1 Corinthians 15
HOMÉLIE XXXVIII.
JE VAIS MAINTENANT, MES FRÈRES, VOUS REMETTRE DEVANT LES YEUX L’ÉVANGILE QUE JE VOUS AI PRÊCHÉ, QUE VOUS AVEZ REÇU, DANS LEQUEL VOUS DEMEUREZ FERMES, ET PAR LEQUEL VOUS SEREZ SAUVÉS, SI VOUS L’AVEZ RETENU, COMME, JE VOUS L’AI ANNONCÉ. (CHAP. 15, VERS. 1)
ANALYSE.
- 1 et 2. Explication littérale du texte de saint Paul. – Prudence de saint Paul, son habileté, dans les circonstances les plus délicates, à manier les âmes. – Importance capitale du dogme de la résurrection.
- 3 et 4. Discussion curieuse contre les Manichéens qui soutenaient que la mort de Jésus-Christ et la résurrection n’étaient que la mort du péché et la purification de l’âme.
- 5-7. De l’humilité de saint Paul ; exemple qu’il nous donne. – Contre le désespoir et la confiance exagérée, ces deux grandes causes de tous nos malheurs. – Sur ce qu’il y a d’insatiable dans l’âme humaine, et sur le bonheur de la pauvreté. – Opposition curieuse de ces deux derniers développements.
1. Il vient d’en finir avec les dons spirituels, il passe maintenant à la vérité qui est, de toutes les vérités, la plus nécessaire, à la résurrection ; sur ce point, les fidèles étaient atteints d’une maladie grave. Et de même que pour le corps, si la fièvre en saisit les parties solides, les nerfs, les veines, les premiers éléments qui le constituent, il faut désespérer de la guérison, si l’on ne s’y applique avec le plus grand soin ; de même, pour leur salut, les fidèles couraient le plus grand danger. C’était aux éléments mêmes de la piété que le mal s’attaquait. Aussi Paul apportait-il un grand zèle à les guérir. Il ne s’agissait plus de la conduite, des mœurs, du libertinage de l’un, de l’avarice de l’autre, de tel qui se montrait la tête couverte, mais de ce qui est le résumé de tous les biens ; c’était sur la résurrection même qu’on était en dissentiment. Comme toute notre espérance est là, c’est le point que le démon attaquait avec le plus d’acharnement, et tantôt il la supprimait tout à fait, tantôt il disait qu’elle avait eu déjà lieu. Aussi Paul, écrivant à Timothée, appelle cette funeste doctrine, une gangrène, et flétrit ceux qui la propagent : « De ce nombre sont Hyménée et Philète qui se sont écartés de la vérité en disant que la résurrection est déjà arrivée, et qui ont ainsi renversé la foi de quelques-uns ». (2Ti 2,17, 18) Quelquefois, donc ils disaient cela, d’autres fois ils prétendaient qu’il n’y a pas de résurrection pour le corps, que la résurrection n’est que la purification de l’âme. Ce qui les portait à tenir de pareils discours, c’était la perversité du démon, jaloux, non seulement de renverser la résurrection, mais de montrer que tout ce qui a été accompli pour nous n’est que fables. Si l’on avait pu persuader aux esprits qu’il n’y a pas de résurrection des corps, le démon aurait fini par persuader peu à peu que le Christ lui-même n’est pas ressuscité ; de là, procédant méthodiquement, il aurait introduit la doctrine que le Christ n’a pas paru parmi nous, n’a pas fait ce qu’on lui attribue. Telle est la malignité du démon, que Paul appelle un système « d’artifices » (Eph 6,11), parce que le démon ne fait pas paraître tout de suite ce qu’il veut qu’on approuve, il craint trop d’être convaincu de perfidie ; il prend un masque, il a recours à des manœuvres, comme un ennemi rusé qui veut entrer dans une ville, forcer les murailles, il a des conduits souterrains, cachés à tous les yeux, dont on ne peut se défier, afin de tromper la vigilance et d’assurer le succès de ses affreux desseins. Aussi, trouvant toujours ses pièges ténébreux, toujours à la poursuite de ses criminelles embûches, cet admirable apôtre, ce grand homme disait : « Nous n’ignorons pas ses desseins ». (2Co 2,11). Ici, en effet, Paul découvre toute la ruse du démon, il montre toutes ses machinations ; tout ce que le pervers médite et prépare, l’apôtre l’étale, il fait voir le tout dans tous les détails avec le plus grand soin. Voilà pourquoi ce qu’il place en dernier lieu, c’est cette, vérité capitale, la plus nécessaire de toutes, et qui renferme tous nos intérêts. Or voyez là prudence du Maître : ce n’est qu’après avoir fortifié ses disciples, qu’après avoir mis les siens en sûreté, qu’il va plus loin, qu’il attaque les étrangers, qu’il leur ferme la bouche avec toute espèce d’autorité. S’il fortifie les siens, s’il les met en sûreté, ce n’est pas par des raisonnements, mais il s’appuie sur des faits déjà accomplis, qu’eux-mêmes ont acceptés, auxquels ils ont ajouté foi c’était un puissant moyen de les faire rentrer en eux-mêmes, et de les contenir. S’ils voulaient dorénavant refuser leur foi, ce n’était plus a Paul mais à eux-mêmes qu’ils la refusaient ; ils devaient s’en prendre à ceux qui avaient, les premiers, admis la foi nouvelle, et qui s’étaient transformés. Aussi commence-t-il par dire qu’il n’a pas besoin d’autres témoins de la vérité de sa parole que ceux mêmes qui ont été trompés. Mais voici qui rendra mon discours plus clair, écoutez les paroles mêmes. Quelles sont ces paroles ? « Je vais maintenant, mes frères, vous remettre devant les yeux l’Évangile que je vous ai prêché ». Voyez-vous, dès le début, la parfaite convenance ? Voyez-vous, dès le début, comme il leur montre qu’il ne leur apporte aucune étrangeté, aucune nouveauté ? Remettre devant les yeux ce qui a déjà été mis devant les yeux et qui ensuite a été oublié, ce n’est que rafraîchir la mémoire. Il les appelle frères ; et ce simple mot constitue, une démonstration anticipée, une démonstration éloquente de la vérité qu’il soutient ; car nous ne sommes frères que par l’incarnation de Jésus-Christ. S’il les appelle de ce nom, c’est pour les adoucir, pour les flatter, pour leur rappeler en même temps, d’innombrables bienfaits. Et ce qui suit confirme sa pensée. Qu’est-ce qui vient après ? L’Évangile. Le point de départ de l’Évangile, l’Évangile tout entier c’est Dieu fait homme, crucifié, ressuscité. C’est ce que Gabriel annonça à la Vierge, c’est ce que les prophètes annoncèrent à toute la terre, c’est ce qu’ont annoncé, à leur tour, tous les apôtres. « Que je vous ai, prêché, que vous avez reçu, dans lequel vous demeurez fermes, et par lequel vous serez sauvés, si vous l’avez retenu, comme je vous l’ai annoncé, et si ce n’est pas en vain que vous avez embrassé la foi (2) ». Voyez-vous comme il les prend pour témoins de ses paroles ? Et il ne dit pas : Que vous avez entendu, mais, « que vous avez reçu » ; il leur redemande, pour ainsi dire, un dépôt, et il leur montre que ce n’est pas seulement un discours entendu ; que des actions, des signes, des prodiges les ont décidés à le recevoir, de manière à le conserver fermement. 2. Ensuite, après le rappel du passé, vient l’assertion relative au présent : « Dans lequel vous demeurez fermes » ; l’apôtre se saisit des fidèles ; il prévient, leur résistance, ils auraient, beau vouloir, impossible à eux d’opposer une négation : Voilà pourquoi il ne, dit pas en commençant : Je viens vous apprendre, mais : « Je vais vous remettre devant les yeux » ce que vous connaissez déjà. Mais comment peut-il dire, de ceux qui bronchent, qu’ils demeurent fermes ? Il fait semblant de ne pas voir, et c’est de l’habileté : c’est une conduite analogue qu’il tient avec les Galates, seulement il y a une différence. Avec les Galates il ne peut pas feindre d’ignorer, il a recours à un autre : langage : « J’ai confiance dans le Seigneur, que vous n’aurez point d’autres sentiments » (Gal 5,10) ; il ne dit pas : Que vous n’avez point eu d’autres sentiments ; leur faute était avouée ; manifeste, mais il garantit l’avenir ; sans doute l’avenir est incertain, mais ce qu’il en dit, c’est pour entraîner les fidèles. Ici, avec les Corinthiens, il fait semblant de ne pas savoir : « Dans lequel vous demeurez fermes ». Suit la considération de l’utilité ; « et par lequel vous serez sauvés, si vous l’avez retenu comme je vous l’ai annoncé ». C’est pourquoi l’enseignement d’aujourd’hui n’est qu’exposition et interprétation. En effet, c’est une doctrine que vous n’avez pas besoin d’apprendre, mais seulement de vous rappeler, afin de vous redresser. Ces paroles, c’est pour les rappeler à leur devoir. Mais que signifie : « comme je vous l’ai annoncé ? » De la manière, dit-il, dont je vous ai annoncé la résurrection. Je ne prétends pas que vous doutiez de la résurrection, mais peut-être voulez-vous savoir plus clairement ce qui a été dit. C’est une explication que je veux encore vous donner : car je sais que vous avez conservé le dogme. Ensuite, comme il leur avait dit : « Dans lequel vous demeurez fermes », pour prévenir la négligence où cet éloge les porterait, il leur inspire un sentiment de crainte, en leur disant : « Si vous l’avez retenu, et si ce n’est pas en vain que vous avez embrassé la foi » ; il leur montre par là que le coup serait mortel, qu’il ne s’agit pas de dogmes quelconques, mais de l’essence même de la foi. En ce moment, il parle à mots couverts, mais à mesure qu’il avance, qu’il s’échauffe, il se découvre, il met à nu sa pensée, il parle à haute et intelligible voix, il crie : « Si Jésus-Christ n’est point ressuscité, notre prédication est vaine, et vaine aussi est votre foi (14) », vous êtes ; encore dans vos péchés. Mais, au début, il ne s’exprime pas de cette manière ; il était bon de commencer doucement et de ne s’avancer que pas à pas. « Car je vous ai transmis d’abord ce que j’ai reçu (3) ». Ici même, il ne dit pas, je, vous ai dit, ni je vous ai enseigné, mais il se sert encore de l’expression : « je vous ai transmis ce que j’ai reçu ». Et il ne dit pas qu’il a été instruit, mais, « ce que j’ai reçu » : cette manière de parler s’explique par une double intention ; d’abord on ne doit rien introduire de son fonds particulier dans l’enseignement ; ensuite, la démonstration de la vérité se faisant par, les œuvres, c’est là ce qui a dû opérer en eux la certitude, et ils ne la doivent pas seulement des paroles ; puis, peu à peu, rendant son discours de plus en plus digne de foi, il rapporte le tout au Christ, et il montre qu’il n’y arien, dans ces dogmes, qui appartienne à l’homme. Mais que signifie, « car je vous ai transmis d’abord ? » C’est-à-dire, dès le commencement, ce n’est pas seulement d’aujourd’hui. Il prend le temps à témoin, et ce serait le comble de la honte, après avoir cru si longtemps, de renoncer maintenant à la foi ; cette raison n’est pas la seule de plus, le dogme est nécessaire ; voilà pourquoi il a été transmis dès le début, et tout de suite, et d’abord. – Et qu’avez-vous transmis ? Répondez-moi. – L’apôtre ne le dit pas tout de suite, mais d’abord, « ce que j’ai reçu ». Et qu’avez-vous reçu ? « Que Jésus-Christ est mort pour nos péchés ». Il ne dit pas tout de suite qu’il y a une résurrection de nos corps, mais c’est l’affirmation même qu’il prépare de loin, et par un moyen détourné, « que Jésus-Christ est mort » ; il commence par jeter le grand et ferme et solide fondement de son discours sur la résurrection. Car il ne se contente pas de dire que Jésus-Christ est mort, quoique ces simples, paroles eussent été suffisantes pour rendre manifeste la résurrection, mais il ajoute : « que Jésus-Christ est mort pour nos péchés ». Avant tout, il est bon d’entendre sur ce sujet ces manichéens malades, ennemis de la vérité, ces adversaires armés contre leur propre salut. Donc que disent-ils ? Par mort, à les en croire, Paul n’entend pas autre chose que l’état de péché, et la résurrection n’est que l’affranchissement du péché. Voyez-vous la faiblesse de l’erreur ? comme elle fournit elle-même des armes contre elle ? comme il est peu besoin de forces étrangères, comme elle se transperce elle-même ? Voyez donc, considérez comme ils se transpercent eux-mêmes par les discours qu’ils tiennent. Si c’est là ce qu’il faut entendre par mort, si le Christ n’a pas revêtu dé corps, comme vous le prétendez, s’il est mort, le Christ a été en état de péché, à vous entendre. Voici, moi, ce que je soutiens, à savoir, qu’il a pris un corps, et je dis que la mort est le fait de la chair : or vous le niez, il vous faut donc nécessairement dire qu’il était dans le péché. Or s’il était dans le péché, comment a-t-il pu dire : « Qui de vous me convaincra de péché ? » (Jn 8,46) et encore : « Le prince de ce monde va venir, quoiqu’il n’ait rien en moi qui lui appartienne ». (Id 14,30) ; et encore : « C’est ainsi que nous devons accomplir toute « justice ». (Mat 3,15) Or comment est-il mort pour les pécheurs, si lui-même était un pécheur ? Celui qui meurt pour les pécheurs, ne doit être soumis à aucun péché : car s’il est lui-même un pécheur, comment pourra-t-il mourir pour les péchés des autres ? Au contraire, s’il est mort pour les péchés des autres, il est mort, n’étant lui-même soumis à aucun péché ; mais s’il est mort, étant sans péché, il n’est pas mort par le péché, (comment cela se pourrait-il, puisqu’il n’avait aucun péché?) mais il est mort par son corps. Aussi Paul ne dit pas seulement : « Est mort », mais il ajoute : « pour nos péchés ». Et après les avoir contraint, quelque dépit qu’ils en aient, de reconnaître la mort corporelle, en montrant qu’avant la mort il était sans péché, (car mourir pour les péchés des autres entraîne nécessairement cette conséquence que l’on est sans péché) l’apôtre n’est pas encore content, il ajoute : « Selon les Écritures » ; nouvelle preuve à l’appui de son discours, et qui marque de quelle mort il entend parler. Car les Écritures parlent partout de la mort du corps : « Ils ont percé mes mains et mes pieds » (Psa 22,17) ; et : « Ils verront celui qu’ils ont percé ». (Jn 19,37) 3. On peut voir un grand nombre d’autres passages, pour ne pas les énumérer tous un à un, exprimant soit par des paroles, soit par des figures, et que c’est la chair quia été meurtrie, et que le Christ est mort pour nos péchés. « C’est pour les péchés de mon peuple », dit le prophète, « qu’il est mort », et « le Seigneur l’a livré pour nos péchés », et « il a été percé de plaies pour nos péchés ». (Isa 53,8, 6, 5) Si vous ne voulez pas de l’Ancien Testament, entendez la voix de Jean qui vous crie, qui vous montre les deux choses à la fois, et le corps meurtri, et la cause de la mort. « Voici », dit-il, « l’agneau de Dieu qui enlève les péchés du monde » (Jn 1,29) ; et Paul disant « Celui qui ne connaissait pas le péché, il l’a rendu pour nous le péché, afin que nous devenions la justice de Dieu en lui » (2Co 5,21) ; et encore : « Jésus-Christ nous a rachetés de la malédiction de la loi, s’étant rendu pour nous malédiction » (Gal 3,13) ; et encore : « Et avant désarmé les principautés et les puissances, il les a menées en triomphe » (Col 2,15) et combien d’autres, passages, qui montrent et que c’est le corps qui à été meurtri, et qu’il l’a été pour nos péchés : C’est le Seigneur lui-même qui dit : « Je me sanctifie moi-même pour vous » (Jn 17,19) ; et : « Le prince de ce monde est déjà condamné » (Id 16,11), pour montrer que le Christ a été mis à, mort, quoique sans – péché. « Qu’il a été enseveli. (4) ». Nouvelle preuve à l’appui de ce qui précède ; car ce qu’on ensevelit, est nécessairement un corps. Ici, l’apôtre n’ajoute plus : Selon les Écritures ; il pouvait le faire assurément, mais il ne le fait pas. Pourquoi ? ou bien par la raison que le sépulcre de Jésus-Christ était alors, comme aujourd’hui, un monument public, manifeste, ou bien parce que l’observation : « Selon les Écritures » s’applique à tout. Pourquoi donc ajoute-t-il en cet endroit « Selon les Écritures ? et qu’il est ressuscité, le troisième jour, selon les Écritures ? » pourquoi ne se contente-t-il pas de l’observation une fois pour toutes ? C’est parce que la résurrection, au troisième jour, était un fait incertain pour le grand nombre. Voilà pourquoi, ici encore, l’apôtre cite les Écritures, et en cela il est inspiré de la sagesse divine. Pourquoi en ce qui concerne la mort, ne les mentionne-t-il pas ? C’est que le crucifiement état, pour tous ; un fait avéré ; la croix, tous l’avaient vue, tous ne voyaient pas de même là cause de la mise en croix. Que le Christ fût mort, tous le savaient, mais qu’il eût souffert pour les péchés de tous, c’est ce que la multitude ne savait pas également bien. Voilà pourquoi l’apôtre cite le témoignage des Écritures : Mais c’est ce que nous avons déjà suffisamment démontré. Or ; dans quels passages les Écritures ont-elles annoncé la sépulture et la résurrection au troisième jour ? par la figure de Jonas que le Christ lui-même rappelle en disant. « Comme Jonas fut trois jours et trois nuits dans le ventre de la baleine, ainsi le Fils de l’homme sera trois jours et trois nuits dans le cœur de la terre ». (Mat 12,40) Par le buisson ardent du désert (Exo. 3) : de même que ce buisson brûlait sans se consumer, de même le corps du Sauveur subit la mort, mais ne fut pas retenu par la mort. Autre image encore : le dragon de Daniel (Dan 14) : de même que ce dragon, après avoir pris la nourriture que lui donna le prophète, éclata : par le milieu du corps ; ainsi l’enfer, après avoir dévoré le corps, divin, fut déchiré ; ce corps lui brisa le ventre, et ressuscita. Dan 14) : de même que ce dragon, après avoir pris la nourriture que lui donna le prophète, éclata : par le milieu du corps ; ainsi l’enfer, après avoir dévoré le corps, divin, fut déchiré ; ce corps lui brisa le ventre, et ressuscita. Si maintenant vous tenez à entendre des paroles expresses après des figures, écoutez Isaïe : « Sa vie est arrachée à la terre, et le Seigneur veut le purifier de la plaie, pour lui montrer la lumière », (Isa 53,8, 10). Et David, avant Isaïe : « Vous ne laisserez point mon âme dans l’enfer, et ne souffrirez point, que votre saint éprouve la corruption ». (Psa 16,10). Et si Paul, à son tour, vous renvoie aux Écritures, c’est pour vous faire savoir, que ces choses n’ont pas été faites au hasard ; et sans dessein. Pourrait-on le penser, après tant d’images des prophètes qui proclament que l’Écriture n’entend nulle part la mort du péché, quand elle parle de la mort du Seigneur, mais qu’elle annonce la mort du corps, la sépulture, la résurrection, telle qu’on vous l’a enseignée ? « Qu’il s’est fait voir à Céphas (5) ». L’apôtre nomme tout de suite celui qui est de tous le plus digne de foi. « Puis aux douze apôtres. Qu’après il a été vu en une seule fois de plus de cinq cents frères, dont il y en a plusieurs qui vivent encore aujourd’hui, et quelques-uns sont endormis ; qu’ensuite il s’est fait voir à Jacques puis à tous les apôtres ; et qu’enfin, après tous les autres, il s’est fait voir à moi-même, qui ne suis qu’un avorton (6, 7, 8) ». Après la démonstration qui se fait par le moyen des Écritures, il ajoute la démonstration par les faits, il cite comme témoins de la résurrection, après les prophètes, les apôtres et les autres fidèles. S’il eût pensé que cette résurrection ne fut que l’affranchissement du péché, il eût été inutile de dire que Jésus-Christ fût vu de celui-ci, de celui-là. Les yeux n’ont pu voir que le corps ressuscité, et non l’affranchissement du péché. 4. Voilà pourquoi l’apôtre ne s’est pas contenté de dire une fois seulement : « Il a été vu », quoiqu’il eût pu se borner à le dire une fois pour toutes ; mais ici Il répète deux et trois fois cette expression, autant de fois presque qu’il y a eu d’apparitions différentes. « Qu’il s’est fait voir », dit-il, « à Céphas ; il a été vu en une seule fais de plus de cinq cents frères ; il s’est fait voir à moi-même ». Cependant l’Évangile dit, au contraire, qu’il s’est fait voir d’abord à Marie. C’est qu’il n’est question ici que des hommes, et Jésus-Christ s’est montré d’abord à celui qui désirait le plus de le voir. Mais quels sont ces douze apôtres dont il parle ? Car ce ne fut qu’après l’ascension que Matthias fut mis au rang des apôtres, ce ne fut pas aussitôt après la résurrection. Mais il est vraisemblable que le Seigneur se fit voir même après l’ascension. Donc Matthias fut nommé apôtre après l’ascension, et vit Jésus, ressuscité. Voilà pourquoi Paul ne distingue pas les temps, et se borne à énumérer indistinctement les apparitions il est vraisemblable qu’il y en eut un grand nombre Voilà pourquoi Jean disait : Ce fut la troisième fois qu’il se manifesta. Qu’après il a été vu ▼▼La phrase grecque présente, à cause de cet
Έπάνω, un double sens que la traduction ne peut rendre.
