‏ 1 Corinthians 7

HOMÉLIE XIX.

QUANT AUX CHOSES DONT VOUS M’AVEZ ÉCRIT : IL EST AVANTAGEUX À L’HOMME DE NE TOUCHER AUCUNE FEMME ; MAIS, À CAUSE DE LA FORNICATION, QUE CHAQUE HOMME AIT SA FEMME ET CHAQUE FEMME SON MARI. (CHAP. 7, VERS. 1, 2, JUSQU’À LA FIN DU CHAP)

ANALYSE.

  • 1. Du devoir conjugal : exhortation indirecte à la virginité plus parfaite que le mariage.
  • 2 et 3. Ne s’abstenir du mariage que pour vaquer à des devoirs religieux importants. – Conduite que doivent tenir les veuves. – Que l’adultère est un motif suffisant pour dissoudre le mariage. – Que les mariages mixtes, c’est-à-dire, dans lesquels l’un des époux est chrétien et l’autre non, ne doivent pas être dissous.
  • 4 et 5. Devant le Christ, l’esclave et l’homme libre sont égaux.
  • 6. Avis important aux personnes mariées et aux vierges.

1. Après avoir corrigé trois vices : le schisme dans l’Église, la fornication et l’avarice, il adoucit son langage ; et pour reposer son auditoire de ces sujets pénibles, il donne des avis et des conseils sur le mariage et la virginité. Dans la seconde épître, il prend la marche contraire ; après avoir commencé par des sujets plus doux, il finit par de plus désagréables. Ici, après avoir parlé de la virginité, il en revient encore à frapper, non d’une manière continue, mais en alternant dans les deux sens, selon que la circonstance et l’état des choses l’exigeaient. Aussi dit-il : « Quant aux choses dont vous m’avez écrit ». En effet on lui avait écrit pour savoir s’il fallait s’abstenir du mariage ou non. Répondant à cette question et avant d’établir la loi du mariage, il commence par parler de la virginité : « Il est avantageux à l’homme de ne toucher aucune femme ». C’est-à-dire : Si vous cherchez le bien, l’excellent, il est meilleur de n’avoir aucun commerce avec une femme ; si vous cherchez la sécurité et un appui à votre faiblesse, usez du mariage. Mais comme probablement, alors ainsi qu’aujourd’hui, l’un des époux voulait et l’autre ne voulait pas, voyez comme il parle de l’un et de l’autre. Quelques-uns prétendent qu’il s’adresse ici aux prêtres ; pour moi, d’après ce qui suit, je ne le pense pas : car il n’eût point donné son avis d’une manière aussi générale. S’il se fût agi seulement des prêtres, il aurait dit : Il est avantageux au ministre de la parole de ne toucher aucune femme ; mais son expression est générale : « Il est avantageux à l’homme » et non pas seulement au prêtre ; et encore : « N’êtes-vous point lié à une femme ? Ne cherchez point de femme ». Il ne dit pas : Vous prêtre et docteur, mais il parle d’une manière indéfinie, et ainsi dans toute la suite du discours.

Et quand il dit : « Mais à cause de la fornication que chaque homme ait sa femme », par la nature même de cette concession il exhorte à la continence. « Que le mari rende à la femme ce qu’il lui doit, et pareillement la femme à son mari ». Or, quel est ce bonheur dû ? La femme n’est pas maîtresse de son propre corps, mais elle est la servante et la maîtresse de son époux. En vous soustrayant au service convenable, vous offensez Dieu ; si vous voulez vous abstenir de concert avec votre mari, que ce soit pour peu de temps. Aussi appelle-t-il cela une dette, pour montrer qu’aucun des deux n’est maître de lui-même, mais que l’un est le serviteur de l’autre. Quand donc une prostituée vous tente, dites-lui : Mon corps n’est pas à moi, mais à ma femme. Que la femme en dise autant à ceux qui voudraient attenter à sa chasteté : Mon corps n’est pas à moi, mais à mon époux. Que si l’homme et la femme ne sont pas maîtres de leur corps, encore moins le sont-ils de leur fortune. Écoutez, vous qui avez des femmes, et vous qui avez des maris. Si l’on ne peut pas avoir son corps en propre, encore moins peut-on avoir ses biens. Ailleurs, sans doute, une grande prérogative est accordée au mari, dans le Nouveau et dans l’Ancien Testaments. Dans celui-ci on lit : « Tu te tourneras vers ton mari ; c’est lui qui te dominera ». (Gen 3,16) Et Paul, établissant une distinction, écrit : « Maris, aimez vos femmes…, mais que la femme craigne son mari ». (Eph 5,25, 33) Mais ici il ne distingue pas le plus ou le moins : le droit est le même. Pourquoi ? Parce qu’il s’agit de la chasteté. Que partout ailleurs, dit-il, l’homme ait l’avantage ; mais en fait de continence, non. « L’homme n’a pas puissance sur son « corps, ni la femme non plus ». L’égalité est complète ; point de prérogative.

« Ne vous refusez point l’un à l’autre ce devoir, si ce n’est de concert ». Qu’est-ce que cela veut dire ? Que la femme ne se contienne pas, malgré son époux ; ni l’époux, malgré sa femme. Pourquoi cela ? Parce que de grands maux naissent de cette continence : souvent les adultères, les fornications ; les troubles domestiques en sont les suites. Si en effet il est des hommes qui commettent la fornication quoiqu’ils aient leurs femmes, à plus forte raison la commettront-ils si vous les privez de cette consolation. C’est avec raison qu’il dit : « Ne vous fraudez point », employant ici le mot fraude comme plus haut le mot dette, pour mieux constituer le droit. En effet, se contenir malgré son conjoint, c’est commettre une fraude ; mais non plus, s’il y consent. Vous ne me volez pas, si je consens à ce que vous pm niez un objet qui m’appartient. Mais prendre par force à quelqu’un qui n’y consent pas, c’est voler : et c’est ce que font beaucoup de femmes, qui blessent ainsi gravement la justice, deviennent responsables des désordres de leurs maris et mettent tout sens dessus dessous. Or il faut placer la bonne harmonie avant tout, parce que c’est en effet un bien préférable à tous les autres. Entrons, si vous le voulez, dans la nature même des choses. Supposez un homme et une femme, et la femme se contenant malgré son mari. Qu’arrivera-t-il, si celui-ci se livre à la fornication, ou tout au moins s’afflige, se trouble, éprouve l’ardeur de la concupiscence, soulève des querelles et cause mille ennuis à sa femme, que gagne-t-elle au jeûne et à la continence, si le lien de la charité est brisé ? Rien. Que d’injures, que de débats, que de guerres s’ensuivront nécessairement !

2. Car quand le mari et la femme sont en désaccord chez eux, la maison ressemble tout à fait à un vaisseau battu par la tempête, on le pilote et le timonier ne s’entendent pas. C’est pourquoi l’apôtre dit : « Ne vous refusez point l’un à l’autre ce devoir, si ce n’est de « concert pour un temps, afin de vaquer au jeûne et à la prière » ; mais il entend une prière faite avec plus de soin. En effet, s’il défendait la prière à ceux qui usent du mariage, quand et comment pourrait-on prier sans relâche ? Il est donc possible d’user de sa femme et de prier ; mais la continence donne à la prière une plus grande perfection. Aussi ne dit-il pas simplement : Pour prier, mais : « Afin que vous vaquiez à la prière », puisque par là on se procure du loisir, sans contracter de souillure. « Et revenez ensuite comme vous étiez, de peur que Satan ne vous tente ». Il donne la raison de ce conseil, de peur qu’on ne le prenne pour une loi. Quelle est cette raison ? « De peur que Satan ne vous tente ». Et pour que vous sachiez que le diable n’est pas seul l’auteur de l’adultère, il ajoute : « Par votre incontinence. Or, je dis ceci par condescendance et non par commandement. Car je voudrais que tous les hommes vécussent comme moi, dans la continence ». C’est son usage habituel de se proposer lui-même pour exemple, quand il s’agit de choses difficiles et de dire : « Soyez mes imitateurs. Mais « chacun reçoit de Dieu son on particulier, l’un d’une manière et l’autre d’une autre ». Comme il les a vivement accusés en disant « Par votre incontinence », il les console en ajoutant : « Chacun reçoit de Dieu son don particulier », non pour faire entendre qu’une bonne œuvre n’a pas besoin de notre concours, mais pour les consoler, comme je viens de le dire. Car si c’est un pur don et que l’homme n’y contribue en rien, comment ajoute-t-il : « Mais je dis à ceux qui ne sont pas mariés et aux veuves, qu’il leur est avantageux de rester ainsi, comme moi-même ; que s’ils ne peuvent se contenir, qu’ils se marient ? »

Voyez-vous la prudence de Paul, comment il démontre que la continence est l’état le plus avantageux, sans cependant forcer celui qui ne l’embrasse pas, de peur qu’il n’arrive une chute ? « Car il vaut mieux se marier que de brûler ». Il a fait voir la force tyrannique de la concupiscence. Voici ce qu’il veut dire : Si vous éprouvez de violents assauts, une vive ardeur, débarrassez-vous de ces luttes et de ces pénibles efforts, de peur d’être vaincu. « Pour ceux qui sont mariés, ce n’est pas moi, mais le Seigneur qui commande ». Sur le point de lire la loi portée en termes positifs par le Christ ; pour défendre de renvoyer sa femme, sauf le cas de fornication, il dit : « Ce n’est pas moi » ; car ce qui a été dit plus haut, quoique non en des termes exprès, lui semble la même chose. Mais ici ses termes sont formels. Et c’est la différence entre ces mots : « C’est moi », et : « Ce n’est pas moi ». Et pour que vous ne croyiez point qu’il parle par inspiration humaine, il ajoute : « Car je pense que j’ai l’Esprit de Dieu ». Que commande donc le Seigneur aux personnes mariées ? « Que la femme ne se sépare point de son mari. Que si elle en est séparée, qu’elle demeure sans se marier, ou qu’elle se réconcilie avec son mari ; que le mari de même ne quitte point sa femme ».

Comme à propos de la continence ou pour d’autres prétextes, et pour des futilités, il s’élevait des divisions, il eût mieux valu, dit l’apôtre, que cela n’eût pas lieu ; mais puisque cela est, que la femme reste avec son mari, si ce n’est pour user du mariage, au moins pour n’introduire aucun autre homme. « Mais aux autres je dis moi, et non le Seigneur : si l’un de nos frères a une femme infidèle et qu’elle consente à demeurer avec lui, qu’il ne se sépare point d’elle. Et si une femme a un époux infidèle et qu’il consente à demeurer avec elle, qu’elle ne s’en sépare point ». Comme en parlant de la nécessité de se séparer des fornicateurs, pour atténuer la difficulté, il a dit : « Ce qui ne s’entend pas des fornicateurs de ce monde » ; ainsi il s’attache ici à rendre la chose très facile : si une femme a un mari infidèle, qu’elle ne s’en sépare pas ; si un homme a une femme infidèle, qu’il ne la renvoie pas. Que dites-vous, Paul ? si l’époux est infidèle, il doit demeurer avec sa femme, et non s’il est fornicateur ? Cependant, la fornication est un péché moindre que l’infidélité ; mais Dieu a pour vous de grands ménagements. C’est aussi ce qu’il fait à propos du sacrifice, lorsqu’il dit : « Laissez là le sacrifice et allez vous réconcilier avec votre frère ». (Mat 5,24) Et encore à propos de celui qui devait dix mille talents ; car il ne l’a point puni, tandis qu’il a condamné au supplice celui qui exigeait cent deniers de son compagnon. Ensuite, de peur que la femme ne se crût immonde pour avoir usé du mariage, il dit : « Car le mari infidèle, est sanctifié par la femme fidèle et la femme infidèle est sanctifiée par le mari ». Pourtant, si celui qui s’unit à une prostituée devient un même corps avec elle, il est évident que celle qui s’unit à un idolâtre, devient aussi un même corps avec lui. Oui, elle devient un même corps, mais elle ne se souille point ; la pureté de la femme l’emporte sur l’impureté du mari, comme la pureté de l’homme fidèle sur l’impureté de la femme infidèle.

3. Pourquoi donc l’impureté est-elle ici vaincue et l’usage du mariage est-il permis, tandis que l’homme n’est point blâmable quand il chasse sa femme adultère ? Parce que là il y a espoir que la partie infidèle sera sauvée par le mariage, et qu’ici le mariage est déjà dissous ; qu’ici encore les deux parties sont viciées, tandis que dans l’autre cas il n’y en a qu’une. Expliquons-nous : la femme qui commet la fornication est certainement impure. Or, si celui qui s’unit à une prostituée devient un seul corps avec elle, celui qui s’unit à une prostituée devient donc impur ; par conséquent, toute pureté a disparu. Mais ici il n’en est pas de même : comment cela ? L’idolâtre est impur, mais la femme ne l’est pas. Si celle-ci communiquait avec lui dans ce qu’il a d’impur, c’est-à-dire, dans son impiété, elle deviendrait impure comme lui ; mais, d’une part, l’idolâtre est impur, et d’autre part, la femme communique avec lui en une chose qui n’est pas impure, car le mariage est l’union des corps et il y a société. Or, il y a lieu d’espérer que la femme, à laquelle il s’unit, le ramènera : mais pour l’autre cas cela ne serait pas très facile. Comment une femme qui l’a d’abord déshonoré, qui s’est livrée à un autre, qui a enfreint les lois du mariage, pourra-t-elle ramener l’époux qu’elle a outragé et qui n’est plus là que comme un étranger ? D’ailleurs, après la fornication l’époux n’est plus époux ; mais ici la femme, quoique idolâtre, ne détruit point la justice dans son mari. Et elle n’habite pas sans raison avec son mari, mais du consentement de celui-ci : c’est pourquoi l’apôtre dit : « Et qu’il consente à demeurer avec elle ».

Quel mal y a-t-il, je vous le demande, si, tout ce qui tient à la religion restant sain et sauf, et la conversion de la partie infidèle offrant quelque espérance, ils continuent à demeurer ensemble dans l’état du mariage, et n’introduisent point chez eux de sujets de querelles inutiles ? Car il ne s’agit pas ici de personnes libres, mais de personnes mariées. L’apôtre ne dit pas : Si quelqu’un veut prendra un infidèle, mais : « Si quelqu’un a une femme infidèle » ; c’est-à-dire, si quelqu’un déjà marié, reçoit l’enseignement de la vraie religion, et que l’autre partie tout en restant infidèle consente néanmoins à rester dans le mariage, qu’il ne s’en sépare point : « Car le mari infidèle est sanctifié par la femme ». Telle est l’excellence de votre pureté. Quoi donc ! Un gentil est saint ? Point du tout. Paul n’a pas dit : Est saint, mais : « Est sanctifié par sa femme ». Et il parle ainsi non pour montrer un saint dans un époux infidèle, mais pour mieux dissiper les craintes de la femme et inspirer à l’époux le désir de la vérité. Car ce n’est pas dans les corps des époux qu’est l’impureté, mais dans la volonté et dans les pensées. Puis vient la preuve. Si vous engendrez étant impure, l’enfant n’est pas de vous seule ; il est donc impur ou pur par moitié ; il n’est donc pas impur. Aussi ajoute-t-il : « Autrement vos enfants seraient impurs, tandis que maintenant ils sont saints », c’est-à-dire, ils ne sont pas impurs. Il les appelle saints, pour écarter toute crainte et tout soupçon par l’énergie de ses expressions. « Que si l’infidèle se sépare, qu’il se sépare ». Ici, il n’y a pas de fornication. Que signifient ces mots : « Si l’infidèle se sépare ? » Par exemple, s’il vous ordonne de sacrifier et de partager son impiété parce que vous êtes sa femme, ou de vous retirer, il vaut mieux rompre le mariage que de renoncer à la vraie foi. Voilà pourquoi il ajoute : « Notre frère ou notre sœur ne sont plus asservis en pareil cas ». Si chaque jour il faut subir des discussions et des combats là-dessus, le meilleur est de se séparer. Et c’est ce qu’il insinue quand il dit : « Dieu nous a appelés à la paix ». D’ailleurs l’infidèle, comme le fornicateur, a donné lieu à la séparation.

« Car que savez-vous, ô femme, si vous sauverez votre mari ? » Ceci se rapporte à ce qu’il a dit plus haut : « Qu’elle ne se sépare point de lui ». C’est-à-dire, s’il ne vous cause aucun trouble, restez, car il y a profit : restez exhortez, conseillez, persuadez : aucun maître n’a autant d’influence qu’une femme. Il ne lui impose point d’obligation, il n’exige rien d’elle, pour ne pas rendre le fardeau trop lourd, et il ne veut pas qu’elle désespère ; mais il laisse là question de l’avenir incertaine et comme suspendue, en disant : « Que savez-vous, ô femme, si vous sauverez votre mari ? Et que savez-vous, ô homme, si vous sauverez votre femme ? » Et encore : « Seulement que chacun marche comme Dieu le lui a départi et selon que Dieu l’a appelé. Un circoncis a-t-il été appelé ? qu’il ne se donne point pour incirconcis. Un circoncis a-t-il été appelé ? qu’il ne se fasse point, circoncire. La circoncision n’est rien, et l’incirconcision n’est rien, mais l’observation des commandements de Dieu est tout. Que chacun persévère dans la vocation où il était quand il a été appelé. Avez-vous été appelé « étant esclave ? Ne vous en inquiétez pas ». Tout cela n’a point de rapport avec la foi ; point de discussions donc, point de troubles ; la foi a tout fait disparaître. « Que chacun persévère dans la vocation où il était quand il a été appelé ». Vous aviez une femme infidèle quand vous avez été appelé ? Demeurez avec elle ; que la foi ne soit point un motif pour la renvoyer. Vous étiez esclave quand vous avez été appelé ? Ne vous en inquiétez pas, restez esclave. Vous étiez incirconcis quand vous avez été appelé ? Restez incirconcis. Vous étiez circoncis quand vous avez cru ? Restez circoncis. C’est-à-dire : « Que chacun marche comme Dieu le lui a départi ». Rien de tout cela n’est un obstacle à la religion. Vous avez été appelé étant esclave ; un autre, ayant une femme infidèle ; un troisième ; étant circoncis.

4. O ciel ! Où va-t-il placer l’esclavage ? Comme la circoncision ne sert à rien et que l’incirconcision ne nuit pas, ainsi en est-il de l’esclavage et de la liberté. Et pour le prouver plus clairement, il ajoute : « Et même si vous pouvez devenir libre, profitez-en plutôt » ; c’est-à-dire, restez plutôt esclave. Et pourquoi engage-t-il celui qui peut devenir libre à rester esclave ? Pour montrer que l’esclavage est plutôt utile que nuisible. Je sais que quelques-uns pensent que ces mots : « Profitez-en plutôt » doivent s’entendre de la liberté ; ce qui voudrait dire : Si vous le pouvez, devenez libre. Mais cette interprétation serait tout à fait contraire au but que Paul se propose. En effet, il ne conseillerait point à l’esclave de se procurer la liberté, au moment où il le console et affirme que l’esclavage ne lui est nullement désavantageux. Car alors on pourrait peut-être dire : mais enfin, si je ne puis devenir libre, je subis donc une injure et un dommage ?

