1 Thessalonians 4
HOMÉLIE V.
AU RESTE, MES FRÈRES, NOUS VOUS DEMANDONS, ET NOUS VOUS CONJURONS, EN NOTRE-SEIGNEUR JÉSUS, QU’APRÈS AVOIR APPRIS DE NOUS COMMENT VOUS DEVEZ MARCHER, POUR PLAIRE À DIEU, VOUS AVANCIEZ DE PLUS EN PLUS. CAR VOUS SAVEZ QUELS PRÉCEPTES NOUS VOUS AVONS DONNÉS, DE LA PART DE NOTRE-SEIGNEUR JÉSUS-CHRIST. CAR LA VOLONTÉ DE DIEU, C’EST VOTRE SANCTIFICATION. (CHAP. 4,1-3 JUSQU’AU VERSET 8)
Analyse.
- 1. Ce n’est pas en leur propre nom, mais au nom du Seigneur que les apôtres exhortent les fidèles. – La vertu parfaite ne consiste pas seulement à éviter le mal, il faut, de plus, faire le bien. – De la sanctification.
- 2. Contre la fornication. Combien l’adultère est détestable. – C’est un outrage à Dieu même. – Des différentes espèces d’adultères, surtout en ce qui concerne la conduite des hommes.
- 3. Il convient de marier les jeunes gens de banne heure. – Contre les habitudes licencieuses que contracte la jeunesse. – Précautions de saint Jean Chrysostome quand il parle sur l’impureté ! – De la pudeur qui s’alarme des mots, et non des choses.
- 4. Contre les spectacles lascifs, et tout ce qui porte à l’impudicité. – Contre la mollesse, la lâcheté, qui s’oppose à la volonté, à la correction des mœurs.
1. Après avoir insisté sur ce qui était urgent, dans le moment, il passe aux affaires éternelles, aux vérités qu’il faut toujours entendre ; il annonce la suite de son discours par cette expression, « au reste », ce qui veut dire, et toujours, et continuellement nous vous demandons, et nous vous conjurons en Notre-Seigneur. Eh quoi ! il ne se croit pas assez d’autorité pour conjurer les fidèles, en son propre nom ; et cependant qui avait autant d’autorité que lui ? Il s’adjoint le Christ. C’est au nom de Dieu que nous vous conjurons, dit-il. Car c’est là le sens de cette expression : « En Notre-Seigneur ». C’est ainsi qu’il disait aux Corinthiens : « C’est Dieu même qui vous exhorte par notre bouche ». (2Co 5,20) « Qu’après avoir appris de nous ». Le, « Après avoir appris », ne suppose pas seulement l’instruction par les paroles, mais l’enseignement par les œuvres. Ces mots : « Comment vous devez marcher », embrassent toute la conduite de la vie. « Pour plaire à Dieu, vous avanciez de plus en plus » ; c’est-à-dire, vous montriez une vertu plus haute, vous ne vous renfermiez pas seulement dans la stricte observation des préceptes, mais vous les dépassiez, c’est là ce que veut dire, « vous avanciez de plus en plus ». Dans les passages qui précèdent, il admire la solidité de leur foi ; ici l’apôtre veut régler leur vie. En effet, c est une marque de progrès que d’aller jusqu’à dépasser les préceptes et les commandements ; car alors ce n’est plus seulement la nécessité doctrinale, c’est le libre mouvement de la volonté qui détermine toutes les actions. La terre ne rend pas seulement ce qu’on y a semé ; il en est de même pour l’âme qui ne doit pas se borner à reproduire la semence qu’on y jette, mais la dépasser. Voyez-vous combien l’apôtre a raison de vouloir qu’on dépasse les préceptes ? Il y a, pour la vertu, deux moments : se détourner du mal, et faire le bien. Il ne suffit pas de s’écarter des vices, pour arriver à la vertu ; le chemin qui détourne du péché n’est que le commencement de la route qui conduit au bien ; il faut, pour parvenir, l’ardeur de la bonne volonté. La conduite, en ce qui concerne les vices à éviter, n’est, leur dit l’apôtre, que l’obéissance aux préceptes, et il a raison, car les mauvaises actions attirent les châtiments, mais on ne mérite pas d’être loué, parce que l’on