1 Thessalonians 3
HOMÉLIE III.
CAR VOUS N’AVEZ PAS OUBLIÉ, MES FRÈRES, NOTRE PEINE ET NOTRE FATIGUE ; NUIT ET JOUR TRAVAILLANT DE MANIÈRE À N’ÊTRE À CHARGE À AUCUN DE VOUS, NOUS AVONS PRÊCHÉ L’ÉVANGILE DE DIEU. VOUS ÊTES TÉMOINS VOUS-MÊMES, ET DIEU AVEC VOUS, DE CE QU’IL Y À EU DE SAINT, DE JUSTE ET D’IRRÉPROCHABLE DANS NOTRE CONDUITE ENVERS VOUS, QUI AVEZ EMBRASSÉ LA FOI. VOUS SAVEZ QUE NOUS AVONS AGI ENVERS CHACUN DE VOUS, COMME UN PÈRE ENVERS SES ENFANTS, VOUS EXHORTANT, VOUS CONSOLANT, VOUS CONJURANT DE MARCHER D’UNE MANIÈRE DIGNE DE DIEU, QUI VOUS A APPELÉS AU PARTAGE DE SA ROYAUTÉ ET DE SA GLOIRE. (CHAP. 2,9-12 JUSQU’À III, 4)
Analyse.
- 1-3. Devoirs du maître envers ses disciples. – Saint Paul travaillant, de ses mains, de manière à n’être à charge à personne. – De la manière dont les apôtres parlaient aux fidèles. – Éloge de la fermeté, de la constance des fidèles de Thessalonique. – Saint Paul ne se lasse pas de prendre dans l’histoire du Christ toutes les raisons qui doivent retremper le courage en face des périls. – Invectives contre les Juifs déicides, et poursuivant les chrétiens de leur haine. – Affection de saint Paul pour les fidèles. – Grandeur de l’Église plantée, cultivée par lui. – Pourquoi saint Paul envoie Timothée à Thessalonique.
- 4-6. Les persécutions ne doivent pas être, pour la foi, un sujet de trouble. – Le chrétien est destiné à souffrir. – Souffrir, voilà le seul mérite, le seul titre de gloire du chrétien. – L’amour du plaisir, cause de la perte de l’homme et de tous ses malheurs. – Nos passions plus cruelles pour nous que tous les bourreaux. – Contre la vaine gloire, l’amour des richesses, la superstition qui consulte les devins. – Consentir aux pertes d’argent, c’est s’enrichir. – Bénir Dieu dans l’adversité. – Imiter Job. – Être pauvre, et pouvoir donner quelque chose au plus puissant des rois, à Dieu même, quelle richesse !
1. Le maître ne doit reculer devant aucune fatigue pour le salut de ses disciples. Car si le bienheureux Jacob travaillait nuit et jour pour garder ses brebis, à bien plus forte raison, celui qui a charge d’âmes, doit-il tout faire, quelque pénible, quelque modeste que soit sa tâche, en vue de son unique but, qui est le salut de ses disciples, et la gloire qui en revient à Dieu. Voyez donc le travail qu’acceptait Paul, ce héraut de Jésus-Christ, cet apôtre de la terre élevé à une dignité si haute ; il travaillait de ses mains pour ne pas être à charge aux disciples ; car « vous n’avez pas oublié », dit-il, « mes frères, notre peine et notre fatigue ». Il avait dit auparavant : « Nous aurions pu vous être à charge, comme apôtres du Christ » ; c’est ce qu’il dit encore dans l’épître aux Corinthiens : « Ne savez-vous pas que les ministres des sacrifices mangent de ce qui est offert pour les sacrifices ? » (1Co 9,13) Le Christ a établi que ceux qui annoncent l’Évangile, vivent de l’Évangile. Mais moi, dit-il, je n’ai pas voulu ; j’ai préféré la fatigue. Et ce n’est pas assez dire qu’il travaillait, mais c’était avec un zèle ardent. Voyez ce qu’il dit : « Car vous n’avez pas oublié », il ne dit pas mes bienfaits, mais, « notre peine et notre fatigue ; nuit et jour travaillant de manière à n’être à charge à aucun de vous, nous avons prêché l’Évangile de Dieu ». Aux Corinthiens, il adresse d’autres paroles : « J’ai dépouillé les autres églises, en recevant d’elles l’assistance dont j’avais besoin pour vous servir ». (2Co 11,8) Il est bien entendu qu’en d’autres lieux aussi il travaillait ; mais il ne parlait pas de ce travail aux Corinthiens ; il prenait une expression plus piquante, comme s’il disait : Ce sont les autres qui m’ont nourri, quand c’était vous que je servais. Ici, il ne parle pas de la même manière ; mais que dit-il ? « Nuit et jour travaillant ». Aux Corinthiens, il dit : « Et lorsque je demeurais parmi vous, et que j’étais dans la nécessité, je n’ai été à charge à personne » (Ibid. 9). « Et j’ai reçu l’assistance dont j’avais besoin pour vous servir » : ici au contraire, il montre que les fidèles sont pauvres ; dans l’épître aux Corinthiens, il n’en est pas de même. Voilà pourquoi il invoque toujours le témoignage de ceux de Thessalonique « Vous êtes témoins, vous-mêmes », dit-il, « et Dieu avec vous ». La confiance avec laquelle il s’appuie sur le témoignage de Dieu, voilà de quoi les persuader ; les autres assertions laissaient dans l’incertitude ceux qui ignoraient les faits. Ne réclamez pas, ne dites pas : C’était Paul qui parlait ; Paul s’arme d’un témoignage de beaucoup supérieur au sien, pour les persuader. De là ce qu’il dit : « Vous êtes témoins, vous-mêmes, et Dieu avec vous, de ce qu’il y a eu de saint, de juste et d’irréprochable dans notre conduite envers vous, qui avez embrassé la foi ». Il fallait aussi leur adresser des éloges ; voilà pourquoi il leur parle d’une manière qui devait les persuader. Si je n’ai rien reçu ailleurs, dit-il, quoique je fusse dans le besoin, cela est bien plus vrai encore maintenant. « De ce qu’il y a eu de saint, de juste et d’irréprochable dans notre conduite envers vous, qui avez embrassé la foi. Vous savez que nous avons agi envers chacun de vous, comme un père envers ses enfants, vous exhortant, vous consolant ». Après avoir parlé de sa manière de vivre au milieu des hommes, il parle de ce qui tient à la charité, ce qui est une idée plus élevée, et son langage est celui de l’humilité. « Comme un père envers ses enfants, vous exhortant, vous consolant, vous conjurant de marcher d’une manière digne de Dieu, qui vous a appelés au partage de sa royauté et de sa gloire ». Cette expression, « vous conjurant », lui est inspirée par le souvenir de ce que font les pères. Oui, nous vous avons conjurés ; et, en cela, nous n’avons pas usé de rigueur, nous nous sommes conduits comme des pères. « Chacun de vous ». Ah ! dans une si grande multitude, personne de négligé, ni petit, ni grand, ni riche, ni pauvre ! – « Vous exhortant », dit-il, à la résignation ; « vous consolant, vous conjurant ». – « Vous exhortant » ; donc les apôtres ne cherchaient pas la gloire. « Vous conjurant » ; certes, ce n’étaient pas des flatteurs ; « de marcher d’une manière digne de Dieu, qui vous a appelés au partage de sa royauté et de sa gloire ». Voyez maintenant ce que ce récit a d’instructif et de consolant. Car si Dieu nous a appelés à sa royauté, s’il nous a appelés à sa gloire, il faut tout supporter. Nous vous exhortons, non pas pour que vous nous fassiez quelque faveur, mais pour que vous obteniez le royaume des cieux. « C’est pourquoi nous rendons à Dieu, nous aussi, de continuelles actions de grâces, de ce qu’ayant entendu, de notre bouche, la parole de Dieu, vous l’avez reçue, non comme la parole des hommes, mais comme étant, ainsi qu’elle l’est véritablement, la parole de Dieu, efficace en vous qui avez embrassé la foi (13) ». On ne peut pas prétendre, dit-il, que nous, de notre côté, nous fassions toutes choses d’une manière absolument irréprochable, mais que vous, de votre côté, vous vous montriez indignes de notre séjour auprès de vous ; car vous ne nous avez pas écoutés comme on écoute des hommes ; vous avez été attentifs, comme si vous entendiez les avertissements de Dieu même. Qui le prouve ? De même qu’il démontre qu’il n’a recherché ni la faveur qu’obtiennent les flatteries, ni la vaine gloire dans ses prédications, et qu’il en donne pour preuves les périls qu’il a courus, le témoignage de ses auditeurs, les œuvres qu’il a faites, de même il prouve, par les périls qu’ils ont affrontés, la piété avec laquelle ils ont reçu la parole. En effet, comment, leur dit-il, si vous n’aviez pas écouté, comme on écouterait Dieu lui-même, comment pourriez-vous supporter de tels périls ? Et voyez à quelle hauteur il les élève : « Car, mes frères, vous êtes devenus les imitateurs des Églises de Dieu, qui ont embrassé la foi de Jésus-Christ dans la Judée ; vous avez souffert, de la part de vos concitoyens, les mêmes persécutions que ces Églises de la part des juifs, qui ont tué le Seigneur Jésus-Christ, et les prophètes ; qui nous ont persécutés ; qui ne sont point agréables à Dieu et qui sont ennemis de tous les hommes ; qui nous empêchent d’annoncer aux gentils la parole du salut, comblant ainsi la mesure de leurs péchés, car la colère de Dieu est tombée sur eux et y demeurera jusqu’à la fin ».