Romans 8:1-4
SERMON CLII. LE SALUT PAR LE CHRIST a.
ANALYSE. – Après avoir invité ses auditeurs à élever leurs désirs vers Dieu pour obtenir sa lumière, saint Augustin aborde l’examen du texte indiqué. Il rappelle d’abord que les mouvements de concupiscence auxquels on ne consent pas, ne sont pas des péchés pour ceux qui sont régénérés en Jésus-Christ. Il constate encore que des trois lois dont parle saint Paul dans le même texte, savoir : la loi du péché, la loi des œuvres et la loi de l’Esprit de vie, cette dernière seule donne la force d’éviter ce qu’elle défend et de faire ce qu’elle ordonne. Mais d’où vient cette efficacité soit au baptême, soit à la loi de l’Esprit de vie ou de la grâce ? De ce que Dieu a envoyé son Fils parmi nous et nous a rendu sa faveur en considération du sacrifice de Jésus-Christ. 1. Votre charité doit se souvenir que j’ai examiné une question fort épineuse tirée de ce passage d’une épître de saint Paul. « Je ne fais pas ce que je veux, et je fais ce que je hais b ». Vous qui étiez ici, vous vous rappelez cela. Maintenant donc soyez attentifs et continuons. Voici par où a commencé la leçon d’aujourd’hui : « Dieu a envoyé son Fils dans une chair semblable à celle du péché, et dans cette chair il a condamné le péché par le péché même ; afin que la justification de la loi s’accomplît en nous, qui ne marchons point selon la chair, mais selon l’esprit ». Et voici d’un autre côté ce qui a été lu dernièrement et n’a pas été expliqué : « Ainsi, j’obéis moi-même par l’esprit à la loi de Dieu, et par la chair à la loi du péché c. Il n’y a donc pas de condamnation pour ceux qui sont maintenant en Jésus-Christ, qui ne marchent pas selon la chair ; parce que la loi de l’Esprit de vie qui est dans le Christ Jésus, t’a affranchi de la loi du péché et de la mort. Car ce qui était impossible à la loi, parce qu’elle était affaiblie par la chair » ; et immédiatement ce qui vient d’être lu : « Dieu a envoyé son Fils dans une chair semblable à la chair du péché ». Les passages obscurs ne présentent point de difficulté quand on est soutenu par l’Esprit-Saint. Que vos prières obtiennent donc qu’il nous éclaire, car votre désir de comprendre est réellement une prière adressée à Dieu ; et c’est de lui que vous devez attendre le secours nécessaire. Pour nous, en effet, semblables aux hommes de la campagne, nous ne travaillons qu’extérieurement. S’il n’y avait personne pour agir à l’intérieur, ni la semence ne prendrait racine en terré, ni le germe ne s’élèverait, aucune tige ne se fortifierait non plus jusqu’à devenir un tronc d’arbre ; il n’y aurait enfin ni rameaux, ni fruits ni feuillages. Aussi l’Apôtre, pour discerner ce que fait l’ouvrier de ce que fait le Créateur, a-t-il dit : « J’ai planté, Apollo a arrosé, mais c’est Dieu qui a fait croître ». Puis il ajoute : « Ni celui qui plante n’est quelque chose, ni celui qui arrose, mais Dieu qui donne l’accroissement d ». Aujourd’hui donc si Dieu ne produit l’accroissement intérieur, c’est en vain que le bruit de mes paroles retentit à vos oreilles ; au lieu que si Dieu le produit, il y a pour nous utilité à planter et à arroser, et notre peine n’est pas stérile. 2. Je vous l’ai déjà dit : le sens qu’il faut donner à ces paroles de l’Apôtre : « J’obéis par l’esprit à la loi de Dieu, et par la chair à la loi du péché e c’est qu’on ne doit laisser aux organes corporels que les impressions qu’on ne saurait détruire. Consentez-vous, sans y résister, à ces désirs mauvais ? Vous êtes vaincus et vous gémirez ; encore est-il à souhaiter que vous gémissiez et que vous n’alliez pas jusqu’à perdre le sentiment de votre malheur. Il est bien vrai, tous nos vœux, tous nos désirs, toutes nos aspirations, quand nous répétons : « Ne nous induisez pas en tentation, mais délivrez-nous du mal f », c’est de souhaiter de ne ressentir plus aucun désir pervers dans notre chair ; mais durant la vie présente nous n’y saurions parvenir : de là ces mots. « Je ne trouve pas à accomplir le bien ». Je trouve à faire, quoi ? à ne consentir pas aux impressions mauvaises. Mais « je ne trouve pas à accomplir le bien », à n’avoir pas de mauvais penchants. Ce qu’il faut donc faire dans ce combat, c’est de ne pas consentir dans l’âme aux impressions coupables et d’obéir ainsi à la loi de Dieu, pendant qu’on obéit à la loi du péché en éprouvant sans y consentir la convoitise charnelle. La chair produit ses désirs ? produis aussi les tiens. Tu ne saurais étouffer, éteindre les siens ; qu’elle n’éteigne pas les tiens non plus : lutte ainsi avec courage et tu ne seras ni vaincu ni chargé de chaînes. 3. L’Apôtre continue ainsi : « Il n’y a donc pas maintenant de condamnation pour ceux a qui sont en Jésus-Christ ». Si tu ressens, sans y consentir, des désirs charnels, s’il y a dans tes organes une loi qui s’élève contre la loi de ton esprit et qui cherche à mettre ton âme sous le joug ; comme la grâce du baptême et du bain régénérateur a effacé soit la tache que tu as apportée en naissant, soit les péchés que tu as commis en consentant aux désirs mauvais, crimes ou impuretés, pensées ou paroles coupables ; oui, comme tout est purifié dans ces fonts sacrés où tu es entré en esclave pour en sortir affranchi, « il n’y a plus maintenant de condamnation pour ceux qui sont en Jésus-Christ ». Il n’y en a plus, mais il y en a eu, car d’un seul est venue la condamnation de tous g. Cette condamnation est l’œuvre de la génération, et la justification est due à la régénération. « Car la loi de l’Esprit de vie qui est dans le Christ Jésus nous a affranchis de la loi du péché et de la mort ». Cette loi reste dans les membres, mais sans te rendre coupable ; tu en es affranchi. Combats en homme libre, mais prends garde d’être vaincu et de tomber de nouveau dans les fers. S’il y a fatigue à combattre, quelle joie à triompher ! 4. À propos de la lutte sans laquelle nous ne pouvons exister, je vous ai fait une remarque dont vous devez surtout vous souvenir. Le juste même, ai-je dit, ou plutôt le juste principalement, a les armes à la main, car celui qui ne vit pas dans la justice ne combat pas non plus et se laisse entraîner ; mais ne croyez pas pour ce motif qu’il y ait en nous comme deux natures issues de principes différents ; c’est le rêve insensé des Manichéens qui ne veulent pas que la chair soit formée par Dieu. Quelle erreur ! Nos deux substances viennent également de Dieu, et si notre nature est le théâtre de tant d’hostilités, c’est la juste punition du crime. La guerre en nous n’est qu’une maladie ; guérissons, et nous aurons la paix. Cette lutte qui divise actuellement la chair et l’esprit a pour but d’établir la paix ; l’esprit travaille à faire entrer la chair dans ses vues. Si dans une même demeure l’homme et la femme se font la guerre, l’homme doit faire effort pour dompter sa femme. La femme une fois domptée se soumettra à son époux, et la paix, par là, sera rétablie. 