1 Corinthians 4
HOMÉLIE XI.
POUR MOI, JE ME METS FORT PEU EN PEINE D’ÊTRE JUGÉ PAR VOUS OU PAR UN TRIBUNAL HUMAIN ; BIEN PLUS, JE NE ME JUGE PAS MOI-MÊME. À LA VÉRITÉ, MA CONSCIENCE NE ME REPROCHE RIEN, MAIS JE NE SUIS PAS POUR CELA JUSTIFIÉ ; CELUI QUI ME JUGE, C’EST LE SEIGNEUR. (CH. 4,3, 4, JUSQU’AU VERS. 5)
ANALYSE.
- 1. Saint Paul se tient également éloigné de l’orgueil et de la bassesse.
- 2. Il se peut que notre conscience ae nous reproche rien, et que cependant nous ne soyons pas pour cela, justifiés.
- 3. Combien les hommes se trompent dans leurs jugements, et qu’ils sont téméraires. – Que l’homme ne se connaît pas, et ne peut se juger lui-même.
- 4-6. Contre les avares et les impudiques. – Compassion pour les pauvres honteux. – Contre ceux qui insultent aux pauvres. – Sage ménagement pour guérir un avare.
1. Parmi bien d’autres maux, je ne sais comment s’est introduite dans la nature humaine la maladie d’une vaine et inopportune curiosité ; maladie que le Christ a condamnée, en disant : « Ne jugez point, afin que vous ne soyez point jugés » (Mat 7,1) ; maladie qui n’emporte pas même le plaisir qui peut s’attacher aux autres péchés, mais n’attire que peine et châtiment. En effet, quoique accablés nous-mêmes de maux sans nombre, quoique portant des poutres dans nos yeux, nous examinons avec sévérité les fautes de notre prochain, n’eussent-elles que la grosseur d’un fétu ; comme cela arrivait à Corinthe. En effet, les Corinthiens livraient à la risée, expulsaient même des hommes pieux, amis de Dieu, à cause de leur ignorance, et ils entouraient de leur estime des hommes chargés de vices, à cause de leur éloquence. Ensuite assumant le rôle de juges, ils prononçaient inconsidérément leurs arrêts : Un tel a de la valeur ; celui-ci est préférable à celui-là ; l’un vaut moins que l’autre ; un tel est au-dessus d’un tel ; ils jugeaient les autres, sans songer à pleurer sur leurs propres misères, et soulevaient ainsi de dangereux débats. Voyez-vous avec quelle prudence Paul les corrige de cette maladie ? Après avoir dit : « Ce qu’on demande dans les dispensateurs. C’est que chacun soit trouvé fidèle », et avoir paru leur donner un motif d’examiner et de juger la conduite de chacun (ce qui devenait une occasion de trouble) ; afin de les garantir de ce vice, il les détourne d’un sujet si irritant, en disant : « Pour moi, je me mets fort peu en peine d’être jugé par vous », se remettant ainsi lui-même en scène. Mais qu’est-ce que cela veut dire : « Je me mets fort peu en peine d’être jugé par vous ou par un tribunal humain ? » Cela signifie Je me juge indigne d’être jugé par vous ; que dis-je, par vous ? et même par tout autre. Mais que personne n’accuse Paul d’orgueil, s’il déclare que personne n’est digne de prononcer un jugement sur lui. D’abord il ne parle pas ? ici dans son intérêt, mais pour protéger ceux que les Corinthiens importunaient ; ensuite ce n’est pas seulement aux Corinthiens, mais à lui-même, qu’il refuse le droit de juger, eh affirmant que ce droit dépasse ses forcés : en effet, il ajoute : « Bien plus, je ne me juge pas moi-même ». Là-dessus, il faut rechercher le motif qui le fait parler ainsi : car souvent il prend un langage magnifique, non par orgueil ou par présomption, mais dans des vues excellentes. Ici son but n’est pas de s’élever, mais d’abaisser les autres, et de relever la dignité des saints. Et, pour preuve de sa profonde humilité, écoutez ce qu’il dit, en produisant le témoignage même de ses ennemis : « Mais, quand il est présent, il paraît chétif de corps et vulgaire de langage » (2Co 10,10) ; et encore : « Et enfin, après tous les autres, il s’est fait voir aussi à moi comme à l’avorton ». (1Co 15,8) Mais cet homme si humble, voyez comme il sait, dans l’occasion, relever ses disciples, non en leur inspirant l’orgueil, mais le sentiment de la vérité, alors qu’il leur dit : « Or si le monde doit être jugé par vous, êtes-vous indignes de juger des moindres choses ? » (1Co 6,2) Comme il convient que le chrétien se tienne à une grande distance de la forfanterie, ainsi doit-il être étranger à la flatterie et à tout sentiment ignoble. Si quelqu’un dit : Je regarde l’argent comme rien ; pour moi le présent est une ombre, un songe, un jouet d’enfant ; ne l’accusons pas pour cela de vanterie ; car il faudrait adresser ce reproche à Salomon qui, traitant ce même sujet, s’écrie : « Vanité des vanités ! Tout est vanité ! » Mais à Dieu ne plaise que nous donnions à cette sagesse le nom de vanterie ! Mépriser ces choses n’est donc point folie, mais grandeur d’âme, bien que nous voyions les rois et les princes les revendiquer pour eux. Mais le pauvre vraiment sage, les dédaigne souvent ; et nous ne l’appelons pas orgueilleux pour autant, mais magnanime ; comme nous n’appelons pas humble et modeste celui qui les recherche avec ardeur, mais faible ; pusillanime et servile. Si un fils dédaignant ce qui appartient à son père, se prenait d’admiration pour la condition des esclaves, nous ne le louerions pas comme un homme humble, mais nous le blâmerions comme un être bas et ignoble, et nous l’admirerions dans le cas contraire. En effet, se croire meilleur que ses frères, c’est arrogance ; mais porter sur les choses un jugement vrai, ce n’est plus arrogance, mais sagesse. 2. Ce n’est donc point pour se vanter, mais pour humilier les autres, abattre leur enflure et les porter à la modestie, que Paul dit : « Pour moi je me mets fort peu en peine d’être jugé par vous ou par un tribunal humain ». Voyez-vous comme il les guérit ? Quiconque l’aura entendu dire qu’il n’a souci de personne et qu’il n’accepte point de juge ne pourra plus se plaindre d’être seul mis de côté. S’il eût dit seulement : « Par vous », et rien de plus, cela aurait pu les blesser comme signe de mépris. Mais en ajoutant : « Ou par un tribunal humain », il applique le remède à la plaie, en leur faisant voir qu’ils ne sont pas seuls l’objet de son dédain. Il guérit encore la blessure, en disant : « Bien plus, je ne me juge pas moi-même ». Vous voyez donc qu’il ne parle point par arrogance, puisqu’il ne se croit pas lui-même capable d’un jugement exact. Et comme son langage paraissait cependant dicté par un extrême orgueil, il y met un correctif, en disant : « Mais je ne suis pas pour cela justifié ». Quoi donc ! Il ne faut pas le juger soi-même, ni ses fautes ? Cela est nécessaire, au contraire ; et grandement nécessaire, quand nous avons péché : Mais ce n’est pas là ce qu’entend Paul ; il dit : « À la vérité ma conscience ne me reproche rien ». Quel péché pouvait-il juger, puisqu’il n’en avait point à se reprocher ? Et cependant il ne se dit pas justifié. Que dirons-nous donc ; nous qui avons l’âme couverte de mille plaies, qui avons la conscience, de toute sorte de mal, et d’aucun bien ? Et comment, n’ayant conscience d’aucun mal, n’est-il pas justifié ? Parce qu’il lui arrivait de commettre des fautes, qu’il ne connaissait point comme telles. Jugez par là de la sévérité du futur jugement. S’il déclare donc se mettre peu en peine d’être jugé par eux, ce n’est pas parce qu’il se croit irréprochable, mais pour fermer la bouche à ceux qui le jugeaient au hasard. Ailleurs, en effet, il a permis à d’autres de juger de fautes même secrètes, parce que la circonstance l’exigeait. « Toi donc », dit-il, « pourquoi juges-tu ton frère ? Ou pourquoi méprises-tu ton frère ? » Tu n’es point chargé, ô homme, de juger les autres, mais de t’examiner toi-même. Pourquoi usurpes-tu le rôle du Maître, C’est à lui, et non à toi, à juger. Aussi ajoute-t-il : « C’est pourquoi ne jugez pas avant le temps, jusqu’à ce que vienne le Seigneur, qui éclairera ce qui est caché dans les ténèbres, et manifestera les pensées secrètes des cœurs ; et alors chacun recevra de Dieu sa louange ». Quoi donc ! les maîtres ne doivent-ils pas faire cela ? Oui, ils le doivent, pour les péchés connus et avoués, et dans le moment opportun, quand les coupables éprouvent la douleur et le remords ; et non par vaine-gloire et par présomption, comme on le faisait alors. Ici Paul ne parle pas des fautes publiques et avouées, mais de la préférence accordée à l’un sur l’autre, et de la comparaison que l’on établit entre leur conduite. Car Celui-là seul peut en juger exactement, qui jugera un jour nos fautes cachées, assignera à chacun le degré de supplice ou d’honneur qu’il aura mérité : ce que nous ne faisons, nous, que sur les apparences. Si je ne vois pas clairement en quoi j’ai péché, dit-il, comment serais-je capable de porter une sentence sur les autres ? Moi qui ne me connais pas exactement, comment pourrais-je juger autrui ? Or si Paul agissait ainsi, à combien plus forte raison le devons-nous nous-mêmes. Il ne disait point cela pour se faire croire irrépréhensible, mais pour leur montrer que quand même il s’en trouverait un parmi eux qui n’eût point péché, il ne serait cependant pas autorisé à juger les autres ; et que si lui, à qui sa conscience ne reproche rien, n’est pourtant point justifié, ils le sont beaucoup moins encore, eux qui se sentent coupables de mille péchés. Après avoir ainsi fermé la bouche à ceux qui hasardent de tels jugements, il lui tarde de faire éclater son indignation contre les incestueux ; comme, à l’approche de l’orage, apparaissent d’abord certains nuages noirs ; ensuite, quand le tonnerre fait entendre son fracas, et que le ciel entier ne forme plus qu’une nuée, alors la pluie se précipite à torrents sur la terre ; ainsi en est-il dans ce moment. En effet, pouvant tout d’abord décharger son courroux sur le coupable, il ne le fait pas ; mais il réprime d’abord son orgueil par des paroles effrayantes. C’est qu’il y avait là double mal : la fornication, et quelque chose de pire que la fornication : le défaut de repentir d’un si grand péché. Car ce n’est pas tant sur le pécheur que sur le pécheur impénitent que l’apôtre pleure : « Je pleurerai », dit-il ; « non seulement beaucoup de ceux qui ont d’abord péché, mais encore de ceux qui n’ont pas fait pénitence des impudicités et des impuretés qu’ils ont commises ». (2Co 12,21) Car il ne faut pas pleurer celui qui fait pénitence après soit péché, mais plutôt le féliciter, puisqu’il est passé dans l’assemblée des justes. « Confessez d’abord vos iniquités », dit le prophète, « afin d’en être lavé ». (Isa 43,26) Mais si, après sa faute, il ne sait pas rougir, il est digne de compassion, moins pour être tombé que pour persévérer dans sa chute. 3. Que si c’est un grand mal de ne pas se repentir quand on est coupable, quel châtiment méritera-t-on pour s’enorgueillir des fautes commises ? En effet, si l’homme qui se glorifie du bien qu’il a fait est impur, comment excuser celui qui se vante de ses péchés ? Et comme c’était là l’état du fornicateur, et qu’il devait au péché même son impudence et son obstination, l’apôtre a nécessairement dû d’abord abattre son orgueil. Ce n’est point son crime qu’il dénonce le premier, de peur qu’il ne dépouille toute pudeur, en se voyant accusé avant les autres ; ce n’est point non plus celui qu’il accuse le dernier, pour ne pas lui laisser croire que c’est une chose de peu d’importance à ne traiter qu’en passant ; mais après l’avoir d’abord effrayé par la liberté de langage dont il use envers les autres, et avoir ébranlé, troublé son orgueil par le reproche adressé à tous, il va enfin droit à lui. Car ces paroles : « Ma conscience ne me reproche rien » ; et ces autres : « Celui qui me juge, c’est le Seigneur, qui éclairera ce qui est caché dans les ténèbres, et manifestera les pensées secrètes des cœurs » ; ces paroles, dis-je, ne le ménagent guère, ni lui ni ceux qui lui applaudissaient et méprisaient les saints. À quoi sert, dit-il, à quelques-uns de paraître extérieurement vertueux et dignes d’admiration ? Le juge ne juge pas seulement les apparences, mais traduit les secrets au grand jour. Pour deux, et même pour trois raisons, nous ne pouvons juger exactement des choses : d’abord parce que quand même nous n’avons conscience d’aucun péché, nous avons cependant besoin de Dieu pour nous faire voir nos fautes avec exactitude ; ensuite parce que la plupart des choses qui se passent, nous échappent et nous restent cachées ; en troisième lieu, parce que souvent les actions des autres nous paraissent bonnes, et ne procèdent pas d’une intention droite. Pourquoi dites-vous donc qu’un tel ou un tel n’a point fait de mal, ou que celui-ci vaut mieux que celui-là ? Il n’est pas permis de parler ainsi, pas même de celui qui n’a rien à se reprocher ; Celui qui connaît les choses secrètes, peut seul porter des jugements exacts. Donc : Ma conscience ne me reproche rien, mais je ne suis pas justifié pour cela ; c’est-à-dire, je ne suis pas dispensé de rendre compte, ni à l’abri de toute accusation. Il ne dit pas : Je ne suis point rangé parmi les justes ; mais Je ne suis pas exempt de péché. Car il dit ailleurs. : « Mais celui qui est mort est justifié du péché » (Rom 6,7) ; c’est-à-dire, en est délivré. Or nous faisons bien des choses qui sont bonnes, mais ne partent pas d’une intention droite. Et nous louons, bien des gens, non dans le but de leur procurer de la gloire, mais pour en blesser d’autres à leur occasion. En soi, cela est bien, puisqu’on loge celui qui a bien fait : mais l’intention de celui qui loue est gâtée ; elle est une inspiration de Satan, Souvent, en effet, on ne se propose pas de féliciter un de ses frères, mais d’en frapper un autre dans sa personne. En revanche, quelqu’un a commis une grosse fauté ; un autre qui a envie de le supplanter, prétend qu’il n’a rien fait, le console d’avoir péché, l’excuse par le penchant commun, le la nature ; mais souvent en cela il se propose moins d’être indulgent, que de rendre le coupable plus relâché. Ou encore on reprend souvent, non pour convaincre et avertir, mais pour rendre la faute publique et notoire. Les hommes ne pénètrent pas les intentions ; mais Celui qui scrute le fond des cœurs les connaît parfaitement, et un jour il les mettra en lumière. C’est ce qui fait dire à Paul : « Qui éclairera ce qui est caché dans les ténèbres, et manifestera les pensées secrètes des cœurs ». Si donc on n’est pas innocent pour n’avoir rien à se reprocher ; et si, même eu faisant le bien, ou s’expose au châtiment, quand l’intention n’est pas droite : songez avec quelle facilité les hommes se trompent dans leurs jugements. Car l’homme ne saurait tout atteindre ; cela n’est possible qu’à l’œil qui ne, dort pas ; si nous pouvons tromper les hommes, nous ne le tromperons jamais. Ne dites donc pas : Les ténèbres m’environnent et sont pour moi un rempart ; qui me voit ? Celui qui a formé chaque cœur en particulier, sait tout, et les ténèbres n’ont pour lui rien d’obscur. Cependant le pécheur a raison de dire. Les ténèbres m’environnent et sont pour moi un rempart ; car s’il ne faisait pas nuit dans son âme, il