‏ 1 Corinthians 6

HOMÉLIE XVI.

JE VOUS AI ÉCRIT DANS LA LETTRE : N’AYEZ POINT DE COMMERCE AVEC LES FORNICATEURS ; CE QUI NE S’ENTEND PAS DES FORNICATEURS DE CE MONDE, NON PLUS QUE DES AVARES, DES RAVISSEURS, DES IDOLÂTRES ; AUTREMENT VOUS DEVRIEZ SORTIR DE CE MONDE. MAIS JE VOUS AI ÉCRIT DE NE POINT AVOIR DE COMMERCE AVEC CELUI QUI, PORTANT LE NOM DE FRÈRE PARMI VOUS, EST FORNICATEUR, OU AVARE OU IDOLÂTRE, OU IVROGNE, OU MÉDISANT, OU RAPACE, ET MÊME DE NE PAS MANGER AVEC LUI. (CHAP. 5, VERS. 9, 10, 11, JUSQU’AU VERS. 11 DU CHAP. VI)

ANALYSE.

  • 1. Saint Paul fait mention d’une autre lettre aux Corinthiens, écrite avant celle-ci et qui s’est perdue. – Purifiez-vous, leur dit-il, de tous ces vices au sujet desquels je vous ai donné des avis dans une première lettre. – Séparez-vous de tous ces hommes corrompus qui sont parmi vous. – Quant à ceux qui ne sont pas chrétiens, ne les jugez pas.
  • 2. Le retranchement des coupables avait lieu aussi dans l’ancienne Loi, mais d’une manière plus sévère puisqu’on les lapidait. Saint Paul défend aux chrétiens de se faire juger par les tribunaux païens.
  • 3. Les derniers d’entre vous peuvent juger des affaires de ce monde : ne savez-vous pas que vous êtes appelés à juger les anges?
  • 4. Contre la médisance.
  • 5 et 6. Que la passion des richesses renverse tout. – Combien il faut qu’un chrétien évite les procès. – De la patience dans les injures. – Conduite que doit tenir un chrétien quand on lui fait quelque tort. – Contre ceux qui oppriment les pauvres.

1. Comme il avait dit : « Et vous n’êtes pas plutôt clans les pleurs, pour faire disparaître du milieu de vous celui qui a commis cette « action ? » et encore : « Purifiez-vous du vieux levain », il était vraisemblable que les Corinthiens se croiraient obligés de fuir tous les fornicateurs. En effet, si le coupable communique son mal aux innocents ; ce sont surtout les infidèles qu’il faut éloigner ; puisqu’on ne doit pas même épargner un frère de peur qu’il ne répande la contagion, à plus forte raison ne doit-on pas ménager les étrangers. Dans celte hypothèse, il aurait donc fallu rompre avec tous les fornicateurs qui se trouvaient chez les Grecs : chose impossible ; et que les Corinthiens eussent difficilement accepté. Voilà pourquoi l’apôtre met un correctif, en disant : « Je vous ai écrit : n’ayez point de commerce avec les fornicateurs ; ce qui ne s’entend pas des fornicateurs de ce monde » ; et donnant, ces mots : « Ce qui ne s’entend pas », comme chose convenue. De peur qu’ils ne s’imaginent qu’il n’exige point cette séparation parce qu’ils sont trop imparfaits et pour qu’ils ne s’avisent pas de l’opérer en qualité de parfaits, il leur fait voir qu’ils ne le pourraient pas avec la meilleure volonté possible : autrement il faudrait chercher un autre mondé. Aussi ajoute-t-il : « Autrement vous devriez sortie du monde ».

Voyez-vous comme il est peu exigeât, comme il cherche en tout à rendre l’exécution de la loi, non seulement possible, mais facile ? Comment, leur dit-il, serait-il possible à un chef de maison, à un père de famille, à un magistrat, à un artisan, à un soldat, au milieu de tant de grecs, d’éviter les fornicateurs qui se trouvent partout ? Car c’est aux grecs qu’il applique cette expression : « Les fornicateurs de ce monde. Mais je vous ai écrit de ne point avoir de commerce avec celui qui, portant le nom de frère, est fornicateur, et même de ne pas manger avec lui ». Ici il indique d’autres personnes vivant dans l’iniquité. Mais comment un frère peut-il être idolâtre ? Cela arrivait autrefois chez les samaritains, qui n’avaient embrassé la religion qu’à demi. D’ailleurs il pose ici la base de ce qu’il va dire tout à l’heure sur les idolâtres. « Ou avare ». Il va combattre ce vice ; aussi dit-il : « Pourquoi ne supportez-vous pas plutôt d’être lésés ? Pourquoi ne soutirez-vous pas d’être dépouillés ? Mais vous-mêmes vous lésez, vous dépouillez ». – « Ou ivrogne ». Plus bas il accuse aussi ce vice quand il dit : « L’un a faim, et l’autre est ivre » (Ch 11,21) ; et encore « Les aliments sont pour l’estomac et l’estomac a pour les aliments (Ch 6,13). Ou médisant ou rapace ». Il en a déjà parlé plus haut avec blâme. Ensuite il donne la raison pour laquelle il n’empêche point d’avoir des rapports avec les étrangers entachés de ces vices : C’est que non seulement cela n’est pas possible, mais que ce serait inutile. « En effet, m’appartient-il de juger ceux qui sont dehors ? »

Il appelle chrétiens ceux qui sont dedans, et grecs ceux qui sont dehors. C’est ainsi qu’il dit ailleurs : « Il faut aussi qu’il ait un bon témoignage de ceux qui sont, dehors ». Et dans l’épître aux Thessaloniciens, il répète dans les mêmes termes : « N’ayez point de commerce avec lui, afin qu’il soit couvert de confusion. Cependant ne le regardez pas a comme un ennemi, mais reprenez-le comme un frère ». Cette fois il ne donne pas de motif. Pourquoi ? Parce que là il voulait consoler, et ici, non. Là, la faute n’était pas la même, elle était moindre ; il n’accusait que d’oisiveté ; ici il s’agit de fornication et d’autres fautes plus graves. Si on veut passer chez les grecs, il ne défend pas d’y manger, et pour la même raison. Nous agissons encore de même, faisant tout pour nos fils et nos frères, et tenant peu de compte des étrangers. Quoi donc ? Paul avait-il aucun souci de ceux du dehors ? Il en avait, mais il ne leur donnait des lois qu’après qu’ils avaient reçu la prédication et s’étaient soumis à la doctrine du Christ ; mais tant qu’ils la méprisaient, il était inutile de donner des ordres à des hommes qui ne connaissaient pas même le Christ. « Et ceux qui sont dedans, n’est-ce pas vous qui les jugez ? Mais ceux qui sont dehors, c’est Dieu qui les jugera ». Après avoir dit : « M’appartient-il de juger ceux qui sont dehors, ? » De peur qu’on ne s’imaginât qu’ils resteraient impunis, il les livre à un autre tribunal terrible. Son but, en disant cela, est d’effrayer les uns et de consoler les autres, et de montrer que cette punition temporelle délivre du châtiment éternel ; ce qu’il affirme encore ailleurs, quand il dit : « Nous sommes jugés et châtiés maintenant, afin de ne pas être condamnés avec ce monde » (Id 11,32) ; et encore : « Faites disparaître le coupable du milieu de vous ». (Deu 17,7)

2. Il rappelle ce qui était dit dans l’Ancien Testament, et en même temps il leur fait voir qu’ils gagneront beaucoup à se délivrer, pour ainsi dire, d’un terrible fléau ; et encore que ceci n’est point une innovation, puisque déjà autrefois le législateur avait prescrit de retrancher ces coupables ; mais alors on procédait avec plus de sévérité, aujourd’hui on agit avec plus de douceur. On pourrait demander en effet pourquoi il était permis de punir et de lapider celui qui avait commis la faute, tandis qu’ici on l’invite seulement à faire pénitence. Pourquoi des procédés si différents ? Il y a à cela deux raisons : la première, c’est que les chrétiens étaient conduits à des combats plus grands, et qu’ils avaient besoin de plus de patience et de courage ; la seconde et la plus vraie, c’est que l’impunité les corrigeait plus facilement en les amenant à la pénitence ; tandis qu’elle rendait les Juifs plus méchants. Si en effet après avoir vu le châtiment des premiers coupables, ceux-ci n’en persévéraient pas moins dans les mêmes péchés ; à combien plus forte raisonne l’eussent-ils pas fait, si personne n’eût été puni ? Aussi, sous la loi ancienne, l’adultère et l’homicide étaient-ils immédiatement frappés de mort ; mais sous la nouvelle, s’ils se lavent par la pénitence, ils échappent au châtiment. Toutefois on peut voir des peines plus sévères dans la nouvelle loi et de plus douces dans l’ancienne ; ce, qui prouve qu’un lien de parenté unit les deux Testaments, et qu’ils sont tous les deux l’œuvre d’un seul et même législateur ; que dans l’un et l’autre le supplice suit, qu’il tarde souvent beaucoup, souvent aussi très peu, mais que toujours Dieu se contente du repentir. En effet, dans l’Ancien Testament, David, adultère et homicide, est épargné ; et, dans le Nouveau, Ananie, pour avoir soustrait une partie du prix de son champ, est frappé de mort avec sa femme. Que si ces derniers exemples abondent dans l’Ancien Testament et sont rares dans le Nouveau, la différence des personnes explique la différence de conduite.

« Quelqu’un de vous, ayant avec un autre un différend, ose l’appeler en jugement devant les injustes ; et non devant les saints ? » Encore une fois il intente accusation comme sur une chose avouée. Là il dit : « Il n’est bruit que d’une fornication commise parmi vous » ; et ici : « Quelqu’un de vous ose » ; manifestant ainsi dès l’abord son courroux, et faisant voir l’audace et la monstruosité de la faute. Et pourquoi en vint-il à l’avarice et au devoir de ne point en appeler au jugement des infidèles ? Pour se conformer à son propre usage. Il a en effet coutume de tout rectifier en passant ; comme quand, à propos des repas communs, il fait une digression sur les mystères. Ici donc, après avoir parlé des frères coupables d’avarice, dans sa vive sollicitude pour l’amendement des pécheurs, il sort de son sujet, corrige une espèce de péché amené là par voie de conséquence, puis revient à son premier objet. Écoutons donc ce qu’il en dit : « Quelqu’un de vous ayant avec un autre un différend, ose l’appeler en jugement avant les injustes, et non devant les saints ? » En attendant il s’exprime avec précision, en termes propres, il détourne, il accuse. Tout d’abord il n’infirme pas le jugement qui se rend devant les fidèles ; il ne te fait entièrement disparaître, qu’après les avoir d’abord épouvantés de bien des manières. Surtout, leur dit-il, s’il, faut un jugement,-qu’il n’ait pas lieu devant les injustes ; mais il n’en faut absolument point.

