1 Corinthians 11
HOMÉLIE XXVI.
JE VOUS LOUE, MES FRÈRES, DE CE QUE VOUS VOUS SOUVENEZ DE MOI EN TOUTES CHOSES, ET QUE VOUS GARDEZ LES TRADITIONS ET LES RÈGLES QUE JE VOUS AI DONNÉES. (CHAP. 11, VERSET 2, JUSQU’AU VERSET 17)
ANALYSE.
- 1 et 2. De l’enseignement oral de Paul, et de ses rapports avec les fidèles.
- 3. Le Christ est la tête et le chef de l’homme. – Dissertation sur la valeur des expressions humaines appliquées à Dieu.
- 4 et 5. Pourquoi les hommes doivent prier, la tête découverte ; les femmes doivent toujours avoir la tête enveloppée d’un voile. – Développements divers.
- 6-8. Ne nous occupons pas des devoirs des autres, quand c’est à nous qu’on reproche l’oubli des devoirs. – De la complaisance que les époux se doivent mutuellement. – Généreuse colère contre les misérables qui ne craignent pas de battre une femme. – Détail d’une grâce touchante, le soir où un père, séparant sa fille de toute la famille, la confie à son époux.
1. Après avoir dit sur les offrandes consacrées aux idoles tout ce qu’il lui convenait d’exposer, n’ayant plus rien à ajouter à l’ensemble complet de ses réflexions, il passe à un autre sujet, qui renferme bien aussi une accusation, mais non aussi grave. Je vous ai déjà dit, et maintenant je vous répète encore, que l’apôtre ne formule pas tout de suite et sans interruption les reproches de la plus grande sévérité. Il les dispose dans un ordre convenable ; il intercale au milieu de sa lettre des choses plus agréables, pour adoucir ce qu’aurait d’insupportable pour les auditeurs un discours tout composé de sévères réprimandes. Voilà pourquoi il réserve pour la fin le sujet de la résurrection, sur lequel il doit déployer le plus de véhémence. En attendant il s’arrête à quelque chose de moins grave : « Je vous loue, mes frères, de ce que vous vous souvenez de moi, en toutes choses ». Quand le péché est constant, il attaque vivement, il menace ; quand il y a doute, ce n’est qu’après avoir fait la preuve qu’il gronde ; ce qui est avoué, il l’étale ; ce qui est contesté, il l’établit. Par exemple, au sujet de la fornication, le doute n’était pas possible ; il n’y avait donc pas lieu à montrer que c’était un péché ; que fait l’apôtre alors ? Il étale l’énormité de la faute, et il use d’un développement par comparaison. Quant à l’habitude de juger le prochain, c’était un péché, mais non d’une gravité aussi grande ; voilà pourquoi il introduit dans son discours des réflexions et des preuves à ce sujet. Maintenant, pour les offrandes consacrées aux idoles, il y avait doute, mais le péché était grand ; voilà pourquoi il montre que c’est un péché, et ce point il le développe. Et en agissant ainsi, non seulement il détourne les fidèles des péchés qui leur sont reprochés, mais il conduit les âmes à des fins contraires. En effet, il ne se contente pas de dire qu’il ne faut pas commettre de fornication, il ajoute que l’on doit montrer une grande sainteté. De là, ces paroles : « Glorifiez Dieu dans votre corps et dans votre esprit ». (1Co 6,20) Et ailleurs, quand il da qu’il ne faut pas être sage de la sagesse extérieure, il ne se, contente pas de cette réflexion, q ajoute qu’il faut devenir fou ; et quand il donne le conseil de ne pas plaider devant les juges païens, le conseil de ne commettre autune injustice, il va plus loin ; il défend tout procès, et il ne recommande pas seulement de ne jamais commettre l’injustice, mais il conseille de s’y résigner:; et, dans ses réflexions sur les offrandes consacrées aux idoles, il n’ordonne pas seulement de s’abstenir de ce qui est défendu, mais, de plus, de ce qui est permis, ce qui vaut mieux que d’être un sujet de scandale. Nous ne devons pas éviter seulement de scandaliser nos frères, mais de scandaliser les gentils et les Juifs. « Ne donnez pas occasion de scandale, ni aux Juifs, ni aux gentils, ni à l’Église de Dieu ». Eh bien donc ; après avoir achevé toutes ces réflexions, il passe à une accusation d’un autre genre ; de quoi s’agissait-il ? Des femmes découvertes, la tête nue, priaient et prophétisaient. Il faut que vous sachiez qu’alors les femmes prophétisaient. Les hommes laissaient pousser leur chevelure, comme étant versés dans la philosophie ; et ils se couvraient la tête en priant et en prophétisant. Ces deux pratiques étaient d’origine païenne. Il faut croire que l’apôtre avait fait, de vive voix, aux fidèles, sur tous ces points des exhortations, que les uns s’y étaient conformés, que les autres ne l’avaient pas écouté ; voilà pourquoi il les reprend dans sa lettre, et, comme un sage médecin, recommence à les traiter pour les guérir enfin. Qu’il les eût déjà avertis, en séjournant parmi eux ; c’est ce qui résulte des premières paroles que nous venons de lire ; car pourquoi, n’ayant rien dit nulle part, à ce sujet, dans sa lettre, et ne s’étant occupé que des reproches à formuler, leur dit-il, sans préambule : « Je vous loue, mes frères, de ce que vous vous souvenez de moi, en toutes choses, et que vous gardez les traditions et les règles que je vous ai données ». Comprenez-vous que les uns l’avaient écouté, ce dont il les loue ; que les autres ne l’avaient pas écouté, et, à ce propos ; il les redresse par les paroles qu’il ajoute dans la suite : « Si quelqu’un aime à contester, ce n’est point là notre coutume ». (1Co 11,16) Je suppose que, les uns se conduisant bien, les autres ne l’écoutant pas, il les eût tous accusés indistinctement ; il n’aurait fait alors qu’enhardir les uns, autoriser la mollesse des autres. Que fait-il au contraire ? Les uns, il les loue, il les approuve ; les autres, il les réprimande ; il encourage ainsi ceux qui font bien, et il fait honte à ceux qui se conduisent mal. La réprimande suffit d’elle-même pour frapper ; mais, quand elle est accompagnée d’une comparaison avec ceux qui se sont bien conduits, auxquels on adresse des éloges, l’aiguillon de la réprimande est plus pénétrant. Ici, ce n’est pas par la réprimande, mais par les compliments que l’apôtre débute, par de grands compliments, en disant : « Je vous loue de ce que vous vous souvenez de moi, en toutes choses ». C’est l’ordinaire de Paul de répondre, même à de petites actions bien faites, par de grandes louanges. Ce n’est pas flatterie, loin de nous cette pensée ; pourrait-on dire cela de Paul, qui ne désirait ni argent, ni gloire, ni rien de pareil, qui faisait toutes choses en vue du salut de ses frères ? Voilà donc pourquoi il loue avec tant de complaisance, en disant : « Je vous loue de ce que vous vous souvenez de moi, en toutes choses ». Que signifie « En toutes choses ? » Il ne parlait que de la chevelure, qu’il ne fallait pas laisser croître, et de la tête, qui ne devait pas être couverte. C’est, comme je vous l’ai dit, qu’il prodigue les éloges, afin d’encourager. Voilà pourquoi il dit : « De ce que vous vous souvenez de moi, en toutes choses, et que vous gardez les traditions et les règles que je vous ai données ». D’où il résulte qu’il leur communiquait autrement que par écrit beaucoup de préceptes ; c’est ce qu’il indique ailleurs, dans un grand nombre de passages. Mais alors il se contentait de communiquer les préceptes, tandis que, maintenant, il fait plus, il en explique la raison ; par là il raffermissait ceux qui l’écoutaient, et il rabattait l’orgueil des contradicteurs. Ensuite, il ne dit pas : Vous avez obéi, d’autres n’ont pas obéi ; mais, sans marquer aucun soupçon, il le fait assez entendre, par son enseignement même, dans ce qu’il ajoute, en ces termes : « Mais je désire que vous sachiez que Jésus-Christ est le chef et la tête de tout homme, que l’homme est le chef de la femme, et que Dieu est le chef de Jésus-Christ ». Voilà donc le précepte expliqué dans sa cause. Et cette cause il la donne pour rendre les faibles plus appliqués. Celui qui est fidèle, est fort et il n’a pas besoin de raisonnements, d’explications ; pour obéir aux préceptes il lui suffit de les recevoir. Au contraire, celui qui est faible a besoin d’en savoir les raisons, il se rappelle alors avec plus de plaisir ce qu’on lui a dit, il est plus ardent à la pratique. 2. Voilà pourquoi l’apôtre attend, pour donner les raisons du précepte, que le précepte ait été violé. Quelles sont donc ces raisons ? « Jésus-Christ est le chef et la tête de tout homme ». Comment donc ? même du gentil ? Nullement ; car c’est parce que nous sommes le corps de Jésus-Christ, une partie de ses membres, que Jésus-Christ est notre tête. Quant à ceux qui ne sont pas dans le corps, qui ne sont pas réputés des membres, il ne peut pas être leur tête. Aussi, lorsque l’apôtre dit : « De tout », il faut sous-entendre, fidèle. Voyez-vous comme, en toutes circonstances, il prend d’en haut ses inspirations pour faire rentrer en soi-même l’auditeur. Quand il parlait et de la charité, et de l’humilité, et de l’aumône, c’est d’en haut qu’il tirait ses exemples. « L’homme est le chef de la femme et Dieu est le chef de Jésus-Christ ». C’est ici que les hérétiques nous attaquent, s’imaginant qu’il résulte de ces paroles que le Fils est moindre que le Père ; mais ils ne font que s’attaquer eux-mêmes ; car si l’homme est le chef de la femme, si le chef et le corps sont de la même substance, si Dieu est le chef de Jésus-Christ, le Fils est de la même substance que le Père. – Mais, nous répondent-ils, nous ne voulons pas montrer par là qu’il soit d’une autre substance, mais qu’il est commandé par son Père. – Que leur répondrons-nous ? Ceci principalement : La modestie de l’expression appliquée au Dieu incarné, n’a rien qui rabaisse sa divinité, l’incarnation admettant cette expression. – D’ailleurs, parlez, soutenez votre dire. – Eh bien, nous répond-on, l’homme commande à la femme, c’est de la même manière que le Père commande au Christ. Le Christ commande à l’homme, et c’est de