n’en commet pas. Quant à la pratique de la vertu, comme ne se rien réserver de ses biens, toutes les œuvres de ce genre ne sont plus seulement, dit-il, des actions déterminées par les préceptes ; mais de ces œuvres l’Écriture dit : « Qui peut comprendre ceci, le comprenne ». (Mat 19,12) Il p a donc apparence que l’apôtre, après leur avoir donné, dans le temps, quelques préceptes avec beaucoup de circonspection et de tremblement, se propose, dans cette lettre, de rappeler à leur souvenir ce qui constitue la vraie piété. Voilà pourquoi il ne fait pas ici une exposition des préceptes ; il se contente de les leur rappeler. « Car vous savez », dit-il, « quels préceptes nous vous avons donnés, de la part de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Car la volonté de Dieu, c’est votre sanctification ». Et, remarquez, il n’est pas de pensée, dans toutes ses lettres, qu’il insinue d’une manière aussi pressante que celle-ci, ailleurs encore, il écrit : « Recherchez la paix avec tous, et la sanctification sans laquelle nul ne verra le Seigneur ». (Heb 12,14) il n’est pas étonnant que toutes ses lettres à ses disciples expriment cette pensée, puisqu’à Timothée même il écrit : « Conservez-vous pur vous-même ». (1Ti 5,22) Dans sa seconde épître aux Corinthiens, il disait : « Dans l’excès de la patience, dans les jeûnes, dans la pureté ». (2Co 5, 5-6) Partout on trouvera cette pensée, et dans l’épître aux Romains, et dans toutes les autres. C’est qu’en effet l’impureté est, pour tous, un mal pernicieux ; le porc, couvert de fange, répand l’infection partout sur son chemin, on ne voit plus, on ne sent plus que le fumier ; c’est l’image de la fornication ; il est difficile de se laver de cette souillure. Quand il arrive que des hommes, des hommes mariés se livrent à cette honte, quel excès dans le mal ! « Car la volonté de Dieu », dit-il, « c’est votre sanctification ; c’est que vous vous absteniez de toute fornication ». Il y a bien des espèces de dérèglements, bien des formes, des variétés de plaisirs, que le discours se refuse à exprimer. En disant, « de toute fornication », l’apôtre laisse le soin de comprendre, à ceux qui connaissent ces désordres. « Que chacun de vous sache maintenir son vase dans la sanctification et dans l’honneur, et non point en suivant les mouvements de la concupiscence, comme les païens qui ne connaissent point Dieu (4, 5) ». – « Que chacun de vous sache », dit-il, « maintenir son vase ». C’est qu’en effet c’est une œuvre qui suppose un grand savoir, que d’éviter le libertinage. Donc, nous maintenons notre vase, quand il reste pur et dans la sanctification ; mais quand il est impur, c’est que le péché le tient naturellement. Car ce n’est plus notre volonté que le corps accomplit, mais ce que le péché lui commande. « Non point en suivant les mouvements de la concupiscence », dit-il. Ici l’apôtre montre le moyen de pratiquer la tempérance, les mouvements de la concupiscence doivent être retranchés. C’est l’amour des plaisirs, la passion des richesses, l’indolence de l’âme, son inertie, ce sont tous les vices de ce genre qui nous portent à la concupiscence et aux dérèglements. « Comme les païens qui ne connaissent point Dieu ». Si telles sont leurs mœurs, c’est qu’ils ne s’attendent pas à voir le jour de l’expiation. « Que nul ne franchisse ses limites, ni n’augmente sa part, en cette affaire, aux dépens de son frère (6) ». 