1 Corinthians 12
HOMÉLIE XXIX.
POUR CE QUI EST DES DONS SPIRITUELS, MES FRÈRES, JE NE VEUX PAS, QUE VOUS IGNORIEZ CE QUE VOUS DEVEZ SAVOIR. VOUS VOUS SOUVENEZ BIEN QU’ÉTANT PAÏENS, VOUS VOUS LAISSIEZ. ENTRAÎNER SELON QU’ON VOUS MENAIT VERS LES IDOLES MUETTES. (CHAP. 12, VERS. 12)
ANALYSE.
- 1. Sur la diversité des dons du Saint-Esprit. – Rivalité entre les chrétiens, à ce sujet. – Contre l’orgueil, d’une part, l’envie, de l’autre. – Différence entre les prophètes inspirés de Dieu et les devoirs du paganisme ; manière de les reconnaître.
- 2. Quelle que soit la diversité des dons, ils viennent tous d’un seul et même esprit.
- 3. Explication de chacun de ces dons différents.
- 4 et 5. De l’Esprit, égal au Père et au Fils, agissant de lui-même, sans être mis en mouvement par une cause étrangère à lui. – Il ne faut pas critiquer la distribution que Dieu fait de tous les biens.
- 6. Vanité des richesses. – Exhortation à les mépriser.
1. Tout ce passage est fort obscur ; l’obscurité tient à l’ignorance où nous sommes des prodiges qu’on voyait alors, et qui n’arrivent plus aujourd’hui. Et pourquoi n’arrivent-ils plus aujourd’hui ? Voici que le besoin d’expliquer l’obscurité nous suggère une question nouvelle. Pourquoi ce qui arrivait alors, ne se présente-t-il plus aujourd’hui ? Remettons à un autre jour la dernière partie de la question. En attendant, disons ce qui se passait autrefois. Donc, autrefois qu’arrivait-il ? Après le baptême, tout de suite, on parlait différentes langues, et il y avait plus que le don des langues ; un grand nombre de personnes prophétisaient ; quelques-unes manifestaient encore d’autres facultés puissantes. En effet, on venait de quitter les idoles, les nouveaux venus n’avaient aucune idée claire ; ils n’avaient pas appris ce qui se trouve dans les anciens livres ; alors, au moment du baptême, ils recevaient l’Esprit. L’Esprit, ils ne le voyaient pas, puisqu’il est invisible, mais la grâce donnait une preuve sensible de la merveilleuse opération. L’un parlait la langue des Perses ; un autre, celle de Rome ; un autre, celle des Indes ; un autre encore, fane autre langue, et tout de suite ; et c’était, pour les hommes du dehors, la preuve que l’Esprit-Saint était dans celui qui parlait. Voilà pourquoi l’apôtre, exprimant ce fait, dit : « La manifestation de l’Esprit a été donnée à chacun pour l’utilité ». Il donne ce nom de manifestation de l’Esprit aux dons et aux grâces spirituelles. Les apôtres, ayant reçu ce premier signe de la présence de l’Esprit, les fidèles aussi reçurent le don des langues ; et non seulement ce don, mais d’autres encore, en très grand nombre. Car beaucoup de personnes ressuscitaient les morts, et chassaient les démons, et opéraient encore beaucoup de miracles du même genre. Ils avaient donc tous leur part de ces dons ; les uns plus, les autres moins. Mais le don des langues était toujours le plus ordinaire. Et ce fut ce don qui fut une cause de schisme à Corinthe, non par sa nature propre, mais par l’ingratitude de ceux qui le recevaient. En effet, les mieux partagés devenaient superbes à l’égard de ceux qui l’étaient moins bien ; ces derniers, à leur tour, s’affligeaient, portaient envie à ceux qui recevaient des dons plus magnifiques. C’est ce que montre Paul dans la suite de sa lettre ; les fidèles recevaient un coup mortel, la charité s’éteignait ; l’apôtre s’applique avec ardeur à corriger ce mal. Le même désordre eut lieu à Rome, mais y fut moins grand ; aussi, dans l’épître aux Romains, l’apôtre touche ce point, mais d’une manière enveloppée, et sans y insister ; il dit : «. Car, comme dans un seul corps nous avons plusieurs membres, et que tous ces membres n’ont pas la même fonction ; de même, quoique nous soyons plusieurs, nous ne « sommes néanmoins qu’un seul corps en Jésus-Christ, étant tous réciproquement membres les uns des autres. C’est pourquoi comme nous avons tous des dons différents, selon la grâce qui nous a été donnée, que celui qui a reçu le don de prophétie, en use selon l’analogie et la règle de la foi ; que celui qui est appelé au ministère s’attache à son ministère ; que celui qui a reçu le don d’enseigner s’applique à enseigner ». (Rom 12,4-7) Que ce fut aussi pour eux une occasion de concevoir de l’orgueil, c’est ce que l’apôtre donnait à entendre dès le commencement par ces paroles : « Or, je vous exhorte a tous, selon le ministère qui m’a été donné a par grâce, de ne vous point élever au-delà de ce que vous devez, dans les sentiments que vous avez de vous-mêmes ; mais de vous a tenir dans les bornes de la modération, selon la mesure du don de la foi que Dieu a départi à chacun de vous ». (Id. 3) Voilà donc comment il parle aux Romains (chez eux la maladie de la discorde, la maladie de l’orgueil n’avait pas fait de grands ravages) mais ici, avec les Corinthiens, l’apôtre s’applique ardemment à la correction ; la maladie avait fait de grands progrès. Et ce n’était pas, chez eux, la seule cause de trouble ; il y avait aussi, dans ce pays-là, des devins en grand nombre ; ce qui n’est pas étonnant dans une ville infectée des mœurs grecques et païennes ; cette cause, ajoutée aux autres, les bouleversait, produisait mille chutes. Voilà pourquoi l’apôtre commence par établir la différence entre la divination et la prophétie. S’ils ont reçu le don de discernement des esprits, c’est pour pouvoir distinguer et reconnaître quel était celui qui parlait au nom de l’Esprit-Saint, quel autre parlait au nom de l’esprit impur. La démonstration de la vérité des prophéties ne pouvait pas se faire sur-le-champ ; car ce n’est pas au moment où la prophétie est prononcée, mais au moment où elle doit se réaliser, que la prophétie fournit la preuve de sa vérité ; il n’était donc pas facile de la reconnaître, de distinguer le prophète de l’imposteur. En effet, le démon, ce monstre de perfidie et d’impureté, suscitait de faux prophètes, ayant eux aussi la prétention d’annoncer l’avenir. Comme donc les fausses prophéties ne pouvaient être convaincues de fausseté, puisque les prédictions n’avaient pu encore se réaliser, la tromperie était facile, et le mensonge et la vérité ne se reconnaissaient qu’à la fin. Voilà pourquoi, pour prévenir l’erreur qui aurait trompé ceux qui entendaient les prophéties, avant le terme de leur accomplissement, l’apôtre donne un signe qui permette de distinguer, même avant l’événement, le vrai prophète de l’imposteur. C’est de là qu’il prend occasion de parler des faveurs de l’Esprit, et il corrige les querelles que ces faveurs ont suscitées. C’est par les devins qu’il entre en matière, et il commence ainsi : « Pour ce qui est des dons spirituels, mes frères, je ne veux pas que vous ignoriez ce que vous devez savoir ». Il appelle ces signes « spirituels », parce que c’est le Saint-Esprit seul qui les opère, l’homme n’étant pour rien dans de pareils miracles. Et au moment d’engager la discussion, il commence, ainsi que je l’ai dit, par établir la différence entre la divination et la prophétie, par ces paroles : « Vous vous souvenez bien qu’étant païens, vous vous laissiez entraîner, selon qu’on vous menait vers les idoles muettes » ; voici la pensée de l’apôtre : Lorsque quelqu’un autrefois auprès des idoles était saisi de l’esprit impur, et parlait en devin de l’avenir ; l’esprit impur se saisissait de lui, s’en rendait maître, le poussait et l’entraînait où il voulait, sans que cet homme sût ce qu’il disait. Car c’est là le propre du devin ; il est hors de lui ; c’est une violence qu’il subit ; on le pousse, on le traîne ; il est comme un furieux dont on s’empare ; pour le prophète, il n’en est pas ainsi. Calme, maître de sa pensée, parlant avec mesure, il a conscience de toutes ses paroles. Vous pouvez donc, à ces marques, sans attendre l’événement, faire la distinction du devin et du prophète. Et voyez comment l’apôtre rend son discours non suspect ; il appelle en témoignage ceux-mêmes que l’expérience a pu instruire ; je ne mens pas, dit-il, je n’accuse pas au hasard les païens ; je ne suis pas un ennemi qui forge des histoires ; soyez vous-mêmes mes témoins ; car vous savez bien vous-mêmes qu’étant païens, vous vous laissiez entraîner. Si on soupçonne leur témoignage parce que ce sont des fidèles, eh bien ! l’emprunterai aux hommes qui sont hors de l’Église, un témoignage qui sera une preuve éclatante. Écoutez donc Platon qui dit formellement que les devins, et ceux qui rendent des oracles, disent souvent de fort belles choses, mais sans avoir conscience des paroles qu’ils prononcent. Écoutez aussi un autre poète faisant la même observation : Il s’agit d’un homme, qu’après certaines initiations et pratiques superstitieuses, on avait livré au démon ; cet homme faisait entendre des prédictions, mais, dans tout le cours de ses prédictions, il était violemment renversé, déchiré, incapable de supporter la violence du démon ; brisé, rompu, il allait rendre l’âme, il s’écrie, en s’adressant à ceux qui présidaient à cette magie : Assez, car un mortel ne soutient pas un Dieu.
Et encore :
Assez, au lieu de fleurs épanchez l’onde pure
Sur mes pieds ; baignez-moi, rendez-moi ma nature. Ces paroles et d’autres semblables (il en est un grand nombre que l’on pourrait citer) nous montrent deux choses à là fois : la nécessité, qui contraint les démons à la servitude ; la violence subie par ceux qui se sont une fois livrés au démon, et qui sont sortis de l’état naturel de leur âme. Quant à la Pythie (je suis bien forcé d’étaler encore une autre honte des païens, il vaudrait mieux n’en pas parler ; il est peu convenable, pour nous, de nous occuper de pareilles aberrations ; il est pourtant nécessaire de mettre au jour ces infamies, afin de vous faire comprendre le délire de cette conduite, le ridicule de ceux qui ont recours aux devins) ; donc on rapporte que cette femme, la, Pythie, s’asseyait sur le trépied d’Apollon, les jambes écartées ; ensuite l’esprit pervers, s’échappant de l’enfer, per genitales ejus partes subiens, la remplissait de son délire, et alors la malheureuse, les cheveux épars, comme une bacchante, écumait, et c’est dans cet état qu’elle faisait entendre les paroles de son ivresse furieuse ; je sais bien que vous avez honte, que vous rougissez à de tels récits, mais voilà la haute sagesse de ces païens, cherchez-la dans ce honteux délire.
