1 Corinthians 14
HOMÉLIE XXXV.
RECHERCHEZ AVEC ARDEUR LA CHARITÉ ; MAIS DÉSIREZ LES DONS SPIRITUELS, ET SURTOUT CELUI DE PROPHÉTISER (CH. 14, VERS. 1)
ANALYSE.
- 1 et 2. Comment l’on doit rechercher la charité. – Que le don de prophétie l’emporte sur le don des langues.
- 3. Ce que c’était que le don des langues.
- 4. Influence de la vaine gloire. – Critique des philosophes grecs.
- 5. La vaine gloire n’est qu’un monstre cruel. – Éloge de saint Paul.
- 6. De quel œil le chrétien doit-il regarder les biens temporels ? – Hygiène de l’âme. – Malheur des riches.
1. Après avoir passé en revue tous les caractères de la charité, il exhorte les fidèles à la cultiver avec ardeur : « Recherchez avec ardeur la charité. » Quand on recherche un objet, en effet, on ne voit que lui, on se dirige vers lui, on ne cesse de le poursuivre que lorsqu’on l’a atteint. Quand on poursuit quelqu’un, et qu’on ne peut l’atteindre soi-même, on se sert, pour le saisir, des personnes qui sont devant vous. On exhorte vivement ceux qui sont près du fugitif à le prendre, à le retenir, jusqu’à ce qu’on vienne s’en emparer soi-même. C’est ainsi que nous devons agir, si nous ne parvenons pas nous-mêmes à atteindre la charité, chargeons ceux qui sont tout près d’elle de la prendre et de la garder en attendant que nous arrivions. Et quand nous l’aurons saisie, ne la lâchons pas, de peur qu’elle ne s’enfuie encore bien loin de nous. Elle ne cesse de nous échapper, en effet, parce que, nous ne savons pas nous en servir,-parce qu’il n’est rien que nous ne lui préférions. Si nous suivons ces préceptes, nous n’aurons pas besoin de nous donner beaucoup de peine. Que dis-je ? nous n’aurons, pour ainsi dire, rien à faire. Nous mènerons une existence de délices et de fêtes, tout en marchant dans l’étroit sentier de la vertu. Voilà pourquoi l’apôtre a dit : « Poursuivez la charité ». Puis, afin que l’on ne croie pas qu’il n’a parlé de la charité que poux déprécier entièrement les grâces spirituelles, il ajoute : « Désirez les dons spirituels et surtout le don de prophétie (12) ? Car celui qui parle une langue inconnue ne parle pas aux hommes, mais à Dieu, puisque personne ne l’entend ; c’est sous l’inspiration du Saint-Esprit qu’il parle des mystères (3) : mais celui qui prophétise « parle aux hommes pour les édifier, pour les exhorter, pour les consoler ». Il compare ici entre eux les divers dons spirituels et il rabaisse le don des langues, en montrant que, s’il n’est pas tout à fait inutile, il n’est pas très utile par lui-même. Il y avait, en effet, des gens qui étaient tout fiers de ce don, parce qu’on y attachait un grand prix. Ce qui le faisait regarder comme important, c’est que les apôtres l’avaient reçu d’abord, et l’on sait avec quel apparât et quel retentissement, mais il ne l’emportait pas sur les autres pour cela. Pourquoi donc les apôtres l’avaient-ils reçu d’abord ? c’est qu’ils devaient parcourir tout l’univers. Lors de la construction de la tour de Babel, il n’y avait qu’une langue qui se partageait en une foule de langues (Gen 11) ; à l’époque des apôtres, une foule de langues venaient se réunir sur les lèvres d’un seul homme. Le même homme parlait la langue des Perses, celle des Romains, celle dès Indiens, ou plutôt c’était le Saint-Esprit qui parlait par sa bouche, et cette grâce s’appelait le don des langues, parce que le même homme avait le talent d’en parler plusieurs. Voyez comme l’apôtre le rabaisse et l’exalte tour à tour, quand il dit : « Celui qui parle des langues inconnues ne parle point aux hommes, mais à Dieu, puisque personne ne l’entend » ; il exalte un don qui ne paraît pas avoir une grande utilité. Mais lorsqu’il ajoute : « C’est sous l’inspiration du Saint-Esprit qu’il parle des choses cachées », il exalte ce don pour ne pas laisser croire qu’il est vain, inutile, et donné sans raison à l’homme. « Mais celui qui prophétise parle aux hommes pour les édifier, pour les exhorter, pour les consoler ». Voyez comme saint Paul proclame l’excellence de ce don avantageux à tous les hommes ! Voyez comme il préfère en toute circonstance à tous les autres dons ceux qui sont utiles au plus grand nombre ! Est-ce que ceux qui ont le don des langues ne parlent pas aussi – pour les hommes ? Ce qui les met au-dessous des prophètes, c’est que leur parole n’est pas aussi édifiante, aussi encourageante, aussi consolante. Ces dons supposent tous les deux l’inspiration du Saint-Esprit. Mais le prophète a cet avantage qu’il est utile à des gens qui l’entendent. Ceux qui parlaient des langues inconnues, au contraire, n’étaient pas entendus de ceux qui n’avaient pas le don des langues. Mais quoi ? Ceux qui parlaient ces langues inconnues n’édifiaient-ils personne ? Ils s’édifiaient eux-mêmes, et voilà pourquoi saint Paul ajoute : « Celui qui parle une langue inconnue s’édifie lui-même (4) ». Et comment cela se fait-il, s’il ne sait pas ce qu’il dit ? Mais faites donc attention que saint Paul parle ici des hommes qui savent ce qu’ils disent ; qui comprennent bien le sens de leurs paroles, mais qui ne savent pas les expliquer aux autres. Mais le prophète édifie l’Église : voilà la différence qu’il y a entre ces deux hommes. Voyez comme l’apôtre est sage. Il n’annihile pas le don des langues, mais il montre qu’il n’a que de faibles avantages et qu’il ne profite qu’à celui qui le possède. Puis, pour ne pas laisser croire à ceux auxquels il s’adresse et qui possédaient pour la plupart plusieurs langues, qu’il est guidé par un sentiment de jalousie, il leur dit, afin de les guérir de leurs soupçons : « Je souhaite que vous ayez tous le don des langues, mais encore plus celui de prophétie. Car celui qui prophétise est au-dessus de celui qui parle des langues inconnues, à moins que ce dernier n’interprète ce qu’il dit, afin que l’Église en soit édifiée (5). Or le plus ou le moins n’annonce pas l’opposition, mais la supériorité ou l’infériorité. 2. Évidemment donc l’apôtre ne blâme pas le don des langues, mais il veut faire monter plus haut ses disciples ; il leur témoigne sa sollicitude, tout en leur montrant qu’il n’éprouve aucun sentiment d’envie. Il veut qu’ils aient « tous » le don des langues, mais il veut aussi et surtout le don de prophétie ; car ce don est plus précieux que l’autre. Et, après s’être bien expliqué sur le don de prophétie, il s’explique sur le don des langues. Son arrêt, loin d’être absolu, renferme ce correctif, « à moins qu’il n’interprète ce qu’il dit ». Par conséquent, si celui qui possède le don des langues a aussi le don d’interprétation, il est l’égal du prophète, parce que sa science profite à beaucoup de gens, point très important, avantage que l’apôtre recherche avant tout. « Ainsi, quand je viendrais vous parler des langues inconnues, en quoi vous serais-je utile, si je ne vous parlais en vous instruisant par la révélation, par la science ou par la doctrine (6) ? » Et pourquoi, continue-t-il, parlerais-je des autres ? Supposons que ce soit Paul qui vous parle des langues inconnues. Quel fruit en reviendra-t-il à ses auditeurs ? Par là, il leur démontre qu’il ne cherche que leur intérêt, sans être animé d’aucun sentiment de malveillance contre ceux qui possèdent le don des langues, puisqu’il se cite lui-même pour exemple de l’inutilité de ce don réduit à lui-même. Presque toujours, quand il touche quelque point important et délicat, il se met en scène. Ainsi, au commencement de cette épître, il dit : « Qu’est-ce que c’est que Paul ? « Qu’est-ce que c’est qu’Apollon ? Qu’est-ce que c’est que Céphas ? » Et il fait de même ici, en disant : « De quoi vous servira ma parole, si je ne vous instruis par la révélation, par la science ou par la doctrine ». Cela signifie Si je ne vous parle un langage intelligible et clair, si je nie borne à vous montrer que je possède le don des langues, vous ne retirerez aucun fruit de mes paroles. Quel profit peut-on tirer en effet d’une parole que l’on ne comprend pas ? « Quand des instruments sans âme mais sonores comme la flûte et la lyre, ne rendent que des sons indistincts, comment saisir le morceau que l’on joue sur la flûte ou sur la lyre (7) ? « Pourquoi donc, poursuit-il, avancer ici que les dons renfermés en nous-mêmes sont inutiles et qu’il n’y a d’utile que ce qui est clair et ce que les auditeurs saisissent facilement ? N’en est-il pas de même de ces corps sans âme qu’on appelle des instruments de musique ? Qu’il s’agisse de 1a lyre ou de la flûte, si le musicien, sans tenir compte du rythme et de l’harmonie, ne fait entendre que des sons confus en jouant sans réflexion et en demandant des inspirations au hasard, il n’amusera pas ; il ne charmera pas son auditoire. Jusque dans les instruments qui ne possèdent pas les sons articulés de la voix humaine, il faut de la clarté, de l’harmonie, des sons distincts. Ces instruments qui naturellement sont dénués d’expression, nous cherchons avec ardeur à leur donner de l’expression, à les faire parler. Eh bien ! quand il s’agit des êtres animés et doués de raison, quand il s’agit des hommes et des dons spirituels, ne devons-nous pas chercher à nous faire bien entendre ? « Si la trompette ne parle pas à haute et intelligible voix, qui se préparera à la guerre (8) ? » C’est des objets les plus futiles qu’il tire ses inductions, pour s’élever aux choses nécessaires et utiles ; il prend pour exemples la lyre et la trompette. Ces instruments en effet ont leurs rythmes ; parfois ils donnent le signal de la guerre, parfois tout autre signal. Tantôt ils sonnent la charge, tantôt ils sonnent la retraite, et tout soldat qui n’a pas la clef de cette langue, court le plus grand péril. Voilà ce qu’il veut dire, voilà l’erreur à laquelle il fait allusion en ces termes : « Qui se préparera au combat ? » Si donc l’instrument guerrier n’a pas le don de se faire comprendre, tout est perdu. Quel intérêt, direz-vous, ont pour nous tous ces détails ? Ils en ont un très grand, et voilà pourquoi saint Paul ajoute : « Il en est ainsi de vous. Si votre langage ne manifeste pas vos pensées, comment savoir ce que vous voulez dire ? Vous jetterez vos paroles auvent (9) » ; c’est comme si vous ne disiez rien, c’est comme si personne ne parlait. Et à chaque instant saint Paul s’applique à montrer l’inutilité d’un pareil langage. Si le don des langues est inutile, direz-vous, pourquoi a-t-il été donné à l’homme ? pour qu’il – soit utile à celui qui l’a reçu ; mais, pour être utile aux autres, il faut y joindre le d’on d’interprétation. Ce qu’il en dit est un moyen de tout concilier. S’il ne possède pas le don d’interprétation, il s’adjoindra quelque homme favorisé de ce don, et de cette manière il pourra utiliser ses talents. Voilà pourquoi il ne cesse de montrer que le don des langues est insuffisant par lui-même. Il veut par ce moyen engager ses auditeurs à unir leurs forces. L’homme, en effet, qui regarde le don des langues comme suffisant, le rabaisse plutôt qu’il ne l’élève, parce qu’il ne veut pas, en recourant au don d’interprétation, lui donner tout son lustre : c’est en effet un don précieux et nécessaire ; mais il a besoin d’un interprète pour le mettre dans tout son jour. Les doigts aussi sont nécessaires ; mais séparés de la main, ils deviennent inutiles. La trompette aussi est nécessaire ; mais quand elle ne fait entendre que des sons émis au hasard, elle est ennuyeuse et désagréable à entendre. L’art disparaît, quand l’instrument n’existe pas, mais la matière, pour se faire valoir, a besoin de la façon. La voix, c’est la matière ; les sons clairs et distincts sont la façon ; sans eux, la matière est inutile. Il y a dans le monde une foule de langues qu’on peut savoir, et chaque peuple a son langage (10) : ce qui veut dire qu’il y a autant de langues qu’il y a de peuples. Les Scythes, les Thraces, les Romains, les Perses, les Maures, les Indiens, les Égyptiens et autres peuples innombrables, ont chacun un langage particulier. Si donc j’ignore le son du langage que je parle, je serai pour mes auditeurs un barbare (11). 