. Έπάνω πενταχοσίοις άδελφοίς. Quelques interprètes expliquent cet Έπάνω, comme il suit : Jésus-Christ s’est fait voir, aux cinq cents frères, du haut des cieux, non plus marchant sur la terre, mais d’en haut, sur leurs têtes, c’est ainsi qu’on l’a vu. En effet, le Christ ne voulait pas faire croire à sa résurrection seulement mais aussi à son ascension. D’autres interprètes expliquent le même mot par « à plus » de cinq cents frères. « Dont il y en a plusieurs qui vivent encore aujourd’hui ». Quoique je vous raconte, dit-il, des faits anciens, j’ai pourtant des témoins encore vivants. « Et quelques-uns sont endormis ». Il ne dit pas : Sont morts, mais : « Sont endormis » ; expression choisie pour confirmer la résurrection. « Qu’en« suite il s’est fait voir à Jacques », c’est-à-dire, je crois, à son propre cousin germain : c’est Jésus-Christ lui-même qu’on rapporte lui avoir imposé les mains, l’avoir ordonné, avoir fait de lui – le premier évêque de Jérusalem. « Ensuite à tous les apôtres ». Car ; outre les douze, il y en avait d’autres ; les apôtres étaient environ au nombre de soixante-dix. « Et qu’enfin, après tous les autres, il s’est fait voir à moi-même, qui ne suis qu’un avorton ». Parole pleine de modestie. Ce n’est pas parce que Paul était le moindre de tous, que le Sauveur ne se fit voir à lui qu’en dernier lieu. Bien qu’il ait été appelé le dernier, on l’a vu bien plus éclatant de gloire que le grand nombre de ceux qui l’ont précédé, ce n’est pas assez dire, plus illustre qu’eux tous. Les cinq cents frères n’étaient pas meilleurs que Jacques bien qu’ils aient vu le Christ avant lui. Et pourquoi ne s’est-il pas fait voir à tous en même temps ? Il voulait jeter d’avance les semences de la foi. Celui qui vit Jésus le premier, et qui fut bien certain de l’avoir vu, en porta la nouvelle aux autres : à ce récit, les auditeurs étaient dans une grande attente du miracle, et la foi se préparait avant la réalité de l’apparition. Voilà pourquoi le Sauveur ne se montra pas à tous en même temps, ni d’abord au grand nombre, mais pour commencer, à un seul, à celui qui était le chef de tous, et le plus fidèle. Car il fallait que ce fût l’âme la plus fidèle qui reçût la première cette vision, c’était tout à fait nécessaire. Ceux qui l’apercevaient après d’autres, et à qui d’autres l’avaient annoncée, ceux-là, préparés par le témoignage des autres, y trouvaient un grand secours pour leur foi, leur âme était prévenue, disposée : quant au premier jugé digne de recevoir cette vision, il avait grand besoin, je l’ai déjà dit, d’une foi inébranlable pour n’être pas bouleversé d’une apparition si incroyable. Voilà pourquoi c’est à Pierre que le Sauveur apparaît en premier lieu. C’était lui qui le premier avait confessé le Christ, il était juste qu’il fût le premier témoin de sa résurrection. Mais ce n’est pas pour cette raison qu’il n’apparaît qu’à lui seul, en se montrant à lui le premier. Pierre l’avait renié ; pour lui ménager une consolation abondante, pour lui prouver qu’il n’est pas rejeté, le Sauveur l’honore avant tous les autres en se faisant voir à lui, et il est le premier à qui il remet ses brebis. Voilà aussi pourquoi les femmes furent les premières à qui il se montra. Ce sexe avait été abaissé, voilà pourquoi, dans la naissance et dans la résurrection du Sauveur, c’est la femme qui éprouve la première les effets de la grâce. Ensuite il se montre à Pierre, et séparément à chacun, et tantôt à un petit nombre, tantôt à de plus nombreux ; il veut qu’ils se servent réciproquement de témoins et de maîtres sur ce point, et il confirme la foi que méritent les paroles des apôtres. « Et qu’enfin, après tous les autres, il s’est fait voir à moi-même, qui ne suis qu’un avorton ». Que signifient ces paroles pleines d’humilité, quel en est l’à-propos ? Car s’il veut se rendre digne de foi, se mettre au nombre des témoins de la résurrection, il fait le contraire de ce qu’il prétend ; il devrait s’élever, montrer sa grandeur, ce qu’il fait souvent quand les circonstances l’exigent. S’il parle ici avec modestie, c’est précisément parce qu’il va s’exalter ; mais il ne se célébrera pas tout de suite, il y met la prudence convenable. Ce n’est qu’après des paroles modestes et beaucoup d’accusations entassées sur lui-même, qu’il prend un fier langage. Pourquoi ? C’est qu’il faut, quand il aura dit de lui quelque chose de grand et de magnifique, comme : « J’ai travaillé plus que tous les autres », qu’on accepte ses paroles comme une conséquence nécessaire de son discours ; il ne faut pas qu’on voie un parti pris d’avance. C’est ainsi qu’en écrivant à Timothée, avant de parler de lui-même avec fierté, il s’accuse. (1Ti 1,12 seq) Quand on n’a qu’à louer les autres, on peut parler sans crainte en toute sécurité, quand il faut, au contraire, qu’on se loue soi-même, et surtout en appuyant ses éloges sur son propre témoignage, c’est alors qu’on doit avoir honte et rougir. Aussi le bienheureux Paul commence par exprimer sa misère avant de célébrer sa grandeur. Il a d’ailleurs une autre raison ; l’éloge qu’on fait de soi, est odieux ; sa modestie corrige ce que l’éloge a d’insupportable, et rend tout son discours plus digne de foi. Car en rapportant avec véracité sa propre honte, en ne cachant rien, comme les persécutions qu’il a exercées contre l’Église, ses efforts pour renverser la foi, il met à l’abri de tout soupçon ce qu’il y a d’honorable pour lui dans les œuvres qu’il rappelle. 5. Et voyez l’excès d’humilité : après avoir dit : « Et qu’enfin, après tous les autres, il s’est fait voir à moi-même », il ne s’est pas contenté de ces paroles ; « car beaucoup », dit l’évangéliste, « qui avaient été les premiers seront les derniers, et beaucoup qui avaient été les derniers seront les premiers ». (Mat 19,30) Voilà pourquoi il ajoute : « Qui ne suis qu’un avorton ». Et il ne s’arrête pas là, mais il joint à ces réflexions le jugement personnel qu’il porte sur lui-même, et qu’il motive : « Car je suis le moindre des apôtres, et je ne suis pas digne d’être appelé apôtre, a parce que j’ai persécuté l’Église de Dieu (9) ». Il ne dit pas le moindre des douze apôtres, mais même de tous les autres apôtres. Or, dans toutes ces paroles, il obéit à un sentiment de modestie, et, comme je l’ai déjà dit, à la nécessité de disposer son discours de manière à faire recevoir ce qu’il veut faire entendre. S’il avait dit d’emblée : « Vous devez m’en croire, le Christ est ressuscité ; je l’ai vu, et je suis de tous le plus digne de foi, parce que c’est moi qui ai le plus travaillé, il aurait offensé ses auditeurs ; il parle au contraire avec humilité de son abjection, des actes pour lesquels il mérite d’être accusé ; il retranche ainsi de son discours ce qui peut choquer, et il prépare la confiance à son témoignage. Voilà pourquoi, comme je l’ai déjà dit, il ne déclare pas seulement qu’il est le dernier, qu’il est indigne du titre d’apôtre, mais il dit pourquoi : « Parce que j’ai persécuté l’Église ». Assurément tous ces péchés lui avaient été remis, toutefois il ne les a jamais oubliés ; en les rappelant, il tient à montrer l’abondance de la grâce de Dieu. Aussi ajoute-t-il : « Mais c’est par la grâce de Dieu que je suis ce que je suis (10) ». Voyez-vous encore cette preuve insigne d’humilité ? Les fautes, il se les attribue ; les bonnes œuvres, il ne les regarde en rien comme siennes, c’est à Dieu qu’il rapporte tout. Mais il ne faut pas que ses dernières paroles jettent l’auditeur dans le relâchement ; aussi dit-il : « Et sa grâce n’a point été stérile en moi ». Il y a encore ici l’humilité ; il ne dit point : J’ai montré un zèle ardent qui méritait la grâce, mais : « Elle n’a point été stérile, mais j’ai travaillé plus que tous les autres ». Il ne dit pas : J’ai été honoré, mais : « J’ai travaillé » ; il pouvait dire les dangers et les morts qu’il avait su affronter ; le mot de travail atténue son éloge. Ensuite, par l’humilité qui lui est habituelle, glissant vite sur ce point, il rapporte le tout à Dieu ; il dit : « Non pas moi toutefois, mais la grâce de Dieu qui est avec moi », Où rencontrer une âme qui mérite plus d’admiration ? Entre tant de paroles pour se rabaisser, s’il en prononce une seule qui l’élève, alors même il ne s’attribue pas le mérite, et tant par ce qui précède que par ce qui suit, il corrige l’orgueil de ce qu’il n’a dit pourtant qu’à cause que la nécessité le contraignait. Voyez l’abondance, les flots de paroles qui expriment l’humilité. En effet, « et qu’enfin, après tous les autres, il s’est fait voir à moi-même » ; voilà pourquoi il ne nomme pas un autre apôtre avec lui ; et, « qui « ne suis qu’un avorton », il se regarde comme le moindre des apôtres, comme indigne de ce titre. Ce n’est pas tout : il ne veut pas afficher l’humilité en paroles, il donne des raisons, il démontre qu’il n’est qu’un avorton, puisqu’il a été le dernier à voir Jésus, qu’il est indigne du titre d’apôtre, puisqu’il a persécuté l’Église. Telle n’est pas la conduite de celui dont l’humilité n’est qu’une apparence ; mais celui qui explique ses motifs d’humilité, prouve la contrition de son cœur. Aussi voit-on ailleurs dans Paul l’expression des mêmes sentiments : « Je rends grâces à celui qui m’a fortifié, à Jésus-Christ, de ce qu’il m’a jugé fidèle, en m’établissant dans son ministère, moi qui étais auparavant un blasphémateur, un persécuteur, un ennemi outrageux ». (1Ti 1,12-13) Mais pourquoi cette fière parole : « J’ai travaillé plus que tous les autres ? » La circonstance le contraignait. S’il ne l’eût pas dite, s’il n’eût fait que se rabaisser, comment aurait-il pu trouver assez d’assurance pour produire son propre témoignage, pour se compter avec les autres apôtres, de manière à dire : « Ainsi, soit moi, soit ceux-là, quel que soit celui de nous qui parle, voilà ce que nous prêchons (11) ? » Un témoin doit être digne de foi et avoir de la valeur. Maintenant, en ce qui concerne ce fait qu’il a travaillé plus que les autres, il l’a prouvé plus haut, en disant : « N’avons-nous pas le droit de manger et de boire comme les : autres apôtres ? » Et encore : « J’ai vécu avec ceux qui n’avaient pas de loi, comme si je n’eusse point eu de loi ». (1Co 9,4, 21) Fallait-il montrer la régularité, la perfection, il surpassait tous les autres ; fallait-il savoir user de condescendance, il montrait, en ce sens, la même supériorité. Quelques auteurs entendent par ce plus grand nombre de fatigues, ses missions auprès des nations, ses voyages dans la plus grande partie de la terre. D’où il est manifeste qu’il avait reçu plus de grâces. Car s’il a plus travaillé, c’est que la grâce en lui était plus abondante ; et s’il a reçu plus de grâces, c’est qu’il a montré un zèle plus ardent. Voyez-vous comme ses efforts pour se mettre à l’ombre, pour dissimuler sa valeur, ne vont qu’à montrer qu’il est le premier de tous ? 6. Apprenons par cet exemple, nous aussi, à confesser nos fautes, à passer nos bonnes œuvres sous silence ; si les circonstances nous mettent dans la nécessité de rappeler nos vertus, parlons-en avec modestie, et sachons tout rapporter à la grâce. C’est ce que fait Paul : sa vie passée, il la flétrit, il en confesse toutes les hontes ; les actions qu’il a faites depuis, il les attribue à la grâce, il montre par tous les moyens, la bonté, la clémence de Dieu qui, le voyant dans son premier état, l’a sauvé, et après l’avoir sauvé, a fait de lui ce qu’il est devenu. Donc il ne faut jamais, ni que le pécheur désespère, ni que l’homme vertueux s’abandonne à la confiance ; celui-ci doit être timide, celui-là plein de bonne volonté. L’indolence ne suffit pas pour que l’on persévère dans la vertu, et la bonne volonté ne saurait être sans force pour fuir le mal. De ces deux vérités, le bienheureux David est pour nous un exemple ; le voilà, pour s’être un peu endormi, tombé d’une chute grave ; la componction le saisit, et vite il remonte à sa première hauteur. C’est que désespoir et indolence sont deux malheurs également déplorables : l’indolence vous fait bien vite tomber de la voûte du ciel, le désespoir ne laisse pas se relever celui qui est abattu et gisant. Voilà pourquoi Paul disait ces paroles à l’indolent (564) : « Que celui donc qui croit être ferme, prenne bien garde à ne pas tomber » (1Co 10,12) ; quant au désespéré, le psalmiste lui dit « Si vous entendez aujourd’hui sa voix, gardez-vous bien d’endurcir vos cœurs (Psa 95,8) » ; et Paul encore : « Relevez donc vos mains languissantes, et fortifiez vos genoux affaiblis ». (Heb 12,12). Aussi, lorsque le fornicateur est touché de repentir, l’apôtre s’empresse de l’encourager, pour l’arracher à l’excès de sa morne tristesse : D’où vous viennent donc vos angoisses pour les autres sujets, ô hommes ! La tristesse n’est utile qu’au pécheur ; si, même alors, l’excès en est funeste, à bien plus forte raison dans les autres sujets. D’où viennent vos chagrins ? De ce que vous avez perdu de l’argent ? Mais considérez donc ceux qui n’ont pas même assez de pain pour se rassasier, et vous recevrez la plus prompte des consolations de vos maux. Au lieu de déplorer chacun des accidents qui font votre peine, rendez des actions de grâces pour tous ceux qui ne vous arrivent pas. Vous avez eu de l’argent, et volis l’avez perdu ? Ne versez pas de larmes sur votre perte, mais rendez grâces à Dieu pour le temps pendant lequel vous avez possédé. Dites avec Job : « Si nous avons reçu les biens de la main du Soigneur, pourquoi n’en recevrons-nous pas aussi les maux ? » (Job 2,10) Faites encore la réflexion suivante : Vous avez perdu de l’argent, mais en attendant vous avez la santé ; vous n’avez pas, pour vous lamenter, à joindre à votre pauvreté les infirmités de votre corps. Mais ce n’est pas tout : votre corps aussi a souffert ? Mais ce n’est pas là le bas fond des douleurs humaines, vous flottez encore au milieu du tonneau. Il en est en grand nombre qui luttent contre la pauvreté, contre les mutilations, contre le démon, et qui sont errants dans des déserts ; d’autres encore souffrent des douleurs plus cruelles. Loin de nous tous les malheurs que nous pouvons supporter ! Méditez ces pensées, considérez ceux qui souffrent plus que vous, et ne vous affligez pas de ce qui vous arrive ; mais quand vous avez péché, gémissez alors seulement ; oui, gémissez et pleurez, je ne vous en empêche pas, au contraire, je vous y exhorte ; et alors, soyez encore modérés, pensez que le retour est possible, que la réconciliation est possible. Vous voyez les autres dans les délices, et vous êtes dans la pauvreté ; vous voyez les autres revêtus d’habits resplendissants, à eux la gloire ? Ne bornez pas là vos contemplations ; voyez aussi les inconvénients attachés à cet éclat. Dans la pauvreté, ne considérez pas seulement la main qui mendie, mais, avec la pauvreté, le plaisir qui en découle. La richesse a un visage rayonnant ; mais à l’intérieur tout est plein de ténèbres ; pour la pauvreté, c’est le contraire, et si vous vous donnez la peine de déplier toutes les consciences, vous verrez dans l’âme du pauvre la sécurité et la liberté ; dans l’âme du riche, les troubles, les tumultes, les flots. Ce riche, dont la vue vous attriste, ce même riche s’afflige plus que vous, à l’aspect d’un autre plus, riche que lui ; et comme vous tremblez devant tel riche, ce riche tremble, à son tour, devant un autre riche, et en cela il n’a aucun avantage sur vous. La vue d’un magistrat vous attriste, parce que vous êtes un simple particulier, de ceux à qui l’on commande. Mais réfléchissez donc au jour où un autre succédera à cet homme puissant, et en attendant qu’il vienne, ce jour, voyez les agitations, les périls, les travaux, les flatteries, les veilles, toutes les calamités. Nos paroles s’adressent à ceux qui ne veulent pas comprendre la sagesse. Car si vous la comprenez, nous pouvons vous apporter des consolations d’un ordre supérieur ; jusqu’à présent nos raisons sont grossières, nous avons été forcés de vous les présenter. Eh bien donc, à la vue d’un riche, pensez à un plus riche, et vous verrez que lui, que vous, vous éprouvez les mêmes sentiments. Et après ce riche, représentez-vous l’homme qui est plus que vous dans la pauvreté : combien y en a-t-il qui se sont endormis ayant faim, qui ont perdu leur patrimoine, qui habitent dans une prison, qui chaque jour appellent la mort ! Et la pauvreté n’engendre pas la tristesse, et la richesse n’engendre pas le plaisir, tristesse et plaisir viennent également de nos pensées. Considérez maintenant, en commençant par ce qu’il y a de plus bas, l’acheteur de fumiers, triste, affligé de n’être pas affranchi de cette misérable et, selon lui, honteuse condition ; mais affranchissez-le, qu’il soit libre, dans la sécurité, dans l’abondance dès choses nécessaires, il se reprendra à gémir encore de ne pas posséder au-delà de ce dont il a besoin ; donnez-lui davantage, il voudra le double, et il ne se plaindra pas moins qu’auparavant ; doublez et triplez ses revenus, nouveaux chagrins pour lui, de ce qu’il n’a point de part aux affaires publiques ; donnez-lui sa part, il se plaindra de n’avoir pas la première ; accordez-lui cet honneur, il se plaindra de n’avoir pas le pouvoir. Arrivé au pouvoir, il souffrira de n’avoir pas de pouvoir sur le peuple entier ; maître du peuple entier, de ce qu’il ne commande pas à des peuples nombreux ; maître de peuples nombreux, de ce qu’il ne commande pas à tous les peuples du monde. Gouverneur ou préfet, il voudra être roi ; roi, il voudra être seul monarque ; seul monarque, il voudra l’être et des nations barbares et de la terre tout entière ; souverain du monde entier, pourquoi ne le serait-il pas d’un autre monde encore ? La pensée de cet homme, s’avançant toujours dans l’infini, ne lui permet pas de jamais rencontrer la douce joie. 7. Voyez-vous comment alors même que, d’un être vil, d’un mendiant, vous feriez un roi, vous ne supprimerez pas le chagrin, là morne tristesse, si vous ne purgez pas la pensée que travaillent l’avarice et la cupidité ? Eh bien, je veux vous montrer un spectacle tout contraire, je sage descendu du faîte suprême au degré le plus bas, et toujours exempt de tristesse et de chagrins. Descendons, si vous voulez, les mêmes échelons, c’est le préfet que nous renversons de son siège élevé ; dépouillez-le en paroles de sa dignité. S’il veut faire les réflexions que nous avons dites, il n’en concevra lui-même aucun chagrin. Au lieu de considérer ce qu’on lui a enlevé, il réfléchira sur ce qu’il possède actuellement, la gloire qu’il tient de la magistrature qu’il a exercée. Enlevez-lui encore cette gloire, il pensera aux simples particuliers, à ceux qui ne se sont jamais élevés jusqu’à cette magistrature, il se consolera par ses richesses ; dépouillez-le encore de ses richesses, il considérera ceux dont la fortune est médiocre ; enlevez-lui même cette médiocrité, ne lui laissez plus que les aliments nécessaires, il pourra considérer ceux qui ne possèdent même pas ce nécessaire, qui soutiennent contre la faim un combat continuel, qui habitent dans une prison. Jetez-le même dans ce triste séjour, il pensera aux malades travaillés de maux incurables ; d’insupportables douleurs et verra que son sort est bien plus digne d’envie. Et de même que cet acheteur de fumiers, devenu roi, ne trouve pas même alors la tranquillité de l’âme, de même cet homme puissant, jusque dans les fers, ignore l’affliction chagrine et la tristesse. Donc, ce ne sont ni les richesses qui procurent le plaisir, ni la pauvreté qui cause la tristesse ; tout vient de nos pensées, de l’impureté de notre âme dont les regards ne sauraient s’arrêter, se fixer nulle part, et se plongent pour se perdre dans l’infini. De même que les corps pleins de santé, n’eussent-ils à manger que du pain, y trouvent en abondance et la vie et la force ; tandis que les corps malades, quelle que soit la délicatesse, la variété de la table, ne font que s’affaiblir de plus en plus, de même pour votre âme. Les âmes mesquines et basses ne trouvent ni avec un diadème, ni avec des honneurs d’un éclat inexprimable, le bonheur et la joie ; le sage, même dans les fers, prisonnier, au sein de la pauvreté, jouit du plaisir pur. Pénétrés de ces pensées, sachons donc regarder toujours au-dessous de nous. Sans doute il y a encore une autre consolation, mais elle est d’une haute sagesse et dépasse la raison épaisse du grand nombre. Quelle est-elle cette consolation ? C’est que la richesse n’est rien ; la pauvreté, rien ; l’infamie, rien ; là gloire, rien, affaires de quelques instants bien courts, pures distinctions dans les mots. À cette pensée vous en pouvez joindre une autre plus relevée encore, la pensée des biens et des maux à venir, des vrais maux et des vrais biens, et en tirer votre consolation. Mais je l’ai déjà dit : un grand nombre de personnes sont bien loin de comprendre un enseignement de ce genre, et voilà pourquoi nous nous sommes arrêtés nécessairement sur les réflexions que nous avons faites, dans la pensée que nous pourrons conduire ceux qui les auront accueillies vers cette autre doctrine plus relevée. Méditons donc toutes ces pensées, employons tous nos efforts à bien mettre en ordre nos sentiments, et il ne nous arrivera jamais de nous attrister des accidents imprévus. Vous verriez des images d’hommes riches, vous ne diriez pas qu’il faut célébrer leur bonheur, en être jaloux ; vous verriez des images de mendiants, vous ne diriez pas qu’ils sont malheureux et qu’il les faut plaindre. Or assurément ces peintures ont plus de solidité, de stabilité que les riches que nous voyons près de nous : un riche en peinture a plus de durée que dans la réalité même des choses humaines. Cette image d’un homme riche durera, cela se voit souvent, une centaine d’années ; notre riche, au contraire, on le voit même en moins d’un an, tout à coup dépouillé de tous ses biens. Méditons donc toutes ces pensées, faisons tous nos efforts pour assurer à notre âme le repos et la tranquillité qui nous préservera d’une tristesse irréfléchie, afin de passer la vie présente avec joie, et d’obtenir les biens à venir, par la grâce et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient comme au Père, comme au Saint-Esprit, la gloire, la puissance, l’honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il. HOMÉLIE XXXIX.
AINSI, SOIT QUE CE SOIT MOI, SOIT QUE CE SOIENT EUX QUI VOUS PRÊCHENT, VOILÀ CE QUE NOUS PRÊCHONS, ET VOILÀ CE QUE VOUS AVEZ CRU. (CH. 15, VERS. 11) \σ ANALYSE. - 1. Sur l’égalité parfaite entre Paul et les autres apôtres.
- 2. Discussion sur la résurrection qui est, non pas la mort du péché seulement, mais la destruction de la mort, et la résurrection des corps. – Rapport étroit entre la résurrection des corps et la résurrection de Notre-Seigneur Jésus-Christ.
- 3. Diverses explications sur ta méthode de Paul quand il discute.
- – 4. Sur la parfaite égalité du Père et du Fils.
- 5-7. Pourquoi la dernière victoire est la victoire remportée sur la mort. – Détails sur une sécheresse dont souffrit la ville d’Antioche.
- 8 et 9. Contre l’avarice, contre là haine vindicative, contre la gourmandise eues innombrables malheurs dont elle est la source.