n’eût pas ainsi secoué la crainte de Dieu pour agir en liberté. Si le conducteur n’avait pas d’abord été aveuglé, le péché ne serait pas entré si facilement. Ne dites donc pas : Qui me voit ? Car il y a quelqu’un qui pénètre le cœur et l’esprit, les jointures et la moelle des os ; mais vous, vous ne vous voyez pas, vous ne pouvez fendre la nue ; environné d’un mur de tops côtés, vous ne pouvez regarder le ciel. 4. Quel péché voulez-vous que nous examinions d’abord ? Vous vous convaincrez que c’est ainsi qu’il se commet. Quand les voleurs de nuit veulent enlever quelque chose de précieux, ils éteignent d’abord la lanterne, et se mettent ensuite à l’œuvre ; ainsi chez les pécheurs procède la raison égarée.: La raison est, en effet, chez nous une lampe toujours allumée. Mais si l’esprit de fornication, dans une irruption violente, a éteint cette flamme, aussitôt il met l’âme dans les ténèbres, l’attaque et dévaste tout en elle. Car comme les nuages et le brouillard enveloppent les yeux du corps ; ainsi, quand la passion impure s’est emparée de l’âme, elle lui ôte la faculté de prévoir, ne lui permet pas de rien voir au-delà de l’objet présent, ni le précipice, ni l’enfer, ni tant de choses effrayantes ; mais tyrannisée par ces tentations, l’âme est aisément subjuguée par le péché ; il y a comme un mur sans fenêtres, élevé devant elle qui ne lui laisse point parvenir le rayon de la justice, parce que les raisonnements absurdes de la passion l’assiègent de tous, côtés ; elle n’a plus qu’un objet devant les yeux, dans l’esprit, dans la pensée, la femme publique. Et comme des aveugles, debout, en plein air et à midi, ne reçoivent point la lumière du soleil, puisque leurs yeux sont fumés ; ainsi les malheureux, en proie à cette maladie ; ferment leurs oreilles aux nombreux ; et salutaires enseignements qui retentissent autour d’eux. Ceux-là le savent qui en ont fait l’expérience. Et à Dieu ne plaise qu’aucun (le vous l’ait faite ! Et ce que nous disons ici ne s’applique pas seulement à ce genre de péché, mais à toute affection désordonnée. – Transportons, si vous le voulez, la question de la femme publique à l’argent, et nous retrouverons encore d’épaisses ténèbres. – Là, comme l’amour se concentre sur une seule personne et sur un seul lieu, la passion est moins violente ; mais ici, comme l’argent se fait voir de toutes parts, dans les hôtels de monnaie, dans les hôtelleries, dans les boutiques d’orfèvres, dans les maisons des riches, le souffle de la passion est violent. Quand l’homme atteint de cette maladie voit des domestiques écarter la foule sur les places publiques, des chevaux aux harnais dorés, des hommes magnifiquement vêtus, il se trouve enveloppé de profondes ténèbres. Mais à quoi bon parler de palais et d’hôtels de monnaie ? Pour moi, je suis convaincu qu’à voir seulement la richesse en peinture ou en image, ces hommes sont déchirés, saisis de fureur et de rage ; en sorte que la nuit les assiège partout. S’ils jettent les yeux sur la statue d’un roi, ils n’admirent pas la beauté des pierres précieuses, ni l’or, ni le manteau de pourpre, mais ils sèchent d’envie. Et gomme ce malheureux amant, en présence du portrait de sa maîtresse, reste cloué à cet objet inanimé ; ainsi l’homme dont nous parlons, devant le tableau inanimé de la richesse, éprouve un tourment semblable, plus grand même, parce que sa maladie est plus tyrannique ; et il est réduit ou à rester chez lui, ou, s’il paraît en public, à rentrer percé de mille coups, à raison de la multitude des objets qui ont blessé ses yeux. Et comme l’impudique ne voit rien autre chose que la femme objet de sa passion, ainsi l’ami des richesses perd de vue les pauvres et toute autre chose, même ce qui pourrait le soulager : mais son regard, sans cesse fixé sur les riches, puisé dans ce spectacle un grand feu qui s’introduit dans son âme. Car c’est un Véritable feu qui l’envahit et le consume ; et quand même il ne serait pas arénacé de l’enfer et de supplice, son état présent lui serait un supplice, à savoir ces tortures continuelles et cette maladie sans fin. Cela seul devrait guérir d’un tel mal ; mais il n’y a rien de pire que la folie qui s’attache à des objets qui font souffrir sans apporter aucun profit. C’est pourquoi je vous exhorte à couper ce mal dès le début. Comme la fièvre qui commence ne procure pas d’abord une soif bien brûlante, mais quand elle a grandi et allumé le feu, elle en cause une qui ne peut plus s’éteindre, en sorte que la boisson la plus abondante ne saurait l’étancher, et ne fait qu’attiser la fournaise ; ainsi arrive-t-il dans cette passion : si nous ne l’arrêtons pas dès le principe, si nous ne lui fermons pas la porte de notre âme, une fois entrée, elle nous donnera une maladie qui ne pourra plus se guérir. Car le bien et le mal se fortifient en nous par la durée. 5. Il en est de même en toutes choses. Ainsi une jeune plante s’arrache facilement ; mais quand elle a jeté des racines par l’effet du temps, on ne l’extirpe qu’avec de puissants leviers. Un édifice récent se renverse sans peine ; mais quand il est affermi, il demande des efforts à ceux qui essaient de le détruire. Une bête sauvage qui a longtemps habité un lieu, en est difficilement expulsée. Je supplie donc ceux qui ne connaissent pas encore cette maladie, de s’en garantir ; il est plus aisé d’éviter la chute que de s’en relever. Quant à ceux qui en sont atteints, s’ils veulent prendre la raison pour médecin, je leur promets de grandes chances de salut par la grâce de Dieu. En songeant à ceux qui sont tombés dans de mal et s’en sont guéris, ils concevront l’espoir d’en être délivrés eux-mêmes. Qui donc a souffert de dette passion et s’en est facilement débarrassé ? Zachée. Qui fut jamais plus avide d’argent que ce publicain ? Mais il devint sage subitement, et éteignit l’incendie. Il en fut de même de Matthieu : car lui aussi était publicain, et continuellement occupé à la rapine. Mais lui aussi se dépouilla immédiatement du mal, éteignit sa soif et s’adonna au commerce spirituel. En vous rappelant ces exemples et d’autres semblables, ne perdez pas courage. Si vous le voulez, nous vous prescrirons une règle détaillée, suivant l’usage des médecins. Avant tout il faut d’abord ne pas perdre courage ni désespérer de son salut ; ensuite ne pas seulement songer à ceux qui se sont guéris du mal, mais encore aux souffrances de ceux qui y ont persévéré. Comme nous avons parlé de Zachée et de Matthieu, il faut aussi se souvenir de Judas, de Giezi, d’Achar, d’Achab, d’Avanie et de Saphire. Par les premiers, nous apprendrons à ne pas désespérer ; par les seconds à secouer notre paresse, à ne pas négliger les avertissements qu’on nous donne ; nous nous habituerons à nous dire à nous-mêmes ce que les Juifs disaient à saint Pierre : « Que faut-il faire pour être sauvés ? » (Act 2,37) Puis nous écouterons. Et que faut-il donc faire ? Comprendre le néant des choses, savoir que – la richesse est un esclave fugitif et ingrat, qui plonge ses possesseurs dans une multitude de maux ; et répéter sans cesse des vérités de ce genre. Et comme les médecins consolent les malades qui demandent de l’eau froide en leur permettant de leur en donner, puis prétextent l’éloignement de la source, l’absence de vase, l’inopportunité de la circonstance, et d’autres raisons de cette nature (car s’ils refusaient positivement, ils les mettraient en fureur) ; ainsi devons-nous faire avec ceux qui ont la soif des richesses ; quand ils disent qu’ils veulent être riches, gardons-nous de condamner d’abord les richesses comme un mal ; mais entrons dans leur pensée, et affirmons que nous aussi nous voulons acquérir des richesses, mais en temps opportun, et des richesses véritables, celles qui procurent une jouissance immortelle, celles qu’on amasse pour soi, et non pour d’autres, et souvent pour des ennemis ; parlons suivant les principes de la sagesse, et disons : Nous ne vous défendons pas d’être riches, mais mauvais riches ; car il est permis de s’enrichir, mais sans avarice, sans rapine, sans violence, sans se faire une mauvaise réputation chez tous. Après les avoir adoucis par ces raisons, ne parlons pas encore de l’enfer : un malade ne saurait d’abord supporter ce langage. Raisonnons donc sur le présent, et disons : Pourquoi voulez-vous vous enrichir par l’avarice, entasser de l’or et de l’argent pour d’autres, et vous attirer des malédictions et des accusations sans nombre ; tandis que le pauvre est tourmenté par la privation du nécessaire, gémit, excite contre vous mille accusateurs, parcourt le soir les places publiques, arrête tout le monde aux coins des rues, inquiet de la manière dont il passera la nuit ? Comment, en effet, goûterait-il le sommeil, pendant que son estomac le déchire, qu’il ne peut fermer les yeux, que la faim l’assiège, et qu’il est souvent exposé au froid et à la pluie ? Et vous, vous revenez du bain, lavé et couvert de moelleux vêtements, plein de satisfaction et de bonne humeur ; vous allez en hâte prendre place à un splendide festin qui vous attend ; tandis que lui, poursuivi par le froid, par la faim, erre sur la place publique, baissant la tête, tendant la main, n’osant pas même demander le morceau de pain dont, il a besoin à un homme repu et livré au repos, et se retire souvent accablé d’injures. Quand donc vous rentrez chez vous, quand vous reposez sur votre lit, quand votre demeure est splendidement éclairée ; quand un magnifique repas vous attend, souvenez-vous alors de ce pauvre, de cet infortuné errant, comme un chien, dans les rues, dans les ténèbres, dans la boue, et s’en allant souvent, non pour rentrer chez lui, pour rejoindre sa femme, pour se mettre au lit, mais pour s’étendre sur un peu de paille, comme nous le voyons faire aux chiens furieux qui aboient toute la nuit. Et vous, si vous voyez une seule goutte de pluie passer à travers votre toit, vous renversez tout dans la maison, vous appelez vos serviteurs, vous mettez tout en mouvement ; tandis que ce malheureux en haillons, couché sur de la paille et dans la boue, supporte toute la rigueur du froid. 6. Quelle bête sauvage y était insensible ? Quel homme serait assez dur, assez inhumain pour n’en être pas touché ? Et pourtant il y en a qui sont parvenus à ce degré de barbarie, de dire que ces pauvres méritent leur sort. Il faudrait plaindre, pleurer, soulager ces infortunés, et on les accuse avec inhumanité. Je demanderais volontiers : Pourquoi méritent-ils leur sort ? Est-ce parce qu’ils veulent manger et ne pas mourir de faim ? Non, répond-on, mais parce qu’ils sont paresseux. Et vous, ne vivez-vous pas dans l’oisiveté et dans les délices ? Bien plus, ne faites-vous pas pire que d’être oisif, en vous livrant à la rapine, à la violence, à l’avarice ? Il vaudrait mieux que vous fussiez oisif sur ce point ; car la paresse est moins coupable que l’avarice. Et maintenant vous insultez aux malheurs d’autrui, non seulement par votre oisiveté et par des opérations pires que l’oisiveté, mais en accusant ceux qui sont-en proie à la misère. Racontons-leur ensuite les malheurs d’autrui, parlons des orphelins en bas âge, des prisonniers, des victimes des tribunaux, de ceux qui craignent pour leur vie, des femmes condamnées subitement au veuvage, des changements soudains qui frappent les riches, et adoucissons-les par la crainte de ces maux. Car, par le tableau de malheurs étrangers, nous leur ferons comprendre qu’ils y sont exposés eux-mêmes. En effet, quand ils apprendront que le fils d’un tel qui fut avare et voleur, que la femme d’un tel qui s’est rendu coupable de nombreuses injustices, après la mort de son époux a souffert beaucoup de mauvais traitements ; que ceux qui avaient été lésés se sont rués sur la femme et les enfants du défunt ; qu’une guerre générale a été déclarée à sa maison : le plus insensible d’entre eux, s’attendant à subir un sort pareil, et le redoutant pour les siens, deviendra plus sage. Le monde est rempli d’exemples de cette nature, et ce genre de correction ne nous fera pas défaut. Seulement quand nous disons cela, que ce ne soit pas par manière d’exhortation ou de conseil, de peur d’être importuns, mais en façon de récit ; passons d’un autre sujet à celui-là ; ramenons continuellement ces exemples sous leurs yeux, en sorte qu’ils ne cessent de dire : Comment la maison d’un tel, si brillante, si magnifique, est-elle tombée ? Comment s’est-elle trouvée si délaissée, que tout ce qu’elle contenait soit passé en d’autres mains ? Combien de jugements, combien de négociations ont eu lieu au sujet de cette fortune ! Combien de serviteurs de ce propriétaire mendient aujourd’hui, ou sont morts en prison ? Et disons tout cela comme par un sentiment de compassion pour celui qui est mort, et de mépris pour les biens de ce monde, afin de toucher un cœur inhumain et par la crainte et par la pitié. Puis quand nous les verrons devenus sérieux à ces récits, alors parlons-leur de l’enfer, non pour paraître vouloir les effrayer, mais pour déplorer le sort des autres, et disons : À quoi bon parler du présent ? Notre destinée n’est pas limitée à ce terme ; mais un châtiment plus terrible attend des hommes comme ceux-là : à savoir, un fleuve de feu, un ver empoisonné, des ténèbres immenses, des supplices sans fin. Si nous les gagnons par ces récits, nous les corrigerons en nous corrigeant nous-mêmes, nous les guérirons promptement de leur maladie, et, en ce jour-là, nous recevrons des éloges de la bouche de Dieu même, selon ce que dit Paul : « Et alors chacun recevra de Dieu sa louange ». Car la louange qui vient des hommes, a peu de solidité et souvent ne procède pas d’un cœur bien disposé ; mais celle qui vient de Dieu est permanente et brille d’un vif éclat. Quand celui qui sait chaque chose avant qu’elle existe et qui juge sans passion, décerne un éloge, c’est une preuve incontestable de vertu. Convaincu de ces vérités, faisons en sorte de mériter les louanges de Dieu et d’obtenir les biens infinis. Puissions-nous tous y parvenir, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, en qui appartiennent, au Père, en union avec le Saint-Esprit, la gloire, la force, l’honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles : Ainsi soit-il. HOMÉLIE XII.
AU RESTE, MES FRÈRES, J’AI PERSONNIFIÉ CES CHOSES EN MOI ET EN APOLLON À CAUSE DE VOUS, AFIN QUE VOUS APPRENIEZ EN NOUS À NE PAS AVOIR DES SENTIMENTS CONTRAIRES À CE QUI EST ÉCRIT. – (CHAP. 4, VERS. 6, JUSQU’AU VERS. 9) ANALYSE.
- 1. Ici saint Paul déclare aux docteurs de Corinthe qu’il a fait leur procès sous les noms de Paul et d’Apollon ; et s’adressant tantôt aux maîtres et tantôt aux disciples, il cherche à leur inspirer aux uns et aux autres des sentiments d’humilité,
- 2. Saint Paul emploie l’ironie pour faire rentrer les Corinthiens en eux-mêmes.
- 3. Prudence de saint Paul ; son habileté à manier les esprits.