5. Ces paroles : « La loi de l’Esprit de vie qui est dans le Christ Jésus, t’a affranchi de la loi de la mort et du péché », nous invitent à étudier la nature de ces lois. Regardez et distinguez bien ; vous avez besoin de bien discerner. « La loi de l’Esprit de vie » ; voilà une première loi : « t’a affranchi de la loi du péché et de la mort » ; c’en est une seconde. Ce qui suit : « Car ce qui était impossible à la loi, parce qu’elle était affaiblie parla chair », indique une troisième loi. Cette dernière un résumé des deux premières ? Examinons et tâchons de comprendre avec l’aide de Dieu. Que dit l’Apôtre de la loi bonne ? « La loi de l’Esprit de vie t’a affranchi de la loi du péché et de la mort ». Cette loi n’est pas sans efficacité : « elle t’a affranchi, cette loi de l’Esprit de vie, de la loi du péché et de la mort ». Ainsi la loi bonne t’a délivré de la mauvaise loi. Quelle est cette mauvaise loi ? Je vois dans mes membres une autre loi qui résiste à la loi de mon esprit et qui m’assujettit à la loi du péché, laquelle est dans mes membres ». Pourquoi donner à celle-ci le nom de loi ? C’est qu’il était fort juste que la chair refusât d’obéir à l’homme, puisque lui-même avait refusé d’obéir à son Seigneur. Au-dessus de toi est ton Seigneur, et ta chair au-dessous. Obéis à ton chef, pour être obéi de ton sujet. Mais tu as dédaigné ce chef, tu es puni par ton sujet. Telle est la loi du péché ; on l’appelle aussi la loi de la mort, car le péché a introduit la mort. « Le jour où vous en mangerez, vous mourrez de mort h ». C’est cette loi du péché qui tente l’esprit et qui essaie de le mettre sous le joug. « Mais je me complais dan la loi de Dieu selon l’homme intérieur ». Ainsi s’engage la lutte pendant laquelle on s’écrie : « J’obéis par l’esprit à la loi de Dieu, et par la chair à la loi du péché ». « La loi de l’Esprit de vie t’a affranchi de la loi du péché et de la mort ». Comment t’a-t-elle affranchi ? D’abord en te donnant le pardon de tous tes péchés ; car c’est de cette loi que parle un psaume quand il y est dit à Dieu : « Et par votre loi soyez-moi propice i ». C’est donc la loi de la miséricorde, la loi de la foi et non pas la loi des œuvres. Quelle est maintenant la loi des œuvres ? Dans ces mots : « La loi de l’Esprit de vie t’a affranchi de la loi du péché et de la mort », vous avez vu l’excellente loi de la foi ; vous y avez vu aussi la loi du péché et de la mort. Maintenant : « Ce qui était impossible à la loi, parce qu’elle était affaiblie par la chair », voilà une troisième loi à laquelle il manque un je ne sais quoi qui a été comblé par la loi de l’Esprit de vie, puisque celle-ci t’a affranchi de la loi du péché et de 1e. mort. La loi mentionnée en troisième lieu est donc la loi qui a été donnée au peuple sur le mont Sinaï, par le ministère de Moïse, et qu’on appelle la loi des œuvres. Elle sait menacer mais non pas secourir ; commander et non pas aider. Elle a dit : « Tu ne convoiteras pas » ; de là cet aveu de l’Apôtre : « Je ne connaîtrais pas la concupiscence si la loi n’eût dit : Tu ne convoiteras pas ». À quoi m’a servi que cette loi ait dit : « Tu ne convoiteras pas ? C’est que prenant occasion du commandement, le péché m’a séduit et m’a tué ». On me défendait de convoiter, je n’ai pas obéi, et j’ai été vaincu. Ainsi j’étais pécheur avant la loi, et après l’avoir reçue, prévaricateur. « Car, prenant occasion du commandement, le péché m’a séduit et m’a tué j ». 6. « Ainsi la loi est sainte », poursuit l’Apôtre. Elle est donc bonne aussi, cette loi, quoique les Manichéens la condamnent comme ils condamnent la chair. Oui, dit saint Paul, « la loi est sainte, et le commandement saint, juste et bon. Ce qui est bon est donc devenu pour moi la mort ? Loin de là ; mais le péché, « pour apparaître péché, a, par une chose bonne, opéré pour moi la mort k ». Ainsi s’exprime l’Apôtre, et pesez avec soin tous ses termes. « Ainsi la loi est sainte ». Qu’y a-t-il de plus saint que de dire : « Tu ne convoiteras pas ? » Y aurait-il du mal à enfreindre la loi, si la loi n’était bonne ? Non, il n’y aurait aucun mal, puisqu’il n’est pas mal de rejeter le mal ; et si c’est un mal de l’enfreindre, c’est qu’elle est bonne. Qu’y a-t-il aussi de meilleur que de dire : « Tu ne convoiteras point ? » Ainsi la loi est sainte, et le commandement saint, juste et bon ». Comme l’Apôtre insiste ! comme il veut faire pénétrer sa pensée ! On dirait qu’il crie contre nos ennemis : Que dis-tu donc, Manichéen ? Que la loi donnée par Moïse est mauvaise ? – Elle est mauvaise, répètent-ils. Quel front ! Quelle audace ! Tu la qualifies d’un seul mot, mauvaise. Et l’Apôtre ? La loi, « dit-il, est sainte, et le commandement saint, juste et bon ». Te tairas-tu, enfin ? – « Ce qui est bon, reprend-il, est donc devenu pour moi la mort ? – Loin de là ; mais le péché, « pour se montrer péché, a, par une chose bonne, opéré pour moi la mort ». Remarquez : « par une chose bonne », c’est accuser le pécheur sans manquer à faire l’éloge de la loi. « Le péché, par une chose bonne, produit pour moi la mort ». Quelle est cette chose bonne ? Le commandement. Et encore ? La loi. Comment s’est produite la mort ? Par le péché, « pour apparaître péché, pour pécher au-delà de toute mesure, puisque c’est pécher par le commandement même l ». Avant le commandement, le péché était moindre ; depuis le commandement, il dépasse toute mesure. Quand on ne rencontre pas de défense, on s’imagine bien faire ; en rencontre-t-on ? on veut d’abord ne pas enfreindre, puis on est vaincu, entraîné, mis sous le joug, et n’ayant pu observer la loi on ne doit plus songer qu’à demander grâce. 