(Id 14, 15, 16) 2. Vous êtes, dit-il, devenus les imitateurs des Églises de Dieu qui sont dans la Judée. Grande consolation ; il n’est pas étonnant, dit-il, que les juifs vous traitent comme ils ont traité leurs frères. Et maintenant ce n’est pas une faible marque de la vérité de la prédication, de voir que des juifs mêmes étaient décidés à tout supporter. « Parce que vous avez a souffert », dit-il,« de la part de vos concitoyens, les mêmes persécutions que ces Églises de la part des juifs ». Il y a plus d’énergie en ce qu’il dit : « Que celles qui sont dans la Judée ». Il montre par là que les fidèles se réjouissaient partout de leurs combats. Il dit donc Vous aussi, vous avez souffert les mêmes traitements ; et maintenant, qu’y a-t-il d’étonnant qu’ils vous aient fait subir les rigueurs qu’ils ont osé exercer contre le Seigneur ? Voyez-vous quelle grande consolation il leur apporte ? Et il ne se lasse pas d’exprimer cette idée dans presque toutes ses lettres, vous le verrez, si vous les étudiez avec soin ; toujours opposer aux épreuves mille exemples différents empruntés du Christ. Voyez bien, ici, c’est en accusant les Juifs, qu’il rappelle l’histoire du Seigneur, la passion du Seigneur ; il savait bien que c’était là la meilleure des consolations. « Qui ont tué le Seigneur », dit-il ; mais peut-être ne le connaissaient-ils pas ? Au contraire, ils le connaissaient parfaitement, et après ? N’ont-ils pas encore tué leurs prophètes ? et lapidé ceux dont ils portent partout les livres ? Certes, ils ne l’ont pas fait par amour pour la vérité. Donc il n’y a pas seulement une consolation dans les tentations ; mais encore un : avertissement qui nous fait voir que les persécuteurs n’agissent point par amour pour la vérité ; ce qui est un motif pour les fidèles de ne pas se troubler. « Qui nous ont persécutés », dit-il ; et nous aussi, dit-il, nous avons souffert des maux sans nombre. – « Qui ne sont point agréables à Dieu, et qui sont ennemis de tous les hommes, qui nous empêchent d’annoncer aux gentils la parole du salut ». Vous l’entendez : « Qui sont ennemis », dit-il, « de tous les hommes ». Comment cela ? C’est que, s’il faut parler à toute la terre, et s’ils nous en empêchent, ce sont, pour toute la terre, des ennemis. Ils ont tué le Christ, les prophètes ; ils outragent Dieu ; ce sont, pour toute la terre, des ennemis ; ils nous chassent, nous ; qui sommes venus pour le salut du monde. Qu’y a-t-il d’étonnant qu’ils aient tenu envers vous la même conduite ; qu’ils reproduisent ce qu’ils ont fait dans la Judée ? « Qui nous empêchent », dit-il, « d’annoncer aux gentils la parole du salut ». L’envie, voilà ce qui fait obstacle au salut de tous. « Comblant ainsi la mesure de leurs péchés, car la colère de Dieu est tombée sur eux et y demeurera jusqu’à la fin ». Il n’y a plus lieu de croire qu’il en sera comme par le passé ; il n’y a plus pour eux de retour possible ; ils ne mettent plus de bornes à leurs crimes ; la colère de Dieu va fondre sur eux. Qui le prouve ? La prédiction du Christ, car la consolation des affligés ne consiste pas seulement à voir leurs afflictions partagées, mais à voir le coup qui frappe ceux qui les ont affligés. Si le retard de la vengeance est une douleur, que ce soit une consolation de n’avoir plus à l’attendre. L’apôtre fait plus ; il a supprimé le délai en disant : que « la colère » est proche, qu’elle est décidée, qu’elle est prédite. « Aussi, mes frères, ayant été pour un peu de temps comme des orphelins, loin de vous par le corps, non par le cœur, nous avons désiré, avec d’autant plus d’ardeur, de jouir de votre présence ». Il ne dit pas, séparé, il emploie un mot plus expressif. Plus haut il a parlé de la flatterie pour montrer qu’il ne flatte pas, qu’il ne recherche pas la gloire. De même qu’il a dit plus haut : « Comme un père envers ses enfants, comme une nourrice », de même ici il emploie une expression de choix, « comme des orphelins » ; ce qui se dit des enfants qui n’ont plus de père. Eh quoi ! ceux-ci sont-ils donc orphelins ? Non, dit-il, mais c’est nous. Si l’on médite sur la nature de la douleur, de même que des enfants, en bas-âge, dont nul ne prend soin, qui supportent, avant le temps, une perte cruelle, regrettent amèrement leurs parents, non seulement par affection naturelle, mais parce qu’ils sont dans l’abandon, de même cela est vrai de nous ; de là il montre la douleur que son âme ressentait de la séparation. Et si nous pouvons, nous exprimer ainsi, ce n’est pas que nous ayons été loin de vous longtemps, mais « pour un peu de temps », et cela, « par le corps, non par le cœur. Car nous vous portons toujours dans notre pensée ». Voyez la force de l’affection. Quoiqu’il les portât toujours dans son cœur, il recherchait leur vue, leur présence. Qu’on ne m’objecte pas ici une sagesse intempestive ; voilà la marque d’une ardente charité : voir, entendre, converser, c’est une grande consolation. « Nous avons désiré avec d’autant plus d’ardeur », qu’est-ce à dire « avec d’autant plus d’ardeur ? » Ou cela veut dire : Nous vous étions fortement attachés, ou, comme il est vraisemblable, après une heure d’éloignement, nous désirions voir votre visage. Voyez, considérez le bienheureux Paul ; ne pouvant par lui-même satisfaire son désir, il le fait par des intermédiaires ; comme lorsqu’il envoie, aux habitants de Philippes, Timothée ; à ceux de Corinthe, le même encore ; il a recours à des intermédiaires, quand il ne peut pas se rapprocher lui-même ; sa tendresse en effet avait des transports invincibles ; son amitié était indomptable. C’est pourquoi « nous avons voulu vous aller trouver », c’est l’affection qui tient ce langage. Quoiqu’en ce moment, dit-il, je n’aie pas d’autre besoin que celui de vous voir. « Et moi Paul, je l’ai voulu, une et deux fois ; mais Satan nous en a empêchés ». 3. Que dites-vous, saint apôtre ? Satan vous empêche ? Oui ; ce n’était pas là l’œuvre de Dieu. Pour les Romains, il leur dit que Dieu l’en a empêché. (Rom 15,22) Et ailleurs, Luc déclare que l’esprit les a empêchés de venir en Asie. (Act 16,6) Aux Corinthiens, il dit que c’est l’œuvre de l’esprit ; ici, au contraire, que c’est l’œuvre de Satan. Mais quel est cet empêchement qui vient de Satan ? Des épreuves qu’il ne soupçonnait pas, épreuves violentes ; c’est que des pièges lui avaient été tendus par les juifs, et il fut retenu dans la Grèce pendant trois mois. (Act 20,3) Il y a certes une différence entre demeurer de propos délibéré, en vertu d’un projet, demeurer de soi-même, et se trouver empêché. Dans l’épître aux Romains, il dit : « C’est pourquoi, n’ayant plus maintenant aucun sujet de demeurer davantage dans ce pays-ci ». (Rom 15,23) Ailleurs : « C’est pour vous épargner que je n’ai point voulu aller à Corinthe ». (2Co 1,23) Ici, au contraire, rien de pareil ; mais quoi ? « Satan nous en a empêchés. Moi Paul, une fois et deux fois ». Voyez quelle recherche de paroles, comme il tient à montrer la vivacité de son affection pour eux : « Moi Paul ». C’est comme s’il disait : Quand même les autres ne l’eussent pas voulu. Les autres se bornaient à vouloir, mais moi j’ai entrepris. « Et certes, quelle est notre espérance, notre joie et la couronne de notre gloire ? N’est-ce pas vous aussi, qui l’êtes devant le Seigneur Jésus-Christ, pour le jour de son avènement ? » (Id 19) Ce sont les Macédoniens, qui sont votre espérance, ô bienheureux Paul ? Non, dit-il, pas eux seulement. Voilà pourquoi il s’exprime de cette manière « N’est-ce pas vous aussi ? » – « Quelle est en effet », dit-il, « notre espérance, notre joie et la couronne de notre gloire ? » Ne reconnaissez-vous pas là le langage des femmes ont les entrailles s’attendrissent, quand elles parlent à leurs enfants tout petits ? « Et la couronne », dit-il, « de notre gloire ». Le mot de couronne ne lui suffisait pas pour montrer la splendeur qu’il a en vue, il ajoute : « De notre gloire ». Quel feu ! Jamais un père, une mère, supposez-les ensemble, et confondant leur amour, ne pourraient montrer une tendresse égale à celle de Paul. « Notre joie », dit-il, « et la couronne ». Je tressaille plus de joie, dit-il, pour vous, que pour une couronne. Considérez toute une Église, Église que Paul a plantée, et qui a poussé des racines ; qui ne tressaillirait pas devant cette