- 4-7. Contre la passion d’être estimé dans le monde. – Vanité dei louanges des hommes. – Mal que fait la fréquentation des théâtres, des hippodromes et des combats de bêtes. – Que les noces se célèbrent à Antioche d’une manière toute païenne et très condamnable. – Description de ces noces. – Superstitions diverses, telles que les ligatures, les sistres, etc. – Usage des pleureuses de pompes funèbres.
1. Tant qu’il a dû employer un langage sévère, il n’a pas levé le rideau ; mais il parlait comme s’il eût été lui-même un des accusés, afin que la dignité des personnes mises en jeu, faisant contre-poids aux accusations, empêchât tout mouvement de colère. Mais quand il a fallu se relâcher de sa rigueur, alors déchirant le voile et déposant le masque, il met en scène, en prononçant les noms de Paul et d’apollon, les personnages jusqu’alors tenus dans l’ombre. Voilà pourquoi il dit : « Au reste, mes frères, j’ai personnifié ces choses en moi et en Apollon », Et comme quand un enfant malade donne des coups de pied et refuse la nourriture qu’on lui présente de la part des médecins, ceux qui le soignent font venir son père ou son précepteur, et les prient d’offrir eux-mêmes l’aliment reçu de la main des médecins, afin que l’enfant, contenu par la crainte, le prenne et se tienne en repos ; ainsi Paul, se proposant d’intenter des accusations qui regardaient d’autres personnes, dont les unes ont été trop abaissées, les autres trop honorées, ne met d’abord point ces personnes en scène, mais parle en son nom et en celui d’Apollon, afin de faire accepter le remède qu’il veut appliquer, à la faveur du respect que ces deux noms inspirent ; puis le remède une fois accepté, il découvre enfin son but. Or, tout cela n’était point hypocrisie, mais condescendance et ménagement. S’il eût dit ouvertement : Vous jugez des saints, des hommes dignes d’admiration, il les eût irrités et repoussés ; mais en disant : « Pour moi, je me mets fort peu en peine d’être jugé par vous » ; et encore : « Qu’est-ce que Paul ? Qu’est-ce qu’Apollon ? » Il fait accepter sa parole. C’est pourquoi il dit : « J’ai personnifié ces choses en moi et en Apollon à cause de vous, afin que vous appreniez par notre exemple à ne pas avoir des sentiments contraires à ce qui est écrit », faisant voir par là que s’i leur avait parlé directement, ils n’auraient point appris ce qu’il fallait apprendre, ils ne se seraient point corrigés, mais blessés de son langage. Et maintenant, par respect polir Paul, ils acceptent le reproche sans difficulté. Mais que signifient ces mots : « Contraires à ce qui est écrit ? » Il est écrit : « Pourquoi voyez-vous la paille qui est dans l’œil de votre frère, et ne voyez-vous point la poutre qui est dans le vôtre ? Ne jugez pas, afin que vous ne soyez point jugés ». (Mat 7,3, 1) Car si nous sommes liés de manière à ne former qu’un corps, nous ne devons point nous élever les uns contre les autres. « Quiconque s’humiliera sera exalté » (Mat 23,12), dit Jésus-Christ. Et encore : « Que celui qui veut devenir le plus grand de tous, soit le serviteur de tous ». (Mrc 10,43) Voilà ce qui est écrit : « Afin que nul par attachement pour quelqu’un ne s’élève contre un autre ». Laissant de nouveau les maîtres de côté, il se tourne contre les disciples ; car c’étaient eux qui exaltaient les maîtres. D’ailleurs les chefs n’eussent pas facilement accueilli ce langage, parce qu’ils ambitionnaient la gloire du dehors, aveuglés qu’ils étaient par cette maladie ; mais les disciples étrangers à cette gloire, et se contentant de la procurer aux autres, étaient mieux disposés que leurs chefs à recevoir la réprimande et à se guérir. C’est donc encore de l’enflure de se glorifier pour un autre, même en dehors de ses propres intérêts. Car comme celui qui est fier des richesses des autres, cède à un sentiment d’orgueil ; ainsi en est-il de celui qui se pavane de la gloire d’autrui. Et c’est ce que Paul appelle avec raison enflure. Quand donc un membre s’élève, c’est qu’il y a inflammation et maladie ; car il resterait au niveau des autres, s’il n’était enflé. Ainsi dans le corps de l’Église, celui qui s’enflamme et s’enfle, est malade ; il dépasse la mesure commune. C’est en cela que consiste l’enflure. Il en arrive ainsi dans le corps, quand quelque humeur étrangère et maligne s’y introduit, et non la nourriture ordinaire. De même, l’orgueil naît quand des pensées étrangères nous envahissent. Et voyez avec quelle justesse il dit : « Ne vous enflez pas ! » En effet, l’homme enflé a comme une tumeur d’esprit, remplie d’une humeur corrompue. Il dit cela non pour empêcher la guérison, mais une guérison qui pourrait tourner à mal. Vous voulez guérir un tel ? Je le veux bien ; mais que ce ne soit pas au détriment d’un autre. Car ce n’est pas pour nous exciter les uns contre les autres qu’on nous a donné des maîtres, mais pour nous unir mutuellement. On donne un général à une armée, pour qu’il réunisse en un seul corps des membrés divisés ; s’il y apportait la division, il serait moins un général qu’un ennemi. « Car qui vous distingue ? et qu’avez-vous que vous n’ayez reçu ? » Laissant de côté les disciples, il s’adresse aux docteurs. Voici ce qu’il veut dire : Comment savez-vous que vous êtes dignes d’éloges ? Le jugement a-t-il eu lieu ? A-t-on fait l’examen ? Y a-t-il eu épreuve, enquête sévère ? Vous ne sauriez le dire. Et quand même les hommes donneraient leur suffrage, leur jugement n’est pas droit, Mais supposons que vous êtes dignes de louange, que vous avez réellement la grâce, que le jugement des hommes est sain ; eh bien ! ce n’est pas encore le cas de vous enorgueillir. Car vous n’avez rien de vous-mêmes, mais vous avez tout reçu de Dieu. Pourquoi faites-vous semblant d’avoir ce que vous n’avez pas ? Que si vous l’avez, les autres l’ont avec vous. Vous n’avez donc qu’après avoir reçu, non pas seulement ceci ou cela, mais tout ce que vous avez. 2. En effet ; vos bonnes actions ne sont pas à vous, mais viennent de la grâce de Dieu. Si vous parlez de la foi, elle est le fruit de la vocation ; si vous parlez de la rémission des péchés, des dons de la grâce, de l’enseignement de la parole, des vertus ; tout vous est venu de la même source. Qu’avez-vous donc, dites-moi, que vous n’ayez pas reçu et que vous ayez acquis par vous-mêmes ? Vous ne pouvez répondre. Quoi l vous l’avez reçu, et vous vous en enorgueillissez ? Il fallait au contraire vous en humilier ; puisque le don n’est pas à vous, mais à celui qui vous l’a fait. Si vous avez reçu, c’est donc de lui ; si vous avez reçu de lui, ce que vous avez reçu n’est donc pas à vous ; si ce que vous avez reçu n’est pas à vous, pourquoi vous en glorifiez-vous ; comme si c’était à vous ? Aussi l’apôtre ajoute-t-il : « Que si vous l’avez reçu, pourquoi vous en glorifiez-vous, comme si vous ne l’aviez pas reçu ? » Après avoir prouvé son sujet en passant, il fait voir qu’il leur manque bien des choses ; et il ajoute : Certainement quand même vous auriez tout reçu, vous ne devriez point vous en glorifier, car rien ne serait à vous ; mais il vous manque encore bien des choses. Il l’avait déjà insinué dès le commencement en disant : « Je n’ai vous parler comme à des hommes spirituels » ; et encore : « Je n’ai pas jugé que je fusse parmi vous autre chose que Jésus-Christ et Jésus-Christ crucifié ». Mais ici il le fait en les couvrant de honte : « Déjà vous êtes rassasiés, déjà vous êtes riches », c’est-à-dire, vous n’avez plus besoin de rien, vous êtes parfaits, vous êtes parvenus au faîte, vous croyez n’avoir plus besoin de personne, ni d’apôtres, ni de maîtres. « Déjà vous êtes rassasiés ». C’est à propos qu’il emploie ce mot : « Déjà », montrant par cet adverbe de temps combien leur opinion est peu admissible et déraisonnable. Il leur dit donc ironiquement : Vous êtes arrivés si vite à la perfection, et pourtant l’espace de temps ne le permettait pas. La perfection est l’œuvre de l’avenir ; être rassasié de peu indique une âme faible ; se croire riche de peu, est le propre d’une âme dégoûtée et misérable ; car la piété est insatiable ; c’est unie puérilité de croire tout posséder dès l’abord et de s’enorgueillir comme si l’on était arrivé au terme, quand on n’est encore qu’au début. Mais ce qui suit est encore plus propre à les couvrir de confusion. Après avoir dit : « Déjà vous êtes rassasiés », il ajoute : « Déjà vous êtes riches ; vous régnez sans nous, et plaise à Dieu que vous régiriez en effet, afin que nous régnions avec vous ». Ces paroles sont pleines de gravité : aussi ne les emploie-t-il qu’en dernier lieu et après une vive réprimande. C’est ainsi qu’une exhortation se fait respecter et accepter, quand après des accusations, on s’exprime de manière à faire rougir. Par là on contient même l’insolence de l’âme, et on la frappe plus sûrement que par des accusations manifestes, et on modère la douleur et l’audace qui doivent résulter de l’accusation. Car c’est là le merveilleux des paroles propres à donner la confusion, qu’elles produisent deux effets contraires : en faisant, une incision plus profonde, qu’une récrimination ouverte, et en rendant plus patient celui qui la reçoit. « Vous régnez sans nous ». Grande emphase, et à l’adresse des docteurs et à l’adresse des disciples. Il fait voir ici leur peu de conscience et leur extrême folie. Car voici ce qu’il veut dire : Dans les travaux tout est commun entre nous et vous, mais dans les récompenses et les couronnes vous êtes les premiers ; mais je dis cela sans douleur. Aussi ajoute-t-il : « Et plaise à Dieu que vous régniez en effet ! » Puis, pour ne pas avoir l’air de faire unie ironie, il continue : « Afin que nous régnions avec vous ». Ce qui veut dire : Car alors, nous aussi, nous aurions obtenir ces biens. Voyez-vous comme il montre tout à la fois sa gravité, sa sollicitude et sa sagesse ? Voyez comme il corrige leur orgueil par ce qui suit : « Car il me semble que Dieu nous traite, nous les apôtres, comme les derniers des hommes, comme des condamnés à mort ». Il y a une grande signification et beaucoup de gravité dans ce mot : « Nous ». Et ce n’est point assez pour lui : il y ajoute le nom de la dignité, les blessant ici vivement : « Nous les apôtres » ; nous qui endurons tant de maux, qui semons la prédication religieuse, qui vous amenions à cette grande philosophie. Et ces derniers des apôtres il les montre comme destinés à la mort, c’est-à-dire condamnés. Car après avoir dit : « Afin que nous régnions avec vous », il adoucit un peu le ton, et pour ne pas les décourager, il reprend son sujet avec plus de gravité, et dit : « Car il me semble que Dieu nous traite, nous les apôtres, comme les derniers des hommes, comme des condamnés à mort ». Ce qui signifie : À ce que je vois et d’après ce que vous dites, nous sommes les plus abjects de tous, nous sommes condamnés, nous qui sommes toujours exposés à souffrir ; mais vous, vous vous figurez déjà le royaume, les honneurs et les récompenses. Et voulant tousser encore davantage les choses à l’absurde, et en faire ressortir l’invraisemblance en usant d’hyperbole, il ne se contente pas de dire : Nous sommes certainement les derniers ; mais : Dieu nous a faits les derniers et non seulement : Les derniers ; mais « Comme des condamnés à mort » ; afin que l’homme le moins sensé comprît l’absurdité de sa parole, et y vît l’expression de sa douleur et son intention de les couvrir de honte. 3. Et voyez la prudence de Paul. Par les mêmes paroles qu’il dit pour se glorifier lui-même dans l’occasion, et se montrer grand et honorable, il les couvre maintenant de confusion en s’appelant condamné : tant c’est une grande chose de savoir tout faire à propos ! Il appelle ici « destinés à la mort » des condamnés, des hommes dignes, de mille morts. « Puisque nous sommes donnés en spectacle au monde, aux anges et aux hommes ». Qu’est-ce que cela signifie : « Nous sommes donnés en spectacle au monde ? » Ce n’est pas dans un coin obscur, veut-il dire, ni dans quelque petite partie de la terre que nous éprouvons cela, mais en tout lieu et chez tous. Que veut dire : « Et aux anges ? » Ceci : Quand il s’agit d’œuvres sans importance, on peut attirer l’attention des hommes, mais non celle des anges ; or nos combats sont tels qu’ils méritent d’avoir pour spectateurs les anges eux-mêmes. Voyez : il se relève par là même où il se rabaissait, et comme il fait ressortir leur bassesse du sujet même de leur orgueil. Car comme il, semblait plus déshonorant d’être fou que de paraître sage, d’être faible que d’être fort, d’être obscur que glorieux et illustre, il leur laisse cependant ce dernier rôle pour prendre le premier ; mais en leur montrant que celui-ci est le meilleur, puisqu’il attire non seulement l’attention des hommes, mais celle de l’assemblée des anges. Car nous n’avons point à lutter contre les hommes, mais contre les puissances spirituelles. (Eph 6,12) Aussi le spectacle est-il imposant. « Nous sommes, nous, insensés pour le Christ ; mais vous, vous êtes sages dans le Christ ». II veut encore les faire rougir, en leur montrant qu’il est impossible de réunir les contraires et de rapprocher des choses si éloignées. Comment, en effet, serait-il possible que vous fussiez sages ; et nous insensés, en ce qui regarde le Christ ? Puisque, en effet, les uns étaient battus de verges, méprisés, injuriés, regardés comme rien, tandis que les autres étaient honorés, passaient pour sages et prudents aux yeux de la foule, l’apôtre demande : Comment ceux qui prêchent comme ils font, peuvent-ils être soupçonnés en sens contraire de leur prédication ? « Nous sommes faibles et vous êtes forts », c’est-à-dire, nous sommes chassés, persécutés ; et vous, vous vivez dans l’abondance et êtes servis à souhait. Mais ceci ne s’accommode point au genre de notre prédication. « Nous sommes méprisés, mais vous êtes glorieux ». Ici il s’adresse aux nobles, qui se pavanaient de la pompe extérieure. « Jusqu’à cette heure nous souffrons et la faim et la soif, la nudité, les mauvais traitements. Nous n’avons pas de demeure stable, et nous nous fatiguons, en travaillant de nos mains ». C’est-à-dire, je ne vous raconte pas des faits anciens, mais des choses dont le temps présent est témoin. Car nous n’avons aucun souci des choses humaines ni de l’éclat du dehors ; nos yeux ne sont fixés que sur Dieu ; ce que nous devons faire en tout temps. Nous n’avons pas seulement les anges pour spectateurs, mais le juge même du combat. Nous n’avons pas besoin d’autres éloges. Ce serait injurier Dieu que de ne pas se contenter de son approbation et de rechercher celle de nos semblables. Ceux qui combattent sur un petit théâtre, peuvent en chercher un plus grand, parce que le premier ne suffit pas au déploiement de leurs forces ; mais ceux qui combattent sous les veux de Dieu et recherchent ensuite le suffrage des hommes, abandonnant ainsi le plus pour avoir le moins, s’attirent de grands châtiments. Car c’est là ce qui a tout bouleversé, ce qui a troublé le monde entier : dans toutes nos actions nous avons les yeux fixés sur les hommes ; dans le bien nous dédaignons l’approbation de Dieu pour capter la renommée et la gloire humaine et dans le mal nous n’avons aucun souci de Dieu et ne redoutons que les hommes. Mais les hommes, eux aussi, comparaîtront avec nous devant le tribunal, de Dieu, et ne nous serviront de rien ; et c’est le Dieu que nous méprisons qui portera la sentence contre nous. Nous savons cela, et néanmoins nous ne nous occupons que des hommes : voilà notre première faute. Personne ne voudrait commettre la fornication sons le regard de l’homme ; quelle que soif l’ardeur de la passion, elle cède au respect qu’inspire la présence d’un de nos semblables mais sous l’œil de Dieu, non seulement on commet l’adultère et la fornication, mais beaucoup ont osé et osent des crimes bien plus graves. Cela seul ne Suffit-il pas à attirer mille fois la foudre ? Et que parlé-je d’adultère et de fornication ? Nous rougirions de commettre des fautes bien moindres en présence des hommes : nous n’en rougissons pas en présence de Dieu. Voilà l’origine, de tous les maux : c’est que dans ce qui est réellement mal, nous ne craignons pas Dieu ; mais seulement les hommes. Voilà pourquoi nous fuyons les vrais biens, ceux que le vulgaire n’estime point tels, parce que nous n’examinons pas la nature des choses et que nous n’avons en vue que l’opinion humaine. 