la même manière que le Père commande au Fils : car, dit l’apôtre, « Jésus-Christ est le chef et la tête de tout homme ». Qui jamais admettra ces pensées ? En effet, si la supériorité du Christ sur nous est la mesure de la supériorité du Père sur le Fils, comprenez-vous jusqu’à quel infime degré vous le rabaissez ? Il ne faut donc pas établir une similitude parfaite entre Dieu et nous, quelle que soit la similitude des expressions : il faut reconnaître, à Dieu, une excellence propre, toute l’excellence qui appartient à la nature de Dieu. Sinon, les absurdités se dérouleront en foule. Réfléchissez : Dieu est le chef du Christ, le Christ est le chef de l’homme, l’homme est le chef de la femme. Eh bien, prenons, dans tous les cas, le mot chef, en lui donnant la même valeur ; voilà que le Fils sera au-dessous du Père, juste autant que nous sommes au-dessous du Fils. Mais ce n’est pas tout : la femme, à son tour, sera au-dessous de nous, juste autant que nous sommes au-dessous du Verbe divin ; et ce qu’est le Fils à l’égard du Père, nous le serons à l’égard du Fils ; et la femme le sera à l’égard de l’homme. Qui l’admettra ? Appliqué au Christ relativement à l’homme, le mot chef a une autre valeur qu’appliqué à l’homme par rapport à la femme ; donc aussi il a encore une autre valeur appliqué au Père par rapport au Fils. Et comment, me dira-t-on, déterminerons-nous la différence ? Par l’objet même que l’apôtre a en vue. En effet, si Paul eût voulu dire autorité et sujétion, comme vous le prétendez, il n’aurait pas parlé de la femme, il aurait proposé, comme exemple, l’esclave et le maître. Car si la femme nous est soumise, elle reste toujours femme, elle reste libre, elle reste notre égale en honneur. Et le Fils aussi obéit à son Père, mais il reste le Fils de Dieu, il reste Dieu. De même que le Fils a plus d’obéissance pour son Père, que les hommes n’en ont pour ceux qu’ils ont engendrés, de même, en lui, la liberté est plus grande. Et en effet, si les devoirs du Fils envers le Père sont plus impérieux pour lui, plus conformes à sa nature, que chez les hommes, ainsi en est-il des devoirs du Père envers le Fils. Car si nous admirons le Fils obéissant jusqu’à mourir, et jusqu’à mourir sur la croix, si nous disons qu’il y a là un merveilleux mystère, c’est un mystère également merveilleux que le Père ait engendré un tel fils, non pas un esclave de ses ordres, mais un Fils libre, obéissant, partageant ses conseils ; car le conseiller n’est pas un esclave. Et maintenant ce mot de conseiller ne veut pas dire que le Père ait besoin d’un conseiller, mais que le Fils est en honneur l’égal de son Père. Il ne faut donc pas étendre trop loin cette comparaison tirée de l’homme et la femme. Chez nous ce n’est pas sans raison que la femme est soumise à l’homme ; car l’égalité d’honneur engendre la lutte ; cette sujétion, d’ailleurs, a une autre cause, la séduction de la première femme. La femme ne fut pas, aussitôt après sa création, assujettie à l’homme ; et, quand Dieu l’amena à son mari, elle n’entendit ni Dieu, ni son mari, lui parler de dépendante ; Adam lui dit seulement qu’elle était « l’os de ses os et la chair de sa chair » (Gen 2,23) ; de commandement, ou de sujétion, il ne lui dit rien. Mais quand elle eut fait un mauvais usage de son pouvoir, quand celle qui devait aider l’homme, l’eut fait tomber dans un piège, quand tout fut perdu par sa faute, c’est alors qu’elle entendit ce juste arrêt : « Tu dépendras de ton mari ». (Gen 3,16) Car comme il était vraisemblable que ce péché allait introduire là guerre au milieu des hommes (c’eût été, pour rétablir la paix, une considération peu importante que ce fait que la femme était sortie de lui ; au contraire, cette circonstance même ne pouvait qu’exaspérer son mari, puisque celle qui était sortie de lui, n’avait pas même épargné celui dont elle était le membre) ; Dieu, comprenant la malice du démon, éleva, par cette seule parole, comme un rempart où elle devait se briser ; par cette sentence et aussi par la concupiscence naturelle, il prévint la haine qui n’aurait pas manqué de naître et détruisit, comme un mur de séparation, le ressentiment produit par la première faute. Mais maintenant, dans l’être divin, dans la substance incorruptible, il n’est pas permis de rien soupçonner de pareil ainsi quand on use d’une comparaison, gardez-vous de l’étendre outre mesure, autrement il en résulterait de graves inconvénients. L’apôtre disait, au commencement de sa lettre : « Car tout est à vous, et vous êtes à Jésus-Christ, et Jésus-Christ est à Dieu ». (1Co 3,22-23) 3. Qu’est-ce que cela veut dire : Tout est à nous, et nous sommes à Jésus-Christ, et Jésus-Christ est à Dieu ? Y a-t-il en tout cela une similitude parfaite ? Nullement ; les plus insensés mêmes, comprennent la différence ; cependant c’est du même terme que l’on se sert pour parler de Dieu, de Jésus-Christ et de nous. Et, ailleurs, après avoir dit que l’homme est le chef de la femme, il ajoute : « Comme le Christ est le chef et le Sauveur de l’Église, « et son défenseur ; ainsi le mari doit l’être pour son épouse ». (Eph 5,23-24) Eh bien donc, trouverons-nous là une similitude parfaite, aussi bien que dans tout ce qu’il écrit encore aux Éphésiens à ce sujet ? Loin de nous cette pensée. En effet, cela ne se peut pas ; on se sert des mêmes mots en parlant de Dieu et des hommes, mais ils doivent être entendus autrement dans un cas que dans l’autre. Et maintenant, n’allons pas, au rebours, chercher partout la diversité, car alors il faudrait dire que toutes ces comparaisons auraient été admises au hasard, et sans réflexion, puisque nous n’en retirerions aucun fruit. Donc, de même qu’il ne faut pas voir la similitude partout, de même il ne faut pas la rejeter partout. J’éclaircis ma pensée, je prends un exemple pour essayer de la faire comprendre. On dit que Jésus-Christ est la tête de l’Église ; si je n’attache aucune idée humaine à cette parole, à quoi sert-elle ? Et maintenant si, au contraire, j’y attache toutes les idées humaines, voilà une série interminable d’absurdités, car la tête est sujette aux mêmes affections que le corps. Donc que faut-il négliger ? que faut-il prendre ? Il faut négliger les conséquences que je viens d’énoncer, il faut prendre l’idée d’union parfaite, l’idée de cause et de premier principe ; il faut même entendre ceci d’une manière plus sublime et plus relevée en Dieu qu’en nous, d’une manière qui soit conforme à la nature divine ; car l’union est plus sûre, le principe plus auguste. Vous avez encore entendu le mot Fils. Eh bien ! ici encore, il ne faut ni tout prendre ni tout rejeter ; il faut prendre ce qui convient à Dieu, savoir, que le Fils est consubstantiel au Père et qu’il est de lui ; pour ce qui serait déplacé, ce qui n’appartient qu’à l’infirmité humaine, laissez-le à la terre. Autre exemple encore : Dieu a été appelé lumière ; eh bien ! prendrons-nous toutes les idées qui se rapportent à notre lumière ? Nullement, car notre lumière est circonscrite par les ténèbres et par l’espace ; une force étrangère la met en mouvement, et la recouvre d’ombre ; nulle de ces idées n’est permise au sujet de l’essence divine. Mais maintenant ce n’est pas une raison pour tout rejeter ; sachons, au contraire, recueillir, de cet exemple, ce qu’il a d’utile ; l’illumination qui nous inonde et qui vient de Dieu ; notre affranchissement des ténèbres. Toutes ces paroles que je viens de dire, sont à l’adresse des hérétiques ; mais il faut, dès à présent, traiter à fond le texte qui nous occupe. Peut-être ici soulèvera-t-on la question de savoir quel mal c’était aux femmes de se découvrir la tête, aux hommes de se la couvrir ; écoutez les raisons, et comprenez-les. L’homme et la femme ont reçu un grand nombre de caractères différents : l’un, ceux du commandement ; l’autre, ceux de la sujétion. Une de ces marques, c’est que la femme ait la tête couverte, que l’homme ait la tête nue ; donc, si tels sont leurs signes, ils pèchent tous les deux contre l’ordre, contre le précepte divin ; ils franchissent les limites qui leur ont été fixées ; l’un s’abaisse à la faiblesse de la femme ; l’autre usurpe la dignité du mari. En effet, il ne leur est pas permis de changer de vêtement ; la femme n’a pas le droit de porter la chlamyde ; l’homme ne doit pas prendre le bandeau ni le voile. « Une femme ne prendra point un habit d’homme, et un homme ne prendra point un habit de femme ». (Deu 22,5) À bien plus forte raison, les caractères de la tête doivent-ils être conservés ; car les formes différentes sont d’institution humaine, quoique Dieu, plus tard, les ait confirmées. C’est une loi naturelle qui ordonne d’avoir ou de n’avoir pas la tête couverte. Il est bien entendu que quand je parle de nature, je parle de Dieu ; car c’est lui qui a fait la nature. Eh bien, voyez quels grands maux résultent de ce que vous bouleversez la nature ; et ne me dites pas que le péché est petit ; il est grand en soi, car c’est la désobéissance. Serait-il petit en soi, il deviendrait grand, parce qu’il y a là un symbole de choses importantes. Que ce soit un grand symbole, c’est ce qui résulte du bel ordre qui se manifeste, par là, au milieu des hommes : d’une part, le commandement, de l’autre la sujétion, marqués dans le costume qui convient à chaque état. La transgression, ici, confond tout, répudie les dons de Dieu, foule aux pieds l’honneur qui vient d’en haut ; et ce n’est pas l’homme seulement qui est coupable, mais la femme aussi ; car, assurément, son plus grand honneur, c’est de se tenir au rang qui lui est propre ; sa honte, c’est de s’en écarter. Aussi, à propos de l’un et de l’autre : « Tout homme qui prie, ou qui prophétise », dit l’apôtre, « ayant quelque chose sur la tête, déshonore sa tête : mais toute femme qui prie, ou qui prophétise, n’ayant point la tête couverte d’un voile, déshonore sa tête (4) ». Il y avait en effet, comme je l’ai dit, et des hommes et des femmes qui prophétisaient ; des femmes ayant reçu le don de prophétie, comme les filles de Philippe, et d’autres encore, soit avant soit après elles, dont parlait le prophète Joël : « Vos fils prophétiseront, et vos filles verront des visions ». (Jol 2,28) L’apôtre ne veut pas que l’homme ait toujours la tête découverte, mais seulement quand il prie. « Tout homme », dit-il, « qui prie, ou qui prophétise, ayant quelque chose sur la tête, déshonore sa tête ». Quant à la femme, il veut qu’elle ait toujours la tête couverte. Aussi, après avoir dit : « Toute femme qui prie, ou qui prophétise, n’ayant point la tête couverte, déshonore sa tête », il ne s’arrête pas là, mais il ajoute : « Car c’est comme si elle était rasée ». S’il est toujours honteux, pour une femme, d’avoir la tête rasée, il est évident que c’est une honte pour elle que d’avoir toujours la tête découverte. 