7. Il est donc bien vrai que la loi dont parle l’Apôtre en ces termes : « La loi de l’Esprit de vie t’a affranchi de la loi du péché et de la mort », est la loi de la foi, la loi de l’Esprit, la loi de la grâce, la loi de la miséricorde ; tandis que cette autre loi du péché et de la mort, n’est pas la loi de Dieu, mais réellement la loi du péché et de la mort. Pour cette autre encore dont l’Apôtre dit : « La loi est sainte, « et le commandement saint, juste et bon », elle est bien la loi de Dieu, mais la loi des œuvres, la loi des observances ; loi des œuvres qui commande sans aider, qui montre le péché sans le détruire. Une loi donc le fait connaître, et une autre l’efface. Il y a deux alliances, l’ancienne et la nouvelle. Écoute l’Apôtre : « Dites-moi, vous qui voulez être sous la loi, n’avez-vous pas lu la loi ? Car il est écrit : Abraham eut deux fils, l’un de la servante et l’autre de la femme libre. Or, celui de la servante naquit selon la chair, et celui de la femme libre, en vertu de la promesse. Ce qui a été dit par allégorie. Ce sont en effet les deux alliances : l’une sur le mont Sina, engendrant pour la servitude, est Agar », la servante de Sara, que Sara donna à Abraham et qui devint mère d’Ismaël. Ainsi l’ancienne alliance est figurée par Agar « engendrant pour la servitude ; tandis que la Jérusalem d’en haut est libre ; c’est elle qui est notre mère m ». De là il suit que les fils de la grâce sont les fils de la femme libre, et les fils de la lettre, les fils de la servante. Veux-tu connaître les fils de la servante ? La lettre tue ». Les fils de la femme libre ? L’esprit vivifie n ». – La loi de l’Esprit de vie, qui est dans le Christ Jésus, t’a affranchi de la loi du péché et de la mort », dont n’a pu t’affranchir la loi de la lettre. « Car c’était chose impossible à la loi, parce qu’elle était affaiblie par la chair ». Cette chair en effet se révoltait contre toi, elle te rendait son esclave ; elle entendait la loi et n’excitait que plus vivement la concupiscence. C’est ainsi que par la chair s’affaiblissait la loi de la lettre, et qu’il était impossible à cette loi de l’affranchir de la loi du péché et de la mort. 8. « Dieu a envoyé son Fils dans une chair semblable à la chair de péché » ; non pas dans une chair de péché. Oui, dans une chair, mais non dans celle de péché. La chair des autres hommes est donc une chair de péché ; lui seul fait exception, car sa Mère l’a conçu non pas avec concupiscence, mais par la grâce. Sa chair toutefois ressemble à la chair de péché, et c’est ce qui lui a permis de manger, d’avoir faim et soif, de dormir, de se fatiguer et de mourir. « Dieu a envoyé son Fils dans une chair semblable à la chair de péché ». 9. « Et dans sa chair il a condamné le péché par le péché même ». Quel péché ? Par quel péché ? « Il a dans sa chair condamné le péché par le péché même, afin que la justification de la loi s’accomplît en nous ». Oui, qu’elle s’accomplisse en nous, qu’elle s’accomplisse en nous par le secours de l’Esprit, cette justice qui nous est prescrite ; en d’autres termes, que la loi de la lettre s’accomplisse, par l’Esprit de vie, en nous qui ne marchons pas selon la chair, mais selon l’Esprit ». Quel est donc ce péché et par quel péché le Seigneur l’a-t-il condamné ? Je vois, je vois clairement quel est le péché condamné. « Voici l’Agneau de Dieu, voici Celui qui enlève le péché du monde o ». Quel péché ? Tout ce qui est péché, tous les péchés commis par nous. Maintenant, par quel péché ? Il était, lui, sans péché. « Il n’a point commis de péché, est-il dit de lui, et on n’a point découvert de tromperie dans sa bouche p ». Non, il n’en a aucun, ni péché originel, ni péché actuel ; aucun, ni péché transmis, ni péché commis par lui. La Vierge nous fait connaître quelle fut son origine, et sa vie sainte nous montre suffisamment qu’il ne fit jamais rien qui lui méritât la mort. Aussi disait-il : « Voici venir le prince de ce monde », le diable, « et il ne découvrira rien en moi ». Ce prince de la mort ne trouvera pas un motif de me faire mourir. Ah ! pourquoi donc mourez-vous ? Afin que tous sachent que je fais la volonté de mon Père, sortons d’ici q ». Il s’en alla alors pour souffrir la mort, une mort volontaire, une mort choisie librement et non une mort imposée. « J’ai le pouvoir de déposer la vie, et j’ai le pouvoir de la reprendre. Personne ne me l’a ravie, c’est moi qui la dépose et la reprends r ». Tu t’étonnes de ce pouvoir, rappelle-toi sa majesté. C’est le Christ qui parle, il parle en Dieu. 10. Par quel péché donc a-t-il condamné le péché ? Quelques-uns ont donné à ces mots un sens qui n’est pas mauvais ; mais je crois qu’ils n’ont pas compris la pensée même de l’Apôtre. Encore une fois cependant leur sens n’est pas hétérodoxe, je le rapporterai d’abord, j’exposerai ensuite le mien et je montrerai par les divines Écritures combien il est incontestable. Ils se demandaient donc avec effroi par quel péché Dieu a condamné le péché : Dieu est-il coupable ? Et ils se sont répondus : S’il « a condamné le péché par le péché », ce n’est pas assurément par le sien. Cependant « il a condamné » réellement le péché par le péché ». Or ce n’est pas par le sien. Par lequel donc ? C’est par le péché de Juda, par le péché des Juifs. Comment, en effet, a-t-il répandu son sang pour la rémission des péchés ? Parce qu’il a été crucifié par les Juifs. Qui le leur a livré ? Juda. Ainsi les Juifs l’ont attaché à la croix et Juda l’a trahi. Ont-ils fait bien ou mal ? Ils ont péché. C’est par ce péché que Dieu condamne le péché. Sans doute il est juste, il est vrai de dire que c’est par le péché des Juifs que le Christ a condamné tout ce qui est péché, car c’est leur fureur qui lui a fait répandre le sang expiatoire de tous les péchés. Remarque toutefois comment s’exprime ailleurs le même Apôtre. « Nous faisons, dit-il, les fonctions d’ambassadeurs pour le Christ, Dieu exhortant par notre bouche. Nous vous en conjurons par le Christ », supposez que le Christ vous en conjure lui-même, car c’est en son nom que nous vous parlons, « réconciliez-vous à Dieu ». Puis il ajoute : « Il ne connaissait point le péché » ; en d’autres termes, ce Dieu à qui nous vous conjurons de vous réconcilier, voyant Celui qui ne connaissait pas le péché, voyant innocent son Christ, Dieu comme lui, « l’a rendu péché pour l’amour de nous, afin qu’en lui nous devinssions justice de Dieu s ». Comment voir ici le péché de Juda, le péché des Juifs, le péché de tout autre mortel ? Nous lisons en propres termes : « Celui qui ne connaissait point le péché, il l’a rendu péché pour l’amour de nous ». Qui a rendu ? Qui a été rendu ? C’est Dieu qui a rendu son Christ péché pour l’amour de nous. L’Apôtre ne dit pas qu’il l’a fait pécheur, mais qu’il l’a fait péché ». Ce serait un blasphème de dire que le Christ a péché : comment souffrir qu’on l’accuse d’être le péché même ? Et pourtant nous ne saurions donner le démenti à l’Apôtre. Nous ne pouvons pas lui dire : Que prétends-tu là ? Parler ainsi à l’Apôtre ce serait nous élever contre le Christ, puisque l’Apôtre dit encore ailleurs. « Voulez – vous éprouver Celui qui parle en moi, le Christ t » ? 