nombreuse postérité, cette postérité si belle ? Aussi, ce langage n’est pas de la flatterie ; car il ne dit pas seulement, vous, mais : Vous avec les autres, « vous êtes notre gloire et notre joie (20) ». « Ainsi, ne pouvant souffrir plus longtemps de n’avoir point de vos nouvelles, j’ai jugé à propos de rester tout seul à Athènes », ce qui veut dire : J’ai préféré. « Et je vous ai envoyé Timothée, notre frère et ministre de Dieu dans la prédication de l’Évangile de Jésus-Christ (3, 1-2) ». Ce qu’il dit, ce n’est pas pour faire l’éloge de Timothée, mais pour leur montrer combien il les honore, en leur envoyant un aide et un ministre de l’Évangile ; c’est comme s’il disait : Nous avons arraché à ses travaux, nous avons envoyé un ministre de Dieu, notre aide dans l’Évangile du Christ. Et il ajoute la raison : « Pour vous fortifier et vous exhorter dans votre foi, afin que personne ne s’ébranle par les persécutions qui nous arrivent (3) ». Qu’est-ce à dire ? C’est que les épreuves des maîtres troublent les disciples. Or, il était en proie alors à un grand nombre d’épreuves, comme il le dit lui-même : « Satan nous en a empêchés ». C’est pour les ranimer qu’il leur parle ainsi ; comme s’il disait : Une fois, deux fois, j’ai voulu aller vous trouver, sans le pouvoir ; ce qui était, pour lui, une grande privation. Or il est vraisemblable que cette absence les avait troublés, car les disciples sont moins tourmentés de leurs propres épreuves que de celles de leurs maîtres. Un soldat s’affecte moins de ses propres blessures que de celles du chef de l’armée. « Pour vous fortifier », dit-il ; donc, c’est pour prévenir leur trouble, qu’il a envoyé ; ce n’est pas que leur foi fût défectueuse, ni qu’ils eussent quelque chose à apprendre. « Et vous exhorter à demeurer fermes dans votre foi ; sans que personne soit ébranlé des persécutions qui nous arrivent. Car vous savez que c’est à quoi nous sommes destinés. Dès lors même que nous étions parmi vous, nous vous prédisions que nous aurions des afflictions à souffrir ; et nous en avons eu, en effet, comme vous le savez (4) ». Il ne faut pas se troubler, dit-il ; il n’est rien arrivé d’étrange, d’inattendu cette observation devait suffire pour les ranimer. Comprenez-vous que c’est pour la même raison que le Christ disait aussi à ses disciples ce qui devait arriver ? Écoutez ses paroles : « Et je vous le dis maintenant, avant que cela arrive, afin que, lorsque cela sera arrivé, vous croyiez en moi ». (Jn 14,29) Car c’est une grande consolation, une bien grande, en vérité, d’être ainsi averti de la bouche des maîtres. Un malade entend son médecin lui dire que ceci, que cela doit arriver, et il ne se trouble pas ; supposez, au contraire, un accident imprévu, le médecin lui-même incertain et embarrassé, la maladie plus forte que la médecine, voilà le malade troublé, consterné ; il en est de même ici. Paul, qui voyait l’avenir, leur prédit les afflictions, « et nous en avons eu », dit-il, « en effet, comme vous le savez ». Et il ne dit pas seulement que telle affliction a eu lieu, mais qu’il en a beaucoup prédit, et que tout ce qu’il a prédit est arrivé. « C’est à quoi nous sommes destinés ». Par conséquent, non seulement les épreuves passées ne doivent ni nous troubler ni nous confondre, mais il en doit être de même des épreuves à venir qui pourraient se rencontrer. « C’est à quoi nous sommes destinés ». 4. Écoutons, si nous avons des oreilles pour écouter. C’est à cela qu’est destiné le chrétien. Le, « c’est à quoi nous sommes destinés », l’apôtre l’applique à tous les fidèles. « C’est à quoi nous sommes destinés », et nous, comme si nous étions destinés à une vie tranquille, nous sommes tout étonnés. Et maintenant de quoi sommes-nous étonnés ? Car l’affliction qui nous a saisis, l’épreuve n’a rien que d’humain. C’est le cas de vous dire : « Vous n’avez pas encore résisté jusqu’à répandre votre sang, en combattant contre le péché ». (Heb 12,4) Je me trompe, ce n’est pas le cas de vous adresser ces paroles. Que faut-il donc vous dire ? Vous n’avez pas encore méprisé les richesses. À ceux qui avaient perdu tous leurs biens, on pouvait adresser les paroles de l’apôtre ; mais à ceux qui ont toute leur fortune, que leur dire, sinon, à qui a-t-on ravi ses biens, à cause du Christ ? À qui a-t-on donné des soufflets ? Qui donc a été outragé ? je dis, en paroles. De quoi donc pourriez-vous vous glorifier ? Où prendriez-vous le droit de parler ? Quand le Christ a tant souffert pour nous qui étions ses ennemis, quelles souffrances pouvons-nous montrer, endurées par nous pour lui ? Nos souffrances, néant ; les bienfaits reçus de lui, c’est l’infini. Où prendrons-nous le droit de parler au dernier jour ? Ne savez-vous pas que c’est un corps couvert de blessures, criblé de cicatrices qui recommande le soldat au souverain ? S’il n’a rien à montrer, fût-il même irréprochable, ignorez-vous qu’il reste au dernier rang ? Mais ce n’est pas le temps des combats, me répond-on. Mais si c’était le temps des combats ; où trouverait-on, répondez-moi, un combattant ? Qui s’élancerait dans la mêlée ? Qui mettrait en déroute la phalange ennemie ? Ah ! personne, je le crains : quand je vois que vous ne parvenez pas à mépriser les richesses en vue du Christ, comment croirais-je que vous sauriez mépriser les coups ? Savez-vous, répondez-moi, supporter noblement les outrages, et bénir qui vous fait affront ? Vous ne le faites pas, vous n’obéissez pas à la loi. Vous ne faites pas ce qu’on peut faire sans danger, et vous supporterez les coups, dites-moi, malgré la souffrance, malgré la douleur ? Ne savez-vous pas qu’il faut, dans la paix, s’exercer à la guerre ? Ne voyez-vous pas ces soldats qui sans que la guerre, gronde d’aucun côté, au sein d’une paix profonde, fourbissent leurs armes, suivent les chefs qui leur enseignent la manœuvre dans les rangs, et s’en vont au soleil, dans de vastes plaines, tous les jours, s’exercer aux combats, avec un zèle ardent ? Qui les imite pour les combats spirituels ? Personne. Aussi, quand vient la guerre, sans vigueur et sans énergie, nous appartenons à qui veut nous prendre. Quelle démence que de se figurer que le temps présent n’est pas le temps des combats, lorsque Paul nous crie : « Tous ceux qui veulent vivre avec piété en Jésus-Christ, seront persécutés » (2Ti 3,12) ; lorsque le Christ nous dit : « Vous aurez à souffrir l’affliction dans le monde » (Jn 16,33) ; lorsque le bienheureux Paul nous crie encore de sa voix éclatante : « Nous n’avons pas à combattre la chair et le sang, mais… » et encore : « Soyez donc fermes ; que la vérité soit la ceinture de vos reins ». (Eph 6,12-14) Et nul, dans ces jours d’autrefois, ne lui dit Pourquoi nous armez-vous, je vous le demande, puisqu’il n’y a pas de guerre ? Pourquoi nous créer des affaires sans besoin ? Pourquoi faire prendre la cuirasse à des soldats qui pourraient vivre dans le repos et la tranquillité ? À qui lui eût fait entendre de telles paroles, l’apôtre aurait répliqué : C’est surtout quand il n’y a pas de guerre, qu’il faut penser à la guerre. Quiconque, dans la paix, pense à la guerre, sera terrible à l’heure des batailles ; au contraire, celui qui ne sait pas la guerre, s’épouvante, même au sein de la paix. Pourquoi ? Parce qu’il pleure en voyant ce qu’il possède, et il s’attriste de ne pouvoir défendre ses biens en combattant. Car tous les biens ales lâches qui ne savent passé battre, appartiennent aux braves habitués aux combats, et voilà une première raison pour vous armer. Ensuite le temps de la guerre, c’est le temps de notre vie. Comment cela, et de quelle manière ? Le démon nous assiège tant que notre vie dure. Écoutez ce que dit l’apôtre à ce sujet. Il tourne autour de nous, comme un lion rugissant (1Pi 5,8), pour nous enlever. Les innombrables passions des sens se ruent sur nous, il faut les passer en revue si nous voulons nous soustraire à l’irréflexion qui nous tromperait. Dites-moi, je vous le demande, qui ne combat pas contre nous ? Richesses, beauté, plaisirs, pouvoir, envie, gloire, orgueil insolent. Ce n’est pas seulement notre gloire à nous, qui combat contre nous pour nous ravir l’humilité, c’est aussi la gloire des autres, pour nous inspirer une haine envieuse. Et maintenant tous les maux contraires, pauvreté, ignominie ; mépris, abandon, privation