4. Et l’apôtre ne s’est pas contenté de ces paroles, mais il ajoute encore : « La femme doit porter sur sa tête, à cause des anges, la marque de la puissance que l’homme a sur elle (10) ». Il montre ainsi que ce n’est pas seulement dans le temps de la prière, mais toujours, que la femme doit être voilée. En ce qui concerne l’homme, ce n’est pas du voile qu’il s’occupe, mais de la chevelure ; il ne veut pas qu’il ait la tête couverte, mais cette défense ne regarde que le temps de la prière. Quant à la longue chevelure, elle lui est toujours défendue. Aussi, après avoir dit de la femme : « Si une femme ne se voile point la tête, elle devrait donc avoir aussi les cheveux coupés » ; il dit, en parlant de l’homme : « S’il porte de longs cheveux, il se déshonore » ; il ne dit pas : S’il se couvre la tête, mais : « S’il porte de longs cheveux ». Voilà pourquoi il dit en commençant : « Tout homme qui prie, ou qui prophétise, ayant quelque chose sur la tête » ; il ne dit pas : Ayant la tête couverte, mais : « Ayant quelque chose sur la tête », montrant que, fût-il la tête nue, dans le moment de la prière, s’il a une chevelure trop longue, c’est comme s’il avait la tête couverte. « Car la chevelure », dit-il, « a été donnée à la femme comme un voile ; si une femme ne se voile point la tête, elle devrait donc avoir aussi les cheveux coupés. Mais s’il est honteux à une « femme d’avoir les cheveux coupés, ou d’être « rasée, qu’elle se voile la tête ». D’abord, il demande seulement qu’elle n’ait pas la tête nue ; il va plus loin ensuite, et lui fait entendre qu’elle ne doit jamais l’avoir nue, par ces paroles : « C’est comme si elle était rasée » ; elle doit se tenir toujours couverte et avec le plus grand soin. Il ne veut pas seulement qu’elle soit voilée, mais tout à fait voilée, enveloppée de toutes parts. Après avoir montré tout ce qu’il y a d’indécent dans une tête découverte, il fait honte à la femme, il lui inflige cette réprimande si vive : « Si une femme ne se voile point la tête, elle devrait donc avoir aussi les cheveux coupés ». Si vous rejetez le voile, dit l’apôtre, que Dieu vous a donné, rejetez donc aussi le voile de la nature. On objectera : comment serait-ce une honte pour la femme de s’élever à la gloire de l’homme ? Nous répondrons, nous, qu’elle ne s’élève pas, qu’elle, tombe, qu’elle se dégrade de ses propres honneurs ; car outrepasser ses limites, les lois reçues de Dieu, les transgresser, ce n’est pas ajouter à ses prérogatives, c’est les diminuer. De même que celui qui désire le bien d’autrui, et qui emporte ce qui ne lui appartient pas, ne devient pas plus riche, mais s’appauvrit, et perd ce qu’il possédait, ce qui est arrivé à propos du paradis, de même la femme ne conquiert pas la prérogative de l’homme, elle perd l’honneur de la femme ; et son infamie ne résulte pas, pour elle, seulement de cette conduite, mais encore de sa convoitise. Aussi, quand l’apôtre a bien rappelé ce que tout le monde regarde comme une honte, quand il a dit : « S’il est honteux à une femme, d’avoir les cheveux coupés ou d’être rasée », il exprime sa pensée à lui par ces mois : « Qu’elle se voile la tête ». Il ne dit pas : Qu’elle laisse croître sa chevelure, mais : « Qu’elle se voile ». Ces deux préceptes ; il les fonde sur une seule et même loi ; il les confirme l’un par l’autre, et par ce qui est généralement établi, et, par les contraires. Le voile et la chevelure pour lui, c’est tout un ; et, de même, c’est la même chose pour la femme, d’être rasée et d’avoir la tête nue. « Car c’est,», dit-il, « comme si elle était rasée ». On objectera : comment est-ce la même chose d’avoir, pour se couvrir, ce que la nature donne, et d’être rasée, de ne l’avoir pas ? Nous, répondrons : que, par le fait de sa volonté, la femme a abandonné même le voile naturel par cela même qu’elle a la tête nue ; si elle à encore des cheveux, elle les doit à la nature et non à sa volonté ; c’est pourquoi la femme rasée a la tête nue ; et l’autre, également. Dieu a permis à la nature de couvrir la tête de la femme, afin que la femme instruite par la nature se, couvrît d’un voile. L’apôtre rend ensuite raison de ses ordonnances comme s’adressant à des hommes libres. Cette explication, quelle est-elle ? « L’homme ne doit point se couvrir la tête, parce qu’il est l’image et la gloire de Dieu. (7) ». Encore une autre raison : ce n’est pas, seulement parce qu’il a pour chef le Christ, qu’il ne doit pas se couvrir la tête ; c’est aussi parce qu’il commande à la femme. Un prince qui s’approche d’un souverain, doit avoir le signe de sa principauté ; aucun prince n’oserait paraître sans ceinture, sans manteau, devant celui qui porte le diadème. Gardez-vous, à votre tour, de négliger le signe de votre principauté, qui consiste à avoir la tête découverte, lorsque vous priez Dieu ; vous vous feriez affront à vous-mêmes, et à celui qui vous a conféré votre honneur. On peut en dire autant de la femme ; car c’est, pour elle aussi, une honte, de ne pas avoir les signes de sa sujétion. « Au lieu que la femme est la gloire de l’homme ». L’autorité, de l’homme est fondée en nature. Après ces raisonnements, ces explications, il en propose encore d’autres ; il vous fait remonter aux premiers jours de la création ; car l’homme n’a point été tiré de la femme, « mais la femme, a été, tirée de l’homme (8) ». Or, si l’extraction est un sujet de gloire pour l’être dont on est tiré, la gloire est encore augmentée si l’être est l’image de celui de qui il est tiré ; « car l’homme n’a point été créé pour la femme, mais la femme, pour l’homme, (9) ». Voilà la seconde raison de l’excellence de l’homme sur la femme, disons mieux, la troisième et la quatrième raison. Première raison : le Christ est notre chef, et nous sommes le chef de la femme ; seconde raison : nous sommes, la gloire de Dieu, et la femme est notre gloire ; troisième raison : ce n’est pas nous qui sommes tirés de la femme, mais c’est elle qui est tirée de nous ; quatrième raison : ce n’est pas nous qui sommes faits pour elle, mais c’est elle qui est faite pour nous. « C’est, pourquoi la femme doit porter sur sa tête, à cause des anges, la marque de la puissance que l’homme a sur elle (10) », « C’est pourquoi » : Pour quelle raison, répondez-moi ? Pour toutes les raisons qui ont été dites, ou plutôt, ce n’est pas seulement pour toutes ces raisons, mais « à cause des anges » ; si vous ne respectez pas votre mari, ô femme, respectez au moins les anges. 5. Ainsi, ce voile que vous mettez sur votre tête est la marque de la sujétion à une autorité, elle vous force à abaisser vos regards, à conserver la vertu qui vous est propre ; la vertu propre, l’honneur d’un sujet, c’est de rester dans l’obéissance. L’homme n’y est pas contraint, car il est, l’image de Dieu même ; la femme y est obligée, et c’est justice ; comprenez donc, ô hommes, l’excès de votre faute, lorsque vous, qui êtes honorés d’un si grand pouvoir, vous vous avilissez vous-mêmes, en usurpant le costume de la femme ; c’est comme si vous rejetiez de votre tête un diadème, pour prendre, au lieu de ce diadème, un vêtement d’esclave. « Toutefois, ni l’homme n’est point sans la femme, ni la femme sans l’homme, en Notre-Seigneur (11) ». Après avoir donné à l’homme une grande supériorité, après avoir dit que la femme a été tirée de lui, pour lui, qu’elle lui a été soumise, il craint d’élever l’homme outre mesure, de trop abaisser la femme ; voyez comme il corrige ses paroles : « Toutefois, ni l’homme n’est point sans la femme, ni la femme sans l’homme, en Notre-Seigneur ». Gardez-vous de ne voir que le commencement, de ne considérer que la première formation ; si vous examinez ce qui a suivi, chacun des deux est l’auteur de l’autre ; disons mieux, aucun des deux n’est l’auteur de l’autre ; Dieu seul est l’auteur de tous les êtres ; de là ces paroles : « Ni l’homme n’est point sans la femme, ni la femme sans l’homme, en Notre-Seigneur. « Car, comme la femme a été tirée de l’homme, « ainsi l’homme est par le moyen de la femme (12) ». II ne dit pas : Est de la femme, tandis qu’il n’a pas craint de dire encore une fois « La femme à été tirée de l’homme ». Cette prérogative reste entière à l’homme ; à vrai dire, ces œuvres magnifiques ne sont pas de l’homme, mais de Dieu. Aussi l’apôtre ajoute-t-il : « Et tout vient de Dieu ». Donc, si tout vient de Dieu, si c’est lui qui vous donne ces commandements, obéissez sans contredire. « Jugez vous-mêmes, s’il est bienséant à une femme, de prier Dieu, sans avoir un voile (13) ». Ici encore, il les fait juges de ses paroles ; c’est ce qu’on a vu, à propos des viandes consacrées aux idoles. Il disait alors : « Soyez juges de ce que je dis » ; et ici : « Jugez vous-mêmes ». Il insinue ici une pensée