3. N’allez pas penser qu’il en est ainsi parmi vous seulement ; c’est ce qui arrive partout. Je n’ai point ici pour but de blâmer le don des langues ; je veux dire seulement qu’il m’est inutile si le langage que je parle n’est pas clair et intelligible pour les autres. Puis pour que ses auditeurs ne se révoltent pas contre lui, il se met à leur niveau, en disant : « Celui qui me parle sera un barbare pour moi, et je serai un barbare pour lui » : ce n’est point la faute des langues, c’est celle de notre ignorance. Voyez-vous comme il amène peu à peu ses auditeurs aux propositions qui ont un rapport intime et particulier avec son sujet ; fidèle en ceci à son habitude de tirer ses exemples de loin pour arriver à ce qui rattache à son sujet, d’une manière intime et spéciale. Il parle d’abord de la flûte et de la lyre, instruments souvent imparfaits, souvent inutiles, et il parle ensuite de la trompette, instrument plus utile, pour arriver à la voir humaine. Ainsi plus haut, quand il voulait montrer qu’il n’était défendu aux apôtres de recevoir le prix de leurs travaux, après avoir parlé des agriculteurs, des bergers et des soldats, il a abordé plus franchement son sujet, en parlant des prêtres sous l’ancienne loi. Voyez quel soin il prend toujours de disculper le don des langues pour rejeter toujours la faute sur ceux qui l’ont reçu. Il ne dit pas : je serai un barbare ; il dit : Je serai un barbare pour celui qui parle. Il ne dit pas non plus : Celui qui parle est un barbare, mais : Celui qui parle est pour moi un barbare. Que devons-nous donc faire, dit-il ? Loin de jeter aucun blâme sur le don des langues, nous devons exhorter les autres à l’acquérir, et c’est ce qu’il fait lui-même. Après ses accusations et ses réprimandes, après avoir montré l’inutilité de ce don, il donne à ses disciples ce conseil : puisque vous avez tant d’ardeur pour les dons spirituels, désirez d’en être enrichis pour l’édification de l’Église (12). Voyez-vous comme il n’a toujours et partout qu’un seul et même but ? Il pose ici une sorte de règle pour l’utilité de bien des gens et pour celle de l’Église. II n’a pas dit : Désirez de posséder les dons, mais désirez d’en être « enrichis », c’est-à-dire, souhaitez d’en posséder « beaucoup ». Loin de vous les interdire, je veux que vous en ayez en abondance, à condition que vous en userez pour l’intérêt commun. « Que celui donc qui parle une langue demande à Dieu de l’interpréter (13). Car si je prie en une langue que je n’entends pas, c’est mon cœur qui prie, mais mon esprit n’en retire aucun fruit (14). Que dois-je donc faire ? Je prierai de cœur ; mais je prierai aussi avec intelligence ; je chanterai de tueur des cantiques, mais je les chanterai aussi avec intelligence (15) ». Il montre ici à ses frères qu’il est en leur pouvoir de recevoir de Dieu le don d’interprétation. Demandez-le à Dieu, dit-il, c’est-à-dire, adressez-lui ce qui fait votre richesse, votre prière. Car ce que vous demanderez à Dieu avec empressement et avec ardeur, vous le recevrez. Demandez-lui donc non seulement le don des langues, mais celui d’interprétation, pour être utile à tout le monde et ne pas garder votre don spirituel pour vous seul. « Car si je prie en une langue que je n’entends pas, c’est mon cœur qui prie, mais mon esprit n’en retire aucun fruit. » Voyez-vous comme, s’élevant peu à peu, il montre qu’en cet état on est inutile aux autres et à soi-même, puisque la prière ne produit aucun fruit pour l’intelligence. Qu’un homme, en effet, parle persan ou quelque autre langue, sans savoir ce qu’il dit, il sera un barbare, non seulement pour les autres, mais pour lui-même, puisqu’il ne comprendra pas les mots qu’il prononce. Il y, avait anciennement bien des hommes qui avaient le don de prier dans une langue étrangère. Ils priaient et parlaient dans cette langue, soit dans la langue des Perses, soit dans la langue des Romains, sans savoir ce qu’ils disaient. Voilà pourquoi saint Paul disait : Si je prie dans une langue inconnue, il n’y a que mon cœur qui prie. C’est-à-dire que le don spirituel qui m’a été donné me fait remuer la langue, sans que mon intelligence en retire aucun fruit. Qu’y a-t-il donc ici de meilleur et de vraiment utile ? Comment faire ? Que faut-il demander à Dieu ? De se servir du don des langues, pour prier avec le cœur et avec l’intelligence.. Voilà pourquoi l’apôtre disait : « Je prierai avec le cœur, je prierai avec l’intelligence ; je chanterai des cantiques avec le cœur, je chanterai des cantiques avec l’intelligence ». Que veut-il dire par là ? Il veut dire que l’esprit doit comprendre ce que dit la langue, autrement il y aura encore un autre malentendu. Si vous ne louez Dieu que du cœur, comment celui qui tient la place du peuple répondra-t-il amen à la fin de votre action de grâces, s’il n’entend pas ce que vous dites ? Ce n’est pas que votre action de grâces ne soit bonne ; mais les autres ne sont pas édifiés (16, 17) Voyez comme ici encore tout est tiré au cordeau, comme il cherche toujours l’édification de l’Église. Le peuple, ici ce sont les laïques, et c’est pour lui, il nous le montre clairement, un véritable malheur que de ne pouvoir répondre amen à la fin d’une action de grâces. Cela veut dire : si vous louez Dieu dans la langue des barbares, sans savoir ce que vous dites, sans pouvoir l’interpréter, le laïque ne peut répondre amen. Il n’entend pas les mots qui terminent votre prière ; et quand vous avez dit : in saecula saeculorum, il ne peut répondre amen. Puis encore, par forme de consolation, et pour ne pas avoir l’air de trop rabaisser le don des langues, puisque, comme il l’a dit plus haut, celui qui possède ce don parle à Dieu la langue des mystères, s’édifie lui-même et prie avec le cœur, il revient sur ces avantages d’où il tire une grande source de consolation, et il dit Votre action de grâces est bonne, car c’est le cœur qui vous inspire ; mais l’auditeur né vous comprend pas ; il ne sait pas ce que vous dites, et par conséquent il ne retire pas grand fruit de vos paroles. 4. Ensuite, après avoir attaqué ceux qui ont le don des langues et déclaré que ce n’est pas là un don bien précieux, pour ne pas avoir l’air de parler ainsi par envie, il dit : « Je remercie Dieu de ce que je parle mieux que vous encore toutes les langues que vous parlez (18) ». Il en dit autant dans un autre endroit. Pour rabaisser les avantages qui faisaient l’orgueil dès Juifs, pour montrer que ces avantages ne sont rien, il commence par montrer qu’il les possède à un plus haut degré que les Juifs, et alors il montre que ces avantages ont un inconvénient. « Si quelqu’un semble mettre sa confiance dans la chair, j’en ai encore plus le droit que lui, moi qui ai été circoncis huit jours après ma naissance, moi qui suis de la race d’Israël, de la tribu de Benjamin, Hébreux et enfant d’Hébreux, pharisien par la loi que je suis, persécuteur de l’Église par la force de mon zèle, irréprochable aux yeux de la justice qui prend sa source dans la loi ». (Phi 3,4-6) Et après avoir montré qu’il est richement doté de ces avantages, il ajoute : « Mais ces qualités qui étaient pour moi dès avantages, étaient, je l’ai bien vu, des torts aux yeux du Christ ». (Id. 7) Maintenant il procède encore de même : « Je parle les langues mieux encore que vous tous. Ne vous élevez donc, pas et ne vous complaisez pas en vous-mêmes, comme si ce don était votre privilège ; car moi aussi je le possède, à un plus haut degré que vous. Mais j’aimerais mieux ne dire dans l’Église que cinq paroles dont j’aurais l’intelligence pour instruire les autres, que de dire dix mille paroles dans une langue inconnue ». Que signifient ces mots : « Cinq paroles dont j’aurais l’intelligence pour en instruire les autres « (19) ? » M’entend par là des paroles intelligentes qu’on peut expliquer aux autres, qu’on prononce soi-même et que les auditeurs peuvent répéter avec intelligence. « Que dix mille paroles en une langue inconnue ». Car ce ne serait là qu’une affaire de vanité, un verbiage qui ne serait pas aussi utile que quelques paroles bien comprises. Ce qu’il cherche partout, en effet, c’est l’intérêt de tous. Or le don des langues était un don nouveau et une importation étrangère, tandis que le don de prophétie était un don ancien, ordinaire et déjà commun. Le don des langues au contraire était tout récent, et saint Paul ne s’appliquait guère à le cultiver. Aussi n’en a-t-il pas fait usage. Ce n’était pas qu’il en fût privé ; mais il recherchait des dons plus utiles ; car il était libre de toute vaine gloire, et son but unique était de rendre ses disciples meilleurs. Cette âme, libre de toute vaine gloire, pouvait voir clair dans ses intérêts et dans ceux des autres ; et c’est ce que ne peut faire l’âme qui est esclave de la vanité. Témoin Simon qui, ébloui parla vaine gloire, ne sut pas distinguer ses véritables intérêts ; témoin les Juifs qui, par vaine gloire, sacrifièrent leur salut au démon. C’est la vaine gloire qui a enfanté les idoles ; c’est elle, c’est la passion insensée de la vaine gloire qui a fait tomber les philosophes dans l’erreur. Voyez la maligne influence de ce vice. Par lui, quelques-uns de ces philosophes se sont faits pauvres et d’autres se sont : passionnés pour l’opulence. Sa tyrannie est telle qu’elle se manifeste par les effets les plus contraires. L’un tire vanité de sa continence, un autre de ses adultères ; celui-ci de sa justice, celui-là de ses injustices. On se vante de sa vie sensuelle et de ses austérités, de sa douceur et de son audace, de ses richesses ; et de sa pauvreté. Quelques-uns de ces philosophes étrangers pouvaient acquérir les dons spirituels ; par vanité, ils n’en voulaient pas. Les apôtres, au contraire, purs de toute vaine gloire, ont rapporté au Saint-Esprit tout ce qu’ils ont fait. Quand on les appelait des dieux, quand on était prêt à leur, immoler des taureaux couronnés pour le sacrifice, non seulement ils refusaient de pareils honneurs, mais ils déchiraient leurs vêtements. Quand ils guérissaient les boiteux et que tout un peuple, la bouche béante, restait stupéfait de ce miracle, ils disaient : Pourquoi nous regarder ainsi, comme si c’était nous qui avions opéré ce prodige ? Ces sages de l’antiquité faisaient profession d’être pauvres parmi des hommes qui admiraient la pauvreté ; les apôtres veulent être pauvres au milieu d’un peuple qui méprise la pauvreté et qui vante la richesse. Avaient-ils reçu quelque don, ils en faisaient part aux indigents, tant il est vrai qu’ils étaient toujours guidés par la charité et non par la vaine gloire ; ces sages, au contraire, agissaient comme des ennemis et – des fléaux de l’humanité. L’un jetait inutilement et follement tous ses biens dans la mer, à l’exemple des fous et des insensés ; un autre laissait ravager ses champs par les brebis. Chez eux tout tendait à la vaine gloire. Il n’en était pas ainsi : les dons qu’on leur faisait, ils les distribuaient aux indigents avec tant de libéralité, qu’ils étaient toujours eux-mêmes tourmentés par la faim. S’ils avaient été vaniteux, ils n’auraient pas agi ainsi. Ils n’auraient rien reçu, ils n’auraient rien donné, de peur d’exciter les soupçons. Lorsqu’en effet on se dépouille de ses biens par vanité, on se garde bien de recevoir l’argent des autres, pour ne pas avoir l’air d’être dans l’indigence et de peur d’exciter les soupçons. Mais voyez les apôtres ils servent, ils mendient pour les indigents : tant ils ressentent pour eux une tendresse plus que paternelle. Voyez la ligne de conduite qu’ils se sont tracée. De quelle modération exempte de toute vaine gloire n’est-elle pas empreinte ! « Si nous avons de quoi nous vêtir et nous nourrir, cela nous suffira » : (1Ti 6,8). Quelle différence avec ce sage de Sinope qui vivait sous les haillons et dans un tonneau, sans avoir besoin de rien, au grand étonnement de bien des gens, mais sans profit pour personne. Saint Paul ne faisait rien de tout cela ; car l’ambition et la vanité ne le guidaient pas. Il était vêtu décemment, il se tenait chez lui et se conduisait comme un parfait honnête homme. Le cynique méprisait un pareil genre de vie, bravait en public toutes les bienséances et le décorum, et c’était la vanité qui l’entraînait. Pourquoi ce tonneau dont il faisait son habitation ? C’était uniquement une affaire de vanité. 