11. Quel est donc le vrai sens ? Que votre charité, contemple ici un grand et profond mystère : heureux si vous l’aimez en le contemplant et si vous parvenez à le posséder en l’aimant. Oui, c’est le Christ notre Seigneur, c’est Jésus notre Sauveur, notre Rédempteur, qui est devenu péché afin qu’en lui nous devinssions justice de Dieu. Comment ? Écoutez la loi. Ceux qui la connaissent savent ce que je dis ; quant à ceux qui ne la connaissent pas, qu’ils la lisent ou qu’ils l’entendent. Dans la loi donc on donnait le nom de péchés aux sacrifices offerts pour l’expiation des péchés. Preuve : quand on amenait la victime à immoler pour le péché, la loi disait : « Que les prêtres mettent leurs mains sur le péché u », c’est-à-dire sur la victime du péché. Or le Christ est-il autre chose que la victime du péché ? « Le Christ, dit saint Paul, nous a aimés et s’est livré lui-même pour nous comme un sacrifice à Dieu et une hostie de suave odeur v. » Voilà par quel péché le Seigneur a condamné le péché ; il l’a condamné par le sacrifice de lui-même pour l’expiation de nos péchés. Telle est « la loi de l’Esprit de vie qui t’affranchit de la loi du péché et de la mort ». Toute bonne qu’elle fût en effet, tout saints, tout justes et tout bons que fussent ses commandements, cette autre loi, la loi de la lettre, la loi des ordonnances, « était affaiblie par la chair », et nous ne pouvions accomplir ses prescriptions. Une loi donc, comme je l’ai déjà dit, te montrera le péché, une autre loi t’en délivrera ; à la loi de la lettre de te le montrer, à la loi de la grâce de t’en délivrer.SERMON CLV. SORT HEUREUX DU VRAI CHRÉTIEN w.
ANALYSE. – Ce sermon n’est que l’explication des onze versets indiqués au renvoi. Par conséquent saint Augustin y montré, comme saint Paul, combien est heureux le sort du vrai chrétien. Premièrement en effet, malgré les mouvements désordonnés qu’il éprouve, il n’est ni coupable, ni sujet à, condamnation, car il trouve dans la loi nouvelle la grâce de n’y pas consentir, et cette grâce est due à l’immolation du Sauveur devenu victime du péché pour l’amour de nous. Ah ! prenons donc grand soin de vivre de la vie de l’esprit et non de la vie de la chair, de nous appuyer sur Jésus-Christ et non pas sur nous. Secondement, le vrai chrétien, en profitant de la grâce évangélique durant cette vie, parviendra sûrement à la gloire de la résurrection bienheureuse après sa mort. 1. La lecture que nous avons faite hier du saint Apôtre s’est terminée à ces mots : Ainsi donc j’obéis par l’esprit à la loi de Dieu et par la chair à la loi du péché ». Cette conclusion démontre qu’en disant un peu plus haut : « Alors ce n’est pas moi qui le fais, mais le péché qui habite en moi x », saint Paul voulait faire entendre qu’il n’y avait en lui aucun consentement de la volonté, mais seulement la convoitise de la chair. C’est donc cette convoitise qu’il appelle péché, parce qu’elle est la source de tous les péchés. De fait, tout ce qu’il y a de mauvais dans nos paroles, dans nos actions et dans nos pensées ne provient que d’aspirations désordonnées, que de jouissances coupables. Mais si nous résistons à ces attraits pervers, si nous n’y consentons pas, si nous n’y abandonnons pas nos membres comme des instruments, le péché ne règne point dans notre corps mortel. Son règne tombe en effet, avant que lui-même soit anéanti ; il perd dans cette vie tout empire sur les saints, et dans l’autre il expire ; il perd l’empire quand nous n’allons pas à la remorque de nos convoitises, et plus tard il expirera, et l’on s’écriera alors : « O mort, où est ton ardeur ? » 2. Après donc avoir dit : « J’obéis par l’esprit à la loi de Dieu et par la chair à la loi du péché », non pas en livrant mes sens à l’iniquité, mais en éprouvant des impressions de convoitise désordonnée sans toutefois Y donner les mains, l’Apôtre ajoute : « Maintenant donc il n’y a point de condamnation pour ceux qui sont en Jésus-Christ ». Il y a condamnation pour ceux qui vivent – dans la chair ; mais pour ceux qui vivent en Jésus-Christ, absolument aucune. Remarque : il parle ici de ce qui arrive maintenant, et non de ce qui arrivera plus tard. Espère, pour plus tard, de ne ressentir même plus de convoitise, de n’avoir plus ni à faire effort, ni à lutter contre elle, ni à lui refuser ton consentement, ni à l’assujettir, ni à la dompter ; espère cela pour plus tard, car il n’y aura plus alors de concupiscence assurément : Eh ! si ce corps mortel s’insurgeait alors contre nous, ne serait-il pas faux de dire : « O mort, où est ton ardeur ? » Voici donc ce qui arrivera plus tard : « Alors s’accomplira cette parole de l’Écriture : La mort a été anéantie dans sa victoire. O mort, où est ton ardeur dans la lutte ? O mort, où est ton aiguillon ? Car l’aiguillon de la mort est le péché, et la force du péché, la loi y » ; puisqu’au lieu d’éteindre le désir, la loi n’a fait que l’exciter ; elle l’a même fortifié en commandant à l’oreille sans aider l’âme. C’est ce qui ne se verra plus alors. Mais maintenant ? Tu veux le savoir ? L’Apôtre vient de le dire : « Maintenant ce n’est plus moi qui fais cela ». Remarque ce maintenant. Que signifie : « Ce n’est pas moi qui fais cela ? » – Je n’y consens pas, je n’y acquiesce pas, je ne dis pas oui, je repousse toujours, je réprime mes sens. Or c’est beaucoup. La concupiscence venant de la chair et les sens aussi étant de chair, quand le péché ou la concupiscence ne règne pas, c’est que l’esprit a plus d’empire sur ces sens pour les empêcher de devenir des membres d’iniquité, que la concupiscence elle-même pour les y porter. Sans doute on sent encore le mouvement des sens et de la convoitise ; mais c’est l’esprit qui gouverne, pourvu toutefois qu’il soit soutenu par le ciel ; car en le laissant trop résister à la grâce de Dieu, nous ferions de lui non pas un roi mais un tyran. Lors donc qu’il gouverne parce qu’il consent à être gouverné lui-même, son empire s’affermit à tel point sur les sens et sur la concupiscence, qu’il devient capable d’observer cette recommandation de l’Apôtre. « Que le péché ne règne donc point dans votre corps mortel jusqu’à vous faire obéir à ses convoitises ; et n’abandonnez point vos membres au péché comme des instruments d’iniquité z ». 