1 Corinthians 10
HOMÉLIE XXIII.
NE SAVEZ-VOUS PAS QUE CEUX QUI COURENT DANS LA LICE, COURENT TOUS, MAIS QU’UN SEUL REMPORTE LE PRIX ? (CHAP. 9, VERS. 24, JUSQU’AU VERS. 12 DU CHAP. X) ANALYSE.
- 1. Si saint Paul use de condescendance, s’il se fait tout à tous, il a ses vues, son but à atteindre, il veut gagner des âmes ; mais ceux d’entre les Corinthiens qui vont s’asseoir à la table des idoles, qu’y peuvent-ils gagner pour eux et pour les autres ?
- 2. De même qu’il n’a servi de rien aux Juifs d’être comblés des bienfaits de Dieu, ainsi les dons du Saint-Esprit seront-ils inutiles aux Corinthiens sans la pureté de la conduite et des mœurs.
- 3. Que l’intempérance mène à l’impudicité.
- 4. Que les peines futures seront éternelles.
- 5. Que le repentir est aussi inutile dans l’autre monde que plein d’efficacité dans celui-ci.
- 6. Comparaison des avares avec ceux qui cherchent l’or dans les entrailles de la terre.
1. Après avoir montré que la condescendance est très utile, qu’elle est le sommet de la perfection, qu’il en a lui-même usé plus que les autres, parce qu’il a tendu plus que tous à la perfection, et qu’il l’a même dépassée, en ne recevant rien ; après avoir spécifié les occasions favorables pour l’une et pour l’autre, c’est-à-dire, pour la perfection et la condescendance, il les pique plus au vif en insinuant que ce qui se fait chez eux et qu’ils prennent pour de la perfection n’est qu’un travail vain et superflu. Il ne s’exprime cependant pas aussi clairement, pour ne pas les pousser à l’insolence ; mais il fait ressortir sa pensée des preuves qu’il apporte. Après avoir dit qu’ils pèchent contre le Christ, qu’ils perdent leurs frères, que la science parfaite ne leur est d’aucun profit si la charité ne s’y joint, il revient aux exemples vulgaires, et dit : « Ne savez-vous pas que ceux qui courent dans la lice courent tous ; mais qu’un seul remporte le prix ? » Il ne veut pas dire qu’un seul homme entre tous doive être sauvé, loin de là ! mais que nous devons déployer un grand zèle. Car comme dans la multitude de ceux qui descendent dans la lice, il n’y en a pas beaucoup qui soient couronnés, mais un seul, et qu’il ne suffit pas d’entrer en lice, ni de se frotter d’huile et de lutter ; de même ici il ne suffit pas de croire et de combattre d’une façon quelconque, mais si nous ne courons pas de manière à rester irréprochables jusqu’au bout, et si nous n’atteignons pas le prix, nous n’aurons rien fait. Si vous vous imaginez, leur dit-il, être parfaits quant à la science, vous n’avez cependant pas encore tout ; et c’est ce qu’il insinue en disant : « Courez donc de telle sorte que vous le remportiez ». Ils ne l’avaient donc pas encore remporté. Après avoir dit cela, il indique la manière de le remporter : « Quiconque combat dans l’arène, s’abstient de toutes choses ». Qu’est-ce que cela veut dire : « De toutes « choses ? » Il ne s’abstient pas d’une chose, pour faire excès dans un autre ; mais il réprime la gourmandise, l’impudicité, l’ivrognerie, en un mot toutes les passions : Voilà, dit-il, ce qui s’observe dans les combats extérieurs. Il n’est pas permis aux combattants de s’enivrer au moment de la lutte, ni de commettre la fornication, de peur qu’ils n’épuisent leurs forces, ni de se livrer à aucune autre occupation ; mais s’abstenant absolument de tout, ils s’adonnent uniquement aux exercices gymnastiques. Or s’il en est ainsi là où un seul obtient une couronne, à plus forte raison cela doit-il être là oit la récompense est plus abondante. Car on n’en couronne pas rien qu’un, et les récompenses sont bien au-dessus des travaux. Aussi les fait-il rougir en disant : « Eux, pour recevoir une couronne corruptible ; nous, une incorruptible. Pour moi je cours aussi, mais non comme au hasard ». Après les avoir fait rougir par des exemples pris au-dehors, il se met lui-même en scène, ce qui est la meilleure manière d’instruire. Aussi le fait-il partout. Que signifient ces mots : « Non au hasard ? » c’est-à-dire, en fixant l’œil sur un but, et non, comme vous, inutilement et sans but. Car à quoi vous sert d’entrer dans les temples des idoles, et de vous vanter de votre perfection ? À rien. Ce n’est pas ainsi que j’agis ; mais tout ce que je fais, je le fais pour le salut du prochain ; si je fais preuve de perfection, c’est pour lui ; si je condescends, c’est pour lui encore ; si je vais plus loin que Pierre en ne recevant rien, c’est pour qu’il ne se scandalise pas ; si je condescends plus que tous les autres, jusqu’à me faire circoncire et à me raser, c’est pour ne pas lui devenir une pierre d’achoppement. Voilà ce que veut dire : « Non au hasard ». Mais vous, dites-moi, pourquoi mangez-vous dans les temples d’idoles ? Vous n’en pouvez donner aucun motif raisonnable. Car ce ne sont point les aliments qui nous recommandent à Dieu : si vous mangez, vous n’avez rien de plus ; si vous ne mangez pas, vous n’avez rien de moins. Vous courez donc sans but et sans réflexion, et c’est ce que veut dire : « Au hasard. Je combats, mais non comme frappant l’air ». Ceci fait encore allusion à ces mots au hasard et en vain, et veut dire : j’ai quelqu’un sur qui frapper, le diable ; mais vous, vous ne le frappez pas, vous épuisez inutilement vos forces. En attendant il parle comme étant chargé d’eux. Après les avoir précédemment traités avec une grande rudesse, il se modère de nouveau et réserve le grand coup pour la fin de son discours. Ici, en effet, il leur reproche d’agir au hasard et inconsidérément ; mais plus bas il leur démontre qu’ils jouent leur propre tête, et que, outre le tort qu’ils font au prochain, ils ne sont pas innocents dans leur témérité. « Mais je châtie mon corps et le réduis en servitude, de peur qu’après avoir prêché aux autres, je ne sois moi-même « réprouvé ». Ici il leur fait voir qu’ils sont esclaves de la gourmandise, qu’ils lui lâchent la bride, et que, sous prétexte de perfection, ils satisfont leur goût pour la table ; ce qu’il avait peine à leur insinuer plus haut, quand il disait : « Les aliments sont pour l’estomac, et « l’estomac pour les aliments ». Car, comme la bonne chère amène la fornication et que l’idolâtrie en est le fruit, il a raison d’attaquer souvent cette maladie. En exposant ce qu’il a souffert pour l’Évangile, il le fait aussi entrer en ligne de compte. Car, dit-il, comme j’ai dépassé les commandements, ce qui n’était pas chose facile (« Nous supportons tout », a-t-il dit plus haut) ; de même il m’en coûte beaucoup pour vivre dans la tempérance. Quoique la gourmandise soit un tyran difficile à vaincre, cependant je la bride, je ne me livre point à elle et je supporte tout pour ne pas me laisser entraîner. 2. Mais ne pensez pas que j’y réussisse sans peine. C’est une course, c’est un combat multiple, c’est une tyrannie sans cesse renaissante et demandant sa liberté ; mais je ne la subis point ; je la comprime, au contraire, et je la dompte avec beaucoup de peine. Il dit ceci pour que personne ne se décourage de lutter en faveur de la vertu, à cause des difficultés de la lutte ; c’est ce qui lui fait dire « Je châtie » et : « Je réduis en servitude ». Il ne dit pas : Je tue, ni : Je punis ; car la chair n’est point ennemie ; mais : « Je châtie » et « Je réduis en servitude » : ce qui est le langage d’un maître, et non d’un ennemi ; d’un précepteur, et non d’un homme qui hait ; d’un instituteur, et non d’un adversaire. « De peur qu’après avoir prêché aux autres, je ne sois moi-même réprouvé ». Or si Paul a craint, après avoir instruit tant de monde ; s’il a craint, après avoir prêché, mené la vie d’un ange, et dominé l’univers ; que dirons-nous ? Ne pensez pas, leur dit-il, qu’il vous suffise de croire pour être sauvés. Car si la prédication, l’instruction, la conversion d’une multitude d’hommes ne suffisent pas à me sauver, à moins que je ne me montre irréprochable, beaucoup moins pouvez-vous l’espérer. Puis il passe à d’autres exemples ; comme il a parlé plus haut des apôtres, de l’usage commun, des prêtres, de lui-même, il parle ici des combats olympiques, puis de sa personne encore, et revient aux histoires de l’Ancien Testament. Mais comme son langage doit être plus sévère, il donne son avis en général, et ne traite pas seulement de son sujet actuel, mais de toutes les maladies dont souffrent les Corinthiens. À propos des combats profanes, il a dit : « Ne savez-vous pas ? » Mais ici il dit : « Car je ne veux pas que vous ignoriez, mes frères ». Il leur fait entendre par là qu’ils ne sont pas très instruits sur ce sujet. Qu’est-ce donc que vous ne voulez pas nous laisser ignorer ? « Que nos pères ont été sous la nuée, et qu’ils ont traversé la mer ; qu’ils ont été baptisés en Moïse dans la nuée et dans la mer ; qu’ils ont tous mangé la même nourriture spirituelle et bu le même breuvage spirituel (car ils buvaient de la pierre spirituelle qui les suivait ; or cette pierre était le « Christ) ; cependant la plupart d’entre eux ne « furent pas agréables à Dieu ». Et pourquoi dit-il cela ? Pour prouver que comme il n’a servi de rien aux Juifs de recevoir un si grand bienfait, ainsi il leur sera inutile d’avoir reçu le baptême et d’avoir participé aux mystères spirituels, s’ils ne mènent une vie digne de la grâce. C’est pourquoi il rappelle les types du baptême et des mystères. Que veut dire : « En Moïse ? » Nous sommes baptisés dans la foi au Christ et à sa résurrection, et comme devant participer aux mêmes mystères ; (nous sommes baptisés pour les morts, dit-il plus bas [1Co 15,29], c’est-à-dire, pour nos corps) ; ainsi les Juifs se fiant à Moïse, c’est-à-dire, le voyant entrer le premier dans les eaux, osèrent aussi y entrer après lui. Mais voulant rapprocher le type de la vérité, il ne s’exprime pas ainsi ; il emploie le langage de la réalité, même en parlant de la figure : car le passage de la mer était le symbole du baptême ; et ce qui suivit, le symbole de la Table sainte. En effet, comme vous mangez le corps du Maître, ainsi les Juifs mangeaient la manne ; et comme vous buvez le sang, ainsi buvaient-ils l’eau de la pierre. Car quoique ces faits fussent sensibles, ils avaient cependant un sens spirituel, non par l’effet de la nature, mais par la grâce du don ; et ils nourrissaient l’âme en même temps que le corps, en la conduisant à la joie. Aussi ne parle-t-il point de la nourriture ; là, en effet, il n’y avait pas seulement changement dans la manière de la donner, mais encore dans la nature : c’était de la manne ; quant au breuvage, comme le mode de production était seul extraordinaire, et avait seul besoin de preuve, c’est pour cela qu’il dit : « Ils buvaient le même breuvage spirituel », en ajoutant : « Or cette pierre c’était le Christ ». Car la nature de la pierre n’était pas de donner de l’eau, autrement l’eau aurait déjà jailli auparavant ; mais il y avait une autre pierre spirituelle qui faisait tout, c’est-à-dire, le Christ toujours présent au milieu d’eux et auteur de tous ces prodiges. Aussi dit-il : « Qui le suivait ». Voyez-vous la sagesse de Paul, comme il montre le Christ agissant des deux côtés et rapproche ainsi la figure de la réalité ? Celui, dit-il, qui faisait ces, dons aux Juifs est le même qui nous a préparé cette table ; celui qui les a conduits à travers la mer Rouge, est celui qui vous a amenés par le baptême ; celui qui leur fournissait de la manne et de l’eau, vous donne son corps et son sang. Voilà ce qui concerne ses dons ; voyons maintenant la suite, et s’il les a épargnés, quand ils se sont montrés indignes de ses dons. Vous ne sauriez le dire. Aussi ajoute-t-il : « Cependant la plupart d’entre eux ne furent pas agréables à Dieu », bien qu’il leur eût fait un tel honneur. Mais cela ne leur servit à rien et la plupart d’entre eux périrent. Au fait tous périrent ; mais pour ne pas avoir l’air de prophétiser un désastre universel, il dit : « La plupart ». Or ils formaient une grande multitude ; mais le nombre ne leur servit à rien ; tous ces bienfaits étaient des signes d’amour ; mais cela encore leur fut inutile, parce qu’ils ne rendirent point amour pour amour. Comme beaucoup ne croient point à ce qu’on dit de l’enfer, il leur prouve par les faits que Dieu punit les pécheurs, même après les avoir comblés de bienfaits. Si vous ne croyez point à l’avenir, leur dit-il, au moins vous ne refuserez pas de croire au passé. 