de toute force, ne nous font-ils pas aussi la guerre ? Tous ces ennemis sont en nous ; nous en avons aussi d’extérieurs : les méchancetés, les trahisons, les perfidies, les calomnies, les pièges de toutes sortes ; et tous les malheurs que les démons nous ménagent, les principautés, les puissances, les princes de ce siècle de ténèbres, les esprits de perversité. Nous sommes, les uns dans la joie, les autres dans la douleur. Aberration des deux côtés. – Mais la santé, mais la maladie. – Où trouver ce qui n’est pas une cause de péché ? Voulez-vous que je remonte jusqu’à Adam, pour vous dire tout de suite comment tout s’explique ? Qu’est-ce qui a perdu le premier homme ? Le plaisir, la gourmandise, l’ambition. Et, après lui, son premier fils ? L’envie et la haine. Et les hommes du temps de Noé ? La luxure et tous les maux qu’elle enfante. Et le fils de Noé ? L’oubli de la pudeur, l’effronterie. Et les Sodomites ? L’abomination, la débauche blasée et repue. Et c’est ce qui arrive souvent à la pauvreté même : aussi un sage disait : « Ne me « donnez ni la richesse ni la pauvreté ». (Pro 30,8) Faisons mieux, n’accusons ni la richesse, ni la pauvreté, mais la volonté incapable de faire un bon usage soit de la pauvreté, soit de la richesse. « Reconnaissez », dit le sage, « que vous marchez parmi les pièges ». (Sir 9,13) 5. C’est donc avec une admirable sagesse que le bienheureux Paul dit : « C’est à quoi à nous sommes destinés ». II ne se contente pas de dire : Nous sommes soumis aux épreuves, mais : « C’est à quoi nous sommes destinés » ; comme s’il disait : C’est pour cela que nous naissons. C’est là notre tâche, c’est là notre vie, et toi, au rebours, tu cherches le repos ? Il n’y a pas près de vous de bourreau qui vous déchire le flanc, qui vous force de sacrifier ; mais la cupidité est là, l’avarice est là qui nous arrache les yeux. Il n’y a pas de soldat pour mettre le feu à notre bûcher, pour nous étendre sur le gril ardent, mais le feu de nos sens est plus brûlant que les flammes des bourreaux. Il n’y a pas de roi pour nous promettre des biens innombrables et forcer notre consentement, mais il y a l’amour insensé de la gloire, plus puissant à nous séduire. Combat terrible, oui, vraiment épouvantable, si nous voulons conserver la sagesse ; la vie présente, elle aussi, a ses couronnes.: écoutez Paul qui vous dit : « Il ne me reste qu’à attendre la couronne de justice que me décernera le juste juge, et non seulement à moi, mais à tous ceux qui aiment son avènement ». (2Ti 4,8) Quand vous perdez un enfant chéri, un fils unique, élevé dans l’opulence, qui donnait de belles espérances, qui devait être votre seul héritier, ne pleurez pas, mais bénissez Dieu, glorifiez celui qui a reçu votre enfant, et vous ne le céderez en rien à Abraham. De même qu’il donna son fils à Dieu pour obéir à son ordre, de même, vous, laissez Dieu vous prendre le vôtre, et ne gémissez pas. Vous êtes tombé dans une maladie grave, et voilà une foule de gens qui veulent vous forcer à recourir à des charmes, à des amulettes, à d’autres moyens encore pour obtenir votre guérison ; mais vous, qui craignez Dieu, vous leur opposez l’énergie, la fermeté d’une grande âme, vous aimez mieux tout souffrir que de rien faire qui sente le culte des idoles ; eh bien, cette conduite vous vaut la couronne du martyre. N’en doutez pas. Comment cela, et de quelle manière ? je vous l’explique. De même que le martyr supporte avec l’énergie d’une grande âme toutes les tortures, plutôt que d’adorer les idoles, de même, vous aussi, vous supportez les douleurs de la maladie, plutôt que de recourir à ce que vous offre le démon, plutôt que de faire ce qu’il veut de vous. Mais les douleurs du martyre sont bien plus violentes ? Mais celles de la maladie sont plus longues : aussi le résultat est le même. Souvent même elles sont plus violentes. Eh bien, que faites-vous, répondez-moi, quand la fièvre intérieure tourmente votre corps et le brûle, et que, repoussant les conseils qu’on vous donne, vous rejetez bien loin de vous le charme magique, est-ce que vous ne ceignez pas votre front de la couronne du martyre ? Autre circonstance encore : vous avez perdu de l’argent ? Des conseillers en foule vous disent d’aller consulter les devins : mais vous, vous n’écoutez que la crainte de Dieu, vous savez ce qu’il défend, et vous aimez mieux perdre votre argent que de désobéir à Dieu. Qu’en résulte-t-il ? Vous obtenez une récompense aussi forte que si vous aviez donné cet argent aux pauvres ; si, après avoir subi une telle perte, vous bénissez le Seigneur, si, au lieu d’aller trouver les devins, vous consentez plutôt à ne recouvrer jamais rien, vous obtenez une récompense aussi forte que si vous vous étiez dépouillé pour Dieu. De même que c’est la crainte de Dieu qui fait qu’on se dépouille pour les indigents, de même c’est la crainte de Dieu qui vous a empêché, de rentrer en possession de ce que d’autres vous ont ravi. Il ne dépend que de nous d’être ou de n’être pas blessés dans nos vrais intérêts ; nul autre ne peut nous nuire. Si vous le voulez, méditons cette vérité, à propos du vol. Un voleur a brisé le mur d’une chambre, il s’y est élancé, il afait main basse sur de la vaisselle d’or d’un grand prix, sur des pierres précieuses, enfin il a emporté tout un trésor, et ce voleur n’a pas été pris. Voilà un malheur qui paraît lourd à supporter, il semble qu’il y ait là un grave préjudice ; il n’en est rien ; il dépend de vous qu’il y ait là, soit préjudice, soit profit. Et comment pourrait-on y trouver un profit, me dites-vous ? Je veux essayer de vous en faire la démonstration. Vous n’avez, vous, qu’à vouloir ce qui est arrivé, il y aura un profit considérable ; si vous refusez le concours de votre volonté, vous subirez un dommage plus grand que la perte réelle. Il en est ici comme dans l’industrie : la matière première étant donnée, l’ouvrier habile en fait un bon usage ; au contraire, l’ouvrier maladroit la perd, la gâte ; il fait si bien qu’elle est, pour lui, une cause de préjudice ; il en est de même dans cette circonstance. Comment donc y aura-t-il pour vous un profit ? Si vous bénissez Dieu, si vous ne faites pas entendre d’amères lamentations, si vous répétez les paroles de Job : « Le Seigneur m’a donné, le Seigneur m’a ôté : nu, je suis sorti du ventre de ma mère ; nu, je m’en retournerai ». (Job 1,21) Que dites-vous : « Le Seigneur m’a ôté ? » C’est le voleur qui m’a ôté, me réplique-t-on, et comment pouvez-vous dire : « Le Seigneur m’a ôté ? » Cessez de vous étonner c’était à propos de ce que le démon lui avait ôté que Job aussi s’écriait. « Le Seigneur m’a ôté ». Or, si ce saint personnage n’a pas craint de parler ainsi, comment pourrez-vous hésiter, quand un voleur vous aura enlevé quelque chose, à dire que c’est le Seigneur qui vous l’a ôté ? Quel homme admirez-vous, répondez-moi, celui qui prodigue son bien aux pauvres, ou Job qui fait entendre ces paroles ? Job n’a pas moins de mérite que celui qui donnerait tout son bien aux pauvres, quoiqu’il ne donnât rien alors. Ne dites pas : Il m’est impossible de faire entendre des actions de grâces, ce n’est pas par ma volonté que l’événement est arrivé ; je ne le soupçonnais, ni ne le voulais quand le voleur m’a pris mon bien ; quelle pourrait être ma récompense ? Ni Job non plus ne soupçonnait, ni ne voulait ce qui lui est arrivé, est-il besoin de le dire ? toutefois Job a lutté. Eh bien, vous pouvez, vous aussi, mériter une récompense aussi grande que si vous aviez volontairement sacrifié vos biens. Et c’est avec raison que nous avons, pour celui qui bénit Dieu, au sein des injustices qu’il subit, plus d’admiration encore que pour celui qui donne volontairement ce qu’il possède. Pourquoi ? C’est que ce dernier reçoit des éloges qui le soutiennent, il a sa conscience nourrie de bonnes espérances, et ce n’est que quand il se sent assez fort pour supporter la perte de ses biens, qu’il les rejette loin de lui ; le premier au contraire, est encore attaché aux richesses qu’on lui arrache par violence. Or, voilà deux conditions qui ne sont pas les mêmes : Ne s’être rien réservé de ses biens après y avoir renoncé volontairement ; ou, quand on les possède encore, se les voir arracher. Prononcez les paroles de Job et vous recevrez des trésors, des trésors bien plus considérables que ceux qui furent accordés à Job. Job n’a reçu que le double de ce qu’il possédait auparavant (Job 42,10) ; mais à vous, le Christ promet le centuple. La crainte de Dieu vous a fait éviter le blasphème ? vous n’avez pas recouru aux devins ? dans le malheur, vous avez béni Dieu ? C’est comme si vous aviez pris les richesses en dédain ; car une pareille conduite suppose nécessairement le dédain des biens de ce monde. Or il n’y a pas égalité de mérite entre la sagesse lentement acquise qui dédaigne ces biens, et la vertu qui supporte tout le coup d’une perte subite. C’est ainsi que la perte devient un profit, que vous ne recevez aucun préjudice, au contraire que vous recevez du démon un bienfait. 