Toutefois ceci ne vient qu’en dernier lieu ; en attendant il défend absolument de se faire juger au-dehors. N’est-ce pas une absurdité, dit-il, que dans un différend avec un ami on prenne un ennemi pour arbitre ? Comment n’êtes-vous pas honteux, comment ne rougissez-vous pas, quand un Grec siège pour juger un chrétien ? Et s’il ne faut pas être jugé par les Grecs dans des questions d’intérêts privés, comment leur confier des affaires plus importantes ? Remarquez son expression : il ne dit pas : devant les infidèles, mais : « Devant les injustes », employant le terme qui peut le mieux servir son but, afin d’inspirer de l’aversion. Car comme il est question de Jugement, et que ceux qui sont jugés exigent surtout dans les juges un grand respect pour l’équité, il part de là pour les éloigner des tribunaux profanes, en leur disant à peu près : où allez-vous ? que faites-vous, ô homme ? Tout le contraire de ce que vous désirez ; car vous recourez à des hommes injustes pour obtenir justice. Et comme il eût été dur de s’entendre tous d’abord interdire le recours aux tribunaux, il n’en vient pas là du premier coup ; il se contente de changer les juges, et d’amener dans l’Église ceux qui devaient être jugés au-dehors. Ensuite, comme la mesure pouvait n’inspirer que peu de confiance ; surtout alors, parce que les juges, pour la plupart simples particuliers et ignorants, n’étaient probablement pas en état de bien comprendre et ne possédaient pas, comme les juges extérieurs, la connaissance des lois et l’art de parler ; voyez comme il relève leur crédit, en les appelant tout d’abord des saints ! Mais comme ce mot n’indiquait que la pureté de leur vie et non les connaissances nécessaires pour instruire une cause, voyez comme il y supplée ; en disant : « Ne savez-vous pas que les saints jugeront le monde ? »

3. Mais vous qui devez un jour les juger, comment souffrez-vous maintenant d’être jugés par eux ? Orles saints ne jugeront pas assis sur un tribunal et en demandent compte aux coupables, mais ils condamneront. C’est ce qu’il indique par ces mots : « Or, si le monde doit être jugé eu vous, êtes-vous indignes de juger des moindres choses ? » Il ne dit pas : Par vous, mais « en vous » ;.comme quand Jésus-Christ dit : « La reine du Midi se lèvera et condamnera cette génération » (Mat 12,42) ; et encore : « Les Ninivites se lèveront et condamneront cette génération ». (Id 41) Quand en effet voyant le même soleil, jouissant des mêmes avantages, nous serons trouvés croyants et eux incrédules, ils ne pourront prétexter d’ignorance : car notre propre conduite les condamnera. On trouvera encore bien d’autres motifs de condamnation. Et pour qu’on ne croie pas qu’il a d’autres personnes en vue, voyez comme il parle pour tous : « Et si le monde est jugé parmi vous, êtes-vous indignes de juger les moindres choses ? ». Voilà, leur dit-il, qui vous couvre de honte et vous imprime un immense déshonneur. Vous avez honte, à ce qu’il paraît, d’être jugés par vos frères, et la honte consiste au contraire à être jugé par ceux du dehors : car les jugements des premiers ont peu d’importance, et non ceux des seconds.

« Ne savez-vous pas que nous jugerons les anges ? Combien plus les choses du siècle ? » Quelques-uns voient ici une allusion aux prêtres, Mais loin, loin cette interprétation ! Car il s’agit des démons. S’il eût en intention de parler des mauvais prêtres, ce serait donc eux déjà qu’il aurait eus en vue plus haut, quand il disait : « Le monde est jugé par vous » ; puisque l’Écriture donne souvent le nom de monde aux méchants ; ensuite il n’eût point répété la même chose ; et surtout ne l’eût point répétée sous forme de gradation. Mais il parle de ces anges dont le Christ a dit : « Allez au feu qui a été préparé au diable et à ses anges » (Mat 25,41), et Paul : « Ses anges se transforment en ministres de justice ». (2Co 11,45) En effet si les puissances incorporelles nous sont trouvées inférieures, à nous qui sommes revêtus de chair, elles seront plus sévèrement punies. Que si on persiste à dire qu’il s’agit des prêtres, nous demanderons lesquels ? Sans doute ceux qui ont vécu entièrement à la façon des séculiers. Alors comment expliquer ces paroles : « Nous jugerons les anges : combien plus les choses du siècle ? » où il distingue les anges des séculiers, et avec raison : puisque l’excellence de leur nature les place en dehors des besoins de cette vie.

« Si donc vous avez des différends touchant des choses de cette vie, établissez, pour les juger, ceux qui tiennent le dernier rang dans l’Église ». Par cette hyperbole, il veut nous apprendre qu’en aucun cas nous ne devons nous confier à ceux du dehors ; et il a déjà répondu d’avance à l’objection qu’il soulève.

Voici, en effet, ce qu’il entend : Quelqu’un dira peut-être qu’il n’y a personne parmi vous qui soit instruit et capable de juger, que vous êtes tous des hommes sans valeur. Qu’importe ? Quand même vous n’auriez personne de savant, répond-il, confiez vos affaires aux plus petits. « Je le dis pour votre honte ». Ici il réfute l’objection, comme un prétexte inutile. Aussi ajoute-t-il : « N’y a-t-il donc parmi vous aucun sage ? » Êtes-vous si pauvres ? Y a-t-il chez-vous si grande rareté d’hommes intelligents ? Ce qui suit frappé encore plus fort ; car, après avoir dit : n’y a-t-il parmi vous aucun sage ? il ajoute : « Qui puisse être juge entée ses frères ? » Quand le litige est de frère à frère, l’arbitre n’a pas besoin d’une grande intelligence ni d’une grande habileté : l’affection, les relations de parenté aident singulièrement à la solution de telles difficultés : « Mais un frère plaide contre son frère, et cela devant des infidèles ! » Voyez-vous comme d’abord, dans un but d’utilité, il accusait les juges d’être injustes, et maintenant pour exciter la honte, il les appelle infidèles ? C’est quelque chose de bien honteux qu’un prêtre même ne puisse pas rétablir l’accord entre des frères et qu’il faille recourir à des étrangers. En disant donc : « Ceux qui tiennent le dernier rang », il a plutôt voulu les piquer que prétendre élever au rang de juges des hommes sans valeur. Et la preuve qu’on doit confier cette fonction à des hommes capables, c’est qu’il dit : « N’y a-t-il donc parmi vous aucun sage ? » Mais pour mieux fermer la bouche, il ajoute que, quand il n’y en aurait pas, il vaudrait mieux s’en remettre aux frères les moins intelligents qu’à des étrangers. Comment ne serait-il pas absurde que, dans une discussion domestique, on n’appelle aucun étranger, qu’on rougisse même d’est rien laisser transpirer dans le public ; et que dans l’Église, où est le trésor des mystères secrets ; tout soit livré à des étrangers ! « Mais un frère plaide contre son frère, et cela devant des infidèles ! » Double accusation : on plaide, et on plaide devant des infidèles. Si c’est déjà un mal en soi de plaider contre un frère, comment excuser celui qui le fait devant des étrangers ? « C’est déjà certainement pour vous une faute que vous ayez des procès entre vous ». Voyez-vous comme il a réservé jusqu’ici de parler de ce mal et avec quel à propos il le guérit ! C’est leur dire : Je ne dis pas encore que l’un fait tort et que l’autre le subit ; par le seul fait qu’il y a procès, je les désapprouve tous deux, et en cela l’un ne vaut pas mieux que l’autre.

4. Quant à la justice ou à l’injustice de l’action judiciaire, on en traitera ailleurs. Ne dites donc pas : On m’a fait tort ; dès que vous plaidez, je vous condamne. Mais si c’est un crime de ne pouvoir supporter une injure, à plus forte raison en est-ce un de la commettre. « Pourquoi ne supportez-vous pas plutôt d’être lésés ? Pourquoi ne supportez-vous pas plutôt la fraude ? Mais vous-mêmes vous lésez, vous fraudez, et cela à l’égard de vos frères ». Encore une fois double accusation, peut-être même triple, quadruple. La première : de ne pouvoir supporter celui qui vous fait tort ; la seconde, de faire tort vous-même ; la troisième, de remettre le jugement à des hommes injustes ; la quatrième, de faire cela à l’égard d’un frère. Car ce n’est pas la même chose de commettre un péché contre le premier venu ou contre un membre de sa famille. Car en ce dernier cas, l’audace est bien plus grande : Là, on n’outrage que la nature des choses ; ici, on manque à la dignité même de la personne. Après les avoir ainsi fait rougir par les motifs ordinaires et, plus haut déjà, enl eur mettant les récompenses sous les yeux, il conclut son exhortation par la menace, et prenant un ton plus violent : « Ne savez-vous pas », leur dit-il, « que les injustes ne posséderont pas le royaume de Dieu ? ne vous abusez point ni les fornicateurs, ni les idolâtres ; ni les adultères, ni les efféminés, ni les abominables, ni les avares, ni les voleurs, ni les ivrognes, ni les médisants, ni les ravisseurs ne posséderont le royaume de Dieu ».