2. C’est donc pour corriger ces habitudes et toutes celles du même genre, que Paul disait : « Vous vous souvenez bien qu’étant païens, vous vous laissiez entraîner, selon qu’on vous menait vers les idoles muettes ». Et, comme il s’adressait à des auditeurs parfaitement instruits, il n’insiste pas sur tous les détails, il ne veut pas les fatiguer ; il se contente de leur rappeler les faits en général, et aussitôt il termine et reprend ce qu’il s’est proposé. Maintenant que signifie : « Vers les idoles muettes ? » Ces devins étaient traînés vers ces idoles, mais si elles étaient muettes, comment pouvaient-ils s’en servir ? Pourquoi le démon entraînait-il auprès de ces statues ces malheureux, captifs et enchaînés ? Le démon voulait, par là, donner, à l’imposture, une certaine vraisemblance. Il ne fallait pas que la pierre parût muette ; il s’efforçait donc d’y attacher des hommes pour qu’on pût attribuer aux idoles les discours que ces hommes faisaient entendre. Mais il n’en est pas de même chez nous ; nous ne devons rien au démon, je veux dire que nous ne lui devons pas les paroles de nos prophètes. En effet, dans leurs discours, tout exprimait ce qu’ils voyaient clairement ; dans leurs discours, la prophétie, pleine de décence, avait conscience d’elle-même et s’exprimait en toute liberté, Aussi était-il en leur pouvoir, et de parler et de ne pas parler-, nulle nécessité ne les contraignait ; ils avaient en partage, et la puissance, et l’honneur de cette puissance. Voilà pourquoi Jonas prend la fuite ; pourquoi Ézéchiel, diffère ; pourquoi Jérémie refuse. Dieu n’exerce pas sur eux de contrainte, il agit par conseils, par exhortations, par des menaces ; il ne répand pas de ténèbres dans leur esprit. C’est le propre du démon d’exciter le tumulte, le délire, de répandre dans les âmes l’obscurité ; Dieu au contraire illumine ; il enseigne en faisant comprendre à l’esprit ce qu’il faut. Voilà donc la première différence entre le devin et le prophète. Maintenant, il en est une seconde, que l’apôtre indique par ces paroles : « Je vous déclare donc que nul homme, parlant par l’Esprit de Dieu, ne dit anathème à Jésus » ; ensuite, une autre différence encore : « Et que nul ne peut confesser que Jésus est le Seigneur, sinon par le Saint-Esprit (3) ». Quand vous voyez, dit l’apôtre, un homme qui, loin de proclamer le nom de Jésus, lui dit : Anathème, c’est un devin ; au contraire, quand vous voyez un homme qui ne parle qu’au nom de Jésus, vous devez croire que cet homme est animé par l’Esprit. Que penserons-nous donc, me dira-t-on, des catéchumènes car si nul ne peut prononcer le nom de Notre-Seigneur Jésus, que par la grâce de l’Esprit-Saint ; que dirons-nous de ceux qui prononcent bien ce nom, mais sans avoir encore reçu l’Esprit ? Ce n’est pas d’eux que l’apôtre s’occupe en ce moment, il n’y en avait point alors ; il ne parle que des fidèles et des infidèles. Eh quoi, n’y a-t-il aucun démon qui nomme Dieu ? Est-ce que les démoniaques ne disaient pas : « Nous savons que, vous êtes le Fils de Dieu ? » (Mrc 1,24) Est-ce qu’ils ne disaient pas à Paul : « Ces hommes sont des serviteurs du Dieu Très-Haut ? » (Act 16,17) Mais ils parlaient ainsi sous les coups de fouet ; mais ils étaient forcés ; au contraire, livrés à eux-mêmes et ne subissant pas les coups de fouet, jamais ils ne rendaient ce témoignage. Ici, il peut être à propos de rechercher pourquoi le démon tenait ce langage, et d’où vient que Paul le réprimanda. C’est que Paul imitait son maître ; le Christ aussi réprimanda les démons ; le Christ ne voulait pas de leur témoignage. Pourquoi ? parce que le démon n’agissait ainsi que pour tout confondre, pour arracher, aux apôtres, leur autorité ; pour persuade à la foule de se fier à lui. Si ce malheur fût arrivé, il n’aurait pas été difficile aux démons d’inspirer de la confiance, et ils auraient introduit, parmi les hommes, leur perversité. C’est pour prévenir ce désastre, pour exterminer, dès le commencement, l’imposture, qu’alors même que les imposteurs disent vrai, le Christ leur ferme la bouche, afin que, quand ils diront leurs mensonges, personne ne soit prêt à les croire, afin que tous leurs discours trouvent les oreilles fermées. Après la distinction entre les devins et les prophètes, après avoir marqué le premier et le second signe qui les distinguent, l’apôtre s’occupe enfin des miracles. Et ce n’est pas sans raison qu’il passe à ce sujet ; il veut faire cesser la discorde qu’a causée la diversité des prérogatives ; il veut persuader, à ceux qui en ont moins, de ne pas s’affliger ; à ceux qui en ont plus, de ne pas s’enorgueillir. Voilà pourquoi il commence ainsi : « Or il y a diversité de dons spirituels, mais il n’y a qu’un même Esprit (4) ». Il s’occupe d’abord de celui qui a un don moins considérable, et qui, pour cette raison, s’afflige. Pourquoi ; lui dit-il, vous tourmentez-vous ? Parce que vous n’avez pas reçu autant qu’un autre ? Mais pensez donc que ceci est un don qu’on vous fait, non une dette qu’on vous paie, et cette pensée vous consolera. Voilà pourquoi l’apôtre s’empresse de dire : « Il y a diversité de dons spirituels ». Il ne dit pas, de signes ni de miracles, mais : « De dons spirituels ». Ce mot « dons » est pour persuader non seulement qu’on ne doit pas s’affliger, mais qu’on doit rendre à Dieu des actions de grâces. Et en outre, dit-il, réfléchissez encore à ceci qu’alors même que votre don est moindre, vous avez cependant été jugé digne de puiser à la même source que celui qui reçoit plus ; vous avez un honneur égal, car vous ne pouvez pas dire qu’il a reçu de l’Esprit, lui, et que vous n’avez reçu que d’un ange ; aussi bien pour vous que pour lui, c’est l’Esprit qui a été donné. Voilà pourquoi l’apôtre ajoute : « Mais il n’y a qu’un même Esprit ». 3. C’est pourquoi, s’il y a différence dans le don, il n’y en a pas dans celui qui l’a fait ; car c’est à la même source que vous avez puisé, vous et l’autre. « Il y a diversité de ministère, mais il n’y a qu’un même Seigneur ». Pour donner une autorité, à là fois plus considérable et plus douce à la consolation, il ajoute : « Et le Fils et le Père (5) ». Et voici qu’il appelle ces dons d’un autre nom, afin de retirer, du changement même de nom, un surcroît de consolation. Voilà pourquoi il dit : « Il y a diversité de ministère, mais il n’y a qu’un « même Seigneur ». En effet, celui qui n’entend parler que de don, et qui reçoit moins, peut avoir sujet de se plaindre ; mais quand il s’agit de ministère, il n’en est pas de même ; car un ministère suppose du travail et des sueurs. Qu’avez-vous donc à vous plaindre, dit l’apôtre, si le Seigneur a commandé à un autre un plus grand travail, et vous a ménagé ? « Et il y a diversité d’opérations surnaturelles, mais il n’y a qu’un même Dieu qui opère tout en tous. Or les dons du Saint-Esprit, qui se font connaître au-dehors, sont donnés à chacun pour l’utilité (6, 7) ». Et que signifie « opérations ? » que signifie « dons ? » Va-t-on me demander que signifie « ministère ? » Les noms seuls sont différents ; les choses sont les mêmes. Le don n’est pas autre chose que le ministère, et c’est encore la même chose que l’opération, car l’apôtre dit : « Remplissez votre ministère » (2Ti 4,5) ; et : « Je glorifie mon ministère » (Rom 11,13) ; et il écrit à Timothée : « C’est pourquoi je vous, avertis de rallumer ce don de Dieu qui est en vous » (2Ti 1,6) ; et il écrit encore aux Galates : « Car celui qui a opéré dans Pierre pour le rendre apôtre des circoncis, a aussi opéré en moi, pour me rendre l’apôtre des gentils ». (Gal 2,8) Voyez-vous comme il ne fait aucune différence entre les dons du Père et du Saint-Esprit ? Ce n’est pas qu’il confonde les personnes ; loin de nous cette pensée, mais il montre l’égalité d’honneur ; car ce qu’accorde la libéralité de l’Esprit, c’est Dieu qui l’opère, et c’est le Fils qui le dispense et le fournit, selon l’apôtre. Si une des personnes était moindre que l’autre, la troisième moindre que la seconde, assurément l’apôtre n’aurait pas disposé ainsi sa consolation ; il ne se serait pas avisé de ce moyen pour consoler celui qui s’afflige. Et maintenant l’apôtre a encore une autre manière de consoler ; c’est que la mesure même du don est précisément dans l’intérêt de celui qui l’a reçu, quelle qu’en soit l’infériorité. En effet, après avoir dit : « Le même Esprit, le même Seigneur, le même Dieu » ; après avoir ainsi réconforté celui qui se plaint, il ajoute une autre consolation : « Or, les dons du Saint-Esprit, qui se font connaître au-dehors, sont donnés à chacun pour l’utilité ». En effet, on aurait pu dire : que m’importe, que ce soit le même Seigneur, le même Esprit, le même Dieu, si moi j’ai moins reçu ? L’apôtre dit que la mesure même a son utilité. Il entend par ces dons du Saint-Esprit, qui se font connaître au-dehors, les signes miraculeux, et c’est avec raison. En effet, pour moi fidèle, ce qui me prouve qu’un tel possède l’Esprit, c’est qu’un tel a été baptisé ; au contraire, pour l’infidèle, il n’y a aucune preuve que les signes. C’est pourquoi la consolation qui en résulte, n’est pas à dédaigner. Les dons ont beau être divers, la manifestation n’en est pas moins la même. Que vous ayez reçu beaucoup, reçu peu, vous le manifestez également. C’est pourquoi, si vous tenez à montrer que vous possédez l’Esprit, vous possédez suffisamment la preuve qui le manifeste. Puis donc que c’est un seul et même auteur qui accorde les dons, puisque chaque don est gratuit, puisque la manifestation qui le révèle, en découle, puisque la mesure est dans votre plus grand intérêt, gardez-vous de vous plaindre, comme si vous étiez méprisés. Dieu ne veut pas vous faire honte ; ce n’est pas pour vous mettre en état d’infériorité, qu’il agit ainsi envers – vous ; c’est parce qu’il vous ménage, c’est parce qu’il considère votre intérêt. Recevoir un fardeau que l’on ne peut porter, c’est là ce qui est inutile, nuisible, et fait pour causer du chagrin. « L’un reçoit du Saint-Esprit, le don de parler dans une haute sagesse ; un autre reçoit du même Esprit, le don de parler avec science ; un autre reçoit le don de la foi par le même Esprit ; un autre reçoit du même Esprit, la grâce de guérir les maladies (8, 9) ». Voyez-vous partout cette réflexion : « Du même Esprit, parle même Esprit ? » L’apôtre sait bien qu’il en résulte une grande consolation. « Un autre, le don de faire des miracles ; un autre, le don de prophétie ; un autre, le nom du discernement des esprits ; un autre, le don de parler diverses langues ; un autre, le don de l’interprétation des langues (10) ». Ce qui constituait la plus haute sagesse, c’est ce que l’apôtre a exprimé en dernier lieu, et il ajoute : « Or, c’est un seul et même Esprit qui opère toutes ces choses (11) ». Le baume consolateur universel, c’est que tous cueillent les fruits de la même racine, prennent au même trésor, s’abreuvent au même courant. Voilà pourquoi il reprend sans cesse la même observation ; pour effacer l’inégalité apparente, pour consoler. Plus haut, il montre le Saint-Esprit ; le Fils, le Père communiquant leurs dons ; ici, au contraire, il lui suffit de montrer l’Esprit, afin de vous apprendre, par cela même, l’égalité de dignité. Maintenant, que signifie « le don de parler « dans une haute sagesse ? » C’est le don de Paul, le don de Jean le fils du tonnerre. Qu’est-ce que le don de parler avec science ? c’est le don d’un grand nombre de fidèles, possédant la science, mais incapables d’enseigner, incapables de communiquer aux autres ce qu’ils savaient. « Un autre reçoit le don de la foi » ; il ne s’agit pas de la foi qui regarde les dogmes, mais de la foi des miracles, de laquelle le Christ dit : « Si vous aviez de la foi comme un grain de sénevé, vous diriez à cette montagne : transporte-toi d’ici là, et elle s’y transporterait ». (Mat 17,19) C’est la foi que demandaient les apôtres : « Augmentez en nous la foi » (Luc 17,5) ; c’est là la mère des miracles. Le pouvoir des opérations miraculeuses, et la grâce de guérir les maladies, ce n’est pas la même chose : celui qui avait la grâce de guérir les maladies, ne faisait que soigner les malades ; quant à celui qui opérait des miracles, il avait aussi le pouvoir de châtier ; car le pouvoir ne consiste pas seulement à guérir, mais à punir aussi ; c’est ainsi que Paul a frappé de cécité, que Pierre a puni de mort. « Un autre, le don de prophétie ; un autre, le don du discernement des esprits ». Qu’est-ce que cela veut dire, du discernement des esprits ? » C’est deviner quel homme est animé par l’Esprit ; quel homme n’est pas animé par l’Esprit ; quel homme est prophète, quel homme est un imposteur. C’est ce qu’il disait aux Thessaloniciens : « Ne méprisez pas les prophéties ; éprouvez tout, et approuvez ce qui est bon ». Il y avait alors une infection de faux prophètes, le démon faisant tous ses efforts pour substituer le mensonge à la vérité. « Un autre, le don des langues ; un autre ; le don de l’interprétation des langues ». Le premier savait bien ce qu’il disait, mais sans pouvoir l’expliquer à un autre ; celui qui savait interpréter, possédait les deux dons, ou l’un des deux. 4. Or, ce don paraissait considérable, car c’était le premier qu’avaient reçu les apôtres ; et, parmi les Corinthiens, un grand nombre jouissaient de ce privilège ; le don de l’enseignement était moins considéré : voilà pourquoi l’apôtre met celui-ci au premier rang, et le don des langues au dernier. C’est, en effet, pour l’enseignement que le don des langues existe aussi bien que celui de la prophétie et des miracles. Rien n’égale le don de l’enseignement, et voilà pourquoi l’apôtre disait : « Que les prêtres qui gouvernent bien, soient doublement honorés, principalement ceux qui travaillent à la prédication de la parole et à l’instruction des peuples ». (1Ti 5,17) Et il écrit à Timothée : « En attendant que je vienne, appliquez-vous à la lecture, à l’exhortation et à l’instruction ; ne négligez pas la grâce qui est en vous ». (1Ti 4,13-14) Voyez-vous comme il donne, à ce talent, le nom de grâce. Ensuite, la consolation qu’il a déjà proposée, en disant : « Le même Esprit », il la répète ici : « C’est un seul et même Esprit qui opère toutes ces choses, distribuant à chacun ses dons, selon qu’il lui plaît ». Or, ici, l’apôtre fait plus que consoler ; il ferme encore la bouche aux contradicteurs, lorsqu’il dit : « Distribuant à chacun ses dons, selon qu’il lui plaît ». C’est qu’il faut savoir user de sévérité, il ne faut pas seulement se borner à guérir ; c’est ainsi que, dans l’épître aux Romains, il dit : « Qui êtes-vous pour contester avec Dieu ? » (Rom 9,20) Il fait de même ici : « Distribuant à chacun « selon