3. Considérez donc que de bienfaits Dieu leur avait accordés : il les avait délivrés de l’Égypte et de la servitude qu’ils y subissaient, il avait ouvert la mer, il avait fait tomber la manne du ciel, il avait fait jaillir dès sources d’une manière étrange et incroyable : il les accompagnait partout, faisant des prodiges et leur servant de défenseur ; et pourtant, quand ils ne surent pas répondre à tant de bonté, il ne les ménagea pas, mais il les fit tous périr. « Car ils succombèrent dans le désert », dit-il : exprimant d’un seul mot leur ruine universelle, les châtiments divins, et la perte pour tous du prix proposé. Car ce ne fut pas dans la terre de promission que Dieu les traita ainsi, mais au-dehors et bien loin : leur infligeant ainsi un double châtiment, celui de ne point voir la terre promise et celui d’être sévèrement punis. Mais, direz-vous, qu’est-ce que cela nous fait ? Cela nous regarde ; aussi l’apôtre ajoute-t-il : « Or toutes ces choses ont été « des figures de ce qui nous regarde ». Comme les dons étaient des figures, ainsi les châtiments en étaient-ils ; comme le baptême et la table sainte étaient indiqués d’avance, ainsi les punitions qui suivirent ont-elles été écrites pour nous, à l’effet de nous apprendre que ceux qui se rendront indignes du bienfait seront punis, et pour nous rendre plus sages par de tels exemples. Aussi l’apôtre ajoute-t-il « Afin que nous ne convoitions pas les choses mauvaises comme eux les convoitèrent ». Car comme, en ce qui regarde les bienfaits, la figure a précédé et la réalité a suivi ; ainsi en sera-t-il pour les châtiments. Voyez-vous comme il nous fait voir que non seulement les coupables seront punis, mais qu’ils le seront plus sévèrement que les Juifs ? Car si d’un côté est la figure et de l’autre la réalité, il faut nécessairement que la punition soit beaucoup plus grande, comme l’a été le bienfait. Et voyez sur qui il frappe d’abord : Sur ceux qui mangent des viandes immolées aux idoles. Après avoir dit. « Afin que nous ne convoitions pas les choses mauvaises », ce qui était général, il en vient à l’espèce, en, montrant que tout péché vient d’un désir coupable, et il dit en premier lieu : « Et que vous ne deveniez point idolâtres, comme quelques-uns d’eux, selon qu’il est écrit : Le peuple s’est assis pour manger et boire, et s’est levé pour se divertir ». Entendez-vous comme il les appelle idolâtres ? Ici il se contente d’affirmer ; plus tard il prouvera. Il donne la raison pour laquelle on courait à ces tables : c’était par gourmandise. C’est pourquoi après avoir dit : « Afin que nous ne convoitions pas les choses mauvaises », en ajoutant : « Et que vous ne deveniez point idolâtres », il indique l’origine de ce crime, à savoir la gourmandise. « Car le peuple s’est assis pour manger et boire » ; puis il donne la fin : « Et s’est levé pour se divertir ». Comme les Juifs, dit-il, passèrent de la bonne chère à l’idolâtrie, il est à craindre qu’il ne vous en arrive autant. Voyez-vous comme il fait voir que ces prétendus parfaits sont plus imparfaits que les Juifs ? Et il les blesse en montrant non seulement qu’ils ne soutiennent pas la faiblesse des faibles, mais encore en faisant voir que ceux-ci pèchent par ignorance et eux par gourmandise ; et il dit que les forts paieront par leur punition la perte des faibles, et il ne leur permet point de se décharger de leur responsabilité, mais les déclare coupables de leur propre perte et de celle des autres. « Ne commettons point la fornication comme quelques-uns d’entre eux la commirent ». Pourquoi mentionne-t-il encore la fornication, après en avoir déjà tant parlé ? C’est l’usage de Paul, quand il accuse de beaucoup de péchés, de les disposer par ordre et de les suivre en détail ; puis, à propos des derniers, de revenir aux premiers ; comme Dieu lui-même dans l’Ancien Testament, reprochait le veau d’or aux Juifs à l’occasion de toutes leurs fautes et en ramenait sans cesse le souvenir. Ainsi Paul fait ici : il rappelle la fornication, pour montrer qu’elle était aussi l’effet de la bonne chère et de la gourmandise. C’est pourquoi il ajoute : « Ne commettons pas la fornication comme quelques-uns d’entre eux la commirent, et il en tomba vingt-trois mille en un seul jour ». Et pourquoi ne parle-t-il pas de la punition de l’idolâtrie ? On parce qu’elle était claire et connue ; ou parce qu’elle ne fut pas aussi grande alors que du temps de Balaam, quand les Juifs furent initiés aux mystères de Béelphégor et que les femmes madianites se montrèrent sur le champ de bataille pour les provoquer à la débauche, selon le conseil de Balaam. Que ce mauvais conseil provînt de Balaam, Moïse nous l’apprend quand il dit à la fin du livre des Nombres : « Dans la guerre contre Madian, ils tuèrent Balaam fils de Béor parmi les blessés. Et Moïse se fâcha et dit : Pourquoi avez-vous pris les femmes vivantes ? Ce sont elles qui sont devenues une pierre d’achoppement pour les enfants d’Israël selon le conseil de Balaam, de sorte qu’ils firent défection et méprisèrent la parole du Seigneur à cause de Phégor ». (Nom 31,14-16) « Ne tentons point le Christ comme quelques-uns d’entre eux le tentèrent, et ils périrent par les serpents ». 4. Par ceci il fait allusion à un autre grief dont il parle encore à la fin, les accusant de disputer sur les signes, et de murmurer à l’occasion des épreuves en disant : Quand viendront les biens ? Quand viendront les récompenses ? Et c’est pour les en corriger et les effrayer qu’il dit : « Ne murmurez point comme quelques-uns d’entre eux murmurèrent, et ils périrent par l’exterminateur ». Car on ne nous demande pas seulement de souffrir pour le Christ, mais de supporter les événements avec courage et avec grande joie. C’est là toute la couronne ; en dehors de cela, ceux qui auront souffert à contre-cœur seront punis. Voilà pourquoi les apôtres se réjouissaient d’avoir été battus de verges, et Paul se glorifiait dans les afflictions. « Or toutes ces choses leur arrivaient en figure ; et elles ont été écrites pour nous être un avertissement, à nous pour qui est venue la fin des temps ». Il les épouvante encore en parlant de la fin, et les prépare à attendre un avenir plus terrible que le passé. De tout ce qui a été exposé, dit-il, il est clair que nous serons punis, cela est évident même pour ceux qui ne croient pas à l’enfer ; et que la punition sera plus grave, cela résulte de ce que nous avons reçu plus de bienfaits et de ce que ces châtiments n’étaient que des figures. Si les dons sont plus grands, nécessairement les punitions le seront aussi. Voilà pourquoi il appelle les anciennes punitions des figures et dit qu’elles ont été écrites pour nous ; puis il rappelle le souvenir de la fin, pour éveiller la pensée de la consommation. Car les châtiments alors ne seront plus comme ceux-là qui avaient une fin et disparaissaient ; mais ils seront éternels. Comme les peines de cette vie passent avec la vie même, ainsi celles de l’autre monde ne finiront jamais. Quand il parle de « la fin des temps », il veut simplement dire que, le terrible jugement est proche. « Que celui donc qui croit être ferme prenne garde de tomber ». Ici il abat encore l’orgueil de ceux qui s’enflaient de leur science. Si ceux qui avaient reçu de tels bienfaits ont été ainsi punis, si d’autres l’ont été pour avoir simplement murmuré, d’autres pour avoir offert des tentations, et parce que le peuple ne craignait plus Dieu, bien qu’il eût été si favorisé ; à bien plus forte raison nous en arrivera-t-il autant, si nous ne veillons sur nous. Il a donc raison de dire : « Que celui qui se croit ferme ». Car avoir confiance en soi, ce n’est pas être ferme comme on doit l’être ; avec cela, on tombe vite ; les Juifs n’auraient pas subi un tel sort, s’ils avaient été humbles, et non orgueilleux et pleins de confiance. Il est donc clair que la source de ces maux sont d’abord la présomption, puis la négligence et la gourmandise. Si donc vous êtes ferme, prenez garde de tomber. Car être ferme ici-bas ce n’est pas l’être solidement, tant que nous ne serons pas débarrassés des orages de cette vie et que nous n’aurons pas abordé au port : Ne soyez donc pas trop fier d’être ferme, mais prenez garde à la chute. Si Paul, le plus ferme des hommes, a craint, à bien plus forte raison devons-nous craindre nous-mêmes. L’apôtre disait : « Que celui qui croit être ferme prenne garde de tomber » ; et nous, nous ne pouvons pas même dire cela, puisque presque tous sont déjà tombés, abattus, étendus à terre. Car à qui parlerai-je ? Est-ce à celui qui vole tous les jours ? Mais il a fait une lourde chute. Est-ce au fornicateur ? Mais il est couché sur le sol. Est-ce à l’ivrogne ? Mais lui aussi est à bas, et il ne s’en aperçoit pas même. En sorte que ce n’est pas le temps de tenir ce langage, mais bien plutôt celui que le prophète adressait aux Juifs, quand il leur disait : « Est-ce que celui qui tombe ne se relève pas ? » (Psa 41,4) Car tous sont à terre, et ne veulent pas se relever. Nos exhortations ne tendent donc plus à empocher de tomber, mais à donner à ceux qui sont tombés la force de se relever. Relevons-nous donc, enfin, mes bien-aimés, quoiqu’il soit bien tard, relevons-nous et tenons-nous debout solidement. Jusqu’à quand resterons-nous couchés ? Jusqu’à quand resterons-nous ivres, appesantis par la convoitise des biens temporels ? C’est bien le cas de dire maintenant : À qui parlerai-je ? Qui prendrai-je pour témoin ? Tous sont si bien devenus sourds à l’enseignement de la vérité ! Et ils se sont par là attiré tant de maux ! Si on pouvait voir les âmes à nu, on aurait dans l’Église le spectacle que présente un champ de bataille après le combat : des morts et des blessés. C’est pourquoi je vous en prie et vous en conjure : tendons-nous la main les uns aux autres et relevons-nous. Car moi aussi je suis du nombre des blessés et de ceux qui ont besoin de la main qui applique les remèdes. Cependant ne désespérez pas pour cela ; si les blessures sont graves, elles ne sont pas incurables. Notre médecin est si puissant ! sondons seulement nos plaies ; et fussions-nous tombés au plus profond du vice, il nous ouvrira bien des voies de salut. D’abord, si vous pardonnez au prochain, vos péchés vous seront remis. « Si vous remettez aux hommes leurs offenses », nous dit Jésus-Christ, « votre Père céleste vous remettra aussi les vôtres ». (Mat 6,14) Si vous faites l’aumône, il vous pardonnera vos péchés : « Rachetez », est-il écrit, « vos iniquités au moyen de l’aumône ». (Dan 4,24) Si vous priez avec ferveur, vous serez encore pardonné, comme nous le voyons par l’exemple de la veuve qui fléchit, à force d’instances, un juge inhumain. Si vous accusez vos péchés, vous recevrez de la consolation : « Accusez d’abord vos fautes, afin que vous soyez justifié ». (Isa 43,26) Si vous en êtes triste, ce sera encore un remède très efficace ; car il est écrit : « J’ai vu qu’il était affligé, qu’il s’en allait triste, et j’ai corrigé ses voies ». (Isa 57,17-18) Si vous supportez l’adversité avec patience, vous serez quitte de tout. C’est ce qu’Abraham dit au mauvais riche : « Lazare a reçu les maux et maintenant il est consolé ». (Luc 16,25) Si vous avez pitié de la veuve, vous vous laverez de vos péchés ; car il est écrit : « Rendez justice à l’orphelin, faites droit à la veuve et venez discuter avec moi : quand vos péchés seraient rouges comme l’écarlate, je les rendrai blancs comme la neige ; fussent-ils de la couleur du safran, je les rendrai blancs comme la laine ». (Isa 1,17-18) Dieu ne laisse pas même paraître la cicatrice. 