faite pour inspirer la terreur c’est que l’insulte remonte jusqu’à Dieu. Toutefois il ne l’exprime pas en ces termes, il ne la dégage pas, il se contente de dire : « S’il est bienséant à une femme de prier Dieu, sans avoir un voile. La seule nature ne vous enseigne-t-elle pas qu’il serait honteux, à un homme, de laisser croître sa chevelure, et qu’il est, au contraire, honorable, à une femme, de la laisser croître, parce qu’elle lui a été donnée comme un voile (14, 15) ? » L’apôtre suit ici son habitude ; il tire ses raisonnements, à la portée de tous, des usages les plus ordinaires, et sa vive réprimande déconcerte les auditeurs, en leur révélant ce que la vie commune aurait dû leur apprendre ; tout ce qu’il leur dit, des barbares mêmes le savent. Remarquez la vivacité de toutes ses expressions : « Tout homme qui prie en s’enveloppant la tête, déshonore sa tête » ; et encore : « S’il est honteux, à une femme, d’avoir les cheveux coupés ou d’être rasée, qu’elle se voile la tête tout à fait » ; et encore, dans le même passage : « Si l’homme laisse croître sa chevelure, il se déshonore ; si la femme laisse croître sa chevelure, elle s’honore, parce qu’elle lui a été donnée comme un voile ». Eh bien, dira-t-on, si sa chevelure lui a été donnée comme un voile, à quoi bon y ajouter un autre voile ? c’est que la femme ne doit pas confesser sa dépendance uniquement par des signes naturels, elle la doit reconnaître aussi par sa volonté. Tu dois porter un voile que la nature tout d’abord t’a imposé ; joins-y donc l’œuvre de ta volonté, si tu ne veux pas avoir l’air de renvoyer les lois de la nature ; ce serait le comble de l’impudence de prendre à partie, non seulement nous, mais la nature. Aussi Dieu adressait-il ce reproche au peuple Juif : « Tu as égorgé tes fils et tes filles ; c’est là le comble de toutes tes abominations ». (Eze 16,21) Et Paul, dans son épître aux Romains, réprimandant les abominables, aggrave ses accusations en disant qu’ils ne se sont pas seulement révoltés contre la loi de Dieu, mais contre la nature : « Ils ont changé l’usage qui est selon la nature, en un autre qui est contre la nature ». (Rom 1,26) L’apôtre use ici du même moyen, il montre qu’il ne révèle ici rien d’inconnu, que les païens ne connaissent que trop ces nouveautés qui sont des révoltes contre la nature. C’est le même genre de preuves qu’employait le Christ, en disant : « Faites donc aux hommes tout ce que vous voulez qu’ils vous fassent » (Mat 7,12) ; il montrait par là qu’il n’enseignait rien d’étrange. « Si, après cela, quelqu’un aime à contester, ce n’est pas là notre coutume, ni celle de l’Église de Dieu (16) ». C’est aimer les contestations que de résister à ses paroles, ce n’est pas faire preuve de raison : outre la petite réprimande qu’il leur fait ainsi, considérons qu’il les rappelle efficacement à eux-mêmes, et ces paroles ajoutent de la gravité à son discours. Ce n’est pas là, dit-il, notre coutume, nous n’aimons pas à disputer, à quereller, à contredire. Et il ne s’arrête pas là, à ces mots : « Ce n’est pas là notre coutume », il ajoute encore : « Ni celle de l’Église de Dieu », montrant par là que ces contradicteurs sont les adversaires opiniâtres du monde entier ; mais quelles qu’aient été les contestations des Corinthiens, aujourd’hui le monde entier a reçu cette loi et l’a conservée : telle est la puissance du Crucifié. 6. Mais j’ai peur que, tout en conservant la modestie extérieure, certaines femmes ne se laissent aller à des actions honteuses, et ne se découvrent d’une autre manière. Aussi, Paul, écrivant à Timothée, ne s’est pas contenté de ces paroles, il ajoute : « Que les femmes prient, étant vêtues comme l’honnêteté le demande, et non avec des cheveux frisés, ni des ornements d’or ». (1Ti 2,9) C’est qu’en effet, s’il ne faut pas avoir la tête nue, s’il convient de montrer partout le signe de la sujétion, c’est surtout par les œuvres qu’il faut faire voir ce signe ; c’est ainsi qu’à n’en pas douter les femmes des premiers âges appelaient leurs maris leurs maîtres et leur cédaient l’autorité. C’est qu’aussi, me répondra-t-on, ils aimaient leurs femmes ; je le sais bien, je ne l’ignore pas. Mais lorsque nous vous avertissons de vos devoirs, vous n’avez pas besoin de considérer les devoirs des autres. Quand nous exhortons les enfants, et que nous leur disons d’obéir à leurs parents, attendu qu’il est écrit : « Honorez votre père et votre mère », ils nous répondent : dites-nous donc aussi ce qui vient après : « Et vous, pères, n’irritez point vos enfants ». (Eph 6,4) Et quand nous disons aux esclaves, qu’il est écrit qu’ils doivent obéir à leurs maîtres, et ne pas se contenter de les servir en leur présence (Col 3,32) ; les esclaves, à leur tour, exigent de nous la suite du texte, en nous disant de faire des recommandations à leurs maîtres ; car, nous disent-ils, Paul a prescrit aux maîtres de se relâcher de leurs menaces. N’agissons pas de cette manière, ne recherchons pas les préceptes donnés aux autres, lorsque c’est nous qui sommes accusés. Vous aurez beau prendre un coaccusé, vous n’en serez pas, pour cela, moins coupables. Ne considérez qu’une chose, comment vous saurez vous purger des accusations dirigées contre vous. Adam rejetait la faute sur la femme, et celle-ci, à son tour, sur le serpent. Mais ce moyen n’a en rien servi à les absoudre. Laissons donc là toutes ces raisons ; mais applique-toi, de tout ton cœur, femme, à rendre à ton mari ce que tu lui dois. Aussi bien, quand je m’adresse à ton mari, quand je lui dis de te chérir, de prendre soin de toi, je ne lui permets pas de me produire la loi qui concerne la femme, mais j’exige de lui la pratique de la loi qui le concerne. Par conséquent ménage toute ton activité pour les devoirs qui te regardent, et sois complaisante pour ton mari. Si c’est en vue de Dieu que tu veux plaire à ton mari, tu ne me rappelleras pas ses devoirs à lui, ce sont les devoirs à toi imposés par le législateur, que tu dois surtout pratiquer avec le plus grand soin. Ce qui prouve en effet le mieux l’obéissance à la loi de Dieu, c’est, quelles que soient les contrariétés qu’on éprouve, de ne jamais la transgresser. Aimer qui vous aime, ce n’est pas là une grande vertu ; mais servir celui qui vous hait, voilà ce qui mérite toutes les couronnes. Eh bien, fais ce raisonnement en toi-même, ô femme, si tu supportes un mari incommode, tu recevras une splendide couronne ; si au contraire ton mari est doux et bon, quelle récompense Dieu te donnera-t-il ? Et ce que j’en dis, ce n’est pas pour conseiller aux maris de devenir des êtres hargneux, mais je voudrais persuader aux femmes de supporter même les maris hargneux. Et en effet, que chacun s’applique à bien faire ce qui le regarde, le prochain tout de suite en fera autant. Par exemple : une femme est bien disposée à supporter un mari difficile, un mari ne fait pas affront à une femme importune, alors c’est la parfaite sérénité ; c’est un port sans agitation ; c’est ainsi que vivaient les anciens. Chacun faisait son devoir, sans exiger que le prochain fît le sien. Abraham prit avec soi le fils de son frère ; sa femme n’y trouva rien à redire ; il ordonna à sa femme de faire un long voyage ; elle n’y contredit en rien, elle le suivit. Ce n’est pas tout : après tant de fatigues, et de labeurs, et de sueurs, quand il fut devenu riche, il fit la plus belle part à Lotit, et Sara, non seulement ne se fâcha pas, mais ne souffla pas le mot ; elle ne dit rien de ce que crient sur tous les tons, tant de femmes d’aujourd’hui, lorsque les moisis bien partagés, dans des affaires de ce genre, ce sont leurs maris à elles, surtout quand elles les voient ainsi traités par des inférieurs, elles leur font des reproches, elles les appellent des niais, des stupides, des sans-cœur, des traîtres, des lourdaux. Sara ne dit rien, ne pensa rien de pareil, elle approuva tout ce qu’il avait fait. Et, ce qui est plus généreux encore, après que Loth eût été mis en mesure de choisir dans le partage, et qu’il eût donné à son oncle la plus petite part, et que ce même Loth courût un grand danger, à cette nouvelle, le patriarche arma tous les siens et s’apprêta à marcher contre toute l’armée des Perses, n’ayant avec lui que les gens de sa maison. Eh bien ! alors elle ne le retint pas, elle ne lui dit pas, ce qu’elle aurait pu lui dire : où allez-vous ? Vous courez aux précipices ; vous allez affronter de si grands dangers pour un homme qui vous a fait outrage, qui vous a ravi tous vos biens ? Vous allez verser votre sang ? Si vous ne pensez pas à vous-même, pensez à moi du moins, qui ai abandonné ma maison, ma patrie, mes amis, mes parents ; qui vous ai suivi dans un si long voyage. Ayez pitié de moi, ne me jetez pas dans le veuvage, dans tous les malheurs dont le veuvage est accompagné. Elle ne dit rien de pareil ; elle ne pensa rien – de pareil, elle souffrit tout en silence. Et, plus tard, lorsqu’elle demeure stérile, elle ne montre aucun des sentiments que font paraître les femmes en ces circonstances ; elle ne pousse pas de lamentations. Il pleure, lui, non pas en présence de son épouse, mais en présence de Dieu, et, voyez, comme l’époux et l’épouse font chacun leur devoir. Abraham ne méprise pas Sara, parce qu’elle est stérile, il ne lui fait, pour cette raison, aucun reproche : celle-ci, de son côté, s’ingénie à consoler Abraham de cette privation, par le moyen de sa servante. Dans ces temps anciens, ces choses-là n’étaient pas défendues, comme elles le sont aujourd’hui. Aujourd’hui, en effet, il n’est pas permis aux femmes de pousser jusque-là la complaisance pour leurs maris, et ceux-ci ne doivent pas au su ou à l’insu de leurs femmes, recourir à de pareils commerces, si grande que soit leur douleur de n’avoir pas d’enfants. Car ils