2. L’apôtre a bien raison de dire : « Que nul ne franchisse ses limites ». Dieu affecte, à chaque homme, une femme au plus ; il fixe des limites naturelles ; ce commerce n’admet qu’une seule femme. Le commerce avec une seconde est en dehors des limites, il y a vol, la part est démesurée. Disons mieux, il y a là un crime plus détestable que toute espèce de brigandage. Car nous éprouvons moins de douleur, quand on nous vole notre argent, ou notre or, que quand on brise le coffre-fort du bien conjugal. Vous appelez un homme votre frère, et vous augmentez votre part à ses dépens, et contre toute justice ? Ici, c’est de l’adultère qu’il parle ; plus haut, il avait en vue toute espèce de fornication. Au moment de dire, qu’on ne doit pas franchir ses limites qu’on ne doit pas augmenter sa part aux dépens de son frère, l’apôtre prévient une restriction ; n’allez pas croire, dit-il, que je ne pense qu’aux égards que vous devez à vos frères, il vous est également défendu de posséder les femmes des autres, et les femmes qui se trouvent non mariées, défendu d’avoir des femmes en commun. Toute espèce de fornication est interdite ; aussi ajoute-t-il : « Parce que le Seigneur est le vengeur de tous ces péchés ». Il leur a d’abord adressé une prière, il les a touchés par le sentiment de l’honneur, en disant : « Comme les païens » ; il entreprend ensuite de démontrer tout ce qu’il y a là de dérèglement ; c’est ce à quoi tend l’expression : « Ni n’augmente sa part, aux dépens de son frère ». Il ne reste plus qu’à dire le plus important, c’est ce que fait l’apôtre de cette manière : « Parce que le Seigneur est le vengeur de tous ces péchés, comme nous vous l’avons déjà déclaré et attesté ». En effet, nous ne commettrons pas impunément de pareilles actions, les plaisirs que nous goûterons ne compenseront pas les châtiments qui nous attendent. « Car Dieu ne nous a pas appelés pour être impurs, mais pour être saints (7) ». Après avoir dit : « Aux dépens de son frère », il ajoute que le Seigneur punit ces outrages ; pour montrer que, quoique la personne lésée soit infidèle, Dieu punit l’impudicité, il ajoute, de plus, cette dernière raison qui revient à ceci : Ce n’est pas pour venger l’infidèle, que Dieu vous punira, mais parce que c’est lui-même que vous avez outragé ; c’est lui qui vous a appelé, et vous avez outragé ce Dieu qui vous appelle. Voilà pourquoi l’apôtre continue ainsi : « Donc l’outrage n’est pas un outrage à un homme, mais au Dieu qui nous a donné son Saint-Esprit (8) ». Par conséquent, soit que vous corrompiez, dit-il, une reine, soit que vous outragiez votre servante mariée, le crime est égal. Pourquoi ? parce qu’il ne venge pas les personnes qui ont été outragées, c’est lui-même qu’il venge ; quant à vous, vous vous êtes également souillé, vous avez également outragé Dieu. Car, des deux côtés, il y a adultère, puisque, des deux côtés, il y a mariage. Dans le cas même où vous ne commettriez pas d’adultère, quand vous vous livrez à la débauche, quoique la courtisane n’ait pas de mari, peu importe, Dieu exerce également la vengeance, parce qu’il se venge lui-même. Car vous montrez moins de mépris pour la personne outragée que pour Dieu. Ce qui le prouve, c’est que, dans ces moments-là, vous vous cachez de l’homme que vous offensez, tandis que vous ne pouvez dire que Dieu ne vous voit pas. Répondez-moi : supposez un homme décoré de la pourpre par l’empereur, comblé d’honneurs par son souverain, un homme à qui sa dignité fait un devoir de mener une vie qui convienne à son rang, et cet homme s’en irait déshonorer une femme ; qui aurait-il outragé ? Cette femme ou l’empereur qui l’a fait ce qu’il est ? Sans doute cette femme aussi est outragée, mais quelle différence entre les outrages ! Aussi, je vous en conjure, gardons-nous de ces dérèglements. Nous punissons l’épouse qui habite avec nous et se livre à d’autres qu’à nous ; de même sommes-nous punis, nous aussi, non par les lois de Rome, mais par celles de Dieu. Car la débauche est un adultère. Il n’y a pas adultère seulement dans le cas d’une femme mariée, mais lorsque l’homme impudique est soumis au lien conjugal. Faites bien attention à mes paroles : je sais bien que mon discours est pénible à entendre pour le grand nombre, mais il est nécessaire pour que vous vous corrigiez. Ce qui constitue l’adultère, ce n’est pas seulement l’outrage que nous faisons à une femme mariée, mais quand nous nous adressons à une femme libre de tout engagement, et que nous sommes nous-mêmes liés à une femme, nous commettons un adultère. Pourquoi, puisque la femme impudique n’est pas enchaînée ? Mais vous êtes enchaîné, vous : vous avez transgressé la loi ; vous avez outragé votre propre chair. Car pourquoi, répondez-moi, punissez-vous la femme, dans le cas même où elle se livre à l’impudicité avec un homme libre de tout engagement, non marié ? C’est qu’il y a adultère. Cependant, l’homme impudique n’a pas de femme, mais c’est que la femme est enchaînée à un mari. Eh bien, vous, de votre côté, vous êtes enchaîné à une femme. De sorte que votre fait est également un adultère. « Quiconque aura », dit le Seigneur, « renvoyé sa femme, si ce n’est en cas d’impureté, la rend adultère ; et qui épouse la femme renvoyée, est adultère ». (Mat 5,32) Si l’homme qui épouse la femme renvoyée est adultère, n’est-il pas vrai que l’homme marié, qui se livre à une courtisane, est bien plus adultère encore ? Voilà, certes, une vérité évidente pour tout le monde. Que ces paroles vous suffisent, ô hommes car c’est pour de pareils dérèglements que le Christ dit : « Leur ver ne mourra point, leur feu ne s’éteindra point ». (Mrc 9,45) Mais maintenant il est nécessaire de vous parler, dans l’intérêt des jeunes gens ; ou plutôt ce n’est pas tant dans leur intérêt que dans le vôtre ; car ce n’est pas à eux, c’est à vous que conviennent de pareils discours ; comment cela ? Je m’explique : celui qui n’a pas appris à commettre l’adultère ne commet pas l’adultère ; mais celui qui se vautre avec des courtisanes, arrive bientôt à commettre l’adultère, quoiqu’il n’ait pas eu de commerce avec des femmes mariées, quoiqu’il n’ait pris d’infâmes habitudes qu’avec des femmes libres de tout engagement. 3. Quel est donc le conseil que je vous donne ? C’est d’extirper les racines du mal ; et, dans cette pensée, vous tous dont les fils sont des jeunes gens et qui voulez les lancer dans le monde, hâtez-vous de les soumettre au lien conjugal. La jeunesse est l’âge des passions qui troublent ; à l’époque qui précède le mariage, retenez vos fils par vos exhortations, vos menaces, des paroles qui inspirent la crainte, qui rappellent les promesses, par les mille moyens dont vous disposez. À l’époque du mariage, maintenant, pas de délai (voyez, je parle comme les femmes qui font les mariages), mariez vos enfants. Je ne rougis pas de tenir un pareil langage, puisque Paul n’a pas rougi de dire : « Ne vous refusez point l’un à l’autre ce devoir » (1Co 7,5), pensée qui semble, pour la pudeur, bien plus embarrassante que ce que je dis ; mais Paul n’a pas rougi. C’est que sa pensée ne s’arrêtait pas aux expressions, mais se portait sur les bonnes œuvres résultant des expressions employées par lui. Donc, une fois votre fils devenu grand, avant de le faire entrer dans la milice, dans toute autre profession, occupez-vous