5. Quand nous serions réduits aux dernières extrémités comme celui qui avait dissipé son patrimoine et qui vivait de glands, pourvu que noua fassions pénitence, nous serons certainement sauvés ; dussions-nous dix mille talents, pourvu que nous demandions grâce et que nous oubliions les injures, tout nous sera remis ; fussions-nous égarés comme la brebis qui s’est écartée du bercail, il saura nous ramener, pourvu que nous le voulions, mes bien-aimés : car Dieu est bon. Aussi s’est-il contenté de voir à ses genoux celui qui lui devait dix mille talents ; de voir le prodigue revenir, et la brebis égarée consentir à être rapportée. Considérant donc l’étendue de sa bonté, rendons-le-nous propice ; prosternons-nous devant sa face en faisant l’aveu de nos fautes, de peur qu’au sortir de ce monde, nous trouvant sans excuse, nous ne soyons livrés au dernier supplice. Si nous montrons de la diligence pendant cette vie, une diligence quelconque, nous en retirerons un très grand profit ; mais si nous nous en allons sans nous être améliorés, l’amer repentir que nous éprouverons dans l’autre vie ne nous servira de rien. C’était dans l’arène qu’il fallait combattre, et non après la lutte finie, se livrer à des lamentations et à des larmes inutiles, à l’exemple de ce mauvais riche qui pleurait et gémissait, mais en pure perte, parce qu’il avait négligé de le faire à temps. Et il n’est pas le seul ; il y a encore aujourd’hui beaucoup de riches de ce genre, qui ne veulent pas mépriser les richesses, mais qui négligent leur âme ; ils sont pour moi un sujet d’étonnement, quand je les vois solliciter continuellement la miséricorde divine et cependant persévérer dans des dispositions qui les rendent incurables, et traiter leur âme comme une ennemie. Ne nous faisons point d’illusion, mes bien-aimés, ne nous faisons point d’illusion, et ne nous trompons pas nous-mêmes au point de demander à Dieu d’avoir pitié de nous, pendant que nous préférons à cette pitié l’argent, la volupté, tout en un mot. Si quelqu’un vous constituait juge, et disait que celui qu’il accuse, méritant mille fois la mort et pouvant se racheter au moyen d’un léger sacrifice d’argent, aime cependant mieux mourir que de faire ce sacrifice, vous ne jugeriez certainement pas l’accusé digne d’indulgence ni de pardon. Appliquez-vous ce raisonnement : voilà ce que nous faisons réellement, quand nous négligeons notre salut et ménageons notre argent, Comment pouvez-vous prier Dieu de vous épargner, quand vous ne vous épargnez pas vous-même, et préférez l’argent à votre âme ? Aussi je me sens frappé d’un extrême étonnement quand je considère combien il y a de prestige dans l’argent, ou plutôt de déception dans les âmes qui s’y attachent. Il y en a pourtant, oui, il y en a qui rient de bon cœur de cette séduction. Qu’y a-t-il donc là de propre à nous fasciner ? n’est-ce pas de la matière, une matière inanimée, éphémère ? Sa possession n’est-elle pas incertaine ? n’est-elle pas pleine de craintes et de périls ? Une occasion de meurtres et d’embûches ? Une source d’inimitié et de haine ? de paresse et de vices nombreux ? N’est-ce pas de la terre et de la cendre ? Quelle folie que celle-là ! quelle maladie ! Mais, dirait-on, il ne s’agit pas seulement d’accuser ces malades, mais de les guérir de leur passion. Et comment les guérir, sinon en leur montrant que cette passion est ignoble et qu’elle entraîne des maux incalculables ? Mais il n’est pas aisé de convaincre un homme attaché à ces puérilités. – Il faut donc lui présenter une autre beauté. – Mais étant encore malade, il ne voit pas la beauté incorporelle. – Offrons-lui-en donc une corporelle et disons-lui : Voyez les prairies et les fleurs qui les émaillent, plus éclatantes que l’or, plus gracieuses et plus brillantes que toutes les pierres précieuses ; voyez les ruisseaux limpides, les fleuves sortant de terre sans bruit, comme de l’huile ; montez au ciel et voyez la beauté du soleil, le modeste éclat de la lune, les fleurs des étoiles. – Qu’est-ce que cela ? direz-vous. Nous n’en usons pas comme de l’argent. – Nous en usons bien plus que de l’argent, puisque le besoin en est plus grand et la jouissance plus sûre. Car vous n’avez pas peur qu’on vous les enlève comme l’argent ; vous pouvez compter dessus, et cela – sans souci, sans inquiétude. Que si vous vous affligez d’en jouir avec d’autres, de ne pas les posséder seul comme l’argent : alors ce n’est plus l’argent que vous aimez, ce me semble, mais l’avarice seule ; vous n’aimeriez pas même l’argent, si tout le monde en avait. Puisque nous avons découvert l’objet de votre passion, c’est-à-dire, l’avarice, venez que je vous montre combien elle vous hait et vous déteste, que de glaives elle aiguise contre vous, combien de gouffres elle creuse sous vos pieds, combien de pièges elle vous tend, combien de précipices elle vous ouvre, afin que vous étouffiez votre affection pour elle. Et d’où saurons-nous tout cela ? Des chemins, des guerres, de la mer, des tribunaux. En effet, elle emplit la mer de sang, elle rougit souvent le glaive des juges, elle arme elle-même ceux qui tendent jour et nuit des embûches sur les routes, elle porte à méconnaître les lois de la nature, elle fait les parricides, elle a introduit tous les maux dans le monde. 6. Aussi Paul l’appelle-t-il la racine de tous les maux. Elle réduit des amants à une condition qui n’est guère préférable à celle des condamnés aux mines. En effet, comme ceux-ci travaillent continuellement enfermés dans les ténèbres, chargés de fers et sans profit pour eux ; ainsi les avares, enfouis dans les cavernes de l’avarice, sans que personne les y oblige, se créent à eux-mêmes leur tourment, se chargent volontairement de chaînes que rien ne peut briser. Encore les condamnés se reposent-ils de leurs travaux, quand vient le soir ; mais les avares creusent leurs misérables mines jour et nuit : ceux-là ont une mesure de travail déterminée ; les avares ne connaissent point de mesure, et sont d’autant plus malheureux qu’ils creusent davantage. Et si vous me dites que les tins travaillent par force et les autres volontairement, vous indiquez par là même ce qu’il y a de terrible dans l’avarice, puisque, ceux qui en souffrent ne peuvent pas s’en débarrasser, vu qu’ils l’aiment. Comme le pourceau dans la fange, ils prennent plaisir à se vautrer dans la bourbe infecte de la cupidité, bien plus malheureux que ces condamnés dont nous parlions tout à l’heure. Pour vous convaincre que leur condition est pire, écoutez ce qu’est celle des uns et des autres. On dit donc que le terrain aurifère renferme dans ses sombres cavernes des coins et des recoins ; on donne au condamné à ces durs travaux une lampe et un hoyau ; puis il entre, portant aussi un vase qui distille l’huile goutte à goutte dans sa lampe, parce que, comme je l’ai déjà dit, les ténèbres pour lui sont continuelles. Le moment de prendre sa misérable nourriture vient et on dit qu’il l’ignore ; mais le gardien frappe violemment sur l’antre, et par le bruit et les éclats de sa voix, avertit les travailleurs que la fin du jour est arrivée. Ne frissonnez-vous pas en entendant tout cela ? Voyons cependant si le sort des avares n’est pas pire encore. Leur passion est pour eux un gardien bien plus terrible, d’autant plus terrible, qu’elle enchaîne leur âme en même temps que leur corps. Leurs ténèbres sont encore plus affreuses ; car elles ne sont pas sensibles, ils les produisent eux-mêmes et les traînent partout avec eux. Pour eux, la vue de l’âme est éteinte. Aussi le Christ les proclame-t-il malheureux entre tous, en disant : « Si donc la lumière qui est en toi est ténèbres, les ténèbres elles-mêmes que seront-elles ? » (Mat 6,23) Les condamnés ont au moins une lampe qui brille, les avares en sont privés ; aussi tombent-ils chaque jour dans mille gouffres. Les condamnés respirent au moins quand la nuit descend ; ils goûtent le calme commun à tous les malheureux, le calme de la nuit ; mais l’avarice ferme ce port à ses victimes : tant sont nombreux les soucis qui les accablent pendant la nuit. Ils se tourmentent alors avec d’autant plus de liberté que personne ne les gêne. Voilà ce qu’ils souffrent sur la terre ; mais comment peindre ce qu’ils souffriront dans l’autre monde ! Ces fournaises insupportables, ces fleuves de feu, ces grincements de dents, ces chaînes que rien ne peut briser, ce ver empoisonné, ces ténèbres absolues, ces maux qui n’auront point de fin ? Craignons donc, mes bien-aimés, craignons la source de tant de supplices, cette passion insatiable, la ruine de notre salut. Car on ne peut aimer en même temps son âme et l’argent. Comprenons que l’argent n’est que terre et poussière, qu’il nous quitte au sortir de ce monde, souvent même avant le départ, qu’il nous nuit pour l’avenir et pour le présent. Car, même avant l’enfer et ses supplices, il nous enrage dans mille combats, il allume les séditions et les guerres. Point de brouillon comme l’avarice ; rien de si appauvrissant pour le riche comme pour le pauvre. Car elle prend racine même dans l’âme des pauvres, et rend encore plus lourde leur pauvreté. Si un pauvre est avare, ce n’est plus par la fortune, mais par la faim qu’il est puni. Car il ne peut pas même se résoudre à jouir librement du peu qu’il a ; mais il torture son estomac par la faim, punit son corps par la nudité et le froid, est plus sale et plus crasseux que ceux qui sont dans les fers ; il pleure et se lamente sans cesse, comme étant le plus malheureux des hommes, quand même il y en aurait par milliers de plus pauvres que lui. S’il paraît en public, il n’en sort que chargé de coups ; s’il entre aux bains ou au théâtre, il sera plus maltraité encore, non seulement de la part des spectateurs, mais de la part des acteurs, quand il verra des prostituées toutes brillantes d’or. S’il navigue en mer, en songeant aux marchands, aux navires chargés, à d’immenses profits, il se croira à peine vivant ; s’il voyage sur terre, en pensant aux campagnes, aux domaines voisins des villes, aux hôtelleries, aux établissements de bains, aux revenus que tout cela produit, il ne pourra croire que sa vie soit une véritable vie. Si vous le renfermez chez lui, en grattant les blessures qu’il a reçues sur la place il s’affligera encore davantage ; il ne verra pas d’autre consolation dans les maux qui l’obsèdent, que la mort, le départ de ce monde. Tel sera le sort, non seulement du pauvre, mais aussi du riche affecté de cette maladie, et de celui-ci d’autant plus que le joug tyrannique lui pèse davantage et que son ivresse est plus grande. Aussi se croit-il le plus pauvre de tous et l’est-il réellement. Car la richesse et fa pauvreté ne se mesurent pas sur ce que l’on possède, mais sur les dispositions de l’âme ; et celui-là est le plus pauvre de tous, qui désire toujours davantage et ne peut jamais éteindre ce coupable désir. Pour toutes ces raisons, fuyons donc l’avarice, la mère de la pauvreté, la perte de l’âme, l’amie de l’enfer, l’ennemie du royaume des cieux, ta source de tous les maux à la fois ; et méprisons l’argent, afin de jouir de l’argent lui-même et avec lui des biens qui nous sont promis. Puissions-nous tous les obtenir, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, auquel, ainsi qu’au Père et au Saint-Esprit, gloire, puissance et honneur, maintenant et à jamais, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il. Traduit par M. l’abbé DEVOILE. Tome IV HOMÉLIE SUR CETTE PAROLE DE L’APÔTRE : « Je ne veux pas que vous ignoriez, mes frères, que nos pères furent tous sous la nuée, et qu’ils traversèrent tous la mer. » (1Co 10,1)
AVERTISSEMENT.
Nous ne savons rien touchant la date de cette homélie. Seulement deux passages de l’exorde attestent qu’elle fut prononcée en été, et le lendemain du jour où Chrysostome avait loué saint Barlaam. C’est à Antioche que se célébrait particulièrement la fête de ce saint : d’où l’on peut induire que la présente homélie fut prononcée dans la même ville. S. Chrysostome s’y propose d’y démontrer que les événements accomplis sous l’ancienne Loi sont comme des figures et des présages de ce qui devait arriver sous l’empire de la Nouvelle. Il attaque incidemment les erreurs de Marcion, de Manichée, de Paul de Samosate, et termine en sollicitant l’intercession des saints. ANALYSE.
- 1° Pourquoi saint Paul a recours à l’Ancien Testament, et non au Nouveau pour faire redouter aux pécheurs les châtiments qu’ils ont mérités. – Comment les prédictions peuvent être confirmées par les exemples empruntés au passé.
- 2° Que le Dieu de l’Ancien Testament et Celui du Nouveau sont un seul et même Dieu. – Réputation de Marcion et de Manichée.
- 3° Le passage de la mer Rouge, figure du baptême.
- 4° En quoi la figure ou le symbole diffère de la vérité.
- 5° Figure de la Sainte Table dans l’ancienne Loi. – Hérésie de Paul de Samosate.
- 6° Autres rapports entre la vie des Juifs dans le désert et ce qui se passe actuellement dans l’Église
- 7° Conclusion et exhortation.