4. Il en est de même pour le mal. Par l’effet de cette même habitude, nous poursuivons des biens qui n’en sont pas réellement, mais qui paraissent tels à la multitude ; en sorte que nous nous perdons de deux manières. Comme ceci peut paraître obscur à beaucoup d’entre vous, il est nécessaire de l’expliquer plus clairement. Quand il s’agit de commettre la fornication (nous reprenons ici notre sujet), nous craignons plus les hommes que Dieu. Et comme nous nous plaçons sous leur dépendance, que nous les constituons nos maîtres, nous évitons bien des choses qui leur semblent mauvaises et qui ne le sont pas. Ainsi beaucoup regardent la pauvreté comme honteuse ; nous fuyons la pauvreté, non parce qu’elle nous paraît réellement déshonorante, mais parce quo nos maîtres la jugent telle et que nous les craignons. Ainsi encore beaucoup regardent comme une chose ignominieuse et détestable d’être déshonoré, d’être méprisé, de n’exercer aucune charge, de n’avoir pas de puissance. Nous évitons donc cela, non par conviction, mais par égard pour l’opinion de nos maîtres. Dans le sens opposé, nous subissons le même inconvénient : on regarde comme un bien la richesse, le faste, les honneurs, l’éclat ; nous les poursuivons, non parce que ces choses nous paraissent bonnes par nature, mais pour obéir à l’opinion de nos maîtres. Or notre maître s’est le peuple ; et la foule est un maître cruel et un dur tyran. Car elle n’a pas besoin de commander pour que nous lui obéissions ; il nous suffit de savoir ce qu’elle veut, et nous cédons sans ordre : tant nous avons de déférence pour elle. Chaque jour Dieu avertit et menace, et n’est point écouté ; et une multitude confuse, la lie du peuple, n’a pas besoin de commander ; c’est assez qu’elle manifeste sa volonté, on lui obéit immédiatement en tout. Et comment, direz-vous, échapper à ces maîtres ? En élevant plus haut ses pensées ; en considérant la nature des choses ; en dédaignant les suffrages du vulgaire ; en se réglant avant tout de manière à éviter ce qui est réellement mal, non par peur des hommes, mais par crainte de l’œil qui ne dort jamais ; en ne cherchant dans le bien que les récompenses qui viennent de Dieu. Et il arrivera que dans les autres choses nous ne rechercherons pas davantage la faveur populaire. Car l’homme qui se contente des suffrages de Dieu et n’estime pas même la foule digne de le juger quand il fait le bien, ne tiendra pas plus compte de celle-ci, quand il s’agira d’éviter le mal. Comment cela peut-il se faire ? direz-vous. Considérez ce que c’est que l’homme, ce que c’est que Dieu, à qui vous aurez recours si vous abandonnez Dieu, et vous serez bientôt parfaitement en règle. L’homme est sujet aux mêmes fautes, au même jugement, au même châtiment que vous ; il est devenu semblable à la vanité ; son jugement n’est pas droit, il a besoin d’être dirigé d’en haut ; terre et cendre, l’homme, quand il loue, loue souvent au hasard, ou par faveur, ou par haine ; et s’il calomnie ou accuse, c’est encore par le même principe. Il n’en est pas ainsi de Dieu : son suffrage est impartial, son Jugement pur. C’est pourquoi il faut toujours recourir à lui ; non seulement pour cette raison, mais encore parce qu’il vous a créé, parce qu’il vous ménage plus que qui que ce soit et qu’il vous aime plus que vous-même. Pourquoi dons, délaissant un si glorieux suffrage, recourons-nous à l’homme qui n’est rien, qui fait tout sans raison et au hasard ? il vous appelle méchant, scélérat, quand vous ne l’êtes pas ? Plaignez-le plutôt et pleurez sur lui, parce qu’il est perverti et que son âme est aveuglée ; parce que les apôtres ont subi ces calomnies et ont ri de ceux qui les avaient forgées. Il vous appelle vertueux et homme de bien ? Si vous êtes tel, ne vous enflez pas de cette bonne opinion ; si vous ne l’êtes pas, méprisez-la encore davantage et regardez-la comme une moquerie. Voulez-vous savoir jusqu’à quel point les jugements de la multitude sont faux, inutiles, ridicules, tantôt dictés par la fureur et la folie ; tantôt puérils comme ceux de l’enfant au berceau ? Écoutez ce qu’ils ont été jadis : Je ne parle pas seulement ici des jugements de la multitude, mais d’hommes estimés comme très sages, d’anciens législateurs. Qui passa jamais dans l’opinion du vulgaire pour plus sage que celui qui fut jugé capable de donner des lois aux cités et aux peuples ? Et pourtant aux yeux de ces sages la fornication n’était point un mal, ne méritait aucun châtiment. Aucune de ces législations païennes ne la punissait, ne, livrait le coupable à un tribunal ; et aujourd’hui encore, si une action est intentée pour ce crime, elle devient pour la foule un objet de risée et le juge l’écarte. Le jeu de hasard, est également innocent chez eux, et personne n’a jamais été puni pour s’y être livré. L’excès dans le boire et dans le manger, non seulement n’est point un crime, mais passe pour un haut fait aux yeux d’un grand nombre ; dans les repas militaires, il y a émulation sur ce point ; ceux qui ont le plus besoin d’un esprit sain, d’un corps robuste, sont précisément ceux qui s’adonnent le plus à la passion de l’ivrognerie, brisant ainsi leurs forces physiques, obscurcissant leur intelligence. Or aucun législateur n’a décerné de peines contre ce désordre. 5. Qu’y a-t-il de pire que cette folie ? Sont-ce les suffrages de tels hommes que vous ambitionnez, sans scruter votre propre conscience ? Quand même toits vous admireraient, ne devriez-vous pas encore rougir, vous voiler la face de honte, en recueillant leurs applaudissements, puisque leurs Jugements partent d’une source si impure ? De plus, le blasphème n’est point une chose horrible pour un législateur ; aucun blasphémateur n’est traduit devant un tribunal ni puni. Mais celui qui vole un habit ou coupe une, bourse, est torturé et souvent condamné à mort ; tandis que l’homme qui outrage Dieu est innocent aux yeux de ces législateurs. Si un homme marié déshonore sa servante, ni les lois profanes, ni l’opinion publique n’y attachent la moindre in portance. Voulez-vous d’autres preuves de leur folie ? Ils ne punissent point ces crimes, mais ils font dès lors pour d’autres sujets. Quels sujets ? Ils établissent des théâtres ; ils y introduisent des chœurs de prostituées, de jeunes débauchés, l’opprobre de la nature ; ils y convoquent un peuple entier, y attirent toute une ville comme à une récréation, et y couronnent ces grands souverains dont les trophées et les victoires sont le constant objet de leurs louanges. Quoi de plus froid que de pareils honneurs ? Quoi de plus désagréable que de tels plaisirs ? Et c’est là que vous chercherez des approbateurs de votre conduite ? Vous voulez, dites-moi, partager des éloges avec des danseurs, des débauchés, des mimes et des femmes publiques ? Et ce ne serait pas là le comble de la folie ? Volontiers je demanderais à ces gens-là : N’est-ce pas une indignité de renverser les lois de la nature, de se livrer à des commerces monstrueux ? Certainement, répondront-ils paraissant ainsi condamner ce genre de crime. Pourquoi alors mettez-vous en scène ces impudents libertins ; et, ce qui est pire encore, les comblez-vous de mille précieux présents ? Ailleurs vous les puniriez comme des coupables, et ici vous les traitez comme des bienfaiteurs de la ville, et les entretenez aux dépens du trésor public. Oui, dites-vous, mais ils sont déshonorés. Pourquoi donc les formez-vous ? Pourquoi les employez-vous pour honorer les rois ? Pourquoi épuisez-vous les villes ? Pourquoi tant dépenser pour eux ? S’ils sont déshonorés, il faudrait les chasser comme tels : Pourquoi les avez-vous rendus infâmes ? Est-ce pour les estimer ou pour les mépriser ? Pour les mépriser, évidemment. Vous les rendez donc infâmes pour les mépriser, et vous accourez pour les voir, et vous les admirez, et vous les louez, et vous les applaudissez comme s’ils étaient honorables. Et que dire des séductions offertes dans les hippodromes et les combats d’animaux ? On est stupéfait en songeant qu’on apprend là, au peuple, à être barbare, cruel, inhumain ; qu’on l’habitue à voir des hommes mis en pièces, le sang couler, les bêtes sauvages exercer toute leur cruauté. Et les sages législateurs ont introduit, dès le commencement des épidémies, et des villes entières admirent et applaudissent. Mais laissons cela de côté, si vous le voulez, puisque l’absurdité en est évidente et avouée de tous, bien que les législateurs l’aient jugé autrement, et passons à des lois honorables, où vous verrez que l’opinion du vulgaire a encore apporté la corruption. Le mariage, est regardé comme une chose honorable chez nous et cirez les gentils, et il l’est en effet ; mais il se passe dans sa célébration les choses ridicules que vous allez entendre. Car la coutume a si bien trompé, égaré les esprits, que beaucoup n’en comprennent pas l’absurdité et ont besoin qu’on la leur découvre. On a donc introduit pour cette occasion des danses, des cymbales ; des flûtes, des chants obscènes, des excès de table, des débauches, tous les désordres que Satan peut inspirer. Et je sais qu’en attaquant ces abus je paraîtrai ridicule ; et que la foule m’accusera de stupidité pour avoir essayé de détruire les anciennes coutumes : tant est grand, comme je l’ai dit, entraînement de l’habitude ; mais je ne cesserai pas pour autant. Si la masse repousse ma parole, peut-être, oui, peut-être quelques-uns l’accueilleront-ils, et aimeront-ils mieux être ridicules avec nous que de prendre part aux railleries contre nous : railleries vraiment déplorables et dignes des plus grands châtiments. N’est-ce pas une chose absolument condamnable qu’une jeune fille, restée vierge jusque-là ; élevée dès le bas âge dans le sentiment de la pudeur, soit tout à coup forcée de le déposer, reçoive dès le moment de son mariage, des leçons d’impudicité, et soit produite en public par des libertins, des fornicateurs et des débauchés ? quels germes de vice ne seront pas, dès ce moment, déposés dans l’âme de la jeune mariée ? L’impudence, l’audace, l’immodestie, l’amour de la vaine gloire ; car elle désirera voir tous les jours ressembler à celui-ci. Voilà ce qui engendre chez les femmes le goût du luxe et de la dépense, l’indécence, et mille autres vices. Ne m’objectez pas la coutume. Si c’est un mal, il ne faut pas le faire une seule fois ; si c’est un bien, il ne faut jamais le discontinuer. Dites-moi : la fornication est-elle un crime ? Si elle est un crime ; la permettrons-nous une seule fois ? Certainement non. Quand on ne la commettrait qu’une fois, elle serait toujours un crime. Donc, si c’est un mal de procurer à une jeune femme de tels plaisirs, on ne doit pas même le faire une fois ; si ce n’est pas un mal, qu’on le fasse toujours. 6. Mais quoi ! direz-vous, blâmez-vous le mariage ? À Dieu ne plaise que je le blâme je ne suis pas assez fou pour cela. Ce que je blâme, c’est ce qui vient à sa suite, les parfums, le fard, et les autres superfluités de ce genre. Dès ce jour, la jeune mariée s’attirera de nombreux amants, avant même de cohabiter avec son époux. Mais beaucoup admireront sa beauté. Qu’arrivera-t-il alors ? Quand même elle serait chaste, elle aura peiné à échapper aux mauvais soupçons ; si au contraire elle se néglige, elle tombera vite dans le piège, initiée dès ce moment aux pensées de libertinage. Nonobstant ces suites fatales, quand le fait n’a pas lieu, des hommes qui ne sont guère au-dessus des animaux, prennent cela pour un affront, et proclament que c’est une indignité, qu’une femme ne soit pas produite en ce jour et exposée aux regards de nombreux spectateurs. Et c’est ce fait lui-même qu’il fallait envisager comme injurieux ; ridicule et comique. Et je sais que c’est nous que beaucoup traiteront d’insensé et de ridicule ; mais je consentirai à être tourné en dérision, s’il en résulte quelque profit. Je serais seulement ridicule si, en vous exhortant à mépriser l’opinion populaire, j’étais moi-même atteint de cette maladie. Voyez maintenant ce qui suit : non seulement pendant le jour, mais pendant la nuit, ce sont des hommes ivres, a moitié endormis, enflammés par la volupté, qui se disposent à contempler la beauté du visage de la jeune femme. Et ce n’est pas à la maison, mais à travers les rues qu’ils la présentent en spectacle, l’accompagnant jusqu’à une heure très avancée ; avec des flambeaux, afin que chacun puisse la voir ce qui ne tend qu’à lui faire dépouiller pour l’avenir un reste de pudeur. Et on ne s’en tient pas là : on la conduit au milieu de paroles obscènes, usage qui est passé en loi dans la foule. Et des milliers d’esclaves fugitifs, de vauriens, d’hommes perdus, profèrent librement tout ce que le caprice Mur inspire, et contre elle et contre l’époux qui doit habiter avec elle ; en tout cela il n’y a rien d’honnête, mais tout y sent l’obscénité. La mariée qui voit et entend tout cela, ne reçoit-elle pas une belle leçon de chasteté ? Et il y a une émulation diabolique entre les acteurs ; c’est à qui l’emportera sur les autres en paroles injurieuses et impudiques, propres à faire rougir les spectateurs ; et en fin de compte, la victoire appartient à celui qui a vomi le plus de turpitudes et d’impudicités. Je sais que je suis ennuyeux, odieux et importun pour vouloir retrancher ce plaisir de la vie. Aussi je m’attriste en voyant que des choses aussi désagréables puissent passer pour un plaisir. Comment, en effet, ne serait-il pas désagréable d’êtres accablé d’injures et d’affronts, d’être insulté par la foule en compagnie d’une jeune femme ? Quoi ! si quelqu’un