1. Il a exalté les apôtres, il s’est abaissé ensuite ; par un mouvement contraire, il s’est exalté au-dessus d’eux afin d’établir l’égalité, (car il a remis l’égalité en se montrant d’une condition tout ensemble au-dessus et au-dessous), et par là il s’est rendu digne de foi ; eh bien ! ce n’est pas tout, il ne congédie pas encore les fidèles, il leur montre encore le lien étroit qui l’unit aux apôtres, indiquant la concorde selon le Christ. J1 ne le fait pas toutefois de manière à perdre sa dignité, il se met au même rang que les apôtres : ce n’est qu’ainsi qu’il devait parler dans l’intérêt de la prédication. Il a donc pris un soin égal d’éviter deux dangers, celui de paraître mépriser les apôtres, celui de trop s’abaisser, en s’inclinant devant les apôtres, aux yeux des fidèles qui lui étaient soumis. Voilà pourquoi, ici encore, il parle d’eux comme étant leur égal ; il dit : « Soit que ce soit moi, soit que ce soient eux qui « vous prêchent, voilà ce que nous prêchons ». Instruisez-vous auprès de, qui vous voudrez ; il n’y a entre nous aucune différence. Il ne dit pas : Si vous ne voulez pas me croire, croyez-les ; non, il se pose lui-même comme digne de foi, comme étant par lui-même une autorité suffisante, de même que les autres apôtres sont par eux-mêmes des autorités suffisantes. En effet, la différence de personnes ne signifiait rien, l’autorité étant égale. Or, ce que fait Paul ici, il le fait également dans l’épître aux Galates ; il cite les apôtres, non pas parce qu’il a besoin d’eux, il se déclare au contraire suffisant de lui-même : « Ceux qui me paraissaient les plus considérables ne m’ont rien appris de nouveau ». (Gal 2,6) Toutefois, je tiens à la concorde avec eux « Ils m’ont donné la main », dit-il. (Id. 9) Car s’il eût été nécessaire que l’autorité de Paul dépendît des autres, s’appuyât sur le témoignage des autres, Il en, serait résulté pour ses disciples une infinité de conséquences fâcheuses. Donc Paul ne parle pas pour se louer, mais pour assurer la prédication de l’Évangile. Voilà pourquoi il dit ici, en s’égalant aux apôtres : « Soit que ce soit moi, soit que ce soient eux qui vous prêchent, voilà ce que nous prêchons ». II a raison de dire : ; Nous prêchons », montrant ainsi la grande confiance et là liberté de la parole. Nous ne chuchotons pas, nous ne nous cachons pas, nous faisons entendre une voix plus éclatante que la trompette. Et il ne dit pas : Nous avons prêché, mais aujourd’hui même, « voilà ce que nous prêchons. Et voilà « ce que vous avez cru » : Ici, il ne dit pas : Ce que vous croyez, mais « ce que vous avez cru ». C’est parce que les fidèles chancelaient qu’il remonte aux temps passes, et maintenant c’est eux-mêmes qu’il prend à témoin. « Donc, puisqu’on vous a prêché que Jésus-Christ est ressuscité d’entre les morts, comment se trouve-t-il parmi vous des personnes qui osent dire que les morts ne ressuscitent point (12) ? » Voyez-vous l’excellence du raisonnement, la démonstration de la résurrection par le réveil du Christ, après que tant de preuves ont établi que le Christ est ressuscité ? Car, dit l’apôtre, les, prophètes nous ont annoncé d’avance cette résurrection du Christ, le Christ l’a prouvée lui-même en se faisant voir, et c’est ce que nous prêchons, et c’est ce que vous avez cru ; quadruple témoignage dont il fait un faisceau, témoignage des prophètes, témoignage des événements, témoignage des apôtres, témoignage des disciples ; disons mieux, témoignage quintuple. Car la cause même de la mort démontre la résurrection, puisqu’il est mort pour les péchés des autres. Si cette résurrection a été démontrée, il est évident que la conséquence l’est aussi, à savoir que les autres morts doivent aussi se réveiller. Voilà pourquoi l’apôtre en parle comme d’une vérité reconnue, et il prend la forme interrogative : « Puisqu’on vous a prêché que Jésus-Christ est ressuscité d’entre les morts, comment se trouve-t-il parmi vous des personnes qui osent dire que les morts ne ressuscitent point ? » Cette forme de raisonnement ai de plus, l’avantage d’adoucir les contradicteurs. En effet, il ne dit pas : Comment osez-vous dire, mais : « Comment se trouve-t-il parmi vous des personnes qui osent dire » ; et il ne les accuse pas tous, et les personnes mêmes qu’il accuse, il ne les nomme pas, de peur de les jeter dans l’effronterie ; d’un autre côté, il ne tient pas la faute absolument cachée, parce qu’il veut corriger les fidèles. Voilà pourquoi il sépare les coupables de la foule des fidèles avant de s’apprêter à la discussion avec eux ; par ce moyen il, les affaiblit, il les déconcerte, il retient auprès de lui les autres dont il fait dés champions de sa cause, qu’il rend plus fermes, plus inébranlables dans la vérité ; il ne leur laisse pas les moyens de passer comme transfuges dans les rangs de ceux qui ont voulu les corrompre. Contre ceux-là il est prêt à s’élancer de toute la véhémence de sa parole. Ensuite, pour leur ôter la ressource d’objecter due la résurrection du Christ est évidente, manifeste, que nul n’y contredit, mais que la résurrection des hommes n’en est pas une conséquence nécessaire, attendu que, si les prophéties, l’événement, le témoignage résultant de ce que le Christ s’est fait voir, démontrent la résurrection du Christ, en ce qui concerne notre résurrection, nous n’avons encore que des espérances, voyez ce que fait l’apôtre ; c’est par le fait incontestable qu’il prouve la vérité contestée, et cette manière d’argumenter avait une grande puissance. Que soutiennent, dit-il, quelques personnes ? Qu’il n’y a pas de résurrection des morts ? Eh bien ! la conséquence de leur dire, c’est que le Christ non plus n’est pas ressuscité. Voilà pourquoi l’apôtre ajoute : « Si les morts ne ressuscitent point, Jésus-Christ n’est donc point ressuscité (13) ». Voyez-vous la, force irrésistible, ce que la discussion de Paul a d’invincible, ce n’est pas seulement le fait évident qui lui sert à prouver, ce que l’on conteste, mais le fait même contesté par les contradicteurs lui sert à confirmer le fait évident. Ce n’est pas que l’événement accompli eût besoin d’être démontré, mais il fallait montrer que les deux sont également dignes de notre foi. 2. Mais, dira-t-on, où est la nécessité de la conséquence ? En effet, si le Christ n’est pas ressuscité, il s’ensuit que les autres morts ne ressuscitent pas, cette conséquence est rigoureuse : mais que, si ces autres morts ne ressuscitent pas, le Christ non plus ne – soit pas ressuscité, où est la raison ? Cette raison ne paraissant pas assez manifeste, voyez la manière dont l’Apôtre s’y prend pour la rendre manifeste ; il commence par jeter la semence d’en haut, il la prend dans la cause même de la prédication ; ainsi il dit que celui qui est mort pour nos péchés, est ressuscité, et qu’il est les prémices de ceux qui se sont endormis. Ces prémices, de qui sont-elles les prémices, sinon de ceux qui ressuscitent ? Or,-comment peuvent-elles être des prémices sans la résurrection de ceux pour qui elles sont des prémices ? comment donc peut-il se faire qu’ils ne ressuscitent pas ? et maintenant, s’ils ne ressuscitent pas, pourquoi le Christ est-il ressuscité ? pourquoi est-il venu ? pourquoi a-t-il revêtu la chair, s’il ne devait pas ressusciter la chair ? car ce n’est pas pour lui qu’il avait besoin de ressusciter, ce n’est que pour nous. Toutefois il ne présente ces réflexions que successivement, à mesure que le raisonnement se développe ; en attendant, il dit : « Si les morts ne ressuscitent point, Jésus-Christ n’est donc point ressuscité », car il y a là connexité ; si Jésus-Christ n’avait pas dû ressusciter, il n’aurait pas fait ce qu’il a fait. Voyez-vous comme le dogme de l’incarnation arrive peu à peu à être détruit par ces paroles téméraires qui refusent de croire à la résurrection ? Toutefois, quant à présent, l’apôtre ne dit rien de l’incarnation ; il ne parle que de la résurrection. Ce n’est pas en effet l’incarnation du Christ, mais sa mort qui détruit la mort car, tant que le Christ fut revêtu de sa chair, la mort posséda son pouvoir tyrannique. « Et si Jésus-Christ n’est point ressuscité, notre prédication est vaine, et votre foi est vaine aussi (14) ». Il était conséquent de dire : Si le Christ n’est pas ressuscité, vous combattez l’évidence, tant de prophéties, la réalité des événements ; il leur dit ce qui est beaucoup plus terrible : « Notre prédication est vaine, et votre foi est vaine aussi ». C’est qu’il veut donner à leurs esprits une forte secousse. Nous perdons tout, s’écrie-t-il, c’en est fait de tout, si le Christ n’est pas ressuscité. Comprenez-vous toute la grandeur du mystère : Si Jésus-Christ mort n’a pu ressusciter, le péché n’a pas été aboli, la mort n’a pas été détruite, la malédiction n’a pas été enlevée, et non seulement nous n’avons prêché que des vanités, mais votre foi, à vous aussi, n’est que vanité. Et non seulement il montre par là l’absurdité de ces doctrines coupables, mais il ajoute à la puissance de ses armes, en disant : « Nous sommes même convaincus d’être de faux témoins à l’égard de Dieu, comme ayant rendu ce témoignage contre Dieu même, qu’il a ressuscité Jésus-Christ, tandis que néanmoins il ne l’a pas ressuscité, si les morts ne ressuscitent pas (15) ». Et maintenant si cela est absurde, (car c’est accuser Dieu et le calomnier), si Dieu n’a pas ressuscité le Christ, comme vous le dites, il s’ensuit encore d’autres absurdités. Ces absurdités, il les prouve, il les montre, il dit : « Car si les morts ne ressuscitent point, Jésus-Christ, non plus, n’est pas ressuscité (16) ». Car s’il n’avait pas du les ressusciter, il ne serait pas venu. Mais il ne parle pas de l’avènement du Christ, il lie parle que du but final de cet avènement, de la résurrection, et, par cette résurrection, il entraîne tout. « Si Jésus-Christ n’est pas ressuscité, votre foi est donc, vaine. « (17) ». C’est à ce qui est manifeste, incontesté, qu’il rattache, qu’il joint la résurrection du Christ, c’est par ce qui est plus fort : qu’il fortifie ce qui semble faible, qu’il donne l’évidence à ce qui est contesté. « Vous êtes encore dans vos péchés ». En effet, s’il n’est point ressuscité, il n’est pas mort ; s’il n’est pas « mort, – il n’a pas détruit le péché ; car sa mort, c’est la destruction du péché. Car, dit l’Évangéliste : « Voici l’agneau de Dieu, voici celui qui ôte les péchés du monde ». (Jn 1,29) Or ; comment les ôte-t-il ? par sa mort. Et de – plus, s’il l’appelle un agneau, c’est qu’il devait être tué. Or s’il n’est pas ressuscité, il n’à pas été tué ; s’il n’a pas été tué, le péché n’a pas été aboli ; si le péché n’a pas été aboli, vous y êtes encore ; si vous y êtes encore, c’est en vain que nous avons prêché ; si c’est en vain que nous avons prêché, c’est en vain que vous avez cru. D’ailleurs, la mort subsiste immortelle, s’il n’est pas ressuscité. Car si lui-même a été retenu par la mort, s’il n’a pas rompu les liens qui le retenaient dans ses flancs, comment a-t-il pu délivrer tous les autres, ne se délivrant pas lui-même ? Voilà pourquoi l’apôtre, ajoute : « Ceux qui se sont endormis dans le Christ, ont donc péri ? « (18) ». Et à quoi bon, dit-il, parler de vous seulement, si tous ceux-là ont péri, qui ont achevé leur course, et qui ne sont plus soumis à l’incertitude de l’avenir ? Quant à ces mots, « dans le Christ », ils s’appliquent soit à ceux qui se sont endormis dans la foi, ou qui sont morts pour le Christ, qui ont affronté tant de dangers, qui ont supporté tant d’épreuves pénibles, qui ont marché dans la voie étroite. Où sont-ils maintenant ces manichéens à la bouche criminelle, qui prétendent que l’apôtre entend la, résurrection qui s’accomplit sur la terre, à savoir, l’affranchissement du péché ? Ses raisonnements accumulés et continuels à conséquences réciproques ne prouvent rien de ce que ces hérétiques prétendent, mais uniquement ce que nous soutenons. Résurrection veut dire que ce qui est tombé se relève. Voilà pourquoi l’apôtre ne se lasse pas de répéter, non seulement que le Christ est ressuscité, mais, « ressuscité d’entre les morts ». Et d’ailleurs les Corinthiens ne contestaient pas la rémission des péchés, mais la résurrection des corps. Mais de ce que les hommes ne sont pas impeccables, la logique nous oblige-t-elle à conclure que le Christ lui-même – ne fut pas impeccable non plus ? S’il ne devait pas ressusciter les morts, il était conséquent de dire : Pourquoi est-il venu, pourquoi s’est-il incarné, pourquoi est-il ressuscité ? Cette dernière conclusion est légitime, mais non la précédente. En effet, soit que l’homme pèche, soit qu’il ne pèche pas ; Dieu possède toujours en propre l’impeccabilité, et il n’y a pas entre notre condition de pécheurs et l’impeccabilité divine la même connexité, la même réciprocité que pour la résurrection des corps. « Si nous n’avions d’espérance en Jésus-Christ que pour cette vie, nous serions les plus misérables de tous les hommes (19) ». 3. Que dites-vous ; ô Paul ? Comment est-il vrai que nous n’ayons plus d’espérance que pour cette vie, sans la résurrection des corps, puisque l’âme demeure immortelle ? C’est que, quelle que soit la persistance de l’âme immortelle, eût-elle mille fois l’immortalité, comme elle la possède en fait, sans la chair elle : ne recevra – pas ces biens ineffables, de même qu’elle ne subira pas les châtiments. « Car toutes choses seront manifestées devant le tribunal du Christ, afin que chacun reçoive ce qui est dû aux bonnes ou aux mauvaises actions qu’il aura faites pendant qu’il aura été revêtu de son corps. » (2Co 5,10). Voilà pourquoi l’apôtre dit : « Si nous n’avions d’espérance en Jésus-Christ que pour cette vie, nous serions les plus misérables de tous les hommes ». En effet, si le corps ne ressuscite pas, l’âme demeure sans couronne, en dehors de la félicité des cieux ; s’il en est ainsi, alors nous n’obtiendrons absolument rien ; si nous ne devons rien obtenir alors, C’est dans la vie présente qu’ont lieu les rémunérations. Qu’y aurait-il donc, dit-il, de plus infortuné que nous ? Or, par de tels discours, l’apôtre voulait à la foi ; raffermir la doctrine de la résurrection des corps et persuader l’immortalité de l’âme, afin qu’on n’allât pas s’imaginer que tout est détruit, que tout cesse dans le moment présent. Après avoir, par ce qui précède, suffisamment raffermi ce qu’il voulait consolider, après avoir dit : « Si les morts ne ressuscitent point, Jésus-Christ, non plus, n’est pas ressuscité ; or, si Jésus-Christ n’est pas ressuscité », nous sommes perdus, et encore, nous sommes encore dans les péchés, il introduit de plus la pensée qui suit, afin de secouer fortement les âmes. Car lorsque l’apôtre se prépare à énoncer un des dogmes qui sont nécessaires, c’est par la terreur qu’il commence à attaquer les cœurs durs, c’est la pratique qu’il suit, en ce moment, après avoir jeté la confusion, inspiré des inquiétudes, montré que tout serait perdu, il reprend le même sujet sur un autre ton, et, pour produire, la consternation, « nous serions », dit-il, « les plus misérables de tous les hommes », si, après tant de guerres et de morts, et de maux innombrables, nous devions être privés de tant de biens, si tout se réduisait pour nous à la vie présente : car tout dépend de la résurrection. Aussi est-ce là une nouvelle preuve qu’il ne parlait pas de péchés, niais de la résurrection des corps, et de la vie présente, et de la vie à venir. « Mais maintenant Jésus-Christ est ressuscité d’entre les morts, et il est devenu les prémices de ceux qui dorment (20) ». Après avoir montré tous les maux qui résultent de ce que l’on ne croit pas à la résurrection, il reprend de nouveau ce qui a été dit, et il fait entendre ces paroles : « Mais maintenant Jésus-Christ est ressuscité d’entre les morts » ; il ajoute tout de suite, « d’entre les morts », pour fermer la bouche aux hérétiques. « Les prémices de ceux qui donnent ». S’il est les prémices, nécessairement ceux-là aussi doivent ressusciter. S’il entendait par résurrection l’affranchissement du péché, comme personne n’est sans péché [car Paul dit « car encore que ma conscience ne me reproche rien, je ne suis pas justifié pour cela » (1Co 4,4)] ; comment donc pourrait-il y avoir une résurrection selon vous ? Voyez-vous que c’est des corps qu’il prétend parler ? Et pour confirmer ce point, tout de suite il montre le Christ ressuscité dans sa chair. Ensuite il donne la cause. Car, je l’ai déjà dit, l’affirmation d’un fait, quand la cause ne s’y joint pas, n’obtient pas autant l’adhésion du grand nombre. Quelle est donc la cause ? « Ainsi parce que la mort est venue par un homme, la résurrection des morts doit venir aussi par un homme (21) ». Il est clair que si c’est paf un homme, c’est par un homme qui a un corps. Ce n’est pas tout voyez encore l’habileté d’un raisonnement qui établit encore autrement la nécessité de la déduction. Celui qui a été vaincu, doit nécessairement réparer sa défaite lui-même, relever la nature terrassée, vaincre lui-même, c’est ainsi qu’il lavera sa honte. Voyons de quelle mort il parle. « Car de même que tous meurent en Adam, tous vivront aussi en Jésus-Christ. (22) ». Quoi donc ? est-ce bien tous, répondez-moi, je vous en prie, qui sont morts dans Adam de la mort du péché ? comment donc Noé était-il juste dans sa génération ? et Abraham ? à Job ? et tous les autres ? Et maintenant, dites-moi, je vous en prie, est-ce que, tous seront vivifiés en Jésus-Christ ? Et où sont ceux qui sont emportés dans la géhenne ? Car si c’est du corps que l’on parle, le discours subsiste, mais s’il est question de la justice et du péché, il n’en est plus de même. L’apôtre donc ne voulant pas que cette vivification de tous soit regardée comme le salut des pécheurs, ajoute, « et chacun en son rang (23) », vous avez entendu parler de résurrection, mais n’allez pas croire que tous obtiennent les mêmes biens, et jouissent des mêmes récompenses. Car s’il est vrai que, dans le supplice, tous ne supporteront pas la même peine, s’il est vrai que la différence sera grande, à bien plus forte raison, entre les pécheurs et les justes il y aura une plus grande distance. « Jésus-Christ, le premier, comme les prémices de tous ; puis ceux qui sont à Jésus-Christ » ; c’est-à-dire, les fidèles et ceux qui sont justement estimés. « Ensuite la consommation (24). » Car quand ceux-là seront ressuscités, toutes choses recevront leur accomplissement : ce n’est pas comme maintenant, après la résurrection du Christ, que toutes choses sont encore en suspens. Et pour cette raison, l’apôtre ajoute, « à, son avènement », afin que vous compreniez que c’est de ce temps-là qu’il parle. « Lorsqu’il aura remis son royaume à Dieu son Père, et qu’il aura détruit tout empire, toute domination et toute puissance. (24) ». 4. ici, soyez attentifs, et voyez à ne rien perdre des paroles qui vous sont adressées, car nous livrons un assaut à nos ennemis. Voilà pourquoi il faut d’abord pratiquer la démonstration par l’absurde. C’est ce que Paul fait souvent : voilà le moyen le plus, commode de bien saisir ce qu’ils disent. Commençons par leur demander ce que signifie « Lorsqu’il aura remis son royaume à Dieu son Père ». Si nous prenons ces paroles sans y réfléchir, sans y voir ce qui convient à Dieu, ce royaume, Jésus-Christ ne le possédera plus à partir de ce moment, car celui qui a remis une chose à un autre, cesse dès lors de la posséder. Et ce ne sera pas là la seule absurdité ; mais il y aura encore cette absurdité que celui qui aura reçu se trouvera ne posséder qu’après avoir reçu. De sorte qu’à les entendre, le Père n’était pas roi auparavant, ce n’est pas lui qui nous administrait, et le Fils cessera d’être roi. Comment donc se fait-il que lui-même dit du Père : « Mon Père ne cesse point d’agir jusqu’à présent, et j’agis aussi (Jn 5,17) ? » et que Daniel dit encore sur lui ; « Son royaume, royaume éternel, qui ne passera pas ? » (Dan 2,44) Voyez-vous toutes les absurdités qui se montrent, tous les démentis donnés aux Écritures, si l’on prend ces paroles dans un sens humain ? Or ; quel est d’empire dont l’apôtre dit qu’il sera détruit ? L’empire des anges ? Loin de nous cette pensée. L’empire des fidèles, peut-être ? Ce n’est pas cela encore. Qui empire donc ? Celui des démons, dont il dit ailleurs : « Car nous avons à combattre, non contre des hommes de chair et de sang, mais contre les principautés et les puissances, contre les princes du monde de ce siècle ténébreux ». (Eph 6,12) En effet, leur empire maintenant n’est pas entièrement détruit, il ne cesse pas encore ; en beaucoup d’endroits ils l’exercent encore, mais alors ils cesseront leur domination. « Car Jésus-Christ doit régner, jusqu’à ce qu’il ait mis tous ses ennemis sous ses pieds (25) ». Ici encore une autre absurdité toute prête à éclore ; si nous n’entendons pas ces paroles dans un sens qui convienne à Dieu. Car ce mot jusqu’à ce que » indiqué une fin déterminée ; or, en Dieu, il n’y a pas de fin. « Or la mort sera le dernier ennemi qui sera détruit (26) ». Comment, cela, le dernier ? Après tous, après le démon, après toute autre chose. Et en effet, même au commencement, c’est elle qui est entrée la dernière ; d’abord le conseil du démon, puis la désobéissance, et alors la mort. Donc, c’est son pouvoir qui dès maintenant est aboli ; mais alors elle le sera elle-même en réalité. « Car il lui a tout mis sous les pieds. Quand l’Écriture dit que tout lui est assujetti, il est évident qu’il faut en excepter celui qui lui a assujetti toutes choses. Lors donc que toutes choses auront été assujetties au Fils, alors le Fils sera lui-même assujetti à celui qui lui aura assujetti toutes choses (27, 28) ». Or il ne disait pas auparavant que c’était le Père qui lui assujettissait toutes choses, mais que c’était lui-même, qui détruisait : « Lorsqu’il aura », dit l’apôtre, « détruit tout empire, toute domination ». Or, voici maintenant : « Car Jésus-Christ doit régner jusqu’à ce que son Père lui ait mis tous ses ennemis sous les pieds ▼▼La pensée de saint Jean Chrysostome est, d’une manière générale, parfaitement claire ; mais il y a, dans les détails, une certaine confusion par la manière dont le saint Évêque cite, en les modifiant, les paroles analogues du verset 25 et 26.