6. Mais maintenant, comment la perte devient-elle un malheur pour vous ? C’est lorsque votre âme est blessée par cette perte. En effet, répondez-moi. Un voleur vous a dépouillé de votre argent ? Pourquoi vous dépouillez-vous vous-même de votre salut ? pourquoi, aux malheurs qui vous viennent des autres, ajoutez-vous de plus grands malheurs où vous vous : précipitez vous-même ? Ce voleur vous a peut-être jeté dans la pauvreté, mais vous êtes le premier à vous faire, dans vos plus chers intérêts, les torts les plus graves ; ce voleur vous a privé de choses extérieures à vous, qui plus tard, malgré vous, devaient vous abandonner ; mais vous, vous vous enlevez à vous-même votre éternel trésor. Le démon vous a affligé en vous privant de vos biens ? Affligez-le à votre tour, vous aussi, en bénissant le Seigneur. Gardez-vous de réjouir le démon ; si vous allez trouver les devins, vous réjouissez le démon ; si vous bénissez Dieu, vous portez au démon un coup mortel. Et voyez ce qui arrive : vous ne retrouverez pas vos biens, pour avoir été consulter les sorciers, car ils ne sauraient rien vous dire ; si d’aventure ils vous apprennent quelque chose, vous perdez votre âme, vous devenez la risée de vos frères, et vous reperdez de nouveau, et tristement, tous vos biens. En effet le démon qui sait que vous ne supportez pas une perte de ce genre, que c’est pour vous un motif de renier votre Dieu, ne vous rend vos richesses que pour se ménager une nouvelle occasion de vous tromper. Supposez que les devins parfois rencontrent juste, il n’y a pas lieu, pour vous, de vous étonner. Le démon n’a pas de corps ; il rôde dans tout l’univers, c’est lui-même qui arme les brigands ; car ces œuvres-là ne se font pas sans le concours du démon. Donc, si c’est lui qui arme les brigands, il sait de même où ils se cachent ; car il n’est pas sans connaître ceux qui le servent. Il n’y a donc là rien d’étonnant. Le démon voit qu’une perte vous afflige, il vous en ménage une seconde ; s’il voit au contraire votre dédain qui ne fait que rire de pareilles attaques, il renonce à vous harceler par ce moyen. C’est la conduite que nous tenons nous-mêmes avec nos ennemis ; nous ne les attaquons que par ce qui peut leur causer de la peine ; si nous les trouvons indifférents, nous renonçons à les affliger, dans l’impuissance où nous sommes de les piquer au vif ; ainsi fait le démon. Que dites-vous ? Ne voyez-vous pas l’indifférence que montrent pour l’argent les navigateurs ; quand la tempête s’élève sur la mer, comme ils jettent tout dans les flots ? Et personne ne se prend à dire : Que fais-tu, ô homme ? Agis-tu donc de concert avec la tempête, es-tu le complice du naufrage ? Avant que les flots engloutissent ton trésor, c’est toi-même qui le jettes dans le gouffre, de tes propres mains ? Avant le naufrage, tu te fais un naufrage toi-même ? Ce seraient là des propos d’un homme grossier, n’ayant aucune idée des hasards de la mer ; au contraire, le matelot expérimenté, sachant ce qui produit le calme, ce qui provoque la tempête, ne fera que rire à de telles paroles : Si je jette, dira-t-il, une proie au gouffre, c’est pour que tout ne soit pas englouti. De même celui qui a l’expérience des choses de la vie humaine et de ses épreuves, au moment où l’esprit risque de faire naufrage, englouti par là corruption, le sage alors se débarrasse de l’argent qui lui reste. On vous a volé, faites l’aumône, et vous rendrez votre barque plus légère. Des brigands vous ont dépouillé ? Eh bien, vous, donnez au Christ ce qu’ils vous ont laissé. Voilà comment vous vous consolerez dans la pauvreté qu’on vous a faite. Rendez votre barque plus légère, ne songez pas à garder ce qui vous reste, votre barque pourrait sombrer. Eh quoi, pour sauver leurs corps, les matelots jettent la cargaison, ils n’attendent pas l’invasion du flot qui submergerait la barque ; et vous, pour sauver votre âme, vous ne conjurerez pas le naufrage ? Faites-en l’essai, si vous ne me croyez pas, je vous en conjure, faites-en l’essai, et vous verrez la gloire de Dieu. Quand il vous arrive quelque affliction, faites bien vite l’aumône, bénissez Dieu de ce qui vous arrive, et vous verrez de quelle joie vous serez inondé. Tel est le profit, si mince qu’il soit, dans les choses de l’esprit, qu’il fait disparaître toute perte dans les choses de ce monde. Tant que vous avez de quoi donner au Christ, vous êtes riche. Répondez-moi, vous avez été dépouillé, un roi s’approche de – vous, vous tend la main, ne rougit pas de recevoir de vous quelque chose, ne vous regarderez-vous pas comme le plus riche qui soit au monde, vous qui, dans une si grande pauvreté, voyez un roi qui ne rougit pas de vous ? Ne vous dépouillez pas vous-même, n’ayez qu’une pensée, celle de vous vaincre vous-même, et vous vaincrez sans peine le perfide démon. Il ne dépend que de vous de faire de grands bénéfices. Méprisons les richesses, afin de ne pas mépriser notre âme. Mais comment arriverons-nous à les mépriser ? Ne voyez-vous pas ce qui se passe pour la beauté du corps, et l’amour qu’elle inspire ; tant que les yeux en sont frappés, le feu brûle, la flamme s’élève et resplendit ; une fois qu’on a détourné ses regards, tout s’éteint, tout est assoupi ; est-ce vrai ? Il en est de même des richesses : que nul n’amasse des objets dorés, plus de pierres précieuses, plus de colliers, plus de bracelets, plus de cette amorce pour les yeux. Si vous voulez être riche, comme les hommes des anciens jours, ne mettez pas votre richesse dans l’or, mais dans les choses nécessaires, afin d’être toujours prêt à les distribuer aux autres. Renoncez à l’amour des ornements ; les richesses de ce genre sont exposées aux mauvais coups des brigands, et ne nous donnent que des soucis ; plus de vases d’or ni d’argent ; ayez des provisions de froment, de vin, d’huile ; ayez-en, non pour les vendre et en faire de l’argent, mais pour les distribuer aux malheureux. Si nous savons nous détourner de ces biens superflus, nous obtiendrons les biens du ciel. Puissions-nous tous entrer dans ce partage, en Jésus-Christ, etc. HOMÉLIE IV.
NE POUVANT DONC ATTENDRE PLUS LONGTEMPS, JE VOUS L’AI ENVOYÉ, POUR RECONNAÎTRE L’ÉTAT DE VOTRE FOI, AYANT APPRÉHENDÉ QUE LE TENTATEUR NE VOUS EUT TENTÉS, ET QUE NOTRE TRAVAIL NE DEVINT INUTILE. MAIS TIMOTHÉE, ÉTANT REVENU VERS NOUS, APRÈS VOUS AVOIR VUS, ET NOUS AYANT APPORTÉ LA BONNE NOUVELLE DE VOTRE FOI ET DE VOTRE CHARITÉ, ET DU BON SOUVENIR, QUE VOUS AVEZ SANS CESSE DE NOUS, QUI VOUS PORTE À DÉSIRER DE NOUS VOIR, COMME NOUS AVONS AUSSI LE MÊME DÉSIR POUR VOUS, NOUS TENONS À VOUS DIRE, MES FRÈRES, QUE, DANS TOUTES LES AFFLICTIONS ET DANS TOUS LES MAUX QUI NOUS ARRIVENT, VOTRE FOI NOUS FAIT TROUVER NOTRE CONSOLATION EN VOUS ; QUE NOUS VIVONS MAINTENANT, SI VOUS DEMEUREZ FERMES DANS LE SEIGNEUR. (III, 5-8 JUSQU’À LA FIN DU CHAPITRE) Analyse.
- 1-3. Les prophètes, les saints ne connaissent pas tout, ils participent à la faiblesse humaine. – Pourquoi Dieu a voulu qu’il en fût ainsi. – Affection de saint Paul pour les fidèles ; ses inquiétudes, en ce qui concerne leur foi et leurs mœurs. – Raisons du voyage de Timothée, envoyé par saint Paul, à Thessalonique. – C’est du cœur que vient le mal de la corruption ; tel, sans faire d’actions mauvaises, est perverti.
- 4. Contre l’impureté. – De l’amour pur, de l’amour des saints en général et de saint Paul en particulier ; de sa tristesse et de ses larmes pour les pécheurs.
- 5. Courage, bonté, chasteté de Joseph. – De l’oubli des injures, de la facilité à pardonner, de l’humilité. – Rompons tous nos liens, ne différons pas l’œuvre de notre salut.