1. Les mers que les marins préfèrent à toutes les autres sont celles où les ports et les îles se trouvent en abondance. Une mer sans port, quand bien même le calme y régnerait, est un sujet d’effroi pour ceux qui la sillonnent ; mais s’ils aperçoivent des ports, des rivages, des plages de toutes parts, ils naviguent alors avec une entière sécurité. L’onde a beau s’émouvoir un instant, comme il leur suffit d’un moment pour trouver un abri, ils comptent échapper sans peine et sans retard aux maux suspendus sur leurs têtes. Par la même raison, quand bien même le port est dans le lointain, et non dans le voisinage, il leur suffit de l’apercevoir pour éprouver un grand soulagement. Ce n’est pas, en effet, un médiocre encouragement pour eux, que l’apparition d’une cime de montagne à l’horizon, qu’une fumée qui s’élève, un troupeau qui paît sur le penchant d’une colline. Néanmoins, c’est seulement quand ils arrivent au port qu’ils goûtent une joie sans mélange. Alors ils déposent la rame, alors ils arrosent d’une eau douce et pure leurs corps imprégnés du sel de l’onde amère, alors ils descendent sur le rivage, et une heure de sommeil sur terre leur fait oublier toutes les épreuves de la navigation. Or, de même que ces hommes se plaisent sur les mers dont j’ai parlé, à cause des fréquentes occasions dé repos qu’ils y trouvent ; ainsi je sens, moi aussi, une préférence pour la saison où nous sommes ; non point parce que nous sommes délivrés de l’hiver, ni parce que l’été fait souffler sur nous la douce haleine du zéphyr, mais parce que les ports spirituels ne cessent de s’ouvrir à nous, j’entends par là les fêtes des saints martyrs. En effet, les ports ne relèvent pas tant le courage des nautoniers que les fêtés de ces saints ne raniment celui des fidèles. Le port ne délivre le marin que de la fureur des vagues et des fatigues de la rame ; mais ceux qui assistent aux solennités en l’honneur des martyrs sont dérobés par cette commémoration aux esprits mauvais et impurs, aux pensées déréglées, aux tempêtes qui agitent l’âme. Les affaires publiques, celles de sa maison, l’accablent de tristesse ; il est entré ici traînant après lui sa peine ; il s’en va soulagé, tranquille, dispos ; content, non d’avoir quitté la raine ou lâché le gouvernail, mais d’avoir déposé l’incommode et pesant fardeau des ennuis de la vie, et de sentir son âme se rouvrir à la joie. Je vous en atteste, vous tous qui, dans la journée d’hier, avez joui des épreuves du bienheureux Barlaam. Pleins de sécurité, vous vous êtes jetés dans ce port, vous vous êtes purifiés des amères souillures de la vie, et vous avez revu votre maison, allégés par le tableau de tant de vertus. Et voici que nous allons avoir bientôt d’autres martyrs à célébrer. Mais en attendant que nous courions nous abriter dans ce nouveau port, imitons les matelots ; ils chantent pour charmer les ennuis de la traversée ; de même, en attendant que nous soyons au port, échangeons entre nous quelques discours spirituels. Le bienheureux Paul sera notre guide dans ce pieux entretien, et nous le suivrons partout où il lui plaira de nous conduire. Quel est donc ce chemin qu’il nous indique ? Le chemin qui traverse le désert, ce lieu illustré partant de miracles. Aujourd’hui même vous avez entendu Paul élever la voix et dire : Je ne veux pas que vous ignoriez, mes frères, que tous nos pères étaient sous la nuée et que tous ont traversé la mer, et que tous ont été baptisés en Moïse, et que tous ont mangé le même aliment spirituel, et que tous ont bu le même breuvage spirituel. Car ils buvaient à la pierre spirituelle qui les suivait ; et cette pierre était le Christ. Mais Dieu ne se complut point dans la plupart d’entre eux, car ils furent terrassés dans le désert. Et ce sont là des figures pour que nous ne désirions pas les choses mauvaises, ainsi que ces hommes les ont désirées, et pour que nous ne devenions pas idolâtres, à l’exemple de quelques-uns d’entre eux, ainsi qu’il est écrit : Le peuple s’assît pour manger et pour boire, et ils se levèrent pour se divertir. Ne commettons pas la fornication, comme ont fait quelques-uns d’entre eux ; et dans un seul jour il en tomba vingt-trois mille. Ne tentons pas le Christ, comme ont fait quelques-uns d’entre eux, et ils périrent par les serpents. Ne murmurons pas, comme ont murmuré quelques-uns d’entre eux, et ils ont été frappés par l’ange exterminateur. (1Co 10,1,10 ; Exo 32,6) Ces paroles semblent claires, et pourtant elles suggèrent certains doutes assez embarrassants à ceux qui réfléchissent. En effet, il y a lieu de rechercher d’abord pourquoi il a rappelé ces vieilles histoires, par quelle association d’idées, parlant des sacrifices offerts, aux idoles, il se jette dans ce récit qui nous transporte au milieu du désert. En effet, ce bienheureux n’a pas l’habitude de parler à la légère ni au hasard ; au contraire, il a toujours soin de mettre beaucoup de suite et un exact enchaînement dans ses discours. Que se propose-t-il donc, et d’où vient qu’il se jette dans, ce récit ? Il réprimandait ceux qui allaient étourdiment et sans réflexion vers les idoles, et goûtaient aux victimes offertes sur leurs autels sacrilèges ; et après avoir montré que ces imprudents encouraient double dommage, en scandalisant les faibles, et en se rendant eux-mêmes convives des démons, après avoir suffisamment humilié leur orgueil par ses premières paroles, après leur avoir montré que le fidèle ne doit pas songer à lui seulement, mais encore au grand nombre, afin d’augmenter encore leur effroi, il leur remet en mémoire des faits passés depuis longtemps. Voyant que les Corinthiens étaient très fiers d’être fidèles, d’être délivrés de l’erreur, initiés à la doctrine, associés aux ineffables mystères, appelés au royaume des cieux, et voulant leur prouver que tout cela ne sert de rien, si leur conduite publique n’est pas en harmonie avec ces grâces exceptionnelles, il a recours, pour les en convaincre, à l’histoire des anciens temps. 2. Mais même ceci soulève encore de nombreuses questions. Pourquoi ne se sert-il pas avec eux des paroles du Christ consignées dans l’Évangile ? Pourquoi ne leur parle-t-il pas de la géhenne, des ténèbres extérieures, du ver venimeux, des chaînes éternelles, du feu allumé pour le diable et pour ses anges, des grincements de dents, et autres supplices inexprimables ? S’il voulait les effrayer, il aurait dû recourir à ces châtiments d’un ordre supérieur, et non pas à ceux qui furent infligés dans le désert. En effet, les coupables d’alors, s’ils furent punis, le furent avec moins de rigueur et sur le coup, et tout fut terminé dans un jour ; au lieu que les damnés subiront des peines éternelles en même temps que plus rigoureuses. Pourquoi donc a-t-il choisi cet exemple afin d’effrayer, au lieu de rappeler les paroles du Christ ? En effet, rien ne l’empêchait de leur dire : Je ne veux pas que vous ignoriez, mes frères, les lois que le Christ a édictées au sujet de ceux qui, ayant la foi, n’auront pas, une vie sans reproche. Ne voyez-vous pas qu’il a exclu du royaume des cieux des gens qui avaient fait des miracles et se montraient prophètes, lorsqu’il a dit : Beaucoup me diront dans ce, jour : Seigneur, Seigneur, n’est-ce pas en votre nom que nous avons chassé des démons, n’est-ce pas en votre nom que nous avons prophétisé, et que nous avons fait beaucoup de miracles ? Et alors je leur dirai hautement Retirez-vous de moi, je ne vous connais pas, artisans d’iniquité ! (Mat 7,22-23) Ce qu’il reprochait aux vierges, ce n’était pas de manquer de foi ou d’être infidèles aux dogmes ; c’est à cause de leur vie dissolue, de leur inhumanité, de leur dureté, qu’il leur interdit la chambre nuptiale. (Mat 25,10-12) S’il a fait lier et mettre à la porte l’homme revêtu d’habits sordides (Mat 22,11-13), ce n’est point comme manquant d’orthodoxie, mais comme vivant dans la fange de l’impureté. De même, ceux qu’il a condamnés au feu préparé pour le diable et ses anges, ne furent pas envoyés par lui à ce supplice comme ayant abandonné la foi, mais comme n’ayant jamais eu de pitié pour personne. Paul eût pu rappeler ces faits avec ceux qui s’en rapprochent, et dire : Je ne veux pas que vous ignoriez, mes frères, que tous ces gens-là avaient reçu le baptême, participé aux mystères, montré beaucoup de foi et acquis une science profonde ; néanmoins comme leur vie ne répondait pas à leur foi, ils furent exilés du royaume et livrés au feu. Pourquoi donc, au lieu de parler ainsi, au lieu de citer ces exemples, a-t-il mieux aimé dire quelque chose comme ceci : Je ne veux pas que vous ignoriez, mes frères, que nos pères ont tous été sous la nuée, et leur rappeler le récit de Moïse, en passant d’abord sous silence les choses qui se rapportent au règne de la grâce ? Ce n’est pas sans réflexion ni sans motif qu’il a pris ce parti ; car il était plein de sagesse, mais quel a pu donc être son motif ou son but ? Il y en a deux : d’une part, il voulait rendre sa réprimande plus efficace, et, de l’autre, montrer la parenté des deux Testaments. En effet, on voit beaucoup de gens qui ne croient pas à la géhenne, et n’admettent pas même l’existence du châtiment ; ils croient que Dieu n’a proféré ces menaces que pour nous faire peur et nous corriger ; et de là, selon eux, le ver éternel, le feu inextinguible, les ténèbres extérieures ; mais ils ne peuvent révoquer en doute les faits qui se sont passés. Car, comment prétendre que ce qui est arrivé n’est point arrivé eu effet ? Les choses que personne n’a vues, qui tic se sent point réalisées visiblement, rencontrent beaucoup d’incrédules. Mais les faits, les événements accomplis, il n’y a nos un être, si incapable et si stupide qu’il soit, qui puisse, quand il le voudrait, en nier la réalité. L’Apôtre part donc des faits bien reconnus, des faits accomplis, de ceux dont il reste beaucoup de traces, afin de convaincre les coupables de l’exacte justice de Dieu. C’est à peu près comme s’il dirait : Si tu doutes de la géhenne, du châtiment, du supplice, et que ce soient là, à tes yeux, de simples menaces de Dieu, repasse dans ton esprit les faits passés, et apprends ainsi à croire à ceux qui doivent arriver. En effet, si c’est le même Dieu qui régnait alors et qui règne aujourd’hui, au temps de la grâce, comme au temps de l’ancienne loi ; comment admettre qu’il ait alors puni et livré au supplice Ics pécheurs, et qu’aujourd’hui il nous fasse grâce, à nous qui sommes encore plus criminels ? Réponds-moi : Les Juifs ont forniqué, et ils ont été châtiés ? Ils ont murmuré, et ils ont été punis. Il faut bien que tu m’accordes cela. Eh bien ! comment Celui qui a puni ces téméraires pourrait-il excuser chez toi des fautes analogues ? Cela serait absurde. Mais tu n’as pas été puni ici-bas ? Raison de plus pour que tu croies aux supplices de la géhenne, puisque tu n’as pas été puni dans ce monde. En effet, si quelque châtiment ne t’attendait pas dans l’autre vie, tu ne serais pas demeuré impuni, après avoir commis les mêmes fautes que ces anciens pécheurs. Par conséquent, s’il t’arrive de rencontrer, un voluptueux, un libertin, un homme adonné sans nulle pudeur à tous les dérèglements, et que tu l’entendes traiter le châtiment et la géhenne de pures fables, de simples menaces proférées par Dieu pour nous intimider, tiens-lui ce langage : Mon ami, tu ne crois pas à l’avenir, parce qu’il n’est pas visible, parce que nous ne l’avons pas sous la main, parce que nos regards ne l’atteignent pas. Mais quand il s’agit de faits passés et accomplis, le doute est-il encore possible ? Songe un peu à Sodome et à Gomorrhe. Si cette contrée fut condamnée à un châtiment si terrible, c’est simplement parce que les habitants de ces villes avaient donné l’exemple de habitants illégitimes, d’amours défendus, et avaient bouleversé les lois de la nature. Comment donc admettre que Dieu, toujours le même alors et aujourd’hui, ait alors châtié ces coupables sans miséricorde, et que toi, qui as péché après eux, toi bien plus condamnable et digne d’un bien plus grand châtiment, puisque tu as eu part au bienfait de la grâce, et que tu n’as pas été corrigé par cet épouvantable exemple, que toi, dis-je, tu échappes à la punition qui t’est due ? 