Que dites-vous, Paul ? à propos des avares, vous faites passer devant nous cette longue chine de prévaricateurs ? Oui, répond-il, mais je ne confonds rien et je procède par ordre. Comme à propos des fornicateurs, il a fait mention de tous les autres ; ainsi fait-il encore à l’occasion des avares, pour accoutumer aux reproches ceux qui se sentent coupables de telles iniquités. À force d’avoir entendu parler du châtiment réservé aux autres, on est plus disposé à s’entendre adresser des reproches, quand il faudra travailler à combattre son défaut personnel. Et s’il menace, ce n’est point parce qu’il sait qu’ils le méritent, ni pour leur faire des reproches : mais rien n’est plus propre à retenir et à contenir l’auditeur qu’un discours qui ne s’adresse point à lui directement, n’a pas de but déterminé et remue secrètement sa conscience. « Ne vous abusez point ». Ceci insinue que certaines personnes disaient alors ce que beaucoup disent aujourd’hui Dieu est clément et bon, il ne se venge pas des péchés : ne craignons rien ; il ne punira personne de quoi que ce soit. Voilà pourquoi il dit : « Ne vous abusez pas ». Car c’est une erreur extrême et une illusion d’espérer le bien et d’obtenir le mal, et de supposer en Dieu ce qu’on n’oserait pas même penser d’un homme. Aussi le prophète nous dit-il en son propre nom. « Tu as songé à mal, t’imaginant que je te ressemble : je te confondrai et je te mettrai tes iniquités sous les yeux ». (Psa 49) Et Paul dit ici : « Ne vous abusez point : ni les fornicateurs (il place au premier rang celui qui avait déjà été condamné), ni les adultères, ni les efféminés, ni, les ivrognes ; ni les médisants ne posséderont le royaume de Dieu ». Beaucoup ont blâmé ce passage comme trop dur, parce qu’il met l’ivrogne et le médisant au même niveau que l’adultère, le libertin et le sodomite. Or ces crimes ne sont pas égaux : comment leur châtiment peut-il l’être ? À cela que répondrons-nous ? que l’ivrognerie et la médisance ne sont pas choses de peu d’importance : puisque le Christ a jugé digne de l’enfer celui qui traite son frère de fou. Souvent la mort en a été la suite, et l’ivresse a fait commettre de très graves péchés aux Juifs. Ensuite nous dirons que l’apôtre ne parle pas ici de châtiment, mais d’exclusion du royaume. L’un et l’autre sont donc également exclus. Mais qu’il y ait une différence dans le supplice de l’enfer, ce n’est pas ici le lieu de traiter cette question, car ce n’est point là notre sujet. « C’est ce que quelques-uns de vous ont été ; mais vous avez été lavés, mais de quels maux Dieu vous a délivrés, quelle bonté il vous a témoignée et prouvée par des faits ; il ne s’est pas contenté de vous délivrer, il a poussé la bienfaisance beaucoup plus loin, il vous a purifiés. Est-ce tout ? non : il vous a sanctifiés, et non seulement sanctifiés ; mais justifiés. Cependant vous délivrer de vos péchés, c’était déjà un grand don ; et il y a ajouté d’innombrables bienfaits. Et tout cela s’est fait « au nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ », non en celui-ci ou en celui-là, mais « dans l’esprit de notre Dieu ». Instruits de ces vérités, songeons, mes bien-aimés, à la grandeur du bienfait que nous avons reçu, persévérons dans une vie sage et régulière, restons exempts de tous les vices que nous avons énumérés,.fuyons les tribunaux profanes et conservons soigneusement la noblesse que nous tenons de la libéralité de Dieu. Comprenez quelle honte c’est pour vous d’être jugés par un grec.

5. Mais, direz-vous, si le fidèle est un juge inique ? Pourquoi le serait-il, je vous le demande ? Selon quelles lois juge le grec ? selon quelles lois juge le chrétien ? N’est-il pas clair que le premier juge selon les lois des hommes ; et le second selon les lois de Dieu ? C’est donc ici qu’on trouvera plutôt la justice, puisque ces lois sont descendues du ciel. Devant les tribunaux profanes, outre ce que nous avons dit, il y a bien d’autres motifs de défiance : l’habileté des avocats, la corruption des juges et beaucoup d’autres choses qui détruisent la justice ; mais ici rien de pareil. Mais, dira-t-on, si l’adversaire est puissant ? Et c’est surtout alors qu’il faut chercher des juges chez nous : car ce puissant l’emportera nécessairement sur vous devant les tribunaux étrangers. Mais s’il n’y consent pas, s’il dédaigne nos propres jugements et nous traîne de force devant les infidèles ? Le meilleur alors pour vous est de supporter avec patience ce que la nécessité vous impose et de récuser le tribunal, pour obtenir la récompense. Car Jésus-Christ a dit : « À celui qui veut vous appeler en justice pour vous enlever votre tunique, abandonnez-lui encore votre manteau » (Mat 5,40) ; et encore : « Accordez-vous au plus tôt avec votre adversaire, pendant que vous êtes en chemin avec lui ». (Id 21) Et pourquoi chercher des témoignages chez nous ? Les chefs des tribunaux étrangers disent très souvent qu’il vaut mieux s’arranger que plaider.

Mais, ô richesses ! ou plutôt, ô absurde attachement aux richesses ! tu détruis tout, tu renverses tout ; pour toi, tout le reste n’est que bagatelle et fable aux yeux de la foule. Que des séculiers assiègent les tribunaux, à cela rien d’étonnant ; mais que beaucoup de ceux qui ont renoncé au monde en fassent autant, voilà qui n’est pas pardonnable. Si vous voulez savoir combien l’Écriture condamne chez vous cet abus, et pour qui les lois sont faites, écoutez ce que dit Paul : « La loi n’est pas établie pour le juste, mais pour les injustes et les insoumis ». (1Ti 1,9) Or s’il a dit cela de la loi de Moïse, à plus forte raison des lois païennes. Si donc vous faites tort, vous êtes évidemment injuste : si vous êtes lésé et que vous le supportiez (ce qui est le caractère propre du juste), vous n’avez pas besoin des lois étrangères. Mais, dites-vous, comment puis-je supporter l’injustice ? Le Christ vous demande plus encore, non seulement, il veut que celui qui est lésé le supporte, mais encore qu’il se montre généreux à l’égard de son ennemi et triomphe de son mauvais vouloir par sa patience et sa libéralité. En effet, il ne dit pas : Donnez votre tunique à celui qui vous la dispute en justice ; mais : Donnez-lui encore votre manteau. Remportez la victoire sur lui, en supportant l’injustice, et non en rendant le mal pour le mal : voilà le vrai, le glorieux triomphe. C’est pourquoi Paul dit à son tour : « C’est déjà certainement pour vous une faute que vous ayez des procès entre vous ; pourquoi ne supportez-vous pas plutôt d’être lésés ? »

Je vous ferai voir que celui qui supporte l’injure est plutôt vainqueur que celui qui ne la supporte pas. Ce dernier, en effet, est surtout battu quand il traîne son adversaire au tribunal et qu’il gagne son procès : car il a éprouvé ce qu’il voulait éviter : son adversaire l’a forcé à souffrir et à intenter une action. Après cela, qu’importe la victoire ? qu’importe que vous ayez tout l’argent ? En attendant vous avez subi ce qui vous déplaisait : on vous a forcé à faire un procès. Si au contraire vous supportez l’injustice, même en perdant votre argent vous remportez la victoire, mais non une victoire selon leur sagesse : car votre adversaire n’a pu vous forcer à faire ce que vous ne vouliez pas. Et pour preuve de la vérité de ce que j’avance, dites-moi : lequel fut le vainqueur du jaloux ou de l’homme assis sur son fumier ? Lequel fut vaincu, de Job qui avait tout perdu, ou du démon qui avait tout pris ? Évidemment ce fut le démon, qui avait tout pris. A. qui accordons-nous l’admiration due au triomphe, du démon qui frappait, ou de Job qui était frappé ? Évidemment à Job. Cependant il n’avait pu conserver sa fortune, ni sauver ses enfants. Et que parlé-je de fortune et d’enfants ? Il ne peut pas même garantir son propre corps. Et pourtant il resta le vainqueur, lui qui avait tout perdu. Il ne put conserver sa fortune, mais il conserva toute sa piété. – Il ne vint point au secours de ses enfants mourants. – Qu’importe ? leur malheur les a rendus plus glorieux, et il s’est aidé lui-même dans ses souffrances. S’il n’eût été maltraité et outragé par le démon, il n’aurait pas remporté cette magnifique victoire. Si c’était un mal de souffrir l’injustice, Dieu ne nous en eût pas donné l’ordre : car Dieu ne commande jamais le mal ; et ne savez-vous pas qu’il est le Dieu de la gloire ? qu’il n’a pas voulu nous livrer à la honte, à la dérision et à l’injustice, mais rapprocher les contraires ? Voilà pourquoi il veut que nous supportions l’injustice, et met tout en œuvre pour nous détacher des choses du monde, et nous montrer où est la gloire et le déshonneur, la perte et le profit.

6. Mais, dit-on, il est dur d’être injurié et lésé. Non, ô homme, cela n’est pas dur. Jusqu’à quand serez-vous avide des biens présents ? Dieu ne vous eût pas commandé cela, si c’était un mal. Voyez un peu : Celui qui a commis l’injustice s’en va avec son argent, mais aussi avec une conscience coupable ; celui qui a été lésé est privé de son argent, mais il a la confiance en Dieu, trésor mille fois plus précieux. Puisque nous savons cela, soyons sages par volonté et ne nous exposons point au sort des insensés qu’ils croient n’être pas lésés, quand ils le sont réellement par un tribunal. Tout au contraire, c’est là un très grand dommage ; comme en général, quand nous ne sommes pas juges de nous-mêmes, mais par force et à la suite d’une défaite. Car il n’y a pas de profit à supporter la condamnation d’un tribunal, puisqu’on ne le fait que par force. Mais où est l’honneur de la victoire ? À dédaigner cette démarche, à ne point plaider. Quoi ! direz-vous, on m’a tout pris, et vous voulez que je me taise ? On m’a fait tort, et vous m’exhortez à le supporter patiemment ? Comment le pourrais-je ? Vous le pourrez très facilement, si vous levez les yeux vers le ciel, si vous contemplez sa beauté, vous souvenant que Dieu a promis de vous y recevoir, dans le cas où vous supporteriez généreusement l’injustice. Faites-le donc, et en levant les yeux au ciel, songez que vous êtes devenu semblable à celui qui y est assis sur des chérubins. Car lui aussi a été accablé, d’injures et il les a supportées ; il a été outragé et ne s’est point vengé ; il a été couvert de crachats et ne s’est point défendu ; mais il a fait tout le contraire, en comblant de bienfaits ceux qui l’avaient ainsi traité, et il nous a ordonné de l’imiter. Songez que vous êtes sorti nu du sein de votre mère ; que vous vous en retournerez nu, vous et celui qui vous a fait tort, ou plutôt qu’il s’en ira, lui, avec mille blessures engendrant les vers. Songez que les choses présentes sont passagères, comptez les tombeaux de vos aïeux, examinez bien ce qui s’est passé, et vous verrez que votre ennemi vous a rendu plus fort ; car il a augmenté sa passion, l’amour de l’argent, et il affaiblit la vôtre en lui ôtant son aliment de bête fauve.