5. Saint Paul loua la maison qu’il habitait à Rome. Cela n’a rien d’étonnant de la part d’un tel homme. Il ne consultait jamais la vanité, ce monstre cruel, cet affreux démon, ce fléau de l’univers, cette vipère gonflée de poisons. Semblable à la vipère qui déchire le ventre de sa mère, la vaine gloire blesse l’auteur de ses jours. Quel remède employer contre cette maladie si compliquée ? Il n’y a qu’à se proposer pour modèles ceux qui ont foulé aux pieds le monstre, à se pénétrer de leur exemple et à se régler sur eux. Voyez le patriarche Abraham ! Et ici qu’on ne me reproche pas de reproduire le même exemple et de rappeler toujours ce saint homme. Car c’est là surtout ce qui le rend admirable et ce qui ôte toute excuse à ceux qui ne l’imitent pas. Si l’on pouvait montrer en effet qu’il n’a eu qu’une qualité et que sur tel ou tel autre point il faut citer un autre modèle, que lui, on pourrait dire que la vertu est chose difficile ; puisque chacun des saints n’a que telle ou telle qualité. Mais quand nous voyons Abraham réunir en lui seul toutes les qualités ensemble, comment excuser les hommes qui, après la grâce et depuis la loi nouvelle, ne peuvent atteindre à ce, degré de vertu où sont parvenus ceux qui ont vécu avant la loi nouvelle et avant la grâce. Eh bien ! comment ce patriarche s’y est-il pris pour vaincre le monstre, pour dompter la vanité, dans la contestation qui s’éleva entre lui et le fils de son frère ? Il avait été le plus mal partagé, il n’avait pas eu la première part et pourtant il ne s’en affligea pas. Or vous savez que dans ces sortes d’affaires, il y a une sorte d’humiliation encore pire que la perte, pour les petits esprits, surtout lorsque, comme Abraham, on s’est vu maître souverain et que l’on ne se voit pas honoré à son tour par celui que l’on avait commencé à honorer soi-même. Eh bien ! rien de tout cela ne le mordit au cœur. Il se contenta de la seconde part qui lui était échue. Outragé par un jeune homme, malgré son grand âge, outragé par le fils de son frère, sans s’irriter, sans s’aigrir, il continua à l’aimer, à veiller sur lui. Une autre fois, sorti vainqueur d’une grande et terrible guerre, après avoir, repoussé et battu les barbares, il ne triomphe pas, il n’élève pas de trophée. Il voulait se défendre et non se vanter. Il donne l’hospitalité à des étrangers, et cela sans vanité, allant à leur rencontre, les honorant comme s’il était non pas le bienfaiteur, mais l’obligé. Il leur donne le nom de maîtres, sans savoir quels sont ces étrangers, et il veut que sa femme les serve. Après avoir fait l’admiration de l’Égypte, quand, sa femme lui eut été rendue, il ne se vante pas, malgré les honneurs dont il s’est vu comblé. Pourtant les habitants de ce pays lui donnaient le nom de roi. Quand il chargea son serviteur d’amener à son fils la femme qu’il devait épouser, il ne lui enjoignit pas de parler de son maître avec orgueil et avec ostentation, il se borna à lui dire d’amener la fiancée. Voulez-vous maintenant examiner les hommes, depuis l’an de grâce, à l’époque où ils s’abreuvaient aux sources d’une grande et glorieuse doctrine ? Voulez-vous voir comment ce vice était aussi à cette époque repoussé et banni ? Considérez l’auteur da cette épître. Voyez comme il rapporte tout à Dieu, comme il rappelle toujours ses péchés, sans être aussi assidu à rappeler ses bonnes actions. Si parfois, pour corriger ses disciples, il se voit forcé d’en faire mention, il traite ce sujet fort légèrement et cède le pas à Pierre. Il ne rougit pas de travailler de ses mains chez Aquilas et Priscille. (Act 18) Partout il s’efforce de s’humilier et de s’abaisser. On ne le voit pas traverser fièrement la place publique et s’entourer d’une foule de disciples. Partout il cherche à se perdre dans les rangs obscurs de la multitude. Voilà pourquoi il disait : lorsque Paul est présent, il paraît bas en sa personne (2Co 10,10), c’est-à-dire qu’il a l’air d’un homme qui ne mérite aucune attention, d’un homme sans faste. Et il dit encore : « Ce que nous demandons à Dieu, c’est que vous ne commettiez aucun mal, et non pas que nous paraissions ce que nous sommes ». (2Co 13,7) Qu’y a-t-il d’étonnant, s’il méprise la fausse gloire ? Ne méprise-t-il pas une gloire plus grande encore ? Ne méprise-t-il pas la couronne céleste et la géhenne, pour plaire au Christ ? Ne souhaite-t-i1 pas d’être anathème devant le Christ (Rom 9,3) « pour la gloire du Christ ? » Tout en disant que c’est pour les Juifs qu’il veut souffrir, il déclare que c’est pour la gloire du Christ, afin que quelque insensé n’aille pas prendre pour lui les promesses qui leur sont faites. Si donc saint Paul était disposé à ne pas tenir compte de choses aussi importantes, comment pourrait-on s’étonner de son mépris pour les choses humaines ? Mais aujourd’hui, on ne résiste pas plus au mépris et à la crainte du déshonneur qu’à l’amour de la gloire. La louange nous gonfle, le blâme nous abat. Les cœurs pusillanimes et bas ressemblent aux organisations faibles ; un rien suffit pour les ébranler. De telles âmes ne sont pas plus à l’épreuve de la richesse que de la pauvreté, et la joie a prise sur elles encore plus que la douleur. Car la pauvreté nous condamne du moins à la tempérance ; la richesse au contraire amène souvent quelque grand naufrage. Voyez cet homme qui a la fièvre, tout le blesse, voyez cette âme corrompue dt dépravée, tout l’ébranle. 6. Instruits de ces vérités, sans fuir la pauvreté, sans admirer la richesse, tenons-nous prêts à tout. Lorsqu’on bâtit une maison, ce n’est pas à la préserver de la moindre goutte de pluie, à l’abriter contre les rayons du soleil que l’on fait attention ; car ce serait chercher l’impossible. On s’arrange de manière à ce qu’elle puisse braver les intempéries des saisons. Si l’on bâtit un navire, on ne demande pas que les flots s’éloignent de lui, que la tempête ne s’élève pas contre lui ; car c’est chose impossible. Ce qu’on veut, c’est que la charpente du navire résiste aux assauts de la mer. En hygiène, nous ne demandons pas non plus à l’atmosphère d’être toujours calme et tempérée, nous songeons seulement à rendre notre constitution capable de braver les variations atmosphériques. Faisons de même pour l’âme. Ne nous étudions pas à fuir la pauvreté, à poursuivre là richesse ; étudions-nous à pouvoir accepter l’une et l’autre, sans en recevoir aucune atteinte : car en mettant à part ces accidents de l’humanité qui sont presque inévitables, l’homme qui ne court pas après les richesses, mais qui est à l’épreuve des événements, l’emportera encore sur celui que la richesse accompagne. Pourquoi cela ? D’abord un tel homme a ses ressources en lui-même, tandis que l’autre les a hors de lui. L’homme qui met sa confiance en sa propre force et dans son adresse est meilleur soldat que celui qui met toute sa confiance dans ses armes. Ainsi l’homme qui a sa vertu pour rempart est plus fort que celui qui met sa confiance dans son argent. En second lieu, le riche peut être préservé de la pauvreté, mais il n’est pas assuré contre les troubles de l’âme ; car la richesse est en butte à bien des troubles et à bien des orages. La vertu seule goûte un plaisir tranquille ; c’est un rempart assuré, elle met l’homme à l’abri des pièges qui menacent le riche et qui peuvent causer sa ruine. De tous les animaux, les cerfs et les lièvres sont les plus timides, et sont par conséquent la proie la plus facile à saisir ; mais le sanglier, le taureau et le lion donnent du mal aux chasseurs. Eh bien ! il en est de même du riche et de celui qui fait vœu de pauvreté. Ce dernier, c’est le lion, c’est le taureau ; celui-là, c’est le cerf ou le lièvre. De combien de terreurs le riche n’est-il pas assiégé ? N’a-t-il pas à craindre les voleurs, les tyrans, les envieux, les calomniateurs ? Que dis-je ? Ne soupçonne-t-il pas ses serviteurs mêmes ? Et pourquoi parler de sa vie misérable ? Même après sa mort, il n’est pas à l’abri des pièges du voleur. Non, la mort même n’est pas pour lui un asile assuré. Tout mort qu’il est, les malfaiteurs le pillent, tant c’est une chose incertaine, toujours prête à glisser entre nos mains que la richesse. Ce n’est pas seulement la maison du riche dont on enfonce les portés ; c’est son sépulcre que l’on force. Quoi de plus misérable que cet homme ? Il ne se repose même pas, au sein de la mort. Sa triste dépouille, cette dépouille inanimée n’est pas à l’abri des maux qui assiègent la vie humaine. Car les malfaiteurs ne respectent pas même la poussière et la cendre du riche ; ils font au riche, quand il est mort, une guerre encore plus rude que de son vivant. De son vivant, ils pénétraient à la vérité dans le sanctuaire de sa richesse, ils fouillaient ses coffres ; mais ils ne touchaient point à sa personne ; ils avaient assez de ses trésors, sans s’attaquer à ses vêtements, sans le mettre à nu. Mais après sa mort, les mains sacrilèges qui fouillent les sépulcres ne respectent pas même le cadavre du riche ; ils le remuent, ils le tournent et le retournent, il n’est pas d’outrages et d’opprobres dont ils n’accablent ce cadavre, dans l’excès de leur cruauté. Ce corps confié à la terre, ils le dépouillent de ses vêtements et le laissent nu. 0ù donc l’homme pourrait-il trouver un plus terrible ennemi que cette opulence qui perd son âme pendant sa vie et qui, après sa mort, expose son corps aux outrages, aux opprobres, sans permettre à la terre de le recouvrer, comme si c’était un condamné reconnu coupable des crimes les plus honteux. Mais aux condamnés du moins, quand ils ont subi la peine capitale, la loi ne demande rien de plus. La richesse au contraire condamne, même après sa mort, celui qui la possède aux plus terribles supplices, à demeurer exposé nu et sans sépulture, exposition terrible, spectacle digne de pitié ! Ce sont là des peines bien graves, plus graves que les châtiments infligés par l’arrêt et par la colère d’un juge. Après être restée un ou deux jours sans sépulture, la dépouille de l’homme condamné par la loi est confiée à la terre ; mais l’homme condamné par la richesse n’est confié à là terre que pour être exposé nu aux insultes et aux outrages. Si les voleurs n’enlèvent pas le mausolée du riche, ce n’est pas la richesse qu’il faut en remercier, c’est la pauvreté. Oui, c’est la pauvreté qui le soustrait à leurs mains avides. Laissez ce mausolée sous la garde de la richesse, qu’il soit d’or au lieu d’être de pierre, il sera enlevé comme le reste : tant il est vrai qu’on ne doit pas compter sur la richesse ! Elle appartient à ceux qui la ravissent bien plus qu’à ceux qui la possèdent. II serait donc superflu d’employer de longs discours pour démontrer que la richesse résiste aux assauts, puisqu’au, jour même de la mort ceux qui la possèdent ne sont pas en sûreté. Quel est l’homme qui ne se réconcilie pas avec un mort, fût-il un monstre, fût-il un démon, fût-il plus méchant qu’un démon ? Il suffit du spectacle de la mort pour attendrir un cœur de fer, une âme insensible, Aussi, en présence d’un mort, ses ennemis tes plus acharnés mêlent leurs larmes à celles de ses amis. La colère s’éteint avec la vie, elle fait place à la pitié. Au moment des obsèques, quand a lieu le convoi funèbre, vous ne distinguez pas l’ami de