3. Voilà pourquoi Paul évite dé parler d’abord de la géhenne, parce que les choses futures sont loin de trouver toujours créance, et ne se sert que de faits passés et bien établis pour corriger ceux à qui il s’adresse. C’est que, si l’avenir est plus terrible, le passé est plus croyable aux yeux des hommes mal instruits, et, par conséquent,-plus propre à leur inspirer de la crainte. Aussi il emprunte ses arguments à des faits contre lesquels le plus téméraire n’oserait s’inscrire en faux, et en même temps il porte un coup mortel à Marcion, à Manès et à tous ceux qui partagent leur infirmité. Je m’explique : Si le Dieu de l’Ancien Testament n’est pas le Dieu du Nouveau, si l’Auteur de la vieille loi n’est pas le même qui devait promulguer la nouvelle, ô Paul, tes paroles sont inutiles, tu n’inspires aucune crainte à tes auditeurs. Car celui qui t’écoute peut t’objecter que si ces dieux sont deux dieux différents, celui que nous servons ne nous jugera pas d’après, les décrets de l’autre et ne se conformera pas aux mêmes lois. En quoi les châtiments qu’il a plu au Dieu de l’ancienne loi d’infliger au coupable peuvent-ils me faire peur à ta voix et me remplir d’épouvante ? C’est un autre Maître qui doit me juger. On voit que, si le Dieu de la nouvelle loi diffère du Dieu de l’ancienne, Paul est allé tout à fait contre son but ; car, loin d’effrayer l’auditeur, il l’a délivré de toute crainte et de toute angoisse. Mais le premier venu, le moins intelligent des hommes ne tomberait pas dans une fauté aussi grossière, à plus forte raison Paul, dont la sagesse était si grande. Il faut donc reconnaître que c’est un seul et même Dieu qui a frappé les Juifs dans le désert, et qui punira un jour ceux d’entre nous qui auront péché. En effet, je le répète, si ce n’était pas un seul et même Dieu, Paul ne se fonderait pas sur les actes du Dieu de l’ancienne loi pour nous effrayer sur l’avenir qui nous attend ; mais, parce que c’est un même Dieu, il n’y a pas moyen de réfuter Paul quand il menace les coupables du châtiment et leur montre qu’ils doivent craindre et trembler : car, Celui qui a puni nos pères de leurs péchés ne fera pas grâce à leurs fils, coupables des mêmes infractions. Mais il faut revenir au commencement même du récit et peser scrupuleusement chaque mot : Je ne veux pas que vous ignoriez, frères. Il appelle les disciples : frères, non en raison de leur dignité, mais en raison de sa charité. Il savait, en effet, il savait à merveille que rien n’égale cette vertu, et que la plus haute dignité réside dans la plus grande charité. Premier exemple offert à notre émulation. Quelque supériorité que nous puissions avoir sur ceux à qui nous parlons, donnons-leur des noms qui marquent notre sollicitude pour eux, qu’ils soient libres ou esclaves, riches ou pauvres. En effet, ce ne sont pas seulement les riches d’entre les Corinthiens, ni les hommes libres, ni les hommes éminents, ni les hommes distingués, mais encore les simples particuliers, les valets, tous les fidèles enfin, que Paul honore indistinctement de ce nom. C’est qu’il n’y a en Jésus-Christ ni esclave, ni homme libre, ni barbare, ni scythe, ni savant, ni ignorant ; là, toute l’inégalité des conditions mondaines disparaît. Et qu’y a-t-il d’étonnant à ce que Paul ait ainsi dénommé ses compagnons d’esclavage quand son Maître lui-même a rendu le même honneur à notre nature en disant : J’annoncerai ton nom à mes frères, je te louerai au milieu de l’Église ? (Psa 22,23) Et non seulement il nous a appelés frères, mais encore il a voulu devenir notre frère ; il a revêtu, pour naître, une chair comme la nôtre, et participé à notre nature. Et cela même faisait dire à Paul, en son admiration. Nulle part Dieu ne prend les anges, mais c’est la race d’Abraham qu’il prend ; aussi a-t-il dû se rendre en tout semblable à ses frères (Heb 2,16-17) ; et encore : Comme les enfants ont participé à h chair et ait sang, ainsi lui-même y a participé. (Id 5,14) Vous entendez ! Chassons (loue de nos âmes vanité, présomption et toute espèce d’orgueil, et apportons le plus grand soin à saluer notre prochain de noms qui l’honorent et témoignent de notre zèle à le servir. C’est là, dira-t-on, un petit et mince mérite ; oui, mais c’est, le principe de grands biens, tandis que la conduite contraire entendre fréquemment quantité, de haines, de dissensions et de querelles. Mais ce n’est pas seulement cette parole, c’est la suivante qui mérite d’être examinée avec beaucoup d’attention, car ce n’est pas au hasard qu’il l’a écrite. Après avoir dit : Je ne veux pas que vous ignoriez, frères, il ajoute : Que tous nos pères; il ne dit pas les Juifs, ni ceux qui sont sortis d’Égypte, mais tous nos pères ; et par là, tout à la fois, il montre Fort humilité, puisqu’il ne dédaigne pas de reconnaître les pécheurs comme ses parents, lui qui leur est si supérieur eu vertu, et il ferme la bouche aux impudents qui osent calomnier l’ancienne loi. En effet, s’il avait pris en haine l’Ancien Testament, il ne se serait point servi des plus honorables expressions pour parler de choses jurées indistinctement condamnables. Tous, ce mot-là n’est pas mis au hasard ni accidentellement, mais dans une intention pleine de sagesse. La preuve, c’est qu’il ne s’est pas borné à s’en servir une fois, mais qu’il l’a répété deux fois, trois fois, et plus ; c’est afin de vous faire entendre l’importance qu’il y attache. Quand il a dit : Que tous nos pères ont été sous la nuée, il ajoute: Et tous ont traversé la mer, et tous ont été baptisés en Moïse ; et tous ont mangé le même aliment spirituel, et tous ont bu le même breuvage spirituel. Voyez-vous combien de fois revient ce mot tous ? Paul ne l’eût pas employé si souvent s’il n’avait voulu faire allusion à quelque grand et admirable mystère. S’il n’avait pas eu d’intention particulière c’était assez d’une fois, et il aurait suffi de dire : Que tous nos pères ont été sous la nuée, ont traversé la nier, ont été baptisés en Moïse, ont mangé le même aliment spirituel, ont bu le même breuvage spirituel. Mais non, à chaque fait nouveau il a répété le mot tous, et par là il nous ouvre un grand jour sur sa pensée, un jour qui nous permet de sonder sa sagesse. Pourquoi donc cette perpétuelle répétition ? C’est qu’il veut nous montrer la parenté des deux Testaments et nous faire entendre que le premier était l’image du second, et comme une esquisse de l’avenir. Et voici par où il commence pour mettre en évidence cette harmonie. Il veut établir un rapport avec l’Église dans laquelle aucune distinction n’existe entre l’esclave et l’homme libre, entre l’étranger et le citoyen, le vieillard et le jeune homme, le savant et l’ignorant, le magistrat et le simple particulier, l’homme et la femme, et où tous les rangs, où les deux sexes vont pareillement se plonger dans les eaux du baptême, où le monarque et le mendiant sont admis à la même purification ; c’est en effet le plus grand signe de la générosité chrétienne que nous imitions également et le mendiant et l’homme revêtu de la pourpre, et que l’un n’ait aucune prérogative sur l’autre en ce qui concerne les mystères. – Afin de montrer ce rapport, Paul introduit le mot tous dans le récit de l’Ancien Testament. Et, en effet, on ne peut avancer que Moïse ait suivi la route de terre, tandis que les Juifs traversaient les flots, ni que les riches aient pris alors un chemin, les pauvres un autre, ni que les femmes aient passé au grand jour et les hommes sous la nuée ; non, tous ont traversé la mer, et tous étaient sous la nuée, et tous ont été baptisés en Moïse. En effet, ce passage étant l’image du futur baptême, il fallait avant tout, pour que l’image fût parfaite, que tous eussent joui des mêmes bienfaits, de même qu’aujourd’hui tous participent également aux mêmes grâces. Plais, dira-t-on, comment ces événements peuvent-ils être une figure de ce que nous avons soirs les yeux ? Apprenez donc d’abord ce que c’est que figure, ce que c’est que vérité, ensuite je vous rendrai compte de ce que je viens de dire. 4. Qu’est-ce donc qu’une figure ? qu’est-ce qu’une vérité ? Voyons, prenons pour exemple les portraits que font les peintres. Vous avez vu plus d’une fois un peintre reproduire les traits d’un monarque : le portrait est d’abord coloré d’une teinte d’azur, puis l’artiste, en traçant des lignes blanches, représente le monarque, son trône, et près de lui des chevaux, des gardes, enfin des ennemis enchaînés subjugués. Cette esquisse ne vous instruit pas complètement, et ne vous laisse pas complètement dans l’ignorance ; vous entrevoyez qu’elle représente un homme, un cheval ; mais quel est ce monarque, quel est cet ennemi ? Vous ne le devinez qu’à moitié, jusqu’à ce que la vérité des couleurs vienne éclaircir les objets et les rendre reconnaissables. Maintenant, ainsi que vous n’exigez pas de ce portrait une représentation parfaite, avant qu’il ait été revêtu de couleurs expressives, et que vous vous contentez d’y trouver une indication vague des choses, tant qu’il reste à l’état d’esquisse ; c’est ainsi que vous devez juger de l’Ancien et du Nouveau Testament, au lieu d’exiger de moi que je vous fasse voir sur le dessin la vérité dans toute son exactitude. Alors nous pourrons vous enseigner comment l’ancienne loi avait une certaine parenté avec la nouvelle, et comment le passage des Juifs a du rapport avec notre baptême. D’abord, ici et là, l’eau joue un rôle : d’une part, une piscine ; de l’autre, la mer. Ici, tous se plongent dans l’onde ; c’est la même chose là-bas. Voilà la parenté. Exigez-vous maintenant la vérité des couleurs ? Là, ils s’échappaient de l’Égypte en traversant les flots ; ici c’est de l’idolâtrie ; là le pharaon était submergé, ici c’est le diable ; là les Égyptiens se noyaient, ici le vieil homme chargé d’iniquités est englouti. Considérez le rapport de l’image à la vérité, et la prééminence de la vérité à l’égard de l’image ; l’image ne doit pas différer en tout de la vérité, autrement ce ne serait pas une image : par contre, elle ne doit pas non plus égaler la vérité, autrement elle se confondrait avec elle. Il faut qu’elle se tienne dans l’espèce de conformité qui lui appartient, qu’elle n’ait pas tout de la vérité, et qu’elle ne s’en écarte pas non plus en tout point ; car clans le premier cas, elle serait elle-même vérité ; dans le second, elle cesserait d’être image. Elle doit emprunter à la vérité certains traits, et lui laisser les autres. Ne me demandez donc pas de vous faire voir toute la nouvelle loi dans l’ancienne, et quand vous aurez trouvé dans celle-ci quelques allusions, si petites et si voilées qu’elles soient, tenez-vous pour contents. Dès lors, en quoi consiste le rapport de l’image à la vérité ? En ce qu’il s’agit de tous, là comme ici ; en ce que là, comme ici, l’eau sert de chemin ; en ce que les Juifs, aussi bien que nous, ont été délivrés de l’esclavage, bien que d’un autre esclavage ; car ils étaient esclaves des Égyptiens, et nous des démons ; ils l’étaient des barbares et nous du péché. Comme nous, ils ont été remis en liberté, bien que notre liberté diffère de la leur et soit bien plus glorieuse. Et si tout est plus grand chez nous que chez eux, que cela ne vous déconcerte point ; c’est justement ce qui caractérise la vérité, de surpasser de beaucoup son image, sans qu’il y ait opposition ni contraste. Mais que veut dire ceci : tous furent baptisés en Moïse? Peut-être cette parole est-elle obscure : je vais essayer de l’éclaircir. La mer s’étendait alors sous les yeux des Juifs, et ordre leur était donné de s’engager dans un chemin étrange, inouï, que jamais n’avait suivi aucun des mortels. Ils hésitaient, ils tergiversaient, se désespéraient. Moïse passa le premier, et tous n’eurent désormais qu’à marcher sans obstacle sur ses pas. Voilà ce que signifie : Ils furent baptisés en Moïse. C’est parce qu’ils eurent foi en lui, qu’ils osèrent entrer dans l’eau et passer à sa suite. La même chose s’est répétée à l’égard du Christ : après nous avoir délivrés de l’erreur, affranchis de l’idolâtrie, nous conduisant comme par la matin au céleste royaume, il entra le premier dans la voie, le premier il monta au ciel. Eh bien ! de même que les Juifs, confiants dans Moïse, ne craignirent plus de passer, de même nous aussi, confiants dans le Christ, osons entreprendre ce voyage. Et que tel est le sens de l’expression : Ils furent, baptisés en Moïse, c’est ce que démontre l’histoire : car ils ne furent point baptisés au nom de Moïse. Mais, parce que non seulement nous avons Jésus pour guide, mais que nous nous faisons encore baptiser en son nom, tandis que les Hébreux n’ont pas été baptisés au nom de Moïse, ceci n’est pas non plus une raison de nous inquiéter ; en effet, j’ai dit quelle supériorité immense et incalculable appartient à la vérité. Voyez-vous maintenant, en ce qui concerne le baptême, quelle est l’image, quelle est la vérité ? À présent, je vais vous montrer dans l’Ancien Testament une esquisse de la sainte Table et de la participation aux mystères, à condition qu’en ceci encore, vous n’exigerez pas de moi une conformité parfaite, et que vous examinerez les faits comme il est donné au dessin et aux images de les représenter. Après avoir fait mention de la mer, de la nuée et de Moïse, il poursuit en ces termes : Et tous ont mangé le même aliment spirituel. Ainsi que toi, veut-il dire, tu sors du baptistère pour courir à la Table, ainsi les Hébreux, en sortant de la mer, allèrent à un festin extraordinaire et singulier : c’est de la manne que je veux parler. Puis, de même que tu t’abreuves d’une boisson merveilleuse, le sang du Sauveur, de même ils eurent pour se désaltérer un breuvage inattendu, non l’eau des fontaines, ni celle des fleuves, mais celle qui jaillit à l’improviste et en abondance d’un aride rocher. C’est pour cela même qu’il appelle cette boisson spirituelle, non point que telle fût sa nature, mais parce que son origine la rendait telle : car ce n’est point selon l’ordre de la nature qu’elle leur fut donnée, mais bien selon la volonté toute-puissante de Dieu qui les commandait. C’est ce qu’il dit lui-même en se reprenant. Car après ces mots : Et tous burent le même breuvage spirituel, attendu que ce breuvage était de l’eau, voulant faire voir que s’il l’avait nommé spirituel, ce n’était pas à raison de sa nature, mais à raison de sa provenance, il continue en ces termes : car ils buvaient à la pierre spirituelle qui les suivait ; et cette pierre était le Christ. Il veut dire par là que ces sources n’étaient point dues à la pierre, mais au pouvoir efficace de Dieu. 5.. Par là, il extirpe en même temps l’hérésie de Paul de Samosate. Car, si le Christ était l’auteur de toutes ces choses, comment ces hommes peuvent-ils prétendre qu’il n’existait pas avant que Marie l’eût, enfanté ? En effet, si les aventures du désert ont précédé