Ce n’est donc point là sa pensée ; mais, comme je l’ai expliqué plus haut, voulant montrer que la liberté ne serait d’aucun profit, il dit : quand vous pourriez devenir libre, restez plutôt esclave. Et il en donne aussitôt la raison : « Car celui qui a été appelé au Seigneur quand il était esclave, devient affranchi du Seigneur ; de même celui qui a été appelé étant libre, devient esclave du Christ ». En ce qui regarde le Christ, dit-il, les deux sont égaux : vous êtes également l’esclave du Christ, le Christ est égaiement votre maître. Comment donc l’esclave est-il affranchi ? Parce que le Christ vous a délivré non seulement du péché, mais encore de la servitude extérieure, bien que vous restiez esclave. Car il ne permet pas que l’esclave, ni que l’homme demeurant dans la servitude, soit esclave : et c’est là la merveille. Mais comment un esclave est-il libre, tout en restant esclave ? Quand il est délivré des passions et des maladies spirituelles, quand il méprise les richesses, qu’il est au-dessus de la colère et des autres mouvements de l’âme. « Vous avez été achetés chèrement ; ne vous faites point esclaves des hommes ». Ces paroles ne s’adressent pas seulement aux serviteurs, mais aussi aux hommes libres. Car l’esclave peut être libre ; et l’homme libre, esclave. Et comment – an esclave peut-il être libre ? Quand il fait tout pour Dieu, quand il agit sans dissimulation et non pour plaire aux hommes : alors tout en servant les hommes, il est libre. Et comment, d’autre part, l’homme libre peut-il être esclave ? quand il remplit un rôle coupable parmi les hommes, ou par gourmandise, ou par l’ambition des richesses, ou par l’abus de la puissance. En ce cas, bien que libre, il est le plus esclave des hommes.

Considérez ces deux faits : Joseph était esclave, mais non esclave des hommes : c’est pourquoi il était le plus libre des hommes, même au sein de l’esclavage. Ainsi il ne cède point au désir de la femme de son maître, qui coulait le plier au gré de sa passion. Elle, au contraire, quoique libre, était esclave entre tous les esclaves, elle qui flattait son serviteur et le provoquait au mal ; mais elle ne put décider l’homme libre à faire ce qu’elle voulait. L’esclavage de Joseph n’était donc point un esclavage, mais la plus haute liberté ; car en quoi a-t-il gêné sa vertu ? Écoutez, esclaves et hommes libres : lequel était l’esclave de celui qui était sollicité, ou de celle qui sollicitait ? de celle qui suppliait, ou de celui qui méprisait ses supplications ? Car Dieu a fixé des bornes aux esclaves : les lois déterminent le point jusqu’où ils peuvent aller et qu’ils ne doivent point dépasser. Tant que le maître n’exige rien qui déplaise à Dieu, il faut l’écouter et lui obéir ; mais non, s’il demande rien au-delà ; c’est ainsi que l’esclave devient libre. Et si vous allez vous-même au-delà, fussiez-vous libre, vous devenez esclave. C’est à quoi Paul fait allusion, quand il dit : « Ne vous faites point esclaves des hommes ». S’il en était autrement, s’il conseillait aux esclaves de quitter leurs maîtres et de s’efforcer de devenir libres, comment aurait-il donné cet avis : « Que chacun persévère dans la vocation où il était quand il a été appelé ? » Et ailleurs : « Que tous les serviteurs qui sont sous le joug estiment leurs maîtres dignes de tout honneur, et que ceux qui ont des maîtres fidèles ne les méprisent point, parce que ce sont des frères qui participent au même bienfait ». (1Ti 6,1-2) Écrivant aux Éphésiens et aux Colossiens il donne encore les mêmes règles et les mêmes lois. D’où il suit clairement qu’il ne combat point ce genre d’esclavage, mais celui que les hommes libres contractent par le vice et qui est le plus fâcheux, même quand celui qui le subit est libre. À quoi en effet a servi aux frères de Joseph d’être libres ? N’étaient-ils pas les plus esclaves des hommes, quand ils mentaient à leur père, faisaient aux marchands de faux récits ainsi qu’à leur frère ? Mais bien autre était Joseph, homme véritablement libre, véridique partout et en tout, que rien n’a pu assujettir, ni les fers, ni l’esclavage, ni l’amour de sa maîtresse, ni l’exil, mais qui est demeuré libre partout. Car c’est là la vraie liberté, celle qui éclate même dans l’esclavage.

5. Voilà le christianisme : il donne la liberté dans la servitude. Et comme un corps naturellement invulnérable se montre tel quand il reçoit un trait sans en souffrir, ainsi celui qui est vraiment libre, le démontre surtout quand ses maîtres ne peuvent le rendre esclave. Voilà pourquoi Paul engage à rester esclave. S’il n’était pas possible d’être esclave et vrai chrétien, les gentils pourraient accuser la religion d’une grande faiblesse ; mais s’ils savent que l’esclavage ne lui est point un obstacle, ils admireront la doctrine. Car si la mort, la flagellation, les chaînes ne nous font point de mal, beaucoup moins l’esclavage, le feu, le fer, tous les genres de tyrannie, les maladies, la pauvreté, les animaux sauvages et mille autres tourments plus graves encore peuvent-ils nuire aux fidèles ; ils n’ont fait que les rendre plus puissants. Et comment l’esclavage pourrait-il nuire ? Ce n’est pas l’esclavage même qui nuit, cher auditeur, mais celui du péché qui est le seul véritable. Si vous ne subissez pus celui-là, ayez confiance et réjouissez-vous ; personne ne pourra vous nuire dès que votre âme est libre ; mais si vous êtes esclaves du péché, eussiez-vous toute liberté d’ailleurs, la liberté ne vous sert à rien. Que sert, en effet, dites-moi, dé n’être pas esclave d’un homme et de l’être de ses passions ? Souvent les hommes usent encore de ménagement, mais les passions sont insatiables de ruine. Vous êtes l’esclave d’un homme ? Mais votre propre maître est votre serviteur ; lui qui pourvoit à votre nourriture, qui soigne votre santé, qui a le souci de votre habillement, de vos chaussures et de tant d’autres choses. Vous avez moins peur de l’offenser que lui de vous laisser manquer du nécessaire.

Mais il est couché, et vous êtes debout. – Qu’importe ? On peut faire cette observation pour vous comme pour lui. Souvent quand vous êtes couché et livré à un doux sommeil, il est non seulement debout, mais en proie à mille désagréments sur la place publique, et veille d’une manière bien plus pénible que vous. Quoi donc ! Joseph a-t-il autant souffert de la part de sa maîtresse, que celle-ci par l’effet de sa passion ? Joseph n’a point fait ce que voulait cette femme ; et elle-même a fait tout ce que voulait la passion, sa maîtresse ; et la passion ne s’est arrêtée qu’après l’avoir couverte de honte. Quel maître est aussi exigeant ? Quel tyran est aussi cruel ? Prie ton esclave, dit la passion, supplie ton prisonnier, flatte l’homme que tu as acheté ; s’il refuse, insiste ; si malgré tes sollicitations réitérées il ne cède point, observe le moment où il sera seul, et use de violence, et rends-toi ridicule. Quoi de plus déshonorant, quoi de plus, honteux que ce langage ? Mais si tu ne viens pas à bout de ton dessein, recours à la calomnie et trompe ton époux. Voyez comme ces ordres sont indignes d’une âme libre, honteux, inhumains, cruels et insensés ! Quel maître exige jamais ce que la passion impure a exigé de cette princesse ? Et pourtant elle n’eut pas le courage de résister à sa voix. Joseph n’a rien subi de pareil : il a tenu une conduite toute contraire qui l’a comblé de gloire et d’honneur. Voulez-vous encore voir un autre homme, à qui une cruelle maîtresse adonné des ordres qu’il n’a pas osé repousser ?

Rappelez-vous Caïn et les ordres que lui a donnés la jalousie. Elle lui a commandé de tuer son frère, de mentir à Dieu, d’affliger son père, d’être impudent ; et il a tout exécuté de point en point. Pourquoi vous étonnez-vous que cette maîtresse ait tant d’empire sur un seul homme, elle qui a souvent perdu des peuples entiers ? Les femmes madianites ont pour ainsi dire emmené les Juifs enchaînés et prisonniers en les captivant tous par l’attrait de leurs charmes. C’était ce genre d’esclavage que Paul repoussait quand il disait : « Ne vous faites point esclaves des hommes » ; c’est-à-dire N’obéissez point aux hommes quand ils vous donnent des ordres injustes, pas même à vous. Ensuite élevant son esprit jusqu’à un point sublime, il dit : « Quant aux vierges, je n’ai point reçu de commandement du Seigneur ; mais je donnerai un conseil comme ayant obtenu de la miséricorde du Seigneur d’être fidèle ». Procédant avec ordre, il parle ensuite de la virginité. Après les avoir entretenus et instruits sur la continence, il passe maintenant à ce qui est plus parfait. « Je n’ai pas de commandement », dit-il ; mais je pense que c’est une bonne chose. Pourquoi ? Pour la même raison qu’il a donnée à propos de la continence. « Êtes-vous lié à une femme ? Ne cherchez pas à vous délier ». Ceci ne contredit point ce qu’il a d’abord dit, mais le confirme parfaitement. En effet, plus haut il disait : « Si ce n’est d’un commun accord » ; ici il dit : « Êtes-vous lié à une femme ? Ne cherchez pas à vous délier ». Il n’y a point là de contradiction : car quand on agit contre sa volonté, le lien se brise ; quand on agit de concert, le lien subsiste.

6. Ensuite, pour qu’on ne croie pas que c’est là une loi, il ajoute : « Cependant, si vous prenez une femme, vous ne péchez pas ». Puis il accuse l’état des choses, la nécessité présente, la brièveté du temps, l’affliction. Car le mariage entraîne bien des suites qu’il indique comme il l’a déjà fait en parlant de la continence, quand il disait que la femme n’a pas de puissance sur son corps, et ici quand il dit : « Êtes-vous lié… Cependant si vous prenez une femme, vous ne péchez pas ». Ceci ne s’applique point à celle qui a choisi la virginité, car celle-là pécherait. En effet, si les veuves sont incriminées pour avoir contracté un second mariage quand elles ont promis de rester veuves, à plus forte raison blâmera-t-on les vierges. « Toutefois ces personnes auront les tribulations de la chair ». – Et aussi ses plaisirs, dites-vous. – Mais voyez comme l’apôtre les restreint par la brièveté du temps, en disant : « Le temps est court » ; c’est-à-dire, nous avons ordre de passer comme des voyageurs et de sortir ensuite ; mais vous vous agitez dans l’intérieur. Quand même le mariage n’aurait rien de pénible, il faudrait encore hâter sa marche vers l’avenir ; mais quand il entraîne des suites fâcheuses, à quoi bon se charger du fardeau ? Pourquoi s’imposer une telle charge, puisqu’une fois que vous l’avez prise, il faut en user comme n’en usant pas ? En effet, l’apôtre nous dit : « Il faut que ceux mêmes qui ont des femmes soient comme n’en ayant pas ». Après avoir ainsi dit un mot de l’avenir, il revient au temps présent. Car il y a des intérêts spirituels : l’une s’occupe du service de son époux, l’autre du service de Dieu ; mais il y a aussi les intérêts de la vie présente : « Je voudrais que vous fussiez exempts de soucis ». Pourtant il laisse cela à leur liberté. Car celui qui, après avoir montré ce qu’il faut choisir, impose le choix, semble n’avoir pas confiance en ses propres paroles. C’est pourquoi il use surtout de condescendance pour les déterminer et les maintenir : « Or je vous parle ainsi pour votre avantage, non pour vous tendre un piège ; mais parce que c’est une chose bienséante et qui donne la facilité de prier ». Que les vierges entendent bien : ce n’est pas à cela que se borne la virginité ; celle qui s’occupe du monde n’est ni vierge, ni honnête. Après avoir dit : « La femme mariée et la vierge sont partagées », il établit la différence, le point qui les sépare l’une de l’autre. Pour limite entre la vierge et celle qui ne l’est plus, il ne donne pas le mariage, ni la continence, mais l’exemption de soucis et de grands soucis. Car ce n’est pas l’acte du mariage qui est un mal, mais l’obstacle à la sagesse. « Si donc quelqu’un pense que ce lui soit un déshonneur que sa fille reste vierge ». Ici il semble parler en faveur du mariage ; néanmoins tout se rapporte à la virginité ; car il permet même un second mariage, mais seulement « dans le Seigneur ». Que veut dire : « dans le Seigneur ? » C’est-à-dire, avec chasteté, avec honnêteté ; car il en faut partout : c’est là ce que nous devons chercher ; autrement il n’est pas possible de voir Dieu. Si nous avons passé sous silence ce qu’il y a à dire sur la virginité, qu’on ne nous accuse pas de négligence. Car nous avons composé un livre entier sur ce passage ; et après y avoir traité ce sujet avec autant de soin qu’il nous a été possible, nous avons cru inutile d’y revenir aujourd’hui. Nous y renvoyons donc nos auditeurs, et nous nous contentons de dire ici qu’il faut garder la continence, puisque l’apôtre nous dit : « Cherchez à tout prix la paix et la sainteté, sans laquelle personne ne verra le Seigneur ». (Heb 12,14) Cherchons-la donc, soit que, nous vivions dans la virginité, soit que nous vivions dans un premier ou dans un second mariage, afin de mériter de voir Dieu et d’obtenir le royaume des cieux, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, en qui appartiennent, au Père, en union avec le Saint-Esprit, la gloire, l’empire, l’honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il. 

HOMÉLIES SUR LE MARIAGE.

AVERTISSEMENT.

Les trois homélies suivantes, dont la première a pour texte les paroles de saint Paul : Propter fornicationes, etc., la seconde, roule sur la répudiation, la troisième sur le choix d’une épouse, ont évidemment été prononcées de suite. Un passage, au commencement de la seconde, montre qu’elle a suivi de près la première, dont le texte s’y trouve reproduit. La troisième dut pareillement être prononcée peu de jours après la seconde : nous en avons pour preuve le témoignage même du Saint dans son exorde. Il est principalement question, dans la première, de la célébration du mariage et de l’inconvénient des danses licencieuses, des chansons obscènes qui, au temps de Chrysostome, accompagnaient ordinairement cette cérémonie. L’orateur s’élève ensuite contre ceux qui persistent dans la fornication, même après le mariage, et aussi contre l’opinion mondaine qui réserve le nom d’adultère à l’infidélité des femmes mariées et à la complicité de leurs séducteurs. Dans le discours suivant, saint Jean Chrysostome traite de la répudiation, et conclut, contre les maximes et la pratique des Grecs de nos jours, qu’il n’est pas permis d’épouser une femme répudiée pour cause d’adultère. Enfin, le titre même de la troisième homélie, du choix d’une épouse dit assez quel en est le sujet. Chrysostome y fait l’éloge d’un Maxime, qu’il désigne en langage figuré comme son coadjuteur, et qui était peut-être cet évêque de Séleucie, en Isaurie, qui avait précédemment porté la parole à sa place : de ce même témoignage on peut inférer que saint Jean Chrysostome était alors évêque de Constantinople.

PREMIÈRE HOMÉLIE. Sur ces paroles de saint Paul : « à cause de la fornication que chacun ait sa femme. » (1Co 7, 2)

ANALYSE.

  • 1° Effets de la parole sacrée. – Qu’il faut savoir maîtriser sa langue.
  • 2° De la célébration du mariage. – Des abus qui l’accompagnent.
  • 3° Que le démon a part à ces abus. – A quoi tend l’institution du mariage.
  • 4° Réfutation de l’erreur mondaine concernant l’adultère.
  • 5° Châtiment de l’époux adultère en ce monde et dans l’autre.

1. Je veux encore aujourd’hui vous conduire par la main vers les sources de miel, le miel étant une chose dont on ne peut se lasser. Telle est la nature des paroles de Paul, et tous ceux qui s’abreuvent à ces sources, parlent sous l’inspiration du Saint-Esprit ; ou plutôt, la douceur du miel n’est rien auprès du charme attaché aux paroles divines. Et c’est ce que le prophète exprime en ces termes : Que tes paroles sont douces à mon gosier ; ma bouche les préfère au miel. (Psa 119, 103) Mais ce n’est pas seulement le miel que passe en douceur le charme des célestes paroles, c’est l’or, ce sont les pierres les plus rares qui lui cèdent en valeur, c’est l’argent le plus raffiné qui lui cède en pureté. Les paroles du Seigneur, dit le même, sont des paroles pures, un argent passé au feu, purgé de sa terre, sept fois purifié. (Psa 12, 7) Voilà ce qui faisait dire à un sage : Il n’est pas bon de manger beaucoup de miel ; mais il faut honorer les paroles glorieuses. (Pro 25, 27) En effet, le miel peut causer une maladie à l’homme sain, tandis qu’à l’aide de ces paroles, l’homme infirme peut se guérir ; de plus, le miel se corrompt dans la digestion, tandis que les paroles divines, lorsqu’on les digère, deviennent encore plus agréables et plus salutaires, et pour ceux qui les ont goûtées, et en même temps pour beaucoup d’autres. Enfin, celui qui s’assied à une table matérielle où règne le luxe, la quitte souvent avec des nausées qui le rendent incommode à tout ce qui l’entoure : au contraire, celui qui exhale l’odeur de l’instruction spirituelle, délecte ceux qui l’approchent par des parfums enivrants. Aussi David, qui goûtait sans cesse à ce festin béni, a-t-il pu dire : Mon cœur a exhalé le parfum de la bonne parole. (Psa 45, 2) En effet, il est aussi une mauvaise parole, dont on peut exhaler l’odeur. Et comme dans les festins du corps, la nature des aliments détermine la qualité de l’odeur qui revient à la bouche des convives ; ainsi, quand il s’agit de paroles, la qualité de celles dont on s’est nourri se reconnaît généralement à l’arrière-goût qu’elles laissent après elles. Par exemple, vous allez vous asseoir sur les degrés d’un théâtre, vous entendez des chansons lubriques : vos conversations sentiront encore les propos que vous aurez entendus. Mais vous venez à l’église, vos oreilles participent aux discours spirituels ; votre bouche en rendra le parfum. De là cette parole du prophète : Mon cœur a exhalé le parfum de la bonne parole, par où il veut nous faire entendre l’aliment dont il avait coutume de se nourrir. Et Paul, sur la foi du prophète, nous exhortait en ces termes : Qu’aucun discours mauvais ne sorte de votre bouche ; que s’il en sort quelqu’un, qu’il soit bon. (Eph 4, 29) Et qu’est-ce qu’un discours mauvais ? dira-t-on ; si vous apprenez ce que c’est qu’un bon discours, vous connaîtrez en même temps ce que c’est qu’un discours mauvais, car ces deux choses sont ici opposées l’une à l’autre. Ce que c’est qu’un bon discours ! il n’est pas besoin que je vous l’apprenne, car Paul lui-même nous en a expliqué la nature. En effet, après ces mots : qu’il soit bon, il ajoute, propre à édifier l’Église, montrant par là qu’un bon discours est celui qui édifie le prochain. Par conséquent, si le bon discours est celui qui édifie, le discours mauvais et condamnable est celui qui détruit.