entendraient, à leur tour, ces paroles : « Leur ver ne mourra point, leur feu ne s’éteindra point ». (Mrc 9,45) En effet, ces choses-là, aujourd’hui, ne sont plus permises ; mais alors la défense n’existait pas. Et voilà pourquoi son épouse lui donna ce conseil ; et il lui obéit, et il ne fit rien pour le plaisir. Mais voyez donc, me dira-t-on, comment sur l’ordre de Sara il chassa la servante. C’est justement ce que je veux vous montrer : en toutes choses, il lui obéissait, et elle, à lui. 7. D’ailleurs, ne faites pas seulement attention à ce renvoi, ô femmes, mais considérez donc, puisque vous en parlez, quels outrages la servante faisait à sa maîtresse, avec quelle insolence elle s’élevait contre elle, et que peut-il y avoir de plus insupportable, pour une femme libre et honnête ? Il ne faut pas que la femme attende la vertu de son mari ; pour faire paraître la sienne ; il n’y aurait rien de grand dans cette conduite. Le mari ne doit pas non plus attendre la sagesse de sa femme pour montrer qu’il est sage ; il n’y aurait rien de raisonnable dans cette conduite, mais chacun d’eux, comme je l’ai dit, doit faire ce qui le regarde. Si, en effet, vous devez, aux étrangers qui vous frappent la joue droite, présenter la joue gauche, à bien plus forte raison convient-il qu’une femme supporte la brutalité de son mari. Je ne dis pas, pour cela, que les maris doivent battre leurs femmes, c’est là la dernière ignominie, non pour celle qui est frappée, mais pour celui qui la frappe. Mais si,-par hasard, ô femme, tu as en partage un époux de ce genre, résigne-toi, dans la pensée de la récompense qui t’est réservée, et de l’estime qui t’accompagne en cette vie.- Et maintenant, ô mari, voici ce que je vous dis : Il ne doit jamais y avoir pour vous de faute qui vous force à frapper votre épouse. Et que dis-je, votre épouse ? Frapper une servante, lever la main sur elle, cela n’est pas supportable, de la part d’un homme libre. Si c’est une grande honte pour un homme que de frapper une servante, à bien plus forte raison, de lever la main sur une femme libre. C’est ce que l’on peut voir dans les législateurs du monde : la femme qui a souffert un pareil traitement, n’est pas forcée d’habiter avec celui qui la frappe, qui est indigne de partager son sort. Et, en effet, c’est de la dernière iniquité que de faire subir à la compagne de sa vie, qui depuis longtemps vous sert dans les nécessités de l’existence, l’infâme traitement des esclaves. Aussi je dirai qu’un tel homme, si toutefois le nom d’homme lui convient, s’il ne faut pas l’appeler une bête sauvage, ressemble an meurtrier d’un père ou d’une mère ; car si la loi nous dit d’abandonner, pour notre femme, et notre père et notre mère, sans faire injure à nos parents, mais en accomplissant la loi divine, tellement chère à ses parents mêmes, que ceux qu’on abandonne, consentent à être abandonnés, trouvent dans cet abandon l’accomplissement de leur vif désir ; qui ne voit que c’est être en démence que de faire affront à la femme, pour qui Dieu nous a ordonné d’abandonner nos parents ? En démence, est-ce assez dire ? Qui pourrait supporter ce déshonneur et cette ignominie ? Quel discours pourrait l’exprimer ? Ce sont des hurlements, des gémissements qui retentissent dans les carrefours ; et c’est un concours de tout le peuple, dans la maison de l’homme qui se conduit d’une manière si honteuse ; et voisins et passants s’y précipitent, comme si une bête féroce abîmait tout, détruisait tout dans l’intérieur. Mieux vaudrait pour ce furieux d’être englouti dans (les entrailles de) la terre, que de se représenter ensuite en public. Mais la femme est acariâtre, dira-t-on ; mais réfléchissez donc que c’est une femme, quelque chose de fragile, et que vous êtes un homme. Et si vous avez été établi pour être son chef, si vous êtes, comme sa tête, c’est afin de supporter la faiblesse de celle qui vous doit l’obéissance ; faites donc en sorte que votre empire soit glorieux, et, pour qu’il soit glorieux, il ne faut pas que vous déshonoriez celle à qui vous commandez. Et de même que le roi a d’autant plus de gloire qu’il revêt de plus de gloire celui qui commande sous lui ; si, au contraire ; il déshonore, s’il flétrit l’homme puissant, il diminue également sa propre gloire de souverain ; de même vous, en déshonorant celle qui commande après vous, vous portez une atteinte non légère à l’honneur de votre principauté. Donc, pénétrés de toutes ces vérités, conduisez-vous avec tempérance, et joignez à ces pensées le souvenir de ce beau soir où le père vous a fait venir, vous a confié sa fille comme un dépôt, la séparant de tout le reste, et de sa mère, et de lui-même et de toute la famille, pour vous la remettre à vous seul, quand votre main a touché sa main ; pensez qu’après Dieu, c’est elle qui vous adonné des enfants, qui vous a rendu père ; soyez donc, par ces raisons, plein de douceur pour elle. 8. Une fois que la terre a reçu les semences, ne voyez-vous pas la culture variée dont l’embellissent les gens de la campagne, quelque difficultés que cette terre leur oppose, quelle que soit son aridité, quoiqu’elle produise de mauvaises plantes ; quoiqu’elle soit dans une position à être inondée par les pluies ? Faites de même : impossible autrement de récolter les fruits ni d’avoir la tranquillité. Une femme, c’est un port ; c’est le remède souverain qui procure la joie. Abritez-le donc, votre port, contre les vents, contre les flots, et vous aurez la paix en revenant du dehors ; si, au contraire, vous y versez les troubles et l’agitation, vous ne faites que vous préparer un lugubre naufrage. Il ne faut pas qu’il en soit ainsi ; faites ce que je vous dis : s’il arrive quelque chose de fâcheux, dans la maison, par la faute de votre femme, consolez-la, n’augmentez pas les chagrins. Car eussiez-vous tout perdu, rien de plus triste que de n’avoir pas une femme qui vive en paix avec vous : et quoi que vous ayez à lui reprocher, rien de plus affligeant que de disputer avec elle. Donc, pour toutes ces raisons, conservez l’amour pour elle comme votre bien le plus précieux. Si nous devons nous supporter mutuellement, à bien plus forte raison, faut-il supporter une épouse ; si elle est pauvre, ne lui reprochez pas sa pauvreté ; si elle a peu d’esprit, ne l’insultez pas ; faites mieux, gouvernez-la ; c’est votre membre, et vous n’êtes tous deux qu’une seule et même chair. Mais c’est une femme bavarde, et adonnée au vin, et qui se met en colère. Eh bien, soyez triste, mais pas d’emportement ; il faut prier Dieu, avertir cette femme, la redresser par vos conseils, et tout faire pour extirper ses vices. Mais la battre, mais la meurtrir, ce n’est pas soigner sa maladie ; la brutalité se corrige par la douceur, non par une autre brutalité. Considérez aussi la récompense que Dieu vous réserve. Quand vous pourriez l’exterminer, cette femme, n’en faites rien, craignez Dieu, supportez tant et tant de défauts, redoutez la loi qui défend de chasser une femme ; quel que soit le mal qui la travaille, c’est une ineffable récompense que vous recevrez, et, avant ces récompenses, vous y gagnerez les biens les plus enviables ici-bas, vous l’aurez rendue plus soumise, et vous serez devenu plus clément pour elle. On rapporte d’un philosophe païen qu’il avait une méchante femme, et bavarde, et adonnée au vin ; on lui demandait comment il pouvait y tenir : c’est une école, répondait-il, une palestre de philosophie, que j’ai à la maison. Je n’en serai que plus doux avec les personnes du dehors, disait-il, vu l’exercice quotidien qu’elle me fait faire. Vous poussez de grands cris ? Eh bien, moi, je pousse un grand gémissement, à voir que des païens sont plus sages que nous, que nous qui avons l’ordre d’imiter les anges, je me trompe, qui avons l’ordre de rivaliser avec Dieu même pour la douceur et la bonté. Donc ce sage, dit-on, pour cette raison, ne chassa pas cette méchante femme ; quelques-uns même prétendent que ce fut pour cette raison qu’il l’épousa. Quant à moi, vu le grand nombre d’hommes peu susceptibles de raison, je vous conseille de tout faire d’abord, de ne rien négliger pour que les femmes que vous prendrez, soient bien assorties et remplies de toute espèce de vertu : mais s’il vous arrivait de vous tromper, d’introduire une méchante femme, une femme insupportable dans votre maison, je dis qu’alors vous devriez au moins imiter ce sage, et sans maltraiter cette femme, tâcher de la corriger de ses imperfections. Le marchand fait un traité avec son associé, prend toutes ses précautions, pour assurer le bon accord, avant de lancer son vaisseau à la, mer, et il ne se préoccupe d’aucune autre affaire. Eh bien, nous aussi, prenons toutes nos précautions pour que l’associé de notre vie se tienne en paix avec nous pendant toute la durée de la traversée. Voilà comment nous serons sûrs d’avoir, pour tout le reste, la tranquillité ; voilà comment nous traverserons en toute sécurité la mer de la vie présente. Ce qu’il faut préférer à tous les biens, maisons, esclaves, trésors, domaines, fonctions politiques. Regardons comme le bien le plus précieux, que celle qui demeure avec nous, dans la même habitation que nous, ne soit pas en désaccord, en dispute avec nous. Si nous possédons ce bien, tous les autres couleront sur nous d’eux-mêmes, et nous jouirons de l’abondance des biens spirituels, douce récompense de notre concorde sous le même joug ; nous ferons comme il faut tout ce qu’il convient de faire, et nous obtiendrons les biens qui nous sont réservés : puissions-nous tous entrer dans ce partage, par la grâce et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient, comme au Père, comme au Saint-Esprit, la gloire, la puissance, l’honneur, et maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il. HOMÉLIE XXVII.