1. La question qui se pose aujourd’hui devant nous, occupe un grand nombre de personnes, et se représente bien souvent. Quelle est cette question ? « Ne pouvant donc », dit-il,« attendre plus longtemps, je vous ai envoyé « Timothée pour reconnaître l’état de votre foi ». Que dites-vous ? Celui qui connaît tant de choses, celui qui a entendu les paroles mystérieuses, celui qui est monté jusqu’au troisième ciel, il y a quelque chose qu’il ne connaît pas, et cela lorsqu’il est à Athènes, dans une ville qui n’est pas très-éloignée de Thessalonique, quand la séparation date de si peu de temps ? « Comme des orphelins », dit-il, « loin de vous pour un peu de temps ». (Chap 2,17) Ainsi un tel homme ne connaît pas l’état de ceux de Thessalonique, et il faut nécessairement qu’il leur envoie Timothée, pour reconnaître l’état de leur foi ? « Ayant appréhendé », dit-il, « que le tentateur ne vous eût tentés, et que notre travail ne devînt inutile ». Quoi donc, dira-t-on, est-ce que ces grands saints ne savaient pas tout ? Non ; et c’est ce que l’on peut conclure d’un grand nombre d’anciens exemples et de ceux qui les ont suivis. Ainsi Élisée ne connaissait pas la pauvre veuve. (2Ro 4,1 ss) Ainsi Élie disait à Dieu : « Je suis demeuré seul, ils cherchent encore à m’ôter la vie » ; ce qui lui valut de Dieu cette réponse : « Je me suis « réservé sept mille hommes ». (1Ro 19,10, 18) Et quand Samuel fut envoyé pour oindre David, le Seigneur lui dit : « N’ayez égard, ni à sa bonne mine, ni à la grandeur de sa taille, parce que j’ai rejeté Saül, et que je ne juge pas des choses par ce qui en paraît aux yeux des hommes ; car l’homme ne voit que le dehors, mais le Seigneur regarde le fond du cœur » (1Sa 16,7) ; ce qui marque la sollicitude et la providence de Dieu. Comment et pourquoi ? Et pour les saints eux-mêmes, et pour ceux qui se confient aux saints. Car, de même que c’est Dieu qui permet les persécutions, de même c’est encore Lui qui permet que les saints ignorent beaucoup de choses, afin de les réduire à la modération ; de là ce que Paul disait lui-même. « J’ai ressenti, dans ma chair, un aiguillon qui est j’ange de Satan, pour me donner des soufflets » (2Co 12,7), c’est-à-dire pour que je ne m’élève pas trop dans mes pensées. Dieu l’a voulu ainsi pour que les autres hommes n’allassent pas s’imaginer de trop grandes choses à son sujet. Et en effet, si à voir les miracles que les saints ont opérés, on les a pris pour des dieux (Act 14,10), cette erreur se serait bien plus propagée, s’ils eussent toujours montré la connaissance de toutes choses. Aussi le même Paul dit encore : « Je ne veux pas que l’on m’estime au-dessus de ce que l’on voit en moi, ou de ce que l’on entend dire de moi ». (2Co 12,6) Et maintenant, écoutez les paroles de Pierre, quand il eut guéri le boiteux : « Pourquoi nous regardez-vous avec des yeux étonnés, comme si c’était par notre vertu, ou par notre puissance, que nous eussions fait marcher ce boiteux ? » (Act 3,12) Si ces paroles, ces actions, malgré l’infirmité de ceux qu’on entendait, qu’on voyait, provoquaient des suppositions fausses, que serait-il arrivé s’ils eussent été revêtus de toute espèce de grandeur ? Pierre ne veut pas qu’on puisse attribuer à une nature surhumaine, dont les apôtres seraient doués, les grandes œuvres qu’ils opèrent ; il veut prévenir une adoration insensée ; voilà pourquoi il montre la faiblesse des apôtres ; il veut couper court à tout prétexte d’orgueil, et voilà pourquoi Paul montre ici une certaine ignorance ; voilà encore pourquoi, bien qu’il se fût souvent proposé d’aller à Thessalonique, il n’y a pas été ; c’est pour qu’on sache, à n’en pas douter, qu’il y a beaucoup de choses qu’il ignore ; cette ignorance offrait donc un grand avantage. D’ailleurs, même avec cette ignorance, il y avait encore un grand nombre de gens qui le nommaient la grande vertu de Dieu ; d’autres l’exaltaient de diverses manières ; s’il n’eût pas paru ignorant, que n’auraient-ils pas pensé de lui ? Maintenant, il semble qu’il y ait, dans ces paroles, comme un reproche ; si pourtant on les considère avec attention, elles montrent bien plutôt que les gens de Thessalonique méritent l’admiration, par leur vertu qui surmontait les tentations. Comment cela ? Soyez attentifs. En effet, vous leur avez d’abord dit, ô bienheureux Paul, que vous étiez destiné pour souffrir ces maux, et de plus, vous leur avez encore dit, que personne donc ne se trouble ; pourquoi, maintenant, leur envoyez-vous Timothée, comme si vous aviez peur que ce que vous redoutez n’arrive ? L’apôtre n’écoute ici que son affection ; ceux qui aiment redoutent même les dangers qui n’existent pas, c’est le caractère d’une charité ardente ; de plus, l’apôtre s’inquiète du grand nombre des tentations. Sans doute, j’ai dit, « ce à quoi nous sommes destinés », mais l’excès des maux m’a effrayé. Aussi l’apôtre ne dit-il pas qu’il les condamne, en leur envoyant Timothée, mais : « Ne pouvant pas attendre plus longtemps », paroles où respire l’amitié. Que signifie, « ayant appréhendé que le tentateur ne vous eût tentés ? » Voyez-vous que les tentations qui nous font chanceler, sont des œuvres du démon, qui proviennent de ce qu’il veut nous égarer ? S’il ne peut pas nous ébranler nous-mêmes, il ébranle, en nous attaquant, ceux qui sont plus faibles : c’est là l’effet d’une faiblesse insigne, d’une faiblesse inexcusable. C’est ce qu’il fit, à propos de Job en excitant son épouse : « Maudissez Dieu », lui dit-elle, « et mourez ». (Job 2,9) Voyez comme le démon l’a tentée. Maintenant, pourquoi l’apôtre ne dit-il pas : Ne vous eût ébranlés, mais : « Ne vous eût tentés ? » C’est que, dit-il, j’ai soupçonné seulement que vous pouviez avoir été tentés ; il se garde bien d’appeler cette tentation un ébranlement. Il faut accepter le choc pour être ébranlé. Ah ! voyez la tendresse de Paul. Il oublie ses afflictions, les perfidies qui l’entourent. Car je pense qu’en ce moment il demeurait dans la Grèce, où saint Luc nous dit qu’il séjourna trois mois au milieu des pièges des Juifs qui voulaient le perdre. 2. Donc il oublie ses propres dangers, ne pensant qu’à ses disciples. Voyez-vous qu’il n’est pas un père selon la nature qui puisse lui être comparé ? Que faisons-nous ? dans les afflictions, dans les dangers, nous ne pensons plus qu’à nous ; Paul, au contraire, ne craignait, ne tremblait que pour ses enfants, au point de leur envoyer, malgré les dangers qu’il courait lui-même, son unique consolateur, son unique auxiliaire, Timothée. « Et que notre travail ne devînt inutile ». Pourquoi ? Quand même ils auraient été renversés, – ce ne serait pas de votre faute, ce ne serait pas par votre négligence. N’importe, en ces circonstances, je dis que mon travail serait devenu inutile, c’est mon vif amour pour mes frères qui parle ainsi. « Ayant appréhendé que le tentateur ne vous eût tentés ». Ce qu’il fait, sans savoir s’il vous fera tomber. Eh bien ! le démon, même sans savoir s’il triomphera, nous attaque ; nous, au contraire, quoique nous sachions parfaitement que nous aurons l’avantage sur lui, nous ne sommes pas en éveil ? Que le démon nous attaque sans savoir l’issue de la lutte, c’est ce qui se voit à propos de Job : en effet, voici ce que disait à Dieu ce démon pervers : « N’avez-vous pas, à l’intérieur et à l’extérieur, mis un rempart tout autour de lui ? Enlevez-lui ses biens j’imagine, certes, qu’il vous bénira en face ». (Job 1,10-11) Il nous tente. S’il voit un côté faible, il attaque ; s’il rencontre la force, il se retire. « Et que notre travail », dit l’apôtre, « ne devînt inutile ». Écoutons tous le récit des fatigues de Paul. Il ne dit pas : Notre ouvrage, mais « notre travail ». Il ne dit pas : Et que vous vous perdiez, mais : « Et que notre travail n’ait été inutile ». Quand vous auriez été ébranlés, je n’en serais pas surpris ; mais puisque vous ne l’avez pas été, je vous admire. Voilà, dit-il, ce à quoi nous nous attendions, mais ce qui s’est produit, c’est tout le contraire : car non seulement vous ne nous avez donné aucun sujet d’affliction, mais, de plus, vous nous avez consolés. – « Mais Timothée étant revenu vers nous après vous avoir vus, et nous ayant apporté la bonne nouvelle de votre foi et de votre charité ». – « Et nous ayant apporté la bonne nouvelle », dit-il. Voyez-vous l’allégresse de Paul ? Il ne dit pas : Nous ayant apporté la nouvelle, mais : « La bonne nouvelle », tant il attachait de prix à leur solidité dans la foi, à leur charité. Car nécessairement, quand la foi est solide, la charité aussi est robuste. Et il se réjouissait de leur charité, parce qu’il y voyait un signe de leur foi. « Et du bon souvenir que vous avez sans cesse de nous, qui vous porte à désirer de nous voir, comme nous avons aussi le même désir pour vous ». Il y a ici des éloges : ce n’est pas seulement quand nous étions auprès de vous, ni quand nous faisions des miracles, mais maintenant encore, quand nous sommes loin de vous, frappés de coups, en proie à mille maux, que vous avez su garder un bon souvenir de nous. Écoutez, voyez l’admiration qui s’attache aux disciples, gardant de leurs maîtres un bon souvenir, voyez combien leur sort est digne d’envie ; imitons-les ; car, par là, nous servons nos propres intérêts, nous ne sommes pas utiles seulement à ceux que nous aimons. « Qui vous porte à désirer de nous voir, comme nous avons aussi le même désir pour vous ». Encore un sujet de joie ici pour les fidèles. Apprendre, quand on aime, que celui qui est aimé connaît l’amour qu’on lui porte, c’est là un grand motif de joie et de consolation. « Nous tenons à vous dire, mes frères, que, dans toutes les afflictions et dans tous les maux qui nous arrivent, votre foi nous fait trouver notre consolation en vous ; que nous vivons maintenant, si vous demeurez fermes dans le Seigneur ». Où trouver l’égal de ce Paul qui regardait le salut du prochain comme son propre