injurie votre épouse sur la place publique, vous mettez tout en mouvement, vous croyez ne pouvoir plus jouir de la vie ; et quand vous vous conduisez honteusement avec elle sous les yeux de toute une ville, vous vous en réjouissez, ions en êtes fier ? Quelle folie ! Affaire d’habitude, direz-vous. Eh ! voilà justement ce qui doit faire verser des larmes, que le démon ait fait passer cela en habitude. Comme le mariage est une chose honorable, destinée à là propagation de notre espèce, et une source de, grands biens, ce méchant esprit en ressent un vif chagrin, et sachant qu’il est un remède contre la fornication, il prend d’autres moyens pour introduire toute espèce d’impudicités. Beaucoup de jeunes filles ont été déshonorées dans ces assemblées. Si cela n’arrive pas toujours, le démon se contente, en attendant, que des paroles et des chants obscènes aient déshonoré l’épouse à travers les rues et les places publiques. Et comme tout se passe le soir, de peur que la nuit ne voile ces turpitudes, on allume de nombreux flambeaux qui les mettent, dans tout leur jour. Car pourquoi cette foule ? pourquoi l’ivresse ? pourquoi des instruments de musique ? N’est-ce pas évidemment pour que ceux qui sont chez eux ensevelis dans le sommeil soient avertis, s’éveillent au son des instruments, et se mettent à la fenêtre pour voir passer la comédie ? Et que dire des chants mêmes, qui ne respirent que la licence, ne célèbrent que des amours illicites, des unions illégitimes, des familles détruites, mille scènes tragiques, et où l’on n’entend que les mots d’amant et d’amante, de bien-aimé et de bien-aimée ? Et le pire encore, c’est qu’il y a là des jeunes, filles qui, dépouillant toute pudeur, à l’honneur, ou plutôt à la honte de la mariée, sacrifient leur salut, se conduisent avec indécence parmi des jeunes gens, et, par, un satanique accord, prennent part aux chants impurs et aux paroles coupables. Me demanderez-vous encore d’où viennent les adultères ? les fornications ? les profanations du mariage ? Mais, direz-vous, ce ne sont pas, les vierges bien nées et pudiques qui se conduisent ainsi. Eh ! puisque vous savez cela avant moi ; pourquoi riez-vous de moi ? Si ces coutumes sont bonnes, permettez que celles-ci les pratiquent. Quoi donc ? parce que les autres sont pauvres, ne sont-elles pas aussi des vierges ? ne sont-elles pas obligées d’être chastes ? Est-ce qu’une jeune fille qui danse sur le théâtre, au milieu de jeunes libertins, il vous semble pas plus dégradée qu’une femme publique ? Si vous ajoutez qu’il n’y a que des servantes qui le fassent, je ne vous fais pas grâce peur autant : car à pelles-là encore il ne fallait pas permettre de le faire. 7. Et là est la source de tous les maux : On ne tient plus compte des serviteurs. On a donné un assez grand signe de mépris quand on a dit : C’est un domestique, ce sont des servantes. Et pourtant on entend dire chaque jour : « Dans le Christ, il n’y a plus d’esclave, ni d’homme libre ». (Gal 3,28) Vous ne méprisez ni un cheval, ni un âne, vous mettez tout en œuvre pour qu’ils ne soient pas vicieux ; et, vous dédaignez des serviteurs qui ont une âme comme vous ? Que dis-je, des serviteurs ? Vous négligez même vos fils et vos filles. Qu’arrive-t-il ensuite ? Qu’il faut gémir quand ils sont tous perdus ; et souvent, pour combe de malheur, après qu’ils ont dépensé des sommes considérables au milieu de la foule et du tumulte. Ensuite si un enfant naît du mariage, nous revoyons encore la même folie, et une four d’usages ridicules. En effet, quand il faut lui donner un nom, on ne le cherche pas parmi ceux des saints, comme le faisaient nos ancêtres ; mais on allume des lampes auxquelles on donne des noms, et celle qui dure le plus laisse le sien au nouveau-né ; c’est une probabilité qu’il vivra longtemps. Et s’il arrive (cas assez fréquent), qu’il meure de mort prématurée, le diable a une belle occasion de rire de s’être joué des parents comme d’enfants niais. Et que dire des bandelettes et oies clochettes attachées à la main, et du cordon rouge, et de cent autres folies de ce genre, quand on devrait uniquement placer l’enfant sous la sauvegarde de la croix ? Mais cette croix qui a converti le monde entier, qui a fait au démon une si cruelle blessure et a ruiné tout son pouvoir, elle est aujourd’hui un objet de mépris ; c’est à une trame, à une chaîne, à des amulettes que l’on confie le salut d’un enfant. Dirai-je quelque chose de plus ridicule encore ? Que personne ne m’accuse d’importunité, si je vais jusque-là. Car celui qui veut retrancher de la pourriture, ne craint pas de salir ses mains : Quelle est donc cette chose ridicule ? Une chose qui n’a l’air de rien (et c’est de quoi je gémis), mais qui est le principe d’une vraie démence, d’une extrême folie. Des femmes, des nourrices, des servantes, mettent de la boue dans de l’eau de bain, y trempent le doigt et en marquent le front de l’enfant ; et si vous le demandez : Pourquoi cette eau ; sale, pourquoi cette boue ? On vous répond : C’est pour détourner les mauvais regards, la jalousie, et l’envie. Vraiment ! quelle vertu a l’eau sale ! quelle puissance a la boue ! Elle renverse tout l’empire de Satan. Et vous ne rougissez pas ? Vous ne devinez pas enfin les ruses du diable ? Vous ne voyez pas comment il amène peu à peu et dès le premier âge, dans ses filets ? Mais si la boue a tant de vertu, pourquoi ne vous en frottez-vous pas le front, vous homme mûr, et qui avez plus d’envieux qu’un enfant ? Pourquoi ne vous en frottez-vous pas tout le corps ? Si une simple onction sur le front produit de si grands effets, pourquoi ne pas l’étendre au corps entier ? Tout cela est une farce, une comédie satanique, qui ne prête pas seulement, à rire, mais précipite en enfer ceux qu’elle séduit. Rien d’étonnant que de telles choses se passent chez les gentils ; mais qu’elles aient lieu chez les adorateurs de la croix, chez ceux qui participent aux plus hauts mystères secrets, qui possèdent une si haute philosophie : voilà ce qu’on ne saurait assez déplorer. Dieu vous a honoré de l’huile spirituelle, et vous salissez votre fils avec de la boue ? Dieu vous a honoré, et vous vous déshonorez ? C’est de la croix, cette invincible protectrice, qu’il faut se signer le front, et vous la rejetez pour tomber dans un égarement diabolique ? Et s’il en est parmi vous à qui ces choses paraissent de peu d’importance, qu’ils sachent qu’elles sont l’origine de grands maux, et que Paul n’a point cru devoir les négliger comme insignifiantes. Qu’y a-t-il en effet de moins important pour l’homme que de se couvrir la tête ? Et voyez pourtant quel intérêt l’apôtre y attache, avec quelle énergie il le défend, lapant jusqu’à dire, entre autres choses, qu’en se couvrant l’homme déshonore sa tête. Mais si un homme déshonore sa tête en la couvrant, comment celui qui frotte de boue un enfant, ne le rend-il pas abominable ? Comment, je vous le demande, le remettra-t-il aux mains du prêtre ? Comment oserez-vous prier le prêtre de marquer du sceau, un front que vous avez enduit de boue ? Ne faites pas cela, mes frères, ne le faites pas ; mais dès le bas âge ; munissez vos enfants des armes spirituelles ; apprenez-leur à se signer le front avec la main ; et avant qu’ils le puissent, imprimez-leur vous-mêmes le signe de la croix. Que dire des autres observances sataniques que, pour leur propre malheur, les sages-femmes emploient dans les douleurs de l’enfantement ? Et de celles qui accompagnent la mort et la sépulture : ces gémissements, ces lamentations insensées, ces extravagances sur les tombeaux, ce soin des monuments funèbres, ces troupes inutiles et ridicules de pleureuses, ces jours de remarque, ces entrées, ces sorties ? Et voilà la gloire que vous recherchez ? Et comment ne serait-ce pas le comble de la folie d’ambitionner les suffrages d’hommes aussi pervertis, aussi désordonnés dans leur conduite, au lieu de recourir à Celui dont l’œil ne dort pas, et de ne s’attacher qu’à son approbation dans nos actes et dans nos paroles ? Les louanges de ceux-là ne sauraient nous servir ; mais Celui-ci, si nos actions lui sont agréables, nous rendra glorieux ici-bas et nous communiquera, au jour à venir, ses mystérieux trésors. Puissions-nous tous tels obtenir par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, en qui appartiennent au Père, en union avec le Saint-Esprit, la gloire, l’empire, l’honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il. HOMÉLIE XIII.
NOUS SOMMES, NOUS, INSENSÉS À CAUSE DU CHRIST (IL EST NÉCESSAIRE DE REPRENDRE ICI NOTRE DISCOURS), MAIS VOUS, VOUS ÊTES SAGES DANS LE CHRIST ; NOUS SOMMES FAIBLES, ET VOUS ÊTES FORTS ; VOUS ÉTÉS HONORÉS, MAIS NOUS SOMMES MÉPRISÉS. (CHAP. 4,10, JUSQU’AU VERS. 16) ANALYSE.
- 1. Saint Paul fait voir aux Corinthiens combien leur présomption est déplacée.
- 2. Saint Paul achève de toucher les Corinthiens en leur montrant une charité d’apôtre, et une tendresse de père.
- 3-5. Que nous pouvons imiter le Christ. – Apolaudissement de l’auditoire. – Portrait de saint Paul et de sa vertu.— Qu’il n’est pas besoin qu’il y ait des persécutions pour être vraiment chrétien. – De la guerre continuelle que nous avons à soutenir contre le démon. – Les richesses ne sont pas un mal lorsqu’on en fait un bon usage.
1. Après avoir parlé avec la plus grande gravité (ce qui blessait plus que toutes les accusations possibles), il reprend la parole avec la dignité qui lui convient. Il a dit plus haut : « Vous régnez sans nous » et : « Dieu nous a traités, nous les apôtres, comme les derniers des hommes, comme des condamnés à « mort » ; il fait voir ensuite comment ils étaient destinés à la mort, en disant : « Nous sommes insensés, faibles, méprisés ; nous souffrons la faim et la soif, nous sommes nus, déchirés à coups de poing, nous n’avons pas de demeure stable, et nous nous fatiguons ; travaillant de nos mains » : Autant de signes qui indiquaient des docteurs et de véritables apôtres. Les Corinthiens au contraire se glorifiaient de choses tout opposées de la sagesse, de la gloire, de la richesse, des honneurs. Voulant donc guérit leur enflure, et leur montrer qu’il faut s’humilier de tout cela, bien loin de s’enorgueillir, il les raille d’abord en disant : « Vous régnez sans nous ». C’est-à-dire : Moi j’affirme que ce n’est pas le moment de jouir de l’honneur et de la gloire, comme vous le faites, mais d’être injuriés et persécutés : comme nous le sommes. S’il n’en est pas ainsi, et que nous soyons à l’heure des récompenses, comme je le vois (il parle ironiquement), vous, les disciples, vous régnez déjà ; et nous les maîtres ? et les apôtres qui devrions les premiers être récompensés, non seulement nous sommes les derniers d’entre vous, mais nous sommes comme destinés à la mort, c’est-à-dire condamnés, Nous vivons continuellement dans l’ignominie, dans les périls, en proie à la faim, injuriés et chassés comme des fous, et souffrant des maux intolérables. Son but est de leur faire comprendre qu’ils doivent envier le sort des apôtres, c’est-à-dire, les périls et les injures, et non les honneurs et la gloire car c’est ainsi que l’exige la prédication. Il ne dit cependant point cela directement, pour ne pas leur paraître importun, mais il exprime ce reproche d’une manière convenable. Si en effet il eût voulu aller droit au but, il aurait dit : Vous vous égarez, vous vous trompez, vous êtes à une grande distance de l’enseignement apostolique ; il faut qu’un apôtre, qu’un ministre du Christ, passe pour insensé, qu’il vive comme nous dans la tribulation et le mépris ; et vous faites précisément le contraire. Mais ce langage les eût irrités davantage, parce qu’ils y auraient vu l’éloge des apôtres et leur audace s’en fût accrue, à raison des reproches de lâcheté, de vaine gloire et d’amour du plaisir. Aussi n’est-ce pas là son procédé ; mais celui qu’il emploie frappe davantage, en blessant moins. C’est pour cela qu’il fait usage de l’ironie, en disant : « Vous, vous êtes forts et honorés ». En parlant sans ironie, il aurait dit : Il ne peut se faire que l’un passe pour fou, l’autre pour sage ; l’un pour fort, l’autre pour faible, la prédication ne comportant pas les deux. S’il en était autrement, ce que vous dites aurait quelque raison ; mais à cette heure il n’est pas permis de passer pour sage, d’être honoré, de vivre sans périls. Sinon, il faut que Dieu vous ait préférés à nous, vous les disciples à nous les maîtres qui souffrons en mille manières. Si personne n’ose le dire, il ne vous reste qu’à marcher sur nos pas. Et n’allez pas croire, ajoute-t-il, que je ne parle ici que du passé : « Jusqu’à cette heure nous souffrons la faim et la soif, et nous sommes nus ». Voyez-vous que telle doit être la vie du chrétien, non pas un jour ou deux, mais toujours ? L’athlète qui a été couronné : dans un combat, ne l’est plus dans le second s’il vient à succomber. « Et nous souffrons la faim », en face de ceux qui vivent dans les, délices ; « et nous sommes déchirés à coups de poing », en face da ceux qui sont, bouffis d’orgueil ; « nous n’avons pas de demeure stable », en face de ceux qui tombent ; « et nous sommes nus », en face de ceux qui sont riches ; « et nous nous fatiguons », en face des faux apôtres qui ne supportent ni le travail ni le danger, et cependant recueillent le profit. Il n’en est pas ainsi de nous, dit-il ; mais au milieu des dangers du dehors nous nous livrons à un travail continuel. Et ce qui est plus encore : personne ne peut dire que nous en soyons affligés ni que nous accusions ceux qui nous persécutent : nous leur rendons au contraire le bien pour le mal. Et c’est en cela que consiste la grandeur, et non à souffrir injustement (ce qui est commun à tous les hommes), mais à supporter le mal, sans peine et sans aigreur. 