3. « Ainsi il n’y a plus maintenant de condamnation pour ceux qui sont en Jésus-Christ ». Qu’ils ne s’inquiètent pas de ressentir encore des mouvements désordonnés ; qu’ils ne s’inquiètent pas de voir encore dans leurs organes une loi qui s’élève contre la loi de l’esprit. « Il n’y a plus pour eux de condamnation ». Mais à quelle condition ? A quelle condition même maintenant ? Qu’ils soient « en Jésus-Christ ». Et comment accorder cela avec cette autre pensée exprimée un peu plus haut : « Je vois dans mes membres une autre loi qui combat la loi de mon esprit et qui m’assujettit à cette loi du péché, laquelle est dans mes membres aa ? » Moi désigne ici la chair et non l’esprit. Mais enfin qu’est devenue cette loi, s’il « n’y a plus de condamnation pour ceux qui sont en Jésus-Christ ? C’est qu’il y a une loi de l’Esprit de vie en Jésus-Christ ». Une loi, non pas la loi de la lettre donnée sur le mont Sina ; une loi, non pas celle qui repose sur l’ancienneté de la lettre ; mais « la loi de l’Esprit de vie en Jésus-Christ : c’est elle qui t’a affranchi de la loi du péché et de la mort ». Eh ! comment pourrais-tu te complaire intérieurement dans la loi de Dieu, si cette loi de l’Esprit de vie en Jésus-Christ ne t’affranchissait de la loi du péché et de la mort ? O âme humaine, ne t’attribue rien, ne sois pas trop fière, ou plutôt ne le sois pas du tout ; si tu ne consens pas, ô volonté humaine, aux aspirations de la chair, si la loi du péché ne te fait pas tomber du trône, c’est que « la loi de l’Esprit de vie en Jésus-Christ t’a affranchi de la loi de la mort et du péché ». Cet affranchissement n’est pas dû à cette autre loi dont il vient d’être dit : « Obéissons dans la nouveauté de l’esprit et non dans la vétusté de la lettre ab ». Pourquoi ? Cette loi n’a-t-elle pas été écrite, elle aussi, avec le doigt de Dieu ? Et le doigt de Dieu n’est-il pas l’Esprit-Saint ? Lis l’Évangile, tu constateras que la pensée du Seigneur rendue par ces mots d’un Évangéliste : « Si c’est par l’Esprit de Dieu que je chasse les démons ac » ; un autre Évangéliste l’exprime ainsi : « Si c’est par le doigt de Dieu que je chasse les démons ad ». Mais si cette loi ancienne fut écrite, elle aussi, par le doigt ou par l’Esprit de Dieu, par cet Esprit qui l’emporta sur les magiciens de Pharaon et qui leur fit dire : « Le doigt de Dieu est ici ae » ; oui, si cette loi, ou mieux, puisque cette loi a été écrite, elle aussi, par le doigt ou par l’Esprit de Dieu, pourquoi ne la nommerait-on pas « la loi de l’Esprit de vie dans le Christ Jésus ? » 4. Ce n’est pas elle en effet, ce n’est pas cette loi du Sinaï que l’on appelle la loi du péché et de la mort. On appelle ainsi celle qui inspirait ces gémissements : « Je vois dans mes membres une autre loi qui s’élève contre la loi de mon esprit ». Mais de cette loi mosaïque il est dit ; « Par conséquent la loi est sainte, et le commandement saint, juste et bon ». L’Apôtre continue : « Ainsi donc ce qui est bon est devenu pour moi la mort ? Loin de là. Mais le péché, pour se montrer péché, a, par ce qui est bon, produit en moi la mort, de manière qu’on a dépassé la mesure en péchant ainsi par le commandement même ». Que révèlent ces mots. « Dépassé toute mesure ? » Ils signifient que la violation de la loi s’est ajoutée au péché. Par conséquent la loi a servi à faire connaître l’humaine faiblesse. Ce n’est pas assez, elle a servi à augmenter le mal pour déterminer au moins alors à recourir au médecin. On aurait dédaigné le mal, s’il n’eût été que léger ; en le dédaignant on n’aurait, pas eu recours au médecin, et n’y recourant pas on n’aurait pas guéri. Aussi bien la grâce a-t-elle surabondé où avait abondé le péché af ; elle a effacé tous les crimes qu’elle a rencontrés ; elle a de plus soutenu l’effort de notre volonté pour ne plus pécher. Ainsi, ce n’est pas en elle-même, c’est en Dieu que doit s’applaudir notre volonté, car il est écrit : « C’est en Dieu que mon âme se glorifiera tout le jour ag » ; et encore : « C’est dans le Seigneur que se glorifiera mon âme : cœurs doux, écoutez et réjouissez-vous ah ». – « Écoutez, cœurs doux » ; car les esprits superbes et disputeurs ne savent pas écouter. Mais pourquoi n’est-ce pas cette loi ancienne, écrite aussi par le doigt de Dieu, qui communique cet indispensable secours de la grâce dont nous parlons ? Pourquoi ? Parce qu’elle est écrite sur des tables de pierre et non sur les tables charnelles du cœur ai. 5. Voyez du reste, mes frères, l’analogie profondément mystérieuse qui unit les deux lois, et la différence qui sépare les deux peuples. L’ancien peuple, vous le savez, célébrait la Pâque en immolant et en mangeant un agneau avec des pains azymes : cette immolation de l’agneau figurait l’immolation du Christ, et les pains azymes la vie nouvelle, la vie qui ne conserve rien de l’ancien levain. Aussi l’Apôtre nous dit-il : « Purifiez-vous du vieux levain, afin que vous soyez une pâte nouvelle, comme vous êtes des azymes ; car notre agneau pascal, le Christ, a été immolé aj ». L’ancien peuple célébrait donc la Pâque non pas au grand jour, mais à l’ombre du mystère ; et cinquante jours après, comme chacun peut s’en assurer, il recevait, du haut du Sinaï, la loi écrite avec le doigt de Dieu. Voici venir le véritable agneau pascal : le Christ est mis à mort ; il nous fait passer ainsi de la mort à la vie. Aussi le mot hébreu Pâque signifie-t-il passage, ce que rappellent ces paroles d’un Évangéliste : « L’heure venait où Jésus devait passer de ce monde à son Père ak ». Ainsi se célèbre cette Pâque : le Seigneur ressuscite, il fait la Pâque véritable ou le passage de la mort à la vie ; puis cinquante jours s’écoulent, et l’Esprit-Saint, ou le doigt de Dieu, descend. 