De plus il vous a débarrassé des soucis, des angoisses, de la jalousie des sycophantes, de l’agitation, du trouble, des craintes continuelles ; et il a entassé tous les maux sur sa tête ; Mais, direz-vous, si je lutte avec la faim ? Alors vous partagez le sort de Paul qui nous dit : « Jusqu’à cette heure nous souffrons la « faim et la soif, et nous sommes nus ». (1Co 4,2) Il souffrait pour Dieu, ajoutez-vous. Et vous aussi, car dès que vous ne vous vengez pas, vous agissez en vue de Dieu. – Mais celui qui m’a fait tort, vit avec les riches au sein des plaisirs. – Dites plutôt avec le démon ; et vous vous êtes couronné avec Paul. Ne craignez donc pas la faim ; « car Dieu ne laissera pas périr de faim les âmes des justes ». (Pro 10,3) Et le psalmiste nous dit encore : « Jetez vos soucis dans le sein du Seigneur, et lui-même vous nourrira ». (Psa 54) Car s’il nourrit les oiseaux des champs, comment ne vous nourrirait-il pas ? Ne soyons donc pas, mes bien-aimés, des gens de peu de foi, des hommes pusillanimes. Comment celui qui nous a promis le royaume des cieux et de si grands avantages, ne nous donnerait-il pas les biens présents ? Ne désirons pas le superflu, contentons-nous du nécessaire, et nous serons toujours riches ; cherchons le vêtement et la nourriture ; et nous la recevrons et même beaucoup plus. Et si vous êtes encore affligé et baissant la tête, je voudrais vous faire voir l’âme de votre ennemi après sa victoire, comme elle est devenue poussière. Car voilà ce que c’est que le péché : pendant qu’on le commet, il procure un certain plaisir ; une fois qu’il est commis, le plaisir disparaît et le chagrin succède. Voilà ce que nous éprouvons quand nous faisons injure à notre prochain : nous finissons par nous condamner nous-mêmes. Ainsi quand nous prenons le bien d’autrui, nous goûtons de la satisfaction ; mais viennent ensuite les remords de conscience. Psa 54) Car s’il nourrit les oiseaux des champs, comment ne vous nourrirait-il pas ? Ne soyons donc pas, mes bien-aimés, des gens de peu de foi, des hommes pusillanimes. Comment celui qui nous a promis le royaume des cieux et de si grands avantages, ne nous donnerait-il pas les biens présents ? Ne désirons pas le superflu, contentons-nous du nécessaire, et nous serons toujours riches ; cherchons le vêtement et la nourriture ; et nous la recevrons et même beaucoup plus. Et si vous êtes encore affligé et baissant la tête, je voudrais vous faire voir l’âme de votre ennemi après sa victoire, comme elle est devenue poussière. Car voilà ce que c’est que le péché : pendant qu’on le commet, il procure un certain plaisir ; une fois qu’il est commis, le plaisir disparaît et le chagrin succède. Voilà ce que nous éprouvons quand nous faisons injure à notre prochain : nous finissons par nous condamner nous-mêmes. Ainsi quand nous prenons le bien d’autrui, nous goûtons de la satisfaction ; mais viennent ensuite les remords de conscience.

Vous voyez un tel posséder la maison des pauvres ? Pleurez, non sur la victime, mais sur le voleur ; le, voleur n’a pas donné le coup, il l’a reçu. Il a privé l’autre des biens présents ; il s’est privé lui-même des biens éternels. Car si celui qui ne donné pas aux pauvres va en enfer, que sera-ce de celui qui les dépouille ? Et que gagné-je, dites-vous, à souffrir l’injustice ? Beaucoup. Ce n’est pas en punissant votre ennemi que Dieu vous dédommage : cela n’en vaudrait guère la peine. Que gagnerais-je, en effet, à ce que mon ennemi fût malheureux comme moi ? J’en connais pourtant beaucoup qui trouvent là une très grande consolation, et se croient assez riches quand ils voient punir ceux qui leur ont fait tort. Mais ce n’est pas là que Dieu place votre récompense. Voulez-vous savoir les biens qui vous attendent ? II vous ouvre le ciel tout entier, il vous fait concitoyen des saints, il vous introduit dans leur assemblée, il vous absout de vos péchés, il vous ceint de la couronne de justice. Si en effet ceux qui pardonnent sont pardonnés, quelle, bénédiction n’est pas réservée à ceux qui non seulement pardonnent, mais comblent leurs ennemis de bienfaits ? Ne vous irritez donc point de l’injure, mais priez pour celui qui vous l’a faite ; vous travaillerez ainsi à votre profit. On vous a pris votre argent ? Mais on a pris aussi vos péchés ; comme il arriva dans l’affaire de Naaman et de Giézi. Combien d’argent n’auriez-vous pas donné pour obtenir le pardon dé vos fautes ? Eh bien ! cette faveur vous est accordée ; si vous supportez courageusement l’injustice, si vous ne maudissez pas, vous êtes ceint d’une couronne magnifique. Ce n’est pas moi qui vous parle : vous avez entendu le Christ dire « Priez pour ceux qui vous font du mal ». Puis songez à la grandeur de la récompense : « Afin que vous soyez semblables à votre Père qui est dans le ciel ». (Mat 5,46) Vous n’avez donc rien perdu, mais vous avez gagné ; vous n’êtes point lésé, mais couronné ; vous êtes devenu plus sage ; vous voilà semblable à Dieu, débarrassé des soucis qui, s’attachent à l’argent, en possession du royaume des cieux. Par toutes ces considérations, ô mes bien-aimés, acceptons les injures en philosophes, afin de, nous délivrer du trouble de la vie présente, de secouer une tristesse inutile et d’obtenir le bonheur futur par la grâce et la bonté, de Notre-Seigneur Jésus-Christ, en qui appartiennent au Père, en union avec le Saint-Esprit, la gloire, l’empire, l’honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE XVII.

TOUT M’EST PERMIS, MAIS TOUT NE M’EST PAS AVANTAGEUX. TOUT M’EST PERMIS, MAIS JE NE SERAI L’ESCLAVE D’AUCUNE CHOSE. (CHAP. 6,12, JUSQU’AU VERS. 14)

ANALYSE.

  • 1. Saint Paul conseille la tempérance. – Il annonce la résurrection générale.
  • 2. Preuve de la résurrection. – Elle est plus facile à Dieu que la création du monde.
  • 3 et 4. Il ne faut pas vouloir trop pénétrer la sagesse de Dieu. – Ne pas croire la résurrection est la ruine des vertus.

1. Ici il fait allusion aux gourmands. Devant revenir au fornicateur, et la fornication étant le fruit de la volupté et des excès de table, il blâme amèrement ce vice. Il ne parle pas des choses défendues (celles-ci, sont permises), mais des choses qui semblent indifférentes. Exemple : il est permis, leur dit-il, de manger et de boire ; mais il n’est pas avantageux de le faire avec excès. Manière étonnante et inouïe, qui cependant lui est habituelle et qu’il emploie encore, ici : il tourne la chose dans le sens contraire, et montre que le pouvoir de faire, non seulement n’est pas avantageux, mais est moins un acte de liberté qu’un signe d’esclavage. D’abord il dissuade par la raison du désavantage, en disant : « Ne m’est pas avantageux » ; et en second lieu, par celle du contraire, en disant : « Je ne serai l’esclave d’aucune chose ». Ce qui signifie : Il est en votre pouvoir de manger ; conservez donc ce pouvoir ; mais prenez garde d’en devenir esclave. Celui qui en usé dans la mesure du besoin, en est le maître ; celui qui va jusqu’à l’excès n’en est plus le maître, mais l’esclave ; la gourmandise exerce sur lui sa tyrannie. Voyez-vous comme il démontre que celui qui croit être le maître est réellement assujetti ? C’est l’usage de Paul, je l’ai déjà dit, de tourner les objections en sens contraire, et c’est ce qu’il fait ici. Examinez un peu, chacun d’eux disait : Il n’est permis de me livrer au plaisir ; lui répond : En le faisant, vous n’exercez pas un pouvoir, vous subissez une servitude. Car vous n’êtes pas le maître de votre estomac, quand vous vous livrez à l’intempérance, mais c’est lui qui vous domine. On en peut dire autant des richesses et d’autres choses encore.

« Les aliments sont pour le ventre ». Par ventre il entend ici non le ventre proprement dit, mais la gourmandise ; comme quand il dit : « Dont le Dieu est le ventre » (Phi 3,19) ; ce n’est pas de l’organe qu’il parle, mais de la gloutonnerie. Pour preuve, écoutez la suite : « Et le ventre pour les aliments. Or le « corps n’est point pour la fornication, mais pour le Seigneur ». Or le ventre est aussi le corps. Mais il a fait ici deux rapprochements les aliments et l’intempérance qu’il appelle le ventre, le Christ et le corps. Que signifient ces paroles : « Les aliments sont pour le ventre ? » Cela veut dire : Les aliments ont de l’affinité avec l’intempérance, et celle-ci en a avec l’estomac. Elle ne vaut donc nous amener au Christ, mais elle nous entraîne vers les aliments. C’est une passion mauvaise, animale, qui nous rend esclaves et se fait servir. Pourquoi donc, ô homme, vous inquiétez-vous, soupirez-vous pour des aliments ? Car voilà à quoi aboutit ce service, et pas à autre chose. C’est une maîtresse qu’on sert, c’est un esclave permanent, et cela ne va pas au-delà ; il n’y a rien de plus que ce vain ministère. Et les deux sont unis entre eux et périssent ensemble, le ventre et les aliments, les aliments et le ventre ; c’est un cercle qui ne finit pas, comme si les vers naissaient d’un corps putréfié et le dévoraient à leur tour, ou comme le flot qui ; se gonfle et disparaît ensuite sans autre résultat. Or ce n’est pas précisément des aliments et du corps que l’apôtre parle ; mais il veut blâmer, le vice de la gourmandise et l’excès dans la nourriture, comme la suite le prouve : Car il ajoute : « Mais Dieu détruira l’un et l’autre ». Ce n’est pas de l’estomac qu’il dit cela, mais de l’intempérance ; ni des aliments, mais de la volupté. Ce n’est point aux besoins du corps qu’il en veut, puisqu’il les règle, en disant : « Ayant la nourriture et le vêtement, contentons-nous-en » (1Ti 6,8) ; mais par, là même il désapprouve le vice, et après avoir donné un conseil, il confie le succès à la prière. Quelques-uns disent que c’est ici fine prophétie relative ait siècle futur où l’on né sera plus obligé de manger et de boire. Alors si l’usage modéré doit avoir un terme, c’est une raison de plus pour ne pas abuser. Ensuite pour qu’on ne dise pas que c’est le corps même qui est en cause, que dans la partie le tout est condamné, et encore que le corps est la cause de la fornication, écoutez la suite : Je n’accuse point la nature du corps, dit-il, mais l’intempérance de l’âme. C’est pourquoi il ajoute : « Or le corps n’est point pour la fornication mais pour le Seigneur ». Il n’a point été créé ; pour servir d’instrument à la débauche et à la fornication, pas plus que le ventre pour la gourmandise ; mais pour suivre le Christ, son chef, en sorte que le Seigneur soit la tête du corps entier. Craignons donc, tremblons donc d’être souillés de tant de vices, nous qui avons reçu l’insigne honneur d’être les membres d’un chef assis au ciel ; après avoir ainsi suffisamment blâmé les intempérances, il les détourne encore de ce vice, en disant : « Car Dieu a ressuscité le Seigneur et nous ressuscitera aussi par sa puissance. »