» Comment donc dit-il ici que c’est le Père ? Et ce n’est pas là seulement ce qui ne se comprend pas, mais c’est que la crainte de Paul est tout à fait étrange ; il se sert d’un correctif, il dit : « Il faut en excepter celui qui lui a assujetti toutes choses », comme s’il y avait des personnes pour s’imaginer que le Père peut être assujetti au Fils. Quoi de plus déraisonnable qu’une pareille imagination ? Cependant l’apôtre en a eu peur. Donc qu’est-ce que cela signifie ? Voyez-vous, ici, les questions se pressent en foule, accordez-moi votre attention soutenue. Il nous est nécessaire avant tout de dire le but ; la pensée de Paul, qui brille partout, et qui va nous donner 1a solution de notre embarras. La pensée de Paul ne sera pas inutile aussi pour la solution. Quelle est donc cette pensée ; et quelle est son habitude ? Il a une manière de parler, quand il ne parle que de la divinité seule ; il en a une autre, quand, il tombe sur le mystère de l’incarnation. En effet, quand il s’attache à la chair, sans s’inquiéter de tout autre ordre d’idées, il n’a que des expressions basses et misérables, parce qu’il s’assure que la chair comporte les paroles qu’il emploie. Voyons donc ici, s’il ne parle que de la divinité seule, ou s’il se joint à ce qu’il dit de Dieu un rapport avec l’incarnation : ou plutôt montrons d’abord les exemples où il a pratiqué la méthode dont je viens de parler. Il écrit aux Philippiens : « Qui ayant la forme et la nature de Dieu n’a point regardé comme un rapt d’être égal à Dieu, mais s’est anéanti lui-même, en prenant la forme et la nature de serviteur, en se rendant semblable aux hommes, et étant reconnu pour homme par tout ce qui a paru de lui au-dehors. Il s’est rabaissé lui-même, se rendant obéissant jusqu’à la mort, et jusqu’à la mort de la croix. C’est pourquoi Dieu l’a élevé », (Phi 2,6-9) Voyez-vous comment, quand il ne parle que de la divinité, l’apôtre emploie ces grandes expressions : Il a la forme de Dieu ; l’apôtre attribue également tout et au Père, et au Fils ; quand, au contraire, il veut nous montrer Jésus-Christ incarné, il abaisse son discours ? Sans cette distinction, il n’y a entre, les paroles qu’une contradiction choquante. S’il était égal à Dieu, comment Dieu a-t-il pu élever celui qui était son égal ? S’il avait la forme de Dieu, comment Dieu a-t-il pu lui donner son nom ? On ne donne qu’à celui qui n’a pas ce qu’on lui donne ; on ne peut élever que ce qui était au-dessous de la hauteur où on l’élève. Il faudra bien que le Fils ait été dans l’abaissement et dans l’indigence de, quelque chose avant d’avoir été élevé, avant d’avoir reçu le nom ; et mille autres corollaires s’ensuivent, qui sont absurdes. Mais si vous pensez à l’incarnation, vous n’aurez pas tort de tenir ce langage. Appliquez ces observations ici et recevez dans cette pensée les paroles que vous avez entendues. 5. Nous ajouterons encore quelques autres raisons du langage de Paul. En attendant, nous sommes encore forcé de dire que Paul, parlant de la résurrection, traitait d’une chose qui paraissait impossible, et ne rencontrait que l’incrédulité ; Paul écrivait à des Corinthiens, chez qui se trouvaient en grand nombre des philosophes toujours occupés à se moquer de semblables mystères. Ces hommes qui disputaient entre eux pour les autres sujets, étaient du même sentiment, accordaient à l’unanimité, pour rejeter ce dogme, pour décider qu’il n’y a pas de résurrection. Donc l’apôtre combattant pour une vérité à qui l’on refusait d’ajouter foi, et que l’on tournait et ridicule, tant parce que c’était un parti pris que parce que le fait était difficile à croire, l’apôtre ; voulant établir la possibilité du fait ; commence par se fonder sur la résurrection du Christ ; il la démontre, et par les prophètes, et par ceux qui l’ont vue, et par ceux qui l’ont crue, et maître ensuite de sa démonstration par l’absurde, il ne pense plus qu’à établir la résurrection des hommes : « Car si les morts ne ressuscitent point, Jésus-Christ non plus n’est pas ressuscité ». Ensuite, fort des preuves qu’il a entassées sans interruption jusque-là, il argumente d’une autre manière, il appelle Jésus-Christ, prémices, il montre qu’il détruit tout empire, toute domination, toute puissance, et en dernier lieu, la mort. Comment donc la mort sera-t-elle détruite, si elle ne rend pas auparavant les corps qu’elle possédait ? Donc, après de grandes paroles sur le Fils unique qui remet son royaume, c’est-à-dire, qui accomplit lui-même toutes ces choses, qui termine lui-même la guerre par une victoire, et qui soumet tout sous ses pieds, l’apôtre ajoute, pour corriger l’incrédulité du grand nombre : « Car Jésus-Christ doit régner jusqu’à ce qu’il ait mis tous ses ennemis sous ses pieds ». Ce n’est pas pour exprimer la fin de la royauté qu’il met ce « jusqu’à ce que », mais pour rendre son discours digne de foi, et préparer la confiance. N’allez pas, dit-il, parce que l’on vous a dit qu’il détruira tout empire, toute domination et toute puissance, craindre le démon et les innombrables phalanges des esprits de l’enfer, et les multitudes des infidèles, et la tyrannie de la mort, et tous les maux ; comme s’il était désormais sans pouvoir ; car, jusqu’à ce qu’il ait fait toutes es choses, il doit régner ; ce qui ne veut pas dire qu’après son règne doit cesser ; mais l’apôtre veut faire entendre que ; bien que cela n’arrive pas présentement, il faut absolument que cela s’accomplisse. En effet la royauté de Jésus-Christ ne se scinde, pas ; elle a sa puissance, sa force, elle persiste jusqu’à ce qu’il ait accompli toutes choses d’une manière parfaite. Cette méthode de l’apôtre, on peut la trouver même dans l’Ancien Testament ; par exemple : « La parole du Seigneur demeure jusqu’à l’éternité » ; et encore : « Vous êtes toujours le même, et vos années ne finiront point ». (Psa 119,89 ; 101, 28) Or ce que dit là le prophète, et les paroles du même genre, quand il annonce des événements qui n’auront lieu que longtemps après, et qui sont tout à fait dans l’avenir, c’est pour bannir la crainte des fidèles dont l’intelligence est plus lourde. Voulez-vous la preuve que « jusque », appliqué à Dieu, et « jusqu’à la fin », ne marquent pas une fin ? Écoutez ce que dit l’Écriture : « Depuis le commencement des siècles, et jusque dans les siècles, vous êtes » (Psa 90,2) ; et encore : « Je suis » (Exo 3,14) ; et : « Jusqu’à ce que vous soyez devenus vieux, je suis ». (Isa 46,4) Et maintenant, si c’est en dernier lieu qu’il parle de là mort, c’est pour que les autres victoires prédisposent l’incrédule à accorder sa foi à ce dernier triomphe. Quand on peut détruire le démon, qui a introduit la mort dans le monde, à bien plus forte raison pourra-t-on détruire son ouvrage. Comme donc il lui a attribué tout – pouvoir, celui de détruire les empires et les dominations, d’exercer une royauté parfaite, je veux dire, de procurer le salut des fidèles, la paix de la terre, l’abolition des péchés (Ce c’est là ce qui fait que la royauté est exercée d’une manière parfaite, et que la mort est détruite) comme de plus, l’apôtre n’a pas dit que c’est le Père qui détruira par son entremise, mais que c’est lui-même qui détruira, que c’est lui-même qui mettra sous ses pieds, comme il n’a fait aucune mention du Père, pour toutes ces raisons Paul a un scrupule : des insensés pourront se figurer, ou que le Fils est plus grand que le Père ; ou que c’est quelque autre principe non-engendré ; par ce motif, avec une circonspection qui met doucement les choses en sûreté, Paul tempère la grandeur des paroles qu’il a fait entendre : « Car Dieu a mis tout sous ses pieds » ; mais maintenant, en attribuant au Père tout ce qui s’accomplit, Paul ne veut pas affaiblir le Fils (comment pourrait-il ravaler sa puissance, après en avoir donné tant de preuves, après lui avoir tout attribué ?) toutes les paroles de l’apôtre vont, comme je l’ai dit, à montrer l’action commune du Père et du Fils dans tout ce qui s’accomplit pour nous. Écoutez ce que dit Paul pour prouver que le Fils se suffit à lui-même pour se soumettre toutes choses : « Qui transformera notre corps dans notre abjection, afin de le rendre conforme à son corps glorieux, par cette vertu efficace par laquelle il peut s’assujettir toutes choses ». (Phi 3, 21) Et ensuite il se sert d’un correctif : « Quand l’Écriture dit que tout lui est assujetti, il est évident qu’il faut en excepter celui qui lui a assujetti toutes choses » ; mais de là encore, on peut tirer une preuve puissante de la gloire du Fils unique. S’il eût été moindre que son Père, de beaucoup inférieur à lui,-Paul n’aurait jamais eu la crainte qu’il montre ici. Les précautions qu’il a prisés, ne sont pas encore suffisantes pour lui ; il y ajoute, il insiste. On pouvait dire Mais si le Père n’est pas assujetti au Fils, cela n’empêche pas que le Fils ne soit plus puissant. Cette pensée inspire à Paul des appréhensions, il repousse cette impiété, et ne croyant pas sa démonstration encore complète, il ajoute surabondamment : « Lors donc que toutes choses auront été assujetties au Fils, alors le Fils sera lui-même assujetti » ; montrant par là la parfaite concorde avec le Père, et que le principe de tous les biens et la première cause, c’est celui quia engendré celui qui est si puissant pour accomplir toutes choses parfaites. 6. Si l’apôtre en a dit plus que son sujet ne le demandait, ne soyez pas surpris : il imite son maître en cela. En effet, Jésus-Christ lui-même voulant montrer la concorde qui l’unit à celui qui l’a engendré, prouver que son avènement n’est qu’un effet de la volonté de son Père, descend dans dès explications mesurées non sur la nécessité de démontrer la concorde, mais sur la faiblesse de ceux auxquels il s’adresse. Il prie son Père uniquement dans cette intention, et il motive sa prière en disant : « Afin qu’ils croient que c’est vous qui m’avez envoyé ». (Jn 11,42). Donc Paul suit cet exemple, et il emploie ici l’abondance des paroles, non de manière à faire imaginer qu’il puisse y avoir un assujettissement par contrainte, loin de nous cette pensée, mais de manière à exterminer victorieusement ces croyances absurdes. Car lorsqu’il veut extirper une erreur, sa parole est toujours surabondante. C’est ainsi qu’en parlant de la femme fidèle et du mari infidèle unis par le mariage, pour prévenir la pensée que la femme est souillée par son commerce et ses rapports avec l’infidèle, il ne se borne pas à dire que la femme n’est pas impure, n’est eu rien atteinte par son union avec l’infidèle, il dit, ce qui est beaucoup plus expressif, qu’elle sanctifie l’infidèle (1Co 7,14) ; ce n’est pas qu’il veuille montrer que le païen, grâce à elle, devient un saint, mais il exagère l’expression pour dissiper la crainte de là femme. De même ici, c’est pour en finir avec une croyance impie qu’il force l’expression. Soupçonner le fils d’impuissance, c’est le comble du dérèglement d’esprit : c’est pour prévenir ce délire, que l’apôtre dit : « Il mettra tous ses ennemis sous ses pieds » oui, mais maintenant il y aurait encore plus d’impiété à croire que le Père est moindre que le Fils. Aussi l’apôtre ruine-t-il cette erreur sacrilège sous une argumentation surabondante. Voyez ce qu’il fait : il ne se contente pas de dire : « Il faut en excepter celui qui lui a assujetti », mais il a bien soin de dire, d’abord : « Il est évident qu’il faut », c’est une manière de confirmer, de corroborer une vérité, quoiqu’elle ne soit nullement contestée. Et pour que vous compreniez bien que c’est là la raison de toute cette argumentation, je vous demanderai s’il y a alors accroissement de sujétion pour le Fils. Absurdité, état indigne de la divinité ! la plus grande sujétion, l’obéissance la plus abaissée qu’il ait fait paraître, c’est tout Dieu qu’il est, de prendre la forme d’un esclave. Quel moyen donc de croire qu’alors il sera assujetti ? Voyez-vous que Paul n’a pas voulu autre chose, en ajoutant cette observation, que dissiper une imagination absurde, et qu’il s’y est pris comme il convenait ? Il est question ici de l’obéissance qui convient au caractère de Fils, au caractère de Dieu, rien d’humain là-dedans, pleine liberté, pleine puissance. Autrement expliquez comment il partage le trône de Dieu ; comment, ainsi que le Père, il ressuscite ceux qu’il lui plaît (Jn 5,21) ; comment tout ce qui est à son Père est à lui, et tout ce qui est à lui est à son Père (Jn 17,10). Voilà qui montre la parfaite égalité de la pleine puissance entre le. Fils et celui qui l’a engendré. Mais que signifie : « Lorsqu’il aura remis son royaume ? » L’Écriture parle de deux royaumes de Dieu : l’un fondé sur l’union intime et familière avec lui ; l’autre, sur la création. Dieu est le roi de tous les peuples, et des Grecs, et des Juifs, et des démons, et de tous les révoltés, cette royauté ressort de la création ; il est le roi des fidèles, de ceux qui se soumettent volontairement à lui, cette royauté ressort de l’union intime et familière. Cette royauté aussi a son empire que reconnaît l’Écriture, car c’est d’elle qu’il est dit dans le second des psaumes « Demandez-moi, et je vous donnerai les nations pour votre héritage » (Psa 2,8) ; c’est d’elle encore que parle Jésus, disant à ses disciples : « Toute puissance m’a été donnée par mon Père ». (Mat 28,18) S’il attribue tout à celui qui l’a engendré, ce n’est pas qu’il soit de lui-même insuffisant, mais il veut montrer qu’il est le Fils, qu’il n’est pas non engendré. Donc cette expression qu’il remet son royaume, signifie qu’il accomplit ce qu’il faut. Mais pourquoi l’apôtre ne dit-il rien du Saint-Esprit ? C’est parce que le sujet présent ne comportait pas une mention du Saint-Esprit, et que l’apôtre n’a pas l’habitude de confondre les questions : Ainsi quand il dit : « Il n’y à qu’un seul Dieu le Père, et qu’un seul Seigneur Jésus » (1Co 8,6), s’il garde le silence sur le Saint-Esprit, ce n’est pas du tout qu’il le croie d’un rang inférieur, mais c’est qu’il n’avait pas sujet d’en parler. Il lui arrive de ne faire mention que du Père, et nous n’irons pas pour Gela rejeter le Fils ; il lui arrive de ne nommer que le Fils et le Saint-Esprit, et nous n’irons pas pour cela dépouiller le Père de sa divinité : Mais maintenant ; que signifie : « Afin que Dieu soit tout en tous ? » Afin que tout dépende de lui. Il ne faut pas s’imaginer qu’il y a deux principes sans principe, qu’il y a division dans la royauté ; car lorsque les ennemis du Fils seront abattus sous ses pieds, comme il ne peut y avoir aucun soulèvement du Fils contre celui qui l’a engendré, comme la perfection de la concorde règne entre eux, alors Dieu sera tout en tous. Maintenant quelques personnes veulent que. Paul ait entendu par là que le vice sera aboli, vu que tous désormais céderont à la volonté de Dieu, sans qu’aucun lui résiste, et commette de mauvaises actions. Et en effet ; il n’y aura plus de péché, d’où il suit évidemment que Dieu sera tout en tous. Mais s’il n’y a pas de résurrection des corps, comment comprendre cette vérité ? Voici que l’ennemi le plus acharné de tout ce qui a vie, la mort, subsisté, ayant mené son œuvre à la fin qu’elle a voulu. – Non pas, réplique-t-on, car il n’y aura plus de pécheurs. – Et qu’importe ? Il n’est pas ici question de la mort de l’âme, mais de celle du corps. Comment donc la mort corporelle est-elle détruite ? Ce qui constitue la victoire, c’est le recouvrement de ce qu’on avait perdu, de ce qu’on s’est vu retenir. Si les corps sont retenus dans la terre, la tyrannie de la mort persiste, puisqu’elle retient ces corps, et que nous n’avons pas d’autres corps où nous puissions la vaincre. Mais s’il arrive ce que dit Paul, et ce, qui certes doit arriver, la victoire sera éclatante pour le Dieu capable de ressusciter ce que la mort retenait, à savoir nos corps. Vaincre l’ennemi, cela veut dire qu’on le dépouille, et non pas qu’on lui laisse tout ce qu’il a pris ; si au contraire personne n’ose dépouiller l’ennemi, comment dire que l’ennemi est vaincu ? 7. C’est une victoire de ce genre que le Christ dit lui-même dans l’Évangile qu’il a remportée : « Quand il aura lié le fort, il pillera sa maison ». (Mat 12,29) Autrement, rien ne montre la victoire. Car, de même que pour l’amour de l’âme, l’affranchissement du péché, par le fait de la mort, ne constitue pas une victoire, car la victoire ne consiste pas à ne rien ajouter à ses maux, mais à briser les fers où les passions retiennent l’âme captive, de même, ici, arrêter la mort faisant des corps sa pâture, ce n’est pas remporter une éclatante victoire ; la victoire, c’est de lui arracher les corps dont elle s’est déjà saisie. Si l’on s’obstine à disputer, à soutenir que les paroles de l’apôtre désignent la mort de l’âme, comment sera-t-il vrai de dire qu’elle est la dernière détruite, puisque, dans chaque baptisé, elle est déjà entièrement détruite ? Si au contraire, vous appliquez ces paroles au corps, elles ont un sens, alors on comprend que la mort est la dernière détruite. Maintenant, si l’on demande pourquoi, traitant de la résurrection, il n’a pas parlé des morts ressuscités au, temps du Seigneur, nous disons que ce n’eût pas été à propos dans un discours sur la résurrection. Montrer des ressuscités qui meurent une seconde fois, ce n’était pas démontrer que la mort finit elle-même par être détruite. S’il dit qu’elle est elle-même détruite la dernière, c’est pour qu’on n’aille pas s’imaginer qu’elle aussi ressuscite. En effet, le vice étant supprimé, à bien plus forte raison la mort cessera. Il ne serait pas raisonnable de croire que la source se dessèche, et que l’eau qui en sort, continue à couler, que la racine meurt et que le fruit se développe. Puis donc qu’au dernier jour, les ennemis de Dieu sont détruits avec la mort, le démon, les mauvais anges, ne nous attristons pas de voir la prospérité des ennemis de Dieu. Car les ennemis du Seigneur, à peine glorifiés, exaltés, tombent en défaillance, et comme la fumée ils se sont évanouis. Dune, quand vous voyez un ennemi de Dieu, riche, entouré de satellites, escorté de flatteurs en foule, ne vous laissez pas abattre, mais gémissez, pleurez, priez Dieu de le rappeler dans, les rangs de ses amis ; plus il fait ses affaires comme ennemi de Dieu, plus il faut verser de larmes sur son malheur. Car il faut toujours pleurer sur les pécheurs, et on ne peut trop pleurer quand ils sont dans l’abondance des richesses, au faîte de la prospérité, comme des malades qui se livrent aux plaisirs de leur ventre et quai s’enivrent. Il y a pourtant des personnes qui, en entendant nos paroles, sont animées de dispositions assez malheureuses, pour gémir amèrement, pour dire : c’est sur moi qu’il faut pleurer ; je ne possède rien. Vous avez bien raison de dire que vous ne possédez rien, non pas parce que vous ne possédez pas ce que ce pécheur possède, mais parce que vous prenez une telle possession pour un bonheur, voilà pourquoi on ne peut trop pleurer sur vous. Si un homme bien portant envie le bonheur d’un malade couché dans un bon lit, il faut dire que cet homme, qui a la santé, est bien plus à plaindre, bien, plus malheureux que l’autre, attendu qu’il n’a aucun sentiment des avantages qui sont en lui. C’est ce qui arrive à propos des pécheurs dont on envie la prospérité ; de là, dans notre vie, toute la confusion, tous les désordres. Des plaintes de ce genre perdent des malheureux en foule, et les livrent au démon, et les rendent plus misérables que ceux que la faim dessèche. Que la cupidité soit plus à plaindre que la mendicité même, parce que c’est un mal rongeur qui travaille l’âme plus douloureusement ; c’est ce que nous allons vous montrer. Une sécheresse autrefois saisit notre ville, à tel point que tous tremblaient, redoutant les derniers malheurs, et suppliaient Dieu de les délivrer de leurs angoisses ; en ces jours, on pouvait voir la parole de Moïse accomplie en réalité, le ciel devenu d’airain (Deu 28,23), et chaque jour, on attendait la plus affreuse des morts. Mais ensuite, grâce à la bonté de Dieu, contre toute espérance, il tomba du ciel une pluie d’une inépuisable abondance : et tous déjà se mettaient en fête comme s’ils venaient de sortir des portes mêmes de la mort. Cependant, au milieu d’une si grande faveur et de la joie qui les transportait tous, un des hommes les plus opulents rôdait triste et morne, frappé au cœur d’un mortel abattement, et pressé des questions qu’on lui adressait pour savoir d’où venait que, dans la joie universelle, il était seul affligé, il ne put pas même contenir dans l’intérieur de son âme son affection malsaine ; surexcité par la tyrannie d’un mal affreux, il ne craignit pas d’exposer la cause de sa tristesse : J’ai, dit-il, par milliers, des mesures de froment, je ne sais plus qu’en faire. Eh bien, vanterons-nous, répondez-moi, le bonheur de celui qui prononçait de telles paroles qui auraient dû le faire lapider ; le bonheur de ce monstre, plus cruel que toutes les bêtes féroces, le bonheur de cet ennemi de tous ? Quo dis-tu, ô homme ? tu t’affliges de ce que tous ne meurent pas, parce que tu y gagnerais de l’argent ! N’as-tu pas entendu ce que dit Salomon. : « Celui qui cache le blé est exécrable au peuple ? » (Pro 11,26), et tu rodes, ennemi déclaré de tout ce qui fait du bien sur la terre, ennemi de la bonté de Dieu qui répand ses largesses sur le monde entier, ami du gain sordide, ou plutôt son esclave ? Cette langue-là ne méritait-elle pas d’être coupée ? n’aurait-on pas dû étouffer ce cœur d’où sortirent de telles paroles ? 