qu’il lui plaît », et il montre que ce qui appartient au Père, appartient en même temps à l’Esprit, car, de même qu’en parlant de Dieu, Paul dit : « Il n’y a qu’un même Dieu, qui opère tout en tous » ; de même, en parlant de l’Esprit : « Or, c’est un seul et même Esprit qui opère toutes ces choses ». Mais, dira-t-on, c’est un Esprit mis en mouvement par Dieu ; l’apôtre n’en dit rien nulle part ; c’est vous qui forgez cette idée. En effet, lorsque l’apôtre dit : « Qui opère tout en tous », c’est des hommes qu’il parle, et certes il ne va pas compter l’Esprit parmi les hommes ; vous aurez beau entasser mille extravagances, mille inepties. En effet, si l’apôtre dit : « Par l’Esprit », afin de prévenir l’erreur qui prendrait ce « par » pour une diminution de l’énergie de l’Esprit, qui s’imaginerait que l’Esprit est mis en mouvement, l’apôtre a bien soin d’ajouter. « Que l’Esprit opère », non pas qu’il est mis en mouvement de manière à opérer ; « que l’Esprit opère, selon qu’il lui plaît », non pas selon l’ordre qu’il reçoit. En effet, de même que le Fils dit, en parlant du Père : « Il réveille et vivifie les morts », et semblablement de « lui-même : « Il vivifie ceux qu’il lui plaît » (Jn 5,21) ; de même, en parlant de l’Esprit, il dit ailleurs, qu’il fait tout avec une souveraine puissance, que rien ne résiste à sa volonté (car cette expression : « L’Esprit souffle où il veut » (Id 3,8), quoique appliquée au vent, prouve néanmoins ce que nous disons) Et maintenant ici l’apôtre dit : « Il opère toutes choses, selon qu’il veut ». Écoutez ce qui prouve encore que l’Esprit n’est pas de ceux que met en mouvement une opération étrangère, mais que l’Esprit opère par lui-même : « Car », dit l’apôtre, « qui connaît ce qui est dans l’homme, sinon l’esprit de l’homme ? Ainsi nul ne connaît ce qui est en Dieu que l’Esprit de Dieu ». (1Co 2,11) Que l’esprit de l’homme, c’est-à-dire son âme, n’ait pas besoin d’une opération du dehors pour connaître ce qui la concerne, c’est ce que tout le monde sait. Et, de même, l’Esprit-Saint se suffit à lui-même pour connaître ce qui concerne Dieu. C’est ainsi que l’Écriture dit : l’Esprit-Saint connaît les secrets de Dieu, comme l’âme humaine connaît les secrets de l’homme. Si notre âme n’est pas excitée à cette connaissance par une opération qui lui soit étrangère, à bien plus forte raison ; est-ce vrai de celui qui connaît la profondeur de. Dieu. Et il n’y a pas une opération quelconque, étrangère à lui, qui le porte à donner ses grâces aux apôtres. Maintenant, j’ajouterai ici une autre réflexion que j’ai déjà faite. Quelle est-elle ? Si l’Esprit était inférieur, et d’une autre substance, la consolation présentée par l’apôtre aurait été nulle ; à quoi aurait-il servi d’apprendre que c’est le même Esprit ? Quand on reçoit les présents d’un roi, la plus grande des jouissances, c’est que le roi vous a fait lui-même le présent ; au contraire, on s’afflige de recevoir d’un esclave, d’être forcé de lui savoir gré du don que l’on a reçu. Ainsi, voilà encore une preuve que l’Esprit n’est pas d’une substance servile, mais royale. Voilà pourquoi, de même que l’apôtre a consolé les fidèles par ces paroles : « Il y a diversité de ministères, mais il n’y a qu’un même Seigneur ; il y a diversité d’opérations surnaturelles, mais il n’y a qu’un même Dieu » ; de même qu’après avoir dit plus haut : « Il y a diversité de dons spirituels, mais il n’y a qu’un même Esprit » ; après toutes ces observations, il ajoute encore : « C’est un seul et même Esprit qui opère toutes ces choses, distribuant à chacun ses dons, selon qu’il lui plaît ». Donc, ne nous tourmentons pas, dit l’apôtre, ne nous affligeons pas en disant : Pourquoi ai-je reçu ceci, pourquoi n’ai-je pas reçu cela ? N’exigeons pas de comptes de l’Esprit-Saint. Comprenez que le don qu’il vous a fait, il vous l’a fait dans votre intérêt, qu’il l’a mesuré dans votre intérêt ; aimez-le donc, et réjouissez-vous de ce que vous avez reçu ; ne vous affligez pas, de n’avoir pas reçu d’autres dons ; au contraire, rendez grâces à Dieu de n’avoir pas reçu plus que vous ne pouviez supporter. 5. Et maintenant, si, en ce qui concerne les dons spirituels, il faut fuir une curiosité inquiète, à bien plus forte raison faut-il y renoncer, en ce qui concerne les biens de la terre ; il faut se tenir en repos, et ne pas s’enquérir curieusement pourquoi un tel est-il riche, pourquoi un tel est-il pauvre ? Assurément, chaque homme n’a pas reçu de Dieu la richesse ; il en est beaucoup qui doivent leur fortune à l’injustice, à la rapine, à l’avarice. Celui qui nous a ordonné de fuir la richesse, comment nous aurait-il donné ce qu’il nous défend de recevoir ? Mais je veux réfuter plus énergiquement encore ceux qui nous contredisent ici. Eh bien ! faisons remonter notre discours jusqu’au temps où Dieu a départi les richesses, et, répondez-moi, pourquoi Abraham était-il riche, et Jacob manquant de pain ? N’étaient-ils pas également justes l’un et l’autre ? Dieu n’a-t-il pas dit également des trois : « Je suis le Dieu d’Abraham, et d’Isaac, et de Jacob ? » (Exo 3,6) Pourquoi donc l’un était-il riche, tandis que l’autre se louait comme un mercenaire ? ou plutôt : Pourquoi l’injuste et fratricide Esaü était-il riche, et Jacob si longtemps dans la servitude ? Pourquoi encore Isaac vécut-il si longtemps dans la tranquillité ;. au contraire, dans les fatigues et dans les douleurs ? Aussi disait-il : « Mes jours ont été peu nombreux et malheureux ». (Gen 47,19) Pourquoi David, qui fut un prophète et un roi, a-t-il passé tout le temps de sa vie dans les tourments ? Pourquoi Salomon, son fils, durant quarante années, a-t-il joui plus que personne de la sécurité, de la profonde paix, a-t-il été comblé de gloire, d’honneurs, a-t-il eu tous les plaisirs ? Pourquoi, parmi les prophètes, l’un était-il plus affligé, l’autre moins ? C’est qu’il était (le l’intérêt de chacun d’eux qu’il en fût ainsi. Aussi faut-il dire, pour chacun d’eux : « Vos jugements sont un abîme très profond ». (Psa 36,7) Si Dieu n’exerçait pas ces grands personnages, ces hommes admirables, en les soumettant aux mêmes traitements ; s’il éprouvait, celui-ci par la pauvreté, cet autre, par les richesses ; celui-ci, en lui accordant la vie tranquille ; cet autre, en le soumettant aux afflictions ; à bien plus forte raison, devons-nous méditer cette conduite appliquée à nous-mêmes. Et, en outre, une pensée que nous devons méditer, c’est que, des nombreux malheurs qui nous arrivent, la cause n’est pis dans la volonté de Dieu, mais dans notre perversité. Ne dites donc pas : pourquoi celui-ci est-il riche, quoique pervers ; celui-là pauvre, quoique juste ? car la réponse est facile ; le juste ne reçoit aucune atteinte de la pauvreté ; au contraire, elle rehausse sa gloire ; le méchant ne trouve, dans les richesses, qu’une voie qui le conduit au châtiment, s’il ne se convertit ; et, de plus, même avant le châtiment, les richesses lui ont causé des maux innombrables, et l’ont précipité dans mille gouffres : ce que Dieu permet, tout ensemble pour montrer la liberté de l’homme, et, en même temps, pour nous apprendre à ne pas courir aux richesses, avec une fureur insensée. Quoi donc, objectera-t-on, le méchant qui est riche ne souffre-t-il aucun mal ? Si l’homme de bien est riche, nous disons que c’est justice ; si, au contraire, c’est un méchant, que dirons-nous ? qu’il est, par cela même, misérable. En effet, les richesses s’ajoutant à la perversité, ne font qu’aggraver le mal ; mais voici un homme de bien, et cependant il est pauvre ? Eh bien, il ne reçoit aucune atteinte ; mais c’est un méchant, et il est pauvre ; donc c’est justice et c’est avec raison, et cette pauvreté est dans son intérêt. Cependant, objectera-t-on, il a reçu des richesses de ses ancêtres, et il les gaspille entre des courtisanes et des parasites, et il ne souffre aucun mal. Que dites-vous ? Il se livre à la fornication et il ne souffre aucun mal ? Il s’enivre, et vous trouvez sa vie délicieuse ? Il dépense sa fortune honteusement, et vous le trouvez digne d’envie ? Et quelle plus grande dégradation que d’assurer la mort de son âme ? Mais vous-mêmes, à la vue d’un malheureux aux membres contournés, mutilés, vous croiriez devoir l’inonder de vos larmes ; et quand vous voyez son âme toute mutilée, vous croyez que cet homme est heureux ? Mais il ne sent rien, direz-vous ; voilà justement pourquoi il faut le plaindre, comme on fait des insensés. Celui qui a conscience de sa maladie, appelle tout de suite le médecin ; il endure les remèdes au contraire, pour celui qui ne sent pas son mal, il n’y a pas de délivrance possible ; et est-ce là, je vous le demande, celui dont vous vantez le bonheur ? Mais gardons-nous de nous trop étonner ; il est grand le nombre de ceux qui sont étrangers à la sagesse. Aussi supportons-nous les derniers châtiments, sommes-nous punis, sans espérance de nous voir délivrés du supplice. De là ; les colères, les découragements ; les perturbations continuelles ; Dieu nous montre une vie exempte de douleurs, la vie consacrée à la vertu, et nous, abandonnant ce chemin, nous en prenons un autre, le chemin de la fortune et des richesses, rempli d’innombrables maux, et nous agissons comme celui qui ire saurait pas distinguer la beauté dés corps, qui ne regarderait que le vêtement, que les ornements extérieurs, qui verrait une belle femme, douée d’une naturelle beauté, et passerait son chemin, pour aller vers une laide, une femme difforme et mutilée, mais recouverte d’une belle toilette, et qui la prendrait pour épouse. C’est l’image de ce qui arrive à bien des gens, en ce qui concerne la vertu et la méchanceté. Ils choisissent la laideur à cause des ornements qui l’affublent au-dehors ; mais la beauté, ils la répudient à cause de cette nudité même, qui aurait dû fixer leur préférence. 6. Aussi j’ai honte de voir, chez ces païens insensés, une sagesse sinon de conduite, mais au moins de doctrine, qui ne se méprend pas sur la condition mobile et passagère des choses présentes. Il en est, chez nous, qui ne reconnaissent pas cette vanité ; leur jugement même est corrompu, malgré tant d’avertissements de l’Écriture, qui ne cessent de nous crier « Le méchant parait à ses yeux comme un néant, mais le Seigneur glorifie ceux qui le craignent (Psa 15,4). La crainte du Seigneur a tout surpassé (Sir 25,14). Crains Dieu, et garde ses commandements, car c’est là tout l’homme (Ecc 12,13). Ne portez pas envie aux méchants ; ne craignez point, en voyant un homme devenu riche (Psa 49,17). Toute chair n’est que de l’herbe, et toute sa gloire est comme la fleur des champs ». (Isa 40,6) Malgré tant de paroles du même genre, que nous entendons chaque jour, nous sommes encore rivés à la terre. Les enfants ignorants, à qui on apprend leurs lettres tous les jours, se trompent souvent, quand on les leur demande sans suite, et disent une lettre pour une autre, provoquant ainsi mille éclats de rire ; vous faites de même, quand nous vous exposons la suite de ces vérités ; vous les apprenez tant bien que mal ; mais lorsqu’il nous arrive de volis interroger au-dehors, sans suivre l’ordre ; quand nous vous demandons quel est le premier des biens, quel est le second, que faut-il mettre après tout le reste ? Votre ignorance se révèle, d’une manière ridicule. N’est-ce pas, je vous le demande, le comble du ridicule, pour nous qui attendons l’immortalité, les biens que l’œil n’a pas vus, que l’oreille n’a pas entendus, qui ne sont pas entrés dans le cœur de l’homme, de faire effort, pour nous assurer des choses d’ici-bas, et de les regarder comme dignes de notre envie ? Si vous avez encore besoin d’apprendre que les richesses ne sont rien, que les choses présentes ne sont qu’une ombre et un songe, qu’elles se dissipent comme la fumée, qu’elles s’envolent, restez à la porte ; tenez-vous dans les vestibules, vous n’êtes pas encore dignes d’entrer dans le palais du souverain. Si vous ne savez pas encore distinguer ce qu’il y a d’instable, ce qu’il y a là-dedans de perpétuel va-et-vient, quand donc arriverez-vous au mépris des richesses ? Si vous prétendez posséder cette science, cessez alors de vous informer avec une curiosité inquiète, de demander pourquoi, celui-ci est-il riche, pourquoi cet autre est-il pauvre ? Vous ressemblez, par vos questions, à celui qui se promènerait en demandant : pourquoi celui-ci est-il blanc, pourquoi cet autre est-il noir ; pourquoi ce nez aquilin, pourquoi ce nez camard ? De même que cela ne nous intéresse en rien, de même que nous importe que tel soit pauvre ou soit riche ? Bien plus, cela nous intéresse bien moins que ce que nous venons de dire ; tout doit se rapporter à l’usage que l’on en fait ; quoique pauvre, vous pouvez montrer une âme belle et sage ; quoique riche, vous êtes le plus malheureux de tous si vous fuyez la vertu ; car ce que nous devons rechercher, c’est ce qui porte à la vertu. Si nous avons ces ressources, les autres ne nous servent de rien. Aussi, ces questions perpétuelles, qui prouvent que tant de gens s’intéressent à ce qui est indifférent, et ne tiennent aucun compte de ce qui les regarde, sont-elles des questions insensées ; ce qui nous regarde, c’est la vertu et la sagesse. Un long intervalle vous en sépare ; de là, la perturbation dans les pensées ; de là, les flots des passions ; de là, les tempêtes. Déchu de la gloire suprême, de l’amour du ciel, ne désirant plus que la gloire présente, on est esclave et prisonnier. D’où vient, dira-t-on, notre amour pour la gloire de ce monde ? de notre indifférence pour la gloire du ciel ? Et cette indifférence même d’où vient-elle ? de notre négligence. Et notre négligence ? de notre mépris. Et notre mépris ? de la déraison, qui fait que nous nous attachons au présent, que nous ne nous appliquons pas à examiner la nature des choses. Cette déraison même, d’où vient-elle ? de ce que nous ne nous attachons pas à la lecture des livres saints ; de ce que nous ne conversons pas avec les saints ; de ce que nous fréquentons les réunions des méchants. Mettons un terme à ce désordre : ne souffrons pas que les flots, poussant les flots, nous emportent dans une mer de malheurs, nous étouffent, nous arrachent toute vie ; il en est temps encore, réveillons-nous, et, debout sur le roc, je dis le roc de la doctrine et de la parole de Dieu, abaissons nos regards sur la tempête de la vie présente. C’est ainsi que nous l’éviterons nous-mêmes, et que nous sauverons les autres du naufrage, parla grâce et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient, en union avec le Père et le Saint-Esprit, la gloire, l’empire, l’honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il. HOMÉLIE XXX.