Marie, et si c’est le Christ qui y a présidé comme Paul le prétend, il existait donc avant cet enfantement, il existait avant la gestation : car, à coup sûr, s’il n’avait pas existé, il n’aurait pas opéré des miracles aussi surprenants. Ensuite, le saint auteur qui précédemment, en disant que tous ont traversé la nier, a montré dans le passé une image anticipée de la générosité de l’Église, en ajoutant plus bas : Ils ont mangé le même aliment spirituel, fait encore allusion à la même chose. En effet, ainsi que dans l’Église, il n’y a pas un corps pour le riche, un autre corps pour le pauvre, un sang pour le premier, un autre sang pour le second ; de même dans le désert, la manne du riche ne fut point autre que la manne du pauvre ; la source où but le riche ne coula point moins abondante pour le pauvre : mais, comme parmi nous, la même table, la même boisson, la même nourriture sont offertes à quiconque entre ici : de même alors, la même manne, la même source était à la disposition de tous. Il y a plus chose étonnante et incroyable ! quelques-uns des Hébreux essayèrent de recueillir plus qu’il ne leur était nécessaire, et ne gagnèrent rien à s’être montrés cupides. Tant qu’ils respectaient l’équité, la manne restait manne ; mais dès qu’ils voulurent accaparer, leur avarice transforma la manne en vers. Et pourtant cette avarice ne nuisait pas au prochain, puisqu’ils ne touchaient pas à la subsistance d’autrui pour augmenter leur provision : néanmoins, parce qu’ils avaient été insatiables, ils furent condamnés. Car, s’ils ne faisaient pas tort au prochain, ils se faisaient le plus grand tort à eux-mêmes, en s’habituant à l’avarice par la façon dont ils amassaient. Ainsi, en même temps qu’ils se nourrissaient, ils s’instruisaient dans la science divine ; en même temps qu’ils soutenaient leurs corps, leurs âmes étaient édifiées. Et non seulement la manne les nourrissait, mais encore elle les exemptait de maint labeur. Ils n’avaient besoin ni d’atteler des bœufs, ni de tirer une charrue, ni d’ouvrir des sillons, ni d’attendre une année : ils avaient leur repas sous la main, repas extraordinaire, étrange et quotidien ; l’expérience les instruisait de ce précepte évangélique, qu’il ne faut pas songer au lendemain : un tel souci n’aurait été d’aucune utilité pour eux. En effet, ce que l’on amassait par précaution se gâtait, était perdu, et tout ce qu’on gagnait à cela, c’était d’être convaincu d’avarice. Maintenant, n’allez pas croire que cette pluie fût dans l’ordre de la nature : la preuve, c’est qu’au jour du sabbat, il ne se passait rien de pareil ; Dieu voulait faire savoir en même temps aux Hébreux, et que c’était lui qui, les jours précédents, faisait tomber cette pluie étrange et miraculeuse, et qu’il cessait ce jour-là, pour leur apprendre, même par contrainte, à garder le repos le jour du sabbat. Mais ce n’est pas seulement en ce qui concerne la nourriture, c’est encore en ce qui touche les vêtements, les chaussures et le reste, que l’on pouvait voir réalisées dans les faits les prescriptions des apôtres. En effet, les Juifs n’avaient ni maison, ni table, ni lit, ni vêtement de rechange, ni chaussure, Dieu en ayant ainsi disposé. Voyez quelle analogie entre l’Ancien et le Nouveau Testament ! Le Christ imposait aux apôtres l’obligation de se réduire au nécessaire ; telle était à peu près la manière de vivre des Juifs, et toute la création se pliait à leur usage. Et pourquoi cela, direz-vous ? Dieu devait les cantonner dans un endroit de la terre, et leur ordonner de l’y adorer constamment, de n’élever ailleurs ni temple ni autel, mais de lui apporter là leurs offrandes, leurs victimes, d’y célébrer leurs fêtes, d’y lire la loi, d’y accomplir enfin tous les autres rites de la sanctification. Afin donc que ce culte circonscrit ne les induisit pas à croire que sa Providence elle-même était resserrée entre les mêmes limites, et qu’il n’était que le Dieu d’un pays, pour prévenir cette erreur, il manifesta sa puissance sur la terre étrangère, en Égypte, au désert, où il n’avait ni fidèles ni adorateurs ; et la création se prêtait aux effets contraires par lesquels il agissait, forçant ainsi les incrédules eux-mêmes à reconnaître la nature pour l’ouvrage du Seigneur. En effet, la mer noyait les uns, sauvait les autres ; l’air, ou bien précipitait la grêle et ruinait les barbares, ou bien laissait tomber la manne et nourrissait les Juifs. La terre à son tour produisait tantôt des insectes pour le châtiment des ennemis, tantôt des cailles pour le salut du peuple de Dieu. Pour les uns il faisait nuit en plein jour, les autres voyaient une lumière s’allumer dans la nuit. Les Égyptiens, riverains du Nil, succombaient à la soif et à la sécheresse ; les Juifs, campés dans un désert sec et aride, avaient de l’eau en abondance. Ceux-là ne pouvaient résister à des grenouilles, ceux-ci bravaient l’attaque des géants. 6. Mais pourquoi le bienheureux Paul évoque-t-il devant vous ces souvenirs ? Par la raison que j’ai dite en commençant, pour vous convaincre que ni le baptême, ni la rémission des péchés, ni la doctrine, ni la participation aux mystères, ni la sainte table, ni le droit de goûter du corps, ni celui de participer au sang, ni aucune autre de ces choses ne pourra nous être d’aucune utilité si nous n’avons une vie droite, honorable et exempte de tout péché. Et voici la preuve que telle fut son intention : après avoir expliqué la figure du baptême, cachée dans le passage de la mer et dans la nuée, il passe à celle des mystères représentés dans l’Ancien Testament par la manne et le rocher ; puis, après avoir dit que tous ont mangé le même aliment spirituel, et ont bu le même breuvage spirituel, il poursuit en ces termes : Mais Dieu ne se complut point dans la plupart d’entre eux. Après tant d’éclatants prodiges, remarque-t-il, Dieu n’eut point d’amour pour eux. Ensuite : Ils furent terrassés dans le désert. Où veux-tu en venir, ô Paul ? Ce sont là des figures pour que nous ne désirions pas les choses mauvaises, ainsi que ces hommes les ont désirées, et que nous ne devenions pas idolâtres, à l’exemple de quelques-uns d’entre eux, ainsi qu’il est écrit : Le peuple s’assit pour manger et pour boire ; et ils se levèrent pour se divertir. Voyez la sagesse de Paul. Il a indiqué le péché, il a indiqué le motif du péché ; il a indiqué le châtiment infligé en punition du péché ; par là il nous avertit de ne pas imiter ces coupables. Le motif du péché fut la gourmandise : Le peuple s’assit pour manger et pour boire. Son péché fut son divertissement même. Voici maintenant le châtiment : Ils furent terrassés dans le désert. Mais il poursuit : Ne commettons point la fornication, comme ont fait quelques-uns d’entre eux. Ici il omet la cause, et ne parle que du châtiment. Ce châtiment, quel fut-il donc ? Il en tomba vingt.-trois mille dans un seul jour. Mais pourquoi n’avoir rien dit des circonstances qui les excitèrent à la fornication ? il a laissé à ceux qui voudraient s’en enquérir le soin de recourir à l’histoire, et de retrouver le principe du mal, comme font les médecins qui révèlent l’origine des maladies, et y appliquent leurs remèdes. Aussi a-t-il soin de dire : Or toutes ces choses leur arrivaient en figure, et elles ont, été écrites pour nous servir d’avertissement. Ainsi l’Auteur de ces événements, Celui qui châtia ces coupables, est Celui qui nous avertit aujourd’hui, non seulement par des paroles, mais enture par des faits ; ce qui est la meilleure manière d’avertir. Voyez-vous comment Paul donne pour maître, à ceux qui vivent sous la loi de grâce, Celui qui faisait ces choses au temps de l’ancienne loi, en montrant que les actes accomplis alors, et les paroles actuellement dictées à lui-même doivent être rapportées à la même origine ! Car, si le vrai Dieu n’avait été pour rien dans ces actes, Paul n’aurait certes pas dit que c’étaient là des figures, ni que le récit en avait été fait pour nous servir d’avertissement ; et il n’aurait pas eu recours à l’histoire de ces temps pour nous effrayer, comme si nous devions tomber entre les mains du Dieu des Hébreux. Mais afin de nous montrer que nous devons subir son jugement, et que l’un et l’autre peuple, celui d’alors et celui d’aujourd’hui, sont sujets à ces lois, il a évoqué tous ces souvenirs, et a dit que cet endroit des Écritures était destiné à nous servir d’avertissement. Instruits de ces choses, croyons à l’avenir comme au passé. Et s’il se rencontre des gens qui n’y veulent point croire, servons-nous du passé pour les amener à l’amour de la vertu : racontons-leur la ruine de Sodome, les calamités du déluge, les fléaux déchaînés sur l’Égypte, afin que, ramenés au bien par l’exemple des châtiments infligés à autrui, et vivant désormais comme il convient, ils admettent les dogmes de la géhenne et de la résurrection. En effet, ceux qui ne croient pas au jugement ne sont dans cette erreur que parce que leur vie est dissolue, et que leur conscience n’est pas tranquille. Par conséquent, il suffit que nous nous lavions de nos péchés, et que nous nous instruisions par la peur, au souvenir des châtiments passés, pour résoudre notre esprit à croire au jugement futur. Car, si les mauvaises doctrines amènent souvent le dérèglement des mœurs, souvent aussi la corruption donne naissance à l’erreur. Répétons donc ces paroles, pour que.rien de pareil n’arrive ni à nous ni aux autres ; restons dans le droit chemin de la foi, et vivons chrétiennement, puisqu’il a été démontré surabondamment que les dogmes ne servent à rien quand la vie n’est point vertueuse. Puissent les prières des saints et des bienheureux faire que nous conservions dans sa pureté la doctrine de vérité que nous avons reçue de nos pères, et que notre vie réponde à notre foi, par la grâce et la charité de Notre Seigneur Jésus-Christ, avec lequel gloire, honneur et puissance, au Père et au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles ! Ainsi soit-il. Cette homélie, ainsi que les trois précédentes, a été traduite par M X*** HOMÉLIE XXIV.
AUCUNE TENTATION NE VOUS A ENCORE ÉPROUVÉS, SI CE N’EST UNE TENTATION HUMAINE ; DIEU EST FIDÈLE, ET IL NE SOUFFRIRA PAS QUE VOUS SOYEZ TENTÉS AU-DELÀ DE VOS FORCES, MAIS IL VOUS FERA TIRER AVANTAGE DE LA TENTATION MÊME AFIN QUE VOUS PUISSIEZ PERSÉVÉRER. (CHAP. 10, VERS. 13, JUSQU’AU VERS. 25) ANALYSE.
- 1. Dieu ne nous envoie pas des tentations au-dessus de nos forces. – De l’Eucharistie.
- 2. De la communion avec Jésus-Christ. – Beau développement sur l’union de la société chrétienne en Jésus-Christ.
- 3. Sainteté, puissance du corps de Jésus-Christ ; mouvement chaleureux d’éloquence.
- 4. Images saisissantes qui prouvent avec quel respect on doit s’approcher de Jésus-Christ.
1. Il vient de leur inspirer une sage terreur, il vient de leur rappeler d’anciens exemples ; il les a inquiétés en leur disant : « Que celui qui paraît ferme, prenne garde de tomber » ; on sait d’ailleurs qu’ils avaient supporté un grand nombre d’épreuves, qu’ils y avaient souvent trouvé des sujets d’exercices ; car, dit l’apôtre lui-même, « tant que j’ai été parmi vous, j’y ai toujours été dans un état de faiblesse, de crainte et de tremblement » (1Co 11, 3) ; il s’ensuit que les Corinthiens auraient pu dire : pourquoi nous inspirer de la terreur, nous remplir de crainte ? nous ne sommes pas sans expérience des maux ; nous avons été chassés ; nous avons souffert la persécution ; nous avons couru sans trêve ni repos mille et mille dangers ; et l’apôtre leur répond, pour réprimer leur orgueil : « Aucune tentation ne vous a encore éprouvés, si ce n’est une tentation humaine », c’est-à-dire, faible, de peu de durée, proportionnée à vos forces. Il appelle humain ce qui est petit ; c’est ainsi qu’il dit : « Je vous parle humainement, à cause de la faiblesse de votre chair ». (Rom 6,19) Donc, ne vous exaltez pas, comme si vous aviez triomphé de la tempête ; vous n’avez pas encore vu le péril qui menace de mort, l’épreuve qui nous montre le glaive prêt à nous égorger. C’est ainsi qu’il disait aux Hébreux : « Vous n’avez et pas encore résisté, jusqu’à répandre votre sang, en combattant contre le péché ». (Heb 12,4) Que fait-il ensuite, après les avoir effrayés ? Voyez comme il les redresse ; il vient de leur persuader la modestie, et il leur dit : « Dieu est fidèle, et il ne souffrira pas que vous soyez tentés au-delà de vos forces ». Il y a donc des tentations qui ne se peuvent supporter ? Quelles sont-elles ? Toutes les tentations pour ainsi dire, car le pouvoir de supporter est dans la volonté de Dieu, qui se détermine selon nos propres dispositions. Aussi, pour nous prouver, nous montrer qu’il nous est impossible, sans le secours de Dieu, de supporter, non seulement les tentations trop fortes pour nous, mais même les tentations humaines, dont il parle ici, Paul ajoute : « Il vous fera tirer avantage de la tentation même, afin que vous puissiez persévérer ». Même les tentations médiocres, je l’ai déjà dit, ce n’est pas par notre vertu propre que nous les supportons ; même dans ces circonstances, nous avons besoin du secours de Dieu, pour les traverser et, avant de les traverser, pour en soutenir le choc ; car c’est Dieu qui donne la patience, et qui procure la prompte délivrance ; ce n’est que par Dieu que la tentation se peut supporter ; c’est ce que l’apôtre a indiqué par ces paroles : « Il fera que vous pourrez persévérer » ; l’apôtre attribue tout à Dieu. « C’est pourquoi, mes très chers frères, fuyez l’idolâtrie (14) ». Il les traite encore une fois avec douceur, en