6. Or voyez combien les circonstances sont diverses. Au Sinaï le peuple se tenait éloigné, c’était la crainte et non pas l’amour. Cette crainte les porta même à dire à Moïse : « Parle-nous, toi, et que le Seigneur ne nous parle plus : nous mourrions ». Dieu descendait bien sur la montagne, comme le rapporte l’Écriture, mais c’était au milieu des flammes, d’un côté jetant au loin la frayeur sur le peuple, et d’autre part écrivant avec son doigt sur la pierre al, et non pas dans le cœur. Quand au contraire l’Esprit-Saint descendit, les fidèles étaient réunis, et au lieu de les effrayer du haut de la montagne, il pénétra dans leur demeure ; du ciel sans doute se fit entendre un bruit pareil à celui d’une tempête, mais ce bruit n’inspirait pas la terreur. Ici encore il y a du feu. Sur la montagne aussi on distinguait et le feu et le bruit : mais le feu y était accompagné de fumée, tandis que maintenant c’est un feu sans fumée. « Ils virent, dit l’Écriture, comme des langues de feu qui se partagèrent ». Ce feu jetait-il au loin l’épouvante ? Nullement : car « il se reposa sur chacun d’eux, et ils commencèrent à parler diverses langues, selon que l’Esprit-Saint leur inspirait de parler am ». Écoute cette langue qui parle : c’est le Saint-Esprit écrivant non pas sur la pierre mais dans le cœur. Or c’est cette loi de l’Esprit de vie », écrite dans le cœur et non sur la pierre, donnée « par Jésus-Christ », le véritable agneau pascal, qui « t’a affranchi de la loi de mort et de péché ». Telle est bien la différence manifeste qui distingue l’Ancien et le Nouveau Testament. Aussi l’Apôtre dit-il : « Non pas sur des tables de pierre, mais sur les tables charnelles du cœur an » ; et le Seigneur, par l’organe d’un prophète : « Voilà que les jours viennent, dit l’Éternel, et j’établirai avec la maison de Jacob une alliance nouvelle, non pas conforme à l’alliance que j’établis avec leurs pères lorsque je les pris par la main et que je les tirai de la terre d’Egypte » ; puis signalant avec précision la différence essentielle : « Je mettrai, dit-il, mes lois dans leurs cœurs ; oui, je les graverai dans leurs cœurs ao ». Ah ! si cette loi divine est gravée dans ton cœur, point de terreurs venues du dehors, goûte plutôt ses charmes intérieurs, et cette « loi de l’Esprit de vie en Jésus-Christ t’a affranchi de la loi de péché et de mort ». 7. « Car ce qui était impossible à la loi » c’est la suite du texte de l’Apôtre, « ce qui était impossible à la loi ». Pourtant n’accuse pas la loi, car saint Paul ajoute : « Attendu qu’elle était affaiblie par la chair » ; ordonnant sans qu’on l’accomplît, à cause des résistances invincibles que lui opposait la chair dépouillée de la grâce. Ainsi la chair affaiblissait l’empire de la loi ; la loi est bien spirituelle, « mais moi je suis charnel ap ». Comment donc pourrait m’aider cette loi qui se contente de commander au-dehors pour communiquer la grâce au dedans ? « Elle était affaiblie par la chair ». Or en face de cette impuissance de la loi et de cette faiblesse de la chair, qu’a fait Dieu ? « Dieu a envoyé son Fils ». D’où venait à la loi cette faibles et cette impuissance ? De la chair ». Et Dieu ? Dieu opposa la chair à la chair, ou plutôt il envoya la chair au secours de la chair ; et en détruisant le péché de la chair, il a su affranchir la chair même. « Dieu a envoyé son Fils dans une chair semblable à celle du péché ». La chair était réelle, mais ce n’était pas une chair de péché. Que signifie : « Une chair semblable à celle du péché ? » Que c’était réellement une chair, une chair véritable. Et comment ressemblait-elle à la chair de péché ? Comme la mort vient du péché, toute chair de péché est soumise à la mort, ce qui fait dire à l’Apôtre que le corps de péché doit être détruit s. La mort pesant ainsi sur toute chair de péché, on trouve dans toute chair de péché, le péché et la mort, non pas seulement la mort, mais la mort et le péché. Au contraire il n’y a que la mort et non pas le péché, dans la chair qui n’a que la ressemblance de la chair de péché. Car si le péché était dans cette chair, si par conséquent elle méritait la mort qu’elle a endurée, le Sauveur n’aurait pas dit : « Voici venir le prince du monde et il ne trouvera rien en moi aq ». Pourquoi me fait-il mourir ? Parce que « je paie ce que je ne dois pas ar ». Ainsi le Seigneur a fait pour la mort ce qu’il a fait pour l’impôt. On lui demandait de payer l’impôt, le didrachme : « Pourquoi, lui disait-on, ni vous ni vos disciples ne payez-vous point le tribut ? » Il appela Pierre. « À qui, lui demanda-t-il, les rois de la terre réclament-ils l’impôt ? Est-ce à leurs fils ou aux étrangers ? – Aux étrangers, répondit Pierre. – Donc, conclut-il, leurs fils en sont exempts. « Afin toutefois de ne pas les scandaliser, va à la mer, jette un hameçon, et le premier poisson qui montera », comme le premier-né d’entre les morts, « prends-le, ouvre-lui la gueule, tu y trouveras un statère », c’est-à-dire deux didrachmes ou quatre drachmes ; on exigeait en effet un didrachme ou deux drachmes par tête. « Tu y trouveras un statère », quatre drachmes : « donne-le pour toi et pour moi as ». Que signifie pour toi et pour moi ? » C’est-à-dire pour l’Église dont je suis le chef ou le Christ, que tu représentes et pour qui sont donnés les quatre Évangiles. C’était donc ici un mystère profond : Le Christ payait ce tribut sans y être obligé, c’est ainsi qu’il endura la mort sans la mériter. Ah ! s’il n’eût payé sans devoir, jamais il ne nous eût déchargés de nos dettes. 8. « Ce qui donc était impossible à la loi », puisqu’elle n’occasionnait guère que des prévarications, l’âme n’étant point convaincue encore de son impuissance et n’ayant point recours au Sauveur ; « puisque d’ailleurs elle était affaiblie par la chair, Dieu, envoyant son Fils dans une chair semblable à celle du péché, a condamné par le péché même le péché dans la chair ». Mais pouvait-il, sans péché, condamner le péché par le péché ? Nous vous avons expliqué déjà ce texte ▼▼Voir serm. 134, n. 4-6 : serm. CLII, n. 10, 11
. Cependant nous allons réveiller les idées de ceux d’entre vous qui se souviennent de ce que nous avons dit, l’apprendre à ceux qui n’étaient pas ici et le rappeler à ceux qui l’ont oublié. On donnait dans l’ancienne loi le nom de péché au sacrifice offert pour le péché. Ce sens se reproduit constamment : ce n’est pas une ou deux fois, c’est très-fréquemment que les sacrifices pour le péché sont appelés péchés. Or, c’est dans ce sens que le Christ lui-même était péché. Quoi ! dirons-nous qu’il avait quelque péché ? Dieu nous en garde ! Il était sans péché, mais il était péché. Oui, il était péché, en ce sens qu’il était victime pour nos péchés. Voici ce qui le prouve, le voici dans les paroles de l’Apôtre même. « Il ne connaissait point le péché », dit-il en parlant de lui. C’est bien la même idée que j’exposais devant vous, lorsque je vous expliquais ce même passage. « Il ne connaissait pas le péché » ; et pourtant ce même Jésus-Christ Notre-Seigneur qui ne connaissait pas le péché », Dieu, le Père l’a « fait péché pour l’amour de nous au ». Oui, Dieu le Père a fait péché pour l’amour de nous ce même Jésus-Christ qui ne connaissait pas le péché, afin qu’en lui nous devenions justice de Dieu ». Distinguez ici deux choses : la justice de Dieu et non la nôtre ; elle est en lui, et non en nous, et c’est par lui que se sont formés ces grands saints dont il est dit dans un psaume : « Votre