2. Et non seulement nous ne nous affligeons pas, mais nous nous réjouissons. Et la preuve c’est que nous rendons le bien pour le mal : Pour vous convaincre que c’était là la conduite des apôtres ; écoutez ce qui suit : « On nous maudit, et nous bénissons ; on nous, persécute, et nous le supportons ; on nous blasphème, et nous prions ; nous sommes devenus jusqu’à présent comme les ordures du monde » ; c’est-à-dire insensés pour le Christ. Car celui qui souffre injustement, sans se venger et sans se plaindre, passe aux yeux de ceux du dehors pour un insensé, pour un homme déshonoré et faible. Mais pour ne pas être trop dur en imputant ces souffrances à la ville de Corinthe, que dit-il ? « Nous sommes devenus les ordures », non de votre ville, mais « du monde » ; et encore : « Les balayures rejetées de tous », non pas seulement de vous, mais de tous. Et comme quand il parle de la bonté providentielle du Christ, il laisse de côté la terre, le ciel, toute la création, pour ne mentionner que la croix ; ainsi voulant attirer à lui les Corinthiens, il passe ses miracles sous silence pour ne parler que de ce qu’il a souffert pour eux. Ainsi d’ordinaire quand nous avons éprouvé des injures ou du mépris de la part de quelqu’un, nous ne rappelons pas autre chose que ce que nous avons souffert pour lui. « Les balayures rejetées de tous, jusqu’à cette heure ». Il frappe un coup violent à la fin. « De tous », non seulement de nos persécuteurs, mais encore de ceux pour qui nous souffrons persécution : ce qui veut dire : Je leur en suis très reconnaissant. C’est un signe de vive indignation ; non qu’il se plaigne, mais il veut les frapper. Car il les caresse, malgré les mille sujets de plaintes qu’il pourrait produire. C’est pour cela que le Christ nous ordonne de supporter patiemment les injures, afin de rester sages nous-mêmes et de mieux confondre nos ennemis : ce qu’on obtient plutôt parle silence qu’en rendant injure pour injure. Ensuite voyant que le coup serait insupportable, il apporte le remède, en disant : « Je n’écris point ceci pour vous donner de la confusion, mais je vous avertis comme mes fils bien-aimés ». Je ne parle pas ici pour vous couvrir de honte. Il dit n’avoir pas fait ce qu’il a réellement fait en paroles ; ou plutôt il dit qu’il l’a fait, mais sans mauvaise intention et sans haine. Car c’est là le meilleur remède : s’excuser d’avoir prononcé une parole, par l’intention que l’on a eue en la prononçant. Il ne lui était pas permis de ne pas parler, parce qu’ils ne se seraient pas corrigés ; mais laisser la plaie sans remède, c’eût été chose pénible : aussi s’excuse-t-il sérieusement. Par là non seulement la blessure ne disparaît pas, mais elle pénètre plus avant, quand on console de la douleur qu’elle Cause. Celui qui la reçoit est plus disposé à se corriger, quand il s’aperçoit qu’elle lui est infligée par charité et non par haine. Ici le langage est très grave et propre à donner de la confusion. En effet ; il ne parle pas comme docteur, comme apôtre, comme un maître ayant des disciples (ce qui eût senti l’autorité), mais il dit : « Je vous avertis comme mes fils bien-aimés » ; non seulement comme des fils, mais comme des fils très chers. C’est leur dire : pardonnez-moi ; s’il y a ici quelque chose de pénible, c’est l’amour qui me l’a dicté. Il ne dit pas : Je vous blâme, mais « Je vous avertis ». Or, qui ne supporterait un père affligé et donnant de sages conseils ? Aussi lie s’exprime-t-il de la sorte qu’après avoir frappé le coup. Quoi donc ! direz-vous, les autres maîtres nous ménagent-ils ? Je ne dis pas cela ; mais ils ne vous traitent pas de cette façon. L’apôtre ne parle pas ici obscurément ; mais il désigne les fonctions, les noms : il parle de maître et de père. « Car eussiez-vous dix mille maîtres a dans le Christ, vous n’avez cependant pas plusieurs pères ». Ici ce n’est plus sa dignité, mais son immense charité qu’il fait voir ; il ne les blesse plus en ajoutant : « Dans le Christ » ; mais il les console, en appelant maîtres, et non flatteurs, ceux qui supportaient les soucis et les peines, et il leur témoigne sa sollicitude. Aussi ne dit-il pas : Vous n’avez pas plusieurs maîtres mais : « Plusieurs pères ». Il ne voulait donc pas leur rappeler sa dignité, ni les biens sans nombre qu’ils avaient reçu de lui ; mais tout en accordant que leurs maîtres avaient pris beaucoup de peine leur occasion (ce qui est le propre d’un maître), il ne se réserve que l’excès de l’amour. Or ceci est le propre d’un père. Il ne dit pas seulement : Personne ne nous aime ainsi (ce qu’il avait droit de dire) ; mais il en produit la preuve ne fait. Quel fait ? « C’est moi qui, par l’Évangile, vous ai engendrés dans le Christ Jésus ». Dans le Christ Jésus : ce n’est donc pas à moi que je l’attribue. De nouveau il frappe sur ceux qui s’attribuaient la gloire de l’enseignement. « Car », leur dit-il, « vous êtes le sceau de mon apostolat » (1Co 9,2) ; et encore : « Je vous ai plantés », et ici : « Je vous ai engendrés ». Il ne dit pas : J’ai annoncé la parole ; mais : « J’ai engendré », en employant les expressions de la nature. Il n’a qu’un soin leur montrer l’amour qu’il leur a porté. Ceux-là vous ont attirés d’après mes instructions ; mais si vous êtes fidèles, c’est à moi que vous le devez. Et de peur que cette expression « Comme mes fils », ne vous semble une flatterie, il en vient au fait même. « Je vous en conjure donc : Soyez mes imitateurs, comme je le suis du Christ ». O ciel ! Quelle confiance de maître ! Quel modèle accompli, puisqu’il le propose à l’imitation des autres ! Du reste il ne parle pas ainsi par orgueil, mais pour montrer que la vertu est facile. 3. Ne me dites pas : Je ne peux pas vous imiter ; vous êtes un maître et un homme distingué. Car il y a moins de distance de vous à moi que de moi au Christ ; et pourtant j’imite le Christ. Quand il écrit aux Éphésiens, il ne se propose pas lui-même pour modèle, mais il les mène d’abord droit ail but, en disant : « Soyez les imitateurs de Dieu » (Eph 5,1) ; ici, comme il parle à des faibles, il s’interpose lui-même. D’autre part il leur fait voir qu’il est possible d’imiter le Christ. En effet, Celui qui imite parfaitement le sceau, reproduit le modèle. Voyons donc comment il a imité le Christ. Cette imitation ne demande ni temps ni art, mais seulement de la bonne volonté. Si nous entrons dans l’atelier d’un peintre, nous ne pouvons imiter un tableau quand même nous le regarderions des milliers de fois ; mais le peintre l’imitera rien qu’à en entendre parler. Voulez-vous que nous vous mettions le tableau sous les yeux et vous tracions la vie de Paul ? Qu’il paraisse donc, ce tableau, beaucoup plus éclatant que les images des rois. Car ce qui est sous mes regards n’est pas un assemblage de pièces de bois ni des toiles étalées, mais l’œuvre de Dieu : une âme et un corps. L’âme est l’ouvrage de Dieu, et non des hommes, et les corps également. Vous avez applaudi ? Ce n’est pas encore le moment ; ce sera dans la suite qu’il faudra applaudir en imiter. Jusqu’ici, ce dont il s’agit est commun à tous les hommes. Une âme, en effet, en tant qu’âme, ne diffère pas d’une autre ; « la volonté seule fait la différence. De même que le corps, en tant que corps, ne diffère pas d’un autre, en sorte que celui de Paul ressemble à celui de tout le monde, et que les épreuves seules l’ont rendu plus glorieux : ainsi en est-il de l’âme. Mettons donc sous vos yeux un tableau, l’âme de Paul. Le tableau était d’abord chargé de poussière et de toile d’araignées ▼▼Allusion à l’état de saint Paul avant sa conversion.
; car il n’y a rien de pire que le blasphème. Mais quand vint Celui qui change tout, il vit que ce n’était, point là l’effet de la lâcheté ni de la mollesse, mais de l’ignorance et du défaut des couleurs de la piété, qu’il y avait du zèle mais pas de couleurs (car Paul n’avait pas le zèle selon la science) : alors il lui donne la couleur de la vérité, c’est-à-dire la grâce, et en fait immédiatement, un tableau royal. Ayant en effet reçu la couleur et appris ce qu’il ignorait, il n’a pas besoin du temps ; sur-le-champ il devient un artiste parfait. D’abord il montre une tête royale, en prêchant le Christ ; ensuite le corps entier, par une règle de vie sévère. Les peintres s’enferment, et travaillent en repos et avec une grande assiduité, sans ouvrir à personne ; ainsi Paul plaçant son tableau au milieu du monde, ne s’inquiète pas des contradicteurs, ni du tumulte, ni du trouble qui règne autour de lui, et travaille sans obstacle au royal portrait. Aussi disait-il : Nous sommes donnés en spectacle au monde, au moment où il peignait, son tableau au milieu de la terre et de la mer, en présence du ciel et du globe entier, du monde sensible et spirituel. Voulez-vous voir le reste, à partir de la tête ? ou voulez-vous remonter de bas en haut?. Voyez cette statue d’or, bien plus précieuse que l’or, telle qu’elle existe sans doute dans le ciel, non-enchaînée par le poids d’un plomb vil, non fixée en un seul lieu ; mais courant de Jérusalem jusqu’en Illyrie, puis partant pour l’Espagne, et portée comme sur des ailes à travers le monde entier. Quoi de plus beau que ces pieds qui ont parcouru toutes les contrées, éclairées par le soleil ? Le prophète avait prédit cette beauté, quand il disait : « Qu’ils sont beaux les pieds de ceux qui annoncent la paix ! » (Isa 52,7) Voyez-vous comme ces pieds sont beaux ? Voulez-vous aussi voir sa poitrine ? Venez, je vous la montrerai, et vous vous convaincrez qu’elle est beaucoup plus belle que ces pieds déjà si beaux, et plus belle encore que celle de l’ancien Législateur. Moïse, Il est vrai, porta les tables de pierre ; mais celui-ci possédait le Christ en lui-même, et portait l’image du roi et du propitiatoire ; il était donc plus honorable que les chérubins. La voix qui sortait du propitiatoire n’était point comparable à celle-ci ; elle ne parlait guère que des choses sensibles ; celle de Paul exprime des chose plus élevées que les cieux ; l’une ne s’adressait qu’aux Juifs, l’autre s’adresse au monde entier ; la première sortait d’objets inanimés, la seconde d’une âme douée de vertu. 4. Le propitiatoire était plus splendide que le ciel ; ce n’étaient point des astres divers ni des rayons du soleil qui faisaient son éclat, mais il possédait le soleil lui-même qui de là envoyait ses rayons. Quelquefois des nues en passant attristent notre ciel ; cette poitrine n’a point subi de tels orages ; ou plutôt elle en a souvent subi, mais son éclat n’en, a point été obscurci ;.au milieu des épreuves et des périls elle gardait sa splendeur. Aussi, chargé de fers, s’écriait-il : « La parole de Dieu n’est pas enchaînée ». (2Ti 2,9) Ainsi, par sa langue, il envoyait toujours des rayons ; jamais la crainte, jamais le danger n’ont assombri sa poitrine. Peut-être cette poitrine semble-t-elle laisser les pieds loin derrière elle ; mais ces pieds sont beaux en tant que pieds, et, comme poitrine, cette poitrine est belle. Voulez-vous voir la beauté de son estomac ? Écoutez ce qu’il dit de lui-même : « Si ce que je mange scandalise mon frère, je ne mangerai jamais de chair ». (I. Cor 5,13) Il est bon de ne pas manger de chair, de ne pas boire de vin ou quoi que ce soit qui puisse offenser scandaliser ou affaiblir votre frère. « Les aliments sont pour l’estomac, et l’estomac pour les aliments ». (Id 6,13) Quoi de plus beau que cet estomac ainsi exercé au calme, à toute espèce de tempérance, à souffrir l’abstinence, la faim et la soif ? Comme un cheval bien dressé et portant une bride d’or, ainsi cet estomac allait en mesure après avoir dompté les besoins de la nature : car le Christ marchait en lui. Il est évident que par cette tempérance tous les autres vices étaient détruits. Maintenant voulez-vous voir ses mains, tes mains d’aujourd’hui ? Ou voulez-vous d’abord voir celles d’autrefois ? Naguère entrant dans les maisons, il traînait hommes et femmes, non avec des mains d’homme, mais avec celles de quelque bête fauve. Mais dès qu’il eut reçu les couleurs de la vérité et la science spirituelle, ses mains ne furent plus celles d’un homme, elles furent toutes spirituelles, enchaînées tous les jours ; frappées elles-mêmes mille fois, elles ne frappèrent plus personne. Une vipère les respecta un jour, car ce n’étaient plus des mains d’homme, aussi, n’osa-t-elle les toucher. Voulez-vous aussi connaître ce dos, si semblable aux autres membres ? Écoutez ce qu’il en dit : « Cinq fois j’ai reçu des Juifs quarante coups de fouet, moins un ; j’ai été trois fois battu de verges, j’ai été lapidé une fois, trois fois j’ai fait naufrage ; j’ai été un jour et une nuit dans les profondeurs de la mer ». (2Co 11,24-25) Mais pour ne pas nous jeter dans un abîme saris fond et être ballottés en tout sens, en prenant chacun de ses membres en particulier, quittons son, corps et contemplons une autre beauté, à savoir, celle de ses vêtements que les démons mêmes respectaient au point de s’enfuir, et qui guérissaient les maladies. Partout où Paul apparaissait, tout cédait, tout disparaissait, comme en présence du conquérant de la terre. Et comme ceux qui ont reçu beaucoup de blessures dans le combat, frémissent au seul aspect des armes de leur vainqueur ; ainsi les démons prenaient la fuite, à la seule vue de sa ceinture. Et maintenant où sent les riches, ceux qui s’enorgueillissent de leur fortune ? Où sont ceux qui étalent leurs dignités et leurs somptueux vêtements ? En les comparant à ceux-là, ils verront que tout ce qu’ils possèdent est de l’argile et de la boue. Et que parlé-je de vêtements et de richesses ? On me donnerait l’empire du monde entier, que je croirais l’ongle de Paul plus fort que ma puissance ; sa pauvreté au-dessus de tout plaisir, ses humiliations au-dessus de toute gloire, sa nudité au-dessus, de toute richesse, les soufflets imprimés à sa tête sacrée au-dessus de toute licence, les pierres qu’il a reçues au-dessus de tout diadème. Ambitionnons cette couronne, ô mes bien-aimés, et bien qu’il n’y ait pas de persécution, cependant préparons-nous. Car ce ne sont pas seulement les persécutions qui ont rendu cet homme glorieux ; il disait lui-même : « Je châtie mon corps » (1Co 9,27) ; ce qui peut se faire sans persécution. Et il nous exhortait à n’avoir aucun souci de la chair, quant à ses convoitises ; il disait encore : « Ayant la nourriture et le vêtement, contentons-nous-en ». (1Ti 6,8) Or, pour cela, il n’y a pas besoin de persécutions. Il engageait aussi les riches à la modération, en disant : « Ceux qui veulent devenir riches tombent dans la tentation ». (Id. 9) Si nous voulons ainsi nous exercer et entrer en lutte, nous serons couronnés, et bien qu’il n’y ait pas de persécutions, nous recevrons une riche récompense ; mais si nous engraissons notre corps et menons une vie de pourceau, même au sein de la paix nous commettrons bien des fautes, et nous nous attirerons du déshonneur. Ne voyez-vous pas contre qui nous avons à combattre ? Contre des puissances incorporelles. Comment donc, nous qui sommes chair, en triompherons-nous ? S’il faut manger sobrement quand on combat contre des hommes, à plus forte raison pour lutter contre les démons. Mais si nous sommes enchaînés par l’embonpoint et la richesse, comment vaincrons-nous nos ennemis ? Car c’est un lien que la richesse : un lien bien lourd pour ceux qui ne savent pas en user ; un tyran cruel et inhumain qui n’a d’autre but que de perdre ses esclaves. Mais, si nous le voulons, nous détrônerons ce barbare tyran ; nous en ferons notre serviteur ; au lieu de notre maître. Et comment cela ? En distribuant nos richesses à tout le monde. Tant que l’opulence nous trouve seuls à seuls, comme un brigand dans un lieu isolé, elle nous fait tous tes maux possibles ; mais quand nous l’aurons produite en public, elle ne nous dominera plus, parce qu’elle sera enchaînée de tous côtés. 