MAIS JE NE PUIS VOUS LOUER EN CE QUE JE VAIS VOUS DIRE, À SAVOIR : QUE VOUS VOUS CONDUISEZ DE TELLE SORTE, DANS VOS ASSEMBLÉES, QU’ELLES VOUS NUISENT, AU LIEU DE VOUS SERVIR. (CHAP. 11, VERS. 17, JUSQU’AU VERS. 27) ANALYSE.
- 1. De la nécessité de s’éprouver soi-même avant de manger le pain de vie et de boire le calice du Seigneur.
- 2. Pourquoi les pécheurs ne sont pas tous présentement punis. – Les fidèles, assemblés pour manger, doivent s’attendre les uns les autres.
- 3-5. Contre l’excès de la douleur dans le deuil. – Développement curieux, à l’adresse des femmes. – En opposition, la sublime résignation de Job au sein des plus cruelles douleurs.
1. Que signifient ces paroles, quand le sujet proposé est tout autre ? C’est l’habitude de Paul, je l’ai déjà dit, non seulement de traiter le sujet qu’il s’est proposé, mais, s’il se présente incidemment quelqu’autre pensée, de la suivre avec une grande ardeur, surtout quand il s’agit de choses tout à fait nécessaires, urgentes. En effet, quand il s’agissait des personnes mariées, et qu’il se trouva à parler des serviteurs, il traita cette question incidente avec une grande force et beaucoup de développements. Et, quand il s’étendait sur cette vérité, que l’on ne doit pas disputer en justice, l’occasion se présentant d’adresser à l’avarice des exhortations, il développa ses pensées sur ce point. C’est ce qu’il fait encore en ce moment. Une fois qu’il s’est vu engagé à parler des mystères, il a jugé qu’il était nécessaire de traiter à fond cette question à cause de son importance, et, de là, ces exhortations, faites pour inspirer la terreur, et ce discours qui prouve que le premier des biens c’est de s’approcher de la table sainte avec une conscience pure. Il ne lui suffit plus de ce qu’il avait dit auparavant, il ajoute : « Que l’homme donc s’éprouve soi-même » ; c’est ce qu’il dit aussi, dans la seconde épître : « Sondez-vous vous-mêmes, éprouvez-vous vous-mêmes ». Ce n’est pas ce que nous faisons aujourd’hui, où ce qui nous détermine, c’est plutôt la circonstance de temps, que l’ardeur de notre volonté. En effet, nous ne nous appliquons pas à nous préparer, à nous purifier, à nous pénétrer de componction, avant de nous approcher, mais nous venons parce que c’est un jour de fête, et parte que tous en font autant. Mais ce n’est pas là ce que conseillait Paul ; il ne reconnaît qu’un temps où il convienne de s’approcher, de communier ; c’est lorsque notre conscience est pure. Si jamais nous ne prenons notre part des tables de ce monde, lorsque nous avons la fièvre ou que nous sommes travaillés par nos humeurs ; si nous nous abstenons par raison de santé, à bien plus forte raison, devons-nous nous abstenir de cette table auguste, quand nous sommes travaillés par nos mauvais désirs, plus funestes que toutes les fièvres. J’entends par mauvais désirs, les passions du corps, les désirs d’argent, les colères, les rancunes, en un mot toutes les passions dépravées et désordonnées. Il faut dépouiller tout cela, quand on s’approche des mystères, quand on veut participer à ce sacrifice si pur ; il ne suffit pas d’une volonté indolente, de dispositions misérables, de cette considération que c’est un jour de fête, et de venir forcément ; il ne faut pas, non plus, que la componction d’une âme bien préparée s’abstienne parce que l’on n’est pas dans un jour de fête. Ce qui constitue la fête, c’est l’abondance des bonnes œuvres ; c’est la piété, c’est l’application à tous ses devoirs ; réunissez ces conditions, vous pourrez célébrer une fête perpétuelle, et vous approcher toujours ; de là, ce que dit l’apôtre : « Que chacun s’éprouve soi-même, avant d’approcher ». Et le précepte qu’il donne, ce n’est pas que l’un éprouve l’autre, mais que chacun s’éprouve soi-même. Il s’agit d’un jugement non public ; d’un examen sans témoin. « Car quiconque en mange et en boit indignement, mange et boit le jugement du Seigneur (29) ». Que dites-vous, je vous en prie ? Cette table, cause de tant de biens, et qui nous verse la vie, devient elle-même notre jugement ? Ce n’est pas, dit l’apôtre, en vertu de sa nature propre, mais de la volonté de celui qui s’en approche. En effet, de même que la présence de cette table, qui nous procure de grands et ineffables biens, ne fait que condamner davantage ceux qui ne les reçoivent pas, ainsi ces mystères ne servent qu’à assurer un plus terrible supplice à ceux qui y participent indignement. Mais pourquoi mange-t-il son jugement ? « Ne faisant point le discernement du corps du Seigneur » ; c’est-à-dire, n’examinant pas, ne considérant pas, comme il faudrait le faire, la grandeur des biens qui nous sont proposés, et l’excellence du don. Si vous appliquez tous vos soins à comprendre quel est celui qui se livre, et àqui il se livre ; vous n’aurez pas besoin d’une autre raison. Cette réflexion vous suffira pour vous tenir en éveil, à moins que vous ne soyez tombés dans une léthargie bien profonde. « C’est pour cette raison qu’il y a parmi vous beaucoup de malades et de languissants, et que plusieurs dorment du sommeil de la mort (30) ». Ici, l’apôtre n’emprunte plus des exemples étrangers, comme il l’a fait au sujet des viandes consacrées aux idoles. On l’a entendu alors raconter les vieilles histoires, les plaies infligées dans la solitude. Il prend ses exemples chez les Corinthiens eux-mêmes ; ce qui donnait plus de force à son discours. Après avoir dit : « Mange son jugement et se rend coupable », ne voulant pas paraître produire uniquement des paroles, il y joint des faits ; il prend les Corinthiens eux-mêmes à témoin, et, argument plus vif et plus pénétrant que les menaces, il montre que les menaces sont devenues des réalités. Et il ne se borne pas à ce spectacle, il parle aussitôt de l’enfer, et il le prouve, et il inspire une double terreur, et il résout une question dont on s’occupait partout. Le peuple se demande, en effet, d’où viennent les morts prématurées, d’où viennent les maladies interminables ; l’apôtre répond que tant de coups imprévus ont pour cause le péché. 2. Quoi donc, me direz-vous, ceux qui se portent toujours bien, et qui parviennent à une vieillesse vigoureuse, ne sont-ils pas, eux aussi, des pécheurs ? Qui soutiendrait le contraire ? Eh bien donc, me direz-vous, pourquoi ne sont-ils pas punis ? parce qu’ils le seront plus tard, d’une manière plus terrible. Quant à nous, si nous le voulons, ni sur cette terre, ni ailleurs, nous ne serons punis. « En effet, si nous nous jugions nous-mêmes, nous ne serions pas jugés de Dieu (31) ». L’apôtre ne dit pas, si nous nous corrigions nous-mêmes, si nous nous imposions un châtiment, il se borne à dire : Si nous voulions reconnaître nos péchés, si nous voulions nous-mêmes réprouver nos mauvaises actions, nous serions affranchis et du supplice présent et du supplice à venir. Car celui qui se condamne lui-même, apaise Dieu à double titre : et parce qu’il reconnaît ses péchés, et parce que dans la suite il est moins prompt à en commettre d’autres. Eh bien, quoique nous ne nous soumettions pas même à cette légère obligation, le Seigneur, même malgré notre négligence, ne veut pas nous envelopper dans le châtiment universel ; il nous fait grâce en nous punissant, ici-bas, sur cette terre, où le supplice est momentané, et renferme une grande consolation. Car c’est, à la fois, l’affranchissement du péché, et le doux espoir du bonheur à venir, si bien fait pour adoucir les épreuves du temps présent. Voilà ce que dit l’apôtre pour consoler les infirmes, et pour ranimer, en même temps, le zèle des autres. De là, ses paroles : « Mais lorsque nous sommes jugés de la sorte, c’est le Seigneur qui nous reprend (32) ». L’apôtre ne dit pas : Qui nous châtie ; il ne dit pas : Qui nous livre au supplice, mais : « Qui nous reprend », ce qui ressemble bien plus à un avertissement qu’à une condamnation ; à un remède qu’à un supplice ; à une correction qu’à un châtiment. Et l’apôtre ne se contente pas de ces paroles ; mais, en montrant la peine plus terrible dont nous sommes menacés, il nous rend plus légère encore la peine présente : « Afin que nous ne soyons pas condamnés avec le monde ». Voyez-vous comme il nous fait voir et la géhenne, et ce tribunal horrible, et la nécessité de l’enquête, de la punition à venir ; car si les fidèles, si ceux dont le Seigneur prend soin ne doivent pas obtenir l’impunité de leurs fautes, comme le prouvent les douleurs présentes, à bien plus forte raison les infidèles et ceux qui commettent de grands crimes et dont la conscience est incurable. « C’est pourquoi, mes frères, quand vous vous assemblez pour manger, attendez-vous les uns les autres (33) ». Il profite de la crainte encore vive de l’enfer, du tremblement qu’elle leur cause, pour les avertir une seconde fois de ce qu’ils doivent aux pauvres. Voilà pourquoi il a fait tout ce discours, il a voulu leur montrer que le mépris pour les pauvres, les rend indignes de la communion ; que si le refus de répandre largement l’aumône suffit pour écarter de cette table, à bien plus forte raison le vol et le rapt. Et l’apôtre ne dit pas C’est pourquoi lorsque vous vous rassemblez, donnez aux indigents ; mais, ce qui était plus délicat. « Attendez-vous les uns les autres ». Ce conseil en effet préparait, renfermait l’autre, rendait l’avertissement plus convenable. L’apôtre se remet ensuite à les confondre : « Si quelqu’un est pressé de manger, qu’il mange chez lui (34) ». Cette permission était plus éloquente pour retenir qu’une défense formelle ; cette manière d’exclure de l’Église, de renvoyer le coupable chez lui ; est un moyen adroit pour lui infliger une vigoureuse réprimande, et de le ridiculiser comme un esclave de son ventre, qui ne saurait attendre pour manger. L’apôtre ne dit pas : Si quelqu’un méprise les pauvres, mais : Si quelqu’un est pressé de manger. Il a l’air