Ainsi donc, mon cher auditeur, si tu as quelque chose à dire qui soit propre à rendre meilleur celui qui t’écoute, ne reste pas bouche close en cette occasion de salut : mais si tu n’as rien de pareil, et seulement des propos répréhensibles et dissolus, tais-toi, ne parle point contre l’intérêt du prochain. Car, c’est là un discours mauvais, puisque non-seulement il n’édifie pas l’auditeur, mais encore fait tout le contraire. En effet, si cet auditeur pratique la vertu, de tels propos lui inspirent souvent de l’orgueil ; et s’il est nonchalant pour le bien, il redouble son indifférence. Si tu dois prononcer quelque parole licencieuse et grossièrement risible, tais-toi. Car ce discours est mauvais qui rend plus déréglés et celui qui le profère et celui qui l’écoute et qui ravive en chacun les ardeurs coupables. Comme le bois est la matière et l’aliment de la flamme, ainsi les mauvaises pensées sont attisées par les paroles. Il ne faut donc pas dire indistinctement tout ce que nous avons dans l’esprit ; mais travaillons sérieusement à bannir de notre esprit même, et les désirs coupables, et toute pensée honteuse. Que si par hasard, et à notre insu, nous laissons pénétrer en nous quelque sale imagination, gardons-nous de la produire indiscrètement, et plutôt étouffons-la sous le silence. Voyez, en effet, les animaux farouches et les reptiles pris au piège ; s’ils trouvent quelque issue pour s’échapper, ils deviennent plus féroces après leur évasion ; si au contraire ils restent enfermés sans répit dans leur prison, bientôt, pour une cause ou une autre, ils sont détruits et exterminés. Ainsi des pensées coupables : notre bouche, nos discours leur offrent-ils quelque issue, leur flamme intérieure en reçoit de nouvelles forces. Mais si l’on ferme sur elles la porte du silence, elles s’affaiblissent, et, réduites par notre retenue à une sorte d’inanition, elles meurent emprisonnées dans notre âme. Par conséquent, alors même que tu éprouverais quelque honteuse convoitise, si tu sais t’abstenir de paroles honteuses, tu éteins dans ton cœur la convoitise elle-même. Ta pensée n’est point pure, du moins que ta bouche le soit ; garde-toi de jeter ces ordures à ta porte, de peur de nuire à d’autres et à toi-même. En effet, les paroles honteuses souillent non-seulement ceux qui les prononcent, mais encore ceux qui les entendent. Je t’invite donc et t’exhorte à fermer, non-seulement ta bouche, mais encore tes oreilles à tous propos de ce genre, et à rester attaché d’une manière inébranlable à la loi divine. Telle est la conduite de l’homme que proclame heureux le Prophète : Heureux l’homme qui n’a point marché dans le conseil des impies, qui ne s’est point tenu debout dans la voie des pécheurs, qui ne s’est point assis dans la chaire de pestilence ; mais sa volonté est dans la loi du Seigneur, et dans sa loi il méditera le jour et la nuit. (Psa 1, 1-2)

2. Dans les conversations du siècle, s’il se glisse parfois quelques bonnes paroles, c’est au milieu de mille propos méprisables, qui laissent à peine de la place pour un discours sensé. Il en est tout autrement des saintes Écritures : là, vous n’entendrez rien qui soit mauvais, rien qui ne soit salutaire et rempli d’une profonde sagesse : tel est, par exemple, le texte qui nous a été lu aujourd’hui. Ce texte, quel est-il ? Quant aux choses dont vous m’avez écrit, il est avantageux à l’homme de ne toucher aucune femme. Mais à cause de la fornication, que chaque homme ait sa femme et chaque femme son mari. (1Co 7, 1-2) Paul décrète en cet endroit, au sujet des mariages ; il n’en rougit pas, il n’en éprouve point de honte. En effet, si son Maître a daigné assister à un mariage, si, loin de s’en abstenir par pudeur, il a au contraire honoré la cérémonie de sa présence et de son cadeau (et nul ne se montra plus généreux que lui pour les époux, puisqu’il changea l’eau en vin), comment l’esclave aurait-il rougi de décréter au sujet des mariages ? Ce n’est pas le mariage qui est une mauvaise chose, c’est l’adultère, c’est la fornication. Or le mariage est un remède contre la fornication.

Évitons donc de le déshonorer par des pompes diaboliques, et que, à l’exemple des mariés de Cana en Galilée, ceux qui prennent femme aujourd’hui aient pareillement entre eux Jésus-Christ. Mais comment, dira-t-on, cela peut-il se faire ? Par le simple ministère des prêtres. En effet, il est écrit : Celui qui vous reçoit me reçoit. (Mat 10, 40) Si donc vous chassez loin de vous le diable, les chansons lubriques, les poésies voluptueuses, les danses déréglées, les paroles obscènes, et tout cet appareil diabolique, et ce tumulte, et ces rires à gorge déployée ; si vous bannissez enfin toute indécence et que vous introduisiez les saints serviteurs du Christ, le Christ lui-même, en leur personne, sera là, n’en doutez point, avec sa mère et ses frères. Car il est écrit : Quiconque fait la volonté de mon Père, celui-là est mon frère, et ma sœur et ma mère. (Mat 12, 50) Je sais que quelques-uns trouvent importunes et fatigantes ces exhortations, ainsi que nos efforts pour déraciner un antique usage. Je ne m’en inquiète nullement, car je n’ai pas besoin de vous plaire, mais seulement de vous être utile : je n’ai pas besoin de vos applaudissements ni de vos éloges, mais de votre avancement et de votre instruction. Qu’on ne vienne donc point me dire que c’est un usage : dès que le péché se commet, cessez de parler d’usage. Si l’usage ne vaut rien, détruisez-le, quelque ancien qu’il puisse être ; s’il est innocent, vous fût-il inconnu d’ailleurs, il faut l’introduire et l’implanter. Mais la preuve que ces pratiques indécentes ne proviennent point d’un antique usage, et sont au contraire des nouveautés, vous la trouverez en vous rappelant la manière dont Isaac épousa Rébecca, dont Jacob épousa Rachel. En effet, l’Écriture raconte leurs mariages ; elle nous apprend comment les jeunes femmes furent conduites chez leurs époux, et elle ne mentionne rien de pareil. Seulement le festin fut plus brillant que le repas habituel, et les parents furent invités à la noce : quant aux flûtes, aux cymbales, aux danses d’ivrognes, à toutes les indécences qui sont à la mode aujourd’hui, elles furent laissées à la porte.

Chez nous, l’on danse en chantant des hymnes en l’honneur d’Approdite, on entonne des chansons où il n’est question que d’adultères, d’épouses séduites, d’amours illégitimes, d’accouplements monstrueux, enfin d’impiétés et d’infamies de tout genre, et cela dans un pareil jour ; et c’est en état d’ivresse, c’est à la suite de tous ces dérèglements, c’est au milieu de propos obscènes que l’on fait cortège publiquement à la jeune épouse. Et comment donc, dis-moi, peux-tu exiger d’elle la chasteté, quand, dès le premier jour, tu lui donnes de pareilles leçons d’effronterie ; quand tu exposes à sa vue et à son oreille des spectacles, des propos dont le récit ferait horreur à des esclaves un peu réservés ? Quand le père, conjointement avec la mère, a consacré si longtemps toute sa sollicitude à veiller sur sa fille vierge, à empêcher qu’elle ne dît rien, qu’elle n’entendît rien de pareil ; quand il a multiplié pour cela les précautions : chambres particulières, appartements réservés, gardiens, portes, verrous, soin de tout fermer le soir, défense de se laisser voir, même aux parents, que sais-je encore ? tu arrives, et dans un jour tu détruis tout cet ouvrage, tu dépraves toi-même ta femme par une ignoble cérémonie, tu ouvres son âme au langage de la corruption ! Et d’où viennent, si ce n’est de là, les maux dont on se plaint ensuite ? d’où viennent les adultères et les jalousies ? d’où viennent les stérilités, les veuvages, les morts qui font de petits orphelins ? Quand vous appellerez les démons par vos refrains, quand vous comblerez leurs désirs par vos discours licencieux, quand vous introduirez dans vos demeures des mimes, d’infâmes histrions et tous les scandales du théâtre ; quand vous remplirez votre maison de prostituées et que vous y mettrez en fête et en branle toute la troupe des démons, quel salut, dites-moi, pouvez-vous encore espérer ? Mais pourquoi faire venir des prêtres, quand le lendemain c’est une pareille fête que vous devez célébrer ?

Voulez-vous déployer votre munificence d’une manière profitable ? Invitez des pauvres en guise de danseurs. Mais vous avez honte, je crois, vous rougissez ? Et quelle pire déraison que d’attirer le diable chez vous comme s’il n’y avait rien là de honteux, et de rougir quand on vous parle d’y laisser entrer le Christ ! Car, de même que les pauvres, en entrant, sont accompagnés du Christ, de même, au milieu des danses que forment ces mimes et ces infâmes, le diable est là qui prend part à la fête. En outre, de tels frais ne rapportent rien, ou plutôt ils produisent un grand dommage, tandis que la dépense dont je vous parle ne vous laissera pas longtemps sans une riche récompense. – Mais personne dans toute la ville ne s’est comporté de la sorte. – Eh bien ! songe à donner l’exemple et à prendre l’initiative de cette noble coutume, afin que ceux qui viendront ensuite t’en reportent l’honneur. Si l’on t’imite, si l’on t’emprunte cette pratique, les petits-neveux et les enfants des petits-neveux pourront dire à ceux qui en rechercheront l’origine : Un tel, le premier, a mis en honneur ce bel usage. Voyez ce qui se passe dans le inonde au sujet des jeux publics : c’est à qui, dans les festins, célébrera ceux qui se sont acquittés avec munificence de ces stériles devoirs, envers l’État. À plus forte raison cette fonction spirituelle vaudra-t-elle des éloges et des actions de grâces unanimes à celui qui en aura pris l’admirable initiative et elle lui vaudra, en même temps, une réputation de munificence et profit. En effet, si d’autres suivent ce bon exemple, c’est à toi, qui auras semé, que reviendra le prix de la moisson. Ce mérite fera que tu seras bientôt père ; il protégera ensuite tes enfants et sera cause que l’époux vieillira aux côtés de son épouse. En effet, si Dieu ne cesse de menacer les pécheurs, s’il leur dit : Vos enfants seront orphelins et vos femmes seront veuves (Exo 22, 24) ; à ceux qui lui obéissent en toutes choses il promet et une vieillesse heureuse, et tous les biens avec celui-là.

3. Paul nous apprend encore que les morts prématurées résultent souvent du grand nombre des péchés. C’est pour cela, nous dit-il, qu’il y a parmi vous beaucoup d’infirmes et de languissants, et que beaucoup s’endorment. (1Co 11, 30) Mais, que la nourriture donnée aux pauvres prévient ces accidents, ou, dans le cas d’un malheur imprévu, y porte promptement remède, c’est ce que vous prouvera l’exemple de la jeune fille de Joppé. Elle gisait privée de vie, mais les pauvres nourris par elle l’entouraient : leurs larmes la réveillèrent et la rendirent à la vie. (Act 9, 36) Tant il est vrai que la prière des veuves et des pauvres est préférable à tous les rires et à toutes les danses ! – Ici, un plaisir éphémère : là un profit durable et constant. Songe au prix que valent tant de bénédictions réunies sur la tête d’une jeune femme, au moment où elle entre dans la maison de son époux. Combien de couronnes ne faudrait-il point pour en effacer l’éclat ! Combien d’or pour en égaler la valeur ! aussi vrai que la mode actuelle est insensée et absurde au suprême degré. En effet, en admettant que nulle punition, nul châtiment, ne soit le prix de pareilles indécences, songez si ce n’est pas déjà un cruel supplice, que de supporter ce torrent d’injures en public, devant une foule qui les entend, de la part d’hommes ivres qui n’ont plus l’usage de leur raison. Les pauvres bénissent la main qui leur fait l’aumône, et forment mille vœux pour leur bienfaiteur ; au contraire, les gens dont je parle ne quittent la table où ils se sont enivrés et repus que pour lancer les quolibets les plus orduriers à la tête des époux, et apporter à ce jeu je ne sais quelle émulation diabolique : on dirait que les mariés sont des ennemis, tant leurs parents semblent faire assaut à qui proférera sur leur compte les plus inconvenants sarcasmes ; c’est comme une bataille rangée : et cette lutte entre les invités a pour résultat de remplir l’époux et l’épouse de honte et de confusion.

Faut-il maintenant, dites-moi, chercher une autre preuve que ce sont les démons qui, agitant leurs âmes, leur font tenir cette conduite et ce langage ? Et qui donc pourrait contester, désormais, que ce soit l’impulsion du démon qui les incite à parler et à agir de la sorte ? Personne assurément, car ce sont bien là les rémunérations du diable : injures, ivresse, déraison. Si maintenant quelqu’un tire un présage de l’invitation adressée de préférence aux pauvres, et juge que ce serait entrer en ménage sous de fâcheux auspices, je veux lui apprendre à mon tour que ce n’est pas l’accueil fait aux pauvres et aux veuves, mais celui qu’on fait à des infâmes et à des prostituées qui présage des afflictions de tout genre et des milliers de maux. Plus d’une fois, en effet, ce jour même vit un jeune époux arraché à sa nouvelle famille par les mains d’une courtisane qui, du même coup, éteignit en lui tout amour pour son épouse, ruina l’harmonie du ménage, rompit ses liens avant qu’ils fussent formés, et y jeta les semences de l’adultère. Voilà ce que devraient craindre les parents, ne craignissent-ils rien autre chose ! et ce serait assez pour qu’on dût interdire l’accès des noces aux mimes et aux danseurs. Car le mariage n’a pas été institué dans l’intérêt de la débauche et de la fornication, mais dans celui de la chasteté. Voici du moins ce que dit Paul : À cause des fornications, que chaque homme ait sa femme et chaque femme son mari. En effet, il y a deux raisons pour lesquelles le mariage a été institué : c’est à savoir, afin que nous soyons chastes, et afin que nous devenions pères : mais de ces deux motifs, le plus important est celui de la chasteté. C’est du jour où s’est introduite la concupiscence que s’est introduit le mariage, qui coupe court à l’incontinence, et amène l’homme à se contenter d’une femme. Car pour la procréation, ce n’est point tant l’effet du mariage que de cette parole de Dieu qui dit : Croissez et multipliez, et remplissez la terre. (Gen 1, 28) Témoins tant d’hommes qui ont usé du mariage et ne sont point devenus pères. En sorte que la raison dominante est celle de la chasteté, surtout aujourd’hui que notre espèce a couvert la terre habitable. Dans le principe, chacun devait désirer d’avoir des enfants, afin de laisser un souvenir et une trace de son existence. En effet, lorsqu’il n’y avait point encore d’espérances de résurrection, et que c’était le règne de la mort, et que les mourants pensaient être anéantis à l’issue de leur carrière terrestre, Dieu donna aux hommes cette consolation de la paternité, en sorte que ceux qui partaient se survécussent dans de vivantes images, que notre race se conservât, et que ceux qui allaient mourir aussi bien que leurs familles eussent dans leurs rejetons un sujet incomparable de soulagement.

Et pour vous faire bien comprendre que c’était ce motif surtout qui faisait désirer des enfants, je vous citerai la plainte de la femme de Job à son mari, dans leur adversité : Voilà, dit-elle, que tout souvenir de toi a disparu de la terre, tes fils comme tes filles. (Job 18, 17) Et de même Saül dit à David : Jure-moi dans le Seigneur que tu n’extermineras pas ma race et mon nom après moi. (1Sa 24, 22) Mais puisque désormais la résurrection nous attend à la porte, que la mort ne compte plus pour rien, que nous nous acheminons de cette vie vers une vie meilleure, tout soin de ce genre est superflu. En effet, si tu souhaites des enfants, il en est de bien meilleurs, de bien plus souhaitables, dont il ne tient qu’à toi d’être le père, maintenant qu’il existe des gestations spirituelles, des enfantements d’un ordre supérieur, et des bâtons de vieillesse d’une espèce plus précieuse. En conséquence, le mariage n’a qu’une fin, empêcher la fornication : et c’est pour ce mal qu’a été inventé ce remède. Mais si tu devais, même après le mariage, te laisser aller à la fornication,'c’est en vain que tu aurais eu recours au mariage, c’est inutilement, c’est sans profit. Que dis-je ? ce n’est pas seulement pour rien, c’est plutôt pour ton malheur. En effet, la faute n’est point la même à commettre la fornication quand on n’a point de femme, et à y retomber après le mariage : dès lors ce n’est plus fornication, c’est adultère. Ce que je dis peut paraître étrange c’est vrai pourtant.

4. Je le sais : beaucoup de gens s’imaginent qu’on ne se rend adultère que par la séduction d’une femme en puissance de mari. Et moi je prétends que quiconque, étant marié, a des rapports coupables et illicites avec une femme, fût-ce une fille publique, une servante, une personne quelconque non mariée, commet un adultère. En effet, ce n’est pas seulement la personne déshonorée, c’est encore l’auteur de son déshonneur, dont la qualité constitue l’adultère. Et n’allez point, en ce moment, m’alléguer les lois du monde qui traînent les épouses séduites devant les tribunaux et leur font subir un jugement, tandis qu’elles ne demandent point de comptes aux hommes mariés qu’ont débauchés des courtisanes. Moi, je vous lirai la loi de Dieu, qui sévit également contre l’homme et contre la femme, et les déclare pareillement adultères. Après ces mots : Et que chaque femme ait son mari, viennent les suivants : Que le mari rende à sa femme l’affection qu’il lui doit. (1Co 7, 3) Que veut-il faire entendre par ces mots ? Qu’il faut avoir l’œil à ses revenus ? garder sa dot intacte ? lui fournir de riches vêtements ? une table somptueusement servie ? une suite brillante ? une nombreuse maison ? Que veux-tu dire ? quelle est cette affection que tu prescris ? Aussi bien toutes ces choses sont-elles des preuves d’affection. Rien de tout cela, répondra Paul : je ne prescris que la continence et la chasteté. La personne de l’époux n’appartient plus à l’époux, mais à l’épouse, qu’il lui garde donc intacte cette propriété, qu’il n’en dérobe rien, qu’il ne la dissipe point. En effet, on dit qu’un serviteur a de l’affection pour ses maîtres, lorsque, chargé de gérer leurs biens, il n’en laisse rien se perdre. Puis donc que la personne du mari est la propriété de l’épouse, l’homme doit montrer son affection en veillant bien sur ce dépôt. Et la preuve que tel est le sens de ces paroles de Paul : Qu’il lui rende l’affection qui lui est due, c’est qu’il ajoute aussitôt : La femme n’a pas puissance sur son corps, c’est le mari ; de même le mari n’a pas puissance sur son corps, c’est la femme. (1Co 7, 4) Par conséquent, si vous voyez une courtisane vous tendre des pièges, chercher à vous attirer, s’éprendre de votre personne, dites-lui : Ce corps n’est pas à moi, mais à ma femme ; je ne puis en abuser, ni le livrer à une autre femme. Et que de son côté la femme agisse de même. En effet, sur ce point, les droits des deux sexes sont égaux. D’ailleurs, Paul accorde dans le reste une grande prééminence au mari, comme l’attestent ces paroles : Que chacun de vous aime sa femme comme lui-même ; mais que la femme craigne son mari (Eph 5, 33) ; et ailleurs : L’homme est le chef de la femme et enfin : La femme doit être soumise à sort mari. (Id 22) De même dans l’Ancien Testament : Ton recours est en ton mari, et il sera ton maître. (Gen 3, 16) Comment donc a-t-il pu établir sur ce point une réciprocité parfaite d’esclavage et de, domination ? En effet, cette maxime : La femme n’a pas puissance sur son corps, c’est le mari ; de même le mari n’a pas puissance sur son corps, c’est la femme, annonce l’intention d’établir une complète égalité : et de même que l’homme est le maître du corps de la femme, de même la femme, à son tour, est maîtresse du corps de l’homme. D’où vient donc qu’il ait institué une égalité si parfaite ? C’est que dans tout le reste la prééminence est indispensable. Au contraire, dès qu’il y va de la continence et de la chasteté, l’homme n’a plus aucune prérogative à l’égard de la femme, et encourt le même châtiment, s’il vient à enfreindre les lois du mariage. Cela s’explique parfaitement. En effet, si ta femme est venue à toi, si elle a quitté son père, sa mère, et toute sa famille, ce n’est pas pour que tu l’outrages, pour que tu lui substitues une vile courtisane, pour qu’elle soit en butte à une guerre perpétuelle : tu l’as prise pour qu’elle fût ta compagne, ton associée, pour qu’elle fût libre, et jouît des mêmes droits que toi-même. N’est-il pas étrange que la dot qu’elle t’apporte soit l’objet de toute ta sollicitude, que tu évites soigneusement d’en rien distraire : et que ces trésors, bien plus précieux qu’une dot, je veux dire la continence et la chasteté, et ta propre personne, qui est sa propriété, tu les prodigues et les corrompes ? S’il t’arrive de toucher à la dot, c’est à ton beau-père que tu rends tes comptes. Mais si tu attentes à la chasteté, c’est Dieu qui te les demandera, Dieu qui a institué le mariage, et de qui tu tiens ton épouse. Si vous en voulez une preuve, écoutez ce que dit Paul au sujet des adultères : Celui qui méprise ces préceptes, méprise non pas un homme, mais Dieu, qui nous a donné son Esprit saint. (1Th 4, 8)

Voyez-vous combien les preuves abondent à l’appui de notre proposition qu’il y a adultère, non-seulement quand on séduit une femme en puissance de mari, mais encore quand on a commerce avec une concubine quelconque, dès lors qu’on est marié ? En effet, de même que nous appelons la femme adultère, soit que son complice soit un valet ou tout autre, dès qu’elle est infidèle à son mari ; ainsi nous devons donner le même nom à tout homme infidèle à son épouse, fût-ce avec une courtisane, ou la première venue des femmes publiques. Veillons donc à notre salut, et ne livrons point notre âme au diable par ce péché. De là les ruines, de là les guerres sans fin dans les ménages ; par là fuit la tendresse, par là s’évanouit l’affection. En effet, s’il est impassible qu’un homme chaste dédaigne sa femme et la méprise jamais, il est également impossible qu’un homme livré à la débauche et à l’incontinence aime son épouse, quand bien même elle aurait des charmes incomparables. De la chasteté naît la tendresse, et de la tendresse des biens sans nombre. Considérez donc les autres femmes comme étant de pierre, dans la conviction qu’une fois marié, vous ne pouvez jeter un regard d’incontinence sur une autre femme, épouse ou fille publique, sans tomber sous le grief d’adultère. Répétez-vous chaque jour ces paroles au fond de vous-même ; et si vous voyez que la convoitise d’une autre femme est éveillée pour vous, et que cela vous fait trouver votre épouse déplaisante, entrez dans votre chambre, ouvrez ce livre, et par la médiation de Paul, par la vertu de ces paroles constamment répétées, éteignez cette ardeur.