leur donnant le nom de frères ; et il se hâte de les affranchir de l’idolâtrie ; il ne se borne pas à dire : retirez-vous de, mais, « Fuyez » ; et il appelle l’idolâtrie par son nom ; et ce n’est pas seulement à cause du scandale, qu’il ordonne de repousser l’idolâtrie, mais c’est que l’idolâtrie en elle-même est une peste qui fait des ravages. « Je vous parle comme à des personnes sages, jugez vous-mêmes de ce que « je dis (15) ». Il vient de parler d’une faute grave, il a chargé l’accusation de toute la gravité de ce nom, l’idolâtrie ; pour ne pas exaspérer les fidèles par des discours insupportables, il leur livre ses paroles à juger, et c’est d’une manière obligeante qu’il leur dit « Soyez juges ; je vous parle », dit-il, « comme à des personnes sages » ; langage d’un homme qui a toute confiance dans sa cause et dans son droit ; de cette manière il fait l’accusé juge de l’accusation. Voilà qui relève l’auditeur ; on ne lui impose ni ordre ni loi ; on le consulte, on a l’air d’attendre son jugement. Ce n’était pas ainsi que Dieu parlait aux Juifs insensés et frivoles ; il ne leur rendait pas toujours compte de ses prescriptions ; il se contentait de leur dicter ses ordres. Ici, au contraire, parce que nous jouissons d’une liberté supérieure, on nous consulte, on nous parle comme à des amis. Je n’ai pas, dit-il, besoin d’autres juges ; c’est à vous à décider de ce que je dis, c’est vous que je prends pour juges. « N’est-il pas vrai que le calice de bénédictions, que nous bénissons, est la communion du sang de Jésus-Christ (16) ? » Que dites-vous, ô bienheureux Paul ? C’est pour la confusion de l’auditeur, sans doute, qu’en rappelant les redoutables mystères, vous appelez calice de bénédictions, ce calice terrible, et fait pour inspirer la crainte ? Oui certes, répond l’apôtre, car il ne s’agit pas d’une chose indifférente ; quand je dis « Bénédictions », je déploie tous les trésors de la bonté de Dieu, et je rappelle ses magnifiques présents. Nous aussi, nous passons en revue les ineffables bienfaits de Dieu, et tous les biens dont il nous fait jouir, lorsque nous lui offrons ce calice, lorsque nous communions, lui rendant grâces d’avoir délivré le genre humain de l’erreur, d’avoir rapproché de lui ceux qui en étaient éloignés, d’avoir fait, des désespérés, des athées de ce monde, un peuple de frères, de cohéritiers du Fils de Dieu. C’est pour rendre grâces de ces bienfaits et d’autres bienfaits du même genre, que nous nous approchons de Dieu. Quelle contradiction ne faites-vous pas voir, dit l’apôtre, ô Corinthiens, vous qui bénissez le Seigneur de vous avoir affranchis des idoles, et qui courez de nouveau à leurs festins. « N’est-il pas vrai que le calice de bénédictions, que nous bénissons, est la communion du sang de Jésus-Christ ? » Langage tout à fait conforme à la foi, et en même temps terrible, car voici ce qu’il veut dire : ce qui est dans le calice, c’est précisément ce qui a coulé de son côté, et c’est à cela que nous participons. Et maintenant il l’appelle calice de bénédictions, parce que nous l’avons dans les mains, lorsque nous célébrons le Seigneur avec admiration et pénétrés de crainte en méditant sur ses dons ineffables, en le bénissant d’avoir répandu son sang pour nous tirer de l’erreur, et non seulement de l’avoir répandu, mais de nous l’avoir, ce même sang, distribué à tous, comme s’il nous disait : Si vous désirez m’offrir du sang, n’ensanglantez pas les autels des idoles, en égorgeant des animaux ; ensanglantez mon autel de mon propre sang. Quoi de plus fait que ce langage, pour inspirer la terreur, pour inspirer l’amour ? 2. C’est ce que font ceux qui aiment, quand ils voient l’objet aimé, dédaignant leurs dons, préférer ceux des étrangers. Ils lui offrent ce qu’ils ont, afin de détacher son cœur de tous les autres présents. Mais les amants de ce monde prouvent leur générosité en donnant de l’argent, des vêtements, des objets quelconques, personne ne donne son sang. Le Christ, au contraire, le donne, prouvant ainsi l’intérêt qu’il nous porte et l’ardeur de son amour. Dans l’ancienne loi, les hommes, étant plus loin de la perfection, offraient du sang aux idoles, et Dieu daignait agréer ce même sang pour les écarter des idoles. Cela même était la preuve d’un amour ineffable ; mais il a fait plus, il a rendu l’œuvre sacerdotale plus redoutable, plus auguste. Il a changé l’essence même du sacrifice, et, au lieu d’égorger des animaux, c’est lui-même qu’il a commandé d’offrir. « Le pain que nous rompons n’est-il pas la communion du corps du Christ ? » Pourquoi ne dit-il pas : la participation ? C’est pour exprimer quelque chose de plus, pour indiquer une intime union ; car il n’y a pas seulement participation, partage, il y a union. De même que ce corps est uni au Christ, de même, nous aussi, par ce pain, nous sommes unis à Jésus-Christ même. Pourquoi ajoute-t-il : « Que nous rompons ? » C’est ce qui se pratique dans l’Eucharistie. Il n’en fut pas de même sur la croix ; ou plutôt, ce fut tout le contraire, car, dit l’Écriture : « Pas un seul de ses os ne sera brisé ». (Nom 9,12 ; Exo 12,46) Mais ce que le Christ n’a pas souffert sur la croix, il le souffre dans l’oblation à cause de vous. Et il veut bien être rompu, afin de rassasier tous les hommes. Maintenant, après avoir dit : « La communion du corps », comme ce qui se communique, est différent de ce à quoi il se communique, l’apôtre veut encore faire disparaître cette différence, quelque légère qu’elle pût paraître. Il a dit : « La communion du corps » ; il cherche une autre expression pour rendre une union encore plus intime ; c’est pourquoi il ajoute. « Car nous ne sommes tous ensemble qu’un seul pain et un seul corps (17) ». Que parlé-je, dit-il, de communion ? Nous sommes précisément ce corps même. Qu’est-ce que le pain ? le corps du Christ. Que deviennent les communiants ? le corps du Christ ; non pas une multitude de corps, mais un corps unique. De même que le pain, composé de tant de grains de blé, n’est qu’un pain unique, de telle sorte qu’on n’aperçoit pas du tout les grains, de même que les grains y subsistent, mais impossible d’y voir ce qui les distingue dans la masse si bien unis ; ainsi, nous tous ensemble ; et avec le Christ, nous ne faisons qu’un tout. En effet, ce n’est pas d’un corps que se nourrit celui-ci, d’un autre corps que se nourrit celui-là ; c’est le même corps qui les nourrit tous. Aussi l’apôtre a-t-il ajouté : « Parce que nous participons tous à un même pain ». Eh bien, maintenant, si nous participons tous au même pain ; et si tous nous devenons cette même substance, pourquoi ne montrons-nous pas la même charité ? Pourquoi, par la même raison, ne devenons-nous pas un même tout unique ? C’est ce que l’on voyait du temps de nos pères : « Toute la multitude de ceux qui croyaient, n’avaient qu’un cœur et qu’une âme ». (Act 4,32) Il n’en est pas de même à présent ; c’est tout le contraire. Des guerres innombrables, et sous toutes les formes, ne montrent que trop que nous sommes plus cruels que les bêtes féroces, pour ceux dont nous sommes les membres, et qui sont les nôtres. Et pourtant, ô homme, c’est le Christ qui est venu te chercher, toi qui étais si loin de lui, pour s’unir à toi ; et toi, tu ne veux pas t’unir à ton frère ? Tu n’y mets pas l’empressement que tu devrais montrer ; tu te sépares violemment de lui, après avoir obtenu du Seigneur une si grande preuve d’amour et la vie ! En effet, il n’a pas seulement donné son corps, mais, attendu que la première chair, tirée de la terre, était morte par le péché, il a introduit, pour ainsi dire, une autre substance, un autre ferment, c’est sa chair à lui, sa chair, de même nature que la nôtre, mais exempte du péché, sa chair pleine de vie, et le Seigneur nous l’a partagée à tous, afin que, nourris de cette chair nouvelle, et nous dépouillant de la première qui était morte, nous pussions entrer, par ce banquet, dans la vie immortelle. « Considérez les Israélites selon la chair, ceux d’entre eux qui mangent de la victime immolée, ne prennent-ils pas ainsi part à l’autel (18) ? » Encore un effort, pour les amener par l’ancienne loi à l’intelligence de sa parole. En effet, comme ils avaient l’esprit beaucoup trop bas pour comprendre la sublimité de ses paroles, afin de les persuader, il les attaque par leurs vieilles habitudes. C’est avec raison que l’apôtre dit : « Israélites selon la chair », les chrétiens étant devenus israélites selon l’esprit. Voici ce qu’il veut dire aux fidèles ; les esprits, même les plus épais, vous enseignent que ceux qui mangent de la victime immolée, prennent part à l’autel. Voyez-vous comme il leur montre que ceux qui semblaient parfaits, n’avaient pas la science parfaite ? Eux qui ne savaient pas qu’en prenant part à la table des idoles, ils entraient en amitié avec les démons ; leurs relations les entraînant insensiblement. En effet, si, chez les hommes, participer au même sel, à la même table, est une occasion et un symbole d’amitié, c’est précisément ce qui peut arriver avec les démons. Quant à vous, observez qu’en parlant des Juifs, il ne dit pas qu’ils communiquent avec Dieu, mais « qu’ils prennent part à l’autel ». En effet, ce qui s’offrait autrefois sur l’autel devait être consumé par le feu. Pour le corps du Christ, il n’en est pas de même. Qu’arrive-t-il donc ? « C’est la communion du corps du Seigneur ». Ce n’est pas à l’autel, c’est au Christ lui-même que nous participons. Après avoir dit : « Ne prennent-ils pas ainsi part à l’autel ? » il ne veut pas avoir l’air de dire que ces idoles aient un pouvoir quelconque, et soient capables de nuire. Voyez comme il fait justice de cette pensée, en ajoutant. « Est-ce donc que je veuille dire que ce qui a été immolé aux idoles, ait quelque vertu, ou que l’idole soit quelque chose (19) ? » 3. Voici ma pensée, dit l’apôtre : je ne veux que vous en détourner ; je ne dis pas que les idoles puissent nuire en quelque chose, qu’elles aient une vertu, quelle qu’elle soit. Les idoles ne sont rien. Mais je veux que vous les preniez en mépris. Mais, me dira-t-on, si vous voulez que nous les prenions en mépris, pourquoi vous montrez-vous si jaloux de nous détourner des viandes qui leur sont offertes ? C’est qu’on ne les offre pas à votre Dieu. « Ce que les païens immolent », dit l’apôtre, « ils l’immolent au démon, et non pas à Dieu (20) ». Gardez-vous donc de courir chez vos ennemis. Si vous étiez le fils d’un roi, admis à la table de votre père, vous ne l’abandonneriez pas, pour la table des condamnés, de ceux qui sont aux fers dans les prisons ; votre père ne le souffrirait pas ; au contraire, il emploierait la violence pour vous en détourner, non que cette table pût vous nuire, mais parce qu’elle serait indigne, et de votre noblesse et de la table royale. En effet, ceux dont je parle, sont aussi des esclaves, des criminels, des infâmes, des condamnés dans les fers, réservés à un supplice insupportable, à des maux sans nombre. Comment donc ne rougissez-vous pas de ces honteux excès, de ces êtres serviles ? quand des condamnés dressent leurs tables, comment osez-vous y courir, et prendre votre part de leurs festins ? Si je vous en éloigne, c’est que le but des sacrificateurs, c’est que la qualité des gens qui vous reçoivent, souille les mets qu’ils vous présentent. « Je désire que vous n’ayez aucune société avec les démons ». Comprenez-vous la tendresse inquiète d’un père ? Comprenez-vous l’affection qu’exprime si éloquemment sa parole ? Je ne veux pas, dit-il, que vous ayez rien de commun avec eux. Ensuite, comme il n’a fait jusque-là qu’exhorter, les esprits épais auraient pu se croire en droit de mépriser ses paroles ; voilà pourquoi, après avoir dit. « Je ne veux pas » ; après avoir dit : « Vous, soyez juges » ; il émet une décision, il formule la loi : « Vous ne pouvez pas boire le calice du Seigneur, et le calice des démons. Vous ne pouvez pas participer à la table du Seigneur, et à la table des démons (21) ». Ces seuls noms lui suffisent pour les détourner ; par ce qui suit, il veut leur faire honte : « Est-ce que nous voulons irriter Dieu, en le piquant de jalousie ? Sommes-nous plus forts que lui (22) ? » C’est-à-dire, prétendons-nous essayer si Dieu est assez fort pour nous punir ; voulons-nous l’irriter, en passant du côté contraire, en nous mettant dans les rangs de ses ennemis ? Ces paroles rappellent une ancienne histoire, le péché des anciens parents. Voilà pourquoi il se sert de la parole que Moïse fit entendre autrefois contre les Juifs, quand il les accusait d’idolâtrie, et qu’il faisait ainsi parler Dieu : « Ils m’ont piqué de jalousie », dit le texte, « en adorant ceux qui n’étaient point Dieu, et ils m’ont irrité par leurs idoles ». (Deu 32,21) Sommes-nous plus forts que lui ? Comprenez-vous ce qu’il y a de terrible, de fait pour épouvanter, dans cette réprimande ? Il les fait tressaillir en les réduisant ainsi à l’absurde ; il les secoue fortement, et il rabaisse leur orgueil. Et pourquoi, me dira-t-on, n’a-t-il pas tout d’abord énoncé les idées qui étaient les plus capables de les écarter des idoles ? C’est que son habitude est d’avoir recours à plusieurs preuves, de réserver les plus fortes pour les dernières, et d’emporter la conviction parla surabondance de ses moyens. Voilà pourquoi il commence par les malheurs moindres, il arrive ensuite à ce qu’il y a de plus funeste. Ajoutez à cela qu’en commençant par les paroles moins sévères, il prépare les esprits à recevoir le reste. « Tout m’est permis, mais tout n’est