l’ennemi, tant ceux qui assistent à ce convoi respectent les lois suprêmes de la nature. Mais là richesse ne suit pas même cette loi commune ; elle déchaîne contre ceux qui la possèdent, des colères implacables. Même après notre mort, elle nous fait des ennemis qui n’ont reçu de nous aucune injure ; car dépouiller un cadavre est le propre d’une inimitié ardente et toujours armée. À l’heure de la mort, la nature réconcilie, avec nous des ennemis ordinaires ; mais la richesse arme contre le riche ceux-là même qui n’ont rien à lui reprocher, et leur cruauté s’acharne sur ce cadavre abandonné. Pourtant il y a là bien des choses qui devraient attendrir ces hommes. Il y a la mort même, il y a l’immobilité cadavérique, il y a l’image d’un corps qui va tomber en poussière, il y a l’abandon. Mais rien n’attendrit ces âmes sacrilèges et tyrannisées par la soif inexorable de l’or. C’est l’amour de l’or, ce tyran impitoyable qui est là pour donner ses ordres inhumains, pour transformer des hommes en bêtes féroces, pour les jeter sur des sépulcres comme sur une proie. À l’œuvre donc les bêtes féroces ! Elles se précipitent sur ce cadavre ; elles – dévoreraient ces chairs inanimées, si ces membres pouvaient leur profiter. Voilà donc les fruits de la richesse ! Même après notre mort, elle nous expose aux outrages et aux opprobres, elle nous prive de cette sépulture qui n’est pas refusée à dés misérables tout chargés de forfaits. Eh bien ! ces richesses qui sont nos mortelles ennemies, les aimerons-nous encore ? Non, mes frères, non ! fuyons-les plutôt, je vous en prie, et ne nous retournons pas pour les regarder. Si elles tombent entre nos mains, ne les gardons pas dans notre maison, mais servons-nous, pour les enchaîner, des mains de la charité. La charité seule peut les fixer et leur couper la retraite. C’est alors que la richesse inconstante devient fidèle ; paisible et douce ; car l’aumône l’a transformée. Oui, si la richesse vient à nous, livrons-la aux pauvres. Si elle ne vient pas nous trouver, ne courons pas après elle, ne nous désespérons pas et ne regardons pas comme heureux ceux qui la possèdent. Heureux ! comment donc le seraient-ils ? Donnerez-vous le nom d’heureux à ces bestiaires qui combattent des animaux féroces achetés à grand prix et gardés par les entrepreneurs de ces spectacles barbares, qui n’osent ni approcher de ces monstres, ni les toucher, qui les redoutent et qui tremblent devant eux ? C’est l’histoire des riches. Ils ont enfermé dans leur coffre-fort cette bête féroce, ce monstre qu’on appelle la richesse, et tous les jours elle leur fait des blessures sans nombre. C’est tout le contraire de ce que font les bêtes féroces réservées aux spectacles. Ces monstres, quand on les tire de leurs cages, n’égorgent que ceux qui viennent à leur rencontre. Mais la richesse, quand elle est enfermée et gardée, ne fait périr que ceux qui la possèdent et qui la gardent. Apprivoisons cette bête féroce. Pour cela, il n’y a qu’un moyen, ne l’enfermons pas, donnons-la à garder aux pauvres. En agissant ainsi, nous en retirerons les plus grands avantages. En cette vie nous serons en sûreté, exempts de soucis et pleins d’espoir ; quant à la vie future, nous l’attendrons avec confiance. Cette confiance, puissions-nous tous l’acquérir, par la grâce et les mérites de Notre-Seigneur Jésus-Christ, en qui appartiennent au Père, en union avec le Saint-Esprit, la gloire, la force, l’honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il. HOMÉLIE XXXVI.
MES FRÈRES, NE SOYEZ PAS ENFANTS PAR L’ESPRIT, MAIS SOYEZ DES PETITS ENFANTS POUR LE MAL, ET SOYEZ PARFAITS POUR L’ESPRIT. (CHAP. 14, VERS. 20) ANALYSE.
- 1 et 2. Le don de prophétie emporte sur le don des langues ; il agit sur le cœur, il attire à Dieu les infidèles.
- 3. La règle fondamentale du christianisme, c’est d’être utile au prochain en toute chose.
- 4. Prophétisez les uns après les autres, et non tous ensemble.
- 5. et 6. De la sainteté de l’Église : combien tout doit y être réglé. – De la réponse que le peuple fait à l’Évêque : Le Seigneur soit avec vous et avec votre esprit ! – Relâchement des chrétiens. – Des vierges, des femmes mariées, des veuves. – Assemblées saintes des fidèles. – Ne point parler dans l’église. – De la folie et de la misère des avares.
1. C’est avec raison qu’après des preuves et des démonstrations nombreuses : il se sert d’un style un peu plus véhément, gourmande ses auditeurs, et emploie un exemple qui s’applique à la circonstance présente. Les enfants, en effet, à la vue des petites choses, ouvrent la bouche, l’admiration les plonge dans la stupeur, mais les grandes ne les frappent point d’admiration. Puis donc que ceux qui ont le don des langues croient tout avoir, quand ce don n’est que le dernier pour les autres, il dit : « Ne soyez ; pas enfants » ; c’est-à-dire, ne soyez pas insensés là où il faut être sage, mais soyez enfants et simples là où sont l’injustice, la vaine gloire, l’orgueil. En effet, celui qui est enfant pour le vice, doit pourtant être prudent. De même que la prudence finie à l’improbité n’a jamais été la prudence, ainsi la simplicité unie à l’imbécillité ne sera jamais la simplicité. Dans la simplicité il faut éviter l’imbécillité, et dans la prudence, le vice et la scélératesse. Comme les remèdes amers ou doux ne sont plus efficaces, s’ils le sont plus qu’il ne faut, ainsi sont la simplicité et la prudence exagérées. C’est pourquoi le Christ ordonnait de-les tempérer toutes les deux, disant : « Soyez prudents comme les serpents, et simples comme les colombes ». (Mat 10,16) Qu’est-ce d’être de petits enfants pour le mal et le vice ? c’est d’ignorer même ce que c’est que le vice ; c’est ainsi que l’apôtre veut qu’ils soient. Et c’est pourquoi il disait : « Parmi vous on entend parler de la fornication ». (1Co 5,1) Il n’a point dit : on s’en rend coupable, mais, ou en entend parler, vous connaissez bien la chose, car vous en avez ouï parler. Il voulait qu’ils fussent hommes et enfants, enfants pour le vice, hommes par la prudence. L’homme est un homme, s’il est encore un petit enfant, mais s’il n’est pas un enfant pour le vice, il n’est pas un homme. Car le scélérat n’est point parfait, c’est un insensé. Car il est dit dans la loi : Je parlerai à ce peuple en des langues étrangères et inconnues, et, « après cela même », dit le Seigneur, ils ne m’entendront pas. Cela n’est écrit nulle part dans la loi ; mais, je l’ai dit plus haut, il comprend sous le nom de « loi » tout l’Ancien Testament, le livre des prophètes et l’histoire ; sainte. Il appelle en témoignage le prophète Isaïe, rabaissant encore le mérite du don des langues, dans l’intérêt de ses disciples. Ces mots : « après cela même », voulaient dire qu’un pareil miracle aurait dû suffire pour frapper leurs cœurs, et que si après cela ils ne croyaient pas, ils ne pouvaient s’en prendre qu’à eux. Et pourquoi Dieu a-t-il fait cela pour eux, s’ils ne devaient pas croire en lui ? Pour montrer qu’il fait sans cesse ce qu’il doit faire. Donc saint Paul, après avoir démontré, en le comparant au don de prophétie, que le don des langues est un signe qui n’a pas une grande utilité, a ajouté ces mots : « Et ainsi le don des langues est un signe, non pour les fidèles, mais pour les infidèles ; le don de prophétie, au contraire, n’est pas pour les infidèles, mais pour les fidèles (22). Si donc toute une église étant assemblée en un lieu, tous parlent diverses langues, et que des ignorants ou des infidèles entrent dans cette assemblée, ne diront-ils pas que vous êtes des insensés (23) ? Mais si tous prophétisent et qu’un infidèle ou un ignorant entre dans votre assemblée, tous le convainquent, tous le jugent (24). Et ainsi le secret de son cœur est découvert, et se prosternant le visage contré terre, il adorera Dieu, rendant témoignage que Dieu est véritablement parmi vous (25) ». Ces paroles soulèvent bien des doutes. Si en effet le don des langues est un signe, comment se fait-il que saint Paul dise : Si les infidèles vous entendent parler des langues inconnues, ils diront que vous êtes des insensés ? Et si le don de prophétie n’est pas pour les infidèles, mais pour les fidèles, quel fruit les infidèles en recueilleront-ils ? « Qu’un infidèle, dit-il, entre dans votre assemblée quand vous prophétisez, tous le convainquent, tous le jugent ». Voilà donc une autre difficulté qui s’élève ! Voilà le don des langues qui semble l’emporter sur le don de prophétie ! Car si le don des langues est un signe pour les infidèles, tandis que le don de prophétie est un signe pour les fidèles, le don qui attire et unit à l’Église ceux qui sont hors de son sein, doit l’emporter sur, le don qui ne fait que réunir et organiser ceux qui sont déjà de la famille et de la maison. Que dit donc saint Paul ? Rien dé difficile ni d’obscur, rien qui soit en contradiction avec ce qu’il a dit d’abord. Au contraire tout se tient, pour peu que nous y réfléchissions. Le don de prophétie s’adresse à tout le monde, tandis qu’il n’en est pas de même du don des langues. Aussi, après avoir dit que le don des langues est un signe, il ajoute : non pour les fidèles, mais pour les infidèles que Dieu veut attirer par ce signe, pour les infidèles que ce signe doit étonner, mais non instruire. Quand il s’agit du don de prophétie, il distingue encore et il dit : Le don de prophétie, au contraire, n’est pas pour les infidèles, mais pour les fidèles. C’est que le fidèle n’a pas besoin de voir un signe ; un enseignement et un précepte, voilà tout ce qu’il lui faut. Mais alors, comment peut-on dire que la prophétie est utile à tout le monde, puisque saint Paul dit lui-même qu’elle n’est pas pour les infidèles, mais pour les fidèles ? Pesez ces paroles avec soin et dans une balance exacte, vous saurez ce qu’il veut dire. Il ne dit pas que la prophétie n’est pas utile aux infidèles, mais qu’elle n’est pas comme les langues, un simple signe, c’est-à-dire, un don de luxe. Le don des langues, en effet, n’est pas précisément utile aux infidèles. Il n’a pour but et pour objet que d’étonner et de frapper leurs esprits. Car le signe n’est qu’un moyen. C’est ce qu’exprime le prophète en ces mots : « Sers-toi de moi pour faire un prodige », et il ajoute : « pour le bien » ; et il dit encore : « Dieu s’est servi de moi pour opérer, un miracle dans l’intérêt de plusieurs », c’est-à-dire, pour faire éclater un signe. (Psa 86,17 ; 70, 7) 2. Pour apprendre à ses disciples qu’il n’a pas voulu parler de ce signe, comme d’un don utile en tout point, il nous montre l’effet qu’il produit. Quel est cet effet ? « Les infidèles, poursuit-il, diront que vous êtes des insensés. » Ce n’est point qu’il s’en prenne au signe en lui-même ; c’est à la démence des infidèles qu’il s’en prend. Et sous ce nom d’infidèles, n’allez pas croire qu’il désigne toujours les mêmes hommes. Tantôt il parle de ces malheureux qui sont incurables et incorrigibles ; tantôt il parle de certaines âmes que l’on pourrait tourner au bien. Tels étaient, à l’époque des apôtres, ces infidèles qui admiraient pourtant les grandeurs de Dieu ; tel était Cornélius. Voilà donc pourquoi il dit : Le don de prophétie est pour les infidèles et pour les fidèles ; quant aux langues, les infidèles et les insensés qui les entendent parler, n’en retirent aucun profit et vont même jusqu’à se moquer de ceux qui les parlent, en les traitant d’insensés : car le don des langues n’est pour eux qu’un signe destiné à les frapper d’étonnement. Si ces infidèles avaient été sages, ils auraient pourtant profité du signe qui leur était manifesté. Car à cette époque, à côté des infidèles qui accusaient d’être en état d’ivresse ceux qui avaient le don des langues, il se trouvait aussi des gens qui admiraient ces orateurs comme des hommes qui leur parlaient des grandeurs de Dieu. Ceux qui tournaient de pareils hommes en ridicule étaient