2. Voyez-vous encore une fois la sagesse de l’apôtre ? Toujours, et surtout en ce cas-ci, il prouve par l’exemple du Christ qu’il faut croire à la résurrection. En effet, si notre corps est un membre du Christ, et si le Christ est ressuscité, il faut, que le corps suive la tête : « Par sa puissance ». Comme ce qu’il vient d’affirmer est incroyable et ne peut se saisir par le raisonnement, il attribue à la puissance infinie la résurrection du Christ et en tire une forte démonstration contre les incrédules. Il n’emploie pas cet argument pour la résurrection du Christ ; il ne dit pas : Dieu ressuscitera le Seigneur ; car le fait a déjà eu lieu : que dit-il donc ? « Dieu a ressuscité le Seigneur », et il n’a pas besoin de preuve. Mais il ne parle pas ainsi de notre résurrection, qui n’a pas encore eu lien : qu’en dit-il ? « Et nous ressuscitera aussi par sa puissance », fermant ainsi la bouche à ses adversaires, puisque la puissance du Dieu qui ressuscite est déjà démontrée. Et s’il attribue au Père la résurrection du Fils, que cela ne vous trouble pas. Ce n’est pas parce que le Christ n’a pas pu se ressusciter lui-même ; puisqu’il a dit : « Détruisez ce temple et je le relèverai en trois jours ». (Jn 2,19) Et encore : « J’ai le pouvoir de donner ma vie et j’ai le pouvoir de la reprendre ». (Id 10,13) Et il dit aussi dans les Actes : « Auxquels il se montra vivant ». (Act 1,3) Pourquoi donc Paul parle-t-il ainsi ? Parce qu’il attribue au Père les actions du Fils et au Fils les actions du Père. « Car tout ce que le Père fait », dit le Christ lui-même, « le Fils le fait pareillement ». (Jn 5,19) Et c’est tout à fait à propos qu’il rappelle ici la résurrection, pour contenir par cette espérance la tyrannie de la gourmandise, disant presque en propres termes : Vous avez mangé et bu sans mesure : à quoi cela aboutira-t-il ? À rien qu’à la corruption. Vous avez été uni au Christ ; quel en sera le résultat ? Un résultat magnifique, admirable ; cette future résurrection, pleine de gloire et au-dessus de tout ce qu’on en peut dire.

Que personne donc ne refuse de croire à la résurrection ; et si quelqu’un n’y croit pas, qu’il songe combien Dieu a produit de rien, et qu’il eu tire une preuve en faveur de ce dogme. En effet, ce qui existe est beaucoup plus merveilleux et contient un grand miracle. Dieu prend de la terre (et la terre n’existait pas auparavant), il la pétrit et il en fait l’homme. Comment la terre est-elle devenue un homme ? comment a-t-elle été produite, quand elle n’existait pas ? Et comment produit-elle elle-même ces innombrables espèces d’animaux, de semences, de plantes, sans douleurs d’enfantement, sans être arrosée par les pluies, sans culture, sacs bœufs, sans charrue, sans rien qui l’aide en ce travail ? C’est pour vous enseigner tout d’abord le dogme de la résurrection, que tant de variétés de plantes et d’animaux sont sortis d’une terre inanimée et insensible. C’est en effet quelque chose de plus incompréhensible que la résurrection.

Rallumer un flambeau éteint, ou produire un feu qui n’existe pas, ce n’est pas la même chose ; ce n’est pas non plus la même chose de rebâtir une maison détruite ou d’en élever une qui n’existe pas. Dans le premier cas, il y a au moins des matériaux, s’il n’y a pas autre chose ; mais dans le second, on n’aperçoit aucune substance. C’est pourquoi Dieu a d’abord fait ce qui semble le plus difficile, pour vous faire admettre ce qui est le plus facile. Et si je dis plus difficile, ce n’est pas pour Dieu, mais par rapport à nos propres idées ; car rien n’est difficile à Dieu ; mais comme le peintre qui peut tracer une image, en fera facilement dix mille, ainsi Dieu peut créer des mondes par milliers, des mondes innombrables ; ou plutôt, comme il vous est facile d’imaginer une ville et des mondes sans nombre, ainsi, et bien plus aisément encore, Dieu peut les créer. Car enfin cette pensée exige encore de vous un petit espace de temps ; mais il n’en est pas ainsi de Dieu ; autant les pierres sont plus lourdes que les objets les plus légers et que notre propre pensée, autant notre pensée elle-même est au-dessous de la rapidité avec laquelle Dieu crée.

Vous admirez son pouvoir sur la terre ? Songez aussi comment le ciel qui n’existait pas a été fait, et des étoiles innombrables, et le soleil et la lune ; car rien de cela n’était. Ensuite, dites-moi comment et sur quoi tout cela, une fois créé, se maintient ? Quel est leur point d’appui, quel est celui de la terre ? Ce qu’il y a au-delà de la terre ? Et après cela, quoi encore ? Voyez-vous dans quel abîme se perd l’œil de votre intelligence, si vous ne recourez aussitôt à la foi et à la puissance incompréhensible du Créateur ? Que si vous voulez juger d’après les opérations humaines, vous pourrez peu à peu donner des ailes à votre pensée. Quelles opérations, dites-vous ? Ne voyez-vous pas comment les potiers forment un vase d’une matière brisée et informe ? comment ceux qui coupent les métaux font voir que la terre est de l’or, du fer, de l’airain ? comment les verriers transforment du sable en un corps solide et transparent ? Parlerai-je des corroyeurs, dé ceux qui teignent les vêtements en pourpre, comme ils métamorphosent l’objet qui prend la teinture ? Parlerai-je de notre génération ? comment un peu de semence, informe, sans figure, entre dans la matrice qui la reçoit ? D’où vient donc la formation animale ? Qu’est-ce que le blé ? Ne jette-t-on pas simplement le grain dans la terre ? Une fois jeté, n’y pourrit-il pas ? D’où viennent les épis, les barbes, les chaumes et tout le reste ? Un petit pépin de figue tombant en terre ne produit-il pas souvent des racines, des branches et des fruits ? Vous admettez tout cela sans en rechercher curieusement la cause, et vous ne demandez compte à Dieu que de la transformation de nos corps ? Est-ce pardonnable ?

3. C’est aux Grecs que nous faisons ces raisonnements et d’autres de ce genre ; quant à ceux qui suivent les Écritures, ils n’ont pas même besoin qu’on en parle. Si, en effet, vous voulez soumettre toutes les œuvres de Dieu à une enquête, en quoi Dieu est-il au-dessus de l’homme ? Et encore y a-t-il peu d’hommes avec qui nous agissions ainsi. Si donc il est des hommes avec qui nous nous dispensons de ces recherches curieuses, à bien plus forte raison ne devons-nous point scruter la sagesse de Dieu ni lui demander de compte : d’abord parce que celui qui a parlé est digne de foi ; ensuite parce que le sujet même n’admet pas l’action du raisonnement. Car Dieu n’est pas tellement pauvre qu’il ne puisse faire que des choses accessibles à votre faible intelligence. Si vous ne comprenez pas même l’œuvre d’un artisan, beaucoup moins comprendrez-vous celle de l’Ouvrier par excellence. Ne rejetez donc point le dogme de la résurrection, autrement vous serez bien loin des espérances à venir. Mais où est donc la sagesse, ou plutôt l’immense folie de nos contradicteurs ? Ils demandent : Comment un, corps peut-il ressusciter quand il a été mêlé à la terre, qu’il est devenu terré et que cette terre elle-même a été déplacée ? Cela vous semble impossible, mais non à celui dont l’œil ne dort pas ; car tout est à découvert devant lui. Vous ne voyez pas la distinction qui subsiste dans la confusion ; mais lui voit tout ; vous ne savez pas ce qui se passe dans le cœur de votre prochain, et lui le sait.

Si vous ne croyez pas que Dieu ressuscite, parce que vous ne comprenez pas comment il ressuscite, vous ne croirez pas non plus qu’il lit dans les cœurs, car ce sont dès choses cachées. Et encore même dans un corps dissous reste-t-il une matière visible, tandis que les pensées sont invisibles. Et celui qui voit parfaitement les choses invisibles, ne verra pas les choses visibles et ne pourra facilement discerner un corps ? Chacun sent qu’il le peut. Ne rejetez donc point la résurrection : car c’est une suggestion diabolique. Et le démon n’a pas seulement en vue de détruire la foi à la résurrection, mais encore de détruire et d’anéantir les œuvres de la vertu. En effet, l’homme qui ne s’attend pas à ressusciter et à rendre compte de ces actions, ne se pressera guère de pratiquer la vertu ; et, en retour, celui qui ne pratique pas la vertu, ne croira pas à la résurrection : car ce sont deux choses qui s’engendrent mutuellement : le vice par l’incrédulité, et l’incrédulité par le vice. Une conscience chargée de nombreuses iniquités, inquiète, redoutant la vengeance future et ne voulant pas se rassurer elle-même par le changement de vie, cherche le repos dans l’incrédulité. Et quand vous niez la résurrection et le jugement, ce pécheur dira : Je ne rendrai donc pas compte de mes crimes ? Que dit cependant le Christ ? « Vous êtes dans l’erreur, ne connaissant ni les Écritures ni la puissance de Dieu ». (Mat 22,29) Dieu n’aurait pas tant fait s’il n’avait dû nous ressusciter, mais seulement nous détruire et nous réduire à néant ; il n’eût point étendu cette vaste voûte du ciel sur nos têtes, ni étalé la terre comme un tapis sous nos pieds, il n’eût point créé tant de choses pour une si courte vie que la nôtre. Et s’il a l’ait tout cela pour la vie présente, que ne fera-t-il pas pour la vie future ?