pas avantageux ; tout m’est permis, mais tout n’édifie pas (23). Que personne ne cherche sa propre satisfaction, mais le bien des autres (24) ». Comprenez-vous ce qu’il y a là de sagesse achevée ? Il était à croire que plus d’un se disait : Je suis du nombre des parfaits, je suis à moi, je suis maître de mes actions, et je ne me fais aucun tort en goûtant des mets qui me sont servis. Oui, répond l’apôtre, vous êtes parfait, je le veux, vous êtes maître de vous, j’en suis d’accord. Mais ce n’est pas là ce que vous devez considérer ; considérez plutôt si ce qui arrive, n’est pas de nature à vous nuire, de nature à scandaliser. Car il exprime ces deux pensées : « Tout n’est pas avantageux, tout n’édifie pas ». La première expression regarde l’intérêt personnel ; la seconde l’intérêt des frères. L’expression « n’est pas avantageux », marque la perte encourue par celui qui fait mal ; l’expression « n’édifie pas », marque le scandale dont on est l’occasion pour ses frères. Aussi ajoute-t-il : « Que personne ne cherche sa propre satisfaction », pensée qu’il prouve partout, et dans tout le cours de sa lettre, et dans la lettre aux Romains, quand il dit : « Puisque Jésus-Christ n’a pas cherché à se satisfaire lui-même » (Rom 15,3) ; et ailleurs encore : « Comme je tâche moi-même à plaire à tous en toutes choses, ne cherchant point ce qui m’est avantageux » (1Co 10,33) ; et ici encore, sans toutefois insister sur cette pensée. En effet, plus haut, il a prouvé et démontré abondamment qu’il ne cherche nulle part son intérêt, qu’il s’est fait Juif pour les Juifs ; que pour ceux qui sont sans loi, il s’est montré comme s’il n’avait pas de loi ; qu’il ne s’est pas servi au hasard de sa liberté, de son pouvoir, qu’il a cherché l’intérêt de tous, qu’il s’est fait le serviteur de tous. Ici, il s’arrête, après quelques paroles qui lui suffisent pour rappeler tout ce qu’il a déjà dit. Eh bien donc, pénétrés de ces vérités, nous aussi, mes bien-aimés, veillons à l’intérêt de nos frères, conservons-nous dans l’unité avec eux ; car c’est à cela que nous conduit ce sacrifice redoutable, et plein d’épouvante, qui nous commande la concorde, la ferveur de la charité, afin que, devenus comme des aigles, nous prenions notre essor jusque dans le ciel. « Partout où se trouvera le corps mort, les aigles s’assembleront ». (Mat 24,28) C’est ainsi qu’il appelle son corps à cause de la mort qu’il a endurée : si ce corps ne fût pas mort, nous ne serions pas ressuscités. Quant aux aigles, c’est pour montrer la sublimité qui convient à quiconque s’approche de ce corps ; celui-là ne doit avoir rien de terrestre, il ne doit ni s’abaisser, ni ramper, mais toujours tendre vers les hauteurs, y prendre son vol, fixer les yeux sur le soleil de justice, avoir la vue perçante ; car c’est le festin des aigles et non des geais. Les aigles iront au-devant de lui, lorsqu’il descendra du ciel ; je désigne par là ceux qui reçoivent dignement son corps, et cela est aussi vrai qu’il est assuré, que ceux qui le reçoivent indignement, subiront les derniers supplices. 4. Si on ne reçoit pas un roi comme une autre personne, et que dis-je d’un roi ? s’il est vrai qu’on ne touche pas avec des mains souillées un vêtement de roi, fût-on même dans un lieu solitaire, seul, loin de tout témoin ; et cependant un vêtement n’est autre chose qu’un tissu filé par des vers ; si vous admirez la pourpre, et cependant ce n’est que le sang d’un poisson mort ; toutefois, nul n’oserait y toucher, avec des mains souillées : eh bien, si l’on n’ose pas toucher, sans précaution, un vêtement d’homme, oserons-nous bien, quand c’est le corps du Dieu de l’univers, le corps immaculé, resplendissant de pureté, uni à cette ineffable nature divine, le corps par lequel nous sommes, par lequel nous vivons, par lequel les portes de la mort ont été brisées, les voûtes du ciel nous sont ouvertes, oserons-nous bien le recevoir avec d’indignes outrages ? Non, je vous en prie, ne soyons pas homicides de nous-mêmes par notre impudence ; soyons saisis d’une sainte horreur, soyons purs en nous approchant de ce corps, et quand vous le verrez exposé à vos yeux, dites-vous à vous-même : c’est à ce corps que je dois de ne glus être terre et cendre, de né plus être captif, mais libre ; c’est par lui que j’espère le ciel, et les biens qui sont là-haut, en réserve pour moi, la vie immortelle, la condition des anges, l’intimité avec le Christ. Ce corps a été cloué sur la croix, ce corps a été déchiré par les fouets, la mort n’en a pas triomphé ; ce corps, attaché à la croix, a fait que le soleil a détourné ses rayons ; c’est par ce corps que le voile du temple a été déchiré, que les rochers se sont fendus, que la terre entière a été ébranlée ; le voilà ce corps qui a été ensanglanté, percé d’une lance d’où ont jailli deux sources salutaires pour le monde, une source de sang, une source d’eau. Voulez-vous d’ailleurs en connaître la vertu, demandez-la à la femme, travaillée d’une perte de sang, qui n’a pas touché ce corps, mais rien que le vêtement ; qui n’a pas touché le vêtement, mais rien que la bordure ; demandez-la à la mer, qui a porté ce corps sur ses flots ; demandez-la au démon lui-même, et dites-lui : D’où te vient cette plaie incurable ? d’où vient que te voilà sans pouvoir ? d’où vient que tu es captif ? qui t’a saisi pendant que tu fuyais ? Et le démon ne vous répondra que ces mots : Le corps crucifié. C’est par lui que les aiguillons de l’enfer ont été brisés ; par lui que les membres du démon ont été broyés, par lui que les principautés et les puissances ont été désarmées. « Et ayant désarmé les principautés et les puissances, il les a menées hautement en triomphe, à la face du monde entier, après les avoir vaincues par sa croix ». (Col 2,15) Demandez-la à la mort, la vertu de ce corps, et dites-lui : D’où vient que tu n’as plus aiguillon ? d’où vient que la chaîne de tes victoires est rompue ? d’où vient que tu n’as plus de nerfs ? d’où vient que les jeunes filles et que les enfants te trouvent ridicule, toi qui faisais peur aux tyrans, toi que tous les justes redoutaient jusque-là ? Et la mort dira : C’est à cause de ce corps. Car, lorsqu’on le crucifiait, alors les morts ressuscitèrent, alors la prison infernale fut défoncée, alors les portes d’airain furent brisées, et les morts furent libres, et les geôliers de l’enfer furent tous frappés de stupeur. Si ce supplicié eût été un homme ordinaire, c’est le contraire qui devait arriver ; la mort aurait été plus puissante ; mais non, ce n’était pas un homme ordinaire, et voilà pourquoi la mort fut brisée. Et de même qu’après avoir pris un aliment que l’on ne saurait digérer, il faut rendre, outre cet aliment, tout ce qu’on avait pris, de même a fait la mort. Ce corps qu’elle avait pris elle n’a pu le digérer, elle a dû le rejeter, et avec lui tous ceux qui étaient dans ses entrailles. Ce corps divin, dans le sein de la mort, la déchira douloureusement, jusqu’à ce qu’elle l’eût rendu. De là ce que dit l’apôtre : « En arrêtant les douleurs de l’enfer ». (Act 11,24) Non, jamais femme dans les douleurs de l’enfantement, n’est tourmentée comme le fut la mort, quand le corps du Seigneur déchirait ses entrailles. Et vous savez ce qui arriva au dragon de Babylone, qui mangea et creva ; c’est ce qui est arrivé à la mort. Car le Christ n’est pas sorti, par la bouche de la mort, mais par le ventre même ; par le milieu du ventre du dragon, crevé et déchiré. C’est ainsi qu’il est sorti de ses entrailles environné de splendeur, rayonnant de toutes parts, et il a pris son essor non seulement jusqu’au ciel que nos yeux contemplent, mais jusque sur les hauteurs de son trône. Car il a enlevé son corps avec lui. Ce même corps, il nous l’a donné pour le posséder, pour nous en nourrir, preuve d’un ardent amour ; car ceux que nous aimons d’un vif amour, nous voudrions les manger. C’est ainsi que Job disait, pour montrer l’amour que lui portaient ses serviteurs, que souvent ils témoignaient l’ardeur de leur affection pour lui, par ces paroles. « Qui nous donnera de sa chair, afin que nous en soyons rassasiés ? » (Job 31,34) C’est ainsi que le Christ nous a donné ses chairs, pour que nous en soyons rassasiés, pour s’assurer l’ardeur de plus en plus vive de notre amour. 5. Approchons-nous donc de lui avec ferveur, avec une charité brûlante, et fuyons l’éternel supplice. Plus nous aurons reçu de bienfaits, plus nous serons punis, si nous ne savons pas nous montrer dignes de tant de bonté. Ce corps était couché dans une crèche, et les mages lui ont apporté leur vénération. Des hommes sans foi, des barbares ont quitté leur patrie, leur maison ; ils ont fait un long voyage, et ils sont venus, avec crainte et tremblement, l’adorer. Imitons donc, au moins, des barbares, nous, citoyens du ciel. Ces hommes qui ne voyaient qu’une crèche, une cabane, rien qui ressemble à ce que vous voyez aujourd’hui, se sont approchés, tout saisis de respect et de crainte ; et vous, ce n’est pas dans une crèche que vous l’apercevez, mais dans son sanctuaire ; ce n’est pas une femme qui le tient, mais le prêtre, et le Saint-Esprit avec l’abondance de ses dons plane au-dessus du sacrifice. Vous ne voyez pas simplement comme ceux-là ce corps de vos yeux, mais vous en connaissez la puissance, vous n’ignorez rien de l’économie divine, vous n’ignorez rien des mystères accomplis par ce corps : on vous a tout appris avec soin, en vous initiant. Secouons donc notre assoupissement, et frissonnons ; élevons-nous bien au-dessus de ces barbares ; montrons une piété qui les dépasse ; gardons-nous, en nous approchant sans nous recueillir, d’amasser le feu sur notre tête. Ce que je dis, ce n’est pas pour que nous – refusions de nous avancer, mais pour que nous nous gardions bien de nous approcher sans recueillement. De même que l’absence de recueillement est dangereuse ; de même il y a danger à négliger sa part du mystique banquet ; c’est la faim, c’est la mort. Cette table donne à notre âme ses nerfs, à nos pensées le lien de leur union, le fondement de notre confiance ; notre espérance, notre salut, notre lumière, notre vie. 455 Si nous sortons de ce monde après la participation de ce sacrement, nous entrerons avec une confiance entière dans le sanctuaire du ciel, comme si une armure d’or nous rendait invulnérables. Eh ! pourquoi parler de la vie à venir ? La terre même, ici-bas, devient le ciel, par ce mystère. Ouvrez donc, ouvrez les portes du ciel, regardez : du ciel, ce n’est pas assez dire, mais du plus haut du ciel, et vous allez voir ce que je vous ai annoncé. Ce que les trésors du ciel, à sa plus haute cime, ont de plus précieux, je vais vous le montrer, couché sur la terre. Car s’il est vrai que, dans un palais de roi, ce qu’il y a de plus auguste, ce ne sont ni les murs, ni les lambris d’or, mais le roi sur, son trône, ainsi, dans le ciel même, c’est le roi. Eh bien ! vous le pouvez voir ; aujourd’hui, sur la terre. Je ne vous montre ni anges, ni archanges, ni ciel, ni le ciel du ciel c’est, de tout cela le Maître et Seigneur, que je vous montre. Comprenez-vous comment ce qu’il y a dans l’univers de plus précieux, vous le voyez sur la terre ? et non seulement vous le voyez, mais vous le touchez : mais vous faites plus encore, vous vous en nourrissez, vous le recevez, vous l’emportez dans votre demeure ? Purifiez donc votre âme, préparez votre esprit à recevoir ces mystères. Si vous aviez à porter un fils de roi, avec ses riches ornements, sa pourpre, son diadème, vous rejetteriez tout ce qu’il y a sur la terre ; mais maintenant ce n’est pas le fils d’un roi mortel, c’est le Fils unique de Dieu lui-même que vous recevez, et vous ne frissonnez pas, répondez-moi, et vous ne répudiez pas tout amour des choses de ce monde ! Il ne vous suffit pas de cet ineffable ornement ; vous avez encore des regards pour la terre, et vous soupirez après les richesses, et c’est de l’or que vous êtes épris ! Quelle pourrait être votre excuse ? que direz-vous pour vous justifier ? Ne savez-vous pas jusqu’où va, contre la pompe du siècle, l’aversion du Seigneur ? N’est-ce pas pour cela qu’il est né dans une crèche, qu’il a pris pour mère une femme d’humble condition ? n’est-ce pas pour cela qu’il répondit à celui qui lui parlait d’un abri : « Le Fils de l’homme n’a pas où reposer sa tête ? » (Mat 8,20) Et ses disciples ? n’ont-ils pas suivi la même loi, logeant dans les maisons des pauvres ; l’un, chez un cordonnier ; l’autre, chez un couseur de tentes, et une marchande d’étoffes de pourpre ? Ils ne recherchaient pas la magnificence de la maison, mais les vertus des âmes. Eh bien ! nous aussi, rivalisons avec eux, ne nous arrêtant pas devant la beauté des colonnes et des marbres ; recherchons les demeures d’en haut : foulons aux pieds, avec tout le luxe d’ici-bas, l’amour des richesses, concevons de hautes pensées. Si nous avons la sagesse, toute cette beauté n’est pas digne de nous, encore moins ces portiques et ces lieux de promenade. Aussi, je vous en conjure, embellissons notre âne, c’est là l’habitation que nous devons orner, que nous emporterons avec nous en partant, pour obtenir les biens éternels, par la grâce et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui soit, avec le Père et l’Esprit-Saint, la gloire, l’honneur et l’empire, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles ! Ainsi soit-il. HOMÉLIE XXV.
MANGEZ DE TOUT CE QUI SE VEND À LA BOUCHERIE, SANS VOUS ENQUÉRIR D’OÙ CELA VIENT, PAR UN SCRUPULE DE CONSCIENCE. (CHAP. 10, VERS. 25, JUSQU’AU VERS. 1 DU CHAP. XI)