donc des insensés. Aussi saint Paul n’a-t-il pas dit simplement : « Vous êtes traités d’insensés », il ajoute : « par les ignorants et par les infidèles ». Mais le don de prophétie n’est pas simplement un signe, mais un don utile aux fidèles et aux infidèles, un don qui se manifeste pour affermir leur foi. Ce sens de saint Paul devient clair, non pas sur-le-champ, mais par les paroles qui suivent Tous le convainquent, dit-il. Si tous prophétisent, et qu’un infidèle ou un ignorant entre dans votre assemblée, tous le convainquent, tous le jugent. Et ainsi le secret de son cœur est découvert, et se prosternant le visage contre terre, il adorera Dieu, rendant témoignage que Dieu est véritablement parmi vous. Par conséquent, le don de prophétie a sur le don des langues le double avantage d’agir sur toutes les âmes, et d’attirer à Dieu les infidèles les plus endurcis. Quand il a convaincu Saphire en vertu du don de prophétie, et quand saint Pierre parlait des langues inconnues ; il y avait là deux miracles différents. Le premier faisait passer la conviction dans les cœurs ; le second faisait dire : Voilà un insensé ! Donc après avoir dit : « Le don des langues est inutile », après l’avoir rabaissé de nouveau en rejetant la faute sur les Juifs, il montre que ce don est même nuisible. Pourquoi donc a-t-il été donné ? pour agir conjointement avec le don d’interprétation. Sans ce dernier don, il produit sur les insensés un effet contraire à celui qu’il devrait opérer. Si tous parlent diverses Lingues, dit saint Paul, et que des ignorants ou des infidèles entrent dans l’assemblée, ils diront que vous êtes des insensés. C’est ainsi que les apôtres ont passé pour des gens ivres : on disait d’eux : « Ces gens-là sont pris de vin ». (Act 2,13) Mais ce n’est pas la faute du signe, c’est la faute de l’esprit grossier et injuste des auditeurs. Aussi saint Paul a-t-il ajouté que c’étaient les « ignorants » et les « infidèles » qui disaient : Voilà des insensés ! Les ignorants et les infidèles sont donc jugés par l’apôtre. Car, je l’ai dit plus haut, il insiste sur les dons qui n’ont pas une grande utilité, pour réprimer l’orgueil de ceux qui ont le don des langues et pour les mettre dans la nécessité de recourir à un interprète. Car, comme ce n’était point là qu’ils tendaient, et que beaucoup de gens ne se servaient de ce don que pour en faire parade, et parce qu’ils désiraient des honneurs, il les en détourne principalement, en leur montrant qu’au lieu de gloire et d’estime, ils n’en retireraient qu’un grand dommage, comme les gens qu’on soupçonne de folie. Et c’est là perpétuellement la manière de Paul : quand il veut nous détourner d’une chose, il nous montre que cela même que nous désirons nous fera du tort. Faites de même : voulez-vous détourner quelqu’un du plaisir, montrez-lui qu’il n’y a là qu’amertume ; voulez-vous l’arracher à la vaine gloire, montrez-lui qu’elle ne renferme que honte et déshonneur. Ainsi faisait Paul. Voulant arracher les riches à l’amour des richesses, il ne dit pas seulement que les richesses sont nuisibles, mais encore qu’elles exposent aux tentations ; car il dit : « Ceux qui veulent être riches tombent dans la tentation ». (1Ti 6,9) Comme il semble qu’elles délivrent des tentations, il leur attribue le défaut contraire à la qualité que les riches lui attribuaient. D’autres s’appliquaient à la sagesse profane, comme s’ils pouvaient par ce moyen affermir le dogme ; il montre que non seulement elle n’apporte point de secours à la croix, mais encore tend à l’abolir. Ils insistaient pour être jugés à un tribunal étranger, pensant qu’ils étaient indignes d’être jugés par les leurs, comme si les étrangers étaient plus sages ; il montre qu’il est honteux d’être jugé au-dehors. Ils s’approchaient des autels des idoles, comme s’ils montraient par là une sagesse parfaite, et il prouve qu’il est d’une sagesse imparfaite de ne pas savoir gouverner les affaires de ses plus proches voisins. De même ici, comme ceux qui aiment la vaine gloire, admiraient profondément le don des langues, il montre que c’est cela même qui les couvre de honte, que non seulement ce don ne leur procure point de gloire, mais leur attire encore le soupçon de folie. Mais il ne le dit pas tout de suite ; après de longs développements qui ont pour objet de faire admettre et de faire agréer son discours, il ajoute ce qui est étonnant et contraire à l’opinion commune. Cette manière d’amener sa pensée lui est familière. Celui qui veut ébranler une opinion bien assise, et changer une conviction ferme et solide, ne doit pas tout de suite lui opposer l’opinion contraire ; car il serait ridicule auprès de ceux qui sont prévenus par la pensée contraire. Ce qui est étonnant et contraire à l’opinion commune ne peut être admis tout de suite ; il faut miner une croyance pour y substituer la croyance contraire. 3. C’est ainsi qu’il a fait, quand il a disserté du mariage : comme bien des gens y voyaient le repos et le plaisir, il voulait leur montrer que le repos et le plaisir ne sont pas unis au mariage ; s’il l’avait dit tout de suite, il ne se serait pas fait écouter ; comme il ne l’a avancé qu’après un long préambule, et qu’il l’a amené à propos, il a facilement ébranlé ses auditeurs. C’est ce qu’il a fait aussi pour la virginité. Ce n’est qu’après de longs discours qu’il dit : « Je vous ménage », et : « Je veux que vous soyez sans inquiétude ». (1Co 7,28, 32) Il le fait aussi pour les langues, montrant que non seulement elles ne nous donnent point la gloire, mais encore que ceux qui ont ce don n’en retirent que de la honte et du déshonneur auprès des infidèles. La prophétie au contraire n’encourt point la honte et le déshonneur auprès des infidèles, et la gloire et l’utilité en sont également grandes : Personne ne dira de ceux qui ont le don de prophétie qu’ils sont insensés, personne ne se moquera d’eux ; ils exciteront au contraire une admiration profonde. En effet, « ils sont convaincus par tous », c’est-à-dire, ce qu’ils ont dans le cœur se montre à tous et se produit au grand jour. Ce n’est point même chose de voir entrer quelqu’un et de l’entendre parler en persan ou en syriaque, ou de l’entendre révéler les mystères de sa pensée, soit qu’il le fasse dans un mauvais esprit et pour tenter les autres, soit qu’il le fasse sincèrement et en toute honnêteté. Ce que l’un fait involontairement, l’autre le fait par réflexion, et cela est plus étonnant et plus utile, C’est pourquoi il dit pour les langues que vous êtes insensés, et il ne le dit pas en son nom, mais au nom des assistants : « Disant que vous êtes insensés ». Pour la prophétie, il fait parler les faits, et ceux à qui elle rend service. « Il est convaincu par tous », dit-il, « il est jugé par tous, et c’est ainsi que les secrets de son cœur deviennent manifestes, et l’infidèle tombera sur sa face, adorera Dieu proclamant que Dieu est vraiment en vous ». Voyez comme ici rien n’est douteux : pour les langues il y a doute, et certains des infidèles attribuent cela à la folie ; mais pour la prophétie il n’y a rien de semblable, on sera étonné, on adorera, on confessera Dieu d’abord en fait, ensuite en paroles. C’est ainsi que, Nabuchodonosor a adoré Dieu ; disant : « En vérité votre Dieu est le Dieu qui révèle les mystères, puisqu’il a pu révéler ce mystère ». (Dan 2,47) Voyez-vous la force de la prophétie, puisqu’elle a pu convertir et amener à la foi ce cœur farouche. « Quoi donc, mes frères ? quand vous êtes réunis, chacun de vous a le chant, a la doctrine, a la langue, a la révélation, a l’interprétation : que tout se fasse pour l’édification (26) ». Voyez-vous la règle fondamentale du Christianisme ? Comme c’est le devoir d’un artisan d’édifier, ainsi c’est le devoir du chrétien d’être utile en tout à ceux qui sont près de lui. L’apôtre s’élève violemment contre un don, mais il ne veut pas faire croire qu’il est inutile, il veut seulement réprimer l’orgueil de ceux qui le possèdent ; aussi le compte-t-il de nouveau parmi les autres dons, disant : « Il a le chant, il a la doctrine, il a la langue ». Autrefois on avait le chant par l’effet d’une grâce ou d’un don, et on l’enseignait aux autres ; mais tout cela, ajoute Paul, ne doit avoir qu’un but, l’amendement du prochain : que rien ne se fasse au hasard et sans objet. Si vous ne vous approchez point de votre frère pour l’édifier, pourquoi vous approchez-vous de lui ? Je ne fais pas grand cas de la différence des grâces ; je n’ai qu’un souci, je n’applique mes soins qu’à un seul objet, à savoir que tout se fasse pour l’édification. Ainsi celui qui n’aura qu’un petit don, surpassera celui qui en a un grand, si l’édification y est jointe. Aussi les dons n’existent que pour que chacun soit édifié. Si cela n’arrive point, le don ne sert à celui qui l’a reçu que pour sa condamnation. À quoi cela sert-il, dites-moi, de prophétiser ? et à quoi de ressusciter les morts, si personne n’en retire du profit ? Or, si tel est l’objet des dons, et si l’on peut arriver à la même fin par d’autres moyens et sans les dons, il ne faut point s’enorgueillir des miracles, ni se croire malheureux, quand on est privé des grâces. S’il y en a qui parlent des langues, qu’ils soient deux ou trois tout au plus, qu’ils parlent à tour de rôle, et qu’il y en ait un qui interprète (27) ; « que s’il n’y a « point d’interprètes, qu’il se taise dans l’église, et qu’il parle à lui-même et à Dieu (28) ». Que dites-vous ? Après avoir si longuement démontré que les langues sont un don inutile et superflu, s’il n’y a point d’interprètes, vous ordonnez de nouveau de parler les langues ? Je ne l’ordonne point, répond-il, mais je ne le défends pas non plus ; c’est comme quand il dit. « Si quelqu’un des infidèles vous appelle, et si vous voulez aller » (1Co 10,27), il n’ordonne point par là d’aller, mais il ne retient pas ; il en est de même ici : « Qu’il se parle à lui-même et à Dieu ». S’il ne peut, dit-il, se taire, et s’il a un tel désir des honneurs et de la vaine gloire, qu’il se parle à lui-même. Ainsi par cela même qu’il a permis, il a défendu, en inspirant la honte d’un pareil acte. 4. C’est ce qu’il a fait ailleurs aussi en parlant du commerce de l’homme avec sa femme, et en disant : « Je le dis à cause de votre incontinence ». (1Co. 7) Mais quand il parlait de la prophétie, il ne disait pas ainsi : et comment disait-il ? il ordonne, il impose une loi. « Que deux ou trois prophètes parlent ». Et ici il ne demande point d’interprète, et il ne ferme point la bouche à celui qui prophétise, comme en cet autre endroit où il dit : « S’il n’y a point d’interprète, qu’il se taise ». Car parler les langues ne suffit point. C’est pourquoi si quelqu’un a l’un et l’autre don, qu’il parle ; s’il ne les a point et veut parler, qu’il le fasse avec un interprète. Le prophète est l’interprète, mais l’interprète de Dieu, et vous, celui de l’homme. « S’il n’y a point d’interprète, qu’il se taise ». Il faut que rien ne se fasse inutilement, rien pour l’ambition et l’amour des honneurs. « Qu’il se parle a lui-même et à Dieu », c’est-à-dire, dans son esprit et sans bruit, s’il le veut absolument. Ce n’est point là un ordre formel, c’est le fait d’un homme qui tâche d’inspirer la fonte par ce qu’il permet, comme quand il dit « Si quelqu’un a faim, qu’il mange chez lui ». (1Co 2,34) Tout en lui permettant quelque chose, il ne l’en reprend que plus vivement. Vous n’êtes pas réunis, dit-il, pour montrer que vous avez des dons, mais pour édifier ceux qui vous écoutent ; c’est ce qu’il a dit au commencement : « Que tout se fasse pour l’édification. Que deux ou trois prophètes parlent et que les autres décident (29) ». Il n’en demande pas un grand nombre comme pour les langues. Et pourquoi cela, direz-vous ; il montre que la prophétie ne suffit point, puisqu’il confie la décision à d’autres. Au contraire, elle