seigneur, afin que l’on ne donne pas aux chiens ce qui est saint, ni les perles aux pourceaux bm, Les premiers préfèrent aboyer toujours, plutôt que de rechercher avec soin ; les autres ne veulent ni aboyer ni chercher, mais se vautrer dans la fange de leurs voluptés. Mais quand on loue le Seigneur avec de saintes affections, alors il accorde à ceux qui demandent, il se manifeste à ceux qui le cherchent, il ouvre à ceux qui frappent. Ces portes de la mort s’entendraient-elles des sens du corps, des yeux qui s’ouvrirent en Adam, quand il eut goûté du fruit défendu bn, et au-dessus desquels s’élèvent ceux qui ne recherchent point les biens visibles, mais les invisibles ? « Ce qui est visible, en effet, n’est que temporel, tandis que les biens invisibles sont éternels bo » ; et alors les portes de Sion ne seraient-elles pas les sacrements et les principes de la foi que Dieu veut bien ouvrir à ceux qui frappent, afin qu’ils parviennent à connaître les secrets du Fils ? « Car ni l’œil n’a vu, ni l’oreille n’a entendu, ni le cœur de l’homme n’a compris, ce que Dieu a préparé à ceux qui l’aiment bp » ici finirait alors ce cri des pauvres, qui n’est point en oubli pour le Seigneur. 15. Voyons la suite. « Je serai dans la joie, à la vue du Sauveur qui vient de vous bq » ; c’est-à-dire, je trouverai mon bonheur dans le Sauveur que vous m’avez donné, qui est Notre-Seigneur Jésus-Christ, la force et la sagesse de Dieu br. Tel est donc le langage de l’Église, affligée ici-bas et sauvée par l’espérance : tant que le jugement du Fils est caché, elle s’écrie avec espoir : « Je tressaillerai dans le Sauveur que vous m’avez donné » ; parce que sur la terre, elle est sous le poids des violences ou des erreurs de l’idolâtrie. « Les nations sont tombées dans la fosse qu’elles avaient creusée bs ». Voyons ici comment le pécheur a toujours trouvé son châtiment dans ses propres œuvres, et comment ceux qui ont voulu faire violence à l’Église sont demeurés dans la dégradation qu’ils voulaient lui faire subir. Ils voulaient tuer des corps, et eux-mêmes tuaient leurs âmes. « Leur pied s’est engagé dans le piège qu’eux-mêmes avaient caché bt ». Ce piège caché, c’est la pensée fourbe, et par le pied de l’âme, on peut comprendre l’amour, qui s’appelle convoitise et débauche quand il est dépravé, affection et charité quand il est droit. C’est l’amour qui pousse l’âme vers le lieu où elle veut arriver ; et ce lieu n’est point un espace occupé par une forme corporelle, mais le plaisir où elle se réjouit que l’amour l’ait fait aboutir. Or, la convoitise aboutit au plaisir dangereux, la charité aux chastes délices. De là vient que la convoitise est appelée une racine bu. La charité aussi est appelée racine, quand il s’agit de ces divines semences qui tombent dans les lieux pierreux, où elles doivent se dessécher sous les feux du soleil, parce qu’elles n’ont pas une racine profonde bv ; ainsi sont stigmatisés ceux qui reçoivent avec joie la parole de la vérité, mais qui cèdent facilement aux persécutions, parce que la charité seule peut résister. L’Apôtre dit encore : « Afin que nous ayons la charité pour base et pour racine, et que par là nous puissions résister bw ». Donc le pied des pécheurs, ou l’amour, s’engage dans le piège qu’ils avaient caché, parce qu’en goûtant le plaisir d’un acte trompeur, livrés qu’ils sont par le Seigneur aux désirs d’un cœur déréglé bx, ils se laissent enlacer par ce plaisir, de manière à n’oser plus en dégager leur affection pour la porter à des objets sérieux. Au premier effort qu’ils tenteront, ils gémiront dans leur âme, comme le forçat qui veut dégager des fers son pied captif ; et, succombant à la douleur, ils ne voudront plus se sevrer de ces plaisirs homicides. Ainsi donc, « dans ce piège qu’ils avaient caché », ou dans leurs desseins artificieux, « leur pied demeure engagé », c’est-à-dire, leur amour est arrivé par la fraude à cette joie futile qui enfante la douleur. 16. « On reconnaît le Seigneur à l’équité de ses jugements by ». Tels sont en effet les jugements de Dieu, qu’il ne sort point du calme de sa félicité, ni des secrets de sa sagesse qui servent d’asile aux âmes bienheureuses, pour lancer contre les pécheurs le fer, la flamme, ou les bêtes féroces, et les livrer aux tourments. Comment donc sont-ils tourmentés, et comment le Seigneur exerce-t-il ses jugements ? « C’est dans l’œuvre de ses mains », dit le Prophète, « que le pécheur s’est enlacé ». 17. Il y a ici : « Cantique de Diapsalma (Graec 70, ode diapsalmatos) ». Autant que je puis en juger, c’est l’indice d’une joie secrète, causée par la séparation actuelle, non de lieu, mais d’affection, entre les pécheurs et les justes, comme dans l’aire on sépare déjà le bon grain de la paille. Le Prophète continue : « Que les pécheurs soient précipités dans l’enfer bz ». Qu’ils soient livrés en leurs propres mains alors que Dieu les épargne, et enlacés dans leurs joies mortelles. « Ainsi que toutes les nations qui oublient le Seigneur ca », car elles ont refusé de connaître le Seigneur, et il les a livrées au sens réprouvé cb. 18. « Car le pauvre ne sera pas éternellement en oubli cc » : lui qui paraît oublié maintenant, quand le bonheur de cette vie semble s’épanouir pour les pécheurs, et que la tristesse est pour le juste ; mais, dit le Prophète, « la patience des affligés ne périra pas éternellement ». Cette patience leur est nécessaire maintenant pour supporter les impies, dont ils sont séparés déjà par l’affection, jusqu’à ce qu’ils le soient tout à fait au dernier jugement. 19. « Levez-vous, Seigneur, et que l’homme ne s’affermisse point cd ». Le Prophète appelle de ses soupirs le jugement dernier ; mais avant qu’il arrive : « Que les nations, dit-il, soient jugées en votre présence », c’est-à-dire dans le secret et sous l’œil de Dieu, puisqu’il n’y a pour le comprendre que le petit nombre des saints et des justes. « Seigneur, faites peser sur eux le joug d’un législateur ce » ; qui serait, si je ne me trompe, l’Antéchrist, dont l’Apôtre a dit que l’homme de péché se révélera cf. Que les peuples sachent bien qu’ils ne sont que des hommes », et puisqu’ils refusent d’être délivrés par le Fils de Dieu, d’appartenir au Fils de l’homme, d’être enfants des hommes, ou des hommes nouveaux, qu’ils soient assujettis à l’homme, c’est-à-dire au vieil homme du péché, puisqu’ils sont eux-mêmes des hommes.
Copyright information for
FreAug