ET COMME NOTRE CORPS N’ÉTANT QU’UN, EST COMPOSÉ DE PLUSIEURS MEMBRES, ET QUE BIEN QU’IL Y AIT PLUSIEURS MEMBRES, ILS NE SONT TOUS NÉANMOINS QU’UN MÊME CORPS, IL EN EST DE MÈME DU CHRIST. (CHAP. 12, VERS. 12, JUSQU’AU VERS. 20) ANALYSE.
- 1. Sur l’habitude de Paul d’employer des comparaisons. – Comparaison de l’Église et du corps humain. – Par qui et pourquoi avons-nous été baptisés Y par un même Esprit, pour ne faire qu’un même corps.
- 2. Avantage inappréciable de la pluralité et de la diversité pour ne constituer qu’un seul et même corps. – Fuir toute indiscrète curiosité : Dieu a fait le corps de telle manière, l’Église, de telle manière, parce qu’il l’a voulu ainsi.
- 3. L’égalité d’honneur de tous les membres résultant de ce qu’ils forment tous un seul et même corps, et le corps n’étant possible qu’à la condition de la diversité dans l’unité, il en résulte que l’égalité d’honneur de tous les membres provient de la différence même qui les distingue.
- 4 et 5. Importance du moindre des membres, dans le corps humain, dans l’Église. – Appel à la concorde. – Importance des veuves dans l’Église et des mendiants. – Beau développement sur l’efficacité de l’aumône. – De la vraie pauvreté. – Contre les frayeurs qu’elle inspire.
1. Après les avoir consolés par la gratuité du don, par cette réflexion que tous les dons proviennent d’un seul et même Esprit, par cette réflexion que les dons ont été faits en vue de l’utilité, par cette réflexion que les moindres dons suffisent à manifester l’Esprit ; après avoir fermé la bouche aux contradicteurs, en disant qu’il faut céder à la souveraine puissance de d’Esprit, puisque, « c’est un seul et même Esprit », dit-il, « qui opère toutes ces choses, distribuant à chacun ses dons, selon qu’il lui plaît », et voilà pourquoi il ne faut pas d’indiscrète curiosité ; après ces paroles, il les console encore par un exemple tiré de la vie commune, il prend à témoin la nature même, selon son habitude. Ainsi, lorsqu’il discourait sur la chevelure des hommes et celle des femmes, après certaines considérations, il en vient à cette raison : « La nature a même ne vous enseigne-t-elle pas qu’il serait honteux à un homme de laisser toujours croître ses cheveux, et qu’il est, au contraire, honorable à une femme de les laisser toujours croître ? » (1Co 11,14-15). Quand il parlait des viandes consacrées aux idoles, pour défendre d’y toucher, il ajoutait à des preuves inhérentes au sujet des réflexions empruntées du dehors ; il rappelait les combats olympiques : « Ne savez-vous pas que, quand on court dans la carrière, tous « courent, mais un seul remporte le prix ? » (Id 9,24) Et il demande des preuves aux bergers, aux soldats, aux agriculteurs. Il fait de même ici ; il emprunte à la vie commune un exemple puissant pour montrer que personne n’a moins reçu que les autres, vérité étonnante, difficile à prouver, bien faite cependant pour réconforter les âmes simples ; cet exemple il l’emprunte au corps humain. Rien de plus propre à consoler celui qui est faible et qui se croit moins bien gratifié, que d’apprendre qu’eu réalité il n’est pas moins bien partagé que les autres. Voilà ce que l’apôtre veut établir par ces paroles : « Comme notre corps n’étant qu’un, est composé de plusieurs membres ». L’apôtre fait preuve ici d’une intelligence parfaite ; il montre que le même corps est à la fois un et multiple, et il ajoute, en insistant sur ce qu’il se propose : « Et, bien qu’il y ait plusieurs membres, ils ne sont tous néanmoins qu’un même corps ». Il ne dit pas : Bien qu’il y ait plusieurs membres, ils appartiennent tous à un même corps ; mais il dit : Ils sont tous ce même corps ; ce même corps et tous ces membres, c’est un seul et même tout. Eh bien donc, si tous ne font qu’un, si le corps unique et tous les membres ne sont qu’un seul et même tout, où est la différence, où est le plus, où est le moins ? « Ils ne sont tous », en effet, dit-il, « qu’un même corps ». Et non seulement ils ne sont qu’un même corps, mais, en serrant, la réalité de plus près, eu égard à ce corps, en tant qu’ils sont un corps, tous se trouvent ne faire qu’un. Et maintenant, eu égard aux parties, s’il y a différence, cette différence, dans toutes les parties, est semblable. En effet, il n’y a pas aine partie capable par elle-même de constituer le corps ; dans chacune des parties, égale défaillance, même insuffisance à former le corps, parce qu’il faut entre elles l’union. Ce n’est que quand beaucoup de parties ne forment qu’un seul tout, qu’il y a un seul et même corps. Voilà ce que l’apôtre insinuait par ces paroles : « Et, bien qu’il y ait plusieurs membres, ils ne sont tous néanmoins qu’un même corps ». Et il ne dit pas : Les plus grands et les moindres, il dit : « Rien qu’il y ait plusieurs membres ». La pluralité s’applique à tous les membres. Et comment peut-il se faire qu’ils ne soient qu’un ?. Vous n’avez qu’à négliger la différence pour considérer le corps. Ce qu’est l’œil, le pied l’est aussi, à savoir qu’ils sont également des membres, et qu’ils font le corps ; il n’y a en effet, ici, aucune différence, et vous ne sauriez dire que tel membre, par, lui-même, constitue le corps ; que tel autre n’en fait pas autant ; il y a à cet égard parité entre tous les membres, parce que tous ne font qu’un même corps. Après cette démonstration tirée de la nature qui ne pouvait être contestée de personne, l’apôtre ajoute : « Il en est de même du « Christ ». Il aurait dû dire : Il en est de même de l’Église, car c’était la conséquence naturelle ; il ne le dit pas. Au lieu de l’Église, il met le Christ, afin d’élever son discours et de faire, sur l’auditeur, une plus profonde impression. Ce qu’il dit revient à ceci : Ainsi en est-il du corps du Christ qui est l’Église. En effet, de même que le corps et la tête ne font qu’un homme ; de même, et l’Église et le Christ, ne font qu’un. Voilà pourquoi il a mis le Christ au lieu de l’Église, appelant ainsi son corps. Donc, dit-il, de même que notre corps n’est qu’un corps, quoiqu’il soit composé de beaucoup de, membres, de même, dans l’Église, nous ne faisons qu’un, tous tant que nous sommes ; bien qu’elle se compose d’un grand nombre de membres, de ce grand nombre de membres ne résulte qu’un corps, Après avoir ainsi consolé, redressé celui qui se croyait moins bien partagé, il passe de cette preuve tirée d’un exemple familier à une considération spirituelle encore plus consolante, et qui démontre la parfaite égalité dans l’honneur. Quelle est cette considération ? « Car », dit-il, « nous avons tous été baptisés dans le même Esprit, pour n’être tous ensemble qu’un même corps, Juifs ou gentils, esclaves ou libres (13) ». Voici ce qu’il veut dire : Ce qui a fait de nous un seul corps, ce qui nous a régénérés, c’est un seul et même Esprit ; car tel de nous n’a pas été baptisé dans un Esprit ; tel autre, dans un autre Esprit ; non seulement ce qui nous a baptisés, est un, mais ce en quoi il nous a baptisés, c’est-à-dire, ce pourquoi il nous a baptisés, est un ; c’est, non pas pour qu’il y eût des corps différents, c’est, au contraire, pour que tous tant que nous sommes, nous plissions conserver, entre nous, la parfaite union d’un seul et même corps ; et voilà pourquoi nous avons été baptisés : c’est pour que nous soyons tous un seul et même corps, que nous avons été baptisés. 2. Ainsi ; et celui qui nous a, faits chrétiens est un, et ce en vue de quoi nous avons été faits chrétiens est un également ; et l’apôtre ne dit as : C’est afin que nous appartenions au même corps, mais : Afin que nous soyons un seul et même corps tous, car l’apôtre prend toujours les expressions les plus fortes ; et il fait bien de dire ; « Nous avons tous », en se comprenant lui-même. En effet, moi apôtre, je n’ai rien de plus que toi ; car tu es ce corps autant que moi ; moi, autant que toi ; nous avons tous précisément la même tête, et nous sommes nés du même enfantement. C’est pourquoi nous, sommes, le même corps. Et que dis-je ? dit l’apôtre, ne parlé-je que des Juifs ? Les, gentils, si éloignés de nous autrefois, il les fait rentrer dans ce même corps. Aussi, après avoir dit : Nous avons tous, il ne s’est pas arrêté là, il ajoute : «. Juifs ou gentils, esclaves ou libres, ». Si après avoir été tant éloignés, nous nous sommes unis, nous ne faisons plus qu’un ; à bien plus forte raison, maintenant que nous ne faisons plus qu’un, serions-nous coupables de nous, affliger et de perdre courage ; car, entre nous, il n’y a pas de place pour la différence. Si le Seigneur a jugé dignes des mêmes avantages, et les païens et les Juifs, et les esclaves et les hommes libres, comment, après les avoir ainsi honorés, les séparerait-il, lorsque ses dons ne vont qu’à produire une plus étroite et plus solide union ? « Et nous avons tous été abreuvés d’un seul et même Esprit. Aussi le corps « n’est pas un seul membre, mais plusieurs (14) » ; c’est-à-dire : Nous sommes venus à la même initiation dans les mystères ; nous jouissons de la même table. Et, pourquoi ne dit-il pas : Nous nous nourrissons du même corps ; nous nous abreuvons du même sang ? c’est parce que le mot « Esprit » dont il s’est servi, marque à la fois, et le sang et le corps. Eu effet, par le sang et par le corps à la fois, nous nous abreuvons d’un seul et même Esprit. Maintenant, il me paraît vouloir entendre cette effusion de l’Esprit, qui vient en nous, par le baptême, et avant les mystères. Quant à cette expression : « Nous avons tous été abreuvés », la métaphore est tout à fait de circonstance ; c’est comme si, parlant des plantes d’un verger, il disait : c’est la même source qui arrose tous les arbres, c’est la même eau ; de même ici, c’est du même Esprit que nous nous sommes tous abreuvés ; c’est de la même grâce que nous jouissons, dit l’apôtre. Donc, si c’est un seul et même Esprit, qui nous a faits ce que nous sommes, qui a fait de nous tous un seul et même corps, car c’est là ce que signifie : « Nous avons tous été baptisés dans le : même esprit pour n’être tous ensemble qu’un même corps » ; si Dieu, dans ses faveurs, nous a mis à une seule et même table, s’il a versé sur nous tous la même rosée, car c’est là ce que veut dire : « Nous avons tous été abreuvés d’un seul et même Esprit » ; s’il est vrai que, malgré l’intervalle si grand qui nous éloignait, le Seigneur nous a unis, et que la pluralité ne fait plus qu’un seul et même corps, quand elle a été réduite à l’unité, pourquoi cette différence dont vous venez me faire tant d’éclat ? Si vous dites maintenant que les membres sont nombreux et divers, apprenez que c’est là précisément ce qui constitue la merveille, l’excellence incomparable de ce corps, où tant de parties diverses produisent l’unité. Sans cette grande pluralité, il n’y aurait rien de si merveilleux, de si étrange, à ce qu’il y eût un seul et même corps. Je me trompe ; il n’y aurait pas même de corps ; mais c’est une réflexion que l’apôtre garde pour, la fin. En attendant, il s’occupe des membres mêmes et il dit : « Si le pied disait : puisque je ne suis pas la main, je ne suis pas du corps ; ne serait-il point pour cela du corps ? et si l’oreille disait : Puisque je ne suis pas l’œil, je ne suis pas du corps, ne serait-elle point pour cela