est tout à fait suffisante, et en effet il ne ferme pas la bouche à celui qui prophétise comme à celui qui parle les langues ; il ne lui impose pas silence, s’il ne se trouvé point là d’interprète ; et s’il, a dit de l’autre : « S’il n’y a point d’interprète, qu’il se taise », il ne dit point de celui-ci : S’il n’est personne qui comprenne, qu’il ne prophétise point ; il a seulement prémuni l’auditeur. Il les a avertis de se mettre sur leurs gardes, et de ne pas permettre que les devins et les charlatans se présentent au milieu d’eux. Dès le commencement il les a mis en garde contre cela, quand il a donné la différence de la divination et de la prophétie. Et maintenant il les engage à user de discernement, et à prendre garde que quelque chose de diabolique ne s’introduise parmi eux. « Si un des assistants a une révélation, que le premier se taise. Vous pouvez tous prophétiser les uns après les autres, afin que tous apprennent et que tous soient exhortés (30, 31) ». Que signifient ces paroles ? Si pendant que vous parlez, dit saint Paul, et que vous prophétisez, un autre est touché de l’Esprit-Saint, cessez de parler. Ce qu’il a exigé pour les langues, il l’exige ici, que cela se fasse isolément, mais d’une façon plus divine : il n’a pas dit : isolément, mais « si un autre a une révélation », qu’est-il besoin, quand l’autre est saisi d’un mouvement prophétique, que le premier continue à parler ? Car, tandis qu’il parlait, l’Esprit-Saint a touché l’autre, afin qu’il dit aussi quelque chose à dire. Puis, pour consoler celui à qui il ferme la bouche, il dit : « Vous pouvez tous prophétiser les uns après les autres, afin que tous apprennent et soient consolés ». Voyez comment il met encore en avant le motif qui le guide en tout ? S’il défend absolument à celui qui parle les langues de parler, quand il n’y a point d’interprète, c’est à cause qu’il est inutile ; ainsi fait-il à l’égard de la prophétie, quand elle est inutile, et ne pourrait apporter que la confusion, le trouble et un tumulte inopportun ; alors il la fait taire. « Et les esprits des prophètes sont soumis aux prophètes (32) ». Voyez avec quelle force il prend ses auditeurs par la honte ? pour que l’homme ne lui résiste point et ne soulève point de sédition, il montre que le don lui-même est inférieur, car ce qu’il appelle ici l’Esprit est l’inspiration. Or, si l’inspiration a ses degrés, il ne serait pas juste que celui qui en est possédé luttât contre une inspiration supérieure. Puis il montre qu’un pareil arrangement est agréable à Dieu par ces mots qu’il ajoute « C’est que notre Dieu n’est pas un Dieu de discorde, mais un Dieu de paix, comme je l’enseigne dans toutes nos saintes assemblées (33) ». Voyez-vous de combien de manières il s’y prend pour imposer silence à la vanité et pour consoler celui qui cède la parole à l’autre ? Voici son premier et son principal motif de consolation ; vous pouvez tous prophétiser l’un après l’autre. Son second motif est tiré des degrés de l’inspiration. L’inspiration d’un prophète est soumise à celle d’un autre prophète. Autre motif de consolation encore : Notre Dieu est un Dieu de paix et non de discorde. Enfin, quatrième motif, c’est une loi générale, c’est un précepte universel : voilà, dit-il, ce que j’enseigne dans toutes nos saintes assemblées. Quoi de plus imposant que ces paroles ! C’est qu’à cette époque l’Église, c’était le ciel ; c’était l’Esprit-Saint qui dirigeait tout, qui faisait mouvoir les chefs de l’Église et qui leur donnait l’inspiration divine. Aujourd’hui nous n’avons conservé que les symboles et les signes extérieurs de ces dons précieux, aujourd’hui encore nous sommes deux ou trois qui parlons, et nous prenons la parole tour à tour ; et quand l’un se tait, l’autre commence, mais ce ne sont là que des signes qui rappellent de si grands dons ; voilà pourquoi, quand nous prenons la parole, le peuple répond : Que le Seigneur soit avec votre esprit. Cela prouve que l’on parlait ainsi autrefois, mais alors c’était non pas la sagesse humaine, mais l’Esprit qui était dans toutes les bouches ; il n’en est pas ainsi de nos jours ; et ici je parle aussi pour moi. 5. Mais l’Église ressemble aujourd’hui à une femme déchue de son ancienne splendeur, et n’a plus que des images de sa prospérité d’autrefois, elle montre les cassettes et les coffrets où étaient renfermées des richesses, mais elle a perdu les richesses elles-mêmes. C’est à cette femme que l’Église ressemble. Ce n’est point à cause des grâces que je parle ainsi, il n’y aurait rien d’étonnant si elle n’avait perdu que cela, mais elle a perdu encore la bonne conduite et la vertu. Autrefois la foule des veuves et la troupe des vierges servaient d’ornement à l’Église ; maintenant elle est déserte et vide, et elle n’a plus que des fantômes. Il y a encore aujourd’hui des veuves et des vierges, mais elles n’ont plus ces qualités qui doivent orner les femmes qui, se préparent à de tels combats. Le caractère auquel on reconnaît le mieux une vierge, c’est qu’elle ne s’occupe que de Dieu et n’est occupée qu’à le prier continuellement ; et l’on reconnaît une veuve, non pas à ce qu’elle ne désire point un mariage heureux, mais à d’autres signes, comme la charité, l’hospitalité, l’assiduité à la prière et à toutes les autres vertus que demande Paul dans sa lettre à Timothée. Même parmi les femmes qui se sont soumises au mariage, on en peut trouver qui font preuve d’une grande vertu : cependant ce n’est pas cela seulement qu’on leur demande, mais le soin diligent et l’amour des pauvres ; en quoi brillaient d’un vif éclat les femmes d’autrefois, il n’en est pas ainsi de beaucoup de femmes de notre temps. Alors au lieu d’or, c’étaient les aumônes qui leur servaient d’ornements ; aujourd’hui elles s’en sont dépouillées, et elles sont couvertes de chaînes d’or forgées avec leurs péchés. Dirai-je qu’un autre endroit encore n’a plus l’éclat d’autrefois ? Jadis tout le monde se réunissait, et l’on chantait en commun. Nous le faisons encore aujourd’hui, mais alors tous n’avaient qu’un seul esprit et qu’une seule âme ; aujourd’hui vous ne trouveriez pas même en une seule âme cette concorde et cet accord, mais partout la guerre sévit. Celui qui préside à l’assemblée, demande encore à tous le silence, comme à ceux qui entrent dans la maison de leur père, mais ce n’est là qu’un vain mot ; cela n’est jamais une réalité. Autrefois les maisons mêmes étaient des églises, aujourd’hui l’église même est une maison, elle est même pire que n’importe quelle maison. Car dans chaque maison vous remarquez un ordre bien établi : la maîtresse de la maison est assise sur un siège, entourée de chasteté, de modestie et d’honneur : autour d’elle les servantes filent en silence, et chaque serviteur s’occupe de la tâche qui lui est imposée. Mais dans l’église il y a un grand tumulte, une grande confusion, et elle ne diffère en rien d’une auberge, tant sont forts les rires, tant est grand le désordre, ainsi que dans des bancs et dans un marché où tous crient et font du bruit. Et cela n’arrive qu’ici : car ailleurs il n’est pas permis, dans l’église, d’adresser la parole même à son voisin, même à un ami qu’on revoit après une longue absence ; tout cela doit se faire au-dehors, et avec raison. L’église, en effet, n’est pas une boutique de barbier ou de parfumeur, ou une de ces échoppes d’artisans qui sont au marché, c’est le séjour des anges, le séjour des archanges, le royaume de Dieu, le ciel lui-même. Si quelqu’un vous introduisait au ciel, lors même que vous verriez votre père ou votre frère, vous n’oseriez lui parler : ainsi dans l’église ne faut-il dire que des choses spirituelles, car c’est aussi le ciel. Si vous ne me croyez pas, regardez cette table, souvenez-vous pourquoi ce prêtre s’y tient, rappelez-vous quel est celui qui y descend, et demeurez muets même avant l’élévation. Si vous voyiez seulement le trône d’un roi, vous seriez excités par l’attente de son arrivée. De même il faut vénérer Dieu, même avant l’élévation ; il faut être muet, et, avant de voir le voile déployé et le chœur des anges qui s’avance, il faut s’élancer vers le ciel. Mais celui qui n’est pas initié aux mystères ignore cela, il lui faut donc d’autres exhortations. Et nous ne manquerons point de paroles qui lui apprennent à se lever, et qui lui persuadent de s’élever sur les ailes de la pensée. Vous donc, qui ignorez les mystères, quand vous entendrez le prêtre dire : Voilà ce que dit le Seigneur : Retire-toi de la terre, vous aussi, montez au ciel, réfléchissez à ce qu’est celui qui, par la voix du prêtre, parle avec vous. Quand un historien cherche à exciter le rire, quand une femme joue le rôle d’une courtisane éhontée, l’assemblée est assise et écoute avec un profond silence ce qui se dit ; cependant personne n’ordonne le silence, et il n’y a ni tumulte, ni clameurs, ni aucun bruit : mais quand Dieu parle du haut du ciel de choses bien autrement étonnantes et vénérables, nous poussons l’impudence au-delà du cynisme, et nous n’accordons pas même à Dieu le même respect qu’aux courtisanes. 6. Avez-vous frémi de ces paroles ? frémissez encore bien plus, si vous vous rendez coupable des mêmes actes. Ce que Paul dit de ceux qui méprisent les pauvres et qui mangent seuls : « N’avez-vous pas des maisons pour manger et pour boire ? Méprisez-vous l’église de Dieu, et voulez-vous faire rougir ceux qui ne possèdent rien » (1Co 11,22), permettez-moi de l’appliquer à ceux qui font du bruit et qui parlent à l’église. N’avez-vous pas des maisons pour bavarder ? Méprisez-vous l’église de Dieu ? Et voulez-vous corrompre ceux qui sont modestes et tranquilles ? Mais il vous est doux et agréable de parler à ceux qui vous sont connus. Je ne vous le défends pas, mais faites-le chez vous, sur la place publique, dans les bains ; l’église n’est pas un lieu de conversation, mais d’enseignement. Mais aujourd’hui elle ne diffère en rien d’un marché, et si le mot n’était point trop fort, d’un théâtre, car les femmes qui s’y réunissent sont parées de vêtements plus lascifs et plus impudiques que les courtisanes de la scène. C’est cela même qui y attire beaucoup d’hommes impudiques ; si l’on veut séduire ou corrompre une femme, aucun lieu n’y paraît plus propre, je pense, que l’église ; si l’on veut vendre ou acheter quelque chose, on trouve l’église plus commode que le marché. Car il y a là plus de conversations à ce sujet que dans les boutiques mêmes. Si l’on veut même blasphémer et entendre des blasphèmes, c’est là qu’on les entendra, plutôt que sur la place publique ; si vous voulez apprendre les affaires de la ville, ce qui se passe dans les maisons et dans les camps, n’allez pas au tribunal, ne demeurez pas dans la boutique des médecins ; c’est ici qu’on les annonce le plus exactement, ce lieu est tout plutôt qu’une église. Je vous ai peut-être réprimandés fortement ; pour moi, je ne le pense pas. Si vous persévérez dans votre égarement, comment pourrai-je savoir que mes paroles vous ont touchés. Il est donc nécessaire de répéter mes réprimandes. Cela est-il tolérable ? Cela est-il supportable ? Tous les jours nous nous fatiguons et nous nous épuisons pour vous renvoyer avec quelque instruction utile, et cependant personne de vous ne se retire avec quelque profit, mais avec un dommage plus grand encore ; car vous vous rendez coupables, quand vous n’avez aucune occasion de pécher, et par vos importunes bagatelles vous chassez ceux qui valent mieux que vous et qui se tiennent tranquilles ; mais que disent la plupart : je n’entends point, disent-ils, ce qu’on lit ; je ne sais point ce qu’on dit ; c’est parce que vous faites du bruit et du tapage, et que vous n’arrivez point avec un esprit doué du sens de piété. Que dites-vous ? Vous ne savez ce que signifient ces paroles ; c’est pour cela même qu’il fallait faire attention. Et si ce qui est obscur