salut, qui était, à l’égard de tous, ce qu’est le corps pour ses membres ? Qui nous fera entendre aujourd’hui un pareil cri de l’âme ? Ou plutôt, qui concevra jamais un pareil sentiment dans son cœur ? Il ne pensait pas que les fidèles dussent lui savoir gré des épreuves qu’il acceptait pour eux, mais c’est lui qui leur savait gré de ce que ses épreuves à lui n’ébranlaient pas leur constance ; il a l’air de leur dire : C’est pour vous plus que pour nous, que les épreuves sont dangereuses ; vous êtes plus éprouvés, vous qui ne subissez pas les souffrances, que nous qui les subissons. Mais depuis que Timothée, dit-il, nous a apporté ces bonnes nouvelles, nous ne sentons plus rien de nos douleurs, mais, « dans toutes les afflictions, votre foi nous fait trouver notre consolation » ; et non seulement dans toutes les afflictions, mais « dans tous les maux qui nous arrivent », dit-il, et avec raison. Car un bon maître est au-dessus de toutes les douleurs, tant que ses disciples s’avancent au gré de ses désirs. C’est par vous, dit-il, que nous sommes consolés ; ce qui veut dire, c’est vous qui nous fortifiez. Assurément c’était tout le contraire ; car le courage qui triomphe des souffrances, qui résiste avec fierté, un pareil exemple suffisait bien pour affermir les disciples. Mais l’apôtre voit, dans le sens opposé, l’édification qu’il raconte, il transporte l’éloge aux disciples : c’est vous, dit-il, qui avez répandu sur nous l’huile fortifiante, c’est vous qui nous avez permis de respirer, c’est vous qui nous avez enlevé le sentiment de nos souffrances. Et il ne dit pas Nous respirons, ni, nous sommes consolés, mais que dit-il ? « Que nous vivons maintenant » ; il montre par là qu’il n’y a pour lui d’autre épreuve, d’autre mort que le scandale qui provoquerait leur chute, puisque ce qu’il regarde comme sa vie, c’est leur avancement. Quel autre a jamais exprimé ainsi, ou sa douleur de la faiblesse de ses disciples, ou la joie qu’ils lui causent ? Il ne dit pas : Nous nous réjouissons, mais, « nous vivons », marquant par là la vie à venir. 3. C’est que, sous cette espérance, la vie même n’est pas une vie pour nous. Voilà quels doivent être les sentiments des maîtres, ceux des disciples ; et nul n’aura jamais à s’en repentir. L’apôtre développe ensuite cette pensée ; voyez, écoutez : « Car quelles actions de grâces pouvons-nous rendre assez dignement à Dieu, à cause de vous, pour toute la joie dont nous tressaillons, à cause de vous, devant notre Dieu ; nuit et jour, le conjurant avec ardeur, pour qu’il nous soit donné de voir votre visage, afin d’ajouter à ce qui peut manquer encore à votre foi (9, 10) ? » Non seulement, dit-il, c’est la vie que nous vous devons, mais nous vous devons aussi une joie si grande, que nous ne pouvons pas en rendre à Dieu de dignes actions de grâces. Votre perfection, nous la regardons, dit-il, comme un présent divin ; vous nous avez fait tant de bien, que nous pensons que ce bien nous vient de Dieu, ou plutôt que c’est l’œuvre de Dieu ; car ni l’âme humaine, ni l’ardeur de tout le zèle humain ne sauraient rien produire de pareil. « Nuit et jour », dit-il, « le conjurant avec ardeur ». Encore des expressions où la joie éclate. Supposez un agriculteur qui entend dire que la terre arrosée de ses sueurs est chargée de fruits ; il lui tarde devoir de ses propres yeux ce qui le remplit d’une joie si vive ; c’est ainsi que Paul brûle de voir la Macédoine. « Le conjurant avec ardeur », voyez combien c’est expressif ; « pour qu’il nous soit donné de voir votre visage, afin d’ajouter à ce qui peut manquer encore à votre foi ». Ici, une question qui demande assez d’explications. Si vous vivez maintenant, parce que les fidèles sont solides, si Timothée vous a apporté les bonnes nouvelles de leur foi et de leur charité, si vous en avez été rempli d’une joie si vive, qu’il vous est impossible d’en rendre à Dieu de dignes actions de grâces, comment vous avisez-vous de parler de ce qui peut manquer encore à leur foi ? N’auriez-vous tout à l’heure fait entendre que des flatteries ? Nullement, gardons-nous d’en rien croire. L’apôtre a commencé par dire qu’ils ont soutenu nombre de combats, qu’ils n’ont pas été moins éprouvés que les Églises de la Judée. Qu’est-ce que cela signifie ? C’est qu’ils n’avaient pas eu pleine et entière communication de la doctrine, ils n’avaient pas appris tout ce qu’ils avaient à apprendre, ce que montre l’apôtre vers la fin de sa lettre. Peut-être y avait-il, chez eux, des recherches au sujet de la résurrection, des agents nombreux de troubles, non plus des persécutions, des dangers pour les personnes, mais de prétendus docteurs. De là ces mots : « Ce qui peut manquer encore à votre foi » ; de là le tour que prend l’expression ; l’apôtre ne dit pas : Afin de confirmer, mais « afin d’ajouter ». En effet, quand il avait craint pour la foi même : « Je vous ai », écrivait-il, « envoyé Timothée pour vous affermir » ; mais ici il n’est question que d’ajouter à ce qui peut manquer, ce qui est plutôt une œuvre d’enseignement qu’un effort pour raffermir ; c’est de même que Paul écrit ailleurs : « Pour que vous soyez parfaits pour toute bonne œuvre ». (1Co 1,10) Or, ce qui est humainement parfait, c’est ce à quoi il ne manque que très peu de chose ; c’est là ce qui devient parfait. « Que Dieu lui-même notre Père, et Notre-Seigneur Jésus-Christ nous conduisent vers vous. Que le Seigneur vous fasse croître de plus en plus dans la charité que vous avez les uns pour les autres, et envers tous, et qu’il la rende telle que la nôtre est envers vous (11, 12) ». C’est la marque de la plus tendre affection, non seulement de ressentir dans son cœur un tel désir, mais encore d’exprimer ce vœu dans sa lettre ; voilà la marque d’une âme brûlante et qui ne peut plus du tout se contenir ; il faut remarquer aussi l’usage qui se fait ici de la prière, et en même temps une justification d’une absence qui n’était ni volontaire, ni le fait de l’indifférence. C’est comme s’il disait : Que Dieu lui-même supprime les épreuves qui nous entraînent de tous les côtés, de telle sorte qu’il nous soit donné d’aller vers vous par le plus court chemin. « Que le Seigneur vous fasse croître de plus en plus ». Voyez-vous le transport d’un amour qui ne se possède plus, qui éclate dans les paroles ? « Fasse croître et surabonder », dit-il, « de plus en plus » ; expressions plus fortes que, augmente. On pourrait dire que l’apôtre désire obtenir d’eux l’excès de leur amour. Qu’il rende votre charité, dit-il, « telle que la nôtre est envers vous ». C’est-à-dire, l’amour, nous l’éprouvons déjà, nous voulons que vous le ressentiez aussi. Voyez-vous quelle extension de charité l’apôtre réclame ? La charité entre fidèles ne lui suffit pas : il la veut envers tous et partout. C’est là, en réalité, le propre de l’amour selon Dieu, il embrasse tous les hommes ; aimer tel ou tel et non tel autre, ce n’est que de l’amitié à la manière des hommes. Notre amour, à nous, n’est pas de ce caractère. « Telle que notre charité est envers vous. Qu’il affermisse vos cœurs en vous rendant irréprochables, par la sainteté, devant Dieu notre « Père, en la présence de Notre-Seigneur « Jésus-Christ, venant avec tous ses saints (13) ». Il leur montre que c’est à eux que l’amour est utile, non à ceux qui sont aimés. Je veux, dit-il, que cette charité croisse, afin qu’il n’y ait aucun reproche parmi vous. L’apôtre ne dit pas : Qu’il vous affermisse, mais « Qu’il affermisse vos cœurs. Car c’est du cœur que partent les mauvaises pensées ». (Mat 15,19) Il peut se faire, sans qu’on opère aucune action, que l’on soit un pervers : ainsi, l’homme qui est envieux, qui ne croit à rien, le perfide, le méchant qui se réjouit du mal d’autrui, qui ne connaît pas l’affection, dont toutes les pensées sont mauvaises, tout cela vient du cœur ; la sainteté consiste à s’en purifier. À proprement parler, la sainteté c’est la chasteté parfaite, puisque l’impureté est surtout la fornication et l’adultère ; maintenant, en général, tout péché est impureté, toute vertu au contraire est pureté. En effet, « Bienheureux », dit le Seigneur, « ceux qui ont le cœur pur ? » (Mat 5,8) Les cœurs purs, dont parle ici le Seigneur, sont ceux qui le sont tout à fait. 4. Je sais bien, en effet, que les autres vices ne souillent pas moins l’âme. Voulez-vous une preuve que la malice en ternit l’éclat ? Écoutez le Prophète : « Purifie ton cœur de la malice, Jérusalem » (Jer 4,14) ; et encore : « Lavez-vous, purifiez-vous, enlevez la malice de vos âmes ». (Isa 1,16) Il ne dit pas La fornication ; donc ce n’est pas la fornication seulement, mais les autres vices aussi qui souillent l’âme. « Qu’il affermisse », dit-il, « vos cœurs, en vous rendant irréprochables, par la sainteté, devant Dieu, notre Père, en la présence de Notre-Seigneur Jésus-Christ, venant avec tous ses saints ». Le Christ sera donc alors notre juge, mais ce n’est pas seulement en sa présence, mais aussi en présence du Père que nous serons jugés. Ou bien encore, l’apôtre dit que nous devons être tout à fait irréprochables devant Dieu : c’est ce que je répète sans cesse, nous devons l’être en présence de Dieu (car c’est en cela que consiste la vertu sincère) et non seulement, en présence des hommes. C’est donc la charité qui rend irréprochable, car en réalité elle nous fait éviter toute espèce de fautes. Or, je m’entretenais, un jour, avec une personne, et je disais que la charité nous rend irréprochables, que l’amour du prochain ne laisse entrer dans notre âme aucun péché, je passais en revue tous les autres péchés ; une des personnes que je connais le mieux, m’interrompit alors pour m’objecter : Et la fornication ? Aimer et se livrer à la fornication sont-ils incompatibles ? N’est-ce pas au contraire de l’amour que vient ce péché ? On comprend que l’amour du prochain exclue l’avarice, l’adultère, l’envie, les perfidies et tout ce qui