du corps (45, 16) ? » En effet, si de ce que l’un est moins, et l’autre plus, il s’ensuivait que l’on pût dire : Je ne suis pas du corps, tout le corps serait détruit. Gardez-vous donc de dire : je ne suis pas du corps, parce que je suis moindre : sans doute le pied est d’un rang inférieur, mais il appartient au corps. Être ou n’être pas du corps, ne provient pas de ce que l’un occupe telle place, l’autre, telle autre place ; il n’y a là qu’une différence de lieu ; être ou n’être pas du corps, résulte de ce qu’on y est uni ou de ce qu’on n’y est pas uni. Considérez la sagesse de l’apôtre, l’appropriation de ses expressions, si bien accommodées à nos membres ; de même qu’il disait plus haut : « J’ai proposé ces choses sous mon nom et sous celui d’Apollon » (1Co 4,6) ; de même ici, pour ne pas blesser, pour rendre son discours acceptable, il fait parler les membres, il veut que ses auditeurs, entendant la nature qui répond, soient convaincus par l’expérience, par le bon sens, et n’aient plus rien à lui objecter. En effet, dit l’apôtre, soit que vous affirmiez d’une manière précise que vous n’êtes pas du corps, soit que vous murmuriez, vous ne pouvez pas être en dehors du corps. Semblable à la loi de la nature, la vertu de la grâce, et celle-ci est bien plus forte encore, protégé et conserve toutes choses. Et voyez la précaution que prend l’apôtre, de ne rien dire d’inutile ; il ne parle pas de tous les membres, mais de deux seulement, et de deux extrêmes ; il montre, en effet, le plus précieux de tous, l’œil, et le plus vil de tous, le pied ; et il ne montre pas le pied disputant avec l’œil, mais avec la main, qui n’est qu’un peu plus élevée ; l’oreille, il la montre disputant avec l’œil : c’est que ceux à qui nous portons envie d’ordinaire, ce ne sont pas ceux qui nous surpassent de beaucoup, mais ceux qui ne sont qu’un peu plus élevés. Voilà pourquoi il établit ainsi la comparaison. « Si tout le corps était œil, où serait l’ouïe ? et s’il « était tout ouïe, où serait l’odorat (17) ? » L’apôtre en mentionnant la différence des membres, en parlant des pieds, dés mains, des yeux, des oreilles, a fait penser ses auditeurs, au plus, au moins d’importance. Voyez maintenant sa manière de les consoler, en leur montrant la convenance de cet arrangement, et la pluralité et, la diversité contribuant surtout à ce qu’il y ait un corps. Si tous n’étaient qu’une seule et même chose, ils ne seraient pas un seul et même corps ; voilà pourquoi l’apôtre dit : « Si tous les membres n’étaient qu’un seul membre, où serait le « corps (19) ? » Mais cette réflexion ne vient qu’après ; il montre ici une conséquence plus importante, à savoir, non seulement que le corps est impossible, mais que les autres sens eux-mêmes sont impossibles, car « s’il était tout ouïe, où serait l’odorat », dit-il ? 3. Et ensuite, ces réflexions mêmes ne les empêchant pas de se, troubler ; il recommence ici encore ce qu’il a déjà fait : de même que, plus haut, il les consolait par l’utilité, et qu’ensuite il leur fermait vivement la bouche, en leur disant : « Or, c’est un seul et même Esprit qui opère toutes ces choses, distribuant, à chacun, ses dons selon qu’il lui plaît » ; de même ici, après les raisonnements qui montrent que tout a été fait pour l’utilité, il ramène encore toutes choses à la volonté de Dieu, en disant : « Mais Dieu a mis dans le corps plusieurs membres et il a placé chacun d’eux comme il lui a plu (18) ». De même qu’en parlant de l’Esprit, il disait. « Selon qu’il lui plaît » ; de même ici,« comme il lui a plu ». Pas d’indiscrète curiosité dans le but de savoir pourquoi ceci est de telle façon, et ceci de telle autre. C’est qu’en effet, quand nous emploierions mille expressions différentes, nous ne pourrions pas montrer la sagesse de l’œuvre autant que nous le faisons par ces mots : L’ouvrier par excellence a voulu, et, comme il a voulu, les choses ont été faites ; car tout ce qu’il veut est toujours utile. Et maintenant, si, à propos de notre corps, nous n’en soumettons pas les membres à une enquête curieuse, à bien plus forte raison devons-nous nous abstenir à propos de l’Église. Et remarquez la sagesse de l’apôtre : il ne parle pas de la différence naturelle ni de celle qui vient des opérations, mais de la différence de position ; mais Dieu, dit-il, a mis dans le corps plusieurs membres, et il a placé chacun d’eux comme il lui a plu. Et c’est avec raison que l’apôtre dit : « Chacun d’eux », montrant l’utilité de tous. En effet, impossible de dire que Dieu a placé tel membre, mais qu’il n’a pas placé tel autre ; chacun des membres a été placé selon la volonté de Dieu. C’est pourquoi c’est l’utilité du pied d’avoir été placé de telle manière ; et ce n’est pas seulement l’utilité de la tête. Et supposé l’ordre changé, supposé qu’abandonnant le lieu qui lui est propre, il passe dans un autre lieu, quand même il paraîtrait prendre une plus belle place, le pied aurait tout perdu et tout gâté, perdu la place qui lui est propre, sans en acquérir une autre. « Si tous les membres n’étaient qu’un seul membre, où serait le corps ? Mais il y a plusieurs membres, et tous ne sont qu’un corps (20) ». Après avoir suffisamment fermé la bouche aux fidèles trop curieux, en leur parlant de la disposition que Dieu a voulue, l’apôtre recommence les raisonnements ; il ne suit pas toujours soit l’une soit l’autre de ces deux pratiques, il les alterne pour varier son discours. Se contenter de fermer la bouche aux contradicteurs, c’est jeter le trouble dans les pensées ; accoutumer l’auditeur à se rendre raison de tout, c’est porter atteinte à sa foi. Aussi, Paul s’y prend souvent de manière que les auditeurs consentent à croire et cessent de se troubler ; et, après leur avoir fermé la bouche, il fait plus, il leur donne des explications. Voyez le zèle laborieux et la plénitude de la victoire. Les raisons qui leur faisaient croire qu’ils n’étaient pas égaux en honneur, servent précisément, dans la bouche de l’apôtre, à montrer qu’ils ont cette égalité d’honneur. Mais comment cela ? C’est ce que je vais dire : « Si tous les, membres », dit l’apôtre, « n’étaient qu’un seul membre, où « serait le corps ? » C’est-à-dire, s’il n’y avait pas en vous des différences considérables, vous ne seriez pas un corps ; si vous n’étiez pas un corps, vous ne seriez pas un seul et même tout ; si volas n’étiez pas un seul et même tout, vous ne seriez pas égaux en honneur. Si vous étiez égaux en honneur, vous ne seriez pas un corps ; si vous n’étiez pas un corps, vous ne seriez pas un seul et même tout ; si vous n’étiez pas un seul et même tout, comment seriez-vous égaux en honneur ? Mais, c’est précisément parce que vous n’avez pas tous le même don que vous êtes un corps, et parce que vous êtes un corps, vous êtes tous un seul et même tout, et rien ne vous distingue l’un de l’autre, en tant que vous êtes un corps. D’où il arrive que c’est la différence considérable entre vous qui produit surtout votre égalité d’honneur, et voilà pourquoi l’apôtre ajoute : « Mais il y a plusieurs membres, et tous ne sont qu’un seul corps ». Pénétrés, nous aussi, de ces pensées, bannissons tout sentiment d’envie,.ne soyons pas jaloux de ceux qui possèdent de plus grands dons ; ne méprisons pas ceux qui en ont reçu de moindres, car c’est ainsi que Dieu l’a voulu ; cessons donc de nous insurger. Si le trouble est encore dans vos pensées, considérez que souvent celui à qui vous portez envie, ne saurait accomplir ce que vous savez faire, d’où il suit qu’inférieurs à lui, vous le surpassez à ce titré ; que supérieur à vous, à ce titre il est vaincu par vous, et que c’est là ce qui constitue l’égalité. En effet, dans le corps même, les membres modestes n’accomplissent pas de modestes fonctions, et souvent, en cessant de les remplir, ils affaiblissent les membres importants. Quoi de moins considérable que les poils à la surface du corps ? eh bien, ces poils chétifs, enlevez-les des sourcils et des paupières ; et c’en est fait de toute la beauté du visage, de la beauté des yeux. La perte est légère, et cependant toute la beauté du visage est détruite, et non seulement la beauté, mais ce qu’il y a d’utile dans l’activité des yeux est compromis ; car chacun de nos membres accomplit une fonction d’un caractère spécial et une fonction d’un caractère commun ; nous avons aussi en nous une beauté qui nous est propre, et une qui nous est commune. Ces membres paraissent divisés ; ils sont pourtant unis avec le plus grand soin ; que l’un périsse, et l’autre périt en même temps. Voyez encore : il faut que les yeux soient brillants, la joue souriante, la lèvre rouge, le nez droit, le sourcil étendu ; dérangez, si peu que ce soit, le moins important de ces détails, vous compromettez la beauté commune, et vous ne verrez que laideur dans tout ce qui apparaissait auparavant avec tant de beauté. Écrasez l’extrémité du nez, et vous répandez la laideur sur tout l’ensemble du corps, quoique vous n’ayez mutilé qu’un seul membre. Et maintenant, dans la main, enlevez. Simplement l’ongle d’un doigt, vous verrez le même résultat. 4. En voulez-vous une preuve empruntée à l’opération même de la main ? Supprimez un doigt, rien qu’un, et vous verrez les autres réduits à l’inaction, incapables désormais d’accomplir leur œuvre ; donc, puisque la perte d’un seul membre est pour tout le corps une difformité, puisque, au contraire, la conservation de ce membre conserve la beauté de tout le reste, ne nous exaltons pas, n’insultons pas nos frères. C’est ce membre chétif qui donne, à cet autre membre si grand, l’éclat de sa beauté, ce sont les paupières qui ornent les yeux. C’est donc se faire la guerre à soi-même que de la faire à son frère ; car on ne fera pas du mal seulement à son frère, mais à soi-même, et le dommage sera grand. Faisons en sorte que nous prévenions de pareils malheurs ; ayons, pour nos proches, autant d’égards que pour nous-mêmes. Cette image prise du corps, transportons-la à l’Église, et prenons soin de tous ses membres, comme de nos propres membres. En effet, il y a dans l’Église des membres nombreux et divers ; les uns recouverts d’honneur, les autres inférieurs par le rang ; tels sont les chœurs des vierges, les assemblées des veuves ; ajoutons-y encore les chastes communautés des époux, il y a de nombreux degrés pour monter à la vertu. Et de même, en ce qui concerne l’aumône : l’un a prodigué, dépensé tous ses biens, d’autres ne pensent qu’à s’assurer ce qui suffit à leurs besoins, sans rechercher plus que le nécessaire ; d’autres donnent de leur superflu. Qu’arrive-t-il ? C’est que tous s’embellissent mutuellement les uns les autres ; si le plus grand méprise le plus petit, c’est à lui-même qu’il fait la plus cruelle blessure ; si une vierge outrage une femme mariée, elle perd une grande partie de sa récompense ; si celui qui a tout donné, fait des reproches à l’homme qui ne l’a pas imité, il a perdu en grande partie le fruit de ses mérites. Et que parlé-je de vierges, de veuves et d’hommes qui donnent tous leurs biens aux pauvres ? Quoi de plus misérables que les mendiants ? et cependant ces mendiants mêmes sont de la plus grande utilité dans l’Église ; attachés aux portes du temple, ils en font le plus bel ornement ; sans eux l’Église ne se montrerait pas dans sa plénitude. Dès les premiers temps, les apôtres possédés de ces pensées, établirent, entre tant d’autres lois, la loi concernant les veuves ; et ils le firent avec tant de zèle qu’ils mirent sept diacres à leur tête. De même que je compte les évêques, les prêtres, les diacres, les vierges, ceux qui gardent la continence ; de même, au nombre des membres de l’Église, j’inscris les veuves. Leurs fonctions ne sont pas sans dignité ; vous, vous ne venez à l’église que quand il vous plaît, les veuves, c’est jour et nuit qu’elles séjournent dans l’église, en chantant des psaumes ; et ce n’est pas seulement l’aumône qui les y retient ; elles n’auraient qu’à le vouloir pour aller mendier dans le forum et dans les ruelles ; mais elles apportent ici une piété qu’il ne faut pas dédaigner. Voyez, elles sont dans la pauvreté comme dans une fournaise, et cependant vous n’entendrez de leur bouche aucun blasphème, aucune parole d’indignation, ce que tant de femmes riches se permettent si souvent. Ces veuves qui ont faim, on les voit souvent dormir ; d’autres sont continuellement tourmentées par le froid, et cependant leur vie se passe à rendre à Dieu des actions de grâces, à le glorifier. Qu’on leur donne une obole, elles vous bénissent, leurs prières implorent l’effusion des biens sur celui qui leur a donné ; qu’on ne leur donne rien, elles se résignent, et même alors, elles bénissent, elles accompagnent l’indifférent de leur affection, en se contentant de leur nourriture journalière. Bon gré, mal gré, direz-vous, il faut bien qu’elles se résignent. Pourquoi, répondez-moi, pourquoi prononcez-vous cette parole si amère ? N’y a-t-il donc pas des industries honteuses, lucratives pour les vieillards, pour les femmes chargées du poids des ans ? Si elles ne tenaient pas à vivre dans l’honnêteté, ne pouvaient-elles pas, par ces moyens honteux, se procurer l’abondance ? Ne voyez-vous pas combien grand est le nombre des fournisseurs de voluptés et de ceux qui à cet âge vendent des plaisirs, exercent les professions de ce genre ? Leur vie se passe dans les délices ; mais, pour nos pauvres, non. Ils aiment mieux mourir de faim, que de déshonorer leur vie, que de trahir leur salut, et ils restent assis, tant que le jour dure, préparant votre salut à vous. Car il n’est pas de médecin, de chirurgien à l’œuvre, le fer à la main, enlevant les chairs putréfiées, qu’on puisse comparer aux pauvres, étendant la main pour recevoir l’aumône, et guérissant en vous les passions qui vous gonflent ; chose admirable encore, ils opèrent sur vous sans douleur cette excellente médication. Et tout autant que nous, qui sommes à la tête du peuple et vous donnons d’utiles avertissements, celui que vous voyez assis devant les portes de l’église vous parle par son silence, par son aspect. Car nous, chaque jour nous vous répétons : abaisse ton orgueil, ô homme, l’homme ne fait que passer ; sa nature est fragile, la jeunesse se hâte vers la vieillesse ; la beauté vers la laideur ; la force vers la faiblesse, l’honneur devient mépris ; la santé, infirmité ; la gloire, un état misérable ; les richesses, de la pauvreté ; semblables à un courant impétueux, tout ce que nous sommes est sans consistance, et se précipite dans un abîme. 5. Et voilà ce que vous disent les pauvres, et ils vous en disent bien plus encore, vous parlant par l’expérience même, ce qui est la plus claire des exhortations. Combien y en a-t-il, de ceux qui sont assis à ces portes, dont la jeunesse fut florissante, et qui ont fait de grandes choses ! Combien y en a-t-il, de ces disgraciés, qui, par la vigueur de leurs membres et par leur beauté, en surpassèrent bien d’autres ! Ne refusez pas de me croire, et gardez-vous de rire. Les exemples de ce genre sont innombrables ; ils remplissent la vie ; si tant de misérables d’une condition abjecte, sont devenus rois tout à coup, qu’y a-t-il d’étonnant que de grands personnages, comblés de gloire, soient devenus vils et misérables ? Le premier exemple certes a bien plus de quoi étonner ; quant au dernier, c’est une histoire qui se renouvelle très souvent. Aussi n’y a-t-il pas lieu de refuser de croire que, dans les arts, dans la profession militaire, dans l’ordre de la fortune, quelques-uns de ces malheureux d’aujourd’hui aient été autrefois florissants ; nous devons les plaindre, les couvrir de toute notre sympathie, de notre affection, et, à leur vue, redouter de subir un jour nous-mêmes le même sort. En effet, nous sommes, nous aussi, des hommes, et soumis à la même rapidité de changement. Mais peut-être un de ces insensés pour qui la raillerie est une habitude, critiquera nos paroles et parodiera tout notre discours ; et jusques à quand, dira-t-il, vous appliquerez-vous à discourir sans relâche sur les pauvres et les indigents, et à nous prédire des sinistres, et à nous annoncer d’avance la pauvreté, n’ayant d’autre souci que de faire de nous des mendiants ? Non, non ; mon souci n’est pas de faire de vous des mendiants, ô hommes ; je brûle de vous ouvrir les trésors du ciel. Parler à un homme bien portant de maladie, raconter les douleurs des malades, ce n’est pas pour que la santé devienne une maladie ; c’est pour que la santé se conserve ; c’est pour que la crainte des malheurs arrivés aux autres corrige la négligence et l’incurie. La pauvreté vous épouvante, le nom seul vous fait frissonner ; eh bien ! voilà ce qui nous rend pauvres ; c’est que nous craignons la pauvreté, eussions-nous même dix mille talents. Le pauvre n’est pas celui qui n’a rien ; c’est celui qui a horreur de la pauvreté ; dans les malheurs, nous ne pleurons pas sur ceux qui souffrent des maux sans nombre ; ce ne sont pas là ceux que nous estimons malheureux, mais ceux qui ne savent pas supporter les malheurs, quelque faibles qu’ils soient ; et nous disons que celui qui les souffre avec patience, mérite et couronnes et gloire. Et pour prouver que c’est là la vérité, quels sont, dans les luttes, ceux qui reçoivent nos éloges ? Sont-ce les combattants qui souffrent mille coups sans se plaindre, qui, toujours la tête haute, restent jusqu’au bout à leur poste, ou ceux à qui les premiers coups font prendre la fuite ? Est-ce que nous ne couronnons pas les premiers pour leur courage, pour leur grandeur d’âme ? Ne sait-on pas qu’au contraire nous nous moquons des autres, de leur lâcheté, de leur timidité ? Eh bien donc, faisons de même dans les choses de cette vie. Couronnons celui qui supporte tout sans se plaindre, comme on couronne le brave dont la valeur se montre dans tous les combats. Mais le timide, que les difficultés de la vie font trembler, plaignons-le ; pleurons celui qui, avant de recevoir le coup, se meurt de frayeur. Supposez en effet dans les combats, un homme qui, avant que la main se soit levée, à la vue de son adversaire étendant le bras, s’enfuit avant de recevoir le coup ; il sera ridicule, on dira que c’est un énervé, un mou, un ignorant, étranger aux nobles labeurs. C’est l’histoire de ceux qui craignent la pauvreté, sans pouvoir même en soutenir la pensée. Donc, ce n’est pas nous qui vous rendons malheureux ; c’est vous-mêmes qui vous faites cotre malheur. Et comment par la suite le démon ne se moquera-t-il pas de vous, s’il vous voit, avant d’avoir été frappés, rien que sous le coup des menaces, effarés et tremblants ? Ce n’est pas tout : il suffit que vous redoutiez une pareille menace, pour qu’il n’ait plus besoin de vous frapper ; il souffrira que vous possédiez vos richesses, puisque la crainte de vous les voir enlever, vous rendra plus mous que la cire. Voilà notre caractère. On peut dire que ce qui nous fait peur, ne nous paraît plus, après l’expérience, aussi terrible qu’avant que nous l’ayons éprouvé. Le démon, pour vous priver de cette force que donne l’expérience, vous retient dans une crainte excessive, et, avant l’expérience, par la crainte de la pauvreté, il vous amollit comme la cire. Un tel homme, plus inconsistant que la cire, est plus misérable que Caïn ; il craint pour ce qu’il possède, et il s’afflige pour ce qu’il ne possède pas. Et pour ce qu’il possède, il tremble encore et il s’épuise à retenir ces richesses fugitives, et son cœur est assiégé par mille absurdes passions. Voyez plutôt : désirs absurdes, frayeurs variées, angoisses, tremblement ; voilà ce qui tourmente de tous côtés les avares. On dirait une barque agitée par tous les souffles contraires, assiégée de toutes parts au sein des flots. Et combien il vaudrait mieux, pour un tel homme, de mourir, que de supporter cette perpétuelle tempête ; car il valait mieux pour Caïn de mourir que de trembler toujours. Eh bien donc, préservons-nous de pareilles souffrances ; raillons-nous des artifices du démon ; brisons ces cordages, émoussons la pointe de sa lance funeste ; interdisons-lui tout accès auprès de nous. Si vous tournez la fortune en dérision, il ne sait par où vous frapper, il ne sait par où vous prendre. Vous avez arraché la racine des maux, et la racine étant ôtée, le mauvais fruit ne germera plus. Disons-le toujours, et ne cessons pas de le redire : nos discours produisent-ils leur fruit ? C’est ce que manifestera ce jour qui sera révélé dans le feu, qui examinera l’œuvre de chacun, qui montrera les lampes brillantes, et celles qui ne le sont pas. Alors on verra qui a de l’huile, et qui n’en a pas. Mais plaise à Dieu que personne ne soit trouvé dépourvu de cette consolation ; que tous puissent montrer les preuves de la munificence divine, et, porteurs de lampes brillantes, faire leur entrée avec l’époux ! Certes, il n’est rien de plus terrible, de plus amer que la parole qu’entendront ceux qui partiront d’ici, sans les richesses de l’aumône, à qui l’époux dira « Je ne vous connais pas ». (Mat 25,42) Loin de nous le malheur d’entendre une telle parole ! Puissions-nous bien plutôt entendre ces mots si doux et si désirables : « Venez avec moi, ô les bénis de mon Père ; possédez le royaume qui vous a été préparé dès le commencement du monde ». (Id 34) Car c’est ainsi que nous passerons une vie bienheureuse ; et que nous jouirons de tous les biens qui surpassent la pensée de l’homme. Puissions-nous tous les obtenir, par la grâce, et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, en qui appartiennent, au Père ; en union avec le Saint-Esprit, la gloire, la force, l’honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il. HOMÉLIE XXXI.
OR, L’ŒIL NE PEUT PAS DIRE À LA MAIN : JE N’AI PAS BESOIN DE VOUS, NON PLUS, QUE LA TÊTE NE PEUT DIRE AUX PIEDS : JE N’AI PAS BESOIN DE VOUS. (CHAP. 12,21, JUSQU’AU VERSET 26) ANALYSE.
- 1. Contre l’orgueil dé ceux qui se croient les préférés de Dieu.
- 2. Suite de la comparaison entre l’Église et le corps humain. – Les membres les plus faibles sont les plus-nécessaires.
- 3. Discussion un peu subtile, souvent très ingénieuse sur l’égalité dans la diversité des membres, soit du corps, soit de l’Église.
- 4. Du respect pour tous ; ce respect, les attentions, la prévoyance, tout de la part de tous doit être ; pour tous, égal. – Contre l’envie. – Différence de l’envie et de l’émulation. – Comparaison piquante. – Développement chaleureux, éloquent contre la bassesse funeste et exécrable de l’envie.