n’excite point votre esprit, vous feriez moins attention encore à ce qui serait clair et manifeste. C’est pour cela que tout n’est pas clair, afin que votre attention ne soit pas paresseuse, et que tout n’est pas obscur, afin que volis ne désespériez pas de le comprendre. Un eunuque, un barbare ne parlent point ainsi, mais, lors même qu’ils sont accablés d’une multitude d’affaires, et qu’ils sont au milieu de la rue, ils ont un livre à la main et ils lisent ; et vous, qui avez cette foule de docteurs et des gens qui lisent pour vous, vous m’apportez des excuses et de vains prétextes. Vous ne savez ce qui se dit ? Priez donc Dieu de vous l’apprendre. Mais il ne peut se faire que vous ignoriez tout ; beaucoup de parties sont claires et lucides, et, lors même que vous ne comprendriez rien, il faudrait encore vous tenir tranquille, afin de ne point chasser ceux qui sont attentifs, et alors comme votre silence et votre réserve seraient agréables à Dieu, il rendrait clair ce qui est obscur pour vous. Mais vous ne pouvez vous taire ? Sortez donc, afin de ne ; point apporter de dommage aux autres. Car il faut que dans l’église il n’y ait qu’une seule voix, comme s’il n’y avait qu’une seule personne. C’est pour cela que celui qui lit parle seul, que celui qui préside l’assemblée demeure assis en silence, que celui qui chante, chante seul, et quand les autres lui répondent, c’est comme une seule voix qui sort d’une seule bouche ; et celui qui parle au peuple parle seul. Mais lorsqu’un grand nombre de docteurs discutent sur des choses diverses, pourquoi nous nous imposerions-nous un jeu inutile ? En effet, si vous n’aviez point la légèreté de croire que nous vous imposons une gêne inutile, quand nous parlons de choses si importantes, vous ne parleriez point de ce qui n’y a aucun rapport. Ainsi, ce n’est pas seulement dans votre conduite, c’est encore dans votre appréciation des choses qu’il y a de la perversité ; vous convoitez ce qui est superflu, et, négligeant la vérité, vous poursuivez des ombres et des rêves. Tous les biens présents, ne sont-ce pas de l’ombre et des rêves, et quelque chose de plus vain que l’ombre ? Avant qu’ils apparaissent, ils se dissipent, et, avant de s’envoler, ils nous laissent un trouble bien plus grand que le plaisir qu’ils ont pu nous procurer. Celui qui a enfoui des richesses incalculables, est pauvre quand la nuit est passée, et avec raison. Ceux qui sont riches en rêve, une fois qu’ils sont sortis du lit, n’ont rien de ce qu’ils ont cru voir pendant leur sommeil : il en est de même des avares et de ceux qui sont tourmentés du désir de toujours posséder davantage, que dis-je ? leur état est pire encore. Celui qui est riche en rêve, n’a point les richesses qu’il a cru voir en songe, et se lève sans avoir reçu de son rêve aucun mal ; mais l’avare est à la fois privé des richesses, et rempli de tous les péchés qui naissent des richesses ; les plaisirs qui viennent des richesses, il n’en jouit que dans une espèce de fantôme, mais les maux qui en viennent ne sont pas un fantôme, mais la vérité même ; le plaisir n’a existé qu’en rêve, le supplice qui suit le plaisir n’existe pas seulement en rêve, il est réel ; et, même avant ce supplice, l’avare est puni des plus forts châtiments ; en amassant les richesses, il est en proie aux soucis innombrables, aux inquiétudes, aux accusations, aux calomnies, aux tumultes et aux désordres. Pour être donc délivrés des rêves et des maux qui ne sont pas des rêves, au lieu de l’avarice et du désir d’amasser adoptons les aumônes, et au lieu des rapines, la bienveillance. C’est ainsi que nous obtiendrons les biens présents et futurs par la grâce et la faveur de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui, conjointement avec le Père et le Saint-Esprit, appartiennent la gloire, la puissance, l’honneur, aujourd’hui et toujours, et jusque dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il. HOMÉLIE XXXVII.
QUE VOS FEMMES SE TAISENT DANS LES ÉGLISES ; IL NE LEUR EST POINT PERMIS DE PARLER, MAIS ELLES DOIVENT ÊTRE SOUMISES, AINSI QUE LE DIT LA LOI. (CHAP. 14, VERS. 34) ANALYSE.
- 1 et 2. Réserve que les femmes doivent garder dans les assemblées de l’Église.
- 2-4. Que l’ordre doit partout régner. – Que l’avarice est une maladie. – Du trouble que les passions causent dans le monde.
1. Après avoir réprimandé le tumulte qui naît des langues, et celui qui naît des prophéties, et porté la loi que ceux qui parlent le fassent tour à tour, et que ceux qui prophétisent se taisent quand un autre prend, la parole, il arrive enfin au trouble que causent les femmes, et gourmande leur bavardage importun : et il le fait à juste titre. Car si ceux qui ont les grâces ne doivent point parler au hasard, ni quand il leur plaît, quoiqu’ils soient inspirés du Saint-Esprit, que dire du bavardage vain et inconsidéré des femmes. C’est pourquoi il leur ferme la bouche – avec une grande autorité, et il les fait taire, en s’armant de la loi. En effet, il ne donne pas seulement des conseils ou des exhortations, mais il commande avec force, citant à ce sujet l’ancienne loi. Après avoir dit : « Que vos femmes se taisent dans les églises ; il ne leur est point permis a de parler, mais elles doivent être soumises », il ajoute : « Comme la loi le dit ». Et où la loi dit-elle cela ? « Tu te tourneras vers ton mari et il te commandera ». (Gen 3,16) Voyez-vous la sagesse de Paul, et le grand témoignage dont il se sert, ne leur ordonnant pas seulement de se taire, mais de se taire avec crainte, et une crainte aussi grande que celle d’une esclave. C’est pourquoi après avoir dit : « Il ne leur est point permis de parler », il n’ajoute point : Elles doivent se taire ; au lieu de « se taire », il a mis ce qui est plus fort : Être soumises. Si elles doivent se tenir ainsi devant leurs maris, elles le doivent bien plus devant les docteurs et les Pères, et dans l’assemblée des fidèles. Mais si elles ne parlent point, direz-vous, et si elles n’interrogent point, pourquoi seront-elles présentes ? Pour entendre ce qu’il faut, quant aux choses dont elles doutent, elles doivent l’apprendre chez eux de leurs maris. C’est pourquoi il a ajouté : « Si elles veulent apprendre quelque chose, qu’elles interrogent chez eux leurs maris « (35) ». Or, si elles ne doivent pas interroger, il leur est bien plus défendu encore de parler. Et pourquoi les a-t-il soumises à une si grande sujétion ? parce que la femme est faible, inconstante et légère. C’est pourquoi il leur a donné leurs maris pour docteurs, rendant ainsi service aux uns et aux autres. Il a rendu les femmes réservées et les hommes attentifs et soucieux de pouvoir répéter exactement devant leurs, femmes ce qu’ils ont entendu. Comme elles se faisaient une gloire de parler en public, il leur dit tout le contraire : « Il est honteux pour une femme de parler dans l’Église ». Il l’a prouvé d’abord par la loi de Dieu, ensuite par le sens commun et l’usage, comme il leur disait aussi, quant à leurs cheveux : « N’est-ce pas la nature même qui vous l’enseigne ? » (1Co 11, 14) Et partout chez lui vous trouverez cette habitude de leur inspirer la pudeur, en s’appuyant, non sur les saintes Écritures, mais sur l’usage. Ce sont les opinions communes et l’habitude dont il se sert, pour leur inculquer la modestie, lorsqu’il dit : « La parole de Dieu est-elle partie de vous, ou est-elle venue chez vous seuls (36) », et il cite en effet les autres. Églises qui observent cette loi, et c’est en montrant qu’il est inusité qu’il, réprimande le tumulte, et c’est en s’appuyant sur les suffrages de la foule qu’il fait accepter son discours. C’est pourquoi il disait en un autre endroit : « Celui qui vous a rappelé à la mémoire mes voies dans le Christ, comme moi-même je les enseigne dans toutes les églises » ; (1Co 4,17) et encore : « Ce n’est point un Dieu de dissension, mais de paix, comme aussi dans toutes les assemblées de saints » ; (Ibid 14,33) et ces paroles : « La parole de Dieu est-elle partie de vous, ou est-elle venue chez vous seuls. » C’est-à-dire, vous n’êtes pas les premiers, vous n’êtes pas les seuls fidèles, mais c’est toute la terre. C’est ce qu’il disait aussi, en écrivant aux habitants de Colosse : « Comme elle fructifie et croît dans le monde entier », (Col 1,6) en parlant de l’Évangile. Quelquefois, pour exhorter ses auditeurs, il fait tout le contraire, comme quand il dit qu’ils ont agi les premiers, et que leurs actions brillent aux yeux de tous. Ainsi il écrivait aux habitants de Thessalonique : « C’est chez vous que la parole de Dieu a commencé à retentir », et en tout lieu votre foi est allée à Dieu. (1Th 1, 8) Il écrit encore aux Romains : « Votre foi est annoncée au monde entier ». (Rom 1,8) Pour exciter et exhorter les hommes, c’est un moyen également efficace de les faire louer par d’autres, ou de leur montrer que d’autres pensent comme eux. Et c’est pour cela qu’il dit aussi : « La parole de Dieu est-elle partie de vous ; ou est-elle venue chez vous seuls ? » Vous ne pourrez point dire : Nous avons été les docteurs des autres, et il n’est point juste que nous allions à l’école des autres, ni : C’est ici seulement que la foi a demeuré, et nous n’avons pas à prendre exemple sur d’autres. Voyez-vous par combien de moyens l’apôtre leur inspire la pudeur, il cite la loi, il montre que l’action est honteuse, et il apporte pour exemple les autres Églises. 2. Enfin il dit en dernier lieu, et c’est ce qu’il y a de plus fort : c’est Dieu qui l’ordonne par moi : « Si quelqu’un paraît être prophète ou animé de l’Esprit divin, qu’il connaisse ce que je vous écris, que ce sont les ordres de Dieu (37) ; s’il l’ignore, qu’il l’ignore (38) ». Et pourquoi a-t-il ajouté cela ? Pour montrer qu’il n’apporte ni violence, ni disputes, ce qui est le propre de ceux qui ne veulent pas imposer leurs volontés, mais qui considèrent ce qui est utile aux autres. C’est pourquoi il dit aussi en un autre endroit : « Si quelqu’un aime la dispute, nous n’avons point cette habitude ». (1Co 11,16) Cependant il n’agit pas ainsi partout, mais là seulement où ne se commettent pas de grands péchés, et c’est encore là qu’il cherche à inspirer la honte. Quand il parle des autres péchés, ce n’est pas ainsi qu’il dit, mais comment ? « N’errez pas ; ni les débauchés, ni les efféminés ne posséderont le royaume de Dieu ». (Id 6,9) Et encore : « C’est moi Paul qui vous le dis, que si vous êtes circoncis, le Christ ne vous sera pas utile ». (Gal 5,2) Mais tomme ici il ne s’agit que du silence, ses réprimandes ne sont point si véhémentes, et par cela même il attire vers lui ses auditeurs. Il fait ensuite ce qu’il a coutume de faire : il revient à la première preuve dont il était parti pour dire tout cela : « C’est pourquoi, mes frères, recherchez la prophétie, et ne défendez pas de parler les langues (39) ». C’est son habitude de traiter non seulement ce qu’il s’est proposé, mais de corriger tous les défauts qui lui paraissent tenir d’une certaine façon au sujet, puis d’y revenir, afin de ne point paraître s’écarter de ce qu’il voulait prouver. Ainsi, quand il parlait de la concorde dans les repas, après avoir fait une digression sur la communion dans les mystères, il revient à son premier sujet, disant : « C’est pourquoi quand « vous vous réunissez pour manger, attendez« vous les uns les autres ». (1Co 11,33) Ici de même, après avoir discuté sur l’ordre qu’il faut observer dans les dons, et montré qu’il ne faut point s’affliger des moindres, ni s’enorgueillir de ceux qui sont plus importants, il fait une digression sur la modestie qui convient aux femmes, il y apporte les preuves nécessaires, puis il revient à son sujet, disant : « C’est pourquoi, mes frères, recherchez la prophétie, et ne défendez point de parler les langues ». Voyez comme jusqu’à la fin il observe la différence entre ces deux dons, et comment