Par là vous reprendrez de l’amour pour votre femme, en l’absence de toute passion qui diminue votre attachement pour elle ; et non-seulement votre femme vous semblera plus aimable, mais vous paraîtrez vous-même bien plus digne de respect et de considération. Car il n’est rien, non, rien de plus vil qu’un homme marié qui tombe dans la fornication. Ce n’est point seulement devant son beau-père, devant ses amis, devant ceux qu’il rencontre, c’est devant ses propres serviteurs qu’il est forcé de rougir. Que dis-je ? ce n’est rien encore ; mais sa maison même lui paraît plus affreuse que le plus odieux cachot, parce que ses regards et son imagination sont constamment tournés vers la concubine qu’il aime.

5. Voulez-vous vous faire une juste idée de cette misère ? Considérez l’existence que mènent ceux qui soupçonnent leurs femmes, combien ce qu’ils mangent, combien ce qu’ils boivent leur paraît insipide. On dirait que leur table est chargée de poisons mortels. Ils fuient comme la peste une maison où ils ne trouvent que chagrins. Plus de sommeil pour eux, plus de nuits tranquilles, plus de réunions d’amis ; les rayons mêmes du soleil ne luisent plus pour eux ; il n’est pas jusqu’à la lumière, dont ils ne se trouvent importunés, et cela, non-seulement lorsqu’ils ont surpris leurs femmes en flagrant délit, mais sur un simple soupçon. Eh bien ! songez que ces souffrances sont également celles de votre femme, si elle vient à apprendre de quelqu’un, ou seulement à soupçonner que vous vous êtes abandonné à une concubine. Que cette pensée vous fasse éviter non-seulement l’adultère, mais jusqu’au soupçon de ce crime ; que si votre femme vous soupçonne injustement, calmez-la, persuadez-la. Car ce n’est point par haine ou par déraison, c’est par sollicitude qu’elle agit de la sorte, c’est par un excès de crainte pour sa propriété. Car, ainsi que je l’ai déjà dit, votre corps est sa propriété, et une propriété plus précieuse que tout ce qui lui appartient d’ailleurs. Craignez donc de commettre à son égard la plus grande des injustices, craignez de lui porter le coup mortel. Si vous la méprisez, à tout le moins, redoutez le Seigneur, qui punit les adultères, le Seigneur qui a prononcé contre les fautes de ce genre les plus terribles arrêts. Car pour cette classe de coupables, ainsi qu’il est écrit : Le ver ne mourra point et le feu ne s’éteindra pas. (Mrc 9, 47)

Mais si vous vous mettez peu en peine de l’avenir, que le présent du moins vous épouvante. En effet beaucoup d’hommes après s’être livrés à des courtisanes ont succombé justement et misérablement aux intrigues dont les avaient circonvenus ces prostituées, jalouses de les détacher de leur constante et légitime épouse, et de les enchaîner complètement à leur propre amour ; elles mettent en œuvre les sortilèges, préparent des philtres, organisent mille enchantements, et souvent, par là, causent à leurs amants d’accablantes infirmités, les jettent dans la langueur et dans la consomption, les précipitent dans un abîme de maux où ils trouvent la fin de leur vie terrestre. Si tu ne crains pas la géhenne, toi qui m’entends, redoute les enchantements de ces femmes. Lorsque par ton incontinence tu t’es privé de l’appui du Seigneur, quand tu t’es dépouillé toi-même de sa céleste protection, c’est alors que ta concubine, te trouvant sans appui, peut impunément, avec l’aide de ses démons qu’elle invoque, des amulettes qu’elle fabrique, des embûches qu’elle dresse ; c’est alors, dis-je, qu’elle peut sans nulle peine consommer ta perte, après avoir fait de toi un objet d’opprobre et de risée pour toute la ville, au point qu’il ne te reste plus même la consolation d’être plaint. Car il est écrit : Qui donc aura pitié de l’enchanteur mordu par un serpent et de tous ceux qui approchent des bêtes féroces ? (Sir 12, 13)

Je passe sous silence les pertes d’argent, les défiances quotidiennes, l’arrogance, l’orgueil, l’insolence dont les courtisanes accablent leurs folles victimes, supplice mille fois plus douloureux que la mort. Tu ne supportais pas de ta femme une parole un peu vive, et tu courbes la tête sous les soufflets d’une prostituée. Et tu ne sens point de honte, tu ne rougis pas, tu ne souhaites pas que la terre s’entr’ouvre pour t’engloutir ? Comment oseras-tu venir à l’église, et élever les mains vers le ciel ! Comment invoquer Dieu avec cette bouche souillée par les baisers d’une courtisane ? Et tu n’as pas peur, tu ne trembles pas, dis-moi, que la foudre, tombant du ciel, n’embrase ce front sans pudeur ? Tu as pu cacher à ta femme ta trahison, mais tu ne la cacheras pas à l’œil qui ne s’endort point ; car, à cet adultère qui disait Les ténèbres et des murs m’entourent ; qu’ai-je à craindre ? Le Sage a répondu que les yeux du Seigneur ont mille fois plus de lumière que le soleil, pour regarder les œuvres des hommes. (Sir 23, 26-28) Voilà pourquoi Paul a dit toutes ces choses : Que chaque homme ait sa femme, et chaque femme son mari ; que le mari rende à sa femme l’affection qu’il lui doit, et pareillement la femme à son mari. (1Co 7, 2-3) Un miel, découle des lèvres de la courtisane, lequel, sur le moment, flatte ton gosier ; mais plus tard tu le trouveras plus amer que le fiel, et plus acéré qu’un glaive à deux tranchants. (Pro 5, 3-4)

Il y a du poison dans le baiser de la courtisane, un poison secret et dissimulé. Pourquoi donc courir après un plaisir réprouvé, pernicieux, qui cause des plaies incurables, au lieu de vivre dans le bonheur et dans la sécurité ? Auprès de ta femme légitime tu trouves à la fois plaisir, sûreté, délassement, respect, considération et bonne conscience ; là, au contraire, tout est amertume, tout est dommage, et tu es sous le coup d’une accusation perpétuelle. Car, à supposer même que personne ne t’ait vu, ta conscience ne cessera de porter témoignage contre toi ; vers quelque lieu gaie tu t’échappes, partout te suivront les reproches, les cris formidables de cet implacable accusateur. Si donc vous recherchez le plaisir, fuyez le commerce des courtisanes. Car il n’y a rien de plus pénible que cette fréquentation, rien de plus intolérable que ces rapports, rien de plus infâme que cette société. Qu’elle soit ta biche la plus chère, ton faon de prédilection ; que ta fontaine soit la source où tu puises. (Pro 5, 19 et 15) Quand tu as sous la main une source d’eau limpide ; pourquoi courir à un marais fangeux qui exhale l’odeur de la géhenne et des inexprimables tourments ? Quelle est ton excuse ? ton titre à la miséricorde ? Si ceux qui, tombent dans la fornication avant le mariage sont punis et expient leur faute, comme celui, qui était revêtu d’habits sordides, à plus forte, raison les fornicateurs mariés. Car, dans ce cas, le grief est double et triple, et parce que, les consolations dont ils jouissent ne les ont pas empêchés de se jeter dans de pareils désordres, et parce que leur crime n’est plus compté seulement pour fornication, mais encore pour adultère, ce qui est le plus grave des péchés.

Ne cessons donc point de nous répéter à nous-mêmes et de répéter à nos femmes ces maximes ; et c’est pourquoi je veux finir moi-même sur ces paroles : À cause de la fornication, que chaque homme ait sa femme, et chaque femme son mari. Que le mari rende à sa femme l’affection qui lui est due, et pareillement la femme à son mari. La femme n’a pas puissance sur son corps ; c’est le mari. De même, le mari n’a pas puissance sur son corps, c’est la femme. Conservons précieusement ces paroles dans notre mémoire ; sur la place publique, à la maison, le jour, le soir, à table, au lit, partout enfin ; méditons-les, habituons nos femmes à nous les citer, à se les entendre citer par nous, afin qu’avant passé chastement, la vie présente, nous soyons admis au royaume des cieux, par la grâce et la charité de Notre-Seigneur Jésus-Christ, par qui et avec qui, gloire au Père et au Saint-Esprit, dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il. 

DEUXIÈME HOMÉLIE.

La femme est liée à la loi aussi longtemps que vit son mari ; que  si son mari s’endort, elle est libre de se marier à qui elle voudra, mais souvent dans le Seigneur, Cependant elle sera plus heureuse si elle demeure comme elle est. (1Co 7, 39-40). Et de l’acte de répudiation.

ANALYSE.

  • 1° Qu’il est défendu d’épouser une femme répudiée. – Les lois da monde ne peuvent prévaloir contre la loi divine.
  • 2° Motifs ; de la loi mosaïque concernant la répudiation. – Transition à la loi nouvelle.
  • 3° Adultère de l’homme qui épouse une femme répudiée. – Adultère de l’homme marié qui commet la fornication avec une femme quelconque.
  • 4° Sagesse de Paul : sa condescendance pour la faiblesse humaine. – Compensations attachées même, en ce monde, à la constance dans le veuvage.
  • 5° Comment s’opère la purification de l’âme. – Exhortation.

1. L’autre jour, le bienheureux Paul nous formulait la loi du mariage, et nous en exposait les vrais principes ; vous avez entendu ce qu’il écrivait, ce qu’il disait aux Corinthiens : Quant aux choses dont vous m’avez écrit, il est avantageux à l’homme de ne toucher aucune femme. Mais, à cause de la fornication, que chaque homme ait sa femme, et chaque femme son mari. (1Co 7, 1-2) Aussi avons-nous consacré nous-même tout (entretien à ces paroles. Or aujourd’hui il faut encore que nous revenions sur le même sujet puisque Paul nous en parle encore aujourd’hui. En effet, vous avez entendu avec quelle force il nous crie : La femme est liée à la loi aussi longtemps que vit son mari ; que si son mari s’endort, elle est libre de se marier à qui elle voudra, mais seulement, selon le Seigneur. Cependant elle sera plus heureuse si, selon mon conseil, elle demeure comme elle est : or, je pense que, j’ai, moi aussi, l’Esprit dit Seigneur. (1Co 7, 39-40) Attachons-nous donc à ses pas encore aujourd’hui, et entretenons-nous de ce sujet ; car en marchant sur la trace de Paul, c’est vraiment le Christ que nous suivrons en sa personne, puisque l’Apôtre a écrit constamment, non par lui-même, mais sous la dictée du Seigneur. En effet, ce n’est pas une affaire de peu d’importance qu’un mariage selon les règles ; et mille infortunes attendent ceux qui n’en usent point comme il convient. La femme, qui est une auxiliaire, devient parfois un ennemi secret. Le mariage, qui est un port, peut aussi devenir un écueil, non en vertu de sa nature propre, mais par la faute de ceux qui ne savent pas en faire un bon usage. En effet, l’époux qui se conforme aux lois conjugales trouve dans sa maison, dans sa femme, une consolation, un asile contre tous les maux, publics ou autres, qui peuvent le frapper. Au contraire, celui qui traite légèrement et sans réflexion, cette seule affaire, quand la place publique serait pour lui sans orages, ne verra plus en rentrant chez lui que récifs et rochers dangereux. Il faut donc, puisqu’il y va pour nous de si grands intérêts, apporter une grande attention à ces paroles ; il faut que celui qui veut prendre femme commence par se conformer en cela aux lois de Paul, disons mieux, aux lois du Christ. Je le sais, ce précepte paraît nouveau et extraordinaire à un bon nombre. Je ne me tairai point pour cela, mais, après vous avoir lu d’abord la loi, je m’efforcerai ensuite de lever la contradiction qu’on croit y trouver. Quelle est donc la loi que Paul nous impose ? La femme, dit-il, est liée à la loi ; donc, tant que son mari est en vie, elle ne doit pas s’en séparer, ni prendre un autre époux, ni convoler en secondes noces. Et voyez avec quelle exactitude, avec quelle justesse de termes il s’exprime ! Il ne dit pas : Elle doit habiter avec son mari tant qu’il est en vie ; mais bien, la femme est liée à la loi aussi longtemps que vit son mari, de telle sorte que, à supposer même que son mari lui ait donné un acte de répudiation, qu’elle ait alors quitté la maison et soit allée habiter chez un autre, elle est liée à la loi, elle est coupable d’adultère.

Si donc le mari veut renvoyer sa femme, ou la femme quitter son mari, il faut que celle-ci se rappelle ce précepte, qu’elle se représente Paul la suivant et lui criant aux oreilles : La femme est liée à la loi. Ainsi que les serviteurs fugitifs traînent encore leur chaîne derrière eux après s’être évadés de la maison de leur maître, ainsi les femmes, même après qu’elles ont quitté leur mari, restent enchaînées par la loi qui les condamne, qui les accuse d’adultère, elles et leurs complices. Ton époux vit encore, dit-elle, et ton acte est un adultère. Car la femme est liée à la loi aussi longtemps que vit son, mari. Et, quiconque épouse une femme répudiée commet un adultère. (Mat 5, 32) Mais, quand donc, dira-t-on, lui sera-t-il permis de convoler en secondes noces ? – Quand ? lorsqu’elle sera délivrée de sa chaîne, lorsque son époux sera mort. Cependant voulant exprimer cela, il n’a pas dit si son mari meurt, elle est libre d’épouser qui elle voudra, mais si son mari s’endort, comme s’il voulait consoler la femme en son veuvage, et lui persuader de s’en tenir à son premier époux, de n’en pas prendre un second. Ton mari n’est pas mort, il dort seulement. Qu’est-ce qui n’attend pas un homme endormi ? Voilà pourquoi il dit : S’il s’endort, elle est libre de se marier à qui elle voudra. Il n’a pas dit qu’elle se marie, pour ne point paraître la forcer, la contraindre. Il ne l’empêche pas de contracter, si elle le veut, un second mariage, il ne l’y engage pas si elle ne le veut point ; il se borne à lui lire la loi : Elle est libre de se marier à qui elle voudra. Mais, en disant qu’elle est devenue libre par la mort de son mari, il montre qu’avant cela, et de son vivant, elle était esclave ; or, tant qu’elle est esclave et soumise à la loi, quand même elle ' aurait reçu mille actes de répudiation, elle tombe sous le coup de la loi qui concerne l’adultère. Les serviteurs peuvent quitter leurs maîtres pour d’autres du vivant des premiers, mais les femmes ne peuvent changer de maris tant que leur premier époux est en vie, car c’est un adultère. Ne viens donc pas me lire les lois qui sont à l’usage du monde, les lois qui prescrivent de donner un acte de répudiation, et de divorcer ensuite. Car ce n’est point d’après ces lois-là que Dieu doit te juger au grand jour, mais d’après celles que lui-même a promulguées. Que dis-je ? les lois mêmes du siècle n’établissent point cela d’une manière absolue, ni comme article principal ; elles-mêmes punissent ce péché, ce qui témoigne assez qu’elles le réprouvent. Elles dépouillent de tous ses biens et chassent, sans lui laisser de ressources, l’épouse qui a mérité d’être congédiée, et punissent de la perte de sa fortune celui qui a été l’occasion du divorce ; et certes, si elles statuent ainsi sur ce fait, c’est qu’elles ne l’approuvent point.

2. Et Moïse ? il a statué de même pour un pareil motif ; mais écoutez ce que dit le Christ : Si votre justice n’est pas plus abondante que celle des Scribes et des Pharisiens, vous n’entrerez point dans le royaume des cieux. (Mat 5, 20) Écoutez encore cette autre parole. Quiconque renvoie sa femme, hors le cas d’adultère, la rend adultère ; et quiconque épouse une femme renvoyée commet un adultère. (Id 32) Si le Fils unique de Dieu est venu sur la terre, s’il a pris la forme d’un esclave, s’il : a versé son précieux sang, s’il a détruit la mort, s’il a éteint le péché, s’il a répandu plus libéralement le bienfait de l’Esprit, c’est pour vous initier à une sagesse plus profonde. Et d’ailleurs, si Moïse a porté cette loi, ce n’est. Point comme une loi fondamentale ; c’est parce qu’il était forcé de condescendre à la faiblesse des siens. Les voyant prêts au meurtre, accoutumés à souiller leurs foyers du sang des, leurs, à n’épargner ni parents ni étrangers, et craignant qu’ils n’égorgeassent leurs femmes, s’ils étaient forcés de les garder contre, leur gré, il leur a permis de les renvoyer, afin d’empêcher un mal plus grand, les meurtres multipliés. Ce qui prouve que les Juifs étaient homicides, ce sont ces paroles des prophètes eux-mêmes : Édifiant Sion dans le sang, et Jérusalem dans les iniquités (Mic 3, 10) ; et encore : Ils mêlent le sang au sang (Ose 6, 2) ; et ailleurs : Vos mains sont pleines de sang. (Isa. ##Rem 15) Et ce n’est pas seulement contre les étrangers, c’est encore contre leurs poches que se déchaînait leur fureur, comme le montrent ces mots du Prophète : Et ils ont immolé leurs fils et leurs filles aux démons (Psa 106, 37) ; or ceux qui n’épargnaient pas leurs enfants n’auraient pas davantage épargné leurs femmes. C’est donc afin d’empêcher Cela qu’il accorda cette permission ; aussi le Christ, lorsque les Juifs lui demandèrent : Comment donc Moïse a-t-il permis de donner à sa femme un acte de répudiation ? voulant montrer que la loi de Moïse ne contredisait point la sienne, répondit à peu près en ces termes : Moïse a parlé ainsi à cause de la dureté de vos cœurs ; mais au commencement il n’en fut pas ainsi ; Celui qui fit l’homme au commencement les fit mâle et femelle. (Mat 19, 8 et 4) Si cela était honnête, veut-il dire, Dieu n’aurait pas fait un homme et une femme seulement ; après avoir fait un seul homme, Adam, il aurait créé deux femmes, pour le cas où celui-ci aurait voulu renvoyer l’une et prendre l’autre ; mais, par le mode même de sa création, il a établi la loi que je promulgue maintenant. Quelle est donc cette loi ? c’est que l’homme conserve jusqu’à la fin la femme qui lui est échue d’abord ; cette loi ? c’est plus ancienne que l’autre, et cela, de toute la distance qui sépare Adam de Moïse. Par conséquent je n’innove point, je n’introduis point de dogmes étrangers, mais des dogmes anciens et antérieurs à Moïse.