8. Voyez-vous comme l’amour de l’or ne permet pas aux hommes de rester des hommes, comme cet amour en fait des monstres, des démons ? Quoi de plus pitoyable que ce riche priant chaque jour pour que la famine arrive, afin qu’il lui arrive, à lui, de l’or ? Les sentiments naturels se changent en leurs contraires, dans l’avare : au lieu de le réjouir, l’abondance des fruits qu’il possède est précisément ce, qui l’afflige ; il gémit de l’infinité même de ses possessions. Pourtant l’abondance dans la possession est nécessairement une cause de joie ; non, voilà précisément pour lui, ce qui fait ses angoisses. Voyez-vous combien j’ai eu raison de dire que les riches ne ressentent pas autant de plaisir des biens présents qu’ils ne s’affligent en pensant à ceux qu’ils n’ont pas encore ? Ce riche qui possédait d’innombrables mesures de froment, était plus chagrin, plus gémissant que celui qui avait faim : celui qui avait le nécessaire, se couronnait de fleurs, sautait de joie, et rendait grâces à Dieu ; au contraire, celui qui possédait tant, se plaignait, se regardait comme perdu. Ce n’est donc pas l’abondance qui procure le plaisir, c’est la sagesse ; et sans la sagesse, quand vous auriez tout en votre possession, vous serez comme privé de tout, et vous vous lamenterez. Cet avare, dont il s’agit maintenant, quand même il aurait tout vendu, et vendu le prix qu’il voulait, tout ce qu’il avait entre ses mains, il se serait encore plaint de n’avoir pu vendre à un prix plus élevé ; et s’il avait pu vendre à un prix plus élevé, il aurait encore voulu vendre, à un prix supérieur ; eût-il vendu de telle sorte qu’une seule mesure lui eût rapporté un monceau d’or, il se serait encore frappé la poitrine avec une morne tristesse parce qu’une demi-mesure ne lui aurait pas rapporté tout autant. Si dès le commencement de sa vente il ne fixe pas un prix si haut, n’en soyez pas surpris. Ceux qui s’enivrent ne sont pas tout de suite embrasés de tous les feux du vin, il faut qu’ils se remplissent d’abord de flots de vin, et c’est alors que le feu devient plus ardent. Voilà pourquoi les avares aussi ont d’autant plus de besoins qu’ils ont plus amassé ; et ce sont ceux qui gagnent le plus, qui se plaignent les plus de manquer. Quant à mes paroles, elles ne sont pas seulement pour ce riche, mais pour chacun de tous ceux que la même maladie travaille, qui font hausser le prix des denrées, et appauvrissent ainsi leur prochain. Il n’y a chez eux aucun sentiment d’amour pour les hommes ; l’amour de l’argent possède leur cœur ; c’est leur avarice qui règle le temps des ventes, le froment et le vin sont vendus, plus tôt par celui-ci, plus tard par celui-là, mais ni les uns, ni les autres ne se soucient de la chose publique ; les uns veulent gagner plus, les autres craignent de perdre, si la marchandise s’avarie. C’est que si un grand nombre d’hommes ne tiennent pas compte de la loi de Dieu, et renferment, et cachent toutes les provisions, Dieu, par ses moyens à lui, veut les amener à la bonté pour les hommes, les forcer à faire par nécessité quelque chose de bien, et il leur inspire la crainte d’un dommage considérable : Dieu ne permet pas que les fruits de la terre se conservent longtemps, afin que les détenteurs, redoutant la corruption de ces fruits, par cette considération au moins, les livrent, bon gré mal gré, aux indigents ; puisqu’ils ne sauraient les garder chez eux. Eh bien, malgré cet avertissement de Dieu, il y a de ces cupidités que cela même ne saurait corriger. Que de gens a-t-on vus qui ont jeté des tonneaux tout entiers, sans – donner seulement une coupe de vin au pauvre ; eux qui n’auraient pas donné une obole aux indigents, ils ont dû répandre sur la terre tout leur vin devenu du vinaigre, et ils ont gâté à la fois leurs tonneaux et leur vin. D’autres n’auraient pas même donné un morceau de pâte à un affamé et ils ont jeté dans le fleuve des charges entières de froment ; et pour n’avoir pas écouté la voix de Dieu qui commande de donner à ceux qui ont besoin ; sur l’ordre de la teigne, ils ont dû, bon gré mal gré, consentir à la destruction, à la perte de tout ce qu’ils avaient chez eux, au milieu des éclats de rire, au milieu des malédictions retombant sur leur tète avec tout ce préjudice. Voilà ce qui se passe ici-bas ; mais ce qui se passe ailleurs, dans l’autre monde, quel discours le dira ? Ici-bas, la teigne ronge le froment et le rend inutile, et ils le jettent dans l’eau des fleuves ; de même ceux qui font ces choses, ceux qui, par cette conduite, se rendent inutiles. Dieu les jette dans le fleuve de feu. La teigne et les vers rongent le froment ; une cruauté qui ne connaît rien des affections de l’homme, ronge pareillement leurs âmes. Et pourquoi ! Parce que tous leurs sentiments sont rivés aux choses présentes, parce qu’ils n’attachent un prix insensé qu’à cette vie, d’où viennent les innombrables chagrins dont ils sont pénétrés. De quelque plaisir qu’on leur parle, tout s’évanouit pour eux devant la terreur de la fin dernière ; ils sont morts sans avoir cessé de vivre. Que ce soit là la condition des infidèles, ne nous en étonnons pas ; mais après la participation à tant de mystères, après tant de sages méditations sur les choses à venir, l’attachement aux choses présentes pourrait-il s’excuser chez les, chrétiens ? D’où vient-il cet attachement aux choses présentes ? De l’attachement à ce qui rend la vie délicate, à ce qui engraisse la chair, à ce qui rompt l’énergie de l’âme, à ce qui l’afflige d’un plus lourd fardeau, à ce qui épaissit ses ténèbres sous une enveloppe plus grossière. Dans l’âme éprise d’une vie molle et délicate, ce qui est le meilleur est asservi ; la partie inférieure fait la loi ; ce qui doit commander est un aveugle, un manchot, un mutilé ; tout se fait et s’exécute par ce qui ne devrait être qu’un subordonné que l’on tient en sa place. Car le grand ouvrier a enchaîné l’âme au corps par des liens nombreux pour prévenir la haine qu’elle pourrait concevoir contre cet étranger. 9. Car si Dieu a commandé d’aimer ses ennemis, le démon est parvenu à persuader à quelques personnes de haïr même leur propre corps. Dire que le corps est l’œuvre du démon, ce n’est pas autre chose que prouver qu’il le faut haïr, ce qui est le comble de la démence. Si c’est l’œuvre du démon, d’où vient cette harmonie parfaite qui le rend de tout point capable de ménager à l’âme la pratique de la sagesse ? Mais, dira-t-on, si le corps est un instrument propre à l’âme, comment se fait-il qu’il aveugle l’âme ? Ce n’est passe corps qui aveugle l’âme, loin de vous, ô hommes, cette pensée ; c’est l’amour de la mollesse. Mais cette mollesse d’où vient que fous la recherchons ? Ce n’est pas parce que nous avons un tores, nullement ; mais c’est parce que nous avons une volonté pervertie. Ce qu’il faut au corps, c’est la nourriture, non la pourriture de la mollesse ; ce qu’il faut au corps, c’est l’aliment, non le dissolvant. Ce n’est pas l’âme seule, c’est, avec l’âme, ce corps qu’un prétend nourrir, qui trouve dans la mollesse une ennemie. Il s’affaiblit au lieu de se fortifier, il s’amollit au lieu de rester ferme ; à la santé succède la maladie ; â la légèreté, la lourdeur ; à la consistance, la consomption ; à la beauté ;. la laideur ; à l’odeur agréable, la puanteur ; à la pureté, la souillure ; au bien-être, la douleur ; à l’utile activité, l’inutile torpeur ; à la fraîcheur, la vétusté ; à l’énergie, le marasme ; à l’agilité, la gaucherie pesante ; il était fort et droit, il boite.. Et maintenant, si le corps était l’ouvre du démon, il ne conviendrait pas davantage qu’il souffrît de ses attaques, je veux dire des atteintes du vice. Mais ni le corps, ni les aliments ne sont les couvres du démon, la seule mollesse en vient. C’est par elle que le démon pervers produit des maux sans nombre ; c’est par là qu’il a perdu tout un peuple. « Ce peuple s’est engraissé », dit l’Écriture, « s’est rempli d’embonpoint, et a regimbé après avoir été tant aimé ». (Deu 32,15) C’est encore par là qu’ont commencé les foudres contre ceux de Sodome. C’est ce que marquait Ezéchiel, en disant : « Voici quelle a été l’iniquité de Sodome : en se voyant rassasiée de pain, dans l’abondance, elle s’est plongée dans les plaisirs déréglés ». (Eze 16,48) Voilà encore pourquoi Paul disait : « La veuve qui se plonge dans les plaisirs déréglés, toute vivante qu’elle est, est morte ». (1Ti 5,6) Pourquoi ? c’est qu’elle promène comme un sépulcre son corps couvert de maux sans nombre. Or si le corps est ainsi perdu, quel sera l’état de l’âme, quel trouble, quels flots, quelle tempête, quel bouleversement ! La voilà donc, n’en doutons pas, inutile pour toutes choses, incapable de dire, incapable d’entendre ; de prendre un parti, de rien faire de ce qui convient ; comme un pilote dont la science est vaincue par la tempête, s’engloutit dans les flots avec le navire, avec tous les passagers, ainsi l’âme, avec le corps, plonge et s’engloutit dans l’affreux abîme où se perdent tous les sentiments. Car Dieu nous a donné notre ventre comme une meule dont la puissance est mesurée, qui doit moudre chaque jour une quantité dont la mesure est déterminée. Si donc on y jette au-delà de la mesure prescrite, ce qui n’a pas subi le travail de la meule, produit la destruction du corps entier. De là les maladies, les défaillances, les altérations funestes ; car l’excès des plaisirs n’engendre pas seulement les maladies, mais substitue la laideur à la beauté. Voyez l’homme dont la respiration ramène à chaque instant des exhalaisons insupportables, dégage les miasmes infects du vin, dont la figure présente une rougeur exagérée ;. voyez l’homme abusant de la toilette qui convient aux femmes, n’ayant plus aucune décence dans la parure ; voyez cette chair flasque ; ces paupières injectées, gonflées de sang, cette obésité, cette surcharge inutile d’un embonpoint énorme, réfléchissez à tout ce qu’il en résulte d’incommodité. J’ai entendu nombre de médecins prétendant que l’abus des voluptés souvenu empêche le développement de la taille. Car le souffle étant embarrassé par la multitude des aliments précipités dans l’intérieur, et n’étant plus employé qu’à aider le travail de la digestion, ce qui devait servir à l’accroissement du corps, se perd dans l’élaboration que rend nécessaire tout ce superflu qu’on entasse. Que dire de ces gouttes, de ces rhumatismes qui se promènent dans toutes les parties du corps, des autres maladies qui en naissent, de toutes les douleurs honteuses ? Non, rien n’est aussi désagréable à voir qu’une femme qui se charge de nourriture. Voilà pourquoi la beauté se rencontre plus souvent chez celles qui souffrent de la pauvreté ; pour elles, ce superflu qui nuit au corps se rejette sans peine ; il n’y a pas là une boue qui s’attache inutilement à leur substance, comme cette fange dont on reçoit, dont on emporte l’éclaboussure Les exercices de chaque jour, les fatigues, les peines, la frugalité, le régime de la pauvreté leur font une bonne constitution, et de là résulte pour elles l’éclat de là beauté. Si vous prétendez objecter que la délicatesse a ses plaisirs, vous trouverez qu’ils ne vont pas plus loin que l’entrée de la gorge ; une fois la langue dépassée, les plaisirs, s’envolent, il n’en reste plus qu’un grand nombre d’inconvénients désagréables. Il ne suffit pas de voir les délicats an moment de la table, voyez-les quand ils se lèvent, suivez-les alors, ce sont des bêtes, ce sont des brutes, ce ne sont plus des hommes. Voyez ces têtes pesantes, ces bâillements, ces bras, ces jambes qui s’allongent, ce corps embarrassé, garrotté de mille liens, à qui il faut le lit, des couvertures, du repos surtout, ce tourbillonnement comme s’il y avait une tempête au milieu des flats ; voilez ces naufragés qui ont besoin de sauvetage, qui ne soupirent plus qu’après l’état où ils se trouvaient avant de se crever le ventre. On dirait des femmes en mal d’enfant à les voir comme ils se portent avec leurs ventres appesantis, sans pouvoir marcher, sans pouvoir regarder, sans pouvoir parler, sans pouvoir rien faire. S’il leur arrive de sommeiller, voilà qu’ils ont des songes extravagants, qu’ils voient des chimères, de folles apparitions partout. Comment parler encore d’un autre délire de ces voluptueux, de là luxure qui les brûle ? Encore une démence qui découle des mêmes sources : comme des étalons que leur chaleur transporte, stimulés par l’aiguillon de l’ivresse, ces libertins se ruent sur tout ce qu’ils rencontrent, et c’est une dégradation, une fureur que les animaux mêmes n’égalent pas ; et ce sont des infamies que la parole ne saurait vouloir raconter. Ils n’ont conscience ni de ce qu’ils supportent, ni de ce qu’ils font. Mais l’homme étranger aux plaisirs, n’est pas sur ce modèle : du port où il est assis, il voit les naufrages, il jouit d’un plaisir pur et qui lui suffit, il mène la vie qui convient à un être libre. Pénétrés de ces vérités, fuyons donc les banquets criminels des hommes livrés à la délicatesse, aux plaisirs déréglés, attachons-nous à la table où règne la frugalité, afin que, dans les bonnes dispositions de l’âme et du corps, nous pratiquions toutes les vertus, et que nous puissions obtenir les biens de la vie future, par la grâce et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient, comme au Père, comme au Saint-Esprit, la gloire, la puissance, l’honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il. HOMÉLIE XL.
AUTREMENT, QUE FERONT CEUX QUI SONT BAPTISÉS POUR LES MORTS, S’IL EST VRAI QUE LES MORTS NE RESSUSCITENT POINT ? POURQUOI SONT-ILS BAPTISÉS POUR LES MORTS ? (CHAP. 15, VERS. 29, JUSQU’AU VERS. 34) ANALYSE.
- 1-3. La résurrection des morts est prouvée par le baptême ; non seulement par les discours, mais par les actions des apôtres, par leur courage en présence de fous les dangers.
- 4 et 5. Les mauvais discours corrompent les bonnes mœurs. – Encore contre l’avarice, contre les fortunes qui ne se font qu’au détriment des autres. – Contre les plaisirs et la corruption qui en est la conséquence funeste. – Contre le luxe de ceux qui ne se montrent qu’entourés de troupeaux d’esclaves.
1. Voici maintenant l’apôtre attaquant un autre sujet : tantôt c’est par la conduite de Dieu, tantôt c’est par les actions mêmes des hommes auxquels il s’adresse, qu’il prouve la vérité de ses paroles. Ce n’est pas une faible preuve à l’appui de la vérité qu’on soutient, que de pouvoir produire le témoignage même des contradicteurs. Voyons donc ce que dit l’apôtre ? Ou bien préférez-vous que je vous rapporte d’abord les erreurs débitées par ces malades qui parlent comme Marcion ? Je sais bien que je vagis provoquer un éclat ale rire, c’est précisément ce qui me décide à parler ; je veux que vous voyiez mieux les raisons de vous préserver de cette maladie. Un catéchumène chez eux vient de mourir ; que font-ils ? Sous le lit du mort, ils cachent un vivant ; cela fait, ils demandent au mort s’il veut recevoir le baptême. Le mort ne répond pas ; alors celui qui est caché en bas sons le lit, répond pour lui qu’il veut recevoir le baptême ; ils arrivent ainsi à baptiser le vivant pour celui qui est mont : c’est une comédie ; tel est, sur les âmes lâches, le pouvoir du démon. Si on les prend à partie ; ils vous répondent que l’apôtre a dit : « Ceux qui sont baptisés pour les morts ». Est-ce assez ridicule ? Est-ce la peine de discuter ? En vérité, je ne le pense pas, à moins qu’il ne faille disserter avec des fous sur les paroles qu’ils font entendre dans leur délire. Il ne faut pas toutefois qu’aucun de ceux dont l’esprit est un peu simple se laisse prendre à ces extravagances, et voilà pourquoi nous allons discuter. Si Paul avait la pensée qu’on lui prête, pourquoi Dieu a-t-il fait des menaces à celui qui ne reçoit pas le baptême ? Il n’est plus possible de manquer le baptême, grâce à cette découverte. D’ailleurs ce n’est plus la faute des morts, mais la faute des vivants. Mais maintenant, à qui le Seigneur a-t-il adressé ces paroles : « Si vous ne mangez ma chair, et si vous ne buvez mon sang, vous n’avez point la vie en vous ? » (Jn 6,54) Aux vivants ou aux Morts ? répondez-moi. Et encore : « Si un homme ne renaît de l’eau et du Saint-Esprit, il ne peut entrer dans le royaume de Dieu ». (Jn 3,5) Si de telles pratiques sont permises, on n’a plus que faire de ta volonté de celui qui reçoit le baptême ; ni du consentement du vivant ; qui empêche de transformer les païens et les Juifs en autant de fidèles ; vu que les vivants, quand les autres seront défunts ; s’entremettront dans l’intérêt de ces défunts ? Mais c’est trop nous arrêter à enlever ces toiles d’araignée ; voyons, expliquons ce que veut dire cette expression de Paul. Qu’entend-il par là ? Je veux d’abord vous rappeler, à vous qui êtes initiés aux mystères, les paroles que l’on vous fait prononcer le soir de votre initiation, je vous dirai ensuite la pensée de Paul ; par ce moyen, cette pensée même sera, pour vous, plus claire. Car c’est après toutes les autres paroles que nous ajoutons ce que dit Paul en ce moment. Je voudrais être parfaitement clair, et cependant je n’ose pas tout exposer au grand jour, à cause de ceux qui ne sont pas initiés ; ce sont eux qui rendent nos expositions difficiles, en nous forçant, soit de parler à mots couverts, soit de lever énoncer ce qui doit être mystères pour eux. Toutefois je parlerai, m’appliquant, autant que possible, à laisser les mystères dans l’ombre. Après avoir prononcé ces paroles pleines de redoutables mystères, les règles des dogmes qu’il faut respecter avec crainte, les lois envoyées du ciel, nous finissons par ajouter, au moment du baptême, ces paroles que nous ordonnons de prononcer : Je crois à la résurrection des morts ; et c’est dans cette foi-là que nous sommes baptisés. Ce n’est qu’après cette profession ajoutée aux autres, que nous sommes plongés dans la source de ces eaux sacrées. Voilà ce que Paul rappelait aux fidèles, quand il disait : « S’il n’y a pas de résurrection, pourquoi êtes-vous baptisés pour les morts ? » ce qui veut dire, pour les corps. Car si vous êtes baptisé, c’est que vous croyez à la résurrection du corps mort, vous croyez qu’il ne reste pas mort. Quant à vous, c’est par des paroles que vous exprimez là, résurrection des morts ; mais, pour le prêtre, il a comme une image à lui, et ce que vous avez cru, ce que vous avez confessé par des paroles, cette image vous en montre la réalité. Vous croyez sans avoir de signe, et le prêtre vous donne un signe ; vous commencez par faire ce qui dépend de vous, et alors Dieu vous donne une certitude. Comment cela ? par quel moyen ? Au moyen de l’eau : Le baptême, l’immersion suivie du mouvement contraire par lequel on remonte, on sort, c’est le symbole et de la descente aux enfers, et du retour. Voilà pourquoi Paul appelle encore le baptême une sépulture : « Car nous avons été ensevelis avec lui par le baptême pour la mort ». (Rom 6,4) L’apôtre y trouve une preuve de la condition à venir ; j’entends par là, la résurrection des corps. Le pouvoir de ressusciter le corps n’approche pas de celui qui détruit les péchés. Jésus-Christ, à ce propos, disait : « Car lequel est le plus aisé, ou de dire : Vos péchés vous sont remis ; ou de dire : Emportez votre lit, et marchez ? » (Mat 9,5, 6) C’est le premier qui est le plus difficile ; mais comme vous ne croyez pas à ce qui n’est pas évident pour vous, comme le plus facile peut vous servir, à défaut du plus difficile, à vous montrer ma puissance, je ne veux pas vous refuser même cette moindre marque. « Alors Jésus dit au paralytique : Levez-vous, emportez votre lit, et rentrez dans votre maison ». 