justice s’élève comme les montagnes de Dieu ». – « Votre justice », et non la leur ; « votre justice s’élève comme les montagnes de Dieu ». Aussi bien j’ai élevé mes yeux vers les montagnes d’où me viendra le secours » ; mais ce secours ne viendra pas des montagnes mêmes, car « mon secours viendra du Seigneur qui a fait le ciel et la terre av ». Or, après ces mots : « Votre justice s’élève comme les plus hautes montagnes », le prophète suppose qu’on pourrait lui demander : Comment alors expliquer la naissance de ceux qui n’ont point part à cette justice de Dieu, et il ajoute : « Vos jugements sont profonds comme le grand abîme ». Que signifie : « Comme le grand abîme ? » Que ces jugements sont impénétrables et inaccessibles à l’esprit humain. Car les trésors de Dieu sont inscrutables, ses déterminations mystérieuses et ses voies inabordables aw. C’est ainsi qu’« il a envoyé son Fils », pour appeler, justifier et glorifier ceux qu’il a connus dans sa prescience, et prédestinés, et pour faire dire à ses montagnes : « Si Dieu est pour nous, qui sera contre nous ax ? » – « Dieu donc a envoyé son Fils, et par le péché même il a condamné le péché dans la chair, afin que la justification de la loi s’accomplît en nous ». Elle ne suffisait pas à se faire accomplir, le Christ a donné la grâce de le faire, car il n’est pas venu détruire la loi, mais la mener à sa fin ay. 9. Mais comment, à quelle condition cette « justification de la loi » pourrait-elle s’accomplir, et s’accomplit-elle en nous ? Tu veux le savoir ? L’Apôtre dit : « En nous, qui ne marchons point selon la chair, mais selon l’Esprit ». Que signifie marcher selon la chair ? Consentir aux désirs de la chair. Et marcher selon l’Esprit ? C’est avoir l’âme soutenue par l’Esprit et ne suivre pas les impressions charnelles. C’est ainsi que s’accomplit en nous la loi, la justification de Dieu. Maintenant en effet, on observe cette recommandation : « Ne va pas à la remorque de tes convoitises az » ; et par ce mot entends ici les convoitises désordonnées. « Ne va pas à la remorque de tes convoitises » c’est ce que doit faire notre volonté avec la grâce de Dieu ; elle doit n’aller pas « à la remorque de ses convoitises ». Sans doute, tous les anciens péchés produits en nous par la convoitise, péchés d’actions, de paroles ou de pensées, sont effacés, anéantis par le saint baptême, car ce grand pardon embrasse tout ; mais il nous reste à lutter contre la chair ; si l’iniquité est anéantie, la faiblesse n’a point disparu, la concupiscence désordonnée demeure en nous, elle provoque. Ah ! combats, résiste, garde-toi de consentir ; et de cette manière tu n’iras pas à la remorque de tes convoitises ». Quand même elles s’élèveraient en nous et se jetteraient dans nos yeux, nos oreilles, sur notre langue et dans notre imagination volage, même alors ne désespérons pas de notre salut. N’est-ce point pour cela que nous répétons chaque jour : « Pardonnez-nous nos offenses ba ? » – « Afin que la justification de la loi s’accomplisse en nous ». 10. Qui, nous ? En nous qui ne marchons pas selon la chair, mais selon l’Esprit. En effet, ceux qui sont dans la chair goûtent les choses de la chair ; mais ceux qui suivent l’Esprit ont le sentiment des choses de l’Esprit ; car la prudence de la chair est mort, « tandis que la prudence de l’Esprit est vie et paix. La prudence de la chair est vraiment ennemie de Dieu, attendu qu’elle n’est ni soumise à sa loi, ni capable de s’y soumettre ». Comment, « incapable de s’y soumettre ? » Ce n’est pas que l’homme, ce n’est pas que l’âme, ce n’est pas que la chair même, en tant que créature de Dieu, en soit incapable ; c’est la prudence même de la chair, c’est le vice et non la nature qui en est incapable. Tu pourrais dire : Un boiteux ne marche pas droit, car il ne le saurait. Comme homme, il le peut sans doute, mais non pas comme boiteux. Qu’il cesse de l’être et il marchera droit ; sinon, il ne le peut. De la même manière la prudence de la chair ne saurait être soumise à Dieu. Que l’homme dépose cette prudence, et il pourra avoir cette soumission. « La prudence de l’esprit est vie et paix ». Ainsi donc quand l’Apôtre dit : « La prudence de la chair est ennemie de Dieu », ne crois pas. que cette inimitié soit capable de nuire au Très-Haut. Elle est son ennemie pour lui résister et non pour le blesser ; car elle ne blesse que celui qu’elle dirige, attendu qu’elle est un vice et que tout vice nuit à la nature où il réside. Or pour anéantir le mal et guérir la nature, il faut des remèdes. N’est-ce donc point pour nous en donner que le Sauveur est descendu parmi nous ? Nous étions tous malades ; c’est pourquoi il nous fallait un tel Médecin. 11. Si j’ai fait cette réflexion, c’est que pour opposer à Dieu leur nature essentiellement mauvaise, les Manichéens cherchent à s’appuyer sur ce témoignage de l’Apôtre. C’est à la nature même qu’ils appliquent ces mots : « Elle est ennemie de Dieu, car elle n’est point soumise à la loi de Dieu et elle ne le peut ». Aveugles, qui ne remarquent point que ce n’est ni de la chair, ni de l’homme, ni de l’âme, mais de la prudence de la chair qu’il est écrit : « Elle ne le peut ». Or cette prudence est un vice. Veux-tu savoir ce qu’est au juste « cette prudence de la chair ? » C’est la mort. Mais voici un homme, une nature formée par le Dieu véritable et bon. Cet homme vivait hier de la prudence de la chair, il vit aujourd’hui de la prudence de l’Esprit. Le vice est détruit et la nature guérie ; car s’il vivait encore de la prudence de la chair, il ne pourrait se soumettre à la loi de Dieu ; comme le boiteux ne saurait marcher droit tout en restant boiteux. Or le vice une fois disparu, la nature est guérie. « Ci-devant vous étiez ténèbres : vous êtes maintenant lumière dans le Seigneur bb ». 12. Aussi remarquez ce qui suit : « Quant à ceux qui sont dans la chair », qui y mettent leur confiance, qui suivent leurs convoitises, qui s’y attachent, qui en aiment les jouissances et qui placent dans les plaisirs charnels le bonheur et la félicité de la vie, « ils ne peuvent plaire à Dieu ». Ces mots en effet : « Quant à ceux qui sont dans la chair, ils ne peuvent plaire à Dieu », ne signifient pas que les hommes ne sauraient lui plaire pendant qu’ils sont dans cette vie. Eh ! les saints patriarches ne lui plaisaient-ils point ? Et les saints prophètes ? et les saints apôtres ? et ces saints martyrs qui avant de quitter leur corps au milieu des tortures en glorifiant le Christ, non-seulement foulaient aux pieds les séductions de la chair, mais encore enduraient les supplices avec une invincible patience ? Tous se sont rendus agréables à Dieu ; mais ils n’étaient point dans la chair. Ils portaient leur corps, sans être entraînés par lui ; car ils avaient entendu cette parole adressée au paralytique : « Enlève ton, grabat bc ». – « Ceux donc qui sont dans la chair », non pas, comme je l’ai dit, comme je viens de l’expliquer, ceux qui vivent dans ce monde, mais ceux qui se laissent aller aux convoitises charnelles, ceux-là « ne peuvent plaire à Dieu ». 