Mais il faut entendre la loi même de Moïse sur ce sujet : Si quelqu’un, dit-il, a pris une femme et qu’il ait habité avec elle ; si elle ne trouve pas grâce devant lui, parce qu’il aura trouvé en elle un fait d’ignominie, il lui écrira un acte de répudiation, et le lui donnera entre les mains. (Deu 24, 1) Voyez ! Il n’a pas dit qu’il écrive, qu’il lui donne : que dit-il donc ? Il lui écrira un acte de répudiation et le lui donnera entre les mains. C’est bien différent. En effet, dire qu’il écrive, qu’il ; donne, c’est un ordre, une injonction. Mais dire : Il écrira un acte de répudiation, et le lui donnera entre les mains, c’est annoncer un fait, et non pas introduire une loi qu’on a imaginée. Si quelqu’un, dit-il encore, a congédié sa femme, et l’a renvoyée de sa maison, et qu’après l’avoir quitté elle ait appartenu à un autre homme, et que ce dernier homme aussi l’ait prise en haine, et qu’il lui ait écrit un acte de répudiation, et qu’il le lui ait remis entre les mains, et qu’il l’ait renvoyée de sa maison, ou que l’homme soit mort qui l’avait prise pour femme, l’homme qui l’aura précédemment renvoyée ne pourra la rappeler et la prendre pour épouse. (Id 5, 2-4) Ensuite, voulant montrer qu’il n’approuve pas cette conduite, que ce n’est pas ainsi qu’il entend le mariage, et qu’il ne fait que condescendre à la faiblesse des Juifs, après ces mots : L’homme qui l’aura précédemment renvoyée ne pourra la prendre pour femme, il ajoute : Après qu’elle aura été souillée (Id 5, 4) : façon de parler qui indique suffisamment que ce second mariage, contracté du vivant du premier époux, est une souillure plutôt qu’un mariage. Voilà pourquoi il n’a pas dit : Après qu’elle se sera remariée. Voyez-vous comme ses paroles concordent avec celles du Christ ? Après cela, il ajoute la raison : Parce que c’est une abomination devant Dieu. (Id 5, 4) Voilà pour ce qui regarde Moïse. Mais le prophète Malachie indique la même chose bien plus explicitement, ou plutôt ce n’est point Malachie, c’est Dieu par la bouche de Malachie ; et voici ses paroles : Est-il convenable de jeter les yeux sur votre sacrifice, ou d’agréer quelque chose sortant de vos mains ? (Mal 2, 13) Puis, après la réponse : Pourquoi as-tu abandonné la femme de ta jeunesse ? (Id 14) Enfin, faisant voir l’énormité de cette faute, et refusant toute miséricorde à celui qui l’a commise, il renforce encore l’accusation par ce qu’il ajoute : Et celle-ci était ta compagne, et la femme de ton pacte, et le reste de ton esprit, et ce n’est pas une autre qui l’a faite. (Id) Voyez que de titres il allègue ! d’abord l’âge, la femme de ta jeunesse; puis l’intimité : Et celle-ci était ta compagne ; puis le mode de création : Le reste de ton esprit.

3. Mais à la suite de tout cela, vient quelque chose de bien plus considérable, la majesté de celui qui l’a faite. Car c’est là ce que signifie : ce n’est pas un autre qui l’a faite. Tu ne peux objecter, veut-il dire, que tu as été fait par Dieu, tandis qu’elle n’a pas été faite par lui, mais par quelque être inférieur ; c’est un même et unique créateur qui vous a donné l’existence à tous deux ; de telle sorte que, par égard pour ce titre, sinon pour les autres, tu dois lui garder ta tendresse. En effet, si l’an voit souvent des esclaves, après une querelle, se réconcilier par cette seule raison qu’ils doivent obéissance à un seul et même maître, à plus forte raison doit-il en être ainsi de nous, quand nous n’avons, à nous deux, qu’un créateur et qu’un maître.

Vous voyez comment l’Ancien Testament lui-même prélude déjà, pour ainsi dire, aux règles de la nouvelle sagesse. En effet, lorsque les Juifs vivaient depuis longtemps sous l’ancienne loi ; qu’il fallait les amener à des préceptes plus parfaits, que leur constitution approchait déjà de sa fin, dès lors le prophète, profitant des circonstances, les achemine à cette nouvelle sagesse. Obéissons donc à cette belle loi, affranchissons-nous de tout ce qui nous déshonore, interdisons-nous et de renvoyer nos femmes, et de recevoir celles que d’autres auront renvoyées. Et de quel front, verras-tu le mari de cette femme ? de quel œil lés amis de cet homme, ses serviteurs ? Si celui qui épouse la femme d’un mort éprouve un sentiment de peine et de dépit pour peu qu’il ait vu l’image du défunt, quelle sera l’existence de celui qui aura sous les yeux l’époux, encore vivant, de sa femme ? Dans quelles dispositions rentrera-t-il chez lui ? Avec quels sentiments, avec quels yeux verra-t-il cette femme d’un autre qui est devenue la sienne ?

Mais plutôt ne l’appelons ni l’épouse d’un autre ni la sienne ; une prostituée n’est la femme de personne. Elle a foulé aux pieds le pacte qui l’unissait à son premier mari ; et elle est venue à toi sans l’aveu des lois qui l’obligeaient. Quelle folie ne serait-ce pas d’introduire chez vous un si dangereux fléau ? Est-ce qu’il y a disette de femmes ? Pourquoi, lorsqu’il y en a tant que nous pouvons épouser sans enfreindre les lois ni porter le trouble dans nos consciences, courons-nous à celles qui nous sont interdites, pour causer la ruine de nos maisons, y introduire la guerre civile, exciter de toutes parts des haines contre nous, déshonorer notre propre vie, et, ce qui est bien plus terrible que tout le reste, nous préparer une punition sans appel au jour du jugement ? En effet, que répondrons-nous à celui qui doit nous juger, quand, après avoir mis la loi sous nos yeux et l’avoir lue, il nous dira : Je t’ai enjoint de ne pas prendre une femme renvoyée, ajoutant que cette action est un adultère. Comment donc as-tu osé contracter un mariage défendu ? que dire alors et que répondre ? Il ne s’agira point là-bas d’alléguer les décrets des législateurs du siècle : muets, enchaînés, il faudra nous voir emmener au feu de la géhenne avec les adultères et ceux qui n’ont pas respecté chez les autres les droits du mariage. Car celui qui a répudié sauf le motif indiqué, celui d’adultère, et celui qui épouse une femme répudiée, du vivant de son mari, sont punis pareillement, ainsi que la femme répudiée la vous avertis donc, je vous prie et vous conjure, hommes, de ne point renvoyer vos femmes, femmes, de ne point quitter vos maris, mais de prêter l’oreille à la parole de Paul : La femme est liée à la loi aussi longtemps que vit son mari ; que si son mari s’endort, elle est libre de se marier à qui elle voudra, mais seulement selon le Seigneur.

En effet, quelle indulgence peuvent espérer ceux qui, lorsque Paul autorise les secondes noces après la mort de l’époux, et donne de si grandes facilités, osent passer outre avant cette époque ? Quelle excuse reste-t-il, soit à ceux qui, épousent les femmes d’hommes vivants, sait aux hommes mariés qui fréquentent les filles ; publiques ? Car c’est encore une espèce d’adultère d’avoir commerce avec des courtisanes, quand on a une femme à soi. Et de même que la femme mariée, si elle se livre à un homme, libre ou esclave, qui soit célibataire, n’en tombe pas moins sous le coup de la loi qui concerne l’adultère, de même le mari quand bien même il pèche avec une fille publique ou avec toute autre femme non marié est réputé coupable dû même crime. Fuyons donc aussi cette forme de l’adultère. En effet, qu’aurons-nous à dire, à alléguer après une pareille faute ? Quel prétexte spécieux pourrons-nous produire ? Les appétits de la nature ? Mais la femme qui nous est échue est là, près nous, et nous ôté ce moyen de défense. Si le mariage a été institué, c’est pour prévenir fornication. Mais ce n’est pas seulement la femme, ce sont tant d’autres créatures d’une nature pareille à la nôtre qui nous interdisent cet appel à l’indulgence. Lorsque ton compagnon d’esclavage, dont le corps ressemble au tien, dont les passions sont les tiennes, dont les besoins ne diffèrent point de ceux qui te poussent, ne jette les yeux sur aucune autre femme que la sienne et lui reste fidèles en quoi les passions que tu allègues pourront-elles servir ta justification ? Et encore je ne parle que des hommes mariés. Mais songe un peu à ceux qui passent leur vie tout entière dans le célibat, qui n’ont jamais connu le mariage et se sont montrés parfaitement chastes. Quand d’autres sont chastes sans être mariés, quelle miséricorde obtiendras-tu, toi qui vis, étant marié, dans la fornication ? Hommes et femmes, veuves et les épouses, écoutez tous ces paroles : car c’est à tout le monde que s’adressent Paul et la loi qui dit : La femme est liée à la loi aussi longtemps que vit son mari ; que si son mari s’endort, elle est libre de se marier à qui elle voudra, mais seulement selon le Seigneur. Les épouses, les filles, les veuves, les femmes remariées, toutes enfin ont profit à tirer de ces paroles. L’épouse ne voudra pas, du vivant de son mari, être à un autre, sachant qu’elle est liée tant que son époux est en vie. Celle qui, après avoir perdu son mari, voudra convoler en secondes noces, ne formera pas cette union à la légère ni sans réflexion, mais elle se conformera aux lois de Paul qui dit : Elle est libre de se marier à qui elle voudra, mais seulement selon le Seigneur, c’est-à-dire suivant les règles de la pudeur et de la chasteté. Que si par hasard elle préfère demeurer fidèle à ses engagements envers le défunt, elle apprendra quelles couronnes lui sont réservées, et sera encouragée par là dans sa résolution ; car elle sera plus heureuse, dit Paul, si elle demeure comme elle est.

4. Voyez-vous comment ce langage est profitable à tous, en ce que d’une part il condescend à la faiblesse de certaines femmes, tandis qu’il ne frustre pas les autres des éloges qui leur sont dus ? Paul, au sujet du premier et du second mariage, tient ici la même conduite qu’à l’égard du mariage et de la virginité. Il n’interdit point le mariage, de peur de surcharger les faibles ; il n’en fait point non plus une obligation, afin de ne point priver de leurs futures couronnes ceux qui préfèrent garder leur virginité ; mais il montre d’un côté que le mariage est une belle chose, et, de l’autre, fait voir que la virginité est encore préférable. De même, dans cette nouvelle matière, il pose encore des degrés ; il nous montre qu’il y a plus de grandeur et d’excellence dans le veuvage, mais qu’à la seconde place et à un rang plus bas viennent les secondes noces ; de cette façon, il augmente la vigueur des forts, de ceux qui veulent rester où ils sont, tout en prévenant la chute des faibles. Car, après qu’il a dit : Cependant elle est plus heureuse si elle demeure comme elle est, de peur que vous ne voyiez là une loi humaine, en l’entendant dire : selon mon conseil, il ajoute : Or, je pense que j’ai, moi aussi, l’Esprit du Seigneur. Ainsi vous ne pouvez dire que ce soit là la pensée d’un homme : c’est une révélation due à l’Esprit, c’est une loi divine. N’allons donc pas croire que c’est Paul qui nous parle ainsi : c’est le Paraclet qui promulgue cette loi à notre usage. Que s’il dit je pense, ce n’est point par ignorance qu’il parle ainsi, mais par modestie et par humilité. Il dit donc que la femme sera plus heureuse clans le veuvage ; mais comment sera-t-elle plus heureuse ? c’est ce qu’il ne dit pas, parce qu’il a donné une preuve suffisante en montrant que c’est l’Esprit qui lui a dicté son affirmation. Voulez-vous maintenant vérifier cela par la réflexion ? Les preuves ne vous manqueront point, et vous trouverez que la veuve est plus heureuse, non-seulement dans l’éternité d’outre-tombe, mais encore dans la vie présente. Paul savait parfaitement cela, lui qui fit entendre la même chose encore en parlant des vierges. Voulant recommander et conseiller la virginité, il s’exprime à peu près en ces termes : Je pense qu’il est avantageux à l’homme d’être ainsi à cause de la nécessité pressante. (1Co 7, 26) Et ailleurs : Si une vierge se marie, elle ne pèche pas. (Id 5, 28) Par ce mot : vierge, il entend ici non point celle qui a renoncé, mais seulement celle qui n’est point mariée, sans s’être assujettie par un vœu à l’obligation d’une virginité perpétuelle. Toutefois ces personnes auront les tribulations de la chair ; pour moi, je voudrais vous les épargner. (Id)

Par cette seule et simple parole, il laisse aux auditeurs à repasser dans leur âme les maux de l’enfantement, les soins de la maternité, les inquiétudes, les maladies, les morts prématurées, les brouilles les querelles, l’obéissance à mille caprices, la responsabilité des fautes d’autrui, les chagrins sans nombre appesantis sur une seule âme. Elle échappe à tous ces maux, celle qui fait choix de la continence, et, outre l’exemption de ces ennuis, une magnifique récompense lui est réservée dans la vie future. Tâchons donc, nous qui savons tout cela, de nous en tenir au premier mariage. Que si néanmoins nous avons le dessein d’en contracter un second, que ce soit suivant les formes et les règles prescrites, suivant les lois de Dieu. Voilà pourquoi Paul a dit : Elle est libre de se marier à qui elle voudra, et, tout de suite après : mais seulement selon le Seigneur. Par là, en même temps qu’il donne une permission, il la protège contre l’abus ; en même temps qu’il accorde une faculté, il la circonscrit entre les limites des lois dont il l’enceint de toutes parts ; de sorte que, par exemple, la femme n’introduise point dans la maison des hommes dissolus et sans mœurs, des histrions, des fornicateurs ; mais qu’elle observe les règles de la pudeur, de la chasteté, de la piété, afin que toutes choses tournent à la gloire de Dieu. C’est parce qu’on avait vu souvent des femmes, rendues libres par la mort de leurs époux, lesquelles, précédemment adultères, persistaient, en s’unissant à d’autres, dans ce genre de liaison, et imaginaient d’autres pratiques abominables ; c’est pour cela, dis-je, que Paul ajoute : Mais seulement dans le Seigneur. Cela, afin que le second mariage n’offre rien de pareil : car, à cette condition seule, il pourra être innocent. En effet, le mieux est d’attendre le mort, de rester fidèle à ses engagements envers lui, de garder la continence, de rester auprès des enfants qu’il a laissés, et de mériter ainsi une plus abondante part dans les bontés de Dieu. Si l’on veut cependant s’unir à un second époux, que ce soit suivant les règles de la chasteté, de la pudeur, suivant les lois établies ; car cela est permis, il n’y a d’interdit que la fornication et l’adultère.

Fuyons donc ces crimes, que nous soyons ou non mariés ; ne déshonorons point notre vie, n’exposons point notre existence au mépris, ne souillons point notre corps, n’introduisons aucun remords dans notre conscience. Et comment oserais-tu entrer dans l’église en sortant de chez les prostituées ? Comment élever au ciel ces mêmes bras dont tu étreignais une courtisane, comment remuer cette langue, comment prononcer une invocation avec cette bouche qui touchait ses lèvres ? De quel œil regarderas-tu ceux de tes amis qui ont quelque pudeur ? Que dis-je ? tes amis ! Quand bien même personne ne connaîtrait ta faute, c’est devant toi surtout qu’il te faudra rougir de confusion, et rien ne t’inspirera plus de dégoût que ton propre corps. Sinon pourquoi courir au bain après ce péché ? N’est-ce point que tu juges toi-même plus impur que le plus immonde bourbier ? Quelle autre preuve plus convaincante veux-tu de l’impureté de ton asti et quel verdict dois-tu attendre du Seigneur quand toi-même, toi le coupable, tu portes pareil jugement sur ta conduite ?

Ils ont raison de se trouver impurs : c’est à merveille, et je les approuve ; mais ils ne recourent point au vrai moyen de se purifier ; c’est pourquoi je les blâme et les accuse. Si la souillure était corporelle, c’est avec raison que vous chercheriez à vous en purifier par le bain ; mais c’est votre âme que vous avez souillé que vous avez rendue impure : cherchez donc un moyen de purification qui soit propre à laver sa tache. Or, quel est le bain qui convient pour un tel péché ? Un torrent de larmes brûlantes, des gémissements sortis du fond de poitrine, une perpétuelle componction, des prières assidues, des aumônes, d’abondantes aumônes, le repentir du péché commis, l’attention à n’y point retomber : c’est ainsi que se lave le péché, c’est ainsi que l’âme se purifie de ce qui la souille. Si nous négligeons ces moyens, c’est en vain que nous traverserions le courant de tous les fleuves : nous n’y laisserions pas la moindre parcelle de notre péché. Le mien sans doute, est de ne plus s’exposer à commettre cet abominable péché. Mais si par hasard le pied nous a manqué, employons ces remèdes, après avoir fait vœu d’abord de ne point retomber dans la même faute. Car, si au moment du péché nous condamnons ce que nous venons de faire, et qu’ensuite nous recommencions, c’est en vain que nous aurons voulu nous purifier. Se baigner pour retourner ensuite à se rouler au même bourbier, détruire ce qu’on a édifié, et réédifier ensuite, cela ne sert à rien qu’à perdre son temps et sa peine. Et nous, notre côté, si nous ne voulons prodiguer inutilement notre vie, purifions-nous de nos péchés précédents, et passons tout le reste de notre vie dans la chasteté, dans la réserve, dans toutes les vertus enfin : afin qu’ayant Dieu favorable, nous obtenions le royaume des cieux, par grâce et la charité de Notre-Seigneur Jésus-Christ, auquel gloire dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il. 

TROISIÈME HOMÉLIE. Sur le choix d’une épouse.

ANALYSE.

Le titre ci-dessus annonce le véritable sujet de cette homélie. Les mots : Éloge de Maxime, dont on le fait précéder généralement, nous ont paru devoir être supprimés : outre qu’ils manquent dans deux manuscrits, il n’est question de Maxime que dans le premier paragraphe du discours ; c’est tout à fait accidentellement, comme on le verra, que saint Jean Chrysostome fait l’éloge de son collègue avant d’entrer en matière.

  • 1° Éloge de Maxime, collègue de saint Jean Chrysostome.
  • 2° Que le repentir est une partie de la justification.
  • 3° Entrée en matière : Longues réflexions qu’exige le mariage.
  • 4° Les lois du mariage sont écrites chez saint Paul. – De l’amour qu’on doit à son épouse
  • 5° La patience, obligation du mari.
  • 6° Comparaison entre Eve et l’Eglise.
  • 7° Qu’il faut préférer sa femme à ses parents.
  • 8° Destination de la femme : elle doit être l’auxiliaire de son époux. – Contre les mariages d’argent. – But de l’institution du mariage.
  • 9° Exemple tiré du mariage d’Isaac. – Commentaire sur le récit de l’Écriture sainte. – Abraham proposé comme exemple aux parents, Rébecca, aux vierges et aux jeunes femmes.
  • 10° Exhortation aux parents et aux jeunes gens à marier.

1. J’ai manqué à votre précédente réunion, et j’en ai été fâché : mais le festin n’en a été que plus somptueux et je m’en suis réjoui. Celui qui partage avec moi le soin de cultiver vos âmes est celui qui l’autre jour a ouvert le sillon : sa riche éloquence a versé la graine ; son infatigable sollicitude a fait l’œuvre du laboureur. Vous avez vu la pureté de ce langage, vous avez ouï l’élégance de cette diction ; vous avez été abreuvés de l’eau qui jaillit vers la vie éternelle ; vous avez vu la source qui lance des torrents d’or pur. On cite un fleuve qui porte des paillettes d’or aux habitants de ses rives, non que les eaux aient la vertu de donner naissance à l’or ; mais comme les sources de ce fleuve traversent par hasard des montagnes renfermant des mines, le courant, dans son trajet, s’enrichit aux dépens de cette terre fortunée, et devient un trésor pour les riverains qui n’ont qu’à recueillir ces présents du hasard. Pareil à ce fleuve, le maître qui vous a parlé l’autre jour, en parcourant la mine des saintes Écritures, y a recueilli les pensées, incomparablement plus précieuses que l’or, dont il a fait largesse à vos âmes. Les miennes, je le sais, vous paraissent aujourd’hui bien peu de chose. L’homme habitué à une table indigente s’est-il vu admettre par hasard à un banquet moins frugal : s’il lui faut maintenant retourner à son ancien régime, il n’en sentira que mieux sa pauvreté.