de s’adresser à des enfants qui ne savent pas endurer la faim, à des brutes esclaves de leur ventre ; c’eût été chose absolument ridicule que le pressant désir de manger les eût retenus chez eux. L’apôtre y joint encore une réflexion terrible : « Afin que vous ne vous assembliez pas pour votre condamnation ». Afin que vous ne vous exposiez pas au châtiment, au supplice, en insultant l’Église, en faisant rougir votre frère. Si vous vous rassemblez, dit-il, c’est pour vous prouver une affection mutuelle, pour recevoir et vous prêter assistance. Si le contraire doit arriver, mieux vaudrait manger chez vous. Ce qu’il ne disait que pour mieux les attirer. Voilà pourquoi il montre le grand tort qu’ils se font et la gravité de leur faute ; par tous les moyens il les effraye, par les mystères, par les maladies, par les morts, par tout ce qui a été dit précédemment. Ensuite, il les effraye encore d’une autre manière. Il leur dit : « Je réglerai les autres choses lorsque je serai venu ». Saint Paul parle ici ou de ce qu’il vient de marquer, ou de quelque autre chose. Il est vraisemblable qu’ils lui avaient soumis d’autres questions, et que l’apôtre n’avait pas pu faire entrer toutes les décisions dans sa lettre. Observez en attendant, dit-il, les avis que je vous ai donnés ; maintenant si vous avez quelqu’autre chose à me dire, réservez-le pour mon arrivée. Il entend par là, comme je l’ai dit, ou la question présente ou quelques autres qui ne pressaient pas autant. Or, ce qu’il fait ici, c’est pour les rendre plus appliqués, attendu que l’inquiétude où ils seraient de son arrivée les porterait à s’amender. En effet, ce n’était pas un petit événement que l’arrivée de Paul, ce qu’il indiquait en ces mots : « Je vous irai voir et je reconnaîtrai quels sont les effets de ceux qui sont « enflés de vanité » ; et encore : « Comme si je ne devais pas aller vous trouver, il y en a parmi vous qui s’enflent de présomption », (1Co 4,18) Et dans un autre passage encore. « Comme vous avez toujours été obéissants, ayez soin, non seulement lorsque je « suis présent, mais encore plus en mon ab« sente, d’opérer votre salut avec crainte et a tremblement ». (Phi 2,12) Il ne promet donc pas de les aller voir uniquement pour affermir leur foi et prévenir leur relâchement, mais il leur marque même une raison pour laquelle il doit nécessairement les aller voir « Je réglerai les autres choses lorsque je serai venu ». Il montre que la nécessité de corriger d’autres désordres, quoique moins pressante ; suffira pour l’attirer auprès d’eux. 3. Puis donc qu’il nous est donné d’entendre toutes ces paroles, prenons grand soin des pauvres, réprimons notre ventre, affranchissons-nous de l’ivresse, appliquons-nous à nous rendre dignes de la participation aux mystères. Tout ce que nous avons à souffrir supportons-le avec résignation et en nous-mêmes et dans les autres : ainsi les morts prématurées, ainsi les maladies interminables. Car c’est ce qui nous affranchit du supplice, c’est ce qui nous corrige, c’est ce qui nous donne le meilleur des avertissements. Qui tient ce langage ? celui qui portait le Christ parlant dans son cœur. Et pourtant même après ces paroles, nombre de femmes ont été assez dépourvues de sens pour surpasser par l’excès de leur deuil même les infidèles. Les unes s’ensevelissent dans leur douleur comme dans des ténèbres ; les autres s’y abandonnent par ostentation pour éviter les accusations du monde ; je dis que celles-ci n’ont pour elles aucune excuse. Afin qu’un tel ne m’accuse pas, disent ces femmes, eh bien que Dieu m’accuse ; afin que des hommes plus insensés que des brutes ne nous condamnent pas, foulons aux pieds la loi du roi de l’univers. Quelle foudre n’attirerait pas un tel délire ? Si après ton deuil on t’appelle à un repas, nul n’y trouvera à redire parce que la loi humaine trouve cette conduite dans l’ordre ; et quand Dieu commande de ne pas pleurer, tous contredisent la loi. Ne penses-tu pas à Job, ô femme, oublies-tu les paroles qu’il fit entendre, au jour désastreux où il perdit ses fils, paroles admirables qui ont décoré sa tête sacrée (le milliers de couronnes, qui ont publié sa gloire avec plus de retentissement que mille trompettes ; ne penses-tu pas à la grandeur d’une telle infortune, à ce naufrage inouï, à cette tragédie étrange, étonnante. Tu n’as perdu, toi, qu’un fils ou un second ou un troisième, mais lui tant de fils à la fois et tant de filles ; et celui qui avait tant d’enfants, le voilà tout à coup sans enfants, et ces entrailles ne furent pas peu à peu déchirées, mais tout à coup tout le fruit de ses entrailles en était arraché ; et cela non pas par la commune loi de la nature, non pas parce qu’ils étaient parvenus à la vieillesse, mais par une mort prématurée, violente, frappant tous ses enfants à la fois ; et cela non pas en sa présence, près de lui, de telle sorte qu’en recueillant leur dernière parole, il pût avoir au moins quelque consolation de leur mort si cruelle. Ils meurent contre toute attente, dans la complète ignorance pour lui de ce qui arrive ; et tous à la fois sont engloutis, et cette maison fut en même temps leur tombe et leur piège : mort non seulement prématurée, mais escortée de mille sujets de douleur : tous dans la fleur de la jeunesse, tous doués de vertu, tous aimables, tous à la même heure, et de l’un ou de l’autre sexe, pas un survivant ; et ils ne mouraient pas par une nécessité commune à tous les hommes ; et ils lui étaient enlevés après la perte de tous ses biens, et c’était sans qu’il se sentît coupable d’aucun crime, ni lui, ni ses enfants, qu’il souffrait tous ces maux. Un seul de ces coups suffisait à bouleverser l’âme ; quand ils fondent tous ensemble sur une tête, mesurez, calculez la violence des flots, la fureur de la tempête. Et, douleur plus amère, cause de deuil plus cruelle que le deuil même, pourquoi était-il frappé, Job ne pouvait le comprendre. Aussi, dans son impuissance d’expliquer ce désastre, il s’en réfère à la volonté de Dieu : « Le Seigneur m’a donné, le Seigneur m’a ôté, il n’est arrivé que ce qui a plu au Seigneur ; que le nom du Seigneur soit béni dans les siècles des siècles ». (Job 1,21) Et quand il prononçait ces paroles, il se voyait dans la dernière des misères, lui qui avait pratiqué toutes les vertus, et des scélérats, des imposteurs, il les voyait heureux, vivant dans les délices, comblés de toutes les prospérités. Et il ne fit entendre aucun de ces discours que débitent certains hommes sans énergie est-ce donc pour cela que j’ai nourri mes enfants, que je les ai entourés de tant de soins ? est-ce donc pour cela que j’ai ouvert ma maison aux voyageurs ? après tant de courses pour les indigents, pour ceux qui étaient nus, pour les orphelins, voilà donc mon salaire ! Au lieu de ces paroles, il prononça ce qui a plus de prix que tout sacrifice : « Je suis sorti nu du ventre de ma mère, et je m’en retournerai nu ». Que s’il a déchiré ses vêtements, rasé sa chevelure, ne vous en étonnez pas ; c’était un père, un père qui aimait ses enfants, et il était bon que l’on pût voir sa tendresse naturelle et en même temps la sagesse qui le gouvernait. S’il n’eût rien fait pour exprimer sa douleur, on aurait pu attribuer sa sagesse à l’insensibilité, voilà pourquoi il montre et ce qu’il a d’entrailles et la sincérité de sa piété ; il souffre, mais il n’est pas renversé. La lutte se poursuit et il acquiert encore d’autres couronnes pour sa réponse à son épouse : « Si nous avons reçu les biens de la main du Seigneur, n’en recevrons-nous pas aussi les maux ? » (Job 2,10) Il ne lui restait plus que sa femme ; tout s’était évanoui pour lui, ses enfants, ses trésors, jusqu’à son corps ; et sa femme ne lui était laissée que pour le tenter, pour lui tendre des pièges. Voilà pourquoi le démon ne la lui enleva pas avec ses enfants ; voilà pourquoi il ne demanda pas sa mort, sa mort violente ; il attendait de cette femme de grands secours dans ses attaques contre ce saint personnage. Aussi le démon se la réserva comme l’arme la plus puissante à employer contre lui. Le démon se dit : Si j’ai par le moyen de la femme chassé l’homme du paradis, à bien plus forte raison pourrai-je avec son secours accabler l’homme sur son fumier. 4. Et voyez l’habileté du démon ; ce n’est pas après la perte des bœufs qu’il emploie cette machine, ni après celle des ânes ou des chameaux, ni quand la maison a été renversée, ni après que les enfants ont été ensevelis sous ses ruines : il laisse quelque temps l’athlète respirer ; mais quand les vers pullulent, quand la peau tombe de toutes parts en putréfaction, quand les chairs consumées répandent l’infection, lorsqu’un feu plus ardent que tous les grils, que toutes les fournaises ; lorsque la main même du démon torturait le patient, quand cette bête plus féroce que les plus féroces le déchirait et le dévorait, après tout le temps dépensé à composer cet horrible malheur ; c’est alors qu’il amène cette femme auprès de l’infortuné desséché, épuisé. En effet, s’il se fût servi d’elle au commencement du désastre, elle ne l’aurait pas trouvé affaibli comme il l’était, elle n’aurait pu par ses discours exagérer, amplifier le malheur ; mais c’est quand elle le voit après un si long temps altéré de délivrance, appelant à grands cris la fin de ses maux, c’est alors qu’elle s’approche vivement de lui. Il était accablé, brisé ; il ne pouvait plus respirer ; il désirait mourir. Écoutez ses paroles : [Si je pouvais me donner la mort ou la demander à un autre, je le ferais ▼▼Ces paroles de Job qui témoignent de son désespoir, ne se rencontrent pas dans les exemplaires que nous possédons actuellement. Elles sont néanmoins susceptibles d’une interprétation adoucie et conforme au vrai et au bien. Si je pouvais peut s’entendre dans le sens de s’il m’était permis, si je pouvais sans pécher.