2. Et quelle difficulté trouvez-vous là, dira-t-on, puisque les rois et les princes peuvent en faire autant ? Ils remettent les fautes des adultères et des meurtriers. Vous plaisantez, ô homme ; à Dieu seul appartient le pouvoir de remettre les péchés ; pour les rois et les princes qui renvoient, qui acquittent des adultères et des meurtriers, ils leur font grâce du supplice présent, mais ils ne les purifient pas ; ils auraient beau les élever aux honneurs après les avoir absous, les revêtir de la pourpre, leur mettre au front le diadème, ils pourront en faire des rois, mais non les affranchir de leur péché. À Dieu seul ce pouvoir. C’est l’œuvre que Dieu opère dans le baptême de la régénération ; il pénètre l’âme de sa grâce, et en extirpe jusqu’à la racine du péché. Voilà pourquoi tel que le prince a gracié, montre une âme couverte de souillure ; mais il n’en est pas de même de celui qui a été baptisé : il est plus pur que les rayons du soleil, il est comme au jour qui l’a vu naître, ou plutôt son âme est bien plus éclatante encore de pureté. Car elle jouit pleinement de tous les feux du Saint-Esprit qui l’embrase et qui augmente sa sainteté. Fondez l’or et l’argent, vous en faites un nouveau et pur métal : ainsi fait l’Esprit-Saint dans le baptême, il fond l’âme comme dans une fournaise, il en consume les péchés, il la rend plus éclatante que l’or le plus pur. Et c’est une nouvelle preuve qui vous assure encore de la résurrection des corps. Car puisque c’est le péché quia introduit la mort dans le monde, une fois que la racine est desséchée, n’en doutons plus, ne contestons plus, le fruit du péché est mort. Voilà pourquoi vous avez commencé par confesser la rémission des péchés, ce n’est qu’ensuite que, faisant un pas de plus, vous confessez la résurrection des corps ; c’est la première de ces vérités qui vous conduit à la seconde. Ensuite comme il ne suffit pas de dire simplement résurrection, comme il faut la comprendre dans ce qu’elle a d’absolu (en effet beaucoup sont ressuscités, qui sont retombés dans la mort, comme tous les ressuscités de l’Ancien Testament, comme Lazare, au temps de la croix), on vous dit d’ajouter, et pour la vie éternelle, afin qu’on ne s’imagine pas qu’il y ait une mort après cette résurrection. Telles sont donc les paroles que Paul rappelle quand il dit : « Que feront ceux qui sont baptisés pour les morts ? » Car, s’il n’y a pas, dit-il, de résurrection, ces paroles ne sont qu’une comédie. S’il n’y a pas de résurrection, comment pouvons-nous leur persuader de croire à ce que nous ne donnons pas ? Supposez un homme qui exige d’une personne un billet déclarant qu’elle a reçu ceci, cela, qui ne donne rien à cette personne de ce qui est écrit, et qui finisse par lui réclamer, son billet à la main, tout ce que le billet comporte. Que pourra faire le signataire du billet, qui s’est ainsi exposé, qui n’a rien reçu de ce qu’il a reconnu ? Tel est le sens de ce que dit Paul au sujet des baptisés. Que feront-ils, ces baptisés, dit l’apôtre, qui ont souscrit à la résurrection des corps morts, qui ne la reçoivent pas, qui sont trompés ? À quoi servait cette confession, cette reconnaissance, si la réalité ne devait pas en être la conséquence ? « Et pourquoi nous-mêmes, nous exposons-nous, à toute heure, à tant de périls ? Il n’y a point de jour que je ne meure, oui, par la gloire que je reçois de vous, en Jésus-Christ (30, 31) ». Voyez encore où il cherche une preuve à l’appui du dogme ; il la trouve dans son propre suffrage ; parlons mieux, ce n’est pas seulement dans son propre suffrage, mais aussi dans celui des autres apôtres. Il y a de la force dans le raisonnement qui montre les docteurs si profondément convaincus, et prouvant leurs convictions non seulement par leurs discours, mais par leurs actions mêmes. Aussi Paul ne se contente pas de dire : Nous aussi, nous sommes persuadés, car ces paroles n’auraient pas suffi pour opérer la persuasion, mais il fait la démonstration par les actions mêmes ; c’est comme s’il disait : La confession par des paroles ne, vous paraît peut-être pas bien étonnante ; mais si nous vous faisions entendre la grande voix qui sort des œuvres, qu’auriez-vous à y objecter ? Écoutez donc ce que vous disent les périls par lesquels nous confessons chaque jour ces vérités. Et il ne dit pas : Pourquoi moi-même ; il dit : « Et pourquoi nous-mêmes » ; il montre auprès de lui tous les apôtres à la fois, unissant ainsi à la modestie tout ce qui peut donner de l’autorité à ses – paroles. Que pourriez-vous nous répondre ? Que c’est pour vous tromper que nous publions cette doctrine, et qu’une vaine glaire seule a fait de nous des docteurs ? Mais nos périls vous empêchent de porter ce jugement. Car qui voudrait s’exposer inutilement à des périls sans fin ? Voilà pourquoi il dit : « Pourquoi nous-mêmes, nous exposons-nous à toute heure ? » Supposez, en effet, un homme poussé d’un vain désir de gloire, il s’exposera une fois, deux fois, mais non pendant tout le cours de sa vie, ce que nous faisons ; car c’est à de tels périls que nous avons voué notre vie tout entière. « Il n’y a point de jour que je ne meure, oui, par la gloire que je reçois de vous en Jésus-Christ ». Cette gloire dont il parle ici, ce sont les progrès des fidèles. Comme il vient de rappeler ces innombrables périls, l’apôtre ne veut pas avoir l’air d’en gémir ; non seulement, dit-il, je ne m’en afflige pas,-mais je m’en glorifie, parce que je les affronte pour vous. Il a, dit-il, deux raisons de se glorifier, et parce que c’est pour eux qu’il affronte les périls, et parce qu’ils lui donnent sa récompense. Ensuite, selon son habitude, après de fières paroles, l’apôtre rapporte au Christ l’une et l’autre de ces deux raisons de se glorifier. Mais que signifie, qu’il n’y a pas de jour qu’il ne meure ? Il meurt par le désir, et parce qu’il se prépare sans cesse à la mort. Et pourquoi le dit-il?. Encore une preuve à l’appui de ce qu’il soutient sur la résurrection. Car, dit-il, quel homme voudrait subir mille fois la mort, s’il n’y avait ni résurrection, ni de vie après tant de souffrances ? Si les fidèles qui croient à la résurrection, ont tant de peine à s’exposer à de pareils dangers, s’il faut pour cela une âme tout à fait généreuse, à bien plus forte raison celui qui n’a pas la foi ne voudra pas supporter tant de morts, et de morts si terribles : Vous voyez comme ses expressions deviennent peu à peu de plus en plus énergiques. « Nous nous exposons », dit-il ; ensuite il ajoute : « À toute heure » ; ensuite : « Il n’est pas de jour ». Il finit par ne plus dire seulement : Je m’expose ; il dit plus (582) : Je meurs. Et ensuite il montre combien de morts il subit, écoutez : « Si pour parler selon l’homme, j’ai combattu à Éphèse contre les bêtes farouches, à quoi cela me sert-il (32) ? » 3. Que signifie : « Si, pour parler à la manière des hommes ? » Autant qu’il a dépendu des hommes, j’ai combattu contre les bêtes. Car que dois-je dire, si c’est Dieu qui m’a arraché aux dangers ? Aussi, c’est moi surtout qui dois m’inquiéter de ces choses, moi qui soutiens tant de périls sans avoir encore reçu de récompense. Car si le moment de la rémunération ne doit pas venir, si tous nos intérêts sont renfermés dans les limites du temps présent, c’est nous qui souffrons le plus grand tort. Vous en effet, votre foi ne vous expose à aucun péril ; nous, au contraire, il n’est pas de jour que nous ne soyons égorgés. Toutes ces paroles n’avaient pas pour objet de faire entendre qu’il n’y avait, pour lui, aucune utilité à retirer de, ses souffrances, mais il se préoccupait de la faiblesse de la multitude, et il voulait les rendre solides sur le sujet de la résurrection ; ce n’était pas qu’il courût après la récompense ; c’était, pour lui, une rémunération suffisante de faire ce qui était agréable à Dieu. Aussi ces paroles mêmes, « si nous n’avions d’espérance en Jésus-Christ que pour cette vie, nous serions les plus misérables de tous les hommes », c’est pour la multitude qu’elles sont dites, c’est pour que la crainte d’un état si misérable bannisse de leur cœur l’incrédulité au sujet de la résurrection, c’est pour s’accommoder à leur faiblesse qu’il parle ainsi. Car c’est une grande récompense que de plaire, en toute circonstance, à Jésus-Christ, et, indépendamment de toute rémunération, le plus précieux des salaires, c’est de braver pour lui les périls. « Si les morts ne ressuscitent point, mangeons et buvons, car nous mourrons demain ». Dans ces dernières paroles, c’est l’ironie qui éclate. Aussi n’est-ce pas de lui-même qu’il énonce cette pensée ; mais il fait entendre le plus sublime des prophètes, Isaïe qui disait au sujet des malheureux devenus insensibles à la douleur et désespérés : « Qui égorgent des veaux et tuent des moutons, pour manger de la chair et boire du vin ; qui disent : Mangeons et buvons, car demain nous mourrons. C’est pourquoi le Seigneur le Dieu des armées, m’a fait entendre cette révélation, cette iniquité ne vous sera pas remis, jusqu’à ce que vous mouriez ». (Isa 22,13-14) S’il n’y avait pas de pardon alors pour ceux qui disaient ces paroles, à bien plus forte raison les mêmes coupables seront-ils punis sans la grâce. Maintenant pour ne pas rendre son discours trop amer, l’apôtre cesse d’insister sur les absurdités, il reprend le ton de l’exhortation, il dit : « Ne vous laissez pas séduire ; les mauvais entretiens gâtent les bonnes mœurs (33) ». Ces paroles avaient pour but de leur reprocher leur manque de sens, et, en même temps, il s’y mêle un compliment, car ce sont les bonnes âmes qui sont faciles à tromper, et du même coup, autant qu’il lui est possible, il les décharge, il les montre excusables dans ce qui précède, il repousse loin d’eux les accusations, il les transporte à d’autres coupables, et par ce moyen-là il entraîne ses auditeurs au repentir. C’est ce qu’il fait dans l’épître aux Galates « Celui qui vous trouble en portera la peine, quel qu’il soit ». (Gal 5,10) « Tenez-vous dans la vigilance, justement, et ne péchez pas (34) », comme s’il s’adressait à des gens ivres et saisis d’accès de folie furieuse. Rejeter à la fois, rejeter tout à coup ce qu’on tient dans les mains, c’était vouloir ressembler à ces gens ivres, à ces furieux qui ne voient plus, ce qu’ils ont vu, qui ne croient plus ce qu’ils ont confessé. Que signifie « justement ? » pour ce qui est avantageux et utile. Car il y a une vigilance, en vue de l’injustice, quand on n’a l’esprit éveillé que pour faire du tort à son âme. Et c’est avec raison que l’apôtre a ajouté, « ne péchez pas », pour montrer que c’est du péché que sortent les germes de l’incrédulité. En beaucoup d’endroits, il fait entendre que c’est la corruption des mœurs qui produit les mauvaises doctrines, comme quand il dit « Car l’amour des richesses est la racine de tous les maux ; et quelques-uns en étant possédés, se sont égarés hors de la foi ». (1Ti 6,10) Il en est un grand nombre que leur conscience tourmente, qui craignent le châtiment, et qui par suite au grand préjudice de leur âme, perdent la foi en la résurrection ; de même que ceux qui pratiquent de grandes. Vertus, ne soupirent à chaque instant qu’après ce grand jour : « Car il y en a quelques-uns qui ne connaissent point Dieu ; je vous le dis, pour vous faire honte ». Voyez comme il fait encore retomber les accusations sur d’autres coupables. Il ne dit pas : Vous ne connaissez point, mais : « Il y en a quelques-uns qui ne connaissent point ». Ne pas ajouter foi à la résurrection, c’est ignorer absolument la puissance invincible de Dieu qui suffit à tout. S’il a fait toutes choses du néant, à bien plus forte raison pourra-t-il ressusciter ce qui est dissous. Après les reproches violents, après les sarcasmes lancés contre la gourmandise, l’ignorance, l’engourdissement d’esprit, il s’adoucit, il console, il dit : « Je vous le dis, pour vous faire honte », c’est-à-dire, pour vous corriger, pour vous ramener, pour qu’après avoir rougi vous deveniez meilleurs. L’apôtre a peur de trop couper dans le vif, de telle sorte qu’ils regimberaient. 4. Sachons comprendre que l’apôtre, ici, ne s’adresse pas seulement à quelques hommes, à tous ceux qui souffrent de la même mais maladie, dont la vie est corrompue. Ce ne sont pas seulement ceux dont les doctrines sont mauvaises, mais ceux dont les péchés sont graves qu’il faut regarder comme des gens ivres, comme des insensés. Aussi peut-on leur appliquer cette parole : « Tenez-vous dans la vigilance » ; appliquons-la surtout à ceux qui succombent sous le faix de leur cupidité, à ces ravisseurs qui n’entendent pas le rapt. Car il y a un rapt glorieux, qui ravit le ciel, et ce rapt ne fait de mal à personne. Sur cette terre nul ne s’enrichit qu’à la condition qu’un autre s’appauvrit tout d’abord mais les richesses spirituelles ne sont pas à ce prix, c’est le contraire du tout au tout, nul ne s’enrichit sans communiquer à un autre l’abondance. Car si vous n’êtes utile à personne, impossible à vous de trouver la richesse. En ce qui concerne nos corps, tout ce qui s’épanche au-dehors produit l’amoindrissement ; pour les dans de l’esprit, au contraire, l’épanchement procure l’abondance ; c’est le refus de partager qui engendre la pauvreté, l’indigence, qui attire le plus cruel supplice. Témoin cet homme, qui enfouit son talent. Celui qui possède les discours de la sagesse et les communique à un autre, augmente sa richesse, parce qu’il rend sages des hommes en grand nombre ; celui qui tient caché ce trésor, se dépouille lui-même de son luxe, parce qu’il ne s’est pas fait une richesse des services rendus à un grand nombre d’hommes. Celui qui, possède encore, d’autres dons, s’il les fait servir à la guérison d’un grand nombre, accroît la richesse qu’il a reçue ; il ne vide pas son trésor en le partageant, et, par lui, une foule d’autres se remplissent des dons spirituels. Pour tous les dons de l’Esprit, c’est la règle invariable. De même, pour la royauté ; celui qui associe le grand nombre à sa royauté, s’assure les moyens de la voir s’agrandir ; au contraire, celui qui ne veut de partage avec personne, se verra déchu lui-même de tant de biens si précieux. Si la sagesse humaine ne se dépense pas, entre tant de milliers de ravisseurs qui la pillent, si cet artisan, qui communique son savoir à tant d’autres, ne perd pas son savoir dans son art, à bien plus forte raison le ravisseur d’une telle royauté ne l’amoindrit pas, nous verrons nos trésors grossis quand, nous appellerons les foules au pillage. Ravissons donc les biens qui ne se dépensent pas, qui augmentent par, cela même qu’on vient les ravir, ravissons ce qui se peut ravir, sans craindre ni la calomnie ni l’envie. Voyez donc s’il y avait quelque part une source d’or, éternellement jaillissante, d’autant plus abondante qu’on y puiserait davantage ; s’il y avait, d’autre part, un trésor, enfoui, où courriez-vous pour vous enrichir ? N’est-ce pas à la source ? Qui en peut douter ? Mais ne nous contentons pas de paroles, de fictions, voyez la réalité de la parole qui frappe vos oreilles, voyez l’air, voyez le soleil ; tous les mettent au pillage, et l’air et le soleil remplissent tous les êtres, et cependant, qu’on en jouisse ou qu’on n’en jouisse pas, ils subsistent toujours semblables, jamais amoindris. Mais ce dont je parle est bien supérieur. Car la sagesse spirituelle ne subsiste pas toujours semblable à elle-même, soit qu’elle se communique, soit qu’elle ne se communique pas, elle s’accroît, elle grandit, quand elle se communique. S’il en est qui résistent encore à nos paroles, s’il est un homme que préoccupe encore exclusivement la crainte de manquer ces choses nécessaires à la vie, un homme porté à ravir les biens qui diminuent, que celui-là rappelle la manne en sa mémoire, et redoute une correction qui doit lui servir de leçon. La peine infligée alors à l’accapareur fragile encore aujourd’hui les riches que rien n’arrête. Qu’arrivait-il alors ? les vers fourmillaient, sortant du superflu. C’est ce qui se voit aujourd’hui encore chez ceux dont je parle. La mesure de la nourriture nécessaire est la même pour tous, quels qu’ils soient ; c’est le même ventre que nous remplissons ; mais, chez vous qui vous rassasiez de vos délices, il y a plus de fumier. Et, de même que ceux qui faisaient, dans le désert, une provision plus considérable qu’il n’était permis, ne ramassaient pas de la manne, mais une plus grande quantité de vers et de pourriture, de même, dans cette vie de délices et de faim cupide, ce n’est pas une plus grande quantité d’aliments, mais de corruption, que rainassent les gens adonnés à leur ventre, les gens qui s’enivrent. Il y a toutefois cette différence que ceux d’aujourd’hui sont plus coupables que les hommes d’autrefois ; il suffit aux anciens hommes d’une seule correction, pour revenir à la sagesse ; au contraire, ces hommes d’aujourd’hui introduisent chaque jour dans leur intérieur un ver bien plus funeste que celui du désert, et ils ne le sentent pas, et ils ne sont pas rassasiés. Voyez encore ce qui prouve la ressemblance entre les hommes de nos jours et ceux d’autrefois, quant à la vanité du travail qu’ils se donnent. {car en ce qui concerne le châtiment, il est aujourd’hui beaucoup plus terrible). En quoi le riche est-il différent du pauvre ? N’est-ce pas, des deux côtés, même corps à revêtir ? même ventre à nourrir ? En quoi donc est le plus ? L’avantage des inquiétudes, l’avantage des dépenses, l’avantage de désobéir à Dieu, l’avantage de corrompre sa chair, l’avantage de perdre son âme, voilà les avantages du riche, ce qu’il a de plus que le pauvre. S’il avait plus de ventres à remplir, il aurait peut-être quelque excuse fondée sur ses besoins plus considérables, sur la nécessité de faire plus de dépenses. Mais maintenant aussi, objectera-t-on, les riches peuvent alléguer qu’ils ont plus de ventres à remplir, à savoir ceux de leurs Serviteurs et de leurs servantes. Mais ce n’est ni par nécessité, ni par bonté, ni par humanité qu’ils se conduisent, ils n’écoutent que le faste et l’orgueil, on ne veut pas de leur excuse. Car à quoi bon tant de serviteurs ? De même que, pour les vêtements, c’est l’utilité seule qu’il faut considérer, ainsi que pour la table, de même pour ce qui touche, les serviteurs. Quelle en est donc l’utilité ? Utilité nulle : un seul domestique devrait suffire à un maître, ou plutôt deux et trois maîtres devraient se contenter d’un seul. Si cette manière de vivre vous semble pénible, considérez ceux qui n’en ont pas même un, et chez qui le service est plus expéditif ; car Dieu a fait des serviteurs qui se suffisent à eux-mêmes pour se servir, et, qui plus est, servir le prochain. Si vous refusez de m’en croire, écoutez Paul : « Ces mains que vous voyez ont suffi à mes besoins et aux besoins de ceux qui étaient avec moi ». (Act 20,34) Ainsi le docteur du monde entier, digne de résider au ciel, n’a pas rougi de se faire le serviteur d’une foule de, milliers d’hommes ; et vous, si vous ne promenez pas des troupeaux d’esclaves, vous avez honte, et vous ne comprenez pas que ce sont précisément ces esclaves innombrables qui doivent vous rendre honteux ? Si Dieu nous a donné des mains et des pieds, c’est pour que nous n’ayons pas besoin de serviteurs. Ce n’est pas la nécessité qui a introduit dans le monde la classe des serviteurs ; s’ils eussent été nécessaires, leu même temps qu’Adam, un serviteur eût été créé : c’est la peine du péché et le châtiment dé la désobéissance. L’avènement du Christ a réparé aussi cette inégalité de condition : « Car en Jésus-Christ, il n’y a plus ni esclave ni homme libre ». (Gal 3,28) Voilà ce qui prouve qu’il n’est pas nécessaire d’avoir des esclaves ; que si c’est nécessaire, un serviteur suffit, ou deux, au plus : Que signifient ces essaims de domestiques ? Comme des marchands de moutons, comme des trafiquants d’esclaves, on les voit aux bains, on les voit sur la place publique s’étaler, ces riches, avec leurs troupeaux. Eh bien, je ne veux pas traiter l’affaire en rigueur, ayez jusqu’à deux serviteurs ; mais quand vous en rassemblez des bandes, ce n’est pas par amour pour les hommes, c’est pour satisfaire votre mollesse ; prouvez votre sollicitude en n’assujettissant jamais un homme à votre service personnel. Achetez des esclaves, instruisez-les, mettez-les en état de se suffire à eux-mêmes, affranchissez-les. Quand vous les meurtrissez de vos verges, quand vous les chargez de fers, vous ne faites pas assurément un acte d’humanité. Je sais bien que je suis à charge à ceux qui m’écoutent, mais qu’y faire ? Je suis ici pour cela, et je ne cesserai pas de répéter ces choses, avec ou sans profit. Que signifie cet orgueil qui écarte les passants au forum ? Vous croyez-vous au milieu de bêtes sauvages, pour, repousser ainsi les gens sur votre chemin ? Rassurez-vous, on ne veut pas vous mordre, on passe auprès de vous, voilà tout. Mais c’est pour vous une insulte que tout le monde passe auprès de vous ? Quel est ce délire, quelle est cette monstruosité ? Uri cheval ne se croit pas injurié par un autre cheval qui vient derrière lui ; et un homme, si les autres hommes ne sont pas refoulés à plusieurs stades, se croira insulté ? Et qui signifient ces serviteurs faisant office de licteurs, ces hommes libres servant comme des esclaves, ou plutôt que prétendez-vous avec ces mœurs plus viles, plus misérables que le plus vil esclave ? car il n’est pas d’esclave aussi méprisable que l’homme qui étale un tel faste. Aussi ne verront-ils pas la vraie liberté ceux qui ont asservi leur âme à cette détestable passion. Il vous faut quelque chose à repousser, à écarter loin de vous, n’écartez pas les passants, mais l’orgueil ; n’employez pas un serviteur pour cet office, remplissez-le vous-même, et pas m’est besoin d’autre fouet, que d’un fouet spirituel. Aujourd’hui c’est votre serviteur qui chasse les hommes sur votre chemin, mais votre orgueil vous chasse, vous précipite du haut du ciel d’une manière plus honteuse que votre serviteur ne fait du prochain. Descendez de votre cheval, chassez l’orgueil par l’humilité, et vous siégerez sur un trône plus élevé, et vous vous établirez vous-même plus haut en dignité, sans avoir besoin pour cela d’un serviteur. Quand, devenu modeste, vous ferez plus près de la terre votre chemin, vous serez assis sur le char de l’humilité qui vous élèvera jusqu’au ciel, avec ses chevaux munis d’ailes rapides ; si, au contraire, tombé de la voûte céleste, vous montez sur le char de l’orgueil, votre condition n’aura rien de supérieur à celle de ces serpents qui traînent leur ventre sur la terre, vous serez – même bien plus infortuné, bien plus digne d’être plaint. C’est l’infirmité naturelle de leur corps qui les force à se traîner ainsi, mais vous, ce qui vous aura dégradé, c’est l’orgueil, c’est ce funeste mal. Car « tout ce qui s’élève sera abaissé », dit l’Évangile. (Mat 23,12) Préservons-nous donc de cet abaissement, et pour être élevés, sachons reconnaître la vraie élévation. C’est ainsi que nous trouverons le repos de nos âmes, selon l’oracle divin, et que nous obtiendrons l’honneur qui est le seul vrai et le plus élevé ; puissions-nous tous entrer dans ce partage, par la grâce et par la bonté de. Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec lequel, gloire, puissance, honneur, au Père et au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il. HOMÉLIE XLI.
MAIS, DIRA-T-ON : EN QUELLE MANIÈRE LES MORTS RESSUSCITERONT-ILS, ET QUEL SERA LE CORPS DANS LEQUEL ILS REVIENDRONT ? – INSENSÉ QUE VOUS ÊTES, NE VOYEZ-VOUS PAS QUE CE QUE VOUS SEMEZ NE REPREND POINT VIE, S’IL NE MEURT AUPARAVANT ? (CHAP. 15, VERS. 35, 36) ANALYSE.
- 1. Sur la manière dont les morts doivent ressusciter. – Comparaisons prises du grain de froment qui se décompose pour produire la tige et l’épi. – Le corps qui ressuscite est à la fois le même et plus beau.
- 2 et 3. Des différents degrés, soit parmi les justes dans la gloire, soit parmi les réprouvés dans le châtiment. Sur le corps animal et le corps spirituel.
- 4 et 5. Il ne faut pas pleurer les morts avec une tristesse exagérée. – Il faut leur venir en aide par la prière et par les bonnes œuvres. – De la sécurité des morts dans le sein de Dieu.