Mais si la vie future n’existe pas, nous sommés bien au-dessous des objets créés pour nous. En effet, le ciel, la terre, la mer, les fleuves, certains animaux mêmes, durent plus que nous ; car la corneille, la race des éléphants et beaucoup d’autres encore, jouissent plus longtemps de la vie présente. Pour nous l’existence est courte et pénible, pour eux elle, est longue et bien plus exempte de chagrin et de soucis. Comment, de grâce, le Créateur a-t-il plus favorisé le serviteur que le maître ? Je vous en conjure, ne raisonnez pas ainsi : ne soyez pas, ô homme ! dénué d’intelligence, et puisque vous avez un tel Maître, ne méconnaissez pas ses richesses. Au commencement Dieu a voulu vous faire immortel, et vous ne l’avez pas voulu. Car c’étaient des indices d’immortalité, ces entretiens familiers avec Dieu, cette vie paisible, cette exemption de chagrin, de soucis, de travaux et des autres accidents du temps. Adam n’avait pas besoin de vêtement, ni de maison, ni de rien de semblable ; il était plus rapproché des anges ; prévoyait beaucoup de choses à venir et était rempli d’une grande sagesse Ce que Dieu faisait en cachette, en formant la femme, il en eut connaissance. Aussi dit-il : « Maintenant voilà l’os de mes os et la chair de ma chair ». (Gen 2,23) Puis est venu le travail, puis la sueur, ensuite la honte, la crainte, la timidité à parler ; car auparavant il n’y avait ni chagrin, ni douleur, ni gémissement. Mais il ne demeure pas longtemps dans cette situation honorable.

4. Que faire donc ? direz-vous. Dois-je périr à cause de lui ? Non précisément à cause de lui, car vous n’êtes pas non plus resté sans péché ; etsi vous n’avez pas commis le même, vous en avez certainement commis un autre. D’ailleurs, vous n’avez rien perdu au châtiment ; vous y avez gagné, agi contraire. Si vous eussiez dû rester toujours mortel, peut-être auriez-vous raison de dire ce que vous dites ; mais maintenant vous êtes immortel, et si vous le voulez, vous pouvez surpasser le soleil même en éclat. Si je n’avais pas eu un corps mortel, dites-vous, je n’aurais pas péché. Eh ! de grâce, Adam avait-il un corps mortel, quand il a péché ? Non : car si son corps eût été mortel, la mort ne lui eût pas été infligée par forme de punition. C’est ce qui prouve qu’un corps mortel n’est point un obstacle à la vertu, qu’il rend sage, au contraire, et procure les plus grands avantages. Si, en effet, l’attente seule de l’immortalité a inspiré un si grand orgueil à Adam, à quel point aurait-il porté l’arrogance, s’il eût été réellement immortel ? Maintenant, depuis la, chute, vous pouvez expier Nos péchés, puisque votre corps est vil, abject, sujet à la décomposition : car ces considérations sont propres à rendre sage mais si vous aviez péché dans un corps immortel, peut-être vos péchés eussent-ils duré davantage. N’accusez donc point la mortalité d’être la cause du péché ; c’est la mauvaise volonté qui est la racine de tous les maux. Pourquoi le corps d’Abel ne lui a-t-il porté aucun préjudice ? Pourquoi n’a-t-il servi de rien aux démons de n’avoir pas de corps ? Voulez-vous savoir comment un corps mortel n’est pas nuisible, mais est même utile ? Voyez ce que vous gagnez par lui si vous êtes sobre. Il vous retire du vice, il vous en arrache par les douleurs, les chagrins, les travaux et autres moyens semblables.

Mais, dites-vous, il m’entraîne à la fornication. Ce n’est pas lui, mais l’incontinence ; tandis que les choses que je vous indiquais tout à l’heure lui appartiennent en entier. Aussi n’est-il pas donné à l’homme qui entre dans cette vie de se soustraire à la maladie, à la douleur, à la tristesse ; mais il peut ne pas commettre la fornication. Si les vices étaient naturels au corps, ils seraient universels : car tout ce qui est naturel est universel. Or, la fornication ne l’est pas : elle provient de la volonté, tandis que la souffrance vient de la nature. N’accusez pas votre corps, ne vous laissez pas ravir par le démon l’honneur que Dieu vous a fait. Si nous le voulons, le corps sera un frein excellent pour contenir les mouvements de l’âme, réprimer l’orgueil, empêcher la jactance et nous aider dans des œuvres très importantes. Ne me parlez pas de certains fous furieux ; nous voyons souvent des chevaux secouer frein et cocher et se jeter dans les précipices ; nous ne nous en prenons pas au frein pour cela ; il a été jeté de côté ; ce n’est pas lui qui est cause du mal, mais le cocher qui n’a rien su retenir. Croyez qu’il en est de même ici : Si vous voyez un jeune orphelin commettre mille sottises, n’accusez pas son corps, mais le cocher, c’est-à-dire, la raison qui se laisse entraîner. Les rênes n’embarrassent pas le cocher, mais lui seul est coupable s’il ne sait pas les tenir convenablement ; aussi est-ce lui qu’elles accusent quand elles sont enchevêtrées, qu’elles l’entraînent à terre et le forcent à partager leur propre infortune.

De même en est-il ici : Tant que tu tenais les rênes, dit le frein, je dirigeais la bouche du cheval ; mais parce que tu as tout lâché, je te punis de ta négligence, je m’embarrasse et je t’entraîne, pour ne plus éprouver le même sort. Que personne ne s’en prenne donc aux rênes, mais à lui-même et à sa volonté corrompue. Car chez nous la raison est le cocher ; et le corps joue le rôle des rênes qui établissent le rapport entre les chevaux et le cocher. Si les rênes sont tenues régulièrement, remplissent bien leur fonction, vous n’éprouverez rien de fâcheux ; si vous les lâchez, tout disparaît, tout est perdu. Soyons donc sages, et n’accusons pas notre corps, mais notre mauvaise volonté. C’est là l’œuvre du démon d’exciter les insensés à accuser leur corps, Dieu, le prochain, tout plutôt que leur propre perversité, de peur qu’ils ne coupent la racine de leurs maux, s’ils venaient à la connaître. Mais vous qui connaissez ses embûches, tournez votre colère contre lui, mettez le cocher sur le siège et tournez, vos yeux vers Dieu. Partout ailleurs, celui qui propose un combat ne s’en mêle pas et attend la fin : mais ici c’est Dieu même qui règle et établit la lutte.

Rendons-le-nous donc propice, et nous obtiendrons certainement les biens futurs, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, en qui appartiennent au Père, en union avec le Saint-Esprit, la gloire, l’empire, la force, l’honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE XVIII.

NE SAVEZ-VOUS PAS QUE VOS CORPS SONT LES MEMBRES DU CHRIST ? ENLÈVERAI-JE DONC LES MEMBRES DU CHRIST POUR EN FAIRE DES MEMBRES DE PROSTITUÉE ? À DIEU NE PLAISE ! (CHAP. 6, VERS. 15, JUSQU’À LA FIN DU CHAPITRE)

ANALYSE.

  • 1. Contre la fornication
  • 2. Nos corps comme nos rimes appartiennent au Christ qui les a rachetés au prix de son sang ; nous n’avons donc pas le droit de les livrer de nouveau à Satan.
  • 3 et 4. Combien ceux qui parent leurs corps ont sujet de craindre. – Comment nous devons glorifier le nom de Dieu. – Contre l’avarice. – Que la pauvreté est comme une fournaise. – Qu’il faut joindre l’humilité aux souffrances.

1. Après avoir passé du fornicateur à l’avare, il revient de l’avare au fornicateur, non en s’adressant à lui, mais à ceux qui n’ont pas commis ce péché ; et pour les en garantir, il frappe encore sur le coupable. En effet, bien qu’on s’adresse à d’autres, celui qui a péché est néanmoins atteint, parce que sa conscience s’éveille et lui fait sentir le remords. La crainte de la : punition suffirait, il est vrai, à les maintenir dans la continence ; mais comme il ne voulait pas que la crainte fût leur seul mobile cri : cela, il y ajoute des menaces et des raisonnements. Après avoir donc déterminé le genre de péché, fixé le châtiment, démontré le tort que le crime du fornicateur causait à tout le monde, il a quitté ce sujet pour passer à l’avare, et a conclu son discours en menaçant celui-ci de l’exclusion du royaume des cieux, lui et tous ceux dont il a fait l’énumération ; maintenant il formule un avertissement plus terrible. En effet, celui qui se contente de punir une faute sans en faire voir la gravité, n’obtient pas grand résultat par le châtiment ; et celui qui se contente de faire rougir sans épouvanter par la punition, ne touche pas fort les hommes insensibles. C’est pourquoi Paul fait l’un et l’autre ; il fait rougir en disant : « Ne savez-vous pas que nous jugerons les anges ? » Et il épouvante en disant : « Ne savez-vous pas que les avares n’entreront « pas dans le royaume des cieux ? » Il emploie le même procédé à l’égard du fornicateur car après l’avoir d’abord effrayé par ce qu’il vient de dire, après l’avoir retranché et livré à Satan, après avoir rappelé le dernier jour, il le fait de nouveau rougir par ces paroles : « Ne savez-vous pas que vos corps sont les membres du Christ ? » Comme s’il s’adressait désormais à des enfants de bonne naissance : C’est une explication plus claire de ce qu’il a dit plus haut : « Le corps est pour le Seigneur ».