Néanmoins je ne reculerai point devant ma tâche. Car vous savez, pour l’avoir appris de Paul, manger et souffrir la faim, avoir du superflu et manquer du nécessaire, admirer le riche et ne point mépriser le pauvre. Et de même que ceux qui aiment à boire font fête au bon vin, sans dédaigner celui qui ne le vaut pas ; de même, dans votre passion pour la céleste parole ; vous prisez le talent chez vos maîtres, mais ceux qui sont moins habiles n’en rencontrent pas moins en vous une ardeur et un zèle peu communs. En effet, l’homme indolent et dissolu manque d’appétit, même devant une table bien servie ; au contraire, l’homme actif et sobre, celui qui a faim et soif de la justice, court avec joie s’asseoir à un repas frugal. Et que mes paroles ne sont point flatterie, c’est ce que vous-mêmes avez bien fait voir dans notre précédent entretien. Nous vous parlions longuement du mariage : nous vous montrions que c’est un véritable adultère que de répudier sa femme, ou d’épouser une femme répudiée, du vivant de son premier mari ; nous vous lisions la loi du Christ ainsi conçue : Quiconque épouse une femme répudiée se rend coupable d’adultère ; quiconque répudie sa femme, hormis le cas de prostitution, la rend adultère. (Mat 5, 32) Je vis alors beaucoup d’entre vous baisser la tête, se frapper le visage, n’oser lever les yeux ; alors, portant mes regards au ciel, je n’écriai : Loué soit le Seigneur de ce que notre voix ne frappe point des oreilles privées de vie, de ce que nos paroles saisissent les esprits de nos auditeurs, et les ébranlent si fortement ! Le mieux sans doute est de ne point pécher du tout : mais c’est quelque chose encore, à l’égard du salut, que d’être contristé après le péché, de porter condamnation contre son cœur, de flageller sa conscience avec un scrupule acharné ; untel repentir fait partie de la justification, et c’est le chemin qui mène à ne plus jamais pécher. Voilà pourquoi Paul se réjouissait quand il avait affligé ses auditeurs, non de les avoir affligés, mais de les avoir corrigés en les affligeant : Je me réjouis, dit-il, non de vous voir affligés, mais de vans voir dans cette affliction qui mène au repentir ; car toute affliction selon Dieu produit usa repentir de salut. (2Co 7, 9-10) Que ce soient vos péchés ou ceux des autres qui vous aient jetés dans la tristesse, le ne puis dire combien vous méritez d’éloges. Pleurer sur le sort d’autrui, c’est montrer des entrailles apostoliques, c’est imiter l’Esprit-Saint dont voici les paroles : Qui peut souffrir, sans que je souffre ? Qui peut être scandalisé sans que je sois dans les angoisses ? (2Co 11, 29) Avoir du regret de ses propres péchés, c’est éteindre la flamme préparée pour le châtiment de ses fautes antérieures, c’est se rendre pour l’avenir, grâce à ce chagrin, moins sujet à tomber. Et c’est pour cela que moi-même, vous voyant baisser la tête, sangloter, vous frapper le visage, je me réjouissais en songeant au fruit de cette douleur : c’est pour cela qu’aujourd’hui encore, je vous entretiendrai du même sujet, afin que ceux qui veulent entrer en ménage réfléchissent mûrement à ce qu’ils vont faire. En effet, s’agit-il pour nous d’un achat de maisons ou de serviteurs, nous prenons mille peines, nous tournons autour du possesseur actuel, des précédents propriétaires. Il nous faut connaître dans un cas l’état du mobilier, dans l’autre la constitution physique et les principes moraux. À plus forte raison, avant de se marier, doit-on prendre autant et bien plus de précautions.

On peut revendre une maison dont on est mécontent ; on peut renvoyer un serviteur incapable à la personne qui s’en est défaite, mais une épouse, on ne peut la rendre à ceux dont on la tient ; de toute nécessité il faut la garder chez soi pour toujours, ou, si l’on s’en débarrasse en la chassant, être convaincu d’adultère selon les lois de Dieu. Ainsi, quand tu voudras te marier, ne te bornes pas à lire les lois qui sont faites pour le monde : lis d’abord, lis celles qui ont force parmi nous. Car c’est d’après celles-ci, et non pas sur les autres, que dans le grand jour Dieu te jugera : en négligeant ces dernières, c’est une perte d’argent que souvent l’on encourt, mais celles dont je parle appellent sur leurs transgresseurs les supplices éternels et la flamme inextinguible de l’enfer.

2. Cependant quand vous voulez vous marier, vous n’avez rien de plus pressé que de courir chez les jurisconsultes du siècle ; là, vous vous installez, vous vous enquérez minutieusement de ce qui arrivera si la femme meurt sans enfants, ou, au contraire, si elle laisse un, deux, trois enfants ; que deviendront ses biens selon qu’elle aura encore son père, ou qu’elle l’aura perdu ? quelle part de son héritage doit revenir à – ses frères, quelle part à son mari ? Dans quel cas celui-ci aura-t-il droit à la totalité, et pourra-t-il s’opposer à ce qu’il en soit rien distrait en faveur de personne ? et mille autres questions pareilles dont vous harcelez des légistes : démarches, précautions, rien ne vous coûte – pour empêcher les parents de la femme de s’immiscer à aucun titre dans ses affaires ; et pourtant, comme je l’ai dit plus haut, dût-il advenir quelque accident imprévu, il ne s’agirait que d’une perte d’argent, ce qui ne vous empêche pas de mettre en œuvre toute votre vigilance. Eh bien ! si pour éviter un préjudice pécuniaire, nous déployons tant d’activité, ne serait-il pas absurde, quand il est question du péril de notre âme et des comptes qui se règlent là-haut, de ne donner aucun soin à une affaire qui réclame, avant toute autre, notre zèle, notre empressement et notre sollicitude ?

En conséquence, j’invite et j’exhorte ceux qui veulent se marier à prendre conseil du bienheureux Paul, à lire les lois qu’on trouve chez lui au sujet des mariages, à s’instruire d’abord des recommandations qu’il adresse à l’homme auquel est échue une femme vicieuse, corrompue, adonnée au vin, acariâtre, sans jugement, ou frappée de quelque autre imperfection ; et alors seulement à entrer en pourparlers au sujet du mariage. Si tu vois que Paul te permet, pour peu que tu découvres chez ta femme un de ces défauts, de la répudier – et d’en prendre une autre, il n’y a plus aucun risque et tu peux te rassurer. Mais s’il te refuse ce droit et t’ordonne au contraire de tout endurer chez ta femme, hormis la prostitution, et de la garder chez toi, quels que soient ses défauts, alors affermis-toi dans cette pensée qu’il te faudra subir tous les vices de ta femme ; que si cette obligation te paraît rigoureuse et intolérable, n’épargne ni tes soins, ni ta peine pour te pourvoir d’une épouse bonne, sage et docile, et ne perds point de vue cette alternative imposée au mari d’une femme vicieuse, ou de supporter les ennuis qu’elle lui cause, ou, s’il s’y refuse et la répudie, d’avoir à répondre d’un adultère. Car il est écrit : Quiconque répudie sa femme, hormis le cas de prostitution, la rend adultère ; et quiconque épouse une femme répudiée se rend coupable d’adultère. (Mat 5, 32) Une fois bien pénétrés, avant le mariage, de ces réflexions et bien instruits de ces lois, nous mettrons tous nos soins à faire choix, tout d’abord, d’une femme vertueuse et bien assortie à notre humeur ; cela fait, nous n’y gagnerons point seulement de ne la répudier jamais, mais encore de l’aimer avec une profonde tendresse, ainsi que Paul le recommande. En effet, il ne se borne pas à dire : Hommes, aimez vos femmes (Eph 5, 25) ; mais il indique encore le degré de cette affection en ajoutant : Comme le Christ a aimé l’Église. Mais comment, dis-moi, le Christ l’a-t-il aimée ? Jusqu’à se sacrifier pour elle. Ainsi, fallût-il mourir pour ta femme, ne marchande point. Si le Seigneur a aimé son esclave au point de se donner pour elle, à plus forte raison dois-tu le même amour à ta compagne d’esclavage. Mais peut-être est-ce la beauté de l’épouse qui a entraîné l’époux, ou les vertus de son âme ? On ne saurait le prétendre, car la suite montre qu’elle était laide et sordide ; écoutez plutôt : Il s’est sacrifié pour elle, vient-il de dire, et il ajoute : Afin de la sanctifier en la purifiant par l’eau. Par ce mot purifier, il fait entendre qu’elle était impure et souillée, et non point d’une souillure comme une autre, mais d’une extrême impureté ; ce n’était que graisse, que fumée, que sang ; que taches de toute espèce. Et cependant il n’a pas eu dégoût de sa laideur, il a remédié à ses disgrâces, il a changé sa figure, corrigé ses formes, réparé ses imperfections ; c’est l’exemple que tu dois suivre. Quelques fautes que ta femme puisse commettre à ton égard, oublie tout, pardonne tout. A-t-elle un mauvais caractère, réforme-le à force de douceur et de bonté, comme a fait le Christ à l’égard de l’Église. Car, non content de laver ses taches, il l’a encore débarrassée de la vieillesse, en lui faisant dépouiller le vieil homme, ce composé d’iniquités. Et c’est à quoi Paul encore fait allusion, en disant : Afin de se faire une Église glorieuse, qui n’eût ni taches, ni rides. (Eph 5, 27) En effet, c’est peu de l’avoir embellie ; il l’a rajeunie, non selon le corps et la nature, mais selon l’âme et la volonté. Et ce qu’il faut admirer, ce n’est pas seulement que, l’ayant reçue laide, repoussante, difforme et décrépite, loin de prendre en dégoût sa laideur, il se soit livré lui-même au trépas et l’ait transformée par là au point de la rendre admirablement belle ; c’est que, dans la suite, en dépit des taches et des souillures qui reviennent souvent la ternir, il ne la répudie point, ne s’en sépare point, et qu’il persiste à l’entourer de ses soins et à la corriger. Combien, dites-moi, ont péché après avoir reçu la foi ? Et pourtant il ne les a point repoussés avec dégoût. Par exemple ce fornicateur connu des Corinthiens était membre de l’Église, cependant le Christ n’a point coupé ce membre : il l’a redressé. L’Église des Galates tout entière s’emporta hors de la voie et tomba dans le judaïsme, néanmoins il ne l’a pas rejetée non plus : il lui a donné ses soins par le ministère de Paul et l’a ramenée ainsi dans sa première famille. Et nous aussi, de même que, si nous tombons malades, nous ne coupons pas le membre, mais travaillons à chasser la maladie ; c’est ainsi que nous devons agir à l’égard d’une épouse. Si elle a quelque défaut, au lieu de la répudier, c’est son vice qu’il faut tâcher d’expulser. D’ailleurs on peut amener une femme à s’amender, tandis qu’il est bien des cas où un membre attaqué ne peut se guérir. Néanmoins, bien que nous connaissions le membre infirme pour incurable, nous ne le retranchons point pour cela. Combien d’hommes ont un pied de travers, une jambe boiteuse, un bras paralysé et perclus, un mil privé de lumière, qui ne se font point extraire cet mil, couper cette jambe, amputer ce bras, et qui, sans méconnaître que ces parties de leur corps lui sont désormais inutiles et ne servent qu’à le défigurer, les gardent néanmoins par égard pour la solidarité qui les attache aux autres. Mais si, quand la guérison est impossible et que l’utilité est nulle, nous montrons tant de circonspection à abandonner le malade, alors qu’il reste de l’espérance et des chances nombreuses de changement, n’est-ce pas le comble de l’absurdité ? Les infirmités naturelles laissent l’homme sans recours ; mais une volonté pervertie est susceptible d’amélioration.

3. En vain tu objecterais que le mal de ta femme est incurable, qu’en dépit de tes soins elle s’obstine à suivre ses propres penchants ce n’est pas encore une raison suffisante pour la répudier ; car, de ce qu’on ne peut guérir.un membre, il ne s’ensuit pas qu’on doive le couper. Or c’est un de tes membres que ta femme : Ils seront deux dans une chair, dit l’Écriture. (Gen 2, 24) Mais quand c’est d’un membre qu’il s’agit, il n’y a nul profit à le soigner, une fois que les progrès de la maladie ont rendu la médecine impuissante. Au contraire, si le malade est ta femme, quand bien même sa maladie serait incurable, compte que tu seras bien récompensé de tes leçons et de tes soins paternels. Et dût-elle n’en recueillir aucun fruit, Dieu saura bien rémunérer notre patience, parce que c’est sa crainte qui nous aura excités à montrer tant de persévérance à supporter avec douceur les défauts de notre compagne, à diriger ce membre de nous-mêmes : Membre de nous-mêmes, dis-je, et membre inséparable : aussi devons-nous l’aimer avec prédilection. C’est ce que nous enseigne encore le même Paul en disant : Les hommes doivent aimer leurs femmes comme ils aiment leurs corps. Car jamais personne n’a haï sa propre chair ; mais il la nourrit et l’entoure de soins comme a fait le Christ pour l’Église, car nous sommes membres de son corps, de sa chair, de ses os. (Ep 5, 28-30)

Il veut dire que, comme Eve est née de la côte d’Adam, ainsi nous sommes nés de la côte du Christ. En effet, c’est ce que signifie De sa chair et de ses os. Mais, pour ce qui est d’Eve, nous savons tous qu’elle est née de la côte d’Adam, et l’Écriture dit clairement que Dieu envoya le sommeil sur Adam, prit une de ses côtes, et en façonna la femme. Maintenant, sur quoi se fonder pour prétendre que l’Église aussi est formée de la côte du Christ ? C’est encore l’Écriture qui nous l’indique. En effet, lorsque le Christ fut élevé sur la croix, y fut attaché et mourut, un des soldats s’approchant lui perça le flanc, et il en sortit du sang et de l’eau. (Jn 19, 34) Eh bien ! c’est de ce sang et de cette eau que toute l’Église est formée. Jésus lui-même l’atteste par ces paroles : Quiconque ne sera point régénéré par l’eau et l’esprit, ne pourra entrer dans le royaume des cieux. (Jn 3, 5) Le sang, c’est l’esprit. Nous naissons grâce à l’eau du baptême, et c’est par le sang que nous sommes nourris. Voyez-vous comment nous provenons de ses os et de sa chair, enfantés, nourris par son sang, par son eau ? Et de même que, pendant le sommeil d’Adam, la femme fut façonnée, ainsi, le Christ mort, l’Église fut formée de son côté. Mais, s’il faut aimer sa femme, ce n’est pas seulement parce que notre femme est membre de nous-mêmes, et que nous avons fourni la matière dont elle a été créée : c’est encore parce que Dieu a promulgué à ce sujet une loi que voici : L’homme quittera son père et sa mère et s’attachera à sa femme, et ils seront deux dans une chair. (Gen 2, 24) C’est pour cela que Paul aussi nous a lu cette loi, afin de nous pousser de toutes parts à cet amour. Observez ici la ; sagesse apostolique ! ce n’est point exclusivement au nom des lois divines, ni des lois humaines, qu’il nous invite à aimer nos épouses ; mais il fait parler les unes et les autres tour à tour : de telle façon que les esprits élevés et philosophiques soient amenés à aimer par les motifs célestes, les esprits faibles au contraire par les raisons terrestres et naturelles. Dans cette vue, il s’appuie d’abord sur la sagesse du Christ et commence son exhortation en ces termes : Aimez vos femmes ainsi que le Christ a aimé l’Église. Mais ce qui vient après est humain : Les hommes doivent aimer leurs femmes autant que leurs propres corps. La suite est du Christ : Nous sommes membres de son corps, de sa chair, de ses os. Mais ceci vient des hommes : L’homme quittera son père et sa mère et s’attachera à sa femme. Et après avoir lu cette loi, il ajoute : Voilà le grand mystère. En quoi, grand ? Demanderez-vous. En ce qu’une jeune fille, enfermée jusque-là dans sa chambre, peut aimer et chérir du premier jour, comme son propre corps, l’époux qu’elle n’avait jamais vu auparavant ; en ce que l’homme qu’elle n’a jamais vu préfère du premier jour à toutes choses, une femme avec laquelle il n’avait pas précédemment échangé un propos, qu’il la préfère, dis-je, à ses amis, à ses proches, à son père et à sa mère… Parlons maintenant des parents : viennent-ils, hors ce seul cas, à éprouver quelque perte d’argent, les voilà dans le chagrin ; dans la peine ; ils traînent devant les tribunaux celui qui leur a fait tort : et voici qu’un homme que souvent ils n’ont jamais vu, qu’ils ne connaissent pas, reçoit d’eux avec leur fille une dot considérable. Que dis-je ? c’est une fête pour eux, bien loin qu’ils imputent cet événement à la mauvaise fortune. Au moment où ils se voient enlever leur fille, ils n’éprouvent ni regret de l’intimité passée, ni dépit, ni douleur : loin de là, ils rendent grâces, et jugent leurs vœux exaucés, quand il leur est donné de voir leur fille quitter leur maison, et avec elle s’en aller une partie de leur fortune. Paul remarquant tout cela, considérant que les deux époux quittent leurs parents pour s’attacher l’un à l’autre, et qu’une si longue habitude a dès lors moins d’empire gué cette liaison fortuite, réfléchissant de plus que ce n’est pas là un fait humain, et que c’est Dieu qui sème ces amours dans les âmes, qui inspire cette joie aux parents des époux, comme aux époux eux-mêmes, Paul, en conséquence, a écrit : Voilà le grand mystère. Et, pour prendre un exemple chez les enfants, comme le petit enfant qui vient de naître reconnaît tout d’abord ses parents en les voyant, avant de savoir parler : ainsi l’époux et l’épouse, sans que personne les rapproche, les exhorte, les instruise de leurs devoirs, n’ont qu’à se voir pour être unis. Puis, observant que la même chose est arrivée pour le Christ, et principalement pour l’Église, il s’étonne, il admire. Et comment donc la même chose est-elle arrivée pour le Christ et pour l’Église ? De même que le mari quitte son père pour aller trouver sa femme, de même le Christ a quitté le trône paternel pour allez vers son épouse. Au lieu de nous appeler là-haut, il est descendu lui-même vers nous. (D’ailleurs par ces mots il a quitté, n’allez pas entendre un déplacement, mais bien une condescendance ; en effet, même étant avec nous, il était encore avec son Père) Aussi Paul dit-il : Voilà le grand mystère. Grand sans doute, même à ne regarder que les hommes. Mais quand je vois que cela est encore vrai à l’égard du Christ et de l’Église, alors je m’étonne, alors j’admire. Lui-même après ces mots : Voilà le grand mystère, ajoute ceci : Je parle à l’égard du Christ et de l’Église. Tu sais maintenant quel mystère c’est que le mariage ; tu sais de quelle grande chose il est le symbole songes-y donc mûrement et avec circonspection ; et ne cherche pas la richesse quand tu voudras prendre femme. Ne regarde pas le mariage comme un trafic, mais comme l’association de deux existences.