1. Il vient de corriger l’envie des inférieurs ; il vient de consoler le chagrin qu’inspirait naturellement la vue de ceux qui avaient reçu des dons plus glorieux. Maintenant il réprime l’orgueil de ceux qui ont été jugés dignes de faveurs plus hautes. C’est d’ailleurs ce qu’il avait déjà fait quand il discutait avec eux ; (en effet, leur dire qu’ils avaient reçu un don gratuit, qu’ils ne jouissaient pas du fruit de leurs bonnes œuvres, c’était exprimer la même pensée) ; mais maintenant cette pensée, il la reprend d’une manière plus vive, en conservant la même image. C’est toujours le corps et l’unité du corps, et la comparaison, de ses membres, qui lui inspirent les réflexions les plus agréables pour les fidèles. Ce fait que tous ne formaient qu’un seul corps, ne les consolait pas autant que cette vérité, que la diversité des fonctions ne constituait pas une grande infériorité, et il leur dit : « Or, l’œil ne peut pas dire à la main : je n’ai pas besoin de vous ; non plus que la tête ne peut dire aux pieds : je n’ai pas besoin de vous ». Car, si le don est moindre, il est nécessaire ; et, de môme que si le pied manquait dans le corps, il en résulterait une grande incommodité, de même, sans les membres inférieurs l’Église boîte, et n’a pas sa plénitude. Et l’apôtre ne dit pas : Or, l’œil ne dira pas, mais : « Ne peut dire ». Comprenez bien : Quand même il aurait voulu dire, quand même il dirait, ses paroles seraient sans valeur, non fondées en nature. Voilà pourquoi l’apôtre, prenant les deux extrêmes, leur prête la parole. D’abord il suppose la main et l’œil, ensuite la tête et le pied, pour développer son exemple. Quoi de plus vil que le pied ? Quoi de plus noble que la tête, et de plus nécessaire ? Car, c’est là surtout ce qui constitue l’homme, la tête. Et cependant la tête ne suffit pas ; elle ne pourrait tout faire par elle-même ; si elle pouvait tout faire, les pieds seraient superflus. Toutefois, il ne s’arrête pas là, mais il veut prouver surabondamment son dire, c’est son habitude ; la juste mesure ne lui suffit pas, il va plus loin, et voilà pourquoi il ajoute : « Mais au contraire, les membres du corps qui paraissent les plus faibles, sont, bien plus nécessaires. Nous honorons même davantage les parties du corps qui paraissent moins honorables, et nous couvrons avec plus de soin et d’honnêteté, celles qui sont moins honnêtes (22, 23) ». Il continue sa comparaison avec les membres du corps, et, par là, il console et il réprime. Je ne dis pas seulement, dit l’apôtre, que les parties les plus considérables aient besoin de celles qui le sont moins, mais encore qu’elles en ont un grand besoin. S’il y a en effet, en nous, quelque chose d’infirme, de peu honnête, cela est nécessaire, et reçoit un plus grand honneur, et c’est avec raison qu’il dit : « Qui paraissent, et que nous considérons comme moins honnêtes », montrant par là que ce n’est pas la nature qui parle, mais l’opinion. Il n’y a rien en nous qui ne soit honorable, car tout est l’ouvrage de Dieu. Par exemple ; qu’est-ce qui paraît moins mériter d’être honoré que les organes de la génération ? Nous les entourons cependant de plus d’honneur que les autres parties du corps, et ceux qui sont tout à fait pauvres, eussent-ils tout le reste du corps à nu ; ne souffriront jamais de montrer ces parties nues. Et cependant, ce n’est pas ainsi que l’on se comporte avec les choses qui sont en réalité moins honorables ; il conviendrait de leur marquer plus de mépris qu’aux autres. En effet, dans l’intérieur d’une maison, l’esclave regardé aveu ignominie, non seulement n’a pas un traitement supérieur, mais il ne reçoit même pas un traitement égal. Ici, au contraire, ces membres jouissent d’un plus grand honneur, et c’est l’œuvre de la sagesse de Dieu. Parmi nos membres, la nature a donné, aux uns les honneurs, de manière qu’ils n’aient pas à les réclamer ; la nature les a refusés aux autres, pour nous forcer à les leur rendre ; niais ils ne sont pas pour cela sans honneur, puisque les animaux naturellement n’ont besoin de rien, ni de vêtements, ni de chaussures, ni d’abri, le plus grand nombre d’entre eux du moins. Notre corps néanmoins n’est pas moins honorable que leur corps, pour avoir tous ces besoins. Il suffit de la réflexion pour voir que la nature même a fait ces parties et honorables et nécessaires. C’est ce que l’apôtre lui-même a insinué, ne se fondant ni sur le soin que nous en prenons, ni sur le plus grand Bonheur dont nous les entourons ; mais sur la nature même. Aussi,.après avoir parlé des membres faibles et moins honorables, il dit : « Qui paraissent ». Quand il en proclame la nécessité, il ne dit, plus : qui paraissent nécessaires, mais, sans hésitation aucune, il dit qu’ils sont nécessaires. Et c’est avec raison, car, et pour la procréation des enfants et pour la succession de notre race, ces membres nous sont utiles. Aussi les lois romaines punissent-elles ceux qui les détruisent et qui font des eunuques. C’est un attentat contre notre race ; c’est un outrage fait à la nature même ; périssent les impudiques qui calomnient les ouvrages de Dieu ! De même que les malédictions contre le vin, résultent du vice de ceux qui s’enivrent ; de même pour les malédictions contre le sexe des femmes, il faut s’en prendre aux adultères. Si l’on a regardé ces membres comme honteux, c’est à cause du mauvais usage que quelques-uns en font. Ce n’est pas ainsi qu’il fallait raisonner ; ce n’est pas à la nature de la chose que le péché s’attache, c’est à la volonté criminelle qui le produit. Maintenant quelques interprètes pensent que ces membres faibles, et ces membres peu honnêtes et nécessaires, et qui jouissent d’un plus grand honneur, dans la pensée de Paul, sont les yeux, lesquels sont sans force, mais d’une utilité supérieure aux autres ; que les parties les moins honnêtes sont les pieds, car eux aussi sont entourés d’un grand nombre de soins prévoyants. 2. Ensuite, pour ne rien ajouter à ce développement déjà surabondant, l’apôtre dit « Car pour celles qui sont honnêtes, elles n’en « ont pas besoin (24) ». L’apôtre ne veut pas qu’on lui dise : est-il juste de dédaigner les parties honorables, et d’entourer de ses soins les moins honorables ? Ce n’est pas par dédain, dit l’apôtre, que nous agissons ainsi ; mais c’est que ces parties n’ont pas besoin de nos soins. Et voyez quel grand éloge il fait de ces parties, avec autant de rapidité que d’à-propos et d’utilité ; il ne se contente pas de ce qu’il vient de dire, il y joint une explication : « Mais Dieu a mis un admirable tempérament dans tout le corps, en honorant davantage ce qui était défectueux, afin qu’il « n’y ait point de schisme dans le corps (24, 25) ». Dieu a tempéré, c’est-à-dire, qu’il n’a pas laissé apparaître ce qui était moins honorable. En effet, ce que l’on tempère et que l’on mêle devient un, et on ne voit pas ce que pouvait être auparavant l’objet qui a été mêlé à l’ensemble. Nous ne saurions même pas dire s’il y a eu un mélange. Et voyez combien de fois l’apôtre dit en passant : « Ce qui était défectueux » ; il ne dit pas : ce qui était déshonnête ou honteux, mais : « Ce qui était défectueux ». Ce qui était défectueux, comment cela ? selon la nature. « Lui accordant plus d’honneur » ; et pourquoi ? afin qu’il n’y eût point de schisme dans le corps. Les fidèles recevaient là une immense consolation ; cependant, comme ils s’affligeaient d’avoir été moins bien partagés, l’apôtre leur montre qu’ils ont reçu plus d’honneur. « Accordant plus d’honneur », dit-il, « à ce qui était défectueux » ; et ensuite, il explique comment Dieu a parfaitement ordonné, et que tel membre fût défectueux, et qu’il reçût plus d’honneur. Pourquoi ? « Pour qu’il n’y ait pas », dit-il, « de schisme dans le corps ». Il ne dit pas : dans les membres, mais : « Dans le corps ». Et en effet, il y aurait eu une bien grande superfétation si quelques membres avaient été enrichis à la fois des dons de la nature et de ceux de notre prévoyance ; tandis que d’autres membres n’auraient rien eu, de ces deux côtés, en partage. Ils se seraient séparés du tout, n’étant pas capables de supporter l’union. Et maintenant, cette séparation ne se serait pas opérée sans dommage pour les autres parties. Voyez-vous comme l’apôtre montre la nécessité d’honorer davantage ce qui est défectueux ? Supprimer ce privilège d’honneur, t’eût été la perte pour tous. En effet, si nous n’avions pas pris un grand soin de ces membres inférieurs, ils auraient souffert, et du dédain de la nature, et du tort que nous leur aurions fait. Leur perte eût été pour le corps un déchirement, et le corps étant déchiré, les autres parties bien supérieures encore auraient péri. Voyez-vous comme le soin de quelques-uns, de ces membres est uni à la prévoyance qui s’occupe des autres ? En effet, ils trouvent moins dans leur nature propre leur raison d’être, qu’ils ne trouvent dans le corps leur raison d’être un tout. Aussi que le corps vienne à périr, il ne leur sert à rien d’être séparément plein de santé ; que l’œil demeure, ou le nez ; que chaque membre conserve ce qui lui appartient, mais que le lien avec le corps soit rompu, il n’y a désormais, pour ces membres, aucune raison d’exister. Au contraire, supposez que le corps subsiste, et que ces membres soient endommagés, ils continuent à faire partie du corps ; et bientôt ils retrouvent la santé. Mais, dira-t-on peut-être, dans le corps cela s’explique ; on comprend qu’un membre défectueux reçoive un plus grand honneur. Mais dans la société des hommes, le, moyen qu’il en soit ainsi ? C’est surtout dans la société humaine que vous verrez cette vérité se réaliser. Et en effet, ceux qui sont venus vers la onzième heure, ont reçu les premiers leur salaire ; la brebis errante a engagé le pasteur à laisser les quatre-vingt-dix-neuf autres pour courir à sa recherche, et, quand il l’a eu retrouvée, il l’a portée sur ses épaules, et il ne l’a pas chassée ; l’enfant prodigue a reçu plus d’honneur que celui qui s’était bien conduit ; le larron a reçu la couronne, avant les apôtres, et il les a devancés dans la gloire ; l’histoire des talents vous montre le même fait : celui qui avait reçu cinq talents, et celui qui en avait reçu deux, ont été jugés dignes du même salaire. Et c’est la marque d’une grande providence, que l’un ait reçu deux talents ; car si on lui eût confié cinq talents, quand il était incapable de les augmenter, il aurait perdu tout ce à quoi il pouvait prétendre ; mais ayant reçu deux talents, ayant accompli tout ce qui dépendait de lui, il a obtenu la même récompense que celui qui avait opéré avec cinq talents, et il a eu l’avantage sur lui d’avoir avec moins de labeurs gagné les mêmes couronnes. En effet, c’était un homme comme celui qui – avait reçu les cinq talents, et cependant le Seigneur n’exige pas de lui des comptes aussi sévères ; il ne réclame pas de lui autant que de son compagnon d’esclavage ; il ne lui dit pas : pourquoi ne peux-tu pas faire cinq talents ? ce qu’il était en droit de lui dire. Pénétrés de ces vérités, n’insultez pas, si vous êtes plus grands, ceux qui sont plus petits. Craignez die vous blesser, avant de les blesser eux-mêmes. Ceux-ci étant séparés de vous, c’en est fait de tout le corps ; car qu’est-ce que le corps, sinon un ensemble de membres, comme l’apôtre le dit lui-même : « Aussi, le corps n’est pas un seul membre, mais un ensemble de membres ». Donc, si c’est là ce qui constitue le corps, ayons grand soin que le plus grand nombre reste le plus grand nombre ; car autrement, nous recevons une blessure mortelle. Aussi l’apôtre ne se contente-t-il pas, d’exiger que nous ne nous séparions pas les uns des autres ; il veut de plus que nous demeurions étroitement unis. En effet après avoir dit : « Afin qu’il n’y ait point de schisme dans le corps », il ajoute : « Mais que tous les membres aient un égal souci les uns des autres », et il donne ainsi la seconde raison de la supériorité d’honneur accordée aux membres inférieurs. Car Dieu n’a pas voulu seulement qu’il n’y eût pas de séparation, mais de plus qu’il y eût l’abondance de la charité, et la plénitude de la concorde. Eu effet, si c’est un besoin pour chaque membre de veiller au salut du prochain, ne parlez ni du plus ni du moins, car il n’y a là ni plus ni moins. Tant que le corps subsiste, il peut y avoir une différence ; au contraire, que le corps périsse, il n’en est plus de même. Or, le corps périra si les parties moindres ne subsistent pas. 3. Si donc les membres supérieurs périssent lorsque les inférieurs en sont violemment séparés, ces membres supérieurs doivent avoir autant de souci des autres que d’eux-mêmes, puisque c’est de l’union avec les membres les plus modestes, que dépend le, salut des membres plus grands. Aussi vous aurez beau répéter à satiété, membre obscur, membre inférieur, si vous n’avez pas, pour cet inférieur, autant de souci que pour vous-même ; si vous le négligez comme moins important que vous, c’est vous qui souffrirez de cette négligence. Voilà pourquoi l’apôtre ne dit pas seulement : Que les membres aient souci les uns des autres ; il dit plus : « Que les membres aient un égal souci les uns des autres » ; c’est-à-dire, que l’attention, que, la prévoyance doit s’étendre sur le plus petit autant que sur le plus grand. Ne dites donc pas : un tel n’est que d’une condition vulgaire ; cet homme, que vous regardez comme le premier venu ; considérez que c’est un membre du corps, qui se compose de toutes ses parties ; tout aussi bien que l’œil, ce membre quel qu’il puisse être, contribue à faire que le corps soit le corps. En ce qui concerne la constitution du corps, nul ne possède plus que le prochain. Car ce qui constitue le corps, ce n’est pas que l’un soit plus grand, l’autre plus petit, mais qu’il y ait pluralité et diversité. De la même