5. Je ne prétends point dire par là que la richesse soit un péché ; mais le péché est de ne la pas distribuer aux pauvres et d’en faire mauvais usage. Dieu n’a rien créé de mauvais ; tout ce qu’il a fait est bon ; les richesses sont donc aussi un bien, à condition qu’elles ne domineront point ceux qui les possèdent, et qu’elles feront disparaître la pauvreté du prochain. La lumière qui ne dissipe pas les ténèbres, mais les augmente, n’est pas bonne ; je n’appellerai pas non plus bonnes les richesses qui augmentent la pauvreté au lieu de la détruire. Le riche ne cherche pas – à recevoir, mais à donner ; s’il demande, il n’est plus riche, mais pauvre. Les richesses ne sont donc point un mal ; mais le mal c’est cette étroitesse d’esprit qui transforme la richesse en pauvreté. Ces sortes de riches sont plus malheureux que ceux qui mendient dans les rues, que les aveugles et les estropiés ; ces hommes somptueusement vêtus de soie sont au-dessous du pauvre couvert de mauvais baillons ; ces mortels qui s’avancent fièrement sur la plage publique sont plus à plaindre que les mendiants qui hantent les carrefours, entrent dans les cours, et crient, et demandent l’aumône d’en bas. Car ceux-ci louent Dieu et profèrent des paroles propres à exciter la pitié et pleines de sagesse ; aussi-en avons-nous compassion et leur tendons-nous la main sans jamais les accuser. Mais les mauvais riches tiennent le langage de la cruauté, de l’inhumanité, de la rapine et d’une convoitise satanique ; aussi sont-ils odieux et ridicules aux yeux de tout le monde. Dites-moi un peu : lequel paraît honteux chez tous les hommes de demander aux riches, ou d8 demander aux pauvres ? Aux pauvres, évidemment. Eh bien ! c’est ce que font les riches ; car ils n’oseraient s’adresser à de plus riches qu’eux. Or ceux qui mendient, demandent aux riches : le mendiant demande au riche et non au mendiant ; mais le riche violente le pauvre. Autre question : lequel est le plus honnête, de recevoir de personnes gui donnent volontiers et de bonne grâce, ou d’arracher par force et avec importunité ? Évidemment il est plus convenable de ne point forcer les répugnances. Et pourtant les riches les forcent. Car tandis que les pauvres reçoivent de gens qui leur donnent de bon cœur et librement, tout ce que les riches reçoivent leur est donné à contre-cœur et par contrainte : ce qui est l’indice d’une plus grande pauvreté. Si personne ne voulait s’asseoir à une table, où il ne serait pas vu de bon œil par celui qui l’aurait invité, comment serait-il convenable d’extorquer de l’argent par force ? N’écartons-nous pas, ne fuyons-nous pas les chiens qui aboient, parce qu’ils nous fatiguent par leur importunité ? Ainsi font les riches. Mais, dira-t-on, il vaut mieux que la crainte accompagne le don. Et moi je dis qu’il n’y a rien dé plus honteux : c’est le comble du ridicule de tout mettre en mouvement pour obtenir quelque chose. Souvent, par peur, nous avons jeté au chien ce que nous tenions à la main. Lequel, dites-moi, est le plus honteux de mendier en haillons ou en habits de soie ? Quel pardon mérite le riche qui flatte de vieux pauvres pour en obtenir ce qu’ils possèdent, bien qu’ils aient des enfants ? Si vous voulez encore ; examinons les paroles que prononcent les riches et les pauvres quand ils mendient. Que dit le pauvre ? Que celui qui donne l’aumône ne doit pas donner avec parcimonie, parce que ce qu’il donne vient de Dieu, et que Dieu est bon et lui en rendra davantage : langage plein de sagesse et qui renferme une exhortation et un conseil. Il vous prie, en effet, de lever les yeux vers le Seigneur, et il vous ôte la crainte de la pauvreté pour l’avenir : on peut voir un grand enseignement dans les paroles des mendiants. Que disent les riches, au contraire ? Ils parlent comme des pourceaux, des chiens, des loups et des autres bêtes sauvages. Les uns parlent de tables, de mets, d’assaisonnements, devins de toute espèce, de parfums, de vêtements, de tout ce qui concerne les folies du luxe ; les autres parlent d’usures et de prêts ; et, fabricant des billets où les dettes sont portées à un chiffre monstrueux, et qui sont supposés dater des pères et des grands-pères, ils prennent à l’un sa maison, à l’autre son champ, à cet autre son esclave et tout ce qu’il possède. Et que dire de ces testaments écrits avec du sang plutôt qu’avec de l’encre ? Au moyen de terreurs paniques ou de quelques légères promesses, ils déterminent de petits propriétaires à les choisir pour héritiers, au détriment de proches souvent accablés par la pauvreté. Cette fureur, cette cruauté, ne dépassent-elles pas celles des bêtes féroces ? Je vous en prie donc, fuyons de telles richesses, source de honte et de meurtre ; acquérons les richesses spirituelles, cherchons les trésors qui sont dans le ciel. Ceux qui les possèdent sont certainement riches ; ils vivent dans l’abondance, ils jouissent des biens de la terre et de ceux du ciel. En effet, celui qui veut être pauvre selon Dieu, voit toutes les portes s’ouvrir devant lui. Chacun donne à celui qui, par amour pour Dieu, ne possède rien ; mais celui qui veut acquérir même peu de chose au prix de l’injustice, se ferme toutes les portes. Afin donc d’obtenir les richesses de ce monde et celles de l’autre, choisissons la richesse solide et immortelle. Puissions-nous y parvenir tous par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, en qui appartiennent, au Père en union avec le Saint-Esprit, la gloire, la force, l’honneur, maintenant et toujours ; et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il. HOMÉLIE XIV.
C’EST POURQUOI JE VOUS AI ENVOYÉ TIMOTHÉE, QUI EST MON FILS BIEN-AIMÉ ET FIDÈLE DANS LE SEIGNEUR ; IL VOUS RAPPELLERA MES VOIES EN JÉSUS-CHRIST. (CHAP. 4,17, JUSQU’À LA FIN DU CHAP) ANALYSE.
- 1. Pourquoi saint Paul fait porter sa lettre par son disciple Timothée.
- 2. Que les œuvres valent mieux que les paroles.
- 3. Comment s’acquiert le royaume des cieux. – Ce n’est pas vouloir le bien que de le vouloir faiblement et sans rien faire. – Pourquoi Dieu a donné à l’homme le libre arbitre.
- 4. Que la vertu est plus aisée que le vice. – Qu’un pauvre qui ne désire rien est préférable à un riche cupide.
- 5. Insatiabilité des avares ; maux qu’elle cause.
1. Considérez ici, je vous prie, une âme généreuse, plus ardente, plus vive que le feu. Il aurait voulu être, chez les Corinthiens, si malades et Si divisés. Car il savait combien sa présence était utile à ses disciples, combien son absence leur était nuisible. Il indique le premier point dans sa lettre aux Philippiens, quand il leur dit : « Non seulement en ma présence, mais bien plus encore en mon absence, comme en ce moment, opérez votre salut avec crainte et tremblement. » (Phi 2,12) ; et le second quand il dit encore dans cette lettre-ci : « Quelques-uns s’enflent en eux-mêmes, comme si je ne devais plus « venir vous voir ; mais je viendrai (18, 19) ». Il avait donc hâte, il avait le désir de venir ; mais comme cela n’était pas possible pour le moment, il les corrige par la promesse de son arrivée, et aussi par l’envoi de son disciple. « C’est pourquoi », leur dit-il, « je vous ai envoyé Timothée ». – « C’est pourquoi » qu’est-ce à dire ? Parce que j’ai soin de Mous comme de mes enfants, parce que c’est moi qui vous ai engendrés. Et la lettre est accompagnée de la recommandation de la personne : « Qui est mon fils bien-aimé et fidèle dans le Seigneur ». Il dit cela, et pour montrer l’amour qu’il lui porte et pour les préparer à le recevoir honorablement. Il ne dit pas simplement « fidèle », mais « fidèle dans le Seigneur », c’est-à-dire, dans tout ce qui est selon Dieu. Or, si c’est une gloire d’être fidèle dans les choses temporelles, à plus forte raison de l’être dans les choses spirituelles. Et si Timothée est le fils bien-aimé de Paul ; songez à ce que doit être l’amour de Paul pour les Corinthiens, en faveur de qui il s’en sépare ! Mais s’il est fidèle, il réglera tout d’une manière irréprochable. « Qui vous rappellera ». Il ne dit pas : Il vous enseignera, de peur qu’ils ne trouvassent mauvais de recevoir ses leçons. Aussi dit-il à la fin : « Car il travaille comme moi à l’œuvre de Dieu » (16, 10), de peur que quelqu’un ne le méprise. Car il n’y avait pas de jalousie chez les apôtres ils n’avaient qu’une chose en vue, l’édification de l’Église ; et si l’ouvrier était de moindre valeur, ils le soutenaient et l’aidaient avec le plus grand dévouement. C’est pour cela qu’il ne se contente pas de dire ; « Il vous rappellera » ; mais voulant couper court à leur jalousie (car Timothée était jeune) ; il ajoute : « Mes voies » ; non pas les, siennes, mais les miennes, c’est-à-dire, les règlements, les périls, les coutumes, les lois, les prescriptions, les canons des apôtres et tout le reste. Comme il a dit plus haut : « Nous sommes nus, souffletés ; nous n’avons pas de demeure stable », il ajoute : « Il vous rappellera tout cela ainsi que « les lois du Christ », afin de détruire les hérésies. Puis reprenant son sujet, il continue : « Mes voies en Jésus-Christ » ; rapportant tout au maître, suivant son usage, et voulant rendre digne de foi ce qui doit suivre, car il ajoute : « Selon ce que j’enseigne partout, dans toutes les églises. ». Je ne vous ai rien dit de nouveau : toutes les autres églises m’en rendent témoignage. Il affirme que ses voies sont en Jésus-Christ, pour montrer qu’elles n’ont rien d’humain et qu’avec le secours d’en haut il fait tout en règle. Après avoir dit cela et les avoir guéris, sur le point d’accuser l’incestueux, il reprend le langage de la colère, non qu’il soit réellement fâché, mais dans le but de les corriger ; et laissant de côté le coupable, il s’adresse aux autres, comme s’il jugeait celui-là indigne qu’on lui parlât : procédé dont nous usons nous-mêmes à l’égard de serviteurs qui nous ont grandement offensés. Après avoir dit : « Je vous envoie Timothée », pour prévenir la négligence où ils pourraient tomber, voyez ce qu’il ajoute : « Quelques-uns s’enflent en eux-mêmes, comme si je ne devais plus venir vous voir ». Par là, il les attaque, eux et quelques autres, en ébranlant leur orgueil. Car c’est le propre de ceux qui ambitionnent le pouvoir ; d’être arrogants en l’absence du maître. Quand il s’adresse – à la multitude, voyez comme il cherche à inspirer la honte ; mais quand il s’adresse aulx auteurs du mal, son langage est bien plus violent. À ceux-là il dit : « La balayure rejetée de tous », puis, dans le but de les adoucir : « Ce n’est point pour vous donner de la confusion que j’écris ceci ». À ceux-ci il, dit : « Quelques-uns s’enflent en eux-mêmes, comme si je ne devais plus venir vous voir », montrant que l’arrogance est le fait d’une âme puérile ; en effet, les enfants se relâchent en l’absence du maître. C’est ce qui est indiqué ici, et aussi, que la présence de ce même maître suffit à faire tout rentrer dans l’ordre. 2. Car comme la présence du lion terrifie les animaux, ainsi celle de Paul épouvante les fléaux de l’Église. Voilà pourquoi il ajoute : « Mais je viendrai vers vous bientôt, si le Seigneur le veut ».S’en tenir à ces paroles n’eût paru qu’une menace ; mais promettre lui-même et exiger d’eux la démonstration par les œuvres, voilà qui est d’une grande âme. Aussi, ajoute-t-il : « Et je connaîtrai non quel est le langage de ceux qui sont pleins d’eux-mêmes, mais quelle est leur vertu ». Car leur arrogance avait pris sa source, non dans leurs succès propres, mais dans l’absence du maître : ce qui était un signe de mépris. C’est pourquoi après avoir dit : « Je vous ai envoyé, Timothée », il n’ajoute pas tout d’abord : « Je viendrai » ; mais il commence par les accuser de s’enfler en eux-mêmes, puis il dit : « Je viendrai ». Si cette parole avait précédé l’accusation, il eût eu l’air de s’excuser comme s’il n’eût pas été abandonné ; ce n’eût pas été une menace, et on n’y aurait pas ajouté foi ; mais comme elle suit l’accusation ; elle le rend digne de foi et terrible. Et voyez sa fermeté et son assurance ! Il ne dit pas seulement : « Je viendrai » ; mais : « Si le Seigneur le veut », et il ne détermine pas le temps. Car comme pouvait réprouver du retard, il veut que l’incertitude les tienne en suspens et en crainte. Mais de peur qu’ils ne tombent dans d’abattement, il ajoute : « Bientôt ». « Et je connaîtrai non quel est le langage de ceux qui sont pleins d’eux-mêmes, mais quelle est leur vertu ». Il ne dit pas je connaîtrai la sagesse ni les signes ; que dit-il donc ? « Non quel est le langage », abaissant l’un, et relevant l’autre. Et en attendant, il s’adresse à ceux qui prenaient le parti de l’incestueux. Si, en effet, il se fût adressé à celui-ci, il n’aurait pas dit « vertu », mais œuvres lesquelles étaient perverses chez lui. Et pourquoi ne vous inquiétez-vous pas de l’éloquence ? Ce n’est pas que j’en sois dépourvu, mais, pour nous, tout consiste dans la vertu. Comme dans les combats, le succès n’est pas pour ceux qui parlent beaucoup, mais pour ceux qui agissent ; de même ici la victoire n’est point le résultat des paroles, mais des œuvres. C’est leur dire : vous êtes fier de votre éloquence ; s’il s’agissait maintenant d’un combat de rhéteurs ; vous auriez raison d’être content de vous ; mais si c’est une lutte d’apôtres prêchant la vérité et la confirmant par des miracles, pourquoi vous enfler d’une chose superflue qui n’est rien ; qui ne peut servir à rien dans l’état présent ? Qu’est-ce, en effet, qu’une vaine parade de mots pour ressusciter un dort, chasser les démons, ou opérer fout autre prodige ? Or, c’est là ce qu’il faut maintenant, c’est par là que notre œuvre s’accomplit. Aussi ajoute-t-il : « Car ce n’est pas dans les paroles que consiste le royaume de Dieu, mais dans la vertu ». C’est-à-dire : Ce n’est pas par les paroles que nous avons vaincu, mais par les signes ; et parce que notre enseignement est divin, parce que nous annonçons le royaume des cieux, et que nous donnons pour preuve principale les miracles que nous faisons par la vertu de l’Esprit. Si donc ceux qui s’enflent maintenant veulent être grands, qu’ils fassent voir cette vertu ; quand je serai arrivé, qu’ils ne m’offrent pas une vaine pompe de langage : cet art est pour nous sans valeur. « Que voulez-vous ? que je vienne à vous avec une verge, ou avec charité et mansuétude ? » Ces paroles sont tout à la fois effrayantes et pleines, de douceur. Dire : « Je connaîtrai » ; c’était se contenir ; mais dire : « Que voulez-vous? que je vienne à vous avec une verge ? » c’est monter sur sa chaire de docteur, parler delà et prendre toute l’autorité. Qu’est-ce que cela veut dire : « Avec une verge ? » C’est-à-dire : avec la punition, avec le châtiment ; c’est-à-dire : je tuerai, je frapperai de cécité ; ce que Pierre a déjà fait à Saphire, et lui-même à Elymas le magicien. Maintenant il ne parle plus comme se mettant à leur niveau, mais d’un ton d’autorité. Dans sa seconde lettre, il parle de la même manière quand il dit : « Est-ce que vous voulez éprouver celui qui parle en moi, le Christ ? » (2Co 13,3) « Que je vienne avec une verge ou avec charité ». Quoi ! cette verge ne serait-elle pas celle de la charité ? Certainement si ; mais il parle de la sorte parce que la charité ne se résout