4. J’ai souvent ouï dire : Un tel était pauvre son mariage l’a enrichi, il a épousé une femme riche : il vit maintenant dans le luxe et l’opulence. Que dis-tu là, mon ami ? Tu veux que ta femme te rapporte de l’argent ? Tu peux dire cela sans avoir honte, sans rougir ? Et tu ne vas pas te cacher au fond de la terre, toi, qui peux imaginer de pareilles spéculations ? Est-ce là le langage d’un époux ? Tu n’as rien à demander à ta femme que de veiller sur tes épargnes, d’administrer tes revenus, d’avoir soin de ta maison. Dieu te l’a donnée pour t’aider en cela comme dans toutes les choses du même genre. Attendu que deux sortes d’affaires se partagent notre vie, les affaires publiques et les affaires privées, le Seigneur a divisé la tâche entre l’homme et la femme : à celle-ci il a départi le gouvernement de la maison, à celui-là toutes les affaires de l’État, toutes celles qui se traitent sur la place publique, jugements, délibérations, commandements d’armées, et le reste. La femme est incapable de diriger un javelot, de lancer un trait, mais elle est capable de manier la quenouille, de tisser une toile, de faire régner le bon ordre, dans toute la maison. Elle est incapable d’ouvrir un avis dans un conseil ; mais elle est capable d’ouvrir un avis à la maison, et souvent, dans les soins domestiques que son mari partage avec elle, elle montre plus de clairvoyance que lui-même. Elle est incapable de bien gérer les deniers publics, mais elle est capable de bien élever ses enfants, ce trésor précieux entre tous ; elle est capable d’observer les manquements des servantes, de surveiller les mœurs des serviteurs, de procurer à son époux plus de sécurité, de la décharger de tous les soins qu’exige un ménage, j’entends ceux de l’office, du filage, de la cuisine, de la toilette : enfin, elle prend sur elle tous les travaux dont il ne serait ni convenable, ni facile à l’homme de s’occuper, quelque difficile à contenter qu’il puisse être. En effet, c’est un trait de la générosité et de la sagesse divines, que celui qui excelle dans les grandes choses, se montre dans les petites, insuffisant et incapable, de telle sorte que l’homme ait besoin de la femme. En effet, si Dieu avait créé l’homme également propre aux deux emplois, le sexe féminin n’aurait été qu’un objet de mépris : et, d’autre part, s’il avait permis aux femmes des fonctions plus relevées et plus sérieuses, il leur aurait inspiré des prétentions extravagantes. Aussi, a-t-il évité de donner les deux aptitudes à la même créature, de peur que l’un des sexes ne fût éclipsé et ne parût inutile : et il n’a pas voulu non plus faire la part égale aux deux sexes, de peur que cette égalité n’engendrât des conflits, des querelles, et que les femmes n’élevassent leurs prétentions jusqu’à disputer aux hommes le premier rang ; mais conciliant le besoin de paix avec les convenances de la hiérarchie, il a fait dans notre vie deux parts, dont il a réservé à l’homme la plus essentielle et la plus sérieuse, en assignant à la femme la plus petite et la plus humble : de telle sorte que les nécessités de l’existence nous la fassent honorer, sans que l’infériorité de son ministère lui permette d’entrer en révolte contre son mari.

En conséquence, cherchons tous désormais une seule chose, la vertu, un bon naturel, afin de jouir de la paix, de goûter les délices d’une concorde et d’une affection perpétuelles. Épouser une femme riche, c’est prendre un souverain plutôt qu’une femme. Par elles-mêmes, déjà, les femmes ont assez de vanité, assez de penchant à briller : s’il leur survient encore le renfort dont je parle, comment leurs maris pourront-ils y tenir désormais ? Au contraire, celui qui prend une femme de sa condition, ou plus pauvre que lui, prend une auxiliaire ; une alliée : et c’est vraiment le bonheur qu’il introduit dans sa maison. La gêne que cause à l’épouse sa pauvreté lui inspire toutes sortes de soins et d’attentions pour son mari, l’obéissance, une soumission parfaite, et supprime toutes les causes de disputes, de querelles, d’extravagances, de rébellion : elle unit les deux époux dans la paix, la concorde, la tendresse, l’harmonie. Ce n’est donc pas l’argent que nous devons chercher, niais la paix, si nous voulons trouver le bonheur le mariage n’est pas fait pour remplir notre maison de luttes et de combats, pour nous faire vivre au milieu des disputes et des querelles, pour mettre la division dans le ménage et nous rendre l’existence insupportable, mais pour nous procurer une aide, pour nous ouvrir un port, un asile, pour nous consoler dans l’affliction, pour que nous trouvions de l’agrément dans la conversation de notre femme. Combien n’a-t-on pas vu de riches, enrichis encore par la dot de leurs femmes, mais privés du même coup, pour jamais, de la paix et de la félicité, par un mariage qui faisait de leur table une arène, un théâtre de querelles journalières ? Combien, au contraire, ne voit-on pas de pauvres, unis à des femmes plus pauvres encore, qui jouissent de la paix, et sont heureux de voir la lumière, tandis que plus d’un riche, au sein de l’abondance, souhaite la mort pour être délivré de sa femme, et ne demande qu’à déposer le fardeau d’une telle vie ? tant il est vrai que l’argent ne sert à rien, faute d’une compagne vertueuse ! Mais, pourquoi parler de paix et de concorde ? Celui-là même qui ne songe qu’à gagner de l’argent, se trouve mal, souvent, d’avoir épousé une femme plus riche que lui. Quand il a augmenté son luxe en proportion de la dot reçue, une mort prématurée n’a qu’à venir l’obliger de restituer la dot entière aux parents : alors, pareil à ces naufragés dont la personne seule échappe aux flots, ce malheureux, au bout de tant de querelles, de luttes, de révoltes, de procès, a grand peine à se tirer d’affaire avec ses quatre membres et sa liberté. Et comme on voit des trafiquants insatiables, pour avoir encombré leur vaisseau de marchandises et lui avoir imposé un fardeau au-dessus de ses forces, causer la submersion de leur équipage, et perdre toute leur cargaison : ainsi, ces ambitieux qui font des mariages démesurément riches, dans la pensée d’augmenter beaucoup leur avoir, grâce à leurs femmes, perdent souvent jusqu’à ce qu’ils possédaient en se mariant : il suffit d’un instant et du choc d’une vague pour faire enfoncer le navire ; ainsi, la mort prématurée de la femme a suffi pour apporter la ruine avec le deuil à son mari.

5. Considérons bien tout cela, et, au lieu de chercher la fortune, cherchons la vertu, l’honnêteté, la modestie. Une femme modeste, vertueuse et sage, fût-elle sans fortune, saura tirer parti de la pauvreté mieux qu’une autre de la richesse : au contraire, une femme gâtée, intempérante, acariâtre, trouvât-elle au logis des milliers de trésors, les aura bientôt dissipés avec la vitesse du vent, et précipitera son mari dans d’innombrables maux, outre la ruine. Ce n’est donc pas l’opulence que nous devons rechercher, mais une femme qui sache bien employer l’argent du ménage.

Apprends d’abord quelle est la raison du mariage, quel dessein l’a fait introduire dans notre existence, et n : en demande pas davantage. Quel est donc l’objet du mariage, et dons quelle vue Dieu l’a-t-il institué ? Écoute ce que dit Paul : De peur des fornications, que chacun ait une femme à soi. (1Co 7, 2) Il n’a pas dit : remédier à sa pauvreté ni pour se mettre dans l’aisance. Pourquoi donc ? Afin que nous évitions les fornications, afin que nous réprimions notre concupiscence, afin que nous vivions dans fa chasteté, afin que nous nous rendions agréables à Dieu en nous contentant de notre propre femme. Voilà le présent que nous fait le mariage, et voilà le fruit, en voilà le bénéfice. Ne lâche donc pas le plus pour courir après le moins ; car l’argent est peu de chose au prix de la chasteté. Le seul motif qui doive nous déterminer au mariage, c’est la résolution de fuir le péché, d’échapper à toute fornication ; tout le mariage doit donc tendre à ce but, de nous aider à la chasteté. Or il en sera ainsi, si nous épousons des femmes capables de nous inspirer beaucoup de piété, beaucoup de retenue, beaucoup de sagesse. En effet, la beauté du corps, quand elle n’a point la vertu pour compagne, peut bien retenir un mari vingt ou trente jours, mais au-delà elle perd son empire, laisse voir les vices qu’elle cachait d’abord, et dès lors tout le charme est rompu. Au contraire, celles en qui reluit la beauté de l’âme, n’ont rien à craindre de la fuite du temps, qui leur fournit chaque jour de nouvelles occasions de découvrir leurs belles qualités ; l’impur de leurs époux n’en devient que plus ardent, et l’attachement mutuel ne fait que se resserrer. Dans cet état de choses et devant l’Obstacle ale cette ardente et légitime affection, toute espèce d’amour impudique est rejetée bien loin ; l’idée même de l’incontinence n’entrera jamais chez ce mari attaché à sa femme par l’amour ; jusqu’à la fin il lui reste fidèle, et ainsi, par sa chasteté, appelle sur toute sa maison la bienveillance et la protection divines. Voilà les unions que formaient nos bustes des anciens temps, plus attentifs à la vertu qu’à la fortune. Pour le prouver par un exemple, je vous rappellerai un de ces mariages : Abraham déjà vieux et avancé en âge dit au plus âgé de ses serviteurs qui gérait tous ses biens : Pose ta main sous ma cuisse afin que je te fasse jurer au nom du Seigneur Dieu du ciel et de la terre, de ne pas donner pour femme, à mon fils Isaac une des filles des Chananéens, parmi lesquels j’habite, mais tu te rendras dans la terre où je suis né, au milieu de ma tribu, et tu choisiras là une épouse pour mon fils. (Gen 24, 1-4) Voyez-vous quelle sollicitude chez cet homme vertueux, chez ce juste, au sujet du mariage ; il n’a pas recours, comme cela se pratique aujourd’hui, à des entremetteuses, à des négociatrices, à de vieilles conteuses de fables ; c’est à son propre serviteur qu’il confie cette affaire. Et ceci même est une grande marque de la prudence de ce patriarche, qu’il ait su former assez bien un serviteur pour le rendre capable d’un pareil ministère. Ensuite la femme qu’il lui faut n’est ni une femme riche, ni une belle femme, mais une femme vertueuse ; et c’est pour cela qu’il prescrit un aussi long voyage à son messager. Considérez aussi l’intelligence du serviteur : il ne dit point : quelle commission me donnes-tu là ! Quand nous sommes entourés d’un si grand nombre de nations, chez lesquelles se trouvent en grand nombre des filles d’hommes riches, distingués, illustres, tu m’envoies dans un pays aussi lointain, parmi des hommes inconnus ? A qui m’adresser ? qui me connaîtra ? Et s’ils me tendent des embûches ? s’ils me trompent ? Car il n’y a rien de si facile à prendre au piège qu’un étranger. Il ne fit aucune de ces objections, mais négligeant toutes ces difficultés, il s’arrêta seulement au soupçon qui se présente tout d’abord à l’esprit : en ne résistant pas à son maître, il avait montré son obéissance ; en demandant seulement ce dont il fallait principalement s’informer, il manifesta son intelligence et sa prévoyance. À quoi fais-je allusion ? et quelle est donc cette question qu’il adressa à son maître ? Si la femme, dit-il, ne veut point partir avec moi, ramènerai-je ton fils dans le pays d’où tu es sorti ? Abraham répondit : Ne ramène pas mon fils en ce pays. Le Seigneur Dieu du ciel et de la terre qui m’a tiré de la maison de mon père et de la terre où je suis né, qui m’a parlé et m’a dit avec un serment ces paroles : Je donnerai cette terre à toi et à ta postérité, ce même Dieu enverra son ange devant toi, et t’aplanira le chemin. (Gen 24, 4-7) Voyez-vous la foi du patriarche ? Au lieu de faire appel à ses amis, à ses parents, ou à toute autre personne, c’est Dieu même qu’il donne pour interprète et pour compagnon de route à son messager. Puis, voulant rassurer ce serviteur, au lieu de dire simplement le Seigneur Dieu du ciel et de la terre, il ajoute : qui m’a tiré de la maison de mon père. Souviens-toi, lui dit-il, comment nous avons fait ce long voyage, comment après avoir abandonné notre propre pays, nous avons trouvé sur la terre étrangère plus de ressources et de félicité, comment l’impossible est devenu possible. Et ce n’est pas seulement en ce sens qu’il dit : Qui m’a tiré de la maison de mon père ; il veut encore indiquer que Dieu est son débiteur. Nous sommes ses créanciers, dit-il, il a dit lui-même : Je donnerai cette terre à toi et à ta postérité. De sorte que, tout indignes que nous sommes ; en considération de la promesse qu’il nous a faite de sa bouche, et dans la vue de l’accomplir, il nous assistera, aplanira devant nous tous les obstacles, et mènera à consommation ce qui est l’objet de nos vieux. Cela dit, il congédia son messager.

Parvenu au pays qui lui avait été désigné, celui-ci n’aborda aucun des habitants de la ville, il n’entra pas en conversation avec les hommes, il n’appela point les femmes ; mais remarquez comment il resta fidèle, lui aussi, à l’intermédiaire qui lui avait été donné, comment il s’adressa à lui seul. Il se lève pour prier, et dit : Seigneur, Dieu de mon maître Abraham, aplanis, aujourd’hui le chemin devant moi. (Gen 24, 12) Il ne dit pas : Seigneur mon Dieu ; que dit-il donc ? Seigneur, Dieu de mon maître Abraham. Je ne suis qu’un misérable, un objet de rebut ; mais je me couvre de mon maître ; car ce n’est pas pour moi que je viens, je ne suis que son ministre ; aie donc égard à sa vertu, et aide-moi à accomplir jusqu’au bout la tâche prescrite.

6. Maintenant, pour que vous n’alliez pas croire qu’il parle en créancier qui réclame ce qui lui est dû, écoutez les paroles qui suivent : Et prends en miséricorde mon maître Abraham. (Gen 24, 12) Quand nous aurions des milliers de mérites, nous voulons devoir à la grâce notre salut, et tenir tout de ta bonté, rien à titre d’acquittement ou de restitution. Et que demandes-tu donc ? Voici, répond-il, que je me tiens debout auprès de la fontaine, et les filles des habitants de la ville sortiront pour venir puiser de l’eau. Donc la jeune fille à qui je dirai : prête-moi ta cruche afin que je boive, et qui me répondra : bois, et je donnerai de plus à boire à tes chameaux jusqu’à ce qu’ils soient abreuvés, c’est celle que tu as préparée pour ton serviteur Isaac, et par là je reconnaîtrai que tu as pris – en miséricorde mon maître Abraham. Remarquez la sagesse du serviteur, au signe qu’il choisit. Il ne dit pas : si j’en vois une portée sur un char attelé de mules, traînant à sa suite un essaim d’eunuques, entourée de nombreux esclaves, belle et resplendissante de tout l’éclat de la jeunesse, c’est celle que tu as préparée pour ton serviteur. Que dit-il donc ? Celle à qui je dirai : Prête-moi la cruche afin que je boive. Que fais-tu, mon ami ? C’est une femme de cette sorte que tu cherches pour ton maître, une femme qui porte de l’eau, et qui daigne te parler ? Oui, répond-il : car il ne m’a pas envoyé chercher la richesse, ni la noblesse de la naissance, mais les qualités de l’âme. On trouve souvent des porteuses d’eau qui possèdent une vertu parfaite, tandis que d’autres, nonchalamment assises dans de riches demeures, sont pleines de vices et très-mauvaises. – Mais à quoi reconnaîtra-t-il la vertu de cette femme ? – Au signe qu’il a indiqué. Mais que vaut ce signe pour distinguer la vertu ? – Il est excellent et infaillible. Car il manifeste clairement la charité, de façon à rendre toute autre preuve superflue. Ses paroles reviennent donc à ceci, bien qu’il ne le dise pas en propres termes : Je cherche une vierge tellement charitable, qu’elle rende tous les services dont elle est capable. Et ce n’est point sans réflexions qu’il cherchait une telle épouse : mais, étant d’une maison où florissait surtout l’hospitalité, il voulait avant toute chose trouver une femme assortie à l’humeur de ses maîtres. C’est comme s’il disait : Nous voulons faire entrer chez nous une femme dont les mains soient ouvertes pour les hôtes ; afin qu’il n’y ait pas de guerre et de querelles lorsque le mari fera largesse de son bien à l’exemple de son père, et accueillera les étrangers : ce qui arriverait si la femme était regardante, et ne voulait pas laisser faire, comme c’est le cas dans bien des maisons ; dès maintenant je veux m’assurer si elle est hospitalière, car c’est de là que viennent toutes nos prospérités.

C’est par là que mon maître a obtenu du ciel celui qu’il va marier, par là qu’il est devenu père. Il a sacrifié un veau, et il a reçu un enfant ; il a pétri la farine, et Dieu lui a promis de lui donner des descendants aussi nombreux que les étoiles. Puis donc que c’est d’une telle source que découlent toutes nos prospérités, je recherche cette qualité avant toutes tes autres. Pour nous, ne nous arrêtons pas à ceci qu’il ne demandait que de l’eau : considérons plutôt que c’est la marque d’un cœur bien hospitalier, de ne pas se borner à donner ce qu’on demande, mais d’offrir plus que ce qui est demandé. Et il arriva ceci, dit l’Écriture, qu’avant qu’il eût fini de parler, Rébecca sortait de la ville, et ainsi se trouva accomplie cette parole d u Prophète : Tu n’auras pas fini de parler que je dirai : me voici. (Isa.8, 9)

Voilà les prières des hommes vertueux : avant qu’elles soient finies, Dieu a, déjà consenti à les exaucer. Et toi aussi, par conséquent, lorsque tu voudras te marier, n’aie point recours aux hommes, ni à ces femmes qui font métier du malheur d’autrui, et ne se proposent qu’un but, à savoir, de gagner un salaire. Aie recours à Dieu. Il ne dédaigne point de présider lui-même à ton mariage. C’est lui-même qui en a fait la promesse en ces termes : Cherchez le royaume des cieux, et tout le reste vous sera donné par surcroît. (Mat 6, 33) Et garde-toi de dire : Mais comment puis-je voir le Seigneur ? Est-ce qu’il peut m’adresser la parole, et s’entretenir avec moi visiblement, de telle façon que je puisse aller à lui et l’interroger ? Pensées d’une âme sans foi. Un instant suffit à Dieu, et la parole ne lui est pas nécessaire pour exécuter tout ce qu’il veut : et c’est justement ce qui eut lieu pour le serviteur d’Abraham. Il n’ouït aucune voix, ne vit aucune apparition. Debout auprès de la fontaine, il pria, et sur-le-champ fut exaucé. Il arriva ceci, qu’avant qu’il eût fini de parler, il vit sortir de la ville Rébecca, fille de Bathuel, fils de Melcha ; portant une cruche sur l’épaule : cette vierge était très-belle ; elle était vierge, aucun homme ne l’avait connue. Mais à quoi bon me parler de sa beauté ? C’est afin que tu comprennes à quel point elle était chaste, et quelle beauté elle avait dans l’âme. C’est une chose admirable que la chasteté, mais bien plus admirable encore, quand elle est jointe à la beauté. C’est pourquoi l’Écriture, avant de raconter l’histoire de Joseph et de sa chasteté, parle d’abord de ses avantages corporels : elle nous apprend qu’il était beau et dans tout l’éclat d’une jeunesse florissante, et c’est alors seulement qu’elle nous entretient de sa chasteté, et fait voir que cette beauté ne l’avait point précipité dans l’incontinence. En effet, la beauté ne provoque pas plus nécessairement la débauche, que la laideur ne fait ln chasteté. Beaucoup de femmes parées de tous les charmes du corps ont brillé, grâce à la chasteté, d’un éclat encore plus vif tandis que d’autres qui étaient difformes et repoussantes ont eu dans l’âme encore plus de difformité, et se sont souillées d’innombrables prostitutions. Ce n’est pas dans le corps, c’est dans l’âme et dans la volonté que résident les principes de ce vice comme de cette vertu.