Ailleurs il en fait autant quand il dit : « Vous êtes le corps du Christ et les membres d’un membre ». (1Co 12,27) II emploie souvent cette comparaison, non pas toujours pour le même sujet, mais tantôt pour montrer l’amour, tantôt pour augmenter la crainte ici pour intimider et effrayer : « Enlèverai-je donc les membres du Christ, pour en faire des membres de prostituée ? À Dieu ne plaise ! » Rien de plus effrayant que cette parole. Il ne dit pas : Enlèverai-je donc les membres du Christ pour les unir à une prostituée ? mais : « En ferai-je les membres d’une prostituée ? » ce qui est plus énergique. Ensuite il fait voir ce qui arrive au fornicateur, en disant : « Ne savez-vous pas que celui qui s’unit à une prostituée devient un même corps avec elle ? » Et la preuve ? « Car », dit-il, «. ils seront deux en une seule chair. Mais celui qui s’attache au Seigneur est un seul esprit avec lui ». Le commerce charnel ne permet plus en effet d’être deux, mais de deux il ne fait qu’un. Et voyez comme il emploie ces mots propres et simples, en prenant pour termes de son accusation une prostituée et le Christ. « Fuyez la fornication ». Il ne dit pas : abstenez-vous de la fornication ; mais : « Fuyez », c’est-à-dire, empressez-vous de vous débarrasser, de ce vice. « Tout péché que l’homme commet est hors de son corps ; mais celui qui commet la fornication pèche contre son propre corps ». Ceci est moins fort. Mais comme il s’agit de la fornication, il la combat à outrance et en fait ressortir la gravité par le plus et par le moins. Le premier argument s’adressait aux plus pieux, le second est pour les plus faibles.

C’est le propre de la sagesse de Paul de faire rougir, non seulement par les motifs les plus puissants, mais encore par de plus petits, par la laideur, par l’indécence. Quoi donc ? Direz-vous : est-ce que le meurtrier ne souille pas sa main ? et aussi l’avare et le voleur ? Personne n’en doute ; mais comme on ne pouvait pas dire qu’il n’y a rien de pire que le fornicateur, il fait paraître d’une autre façon l’énormité de ce crime, en disant qu’il fait du corps entier un objet d’exécration. Il est souillé, en effet, comme s’il était tombé dans une cuve d’immondices, et plongé dans l’ordure. Et c’est ainsi que nous en jugeons encore aujourd’hui. En effet, personne de nous, après s’être rendu coupable d’avarice ou de vol, ne songe à aller au bain : on revient tout simplement chez soi ; tandis qu’après avoir péché avec une prostituée, on va se baigner comme si on était devenu tout à fait impur : tant la conscience sent que ce péché la souille davantage ! Sans doute l’avarice et la fornication sont des fautes graves et précipitent en enfer ; mais comme. Paul agit toujours avec prudence:, il emploie tous les moyens en son pouvoir pour faire ressortir le crime de la fornication. « Ne savez-vous pas que votre corps est le temple de l’Esprit-Saint qui est en vous ? »

2. Il ne dit pas simplement de l’Esprit : mais « de l’Esprit qui est en vous », afin de consoler ; et pour s’expliquer encore, il ajoute « Que vous avez reçu de Dieu ». Il nomme l’auteur du don, pour relever son auditeur et en même temps l’effrayer par la grandeur du dépôt et la libéralité de celui qui l’a fait. « Et qu’ainsi vous n’êtes plus à vous-mêmes ». Il n’a pas seulement pour but de les faire rougir, mais aussi de les forcer à pratiquer la vertu. Quoi ! vous faites ce que vous voulez, dites-vous ; mais vous n’êtes pas votre maître. En parlant ainsi, il ne prétend pas nous ôter notre libre arbitre ; car après avoir dit : « Tout m’est permis, mais tout ne m’est pas avantageux », il ne nous enlève pas notre liberté ; et en écrivant ici : « Vous n’êtes plus à vous-mêmes », il n’entend point nuire à notre volonté, mais éloigner du vice et faire voir la providence du Maître. Aussi ajoute-t-il : « Car vous avez été achetés à haut prix ». Mais si je ne suis pas à moi, comment m’imposez-vous le devoir d’agir ? Comment dites-vous ensuite : « Glorifiez Dieu dans votre corps et dans votre esprit qui sont à Dieu ? »

Que signifient donc ces paroles : « Vous n’êtes plus à vous-mêmes ? » Et que veut-il prouver par là ? Nous mettre en sécurité pour que nous ne péchions plus et ne nous livrions pas – aux passions désordonnées de notre âme. Nous avons en effet beaucoup de penchants déréglés qu’il faut réprimer ; et nous le pouvons, autrement il serait inutile de nous y exhorter. Voyez maintenant comme il nous affermit ! Après avoir dit : « Vous n’êtes pas à vous-mêmes », il n’ajoute pas : Mais vous êtes sous l’empire de la nécessité. Non, il dit : « Vous avez été achetés à haut prix ». Paul, pourquoi parlez-vous ainsi ? On pourrait vous dire qu’il fallait nous proposer un autre motif, en nous montrant que nous avons un maître. Mais ce motif nous serait commun avec les gentils, tandis que celui-ci : « Vous avez été achetés à haut prix », nous est particulier. Ici l’apôtre nous rappelle la grandeur du bienfait et la manière dont nous avons été sauvés ; il nous fait voir que nous étions en mains étrangères et que nous avons été achetés, non pas pour rien, mais à haut prix. « Glorifiez et portez donc Dieu dans votre corps et dans « votre esprit ». Par là il nous exhorte non seulement à éviter la fornication dans notre corps, mais à n’admettre aucune mauvaise pensée dans notre esprit et à ne point éloigner la grâce. « Qui sont à Dieu ». Après avoir dit : « Vôtre », il ajoute : « Qui sont à Dieu », nous rappelant continuellement que tout appartient au Maître, corps, âme, esprit.

Quelques-uns disent que ce mot « en Esprit » signifie en grâce. En effet, si la grâce est en nous, Dieu sera glorifié, et elle y sera, si nous avons le cœur pur. Il affirme que toutes ces choses sont à Dieu, non seulement parce qu’il les a produites, mais encore parce que,.quand elles appartenaient à d’autres, il les a recouvrées au prix du sang de son Fils.

Voyez comme il rattache tout au Christ, comme il nous mène au ciel. Vous êtes les membres du Christ, nous dit-il, vous êtes le temple de l’Esprit ; ne devenez donc pas membres d’une prostituée, car ce n’est pas votre corps que vous déshonorez, mais celui du Christ. Par là il nous fait voir la bonté du Christ, puisque notre corps est le sien, et en même temps il veut nous arracher à un funeste esclavage. En effet, si votre corps appartient à un autre, vous n’avez pas le droit de le déshonorer, surtout s’il appartient au Maître, ni de souiller le temple de l’Esprit. On punirait du dernier supplice celui qui entrerait dans un domicile étranger et s’y livrerait à la débauche ; quel ne sera donc pas le châtiment de celui qui aura fait du temple du roi une maison de voleurs ? Dans cette pensée, respectez l’habitant, qui n’est autre que le Paraclet ; craignez celui qui est lié, adhérent à vous-même, et qui est le Christ. Est-ce vous qui vous êtes fait membre du Christ ? Songez à cela, à qui étaient les membres, à qui ils sont aujourd’hui, et restez chaste. C’étaient auparavant des membres de prostituée, le Christ en a fait les membres de son propre corps. Vous n’en êtes donc plus le maître ; servez celui qui vous a affranchi.

Si vous aviez une fille, et que, par un excès de démence vous l’eussiez livrée à prix d’argent pour en faire une prostituée ; puis que le fils du roi, passant par là, l’arrachât à son esclavage et en fît son épouse ; vous ne seriez plus libre de la reconduire à la maison de débauche, car vous l’auriez livrée, vous l’auriez vendue une fois. Voilà notre cas : nous avions vendu notre chair au démon, à un vil corrupteur ; ce que voyant, le Christ l’a sauvée, l’a délivrée de cette affreuse tyrannie ; elle n’est donc plus à nous, mais à celui qui l’a sauvée. Si vous voulez la traiter comme l’épouse du roi, rien ne vous en empêche ; mais si vous voulez la ramener à son premier état, vous subirez le supplice réservé à ceux qui commettent de tels outrages. Vous devez donc plutôt l’orner que la déshonorer. Car vous n’êtes plus maître d’elle en fait de passions coupables, mais seulement pour l’exécution des ordres de Dieu. Songez de quel déshonneur Dieu l’a délivrée ; il n’est pas de prostituée aussi dégradée que l’était alors notre nature. Les brigandages, les homicides, toute espèce de mauvaises pensées entraient chez elle, et corrompaient l’âme à vil prix, au prix d’un moment de plaisir. Car c’était là tout ce qu’elle gagnait à son honteux commerce avec les mauvaises pensées et les mauvaises actions.

3. Sans doute cette conduite était déjà coupable alors ; mais quel pardon espérer, si l’on se souille maintenant, quand le ciel est ouvert, quand le royaume est promis, après qu’on a participé aux redoutables mystères ? Ne pensez-vous pas que le diable lui-même entretient commerce avec les avares et avec tous ceux que l’apôtre a énumérés ? Et que ces femmes qui se parent pour séduire ont avec lui des rapports impurs ? Qui pourrait dire le contraire ? Que celui qui le nie mette à nu l’âme de ces indécentes créatures, et il verra que le méchant esprit leur est étroitement uni. Car il est difficile, chers auditeurs, oui, il est difficile, et peut-être impossible, que quand le corps est ainsi paré, l’âme le soit aussi ; quand on soigne l’un, il faut qu’on néglige l’autre d’après la nature des choses, le contraire ne peut avoir lieu. Aussi l’apôtre dit-il : « Celui qui s’unit à une prostituée devient un même corps avec elle ; mais celui qui s’attache au Seigneur est un seul esprit avec lui ». Il devient tout esprit à la fin, quoique enveloppé d’un corps. Quand il n’a rien de corporel, d’épais, de terrestre, son corps n’est qu’un simple vêtement ; quand toute l’autorité appartient à l’âme et à l’esprit, Dieu est alors glorifié. Aussi avons-nous l’ordre de dire dans la prière : « Que votre nom soit sanctifié » ; et le Christ nous dit : « Que votre lumière brille devant les hommes, afin qu’ils voient vos bonnes œuvres et qu’ils glorifient votre Père qui est dans les cieux ». (Mat 5,16) Ainsi le glorifient les cieux, non en parlant, mais en excitant l’admiration par leur aspect et en faisant remonter leur gloire au créateur.