.] Voyez maintenant la malignité de la femme. Remarquez ses premières paroles, la pensée qui les lui inspire, c’est la longueur de la souffrance ; elle dit : « Jusques à quand supporterez-vous ? » (Job 2, 9) Réfléchissez ; souvent même, dans des épreuves sans importance, de simples paroles amollissent les courages. Considérez ce que dut éprouver ce malheureux, que torturaient et ce discours et des souffrances trop réelles. Et ce qu’il y avait de plus affreux, c’est que ces paroles venaient de son épouse, d’une épouse qui était tombée avec lui et qui désespérait, et qui voulait pour cette raison le précipiter lui-même dans le désespoir. Voulons-nous d’ailleurs bien voir cette machine du démon approcher contre ce mur de diamant, écoutons les paroles mêmes. Quelles sont-elles ? « Jusques à quand supporterez-vous en disant : encore un peu de temps, j’espère être sauvé ? » Vos paroles, lui dit-elle, sont réfutées par le temps, qui s’allonge et ne montre aucune délivrance. Or ce que disait cette femme, ce n’était pas seulement pour le jeter, lui, dans le désespoir, c’était un reproche et une raillerie ; car pendant qu’elle le troublait, il la consolait, il corrigeait ses paroles, il lui disait : attendez encore un peu de temps et bientôt viendra la fin de ces épreuves. Elle lui fait donc des reproches en lui disant : persisterez-vous encore maintenant à faire entendre les mêmes paroles ? Voilà déjà bien du temps de passé et nous ne voyons nullement la fin de ces maux. Et considérez la méchanceté : elle ne lui parle pas de ses bœufs, de ses brebis, de ses chameaux, elle savait bien que ce n’était pas là ce qui le tourmentait le plus ; mais elle s’attaque tout de suite à sa tendresse naturelle en lui parlant de ses enfants. Elle l’avait vu au moment de cette perte déchirer ses vêtements, raser sa chevelure, et elle ne lui dit pas : vos enfants sont morts, mais de manière à émouvoir profondément la pitié : « Votre souvenir est détruit sur la terre », parce que c’est là ce qui donne tant de prix aux enfants. En effet, si même de nos jours, malgré la foi en la résurrection à venir, ce qui donne du prix aux enfants, c’est qu’ils conservent le souvenir de ceux qui ne sont plus, c’était encore bien plus vrai alors. Voilà ce qui rend la malédiction plus amère ; dans l’imprécation on ne dit pas : que ses fils soient exterminés, mais : « Que sa mémoire périsse de dessus la terre » (Job 18,17) ; ce qui veut dire : les fils et les filles. En effet, après avoir parlé de mémoire, elle distingue avec soin les deux sexes : Si ces choses ne vous touchent pas, regardez-moi au moins, pensez et « aux douleurs de mes entrailles, douleurs souffertes inutilement » ; ce qui revient à dire : C’est moi qui ai souffert la plus grande douleur ; j’ai été humiliée à cause de vous, j’ai subi les souffrances et j’en ai perdu tous les fruits. Et voyez, elle ne parle pas des pertes d’argent, elle ne garde pas non plus le silence, elle ne l’effleure pas en courant, mais elle y touche d’une manière émouvante, elle l’indique par ces mots : « Et moi vagabonde, esclave, de lieu en lieu, de maison en maison, courant partout ». C’est ainsi qu’elle indique la perte et d’une manière tout à fait lamentable, car ces paroles mêmes grossissent le malheur : Je vais, dit-elle, aux portes des autres ; et non seulement je mendie, mais encore je suis errante, je subis une servitude inattendue, nouvelle, allant de côté et d’autres partout, promenant partout les signes de mon malheur, montrant à tous les maux qui m’ont frappée ; et ce qu’il y a de plus lamentable, c’est le perpétuel changement de demeure. Et ces lamentations ne s’arrêtent pas là, elle ajoute : « Attendant le coucher du soleil, je me reposerai des travaux et des douleurs qui m’entourent et me retiennent captive ». Ce qui est un charme pour les autres, l’aspect de la lumière, est un fardeau pour moi ; je désire la nuit et les ténèbres ; elles me donnent le repos après mes sueurs ; elles sont dans mes malheurs ma seule consolation. « Mais maudissez le Seigneur et mourez ». 5. Remarquez-vous ici encore la malignité elle n’introduit pas tout de suite dans le conseil qu’elle lui donne cette funeste exhortation ; elle commence par un récit lamentable de toutes ses douleurs, elle développe la tragédie, quelques paroles lui suffisent pour l’exhortation. Et elle ne s’exprime pas clairement ; elle l’insinue, elle lui propose ce qu’il y a de plus désirable, la délivrance, elle lui parle de la mort qui était le plus cher de ses vœux. Et concluez encore de là la perfide habileté du démon ; il connaissait l’amour de lob pour Dieu ; il ne laisse pas la femme accuser Dieu de peur que Job ne l’écarte tout de suite loin de lui comme une ennemie. Aussi n’en parle-t-elle nulle part, mais elle présente le tableau confus de tout ce qui est arrivé. Quant à vous maintenant, outre tout ce qui a été dit, ajoutez que l’auteur de ce conseil, c’était une femme, orateur entraînant, pour séduire ceux qui ne sont pas sur leurs gardes. Nombre de gens, certes, sans même être frappés par les malheurs, sont tombés par le seul conseil des femmes. Que fait donc ce bienheureux Job plus fort que le diamant ? Il lui suffit de jeter sur elle un regard sévère et à première vue, avant de faire entendre sa voix, il a renversé les machines de Satan. Cette femme s’attendait à voir jaillir des sources de larmes, mais Job plus fougueux qu’un lion, se montra plein de colère et d’indignation non à cause de ses souffrances, mais à cause des conseils, inspirés du démon, que sa femme lui transmettait. Il lui suffit de sa manière de la regarder pour montrer son indignation, et il la réprimande avec mesure. En effet, même au sein du malheur il gardait la modération. Que lui dit-il ? « Vous avez parlé comme une femme qui n’a point de sens ». (Job 2,10) Ce n’est pas là, dit-il, ce que je vous ai enseigné, ce n’est pas là ce que je vous ai appris ; je ne vous reconnais pas pour ma compagne ; ces discours dénotent une femme insensée, ce conseil tient du délire. Comprenez-vous cette manière de trancher dans le mal avec mesure, cette cure suffisante pour la guérison ? Après la réprimande, il apporte le conseil qui peut la consoler, et il prononce ces paroles si raisonnables : « Si nous avons reçu les biens de la main du Seigneur, n’en recevrons-nous pas aussi les maux ? » Ressouvenez-vous, lui dit-il, de ces premiers biens, méditez en vous-même sur celui qui vous les a faits, et vous supporterez avec courage l’épreuve présente. Avez-vous compris cette modération ? Ce n’est pas à son courage que Job attribue sa patience ; il la montre comme une conséquence de la nature des choses. En effet, pour quelle rémunération de notre part Dieu nous a-t-il donné ces biens ? En récompense de quoi ? En récompense de rien, par un effet de sa seule bonté. C’était un don et non une rétribution ; c’était une faveur et non une rémunération. Supportons donc avec force nos malheurs ; gravons cette parole dans nos cœurs, hommes et femmes gravons ces pensées dans notre âme, et, avec ces pensées, les pensées qui précèdent. Fixons l’histoire de ces malheurs, comme un tableau dans notre imagination ; je dis : perte d’argent, fils frappés de mort, plaies du corps, opprobres, dérisions, artifices d’une femme, pièges du démon, en un mot, toutes les douleurs de ce juste. Que ce soit pour nous comme un port préparé où nous chercherons un refuge, qui nous enseigne à tout supporter avec courage, en rendant à Dieu des actions de grâces, afin de passer la vie présente affranchie de toute tristesse ; afin de mériter la récompense réservée à qui bénit Dieu, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient, comme l’empire, l’honneur, maintenant et toujours, au Père, comme au Saint-Esprit, la gloire, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.