il montre que l’un est tout à fait nécessaire, et que l’autre ne l’est point. C’est pourquoi il dit de l’un : « Recherchez », et de l’autre : « Ne défendez pas ». Puis, se résumant en quelque sorte, il corrige tout, ajoutant : « Que tout se fasse honnêtement et suivant l’ordre (40) », ce qui s’applique encore à ceux qui par légèreté veulent agir avec indécence, acquérir la réputation de fous, et ne conservent pas l’ordre qui leur convient. Rien n’est édifiant comme le bon ordre, la paix, la charité, de même que les vices contraires sont une cause de ruine. Cela n’est pas vrai seulement des choses spirituelles, c’est encore vrai en tout le reste. Dans un chœur, dans un navire, dans un char, dans un camp, si vous détruisez l’ordre, et si ôtant de leur place les choses les plus importantes vous y mettez les moins importantes, vous gâtez tout, vous mettez tout sens dessus dessous. Ce n’est point nous qui renverserions l’ordre, et qui mettrions la tête en bas, et les pieds en haut. Il arrive que, quand on renverse ainsi l’ordre naturel, on préfère à la raison la concupiscence, la colère, l’emportement et le plaisir : de là naissent de grandes fluctuations, un soulèvement profond et une horrible tempête, quand les ténèbres ont tout envahi. Et, si vous le voulez, dissipons d’abord la honte qui en résulte, et ensuite le dommage qui en sort. Comment ce mal sera-t-il connu et manifeste ? Amenons sur la place publique un homme ainsi atteint, possédé de l’amour d’une courtisane, et consumé d’un désir infâme, et nous verrons alors combien il est ridicule. Que peut-il y avoir de plus honteux que de se tenir à la porte d’une courtisane et d’être repoussé par elle, de pleurer et de se lamenter, et de ruiner ainsi sa considération ? Si vous voulez voir le dommage, repassez en votre esprit les prodigalités, les dangers mortels, la guerre contre les rivaux, les coups et les blessures que l’on reçoit en ces combats. Ainsi sont également ceux que possède l’amour de l’argent. Ce vice même est plus honteux et plus indécent. Car les débauchés sont occupés d’un seul corps, et lui prodiguent leurs soins et leur amour, mais les avares sont inquiets et tourmentés par les richesses de tous, des pauvres et des riches, et ils aiment ce qui n’existe point, ce qui est le propre d’une passion excessive. Ils ne disent pas : je voudrais avoir les richesses d’un tel ou d’un tel, mais ils veulent des maisons d’or, les maisons et tout ce qu’ils voient ; ils se transportent dans un monde imaginaire ; et c’est ce qu’ils souffrent toujours, et jamais leurs désirs n’ont de fin. Qui pourrait exprimer par les mots cette agitation de leurs pensées, cette tempête, ces ténèbres ? Où sont des flots aussi orageux que ceux du plaisir ? Il n’y en a point, c’est un tumulte, c’est un désordre, ce sont de sombres nuages, qui, au lieu d’eau, apportent le chagrin à l’âme, ce qui a coutume aussi d’arriver à ceux qui aiment la beauté d’autrui. C’est pourquoi ceux qui n’aiment d’aucune façon sont dans un état plus doux que les débauchés de cette sorte. C’est là une pensée que personne ne contredirait ; pour moi, je vais jusqu’à dire que celui qui aime et réprime sa passion, éprouve plus de plaisir que celui qui jouit continuellement d’une courtisane. Quoiqu’il soit un peu difficile de le prouver, cependant j’aurai l’audace de l’entreprendre. Cela est difficile, non pas à cause de la nature des choses, mais parce que les auditeurs ne sont point dignes de cette philosophie. 3. Répondez-moi, je vous prie : qu’est-ce qui est plus agréable à un amant, d’être méprisé de sa maîtresse, ou d’être honoré d’elle et de la mépriser ? Il est clair que ce dernier cas est le plus agréable. Qui donc, je vous prie, la courtisane honorera-t-elle plus, ou l’homme qui s’asservit à elle et devient son esclave, ou celui qui s’est joué de ses filets et vole au-dessus des pièges qu’elle lui a tendus ? Il est clair que c’est ce dernier. Sur qui portera-t-elle plus tôt son amour, sur celui qui a succombé, ou sur celui qui n’a pas encore succombé ? sur celui, certes, qui n’a pas encore succombé. Quel est celui qui est le plus désirable, celui qui est déjà atteint de l’amour ou celui qui n’a pas encore été captivé ? C’est celui qui n’a pas encore été captivé. Si vous ne voulez point m’en croire, voyez ce qui vous arrive à vous-même. Quelle est la femme qu’on aimera plus, celle qui succombe facilement et se donne elle-même, ou celle qui refuse et combat longtemps ? Il est hors de doute que c’est celle-ci, car c’est ainsi qu’elle allume un désir plus vif. La même chose arrive à la femme : elle honorera et admirera plus celui qui la méprise. S’il en est ainsi, que celui-là éprouve plus de plaisir qui est plus honoré et plus aimé. Le général d’armée qui a pris une fois une ville, l’abandonne, mais il met toute son ardeur à assiéger celle qui résiste et lutte ; le chasseur laisse cachée la bête qu’il a prise, comme la courtisane fait de son amant, mais il poursuit celle qui se sauve devant lui. Mais l’amant, direz-vous, jouit de ses désirs, et l’autre n’en jouit point. Mais échapper à la honte et au déshonneur, ne pas être asservi à la tyrannie d’une maîtresse, ne pas être conduit et mené par elle comme un esclave, roué de coups, conspué, frappé à la tête, croyez-vous, dites-moi, que ce soit là un petit plaisir ? Si l’on voulait bien examiner tous ces tourments et rassembler toutes les hontes, les outrages, les incriminations, les colères, les inimitiés, et tous ces maux qui ne sont connus que de ceux qui les ont soufferts, il trouverait que toute guerre a plus de trêves que la vie misérable de ces hommes. Quel est donc le plaisir dont vous me parlez, je vous le demande, est-ce celui qui résulte de l’union des sexes, et qui est bref et passager ? mais la guerre lui succède tout à coup, et les agitations, et la rage, et la folie. Je vous parle comme je parlerais à des jeunes gens incontinents et impudiques, et qui n’entendraient pas volontiers ce qu’on leur dirait du paradis et de l’enfer. Mais, quand nous aurons produit tout cela au grand jour, nous ne pourrons dire combien grand est le plaisir des gens modérés et tempérants alors chacun pensera aux couronnes, aux récompenses, au commerce avec les anges, à la bonne réputation par la terre entière, à, la confiance et à la franchise des paroles, à ces espérances de bonheur immortelles. Mais l’union des sexes nous procure du plaisir ; voilà ce qu’ils nous opposent toujours, et encore, que l’homme tempérant ne peut pas toujours résister à la tyrannie de l’amour. C’est le contraire que vous trouverez ; le trouble et le désordre se trouvent plutôt chez celui qui se livre à la débauche, son corps est sans cesse agité ; son trouble est plus grand que celui de la mer houleuse ; jamais son désir ne s’arrête, il supporte continuellement ses assauts, semblable à ceux qui sont possédés par le démon et agités par les mauvais esprits. L’homme tempérant, au contraire, semblable à un vigoureux athlète, tient toujours la passion abattue, et trouve là un plaisir plus vif que tous les plaisirs des sens ; cette victoire et sa bonne conscience lui servent de trophées éclatants et durables. Si le débauché se repose un peu après la lutte, il ne lui sert de rien ; car de nouvelles agitations et de nouvelles tempêtes l’envahissent. Mais le sage ne permet pas dès le commencement que ce trouble pénètre en lui, que la mer se soulève, et que cette bête pousse des cris. S’il éprouve quelque peine à réprimer de si violents mouvements, il faut dire aussi que le débauché, toujours battu, percé dé coups et ne pouvant supporter l’aiguillon du désir, est semblable à celui qui emploie en vain tout son art à retenir un cheval indocile au frein ; s’il cesse un instant ses efforts, s’il recule devant la fatigue, il est emporté par lui. Si j’ai expliqué tout cela plus clairement qu’il ne faut, qu’on ne me reprenne point ; je ne recherche point la majesté dans mon discours, je cherche à rendre mes auditeurs graves et honnêtes. 4. Les prophètes aussi ne reculent devant aucune parole, quand ils veulent détruire l’intempérance et la corruption des Juifs, mais ils les réprimandent avec des paroles encore plus significatives que celles dont nous nous sommes servis. Le médecin qui veut guérir un abcès ne regarde pas à conserver ses mains propres, il ne songe qu’à guérir le malade de son abcès ; celui qui veut relever l’humble se fait humble d’abord, et celui qui s’applique à tuer l’homme, qui dresse des embûches, se couvre de sang en même temps que son ennemi, et c’est cela même qui lui donne plus de gloire. Si vous voyez un soldat revenir de la guerre, souillé de sang et de cervelle, vous n’irez point le détester pour cela ni le, repousser, mais vous ne l’en admirerez que plus. Ainsi devons-nous faire quand nous voyons quelqu’un revenir tout ensanglanté, après avoir immolé la passion ; nous devons l’en admirer davantage, nous associer et participer à ses combats et à ses victoires, et dire à ceux qui aiment : montrez-nous le plaisir que vous avez recueilli de vos passions. L’homme tempérant et chaste trouve la volupté dans la victoire qu’il remporte sur lui-même : mais vous, quel est le plaisir que vous goûtez ? Vous me parlerez peut-être de celui que vous puisez dans un commerce charnel. Ah ! la volupté de la tempérance est plus franche et plus durable. Vos jouissances à vous sont courtes et vos plaisirs d’un moment ne laissent point de traces. Mais la chasteté puise dans sa conscience des joies plus vives et plus suaves qui ont de la durée. Le commerce des sexes est incapable de calmer et d’élever notre âme comme la philosophie. L’homme chaste, je l’ai dit, montre une volupté franche. Vous, au contraire, qui êtes vaincu par vos passions, vous nous découvrez l’inquiétude de votre âme. Où sont vos plaisirs ? je voudrais les voir ; mais je ne les découvre pas. Quand goûtez-vous un moment de plaisir en effet ? Est-ce avant de satisfaire vos sens ? mais, en ce moment-là, le plaisir n’existe pas pour vous. C’est dé la folie, de la démence, du trouble que vous éprouvez ; grincer des dents, être hors de soi, est-ce là du plaisir ? si c’était là de la volupté, nous ne serions pas condamnés à donner, en un pareil état, tous les signes de la plus vive douleur. Les athlètes qui frappent ou qui sont frappés, grincent des dents. Les femmes déchirées par les douleurs de l’enfantement font de même. Ce n’est donc pas là un plaisir, c’est un trouble et un désordre excessif de l’âme. Et ensuite ? Ah ! n’en parlez pas. La femme qui vient d’accoucher n’éprouve pas ce qu’on a le droit d’appeler un plaisir ; elle est seulement délivrée de ses douleurs. Et franchement il n’y a pas là du plaisir ; il y a un état de faiblesse et de prostration. Or, entre la volupté et la prostration, la différence est grande. Quel est donc le moment où vous goûtez quelque plaisir, dites-moi ? Je n’en vois pas, ou si ce moment existe, c’est un éclair qu’on n’a pas le temps d’apercevoir. Ce moment, nous avons essayé mille fois de le saisir et de le retenir, nous ne l’avons pas pu ; mais pour l’homme tempérant et modéré, il n’en est pas ainsi. Ses plaisirs sont apparents et durables ; ou plutôt sa vie entière est une volupté : sa conscience lui tresse des couronnes ; son âme est comme une onde tranquille qui ne connaît pas les orages et qui est assurée contre eux de toute part. À l’aspect de cette volupté pure, à la vue des inquiétudes et des troubles qui accompagnent la débauche, hâtons-nous de fuir ce vice, fuyons l’intempérance, pour faire vœu de tempérance et de chasteté, pour obtenir en outre dans l’autre vie le bonheur éternel, par la grâce et la faveur de Notre-Seigneur Jésus-Christ, en qui appartiennent au Père, en union avec le Saint-Esprit, la gloire, l’empire, l’honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il. Traduit par M. BAISSEY.