Glorifions-le, nous aussi, comme eux et même plus qu’eux ; nous le pouvons, si nous le voulons. Car ni le ciel, ni le jour, ni la nuit ne glorifient Dieu comme une âme sainte. De même qu’à l’aspect de la beauté du ciel, on s’écrie : Gloire à vous, ô Dieu ! qui avez fait un si bel ouvrage ! Ainsi fait-on, et bien mieux encore, en voyant un homme vertueux. Car tout le monde ne glorifie pas Dieu dans ses créatures ; un grand nombre disent qu’elles se sont faites d’elles-mêmes ; d’autres, par une erreur tout à fait impardonnable, attribuent aux démons la création du monde et la providence ; mais à propos de la vertu de l’homme, personne n’ose porter jusque-là l’impudence chacun glorifie D : eu en voyant son serviteur vivre saintement. Et qui ne serait frappé d’étonnement, quand un homme qui n’a que la nature commune aux mortels, et qui vit au sein de l’humanité, résiste comme le métal le plus dur aux, assauts des passions ? Quant à travers le feu, le fer, les bêtes féroces, il se montre plus fort que l’acier et triomphe de tout par le langage de la piété ? bénit quand on le maudit ? répond par des paroles bienveillantes aux injures ? prie pour ceux qui lui font tort ? fait du bien à ses ennemis et à ceux qui lui tendent des embûches ? Oui, ces choses et d’autres de ce genre glorifient Dieu plus que les cieux. Car, en voyant le ciel, les Grecs ne rougirent pas ; mais à l’aspect d’un homme saint, pratiquant la sagesse dans sa perfection, ils sont couverts de Confusion et se condamnent eux-mêmes. En effet, quand un homme qui n’est point d’une autre nature qu’eux l’emporte sur eux autant, et plus même que le ciel ne l’emporte sur la terre, ils sont bien forcés de croire que c’est là l’effet de quelque puissance divine. Aussi le Christ dit-il : « Et qu’ils glorifient votre Père qui est dans les cieux ».

Voulez-vous savoir d’ailleurs comment Dieu est glorifié par la vie de ses serviteurs, et comment il l’est par ses prodiges ? Un jour Nabuchodonosor jeta les trois enfants dans la fournaise. Ensuite, voyant que le feu ne les consumait point, il dit : « Béni soit Dieu qui a envoyé son ange et sauvé ses enfants de la fournaise, parce qu’ils ont eu confiance en lui et n’ont point obéi à la parole du roi ». (Dan 3,95) Que dites-vous, ô roi ? Vous avez été méprisé, et vous admirez ceux qui ont rejeté vos ordres ? Oui : je les admire par cela même qu’ils m’ont méprisé. Il donne la raison même du prodige. Ainsi Dieu est glorifié, non seulement par le miracle, mais par la résolution des trois enfants. Et si on veut y regarder de près, ce dernier point n’est pas au-dessous de l’autre. Au point de vue du prodige, délivrer ces jeunes gens, de la fournaise n’est pas plus que de les avoir décidés à y entrer. Comment, en effet, ne pas être frappé d’étonnement en voyant le roi du monde, environné de tant d’armes et d’armées, de généraux, de satrapes, de préfets, maître de la terre et de la mer, en le voyant, dis-je, méprisé par des enfants prisonniers ; en volant ces prisonniers vaincre celui qui les a mis aux fers et triompher de toutes ses troupes ? Car le roi et sa cour n’ont pu ce qu’ils voulaient, eux qui avaient toutes ces ressources, et de plus celle de la fournaise ; mais des enfants dénués de tout, esclaves, étrangers, en petit nombre (trois ! que peut-on de moins?) et enchaînés, ont vaincu une immense armée. Car déjà la mort était méprisée, parce que le Christ devait venir ; et comme, au lever du soleil, le jour brille avant que ses rayons aient paru, ainsi la mort reculait déjà à la seule approche du soleil de justice. Quoi de plus éclatant que ce spectacle ? quoi de plus glorieux que cette victoire ? quoi de plus insigne que ces trophées ?

4. Et cela se voit encore de nos jours. Il y a encore maintenant un roi de Babylone avec sa fournaise, et qui y allume un feu bien plus ardent ; il est encore là pour faire adorer sa statue ; autour de lui sont encore des satrapes, des soldats, une musique enchanteresse ; et beaucoup adorent cette image, aux aspects variés, de hauteur colossale. L’avarice est une statue de ce genre, ne dédaignant pas même le fer, composée d’éléments dissemblables, obligeant à tout admirer, l’airain, le fer et des matières beaucoup plus viles encore. Mais si fout cela est, il y a aussi des imitateurs de ces enfants, qui disent : Nous ne servons pas les dieux, nous n’adorons pas ton image ; mais nous supportons la fournaise de la pauvreté et toutes les autres misères, pour les lois de Dieu. Ceux qui possèdent beaucoup, l’adorent souvent cette image, comme ces courtisans du roi, et ils sont dévorés par les flammes ; mais ceux qui n’ont rien, la méprisent, vivent dans la pauvreté et sont plus dans la rosée que ceux qui nagent au sein de l’abondance : absolument comme ceux qui avaient jeté les trois enfants dans la fournaise furent consumés, tandis que les enfants eux-mêmes étaient comme rafraîchis par la pluie et la rosée. Et le tyran lui-même souffrait plus qu’eux de la flamme : car la colère le brûlait intérieurement ; le feu ne put pas même atteindre l’extrémité de leurs cheveux ; tandis que son âme était dévorée par l’ardeur de son courroux. Songez un peu à ce que c’était que d’être méprisé devant tant de témoins par des enfants prisonniers. Il a fait voir, du reste, que s’il avait pris leur ville, ce n’était pas par sa vertu propre, mais à cause des péchés de ses habitants.

Si, en effet, il n’a pu vaincre trois enfants enchaînés et jetés dans une fournaise, comment serait-il venu à bout, par la loi de la guerre, de tant d’hommes, s’ils eussent tous été tels que ceux-ci ? Il est donc évident que ce sont les péchés du peuple qui ont livré la ville. Mais voyez comme ces jeunes gens sont étrangers à la vaine gloire ! Ils ne s’élancèrent point dans la fournaise, mais ils pratiquèrent d’avance l’ordre du Christ qui dit : « Priez afin que vous n’entriez point en tentation ». (Mat 26,41) Ils ne se sauvèrent point quand on les y conduisit ; mais ils gardèrent courageusement le milieu ; ne s’empressant point quand on ne les appelait pas, ne montrant ni faiblesse ni lâcheté quand on les appelait, prêts à tout, intrépides et remplis de confiance. Et pour bien comprendre leur sagesse, écoutons ce qu’ils disent : « Il y a dans le ciel un Dieu qui peut nous délivrer ». (Dan 3,17) Ils ne s’inquiètent point d’eux-mêmes ; au moment d’être brûlés, ils ne s’occupent que de la gloire de Dieu. Afin, disent-ils, que vous n’accusiez pas Dieu d’impuissance, quand nous serons consumés par le feu, nous vous ex primons nettement toute notre croyance : « Il y a un Dieu dans le ciel », non un Dieu semblable à cette statue terrestre, inanimée et muette, mais un Dieu qui peut nous tirer du milieu de cette fournaise ardente. Ne l’accusez donc pas de faiblesse, s’il nous y laisse jeter. Il est si puissant qu’il peut nous sauver de la flamme, même quand nous y serons : « Et s’il ne le fait pas, sachez néanmoins, ô roi ; que nous ne servons pas vos dieux et que nous n’adorerons pas la statue d’or que vous avez fait dresser ». (Dan 3,18) Vous voyez que, par un dessein providentiel, ils ignorent l’avenir. S’ils l’avaient connu, leur action serait moins admirable ; quoi d’étonnant, en effet, à ce qu’ils eussent audacieusement affronté le danger s’ils avaient eu un gage certain de leur salut ?

Sans doute Dieu eût été également glorifié, puisqu’il aurait pu les sauver de la fournaise : mais ils eussent été moins dignes d’admiration, puisque au fait ils ne se seraient pas précipités, dans le danger. Dieu leur a donc laissé ignorer l’avenir, pour les glorifier davantage. Et comme ils assuraient au roi que Dieu ne devait pas être accusé d’impuissance, quand même le feu les consumerait ; ainsi Dieu a tout à la fois montré sa puissance et mieux fait briller leur courage. Et pourquoi, dites-vous, ce doute de leur part, cette incertitude de leur délivrance ? Parce qu’ils se croyaient trop peu de chose, trop indignes d’un si grand bienfait. Et la preuve que ce n’est pas ici une simple conjecture, ce sont les plaintes qu’ils font entendre dans la fournaise, quand ils disent : « Nous avons péché, nous avons commis l’iniquité ; il ne nous est pas permis d’ouvrir la bouche ». (Dan 3,29) Voilà pourquoi ils ont d’abord dit : « Et s’il ne le fait pas ». Ne soyez pas surpris qu’ils ne disent pas clairement : Dieu peut nous sauver, et s’il ne nous sauve pas, c’est à cause de nos péchés ; car alors ils auraient eu l’air, aux yeux de barbares, de voiler l’impuissance de Dieu sous le prétexte de leurs propres péchés. Ne parlant donc que de soin pouvoir, ils n’ont rien dit de la cause. Ils étaient d’ailleurs parfaitement habitués à ne point scruter témérairement les jugements de Dieu. Après avoir prononcé ces paroles ; ils sont entrés dans le feu, sans injurier le roi, sans renverser sa statue.

Tel doit être l’homme courageux, modéré et doux, surtout dans les dangers, pour ne pas paraître aller à ces combats par colère et par vaine gloire, mais par courage et avec modération. C’est à celui qui commet l’injustice à supporter le soupçon de ces coupables motifs ; quant à celui qui les subit, qui souffre violence et combat avec douceur, non seulement on l’admire comme un homme de cœur, mais on ne le vante pas moins pour sa modération et sa douceur : ce que firent alors les trois enfants, en montrant tout le courage et toute la douceur possibles, et n’agissant point en vue d’un prix ou d’une récompense. Et quand même il ne voudrait pas nous sauver, ajoutent-ils, nous n’adorerons pas vos dieux ; car nous sommes déjà récompensés par cela seul que nous sommes jugés dignes d’être délivrés de l’impiété et brûlés pour cette fin. Et nous aussi qui avons déjà notre récompense (et nous l’avons, puisque nous avons été jugés dignes de connaître le Christ et de devenir ses membres), n’en faisons pas les membres d’une prostituée. C’est par ce mot terrible qu’il faut finir ce discours ; afin que, sous l’impression de la plus vive frayeur, nous devenions plus purs que l’or et persévérions dans cet état. C’est ainsi que délivrés de la fornication nous pourrons voir le Christ. Puissions-nous le voir tous avec confiance au dernier jour, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, en qui appartiennent au Père, en union avec le Saint-Esprit, la gloire, la force, l’honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
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