1. Malgré la douceur, l’humilité que montre partout l’apôtre, ici, ses paroles ont une aspérité que justifie l’absurdité de ses contradicteurs. Il ne se contente pas toutefois de les rudoyer, il emploie des raisonnements, des comparaisons capables de réduire tes disputeurs les plus acharnés. Il dit plus haut : « Ainsi parce que la mort est venue par un homme, c’est aussi par un homme que doit venir la résurrection ». Ici, il résout l’objection des païens. Voyez encore comme il adoucit la dureté de la réprimande. Il ne dit pas, mais vous direz peut-être, il s’adresse à un contradicteur qu’il ne définit pas, de manière que la liberté de son discours ne puisse pas blesser les auditeurs. Maintenant il énonce les deux motifs de doute, le doute relatif au mode de la résurrection, le doute relatif à la qualité des corps. C’étaient là, en effet, les deux points qui troublaient les esprits : comment ressuscite ce qui a été décomposé ? et, « quel sera le corps dans lequel reviendront » les morts ? Que signifie, quel sera le corps ? Sera-ce le corps qui se sera corrompu, qui aura péri, ou un autre corps quelconque ? Ensuite l’apôtre, pour leur montrer que leurs doutes s’attaquent à des vérités incontestables, reconnues de tous, les refoule d’un ton véhément : « Insensé que vous êtes, ne voyez-vous pas que ce que vous semez ne reprend point vie, s’il ne meurt auparavant ? » C’est la méthode que l’on suit avec ceux qui contredisent des vérités reconnues. Pourquoi n’invoque-t-il pas tout de suite la puissance de Dieu ? C’est qu’il s’adresse à des infidèles. En effet, lorsque c’est aux fidèles qu’il parle, il fait bon marché des raisonnements. Voilà pourquoi il dit ailleurs : « Il transfigurera votre corps, tout vil qu’il est, afin de le rendre conforme à son corps glorieux » (Phi 3,21), il montre quelque chose de plus que la résurrection, il n’apporte aucun exemple ; polir toute démonstration, le pouvoir de Dieu lui suffit, et il le rappelle-en disant : « Par, cette vertu efficace, par laquelle il peut s’assujettir toutes choses », Mais ici, il produit des raisonnements. Car après avoir confirmé la vérité par les textes de l’Écriture, il ajoute, de l’abondance de son cœur, contre ceux qui ne sont pas encore persuadés par l’Écriture : « Insensé que vous êtes, ne voyez-vous pas que ce que vous semez ». C’est-à-dire ; vous avez sous vos yeux la démonstration de cette vérité, vous la trouvez dans ce que vous faites chaque jour et vous, doutez encore ? Si je vous appelle insensé, c’est parce que vous ne voyez pas ce que vous faites vous-même chaque jour, c’est parce que vous êtes vous-même un artisan de résurrection et que vous doutez de la résurrection opérée par Dieu. Voilà pourquoi l’apôtre dit avec éloquence :« Ne voyez-vous pas que ce que vous serrez », vous qui êtes mortel et périssable. Et remarquez l’appropriation de ses expressions au sujet qu’il traite. « Ne reprend point vie », dit-il, « s’il ne meurt auparavant ». L’apôtre abandonne les expressions qui ont trait aux semences, germe, pousse, se gâte, se décompose, il emploie des termes en rapport avec notre chair, ainsi ; « reprend vie », ainsi « meurt » ; manières de parler qui ne s’appliquent pas proprement aux semences, mais aux corps. Et il ne dit pas, meurt et vit ensuite, mais, ce qui est plus expressif, ne vit qu’à la condition de mourir. Vous voyez si j’ai raison de vous répéter qu’il prend toujours l’inverse du raisonnement de ses contradicteurs. Ce qu’ils regardaient comme une réfutation de la résurrection, il le prend pour démonstration de cette même résurrection ; ils disaient en effet que le corps ne pouvait pas ressusciter ; puisqu’il était mort. Que leur oppose-t-il donc ? C’est que précisément s’il ne mourait pas, il ne ressusciterait pas ; ce qui fait qu’il ressuscite, c’est qu’il est mort. De même que le Christ, pour démontrer cette vérité, prononce ces paroles : « Si le grain de froment ne meurt après qu’on l’a jeté en terre, il demeure seul ; mais, quand il est mort, il porte beaucoup de fruit » (Jn 12,24), de même Paul emprunte son exemple aux semences, et il ne dit pas : Ne vit pas, mais « ne reprend vie » ; cette expression prouve encore le pouvoir de Dieu, elle montre que ce n’est pas la force propre de la terre, que c’est, Dieu seul qui fait tout. Et pourquoi ne montre-t-il pas ce qui tenait plus étroitement au sujet, je veux dire la semence humaine ? En effet notre génération commence par la corruption, comme celle du froment. C’est quelles deux semences n’ont pas pour le raisonnement, une force égale, celle du froment est bien plus éloquente. Ce que veut l’apôtre, c’est quelque chose qui soit entièrement détruit, il n’y a dans la génération humaine de corruption qu’en partie. Voilà pourquoi c’est la semence du froment qui sert d’exemple. D’ailleurs l’autre, sortie d’un vivant, tombe dans un ventre vivant ; mais ici ce n’est pas dans de la chair, mais dans de la terre que la semence tombe, et elle s’y décompose comme le corps, comme le cadavre. Voilà ce qui fait que l’image prise du grain de froment convenait mieux au sujet. « Et quand vous semez, vous ne semez pas le corps qui doit naître (37) ». Tout ce qui précède, concerne le mode de la résurrection ; cette dernière observation répond au doute sur les corps dans lesquels les morts doivent revenir. Or que signifie : « vous ne semez pas le corps qui doit naître ? » L’épi entier, le froment nouveau. Ici en effet, le discours ne se rapporte plus à la résurrection même, mais au mode de la résurrection, à la nature du corps qui ressuscitera, à savoir.: s’il ressemblera au corps précédent, ou s’il sera meilleur et plus beau ; et le môme exemple sert à deux fins, l’exemple prouve que le corps ressuscité sera de beaucoup supérieur. Mais ici les hérétiques, ne comprenant rien à ces choses, font un assaut et disent : C’est un corps qui tombe, c’en est un autre qui ressuscite. Que devient alors la résurrection ? Car la résurrection ne peut être que la résurrection de ce qui est tombé. Que devient la merveilleuse, l’étonnante victoire remportée sur la mort, si le corps qui tombe n’est pas le même qui ressuscite ? Dans ce cas, on ne pourra certes pas dire que la mort a rendu soir prisonnier. Et, maintenant, comment l’exemple donné serait-il approprié à là vérité ? Car l’essence que l’on sème n’est pas autre que celle qui reparaît, c’est la même essence devenue meilleure. Autre conséquence : le Christ n’aura pas repris le même corps, lui, les prémices de ceux qui ressuscitent ; à vous entendre, il a rejeté son corps, quoiqu’il fût exempt de tout péché, et c’est un autre corps qu’il a pris. Et d’où l’a-t-il tiré, ce second corps ? Le premier, il l’a pris d’une vierge, mais le second, d’où le tenait-il ? Voyez-vous à quelles absurdités est arrivée la démonstration ? Car enfin, pourquoi le Christ montre-t-il les traces et les empreintes des clous, sinon pour faire voir que c’est le même corps qui a été attaché à la croix, et qui est ressuscité ? Que signifie la figure de Jouas ? Que le Jonas qui a été englouti est le même qui a été rejeté sur la terre. Et pourquoi le Christ disait-il encore : « Détruisez ce temple, et je le rétablirai en trois « jours ? » (Jn 2,19-21) C’est que le corps détruit est le corps qu’il a ressuscité. Aussi l’évangéliste ajoute-t-il : « Mais il parlait du temple de son corps ». Que signifie donc : « Vous ne semez pas le corps qui doit naître ? » C’est-à-dire, vous ne semez pas l’épi ; en effet, c’est le même et ce n’est pas le même ; c’est le même parce que c’est la même essence, et ce n’est pas le même parce que l’épi qui viendra est meilleur ; la même essence persiste, mais il y a développement, il y a supériorité de beauté, fraîcheur de nouveauté ; c’est la condition indispensable pour qu’il y ait résurrection, il faut que ce qui ressuscitera soit meilleur. Pourquoi détruire la maison, si, l’on ne doit pas la relever plus brillante et plus belle ? Voilà ce que dit l’apôtre à ceux qui regardent la résurrection comme une dissolution. Ensuite, pour prévenir la pensée qu’il suit de là qu’on entend parler d’un corps différent, il éclaircit cette énigme, il explique lui-même le sens de ses paroles, il ne souffre pas que l’auditeur flotte dans des conclusions qui l’égareraient. Qu’avons-nous – besoin de mêler nos paroles aux siennes ? Écoutez-le lui-même, entendez-le s’expliquer : « Vous ne semez pas le corps qui doit naître » ; car aussitôt il ajoute : « mais la graine seulement, comme du blé, ou de quelque autre chose ». Ce qui veut dire : Ce n’est pas le corps qui viendra, car il aura un autre vêtement, une tige, des épis ; « mais la graine seulement, comme du blé, ou de quelque autre chose. Et Dieu lui donne un corps tel qu’il lui plaît (38) ». Sans doute, objecte-t-on, mais c’est ici l’œuvre de la nature. De quelle nature, répondez-moi ? Je vous dis qu’ici encore c’est Dieu seul qui fait tout, et non la nature, ni la terre, ni la pluie. Aussi l’apôtre, exprimant cette vérité, laisse-t-il de côté et la terre, et l’air, et la pluie, et la main-d’œuvre des agriculteurs : « Et Dieu », dit-il aussitôt, « lui donne un corps tel qu’il lui plaît ». Cessez donc de prendre un soin superflu et de vous enquérir curieusement du comment et de lu manière dont les choses se passent, lorsqu’on vous a signifié la puissance de Dieu et sa volonté. « Et il donne à chaque semence le corps propre à chaque plante ». Que devient l’idée d’un corps étranger ? Il lui donne le corps propre. Aussi lorsque l’apôtre dit : « Vous ne semez pas le corps qui doit naître », il n’entend pas que ce sera une autre essence qui paraîtra, mais que la même essence ressuscitera, meilleure et plus brillante. « Car il donne à chaque semence le corps propre à chaque plante ». Et par là, il indique déjà la différence que présentera la résurrection à venir. En effet, n’allez pas conclure de cette semence dont tous les germes se relèvent, qu’il y aura dans la résurrection égalité d’honneur. Gardez-vous surtout de le croire quand vous voyez que les semences des champs ne présentent pas dans leurs productions cette égalité, mais que telles plantes grandissent et se développent avec éclat, tandis que telles autres paraissent chétives. Voilà pourquoi l’apôtre ajoute : « le corps propre à chaque plante ». Toutefois cette différence ne lui suffit pas, il en cherche encore que autre plus considérable et plus manifeste. Car pour prévenir cette erreur que j’ai mentionnée, qui conclurait, de ce que tous ressuscitent, que tous doivent jouir des mêmes biens, l’apôtre s’est empressé de jeter dans ses premières paroles les semences de la pensée qui est la seule vraie, il a dit tout d’abord : Tous vivront en Jésus-Christ, « et chacun en son rang ». C’est la pensée qu’il reprend ici, qu’il explique : « Toute chair n’est pas la même chair (39) ». À quoi bon, dit-il, insister sur les semences ? Nous n’avons qu’à considérer nos corps mêmes, puisque c’est des corps que nous nous occupons maintenant. Voilà pourquoi il ajoute : « Mais autre est la chair des hommes, autre la chair des bêtes, autre celle des oiseaux, autre celle des poissons. Il y a aussi des corps célestes et des corps terrestres, mais les corps célestes ont un autre éclat que les corps terrestres. Le soleil a son éclat, qui diffère de l’éclat de la lune, comme l’éclat de la lune diffère de l’éclat des étoiles, et comme, entre les étoiles, a l’une est plus éclatante que l’autre (40, 41) ». Et que signifient ces paroles ? Pourquoi cette digression qui va, qui tombe de la résurrection, sur les astres et sur le soleil ? Il ne tombe pas, il n’y a pas de digression, gardons-nous de le croire, il ne rompt pas avec son sujet ; au contraire, il s’y tient. Après avoir prouvé ce qui a été dit de la résurrection, il montre la grande différence que fera paraître la gloire future, quoique la résurrection soit unique et commune ; en attendant, il fait deux parts de l’univers, les choses du ciel, les choses de la terre. La résurrection des corps, il l’a montrée par l’exemple du froment ; quant à l’inégalité dans la gloire, il la démontre par ses dernières paroles. Car, de même que l’incrédulité, au sujet de la résurrection, produit l’indolence, de même on tombe dans la langueur et le relâchement d’esprit lorsqu’on s’imagine que tous obtiennent le même partage. Aussi l’apôtre corrige-t-il ces deux erreurs ; il a commencé par dissiper la première ; il s’occupe maintenant d’en finir avec la seconde : après avoir établi deux classes, celle des justes et celle des pécheurs, il les subdivise encore, et il montre que ni les justes d’un côté, ni les pécheurs d’un autre, ne recevrait le même traitement, qu’il n’y aura ni égalité pour tous les justes, ni égalité pour tous les pécheurs. Voilà donc la première séparation qu’il établit, celle des justes et celle des pécheurs, en disant : « Des corps célestes et des corps terrestres », car les corps terrestres sont comme l’image des pécheurs, et les corps célestes, celle des justes. Ensuite il fait entendre la différence de pécheurs à pécheurs : « Toute chair n’est pas la même chair ; mais autre est la chair des poissons, autre, la chair des oiseaux et des animaux différents ». Il n’y a là que des corps, mais, les uns plus, les autres moins méprisables. Il en est de même de la vie, même différence dans la même constitution ; après ces paroles, il reprend de nouveau son essor au ciel : « Le soleil a son éclat, qui diffère de l’éclat de la lune. » Comme il y a différence entre les corps terrestres ; de même, entre les corps célestes, il y a aussi différence, et ce n’est pas une différence accidentelle, mais il y a diversité de degrés poussée à l’extrême. Car il n’y a pas seulement la différence du soleil et de la lune, ni de la lune et des étoiles, mais, d’étoiles à étoiles, il y a encore différence. Si tous ces astres sont dans le ciel, ils n’y sont pas tous également glorieux, mais, les uns plus ; les autres, moins. Que nous apprennent donc ces images ? Que si tous sont admis au royaume des cieux, tous n’y jouiront pas des mêmes biens ; que si tous les pécheurs sont dans la géhenne, tous n’y subiront pas le même traitement. Voilà pourquoi l’apôtre ajoute : « Il en arrivera de même dans la résurrection des morts (42). ». De « même », comment cela ? parce qu’il y aura une grande différence. Ensuite, laissant ce point, comme prouvé, il reprend encore la démonstration relative au mode de la résurrection, il dit : « Le corps est ensemencé dans la corruption, et il renaît incorruptible ». Voyez la sagesse du docteur ; quand il parlait des semences, il prenait des expressions appropriées aux corps : « Ne reprend point vie », disait-il, « s’il ne meurt auparavant » ; voici qu’en parlant des corps, il prend les termes appropriés aux semences, il dit : « Le corps est ensemencé dans la corruption, et il renaît incorruptible ». Il ne dit pas, le corps pousse, parce qu’il ne veut pas qu’on y voie le travail de la terre, mais « il renaît ». Quant à la semence, l’apôtre n’entend pas ici notre génération dans la matrice, mais l’enterrement des morts, la décomposition, la cendre des tombeaux. Aussi, après avoir dit : « Le corps est ensemencé dans la corruption, et il renaît incorruptible », l’apôtre ajoute : « Il est ensemencé, dans la honte (43) ». Car quoi de plus hideux qu’un cadavre en décomposition ? « Il renaît dans la gloire. « Il est ensemencé dans la faiblesse ». Car il ne faut pas trente jours, pour qu’il n’en reste plus rien ; la chair ne peut pas se conserver, elle ne peut pas seulement durer un jour. « Il renaît dans la force ». Car alors il ne lui restera plus rien de corruptible. L’apôtre avait besoin de ces exemples pour que les auditeurs n’allassent pas s’imaginer que tous renaissant dans l’incorruptibilité, dans la gloire, dans la force, il n’y avait aucune différence entre les ressuscités. Car si tous ressuscitent, et dans la force, et dans l’incorruptibilité, et dans cette gloire de l’incorruptibilité, tous pourtant ne possèdent pas le même honneur, la même inébranlable félicité. « Il est ensemencé comme un corps animal, il renaît corps spirituel. Comme il y a un corps animal, il y a aussi un corps spirituel (44) ». Que dites-vous ? le corps que nous avons présentement, n’est-il pas un corps spirituel ? Spirituel, sans doute, mais l’autre le sera beaucoup plus. Car maintenant ; trop souvent, l’abondance des grâces du Saint-Esprit se perd par de graves péchés ; quoique le souffle de l’âme persiste encore, la voie de la chair n’y est plus ; une fois la grâce éteinte, le corps n’est plus rien ; mais alors il n’en sera plus de même ; sans s’éteindre jamais, elle subsiste dans la chair des justes, et sa puissance restera unie au souffle de l’âme. Ou c’est là ce que l’apôtre a voulu faire entendre en disant « spirituel », ou il a voulu dire que le corps sera plus léger, plus subtil, capable d’être porté par l’air, ou plutôt il a prétendu indiquer le tout à la fois. Si vous n’en croyez rien, voyez les corps célestes si brillants, si persistants, qui ne vieillissent pas, et croyez donc que Dieu a bien aussi le pouvoir de faire, de nos corps soumis à la corruption, des corps incorruptibles, de beaucoup supérieurs à ceux que nous voyons, « Selon qu’il est écrit : le premier homme, Adam, a été créé avec une âme vivante, et le second Adam a été rempli d’un esprit vivifiant (45) ». Le commencement de cette citation se trouve bien dans l’Écriture (Gen 2,7), mais la suite n’y est pas ; comment donc l’apôtre a-t-il pu dire, « selon qu’il est écrit ? » Il se fonde sur ce qui est arrivé ; c’est son habitude. C’est le style ordinaire des prophètes. Ainsi un prophète a dit que Jérusalem, sera appelée la ville de la justice, et elle n’a pas été appelée de ce nom. (Zac 8,3) Eh quoi ? le prophète adonc parlé à faux ? nullement : il a voulu dire que les événements, lui mériteraient ce nom. Un autre a dit encore que le Christ serait appelé Emmanuel (Isa 7,14), et le Christ n’a pas eu ce nom, mais les événements accomplis le lui donnent assez. De même, pour ces paroles, « et le second Adam a été rempli d’un esprit vivifiant ». Ces paroles sont pour vous faire comprendre que vous avez déjà reçu les symboles et les gages de la vie présente et de la vie à venir ; de la vie présente, par Adam ; de la vie à venir, par le Christ. Comice les biens les plus précieux ne peuvent être proposés que comme des espérances, l’apôtre tient à montrer que le commencement est déjà réalisé, il fait voir la racine et la source. Que si la racine et la source sont visibles pour tous, il n’est pas permis de révoquer les fruits en foute. De là ces paroles : « Et le second Adam a été rempli d’un esprit vivifiant ». Ailleurs encore il dit : « Vivifiera vos corps mortels par son esprit qui habite en vous ». (Rom 8,11) C’est donc l’esprit qui vivifie. Maintenant on aurait pu dire, pourquoi dès les premiers jours a-t-on réalisé ce qui est le moins précieux, pourquoi ce qui concerne l’âme vivante a-t-il reçu un accomplissement plein et entier qui ne s’est pas arrêté aux prémices, pourquoi, en ce qui concerne l’esprit vivifiant, n’a-t-on reçu que les prémices ; l’apôtre montre que des deux côtés, les principes sont établis. « Mais ce n’est pas le corps spirituel qui a été formé le premier, c’est le corps animal, et ensuite le spirituel (46) ». L’apôtre ne dit pas pourquoi ; il se contente de l’ordre établi par Dieu ; le suffrage des événements lui garantit l’excellence de l’administration des choses par Dieu ; il montre que tout ce qui nous concerne s’avance toujours vers un état meilleur, et il assure par là l’autorité de ses paroles. Si le moindre est arrivé, à bien plus forte raison faut-il attendre ce qui est supérieur. Donc, puisque nous devons jouir de ces biens si précieux, prenons notre place dans ce bel, ordre, et ne versons pas de pleurs sur ceux qui s’en vont, pleurons ceux qui finissent mal. L’agriculteur ne pousse Ras de gémissements à la vue du grain qui se corrompt, c’est quand il le voit conserver dans la terre sa solidité, qu’il a peur et qu’il tremble ; mais, du moment que les semences se décomposent, l’agriculteur, se réjouit. Car c’est le commencement de la semence à venir, cette décomposition. Faisons de même, sachons nous réjouir quand tombe la maison ainsi décomposée, quand un homme est ensemencé. Ne vous étonnez pas qu’il donne le nom d’ensemencement à la sépulture ; car la sépulture vaut mieux encore que l’ensemencement. Après les semences des champs, viennent les morts, les labeurs pénibles, les dangers, les soucis ; après la sépulture, si nous avons bien vécu, les couronnes et les prix glorieux ; après les semences de la terre, la corruption et la mort ; après la sépulture, l’incorruptibilité, l’immortalité, et des biens en foule ; dans un de ces ensemencements, ce qui se rencontré, ce sont les embrassements, les plaisirs, le sommeil ; dans le dernier de tous, les ensemencements, rien, plus rien qu’une voix descendant des hauteurs du ciel, et soudain toutes choses ont leur accomplissement. Celui qui ressuscite, n’est plus ramené aux fatigues d’une vie d’épreuves, il entre dans cette vie qui ne connaît ni la douleur, ni le deuil, ni, les gémissements. Si, dans l’homme que vous pleurez, ce qui provoque vos regrets, c’est l’appui, c’est le guide, le protecteur perdu, cherchez votre refuge dans le protecteur, dans le sauveur commun, dans le bienfaiteur de tous les hommes, en Dieu, cet invincible compagnon d’armes, cet auxiliaire toujours prêt, toujours présent, qui nous entoure, qui nous défend de toutes parts. Mais les longues liaisons forment des nœuds si aimables et méritent tant nos regrets ! Je le sais bien ; mais si vous soumettez à la raison les mouvements de votre âme, si votre raison se représente, ô femmes, celui qui vous a repris un époux, si vous faites tous à Dieu, dans vos afflictions, un généreux sacrifice de vos pensées, voilà qui apaisera les orages de vos cœurs, et vous né laisserez pas à faire au temps l’œuvre de la sagesse ; mais si vous vous laissez amollir, le temps adoucira vos douleurs, mais vous ne remporterez aucune récompense. 591 Outre ces réflexions, rassemblez les exemples que vous donne la vie présente, les exemples des divines Écritures ; méditez Abraham égorgeant son fils, et cela sans verser de larmes, sans faire entendre d’amères paroles. Mais, dira-t-on, c’était Abraham (Gen 22). Mais vous, vous êtes appelé à des vertus plus hautes. Quant à Job, il ressentit de la douleur, mais dans la mesure qui convenait à un bon père, plein de tendresse pour ceux qui n’étaient plus là. Pour nous, la conduite que nous tenons, convient à des ennemis privés, à des ennemis publics. Si, à la nouvelle qu’un homme est élevé à la royauté, couronné, vous alliez vous frapper la poitrine et gémir ; je ne dirais pas de vous que vous êtes l’ami de celui qui a reçu la couronne ; je dirais que vous n’avez que haine pour lui, que vous êtes son ennemi déclaré. Mais ce n’est pas sur lui que je pleure, répond l’affligé, c’est sur moi-même. Mais ce n’est pas une preuve d’affection que de vouloir que celui qui vous est cher, soit encore, à cause de vous, exposé aux périls du combat, et dans l’incertitude de l’avenir, quand il va recevoir la couronne et toucher le port ; de vouloir le voir encore à la merci des flots, quand il peut, échappé à la – mer, se trouver pour toujours à l’abri. Mais je ne sais pas, dira-t-on, où il s’en est allé. Pourquoi ne le savez-vous pas ? Répondez-moi. Car, soit qu’il ait bien vécu, soit dans le cas contraire, on sait parfaitement où il doit se rendre. C’est justement ce qui me fait gémir, réplique-t-on : il est mort en état de péché. Vain prétexte et mauvaise raison. Si c’est là ce qui vous fait gémir sur celui qui n’est plus, il fallait, pendant sa vie, le réformer, le corriger. En tout cas, vous ne voyez jamais que ce, qui vous intéresse, vous, et non pas ce qui le regarde, lui. S’il est parti en état de péché, pour cette raison même, vous devez vous réjouir ; ses péchés sont interrompus ; il n’a pas pu ajouter depuis à la somme de ses actions mauvaises ; soyez-lui en aide, autant que possible ; au lieu de pleurer sur lui, répandez les prières, les supplications, les aumônes, les offrandes. Ce ne sont par là de chimériques inventions ; ce n’est pas inutilement que nous faisons, dans les divins mystères, mention de ceux qui sont partis ; que nous nous approchons du sanctuaire, à leur intention ; que nous prions l’Agneau qui a enlevé le péché du monde, mais nous espérons qu’il leur en reviendra quelque adoucissement ; ce n’est pas en vain que l’assistant à l’autel, pendant que les redoutables mystères s’accomplissent, s’écrie : Pour tous ceux qui se sont endormis dans le Christ, et pour ceux qui célèbrent leur commémoration. On ne prononcerait pas ces paroles, si l’on ne faisait pas la commémoration de ceux qui ne sont plus. Nos cérémonies ne sont pas des jeux de théâtre ; loin de nous ces pensées ; n’os cérémonies c’est l’Esprit-Saint qui les a ordonnées. Sachons donc leur porter secours, et célébrons leur commémoration. Si les fils de Job ont été purifiés par le sacrifice de leur père, pouvez-vous douter que nos offrandes pour ceux qui ne sont plus, leur apportent quelque consolation ? C’est la coutume de Dieu de faire fructifier pour les autres les grâces que d’autres ont méritées. Et c’est ce que Paul faisait voir par ces paroles : « Afin que beaucoup de personnes ; manifestant en elles la grâce que nous avons reçue, donnent à beaucoup de personnes l’occasion de bénir Dieu pour vous ». (2Co 2,11) Empressons-nous de porter notre secours à ceux qui ne sont plus, et d’offrir pour eux des prières : car le but commun de la terre entière c’est l’expiation. Prions donc avec confiance pour la terre entière, et avec les martyrs nous appelons tous les membres de l’Église, avec les confesseurs, avec les ministres sacrés. Car nous ne sommes qu’un seul et même corps tous tant que nous sommes, quoiqu’il y ait des membres plus glorieux que d’autres membres, et il n’y a rien d’impossible à ce qu’en nous adressant à toutes les âmes nous assurions à ceux qui ne sont plus leur pardon, par les prières, par les dons qui sont offerts pour eux, par l’assistance même de ceux que l’on invoque avec eux. D’où viennent donc vos gémissements, vos plaintes, quand il est possible de rassembler de si grandes forces pour obtenir le pardon de celui qui n’est plus ? Mais vous pleurez, ô femme, parce que vous êtes abandonnée, vous avez perdu votre protecteur ? Non, jamais, ne prononcez jamais ces paroles ; vous n’avez pas perdu Dieu : Tant que vous l’avez, voilà qui vous vaut mieux qu’un mari, et père, et fils, et beau-père ; quand ces êtres chéris étaient vivants, Dieu n’en était pas moins celui qui faisait toutes choses. Méditez donc ces pensées, et dites avec David : « Le Seigneur est ma lumière et mon salut, qui craindrai-je ? » (Psa 27,1) Dites : vous êtes le père des orphelins, et le juge des veuves, et attirez sur vous son secours, et vous verrez qu’il prendra encore plus de soin de vous qu’auparavant, un soin d’autant plus vigilant que vous serez dans une plus grande détresse. Mais vous avez perdu un fils ? Vous ne l’avez pas perdu, ne prononcez pas ces paroles : ce que vous voyez, c’est un sommeil, non une mort ; c’est un voyage, non une destruction ; c’est un passage d’un état inférieur, à une meilleure condition. N’irritez pas Dieu, mais rendez-le propice. Si vous supportez le coup avec une force généreuse, il en résultera, pour celui qui n’est plus, et pour vous, une douce consolation si vous faites le contraire, vous irritez ta colère de Dieu. Car si à la vue d’un esclave battu de verges par son maître ; vous montrez votre mécontentement, vous ne faites qu’exciter contre vous le mécontentement du maître. N’agissez pas ainsi, mais rendez grâces à Dieu, afin que cette conduite dissipe le nuage de votre affliction : dites comme ce bienheureux : « Le Seigneur m’a donné, le Seigneur m’a enlevé » ; considérez combien de personnes plus que vous agréables à Dieu, n’ont jamais eu de fils, combien d’hommes n’ont jamais porté le nom de pères. Ni moi non plus, répondra-t-on, je ne voudrais pas avoir eu de fils ; il aurait bien mieux valu pour moi ne pas faire cette expérience, que de goûter un pareil plaisir, et de le perdre après. Non, je vous en prie, ne prononcez pas de telles paroles, ne provoquez pas ainsi la colère du Seigneur ; faites mieux, rendez grâces à Dieu des biens que vous avez reçus ; pour ceux que vous ne gardez pas toujours, glorifiez le Seigneur. Job ne dit pas : il eût mieux valu pour moi n’avoir rien reçu ; ce que dit votre ingratitude, mais Job même pour les biens enlevés rendait grâces au Seigneur ; il disait : « Le Seigneur m’a donné », pour les biens perdus, il le bénissait en disant « Le Seigneur m’a enlevé : que le nom du Seigneur soit béni dans tous les siècles ». Il fermait la bouche à sa femme, par des raisonnements d’une sagesse merveilleuse, et il faisait entendre ces paroles admirables : « Si nous avons reçu des biens du Seigneur, n’en supporterons-nous pas aussi des maux ? » Or l’épreuve qu’il eut à subir ensuite fut encore plus terrible ; elle ne le brisa pas,.il tint bon, il supporta tout avec courage, il se mit à glorifier Dieu. Faites de même, réfléchissez-vous aussi en vous-même : ce n’est pas un homme qui vous a pris celui que vous pleurez ; c’est Dieu qui a tout fait, Dieu qui a de vous plus de souci que personne, Dieu qui comprend le mieux l’intérêt de tous, Ce n’est pas un ennemi, un méchant qui vous a frappé. Voyez combien d’enfants n’ont vécu que pour rendre la die impossible à leurs parents. Mais vous ne voulez pas voir, me dira-t-on, les enfants d’un noble cœur. Je les vois, eux aussi, mais je dis qu’ils sont moins en sûreté que votre fils, Quelque bonne estime qu’on en fasse, leur fin n’en est pas moins incertaine ; pour votre enfant, au contraire, vous n’avez plus à trembler, nous n’avez plus rien à craindre, à redouter pour lui quelque changement que ce soit. Appliquez ces pensées à une épouse qui avait la beauté eu partage, qui était une bonne gardienne de votre maison, et pour toutes choses bénissez Dieu ; vous avez perdu votre épouse, bénissez le Seigneur. Peut-être Dieu veut-il vous amener à la continence, à des œuvres plus hautes, rompre vos liens. Si nous nous livrons à ces pensées de la sagesse, nous conquerrons, pour la vie présente, la tranquillité de l’âme, et, pour la vie à venir, les couronnes, etc. Traduit par M. PORTELETTE HOMÉLIE XLII.