13. Mais écoutez l’Apôtre lui-même résoudre la question sans y laisser l’ombre d’un doute. N’était-il pas vivant, vivant dans ce corps de boue, et n’était-ce pas à des hommes vivants comme lui qu’il disait encore : « Pour vous, vous n’êtes pas dans la chair ? » Est-il ici quelqu’un à qui cela s’applique ? C’était pourtant au peuple de Dieu, c’était à l’Église que saint Paul parlait ainsi. Sans doute il écrivait aux Romains ; mais il s’adressait à toute l’Église du Christ, au froment et non à la paille, au bon grain caché sous cette paille et non à la paille même. C’est à chacun de regarder dans son cœur. Nous parlons bien aux oreilles, mais nous ne lisons pas dans les consciences. Je crois toutefois au nom de Jésus-Christ que parmi son peuple il y a des fidèles à qui l’on peut dire dans le sens que nous avons exposé : « Pour vous, vous n’êtes point dans la chair, mais dans l’Esprit, si toutefois l’Esprit de Dieu habite en vous ». – « Vous n’êtes pas dans la chair », car vous n’en faites pas les œuvres en en suivant les convoitises ; « mais vous êtes dans l’Esprit », puisque intérieurement vous affectionnez la loi de Dieu ; vous y êtes, « si toutefois l’Esprit de Dieu habite en vous » ; car si vous présumez de votre esprit propre, vous êtes encore dans la chair, et pour n’y être pas, il faut être dans l’Esprit de Dieu. Que cet Esprit de Dieu vienne à s’éloigner, l’esprit de l’homme, entraîné par son propre poids, retombe dans la chair, revient aux œuvres de la chair et aux passions du siècle : son état devient ainsi pire que le premier bd. Tout en conservant votre libre arbitre, implorez donc le secours d’en haut. « Vous n’êtes point dans la chair ? » Est-ce grâce à vos forces ? Nullement. Grâce à qui donc ? Si toutefois l’Esprit de Dieu réside en vous. « Or, si quelqu’un n’a pas l’Esprit du Christ, celui-là n’est pas à lui ». Ne te vante donc pas, ne t’enfle pas, ne t’attribue aucune vertu en propre, ô nature indigente et corrompue. O nature humaine, pauvre Adam, avant d’être malade tu es tombé, et c’est de toi-même que tu te serais relevé ? « Si quelqu’un n’a pas l’Esprit du Christ » ; car l’Esprit de Dieu est l’Esprit du Christ, puisqu’il est commun au Père et au Fils : « si quelqu’un n’a pas l’Esprit du Christ », point d’illusion, « celui-là n’est pas à lui ». 14. Mais par la miséricorde divine, nous avons l’Esprit du Christ ; notre amour de la justice et l’intégrité de notre foi, de notre foi catholique, nous indiquent que nous avons l’Esprit de Dieu. Or, que deviendra notre corps mortel ? Que deviendra cette loi des membres qui s’élève contre la loi de l’esprit ? Que deviendra cette plainte : « Malheureux homme que je suis ? » Écoute : « Mais si le Christ est en vous, quoique le corps soit mort à cause du péché, l’esprit est vivant à cause de la justice ». Faut-il donc désespérer de notre corps, lequel est mort à cause du péché ? N’y a-t-il plus d’espoir ? Est-il endormi pour ne plus s’éveiller be ? Loin de là. « Si le corps est mort à cause du péché, l’esprit est vivant à cause de la justice ». On continue à s’affliger de cette mort du corps ; nul en effet ne hait sa propre chair bf ; et nous sommes témoins des soins que l’on prend de la sépulture des morts. Oui, « le corps est mort à cause du péché, mais l’esprit est vivant à cause de la justice ». Tu disais pour te consoler Je voudrais que mon corps fût en vie, mais comme cela ne se peut, si mon esprit au moins, si mon âme était vivante ! Attends, ne t’inquiète point. 15. « Car si l’Esprit de Celui qui a ressuscité Jésus d’entre les morts habite en vous, Celui qui a ressuscité Jésus-Christ d’entre les morts rendra aussi la vie à vos corps mortels ». Que redoutez-vous ? De quoi vous inquiétez-vous pour votre corps même ? Pas un cheveu ne tombera de votre tête bg ». Adam, par son péché, a condamné vos corps à mourir ; mais Jésus, « pourvu que son Esprit « réside en vous, rendra la vie même à ces corps mortels », attendu que pour vous sauver il a donné son sang. Comment te défier de l’accomplissement de cette promesse, quand tu en tiens un si précieux gage ? Voici donc, ô homme, comment finira cette lutte de la mort, comment se réaliseront ces désirs : « Malheureux homme que je suis, qui m’affranchira du corps de cette mort bh ? » C’est que Jésus-Christ, « pourvu que son Esprit réside en vous, rendre la vie même à ces corps mortels » ; et tu seras délivré du corps de cette mort, non pas en restant sans corps ou en en prenant un autre, mais en ne mourant plus jamais. Si à ces mots : « Qui me délivrera du corps », l’Apôtre n’ajoutait pas de cette mort », l’esprit humain pourrait se tromper et dire. Tu vois bien que Dieu veut nous laisser sans corps. Aussi l’Apôtre dit-il : « Du corps de cette mort ». Bannis la mort, et le corps n’aura rien que de bon ; bannis la mort, la dernière ennemie qui me reste, et j’aurai dans ma chair une amie éternelle. Personne, avons-nous dit, ne hait sa propre chair ; et si l’esprit convoite contre la chair et la chair contre l’esprit bi, s’il y a maintenant division dans la famille, ce n’est pas que le mari cherche la mort de sa femme ; il veut rétablir la concorde. À Dieu ne plaise, mes frères, que l’esprit haïsse la chair en s’élevant contre elle ! Ce qu’il hait, ce sont les vices de la chair, c’est la prudence de la chair, c’est la guerre que lui fait la mort. Ah ! que ce corps corruptible se revête d’incorruptibilité, que ce corps mortel se revête d’immortalité, qu’après avoir été semé corps animal, ce corps ressuscite tout spirituel bj ; tu contempleras alors la paix la plus harmonieuse, tu verras la créature louer son Créateur. Aussi, « pourvu que l’Esprit de Celui qui a ressuscité Jésus d’entre les morts réside en vous, Celui qui a ressuscité le Christ d’entre les morts rendra également la vie à vos corps mortels, à cause de son Esprit qui habite en vous » : non pas à cause de vos mérites, mais en vue de sa munificence. Tournons-nous, etc.
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