7. Ce n’est pas sans intention qu’il lui applique deux fois le nom de vierge. Rappelez-vous qu’après avoir dit : Cette vierge était très-belle, il ajoute : Elle était vierge, aucun homme ne l’avait connue. C’est parce qu’il ne manque pas de vierges qui, tout en conservant leur corps intact, ouvrent l’accès de leur âme à tous les désordres, coquetteries, manèges pour attirer de toutes parts une foule d’amants autour d’elles, regards propres à enflammer les espérances des jeunes gens, gouffres et embûches de toutes sortes ; c’est pour cela, dis-je, que Moïse, voulant indiquer que Rébecca n’était pas semblable à ces filles, mais qu’elle était vierge à la fois de corps et d’âme, prend soin d’ajouter : Elle était vierge, aucun homme ne l’avait connue. Cependant ce n’est pas faute d’occasions qu’aucun homme ne l’avait connue : je dis cela d’abord à cause de sa beauté ; et en second lieu, à cause de l’office qu’elle remplissait. Si elle était restée perpétuellement dans sa chambre, comme les jeunes filles d’aujourd’hui, si elle ne s’était jamais montrée sur la place, si elle n’était jamais sortie de la maison paternelle, l’éloge eût été moins grand à dire qu’aucun homme ne l’avait connue. Mais si vous vous la représentez allant sur la place, obligée de se rendre chaque jour à la fontaine, une fois, deux fois et plus, et que vous songiez ensuite qu’aucun homme ne la connut, c’est alors que vous comprendrez parfaitement la valeur de l’éloge. On a vu plus d’une jeune fille qui n’était ni belle ni gracieuse, et qu’escortaient une quantité de suivantes, perdue néanmoins pour avoir passé une fois ou, deux sur la place publique. Que direz-vous donc de celle qui sort chaque jour seule de la maison paternelle, et cela, non-seulement pour aller sur la place, mais pour se rendre à la fontaine et rapporter de l’eau, courses qui l’exposent nécessairement à mille rencontres ? N’est-elle pas vraiment digne de toute notre admiration, lorsque ni ces sorties, continuelles, ni les charmes qui l’embellissent, ni les passants qui s’offrent partout à sa vue, rien, en un mot, rte peut porter atteinte à sa pureté, lorsqu’elle sait maintenir son âme et son corps à l’abri de la corruption, garder plus strictement la chasteté que les femmes qui restent enfermées chez elles, se montrer enfin pareille à celle que Paul demande en ces termes : Qu’elle soit sainte de corps et d’esprit ? (1Co 7, 34) Étant donc descendue à la fontaine, elle remplit d’eau sa cruche et remonta : Alors le serviteur courut à sa rencontre et lui dit : Laisse-moi boire un peu à ta cruche. Elle répondit : Bois, seigneur, et elle s’empressa de prendre sa cruche sur son bras, et elle lui donna à boire jusqu’à ce qu’il fût désaltéré. Puis elle ajouta : je puiserai aussi pour tes chameaux, jusqu’à ce que tous aient bu. Et elle s’empressa de vider sa cruche dans l’abreuvoir : et elle courut au puits afin de tirer de l’eau pour tous les chameaux. (Gen 24, 16-20)

Grande était la charité de cette femme, grande sa chasteté ; ces deux points sont bien établis, tant par ses actions que par ses paroles. Vous avez vu comment sa chasteté ne nuisait point eh elle à la charité, comment d’autre part la charité ne compromettait point sa chasteté. Ne s’être point précipitée au-devant de l’étranger, ne lui avoir point parlé la première, voilà pour la chasteté ; n’avoir point, résisté par signes ou paroles à sa demande, c’est le fait d’une charité et d’une humanité lieu communes. En effet, de même qu’elle aurait fait paraître de l’effronterie et de l’impudence si elle était allée à sa rencontre ou lui avait parlé avant qu’il eût rien dit ; de même, si elle l’avait repoussé quand il invoquait son assistance, elle se serait montrée dure et inhumaine. Mais elle sut éviter ces deux écueils : la chasteté ne l’a pas rendue infidèle aux lois de l’hospitalité ; son hospitalité n’a pas su davantage diminuer les éloges dus à sa chasteté ; c’est dans leur intégrité qu’elle a manifesté ces deux vertus : la, chasteté, en attendant la demande de l’étranger ; l’hospitalité, une hospitalité au-dessus de toute louange, en lui fournissant ce qu’il demandait. Hospitalité au-dessus de toute louange, ai-je dit ; comment nommer, en effet, celle qui, non contente d’accorder ce qu’on demande, offre encore quelque chose de plus. Sans doute, son présent n’était que de l’eau ; mais c’est tout ce qu’elle avait alors sous la main. Or l’usage est de mesurer la générosité des hôtes, non à la richesse de leur don, mais aux ressources sur lesquelles ils le prélèvent. C’est ainsi que Dieu a loué l’homme qui avait donné un verre d’eau fraîche, et a dit que la femme qui avait offert deux petites pièces de monnaie avait donné plus que personne, parce qu’elle avait sacrifié tout ce qu’elle possédait alors. De même Rébecca fit largesse à ce brave étranger de tout ce qu’elle avait à lui offrir. Ce n’est pas sans intention que le texte emploie ces expressions ; elle se hâta, elle courut, et autres semblables ; c’est pour montrer le zèle avec lequel elle agit en personne qui n’est ni contrainte, ni forcée, qui agit sans hésitation ni répugnance. Ceci n’est pas insignifiant : n’avons-nous pas vu plus d’une fois un passant que nous prions de s’arrêter tin instant et de noir laisser allumer notre torche à la sienne, ou de nous donner, pour nous désaltérer, un peu de l’eau qu’il portait, s’y refuser et nous repousser avec brusquerie ? Rébecca, au contraire, non contente d’incliner sa cruche en faveur de l’étranger, va jusqu’à prendre la peine de puiser de l’eau pour tous les chameaux, mettant ainsi avec la plus grande bonté, sa personne même au service de la charité. Ce n’est pas seulement son action, mais encore son empressement qui témoigne de sa vertu ; elle appelle seigneur un inconnu qu’elle voit pour ta première fois. Et de même que son futur beau-père Abraham ne demandait pas aux voyageurs : qui êtes-vous ? de quelle famille ? où allez-vous ? d’où venez-vous ? et profitait sans retard de l’occasion offerte à sa charité ; de même Rébecca ne demanda pas : qui es-tu ? de quelle famille ? quel est le motif qui t’amène ? mais pressée de saisir l’aubaine qui se présentait à son zèle, elle négligeait toutes ces questions superflues. Ceux qui achètent des perles afin de les échanger contre de l’or ne songent qu’à s’enrichir aux dépens des acheteurs, et non à les importuner de questions curieuses. Ainsi Rébecca ne pense qu’à recueillir le fruit de l’hospitalité, qu’à recevoir entière la récompense proposée. Elle n’ignorait pas que les étrangers pèchent moins que personne par excès d’audace ; ils ont besoin d’un accueil empressé qu’un excès – de réserve ne vienne pas refroidir ; si nous nous avisons de les obséder de questions indiscrètes, ils s’effarouchent, ils se dérobent, ils ne viennent plus à nous qu’à regret. Aussi s’en garda-t-elle bien dans cette occurrence, et son beau-père de même, quand il recevait des hôtes ; il craignait trop d’effrayer le gibier ; il se contentait de donner ses soins au voyageur, et quand il avait tiré d’eux le profit désiré, alors il les congédiait.

8. C’est pour cela qu’il reçut un jour des anges dans sa maison : s’il les avait pressés de questions, sa récompense eût été diminuée d’autant. En effet, ce que nous admirons en lui, ce n’est pas qu’il ait reçu des anges, c’est qu’il les ait reçus sans les connaître. S’il leur avait donné ses soins à bon escient, il n’y aurait là rien de surprenant ; la dignité de tels hôtes aurait rendu courtois et humain l’homme le plus dur et le plus insensible. Ce qu’il faut admirer, c’est que, les prenant pour des voyageurs vulgaires, il leur ait prodigué des soins si empressés. Rébecca fut digne d’Abraham : elle ignorait le nom du serviteur, le but de son voyage, l’intention qu’il avait de la demander en mariage : elle ne voyait en lui qu’un voyageur et un étranger. Aussi la récompense de sa charité fut-elle d’autant plus grande, qu’elle avait accueilli avec une bienveillance parfaite un homme absolument inconnu, tout en restant fidèle aux lois de la chasteté. Ni effronterie, ni hardiesse, ni excès d’instances, ni mauvaise humeur : elle sut remplir son office sans se départir de la réserve convenable. C’est à quoi Moïse fait allusion en disant : L’homme la considérait en, silence, afin de s’assurer si le Seigneur avait béni son voyage. (Gen 24, 21) Que veut dire ceci : Il la considérait? Cela veut dire qu’il observait son maintien, sa démarche, sa physionomie, son langage, tout enfin avec un grand soin, cherchant à lire dans ses gestes le secret de son âme. Ce n’est pas tout : il veut recourir encore à une autre épreuve. Lorsqu’elle l’eut désaltéré, il ne s’en tint pas là, et lui dit : Fais-moi savoir de qui tu es la fille : y a-t-il dans la maison de ton père un lieu où je puisse descendre ? (Gen 24, 23) Quelle est sa réponse ? Avec beaucoup de patience et de douceur, elle dit le nom de son père. Elle aurait pu se fâcher et répondre. Mais toi, qui es-tu donc, indiscret, qui t’enquiers si curieusement de notre maison ? Au lieu de cela, elle répondit : Je suis fille de Bathuel, fils de Melcha, qui l’est de Nachor. Il y a chez nous de la paille et du fourrage en abondance, et un endroit pour les hôtes. (Ib, 5, 24, 25) Encore cette fois, comme lorsqu’il s’agissait de l’eau, elle lui donne plus qu’il ne demandait. Alors il ne demandait qu’à boire : elle lui offrit de désaltérer ses chameaux et les désaltéra en effet. C’est la même chose ici : il lui demandait seulement s’il y avait de la place pour les hôtes, elle lui apprend qu’il y a « de la paille, du fourrage et le reste, le tout afin de l’engager, de l’attirer – à la maison, et de recueillir ainsi le prix de l’hospitalité. N’écoutons pas ceci à la légère, ni par manière de distraction, mais songeons à nous-mêmes, mettons-nous à la place des personnages, c’est ainsi que nous apprécierons la vertu de Rébecca. Souvent, quand il nous faut héberger, des amis, des connaissances, nous nous y prêtons à regret, et si leur séjour se prolonge durant une ou deux journées, nous voilà de mauvaise humeur. Rébecca n’avait affaire qu’a, un étranger, un inconnu ; cependant elle met tout son empressement à l’attirer dans sa maison, et cela, sachant bien qu’elle sera obligée de donner ses soins, non-seulement à lui, mais encore à ses chameaux. Le serviteur entre : remarquez une nouvelle et plus forte preuve de son intelligence. Elle lui offre du pain : Je ne mangerai pas, répond-il, avant d’avoir dit ce que j’ai à dire.

Voyez-vous cette activité, cette tempérance ? On l’invite à parler : considérons le langage qu’il tient. Va-t-il leur dire qu’il a un maître de haut rang, universellement honoré, le premier personnage, sans contredit, de la contrée qu’il habite ; s’il eût voulu parler sur ce ton, il n’aurait pas été embarrassé. En effet, les gens du pays honoraient Abraham à l’égal d’un roi. Mais il ne dit rien de pareil ; il passe sur ces titres humains, et c’est de la faveur divine qu’il décore Abraham en disant : Je suis serviteur d’Abraham, le Seigneur a comblé mon maître de ses bénédictions ; et il a été exalté ; et il lui a donné des brebis et des bœufs, de l’or et de l’argent. (Gen 24, 34-35) S’il fait mention de ces richesses, ce n’est point pour montrer qu’Abraham est dans l’aisance, mais pour faire voir qu’il est aimé de Dieu ; ce n’est pas de les posséder qu’il le loue, mais de les avoir reçues de Dieu. Il arrive ensuite au jeune homme. Et Sara, femme de mon maître, lui a donné un fils alors qu’il était déjà vieux. Ici il veut appeler l’attention sur le miracle de cette naissance, en la représentant comme un bienfait de la faveur divine, en dehors des lois de la nature. Et pareillement, si quelqu’un de vous cherche une femme ou un mari, qu’il examine avant tout si la personne qu’il a en vue est aimée de Dieu, si la bonté céleste lui prodigue ses faveurs. Car si cela se trouve en elle, tout le reste s’ensuit : dans le cas contraire, possédât-elle la plus belle fortune et la mieux assurée, c’est comme si elle n’avait rien. Ensuite le serviteur, afin qu’on ne lui demande pas Pourquoi n’a-t-il pas épousé une femme de son pays ? ajoute aussitôt après : Mon maître m’a fait prêter serment et il m’a dit : Tu ne donneras pas pour femme à mon fils une des filles des Chananéens ; mais tu te rendras dans la maison de mon père, et dans ma tribu, et tu choisiras là une épouse pour mon fils. (Gen 24, 37-38) Mais je ne veux pas vous rapporter ici toute l’histoire, de peur que vous ne me trouviez importun. Arrivons donc à la fin. Quand il eut raconté comment il s’était arrêté à la fontaine, comment il avait fait une prière à la jeune fille, comment elle lui avait donné plus qu’il ne demandait, comment Dieu avait été son médiateur ; enfin, quand il eut tout narré dans le plus grand détail, il finit alors de parler. Les autres, après avoir entendu ce récit, n’hésitèrent plus un instant, et sans faire attendre leur réponse, comme inspirés par Dieu lui-même, ils accordèrent leur fille sur-le-champ. Ceci est l’ordre de Dieu, répondirent Laban et Balhuel, nous ne pouvons donc disputer contre toi. Voici Rébecca, emmène-la et pars ; et qu’elle soit la femme de ton maître, suivant la parole du Seigneur. (Gen 24, 50-51) Qui ne s’étonnerait ? qui ne resterait frappé de surprise, en songeant au nombre et à la gravité des obstacles levés ainsi dans un instant ? L’envoyé était un étranger, un serviteur ; la distance à parcourir était considérable ; ni le jeune homme, ni son père, ni aucun de ses parents n’était connu. C’était assez d’une de ces difficultés pour empêcher le mariage ; rien ne l’empêcha pourtant, et comme si Isaac était un voisin, une connaissance, un ami du premier jour, ils lui donnent leur fille avec une entière confiance : c’est que le médiateur était Dieu. En effet, essayons-nous de faire quelque chose sans son appui, ce qui semblait tout simple et tout aisé ne nous offre plus que précipices, qu’abîmes, que chances contraires. Au contraire quand il est avec nous et qu’il nous assiste, le projet le plus difficile à exécuter réussit comme de lui-même. En conséquence, n’entreprenons rien, ne disons rien, sans avoir d’abord invoqué Dieu, et l’avoir prié de mettre la main lui-même à ce qui nous occupe, ainsi qu’a fait le serviteur.

9. Voyons maintenant, la demande accordée, comment se firent les noces. Traîna-t-il derrière lui des joueurs de cymbales, de flûte, des danseurs, des tambours, et tout cet appareil que l’on connaît ? Rien de tout cela seule il avait reçu Rébecca, seule il l’emmena, sans autre compagnon que l’ange qui lui faisait escorte, en accomplissement de la prière qu’Abraham avait faite à Dieu, de protéger le voyage de son serviteur, quand il aurait quitté la maison. Et la jeune femme était conduite à son époux, sans qu’elle eût entendu ni flûte, ni lyre, ni autres instruments, mais la tête toute chargée de bénédictions célestes, couronne supérieure en éclat aux plus riches diadèmes. Elle était conduite à son époux, parée non de tissus d’or, mais de chasteté, de piété, de charité, de toutes les vertus enfin. Elle était conduite à son époux, non sur un char couvert, ni sur quelque autre siège d’apparat, mais sur le dos d’un chameau. C’est qu’alors, indépendamment de leurs vertus, les jeunes filles avaient un tempérament robuste. En effet, leurs mères ne les élevaient pas comme c’est la mode aujourd’hui, et ne compromettaient point leur santé à force de bains, de parfums, de fard, de vêtements moelleux, enfin par mille autres superfluités propres seulement à les amollir ; au contraire, elles les soumettaient aux plus rudes épreuves. Aussi avaient-elles une beauté florissante, et de bon aloi, attendu qu’elle devait tout à la nature et rien à l’artifice. Aussi jouissaient-elles d’une santé à l’abri de toute atteinte, et leurs grâces étaient-elles incomparables, parce que leur corps n’était jamais incommodé par la maladie et que la mollesse leur était inconnue. En effet, les peines, les fatigues, l’habitude de faire tout par soi-même, en chassant la mollesse, donnent une force, une santé inébranlable. Par là on les rendait plus capables d’inspirer aux hommes la tendresse et l’amour ; car ils trouvaient en elles, non-seulement plus de perfections corporelles, mais encore plus de qualités morales et plus de sagesse. Elle était donc sur un chameau, ; arrivée dans le voisinage, avant qu’elle fût proche de la maison, elle leva les yeux, vit Isaac, et sauta à bas du chameau. Voyez-vous cette force ? voyez-vous cette agilité ? elle saute à bas d’un chameau. Telle était la vigueur qui se joignait à la sagesse, chez les filles de ce temps ! et elle dit au serviteur : Quel est cet homme qui s’avance dans la plaine ? Le serviteur répondit : Mon maître. Alors, prenant son voile, elle s’en enveloppa. (Gen 24, 65) Reconnaissez partout sa chasteté, contemplez sa pudeur et sa modestie. Et Isaac la reçut pour femme, et il la chérit, et elle adoucit le chagrin qu’il avait eu de la mort de sa mère Sara. (Gen 24, 67) Ces mots, il la chérit, elle adoucit le chagrin qu’il avait eu au sujet de sa mère, ce n’est pas pour rien que je les cite ; j’ai voulu vous faire entendre quels charmes Rébecca avait apportés de chez elle, pour mériter tant de tendresse et d’amour. Et qui aurait pu ne pas chérir une femme si sage, si réservée, si humaine, si charitable et si douce, une femme si virile par le cœur, si robuste par le corps ? Ce que j’en ai dit n’est point pour me faire écouter, ni pour obtenir vos éloges, mais pour exciter votre émulation. Vous, pères, imitez la sollicitude que montra le patriarche, afin de faire épouser à son fils une femme vraiment vertueuse ; il ne rechercha ni la fortune, ni la noblesse, ni la beauté, ni aucun autre avantage que l’excellence de l’âme. Vous, mères, c’est dans cette pensée que vous devez élever vos filles. Quant aux jeunes gens qui voudront les prendre pour femmes, qu’ils célèbrent leurs noces avec la même décence ; loin d’eux les danses, les éclats de rire, les propos grossiers, les flûtes, et toute cette magnificence diabolique, et tout ce qui peut y ressembler : qu’ils prient seulement Dieu d’être leur médiateur dans toutes leurs démarches. Si nous menons toujours ainsi nos affaires, il n’y aura ni divorce, ni soupçon d’adultère, ni motif de jalousie, ni batailles, ni querelles, mais nous goûterons toutes les douceurs de la paix et de la concorde, auxquelles viendront nécessairement se joindre toutes les vertus. De même que, lorsque l’homme et la femme sont divisés, tout s’en ressent dans la maison, quand bien même toutes les autres affaires iraient à souhait : de même, lorsque la paix et la concorde règnent, tout prend du charme, quand bien même l’orage éclaterait cent fois par jour. Si l’on se marie comme je le demande, il sera bien facile d’amener les enfants à la pratique de la vertu. En admettant que la mère soit ce que j’ai dit : réservée, chaste, riche de toutes les vertus, certes elle sera bien en état de gagner son mari et de le maîtriser par la tendresse qu’elle lui inspirera ; et quand elle l’aura gagné, elle trouvera en lui un auxiliaire plein de zèle pour l’éducation de ses enfants. Elle amènera ainsi Dieu lui-même à partager sa sollicitude. Alors, Dieu lui-même prêtant son assistance à ce ménage si bien dirigé, cultivant lui-même les âmes des enfants, tous les ennuis auront disparu ; tout sera pour le mieux dans la maison, comme dans l’âme des maîtres, et chacun pourra de la sorte, avec sa maison, j’entends avec sa femme, ses enfants et ses serviteurs, parcourir sans danger jusqu’au bout sa carrière terrestre, et entrer ensuite dans le royaume des cieux, bonheur que je vous souhaite à tous d’obtenir, par la grâce et la charité de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec lequel gloire et puissance, au Père et à l’Esprit saint et vivifiant, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il. 

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