qu’avec peine à punir. Quand il s’agit de châtiment il ne dit plus : En esprit de douceur, mais : « avec une verge ». Et pourtant tout se faisait dans l’Esprit, qui est tout à la fois un Esprit de douceur et un Esprit de sévérité ; mais il ne l’appelle pas ainsi et préfère lui donner un nom plus doux. C’est pour cela que Dieu, bien qu’il punisse, est appelé souvent miséricordieux, patient, riche en pitié et en miséricordes ; et c’est à peine si, une fois sur deux, rarement au moins, on dit qu’il punit, et encore ne le dit-on que dans l’occasion et par nécessité. Et voyez la sagesse de Paul. Il a l’autorité, et pourtant il leur laisse le choix, disant : « Que voulez-vous ? » La chose est en votre pouvoir. Et en réalité il dépend de nous de tomber en enfer ou d’obtenir le royaume du ciel ; ainsi Dieu l’a voulu. « Voilà l’eau et le feu ; étendez à votre choix la main vers l’un ou l’autre ». (Sir 15,16) Et encore : « Si vous le voulez, et si vous m’écoutez, vous mangerez les biens de la terre ». (Isa 1,19) 3. Quelqu’un dira peut-être : Je le veux. Au fait, personne n’est assez insensé pour ne pas vouloir ; mais vouloir ne suffit pas. – Vouloir suffit, si, vous voulez comme il faut, si vous faites ce qu’il faut faire quand on veut ; mais votre volonté n’est pas forte. Étudions cela dans d’autres sujets, si vous le voulez. Dites-moi : pour épouser une femme ; est-ce assez de le vouloir ? Non certainement : il faut chercher des entremetteuses, intéresser ses amis à l’affaire, se procurer de l’argent. Il ne suffit pas à un marchand de vouloir et de rester chez lui ; mais il faut louer un navire, se fournir de pilotes et de rameurs, emprunter de l’argent, et s’informer soigneusement des lieux et du prix des marchandises. Comment donc ne serait-il pas absurde de se donner tant de peine pour les choses de la terre et de se contenter de la volonté pour acheter le royaume du ciel ? bien plus, de ne pas même montrer une véritable bonne volonté ? Car celui qui veut comme il faut, fait tout ce qui peul le conduire à son but. En effet, quand la faim vous force à manger, vous n’attendez pas que les aliments viennent d’eux-mêmes à vous, mais vous faites tout pour vous les procurer ; quand vous avez soit ou froid, ou que vous éprouvez tout autre besoin, vous êtes également actif et empressé à soigner votre corps. Faites-en autant pour le royaume des cieux, et vous l’obtiendrez sûrement. Dieu vous a donné le libre arbitre précisément pour que vous ne l’accusiez pas de vous avoir contraint. Et vous vous fâchez de ce qui fait votre honneur ! J’en ai, en effet, entendu beaucoup dire : Pourquoi m’a-t-il rendu maître de ma propre volonté ? Quoi ! devait-il vous amener au ciel pendant que vous dormez ou que vous sommeillez, que vous vous adonnez à tous les vices, Une vous vivez dans la volupté ou dans les plaisirs de la table ? Mais vous ne vous seriez pas abstenu du mal. Car si vous ne vous en abstenez pas nous le coup de ses menaces ; ne seriez-vous pas devenu plus liche et beaucoup plus vicieux,s’il vous avait proposé le ciel pour récompense ? Et vous ne pouvez pas dire : Il m’a fait voir, des biens et né m’a pas aidé à les acquérir, car il vous promet de grands secours : Mais, dites-vous, la vertu est désagréable et pénible, tandis qu’un grand plaisir se mêle au vice ; l’un est large et spacieux, et l’autre étroite et resserrée. Eh dites-moi : en fut-il ainsi dès le commencement ? C’est malgré vous que vous parlez ainsi de la vertu ; tant la vérité a de force ! S’il y avait deux chemins dont l’un conduisît à une fournaise, et l’autre à un jardin, et que le premier fût large et le second étroit, lequel choisiriez-vous ? Vous aurez beau disputer et contredire, même jusqu’à l’impudence, vous ne détruirez pas des vérités acceptées de tous. Je m’efforcerai de vous prouver, par des exemples sensibles, qu’il faut choisir la voie qui est rude au commencement et ne l’est plus à la fin. Si vous le voulez, commençons par les arts ; ils sont très pénibles d’abord et deviennent ensuite lucratifs. Mais, dites-vous, personne ne s’y applique sans y être forcé ; si le jeune homme était maître de lui-même, il aimerait mieux vivre tout d’abord dans les délices, au risque de beaucoup souffrir à la fin, que de commencer par vivre misérablement pour recueillir plus tard les fruits de ses travaux. Donc c’est là une pensée d’enfant, d’orphelin, l’inspiration d’une paresse puérile ; la conduite opposée est celle de la prudence et du courage. Donc si nous ne sommes pas enfants par le caractère, nous n’imiterons pis, l’enfant privé de ses parents eu de sa raison, mais celui qui a son père. Donc il faut dépouiller cet esprit puéril, ne pas accuser les choses, et donner à la conscience un guide qui ne lui permette pas de se livrer à la bonne chère, mais l’oblige à courir et à combattre. Comment ne serait-il pas absurde que des enfants dépensassent leurs peines et leurs sueurs à des métiers dont les débuts sont laborieux et les profits ne viennent qu’à la fin, et que nous tinssions une toute autre conduite dans les affaires spirituelles ? Et encore, dans les questions matérielles, n’est-on pas toujours sûr d’arriver à un bon résultat. Car une mort prématurée, la pauvreté, la calomnie, les vicissitudes des événements, et beaucoup d’autres causes semblables, peuvent nous priver des fruits de nos longs travaux. Et quand on atteint le but, on n’en retire pas grand avantage, puisque tout disparaît avec la vie présente. Mais ici nous ne courons pas pour des objets stériles et passagers, nous n’avons rien à craindre pour le résultat ; nous espérons, après le départ de cette vie, des biens plus grands et plus solides. Quel pardon, quelle excuse y a-t-il donc peur ceux qui ne, veulent pas travailler à acquérir la vertu ? On demande encore : Pourquoi la voie est-elle étroite ? On ne laisse pas entrer un débauché, un ivrogne, un libertin dans les palais des princes de la terre ; et vous voudriez qu’on entrât dans le ciel avec la licence, la volupté, l’ivrognerie, l’avarice et tous les autres vices ! Cela est-il acceptable ? 4. Ce n’est pas cela que je veux dire, reprend-on ; mais pourquoi le chemin de la vertu n’est-il pas large ? Si nous le voulons, il est très facile. Lequel est le plus facile, dites-moi, de percer les murailles, pour voler le bien d’autrui et être Ensuite jeté en prison ; ou de se contenter de ce que l’on a et de vivre sans crainte ? Et je n’ai pas tout dit. Lequel est le plus facile, dites-moi encore, de voler tout le monde, de jouir un moment d’une partie de ses vols, puis d’être torturé et flagellé éternellement ; ou de vivre quelque temps dans une honnête pauvreté, pour jouir ensuite d’un bonheur sans fin ? Ne parlons pas encore de profit, mais de facilité. Lequel est le plus doux d’avoir eu un songe agréable et d’être réellement puni, ou d’avoir eu un songe pénible et de jouir du bonheur ? N’est-ce pas évidemment ce dernier cas ? Comment donc appelez-vous la vertu âpre et difficile ? Elle l’est en effet, eu égard à notre indolence. Mais le Christ nous dit qu’elle est facile et douce. Écoutez-le : « Mon joug est doux et mon fardeau léger ». (Mat 11,30) Et st vous ne sentez pas qu’il est léger, c’est que vous n’avez pas l’âme forte. Car comme tout ce qui est lourd lui devient léger quand elle est forte, ainsi tout ce qui est léger lui devient lourd quand elle ne l’est pas. Qu’y avait-il de plus agréable que la manne, de plus facile à préparer ? Pourtant les Juifs se dégoûtaient de cette délicieuse nourriture. Quoi de plus cruel que la faim et due toutes les souffrances endurées par Paul ? Et i1 tressaillait de joie, et il se réjouissait, et il disait « Maintenant je me réjouis dans mes souffrances ». (Col 1,24) À quoi cela tient-il ? À la différence des âmes. Si votre âme est ce qu’elle doit être, vous verrez la facilité de la vertu. Quoi, direz-vous, la vertu devient facile parla disposition de l’âme ? Pas uniquement pour cela, mais aussi par sa nature. – En effet, si elle était toujours difficile et le vice toujours facile, ceux qui sont tombés auraient raison de dire que le vice est plus facile que la vertu ; mais si l’une est difficile et l’autre facile au commencement, et qu’à la fin ce soit tout le contraire, et que cette fin, heureuse ou malheureuse, doive durer éternellement, lequel, dites-moi, est le plus facile à choisir ? Pourquoi donc un grand nombre d’hommes ne choisissent-ils pas le plus facile ? Parce que les uns ne croient pas, et que tes autres, tout en croyant, ont le jugement perverti, et préfèrent une jouissance éphémère à un bonheur éternel. – Donc c’est plus facile. – Cela n’est pas plus facile, mais c’est l’effet de la faiblesse de l’âme. Comme les fiévreux aiment à boire de l’eau froide, non parce qu’une jouissance d’un moment est préférable à une longue souffrance, mais parce qu’ils ne peuvent contenir un désir déraisonnable ; ainsi en est-il ici, tellement que si on les conduisait au supplice au milieu du plaisir, ils n’y voudraient point consentir. Voyez-vous combien le vice est plus facile ? Si vous le voulez, examinons encore ici la nature des choses. Quoi de plus doux, dites-moi, quoi de plus facile ? Mais ne jugeons point d’après là passion de la multitude ; car ce ne sont pas les malades, mais ceux qui se portent bien qu’on doit consulter. Quand vous me montreriez des milliers de fiévreux, recherchant ce qui est contraire à leur santé, au risque de souffrir ensuite ; je n’accepterais pas leur manière de voir. Lequel est le plus facile, dites-moi, d’ambitionner de grandes richesses, ou d’être au-dessus de cette ambition ? C’est ce dernier point, ce me semble ; et si vous n’êtes pas de mon avis, allons au fond des choses. Supposons un homme qui désire beaucoup et un homme qui ne désire rien : lequel de ces deux états vaut le mieux, lequel est le plus honorable ? 5. Mais laissons cela de côté : il est incontestable que le dernier est plus honorable que l’autre ; mais ce n’est point là la question ; il s’agit de savoir lequel des deux vit le plus facilement, le plus agréablement. Or l’avare ne jouit pas même de ce qu’il a ; il ne voudrait pas dépenser ce qu’il aime ; il couperait lui-même sa chair et en jetterait su loin les morceaux plutôt que de jeter son or ; tandis que celui qui méprise les richesses a au moins cet avantage qu’il jouit en toute liberté et sécurité de ce qu’il possède, et s’estime plus que ses biens Maintenant, lequel est le plus agréable, de jouir tranquillement de ce qu’on a, ou d’être esclave de la richesse jusqu’à n’oser toucher à ce que l’on possède ? C’est à peu près, ce me semble, comme si deux hommes avaient chacun une femme qu’ils aimassent beaucoup, et que l’un eût la faculté de jouir de la sienne, tandis que ce pouvoir serait refusé à l’autre. Je dirai encore autre chose pour faire voir combien la vertu procure de joie et le vice de tristesse. Jamais l’avare ne modérera sa passion, ni par la considération qu’il ne peut pas s’emparer du bien de tout le monde, ni parce qu’il regarde comme rien tout ce qu’il possède ; au contraire, celui qui méprise l’argent, regarde tout comme superflu, et n’est point tourmenté par des désirs insatiables. Car il n’est pas de supplice pareil à celui d’un désir inassouvi ; ce qui est l’indice d’un sens étrangement perverti. Voyez en effet : Celui qui désire de l’argent et en possède déjà beaucoup, est aussi tourmenté que s’il n’avait rien. Or, quoi de plus compliqué qu’une telle maladie ? non seulement elle est grave par elle-même, mais encore parce que, tout en possédant, on ne semble rien posséder, et qu’on est tourmenté comme si l’on n’avait réellement rien ; possédât-on les biens de tout le monde, on n’en serait que plus malheureux ; si l’on a cent talents, on s’afflige de n’en pas avoir mille ; si on en a mille, on souffre de n’en avoir pas dix mille ; si on en a dix mille, on est tourmenté de n’en avoir pas dix fois plus ; en sorte qu’un surcroît de fortune devient un surcroît de pauvreté, et que plus on a, plus on désire avoir. Donc, plus on possède, plus on est pauvre : car celui qui désire le plus, est celui à qui il manque davantage. Avec cent talents, il n’est pas très pauvre, car il n’en désire que mille ; quand il en a mille, il devient plus pauvre ; car il ne, se contente pas de mille, comme auparavant, mais il prétend qu’il lui en faut dix mille. Que si vous prétendez que ce soit un plaisir de désirer sans obtenir, il me semble que vous ignorez absolument la nature du plaisir. Prouvons, dans un autre ordre de choses, que c’est là, non une jouissance, mais un supplice. Pourquoi, quand nous avons soif, goûtons-nous du plaisir à boire ? N’est-ce pas parce qu’en buvant, nous nous délivrons d’un grand tourment, qui est le désir de boire ? Évidemment. Or, si ce désir devait toujours durer, notre sort ne serait pas meilleur que celui du riche qui n’eut pas pitié de Lazare, notre tourment ne serait pas moindre : car sa punition était de désirer ardemment une goutte d’eau sang pouvoir l’obtenir. C’est là, ce me semble, le perpétuel supplice des avares : ils ressemblent à ce riche qui demandait une goutte d’eau et ne l’obtenait pas ; leur âme est même encore plus tourmentée que la sienne. Aussi a-t-on eu raison de les comparer aux hydropiques. Car comme ceux-ci, en portant beaucoup d’eau dans leur corps, n’en sont que plus brûlés parla soif ; ainsi ceux-là, quoique chargés d’une grande quantité d’argent, tan désirent encore davantage. Et la raison en est que les uns ne portent pas leur eau dans les endroits convenables, ni les autres leur désir d’une manière raisonnable. Fuyons donc cette étrange ; cette stérile maladie ; fuyons la racine des maux ; fuyons l’enfer de ce monde : car la passion de l’avare est un enfer. Pénétrez dans l’âme de celui qui méprise l’argent, et dans celle de celui qui ne le méprise pas ; et vous verrez que le premier, semblable aux fous furieux, ne veut rien voir, rien entendre ; et que le second ressemble à un port à l’abri des flots, et qu’il est aimé de tout le monde matant que l’autre en est haï, En effet, si on lui prend, il ne s’attriste pas ; si on lui donne, il ne s’enfle pas ; il règne en lui une certaine indépendance pleine de sécurité ; il n’est pas obligé, comme l’avare, de flatter tout le monde et de faire l’hypocrite. Si donc l’avare est pauvre, lâche ; dissimulé, rempli de terreur, livré aux châtiments et aux tortures, tandis que celui qui méprise l’argent jouit de tous les biens opposés ; n’est-il pas évident que la vertu est : plus douce que le vice ? Nous pourrions prouver encore par les autres défauts que le mal ne procure jamais la joie, si déjà nous n’avions longtemps parlé. Éclaircis sur ce point, choisissons donc la vertu, afin d’être heureux ici-bas et d’obtenir les biens futurs, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, en qui appartiennent au Père, en union avec le Saint-Esprit, la gloire, l’empire, l’honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.