LE PREMIER HOMME, NÉ DE LA TERRE, FUT TERRESTRE ; LE SECOND HOMME FUT LE SEIGNEUR DESCENDU DU CIEL. (CHAP. 4, VERSET 47) ANALYSE.
- 1. Il faut imiter, non pas le premier homme qui est formé de la terre et qui est terrestre, mais le second homme qui fut le Seigneur descendu du ciel.
- 2. La résurrection des corps est prouvée : 1° par l’incorruptibilité, et l’immortalité du corps ; 2° par la destruction du péché et l’abolition de l’ancienne Loi ; 3° nous devons détourner nos regards de la terre pour les tourner vers le ciel ; nous devons travailler sans cesse aux œuvres de Dieu ; pour obtenir le bonheur, éternel. – Au tribunal de Dieu, nous n’aurons d’autres défenseurs que nos actes.
1. Après qu’il a parlé de l’homme matériel et ensuite de l’homme spirituel, il établit une nouvelle différence : celle de l’homme, terrestre et de l’homme céleste. La première différence est celle de la vie présente et de la vie future ; la seconde est celle de l’homme avant la grâce, et de l’homme après la grâce. Cette distinction doit nous enseigner quel est le chemin véritable de la vie. De peur que même en croyant à la résurrection, comme je l’ai dit plus haut, ils ne renonçassent à une vie vertueuse et parfaite, il les prépare d’un autre côté à la lutte, leur disant : « Le premier homme né de la terre fut terrestre, le second homme fut le Seigneur descendu du ciel ». Et dans ce verset il s’adresse à tous les hommes ; il qualifie l’un par ce qu’il a de meilleur et de plus élevé, et l’autre, par ce qu’il a de plus bas : « Tel fut l’homme terrestre, tels sont les hommes terrestres (48) ». Ils périront, ils mourront comme lui. « Tel fut l’homme céleste, tels seront les hommes célestes ». Ils demeureront immortels, et ils brilleront comme lui. Mais quoi ! Est-ce que Ce dernier n’est pas mort aussi ? Il est mort, il est vrai, mais la mort ne lui a point causé de dommage. Il a plutôt aboli la mort. Voyez-vous comment, même par la mort, il établit le dogme de la résurrection. Comme vous avez, ainsi que je l’ai dit plus haut, le principe et le couronnement, vous ne pouvez douter de l’ensemble. Il établit d’un côté quelle est la vie la meilleure et la plus parfaite, il nous donne les exemples d’une vie élevée et philosophique, et d’une autre qui ne l’est point, et nous montre la source de toutes les deux. Pour celle-là le Christ, pour celle-ci Adam. C’est pourquoi il n’a point dit absolument : De la terre, mais : Terrestre ; c’est-à-dire grossier, attaché aux biens présents ; et d’un astre côté, il a dit le contraire du Christ : « Le Seigneur descendu du ciel ». S’il en est qui prouvent que le Seigneur n’a point de corps, parce qu’il est dit : « Du ciel », ce que nous, avons développé déjà suffit pour leur fermer la bouche. Mais rien ne nous empêche de nous servir de ces paroles-ci pour leur fermer la bouche. Qu’est-ce en effet « le Seigneur descendu du ciel ? » Veut-il indiquer par là la nature ou bien la conduite d’une vie parfaite ? Il est clair que c’est la conduite d’une vie parfaite ; et c’est pour cela qu’il ajoute : « Comme nous avons reproduit l’image de l’homme terrestre (49) », c’est-à-dire : Comme nous avons fait le mal, reproduisons l’image de l’homme céleste, c’est-à-dire, faisons le bien. En outre je yeux vous adresser cette question : Ces paroles s’appliquent-elles à la nature ? « Celui qui était né de la terre fut terrestre » ; et ces autres : « Le Seigneur descendu du ciel ». Oui, dit saint Paul. Mais quoi ? Est-ce qu’Adam était seulement terrestre, ou bien avait-il une autre nature, parente des natures supérieures et incorporelles, que l’Écriture appelle âmes et esprits ? Il est clair qu’il avait aussi cette nature. Et ainsi le Seigneur lui-même n’était pas seulement une nature céleste. Quoiqu’il soit dit « du ciel », il s’était encore incarné. Ce qu’il veut donc dire est ceci : « Comme nous avons reproduit l’image de l’homme terrestre », les actions mauvaises, « reproduisons l’image de l’homme céleste », c’est-à-dire, la vie parfaite qui est au ciel. S’il parlait de la nature, ces exhortations et ces conseils seraient inutiles. C’est pourquoi il est démontré que ces paroles s’appliquent à là conduite de la vie. Et c’est à dessein qu’il s’est servi de cette expression, et ce mot d’image montre encore d’une autre manière, qu’il parle des actions, et non de la nature. En effet, nous avons été faits terrestres, quand nous avons fait le mal. Ce n’est pas dès le commencement que nous avons été faits terrestres, mais quand nous avons péché. En effet, le premier péché a existé avant la mort ; c’est après le premier péché que Dieu dit : « Tu es né de la terre et tu retourneras à la terre ». (Gen 3,19) C’est alors aussi que les passions et les désordres sont entrés en foule dans l’âme. De ce que l’on est né de la terre, il né s’ensuit pas absolument que l’on soit terrestre, car le, Seigneur aussi était formé de la même matière, mais c’est de faire des choses terrestres ; de même qu’être céleste, c’est accomplir des actions dignes du ciel. Mais pourquoi nous donner une peine inutile pour le prouver ? Lui-même, dans la suite de ses paroles, Mous en découvre le sens, disant : « Je vous le dis », mes frères, « la chair et le sang ne posséderont point le royaume de Dieu (50) ». Voyez-vous comment il s’explique lui-même et nous évite la peine de le faire. C’est ainsi qu’il agit en beaucoup d’endroits. Ce qu’il appelle chair, ce sont les actions mauvaises, ainsi qu’il fait en un autre endroit : « Vous n’êtes pas en chair » ; et ailleurs encore : « Ceux qui sont, en chair ne peuvent plaire à Dieu ». (Rom 8,9, 8) C’est pourquoi par ces paroles : « Je le dis », il veut nous faire entendre que sous ces discours ont pour objet de nous apprendre que les actions mauvaises ne nous introduiront point dans le royaume du ciel. Après la résurrection, il parle aussitôt du royaume du ciel, et c’est pour cela qu’il ajoute : « La corruption ne possédera point cet héritage incorruptible », c’est-à-dire, le vice ne possède pas cette gloire, cette perception et cette jouissance des choses incorruptibles : En beaucoup d’autres endroits il se sert encore de la même expression, disant : « Celui qui sème dans la chair récoltera la corruption de la chair ». (Gal 6,8) S’il parlait du corps, et non pas es actions mauvaises, il ne dirait pas la corruption ; car, en aucun endroit il n’appelle le corps sine corruption. En effet, ce n’est pas une corruption, mais une substance corruptible. Aussi, dans la suite de son discours, quand il parle du corps, il ne l’appelle pas une corruption, mais une substance corruptible, disant : Il faut que cette substance corruptible soit revêtue de l’incorruptibilité. Après qu’il a fini ces exhortations relatives à la conduite de la vie, il fait ce qu’il a coutume de faire, il mêle continuellement un sujet à un autre sujet, il revient à son discours sur la résurrection, disant : « Voici que je dis un mystère (51) ». 2. Il va donc révéler un mystère vénérable, et que tous ne connaissent pas ; il montre qu’il leur fait là un grand honneur en leur révélant les choses cachées. Et qu’est-ce ? « Nous ne mourrons pas tous, mais nous serons tous changés ». Voici ce qu’il veut dire : nous ne mourrons pas tous, mais nous serons tous transformés, même ceux qui ne meurent point ; car ceux-là aussi sont mortels. Parce que vous mourrez, dit-il, ne craignez pas de ressusciter ; il en est, en effet, il en est quelques-uns qui éviteront la mort, et cependant cela ne leur suffit pas pour la résurrection, mais il faut que ces corps mêmes qui ne meurent point soient transformés et passent à un état incorruptible. « En un moment, en un clin « d’œil, au son de la trompette du jugement dernier. (52) ». Comme il a longuement parlé de la résurrection, il montre à propos ce qu’il y a d’étonnant en elle, et de contraire à l’opinion commune. En effet, dit saint Paul, il n’est pas seulement étonnant que les corps se putréfient d’abord et ressuscitent ensuite, et que les corps ressuscités l’emportent sur ceux que nous voyons aujourd’hui ; ni qu’ils passent à une condition bien meilleure, ni que chacun reçoive ce qui lui appartient, et que personne ne reçoive ce qui appartient à d’autres ; mais, ce qui est étonnant, c’est que tant de miracles et de si grands, et qui dépassent toute raison et toute imagination, s’accomplissent en ce moment. Et pour exprimer cela plus clairement, il dit : « En un clin d’œil », c’est-à-dire, dans le temps qu’il faut pour fermer les yeux. Ensuite comme il parle d’une chose grande et qui doit nous frapper de stupeur, de tant de merveilles accomplies tout d’un coup ; il ajoute pour le prouver et : pour rendre croyable ce qu’il dit : « En effet, la « trompette sonnera et les morts ressusciteront incorrompus, et nous serons transformés ». Cette parole « nous » ne s’applique pas à lui-même, mais à ceux qui alors seront trouvés vivants. « Il faut que cette substance corruptible soit revêtue d’incorruptibilité (53) ». Quand vous entendrez dire que la chair et le sang ne posséderont pas le royaume de Dieu, pour que vous n’alliez pas croire que les corps ne ressuscitent pas, il ajoute : « Car il faut que ce corps corruptible sait revêtu de l’incorruptibilité, et que ce corps mortel soit revêtu de l’immortalité ». Le corps est corruptible et mortel, et c’est pour cela que le corps subsiste ; car le corps, c’est la substance. La mortalité et la corruption, au contraire, sont détruites et disparaissent, tandis que l’immortalité et l’incorruptibilité deviennent le partage du corps. Ne doutez donc plus que le corps ne doive vivre éternellement, en apprenant qu’il devient incorruptible et qu’il est affranchi des lois de la mort. Quand ce corps corruptible aura revêtu l’incorruptibilité, et que ce corps mortel aura revêtu l’immortalité ; alors sera accomplie cette parole de l’Écriture : « La mort a été absorbée par la victoire (54) ». Après avoir révélé de grands mystères, il rend tout ce qu’il avance croyable et digne de foi, en s’appuyant sur la prophétie. La mort a été absorbée par la victoire ; c’est-à-dire, que le rôle de la mort est terminé. Il n’en geste plus rien ; elle ne reviendra plus. L’incorruptibilité a détruit la corruption et la mort. « O mort, où est ta victoire ? Enfer, où est ton aiguillon (55) ? » Quelle force et quelle noblesse d’inspiration ! C’est comme un sacrifice offert à la victoire. C’est un mortel inspiré de Dieu qui, l’œil fixé sur l’avenir comme sur un fait déjà accompli, insulte à la mort terrassée ! et, le pied sur la tête de l’ennemi vaincu, entonne un chant de victoire, en s’écriant « O mort, où est ton aiguillon ? Enfer, où est ta victoire ? » C’en est fait de tes armes ; tu as travaillé en vain. Voilà en effet la mort dépouillée de ses armes ! La voilà vaincue ! Que dis-je ? Elle disparaît, elle rentre dans le néant. « Or le péché est l’aiguillon de la mort : et sa loi est la force du péché (56) ». Voyez-vous comme il parle de la mort corporelle ? C’est donc aussi de la résurrection du corps qu’il veut parler. Car s’il n’y a pas « de résurrection pour le corps, comment la mort est-elle absorbée?. Ce n’est point ici la seule difficulté ; comment en outre la loi est-elle la force du péché ? C’est qu’en l’absence de la loi, le péché n’avait pas un caractère aussi, prononcé ; il avait bien lieu, mais on ne pouvait le frapper d’une condamnation aussi énergique. La loi n’a pas peu contribué à le mettre en relief, en lui infligeant de plus rudes châtiments. Que si, en voulant guérir le mal, elle l’a aggravé, le coupable, dans ce cas, n’est pas le médecin ; c’est le malade qui n’à pas sa profiter du remède. La venue du Christ aussi a été funeste aux Juifs ; elle n’a fait qu’aggraver et grossir le fardeau de leurs iniquités. Mais ce n’est pas là une raison pour blâmer le Christ ; le Christ n’en est que plus admirable, et les Juifs n’en sont que plus odieux pour avoir tourné contre eux-mêmes l’instrument de leur salut. Ce qui prouve que, par elle-même, la foi ne peut servir d’auxiliaire du péché, c’est que le Christ l’a strictement observée, et que le Christ était exempt de péchés. Mais réfléchissez, et vous verrez que les vérités exprimées par Paul au sujet du péché et de la loi viennent à leur tour confirmer 1e dogme de la résurrection. Si en effet le péché était par lui-même une cause de mort, si le Christ est venu détruire le péché et nous en délivrer par le baptême, si d’un autre côté il a détruit et anéanti l’ancienne loi, dont la violation et la transgression donnait au péché plus de consistance, pourquoi douter encore de la résurrection ? Comment la mort s’y prendra-t-elle désormais pour conserver son empire ? Se servira-t-elle de la loi ? elle est dissoute et abrogée. Se servira-t-elle du péché ? mais le péché est extirpé jusque dans sa racine. « Rendons grâce à Dieu qui nous a donné la victoire par Notre-Seigneur Jésus-Christ (57) ». 3. Car Jésus a élevé un trophée et nous a décerné des couronnes qui ne nous étaient pas dues, mais qui sont un présent de sa bonté. « Ainsi, mes frères, demeurez fermes et inébranlables (58) ». Cette exhortation a pour elle la justice et l’à-propos. Point de faiblesse ; point d’hésitation ; ne vous laissez pas abattre, ne vous découragez pas sans motifs. « Travaillez sans cesse à l’œuvre de Dieu » ; c’est-à-dire, à rendre votre vie pure. Il ne dit pas : Faites le bien, mais : « Travaillez sans cesse, pour que le zèle déborde de vos cœurs quand vous vous mettez à l’œuvre, pour que vous fassiez votre devoir et au-delà. « Sachant que votre travail ne sera pas sans récompense en Notre-Seigneur » : Que dis-tu, Paul ? Encore des travaux ? Oui, encore des travaux ; mais des, travaux qui rapportent des couronnes, et qui ont le ciel en perspective. Car autrefois, en laissant derrière lui, le paradis, l’homme a dû souffrir des travaux qui étaient le châtiment de ses fautes ; les travaux dont il s’agit, au contraire, lui promettent les palmes de la vie future. Lorsqu’on se place à un pareil point de vue, lorsqu’on lève les, yeux et qu’on aperçoit les secours qui nous viennent d’en haut, ce ne sont plus là des travaux. Aussi Paul a-t-il dit : Votre travail ne sera pas sans récompense en Notre-Seigneur. Nos premiers travaux étaient un châtiment ; ceux-ci ne sont qu’un acheminement au bonheur qui nous est réservé dans l’autre vie. Il ne faut donc pas nous endormir, mes chers frères. Ce n’est point en nous laissant aller au courant de la paresse et de l’inertie que nous arriverons au royaume des cieux ; ce n’est point en nous abandonnant aux délices d’une vie molle et efféminée. Estimons-nous heureux de pouvoir conquérir un si grand bonheur à force de pénitences, de mortifications, de souffrances sans nombre, de difficultés et de travaux. N’apercevez-vous pas l’intervalle immense qui sépare la terre des cieux, les guerres qui nous menacent, la pente qui entraîne l’homme vers le vice, les précipices dont le péché nous entoure, et les pièges qu’il sème au milieu de notre route ? Pourquoi donc nous créer tant de soucis qui ne nous sont pas imposés par la nature ? Pourquoi nous susciter cette foule d’embarras ? Pourquoi nous charger de tant de fardeaux ? Le Christ n’a-t-il pas voulu nous détourner de tous ces soins en nous disant : « Ne vous inquiétez ni de votre nourriture ni de votre habillement ? » (Mat 6,25) Or, si nous ne devons nous inquiéter ni de la nourriture qui nous est nécessaire, ni de nos vêtements, à quoi bon cet attirail et ce luxe ? Ceux qui se plongent dans le gouffre de tant de besoins factices ; pourront-ils jamais en sortir ? Est-ce que saint Paul ne vous a pas dit : « Celui qui est enrôlé au service de Dieu, ne s’embarrasse point des affaires de cette vie ? » (2Ti 2,4) Malgré cela, nous nous plongeons dans les d’élites, nous sommes esclaves de notre ventre, nous nous enivrons, nous nous tourmentons pour des choses qui nous sont étrangères, et nous n’apportons aux choses célestes que l’attention d’une âme molle et efféminée. Ne savez-vous pas que la récompense qui vous est promise est une récompense plus qu’humaine ? Quand on rampe sur la terre, on ne peut monter au ciel ; et nous, loin de nous étudier à mener une vie conforme à la nature de l’homme, nous nous ravalons au-dessous de la brute. Ne savez-vous donc pas à quel tribunal vous comparaîtrez ? Ne songez-vous donc pas qu’on vous demandera compte de vos paroles et de vos pensées ; à vous qui ne veillez même pas sur vos actions ? « Un regard lascif jeté sur une femme est déjà l’adultère ». (Mat 5,28) Et ces hommes qui auront à rendre compte d’un simple regard de curiosité, ne craignent pas de pourrir dans le péché ! « Celui qui traite son frère de sot, sera plongé dans la géhenne ». (Mat 5,22) Et nous ne cessons d’accabler notre prochain d’outrages, nous ne cessons de lui dresser des embûches de toute espèce ! Il est tout simple d’aimer celui qui nous aime ; c’est là le mérite d’un païen. Et nous autres, nous haïssons ceux-là même qui nous aiment ! Quel pardon pouvons-nous espérer ? Nous devrions, on nous l’a ordonné, ne pas nous contenter d’observer les prescriptions de l’ancienne loi, et, dans la mesure même de cette ancienne loi, notre vertu est insuffisante ! Quelle bouche éloquente nous arrachera au châtiment qui nous menace ? Quel défenseur viendra nous assister et nous secourir, nous, misérables pécheurs marqués pour le, supplice ? Aucun ; mais nous hurlerons comme des réprouvés, nous pleurerons, nous grincerons des dents, nous gérons en proie aux tourments ; car nous serons condamnés à de profondes ténèbres, à des douleurs inévitables, à des peines insupportables. C’est pourquoi, je vous en prie, je vous en conjure, je vous en supplie à genoux : tandis que ; pour marcher dans cette vie, nous avons encore quelque appui, ouvrons nos âmes aux paroles de l’apôtre ; qu’elles excitent en nous des sentiments de componction ; convertissons-nous ; devenons meilleurs. Ne nous exposons pas, comme le mauvais riche, à pousser des lamentations inutiles, quand nous serons jetés dans les ténèbres extérieures. Ne nous exposons pas à répandre des larmes qui ne sauraient remédier à nos maux. En vain un père, un fils, un ami, qui aurait auprès de Dieu quelque influence, élèverait pour vous la voix, si vos actions étaient là pour vous condamner. Tel est ce tribunal : il juge d’après les actes ; nos actes seuls peuvent nous sauver. En vous tenant un pareil langage, je ne veux pas vous affliger, je ne veux pas vous jeter dans le désespoir ; je veux que, renonçant à nous repaître de vaines et frivoles espérances, nous cultivions la vertu, sans mettre notre confiance, dans tel ou tel secours étranger. Si nous sommes lâches et négligents, il n’y aura ni Juste, ni prophète, ni apôtre, il n’y aura personne qui soit en état de venir à notre aide. Mais soyons zélés, soyons diligents, et nous trouverons dans nos actes de puissants défenseurs, et nous jouirons en toute liberté, en toute sûreté, du bonheur que Dieu réserve à ceux qui l’aiment. Ce Bonheur, puissions-nous tous l’obtenir, etc. Traduit par M. BAISSEY