manière que vous, plus grand, vous aidez à former le corps ; de même cet autre y contribue aussi, en étant plus petit que vous. De telle sorte que la petitesse de celui-ci, en ce qui concerne la constitution du corps, est aussi précieuse que votre grandeur, pour cet harmonieux agencement ; il a la même efficacité que vous ; c’est ce que va rendre évident une supposition. Supprimons la différence du plus petit et du plus grand, parmi les membres ; qu’il n’y en ait plus, ni de plus honorables ni de moins honorables ; que tout soit œil, ou bien que tout soit tête, n’est-il pas vrai que le corps périra ? C’est de la dernière évidence. Faisons le contraire ; amoindrissons tous les membres ; même résultat ; de sorte que, par là encore, éclate l’égalité d’importance des inférieurs avec les supérieurs. Faut-il dire encore quelque chose de plus fort ? ce n’est que pour faire subsister le corps, que le moindre est le moindre ; si donc tel membre est moindre, ce n’est qu’à cause de vous, ce n’est qu’afin que vous soyez grand : Voilà pourquoi l’apôtre réclame de tous, une égalité d’attention mutuelle ; après avoir dit : « Que les membres aient un égal souci les uns des autres », il explique encore cette pensée, en disant : « Et si l’un des membres souffre, tous les autres membres souffrent avec lui ; ou si l’un des membres reçoit de l’honneur, tous les autres s’en réjouissent avec lui (26) ». Si Dieu a voulu, dit l’apôtre, que l’attention réciproque des membres s’étendît sur tous, c’était pour assurer, au sein de la diversité même, l’unité, afin que tout ce qui arriverait fût ressenti dans une communion parfaite. Car, si l’attention pour le prochain est le salut de tous, il est nécessaire et que tous les sujets de gloire et toutes les causes d’afflictions soient ressenties en commun par tous. L’apôtre fait donc ici trois recommandations : pas de division, union parfaite ; égale réciprocité d’attention ; regarder toute chose qui survient, comme arrivant pour tous. Sans doute, il dit précédemment qu’un honneur plus grand été fait à ce qui est défectueux, précisément à cause de ce que le membre a de défectueux, il veut montrer que l’infériorité même donne un titre à une plus grande part de considération ; mais ici, le point de vue est changé, l’égalité entre les membres se fonde sur l’égalité d’attention mutuelle. Ce qu’il a voulu, dit-il, en accordant une supériorité, d’honneur, c’est empêcher que le membre inférieur ne fût jugé moins digne d’attention. Mais, pour unir les membres d’une manière parfaite, il ne se borne pas là, il les unit encore par la sympathie dans les joies et dans les douleurs qui surviennent. Souvent, lorsqu’une épine est entrée dans la plante du pied, tout le corps s’en ressent et s’en inquiète, le dos se courbe, et le ventre et les cuisses se contractent, et les mains, comme des satellites, comme des domestiques, s’avancent, retirent ce qui s’est enfoncé, la tête se penche, et les yeux retardent avec une attention soucieuse. Il est évident par là que si le pied a l’infériorité parce qu’il ne peut s’élever comme d’autres membres, il ressaisit l’égalité en forçant la tête à se baisser, il partage ses honneurs, et remarquons surtout cette égalité d’honneurs quand les pieds conduisent la tête, non pour lui faire plaisir, mais par devoir. D’où il suit que si la tête, au point de vue de la considération, a quelque avantage sur les pieds, il suffit pour rétablir l’égalité parfaite que la tête, qui est si noblement partagée, doive honneur et assistance à ce qui est au-dessous d’elle, et ressente également toutes les souffrances du membre inférieur. Car, quoi de pins vil que la plante des pieds ? Quoi de plus noble que la tête ? Mais le pied marche pour la tête, et emporte tous les membres avec lui. Voyez encore : s’il arrive quelque accident aux yeux, c’est pour tous les membres, et de la douleur et une inaction forcée ; les pieds ne marchent plus ; les mains ne travaillent plus ; le ventre ne reçoit plus sa ration ; ce n’est pourtant qu’un mal d’yeux. D’où vient que votre ventre se dessèche, que vos pieds ne vont plus, que vos mains sont liées ? C’est que tout le corps est un système où tout se tient, de là l’inexprimable communauté de toutes les affections. Sans cette communauté, il n’y aurait pas la réciprocité d’attention et d’inquiétudes. Voilà pourquoi l’apôtre, après avoir dit : « Que les membres aient un égal souci les uns des autres », a vite ajouté : « Et si l’un des membres souffre, tous les autres membres souffrent avec lui ; ou si l’un des membres reçoit de l’honneur, tous les autres s’en réjouissent avec lui ». Et comment, dira-t-on, se réjouissent-ils par sympathie ? C’est la tête que l’on couronne, et l’homme tout entier se glorifie ; ce n’est que la bouche qui parle, et les yeux rient et se réjouissent ; ce qui cause la joie, ce n’est pourtant pas la beauté des yeux, mais ce que dit la langue. Autre preuve : les yeux sont beaux, et toute la femme en est embellie ; et maintenant, si le nez est droit, le cou élégant, les autres membres gracieux, voici que les yeux, à leur tour, respirent la joie et la fierté ; et ces mêmes yeux pleurent à chaudes larmes, dans les douleurs ; dans les catastrophes qui arrivent aux autres membres, fussent-ils personnellement sans aucune atteinte. 4. Donc méditons ces pensées, tous tant que nous sommes, imitons l’amour mutuel de ces membres bien unis, ne faisons pas le contraire de ce qu’ils font, n’insultons pas aux malheurs du prochain, ne portons pas envie à sa prospérité, une telle conduite n’appartient qu’à des hommes – en délire, qu’à des furieux. Se crever un œil, c’est la preuve d’une insigne démence, se ronger le poing, c’est la marque d’une folie qui éclate au grand jour. Se conduire ainsi envers ses membres, tenir la même conduite envers ses frères, c’est également s’assurer le renom d’un insensé, c’est se faire un tort qui mérite qu’on y pense. Tant que ce membre resplendit, c’est votre beauté en même temps qui brille, et tout votre corps est embelli : car cette beauté particulière, le membre ne l’accapare pas pour lui seul, mais il vous donne, à vous aussi, un sujet de vous glorifier : si vous l’éteignez, vous produisez des ténèbres qui enveloppent tout le corps, vous créez un malheur commun à tous les membres ; si au contraire, vous conservez sa splendeur, c’est la beauté du corps tout entier que vous conservez. En effet, vous n’entendez jamais dire : voila un bel œil ; mais, que dit-on ? Voilà une belle femme ; et l’éloge de l’œil ne vient qu’après l’éloge de tout le corps. Il en est de même pour l’Église. En effet, s’il en est, dans son sein, qui jouissent d’une bonne renommée, tout le corps de l’Église recueille le fruit de cette estime. Car les ennemis de l’Église ne cherchent pas les distinctions des personnes dans les éloges, ils adressent leurs éloges à tout le corps. Si tel a l’éloquence en partage, ce n’est pas lui seulement qu’on célèbre par des éloges, mais toute l’Église. En effet ; on ne dit pas, un tel est admirable, mais que diton ? C’est un docteur admirable que possèdent les chrétiens, et l’éloge est, pour tous, un bien commun. Ainsi ce que les gentils unissent, vous, c’est vous qui 1e divisez, et vous faites la guerre à votre propre corps, à vos propres membres ? Et vous ne voyez pas que vous bouleversez tout ? « Tout royaume » ; dit Jésus, « divisé contre lui-même sera ruiné ». (Mat 12,25) Or, maintenant rien ne produit autant la division, la séparation, que l’envie et la haine jalouse, maladie funeste, pour laquelle il n’y a pas de pardon, maladie plus funeste que la racine même de tous les maux. L’avare en effet a du plaisir au moins quand il reçoit quelque chose ; l’envieux, au contraire, ne se réjouit pas quand il reçoit, mais quand uri autre ne reçoit pas : car ce qu’il prend pour un bienfait personnel, c’est le malheur d’autrui, ce n’est pas le bonheur qui lui arrive à lui-même ; c’est un ennemi commun de toute la nature humaine, et qui se plaît à frapper les membres du Christ : quelle fureur plus détestable que celle-là ? Le démon est jaloux de qui?-des hommes, mais il ne porte envie à aucun démon : tandis que vous, qui êtes un homme, c’est contre des hommes que vous ressentez de l’envie, vous vous élevez contre celui qui est de la même famille, du même sang que vous, et c’est ce que le démon lui-même ne fait pas. Et quel pardon pouvez-vous espérer, quelle justification faire entendre, vous qui, à la vue du bonheur d’un frère, tremblez et pâlissez de rage, au lieu de vous réjouir, de tressaillir d’allégresse ? Soyez l’émule de votre frère, je n’y mets pas d’obstacle : mais soyez son émule par les vertus qui le font estimer ; son émule, non pas pour le dénigrer, mais pour vous élever au même faîte que lui, pour montrer la même perfection. Voilà la bonne rivalité ; on cherche à imiter, non à faire la guerre ; on s’afflige, non du bonheur d’autrui ; mais du mal que l’on ressent en soi : c’est précisément le contraire de la basse envie, qui, négligeant ses maux propres, se dessèche à la vue du bonheur des autres. Le pauvre ne souffre pas tant de sa pauvreté que de l’abondance du prochain : quoi de plus déplorable qu’une telle disposition ? L’envieux, je l’ai déjà dit, est en cela plus odieux que l’avare : l’avare en effet se réjouit quand il a reçu quelque chose ; ce qui fait au contraire la joie de l’envieux, c’est qu’un autre ne reçoive pas. Donc, je vous en prie, abandonnez cette voie perverse, changez votre envie en une émulation généreuse (car cette émulation est plus puissante pour l’action et communiqué à l’âme unie ardeur plus dévorante que le feu), et de cette émulation vous recueillerez de grands biens. C’est ainsi que Paul amenait les Juifs à la foi : « Pour tâcher », disait-il, « d’exciter de l’émulation dans l’esprit des Juifs, qui me sont unis selon la chair, et d’en sauver quelques-uns ». (Rom 11,14) Celui qui ressent l’émulation que voulait l’apôtre, ne se dessèche pas à la vue d’un autre jouissant d’une bonne renommée, mais il soutire de se voir lui-même en retard. Il n’en est pas de même de l’envieux quand il voit la prospérité d’autrui, il est comme ces frelons qui vont gâter le travail d’autrui ; jamais il ne fait personnellement d’efforts pour s’élever, mais il pleure à la vue d’un autre qui s’élève, et tente tout pour le rabaisser. À quoi pourrait-on comparer cette maladie ? Il me semble voir un âne lourd et, surchargé d’embonpoint attelé au même timon qu’un agile coursier ; l’âne ne veut passe lever, et il cherche, cet animal massif, à tirer l’autre en bas. L’envieux ne pense pas à s’affranchir de son profond sommeil, c’est un soin qu’il ne prend jamais ; mais il n’est rien qu’il ne fasse pour faire tomber, pour abattre celui qui prend son essor vers le ciel ; l’envieux c’est le parfait imitateur du démon. Celui-ci, à la vue dé l’homme dans le paradis, n’a pas senti le zèle qui porte à se convertir, mais uniquement l’envie de faire chasser l’homme du paradis : et en le voyant ensuite établi dans le ciel, et les fidèles de la terre jaloux de parvenir là-haut, le démon poursuivant toujours le même dessein, ne cherche qu’à les faire tomber, entassant ainsi plus de charbons ardents sur sa tête. C’est là en effet ce qui arrive toujours : si l’homme à qui l’on porte envie, se tient sur ses gardes, il acquiert une gloire plus brillante ; l’envieux ne fait que rendre son mal plus affreux. C’est ainsi que Joseph a brillé d’une gloire si pure ; c’est l’histoire du prêtre Aaron ; les intrigues et le déchaînement de l’envie ont provoqué une fois, deux fois la même sentence de Dieu, et fait fleurir la verge. C’est ainsi que Jacob a joui de l’abondance, et de tous les autres biens. C’est ainsi que les envieux se sont jetés dans mille douleurs inextricables. Pénétrés de toutes ces vérités, fuyons la basse envie. Car pourquoi, répondez-moi, êtes-vous envieux ? Parce que votre frère a reçu une grâce spirituelle ? Et de qui l’a-t-il reçue ? Répondez-moi : N’est-ce pas de Dieu ? C’est donc à Dieu que s’adresse votre haine, puisque Dieu est l’auteur du présent. Voyez-vous jusqu’où glisse la passion rampante, quel édifice gigantesque de péchés elle élève, quel gouffre de châtiments et de vengeances elle creuse sous vos pieds ? Fuyons donc cette odieuse passion, mes bien-aimés ; loin de nous l’envie ; prions pour les envieux, et faisons tout pour éteindre ce feu qui les mine. Mais gardons-nous du délire de ces malheureux qui, en cherchant à nuire au prochain, ne font qu’allumer contre eux-mêmes une flamme inextinguible. Ne les imitons pas, pleurons, gémissons sur eux. Ce sont eux qui sont blessés, au lieu de faire des blessures aux autres, ils portent dans leur cœur éternellement le ver rongeur, et ils amassent une source de poisons plus amers que toute espèce de fiel. Prions donc le Dieu de bonté, et de guérir ces malheureux, et de nous préserver à tout jamais de leur mal. Il n’y a pas de ciel pour celui que ronge cette lèpre, et en attendant le ciel, la vie présente n’est pas pour cet infortuné une vie. Il n’est pas de teigne, rongeant le bois ou la laine, qui se puisse comparer à ce feu dévorant de l’envie, qui consume les os des envieux et détruit toute la vigueur de l’âme. Voulons-nous nous affranchir, et les autres avec nous, d’incalculables malheurs, repoussons loin de nous cette fièvre détestable, cette corruption la plus funeste de toutes ; pénétrons-nous de la force de l’esprit, nécessaire pour achever le combat présent, pour obtenir les couronnes à venir ; puissions-nous tous les recevoir, par la grâce et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient, comme au Père, comme au Saint-Esprit, la gloire, la puissance, l’honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il. Traduit par M. C. PORTELETTE. Voir le début du commentaire du chap. 13.