y ressemble ; mais est-ce la même chose de la fornication ? – Alors moi, je lui soutins que l’amour est de nature à détruire la fornication. Car celui qui aime la femme adonnée à cette honte, s’efforcera de l’éloigner des autres hommes, et il se gardera bien de se livrer lui-même à ce péché. C’est la plus forte preuve de la haine qu’on porte à la femme impudique, que de se livrer avec elle à l’impudicité ; c’est une preuve d’affection réelle, que de la détourner de cette abominable conduite. Il n’est pas, non il n’est pas de péché que la puissance de l’amour ne consume, comme fait un feu dévorant. Le sarment le plus mince résiste plus aux flammes d’un bûcher, que le péché à la puissance de l’amour. Sachons donc le faire et germer et grandir dans nos âmes, afin de pouvoir nous tenir dans la grande société des saints ; tous ces illustres saints se sont rendus agréables à Dieu par leur amour du prochain. D’où vient qu’Abel a reçu la mort, et ne l’a pas donnée ? C’est qu’il était plein d’amour pour son frère ; une pensée de meurtre ne pouvait entrer dans son âme. D’où vient que Caïn conçut cette envie qui l’a perdu ? Je dis Caïn, je ne veux plus l’appeler le frère d’Abel. C’est que les fondements de l’amour n’étaient pas assez solides en lui. D’où vient la gloire des fils de Noé ? N’est-ce pas de leur amour pour leur père, ce qui fit, que leurs yeux ne supportèrent pas sa nudité ? D’où vient que le troisième a été maudit ? N’est-ce pas parce qu’il était incapable d’aimer ? Et Abraham, d’où est venue sa gloire ? sinon de l’amour qu’il a montré en s’occupant des intérêts de son neveu ? de la supplication qu’il fit entendre pour les habitants de Sodome ? Oui, l’amour des saints était plein de transports, plein d’ardeur ; leur âme était ouverte à la pitié. Réfléchissez en vous-mêmes, concevez, s’il se peut, l’amour brûlant de Paul, l’audace avec laquelle il défie les flammes, cet homme de diamant, solide, inaltérable, en qui rien ne branle, rivé à Dieu par la crainte, qui ne fléchit jamais. « Qui donc nous séparera », dit-il, « de l’amour de Jésus-Christ ? L’affliction, ou les angoisses, ou les persécutions, ou la faim, ou la nudité, ou les périls, ou le glaive ? » (Rom 8,35) Celui qui méprisait tout cela, et la terre, et la mer, celui qui se moquait des portes de l’enfer, de ces portes de diamant, celui à qui rien jamais ne résistait, le même homme, voyant les larmes de quelques-uns de ses amis, fut tellement brisé, broyé, lui, ce cœur de diamant, qu’il ne put dissimuler son émotion, qu’aussitôt il s’écria : « Que faites-vous, de pleurer ainsi, et de m’attendrir le cœur ? » (Act 21,13) Que dites-vous, je vous en prie ? Une larme a-t-elle pu briser ce cœur de diamant ? Oui, dit-il, je résiste à tout, mais non à l’amour ; il est plus fort que moi, il me domine. C’est là ce qui plaît à Dieu. Il a résisté à l’abîme des eaux, et il suffit de quelques larmes pour lui fendre le cœur. « Que faites-vous, de pleurer ainsi, et de m’attendrir le cœur ? » C’est que la puissance de la charité est grande. Voulez-vous le voir encore dans les pleurs ? Écoutez ce qu’il dit, dans une autre circonstance : « Pendant trois ans, nuit et jour », dit-il, « je n’ai pas cessé d’avertir, avec des larmes, chacun de vous ». (Act 20,31) La vivacité de sa charité lui faisait craindre l’invasion de quelque fléau. Et encore : « Je vous écrivis alors, dans une grande affliction, dans un serrement de « cœur, avec une grande abondance de lai« mes ». (2Co 2,4) Et maintenant, répondez-moi, que penserons-nous de ce courageux Joseph, de cet homme ferme, qui tint tête à une tyrannie si impérieuse, qui se montra si fier devant un tel foyer d’amour, qui sut combattre, repousser avec tant de noblesse la passion de sa maîtresse insensée ? Quelle âme n’aurait pas été séduite ? La beauté, la dignité, l’éclat du rang, la magnificence des vêtements, l’enivrement des parfums (car les odeurs embaumées sont aussi des dissolvants de l’âme), les paroles les plus caressantes, quelles séductions manquaient ? 5. Vous savez fort bien que cette femme, possédée par l’amour, par un amour si violent, n’aurait reculé devant aucune espèce d’abaissement, après avoir pris le ton d’une suppliante. Elle était tellement brisée, cette femme parée d’ornements d’or, cette femme, d’une condition royale, qu’elle a bien pu se jeter aux pieds d’un esclave, captif dans sa maison, qu’elle a bien pu encore le conjurer, en pleurant, en s’attachant à ses genoux, et cela, non pas une fois seulement, ni deux, mais souvent, en renouvelant tous ses efforts. Joseph pouvait voir alors surtout un œil étincelant ; il n’est pas vraisemblable qu’elle fît sa toilette sans y penser ; elle devait, au contraire, mettre tous ses soins à s’embellir, en femme qui tenait à tendre de nombreux filets pour prendre l’agneau de Jésus-Christ. Ajoutez ici encore beaucoup de sortilèges et de charmes. Eh bien ! pourtant, cet homme inébranlable, solide, insensible comme la pierre, quand il vit ses frères, qui l’avaient vendu, qui l’avaient jeté dans une citerne, qui l’avaient livré, qui voulaient le tuer, qui avaient été la cause et de sa prison et de sa haute fortune, quand il apprit, de leur bouche, ce qu’ils avaient dit à son père : « Nous dirons », rapporte l’Écriture, « qu’une bête sauvage l’a dévoré » (Gen 37,20), il fut brisé, il sortit, il se sentit fondre, il sentit son cœur se briser, ses larmes jaillissaient ; ne pouvant supporter son émotion, il sortit, puis il revint, « se faisant violence » (Gen 43,30), c’est-à-dire, essuyant ses larmes. Comment, que fais-tu, ô Joseph ? tu pleures ? Mais convient-il donc de verser des larmes ? Ce qu’il faut ici, c’est que ta colère éclate, et ta fureur, et ton indignation, et que tu infliges un châtiment terrible, que tu exiges une juste réparation ; tu tiens tes ennemis en tes mains, ces meurtriers de leur frère, et tu peux satisfaire ta vengeance. Et, ce faisant, tu ne commettras pas une action contre la justice, ce n’est pas toi qui commences l’œuvre de la violence, tu te venges de ceux qui ont usé de violence contre toi. Ne considère pas ta dignité, ton rang ; ce n’est pas à ces traîtres que tu dois ton élévation, mais à Dieu, qui a sur toi répandu ses faveurs. Qu’as-tu à sangloter ? Joseph répondrait : J’ai, pour moi, l’estime de tous, loin de moi le malheur de tout perdre par cette rancune vindicative en vérité, je n’ai rien autre chose à faire, en ce moment, qu’à pleurer. Je ne suis pas plus cruel que les bêtes féroces ; on les voit, par un instinct naturel, se réconcilier, quels que soient les maux qu’elles aient soufferts. Je pleure, uniquement de ce qu’ils ont pu me traiter ainsi. Imitons-le, à notre tour, et pleurons sur ceux qui nous font une injure ; ne nous irritons pas contre eux ; ils sont réellement dignes de larmes, parce qu’ils se mettent sous le coup de la punition et du supplice. Je n’ignore pas quelles larmes vous versez maintenant, quelle joie vous pénètre ; vous admirez Paul, vous êtes, devant Joseph, en extase, vous leur donnez le titre de bienheureux. Mais voici ce qu’il faut faire : s’il arrive que l’un de vous a un ennemi, que celui-là y pense en ce moment, qu’il y tienne sa réflexion attachée, qu’il profite de la ferveur dont son cœur s’embrase au souvenir des saints, pour fondre l’endurcissement de la colère, pour adoucir ce qu’il y a, dans son âme, de farouche rigueur. C’est que je n’ignore pas non plus que quand vous serez sortis de l’église, quand j’aurai cessé de parler, quelque reste de ferveur qui vous brûle encore, vous ne serez plus tout ce que vous êtes au moment où vous entendez la parole. Donc c’est maintenant qu’il faut rompre la glace du cœur ; c’est une glace en réalité que ce souvenir qui refroidit, qui engourdit l’âme, après une injure qu’on ne veut pas oublier. Mais invoquons le soleil de justice ; demandons-lui de nous envoyer ses rayons ; au lieu d’une dure glace, il n’y aura plus en nous qu’une onde rafraîchissante. Une fois réchauffée au soleil de justice, notre âme n’aura plus en elle rien de dur, de raboteux ni de sec, rien de ce qui ne sert qu’à brûler, sans porter aucun fruit ; on n’y trouvera plus que des fruits mûrs, doux et suaves, des sources abondantes de plaisir et de joie. Aimons-nous les uns les autres, ce rayon viendra sur nous. Accordez-moi, je vous en conjure, ce qui m’est nécessaire pour que mon discours soit un transport d’allégresse faites que j’entende dire qu’il ne vous aura pas été tout à fait inutile ; qu’un de vous, au sortir de l’église, a serré bien vite les deux mains de son ennemi, s’est jeté à son cou, l’a embrassé, pressé contre son cœur, l’a couvert de ses caresses et de ses larmes. Serait-ce une bête féroce, une pierre, tout ce que vous voudrez, votre bonté l’adoucira. Car enfin pourquoi un tel est-il votre ennemi ? Parce qu’il vous a outragé ? Mais il ne vous a fait aucun mal. Mais voilà, c’est par des considérations empruntées à l’argent, que vous dédaignez ce frère, qui est votre ennemi ? Non, jamais cela, je vous en conjure. Rompons tous nos liens. Nous avons l’occasion dans nos mains, sachons en faire un bon usage. Coupons les cordages qui nous attachent au péché ; avant de partir d’ici pour le jugement, jugeons-nous réciproquement nous-mêmes. « Que le soleil », dit l’apôtre, « ne se couche point sur votre colère ». (Eph 4,26) Pas de délai. Les délais ne font qu’engendrer, à l’infini, les ajournements. Différer aujourd’hui, c’est ajouter à votre confusion ; hésiter demain, c’est vous apprêter plus de honte encore ; reculer après-demain, c’est vouloir encore plus de rougeur sur son front. Ne nous déshonorons pas nous-mêmes ; pardonnons afin qu’il nous soit pardonné. Si nous recevons notre pardon, nous obtiendrons les biens du ciel, en Jésus-Christ Notre-Seigneur, à qui appartient, comme au Père, comme au Saint-Esprit, la gloire, la puissance, l’honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.