de son mariage. S’il s’aperçoit que vous ne perdez pas de temps pour lui trouver une épouse, si vous ne le faites pas attendre, il pourra triompher du feu qui le brûle ; mais s’il remarque votre nonchalance, vos lenteurs, les occasions manquées par vous, s’il comprend que vous tenez, avant de le marier, à ce qu’il ait de grands revenus, la longueur de l’attente lui fera perdre courage, et vous le verrez vite glisser dans le libertinage. Hélas, hélas ! la racine de tous les maux, ici encore, c’est l’avarice. Nul ne se soucie de la modestie, de la sagesse de son enfant, tous jettent sur l’or des regards avides, et voilà pourquoi nul ne s’applique à faire ce que je conseille ici. Je vous en prie, avant tout, réglez vos enfants. Le jour où votre fils s’approchera d’une jeune fille chaste, rien qu’à sa vue, il se sentira possédé d’un vif désir, d’une crainte de Dieu plus grande ; il y aura un vrai mariage, un mariage honorable, noble, l’union de corps purs que rien n’a souillés ; les enfants qui en sortiront seront comblés de toute espèce de bénédictions ; l’époux et l’épouse n’auront l’un pour l’autre que déférence ; ignorant des mœurs étrangères, ils ne connaîtront réciproquement qu’eux-mêmes pour se céder tout l’un à l’autre. Mais quand un jeune homme commence à prendre des leçons d’impudicité auprès des courtisanes, quand les désordres d’une vie honteuse sont devenus pour lui une habitude, le premier soir, le second soir encore il apprécie sa jeune épouse, mais bientôt il retombe dans l’infamie, il lui faut les éclats d’un rire dissolu et sans frein, les paroles que rien n’arrête, les attitudes lascives, toute l’ignominie que notre discours ne veut pas exprimer. La noble épouse ne supporte pas cette honte, elle ne se laisse pas profaner. Car si elle a été fiancée à un homme, c’est pour vivre en société avec lui, c’est pour lui donner des enfants, ce n’est pas pour être le honteux objet qui provoque des rires infâmes ; elle doit être la gardienne de sa maison, elle doit le former lui-même à l’honnêteté, elle n’est pas faite pour lui fournir un aliment de débauche. Quant à vous, je le sais bien, vous trouvez pleins de charmes les gestes des courtisanes ; l’Écriture aussi nous apprend que « le miel coule des lèvres de la courtisane » (Pro 5,3) ; et si je fais tant d’efforts, c’est pour que vous ne goûtiez pas à ce miel qui se change bien vite en amertume. C’est encore ce que dit l’Écriture : « Qui semble dans le moment verser un doux breuvage dans votre gosier, mais bientôt, vous trouvez un goût plus amer que le fiel, qui vous pénètre plus que la pointe d’une épée à deux tranchants ». (Id. 4) Que dites-vous ? Il faut que vous supportiez même l’immodestie pour ainsi dire, de ma parole, qui brave en ce moment la réserve et la pudeur. Ce n’est pas de gaîté de cœur que je tiens ce langage ; ceux qui ont, dans leur conduite, dépouillé toute pudeur, me forcent à parler. Nous voyons, dans l’Écriture, un grand nombre d’exemples qui me soutiennent. Ézéchiel, dans les reproches qu’il adresse à Jérusalem, emploie un grand nombre d’expressions dont il ne rougit pas, et il a raison ; il ne parle pas pour son plaisir, mais par intérêt pour ceux qui l’inquiètent. Quand ses expressions paraîtraient honteuses, ce n’est certes pas un but honteux qu’il poursuit, au contraire, la pensée la plus honnête l’inspire, il veut purifier les âmes ; il faut faire entendre les expressions mêmes des choses, pour que l’âme qui n’a plus de pudeur puisse retrouver ce qu’elle a perdu. Quand le médecin veut faire sortir du corps l’humeur qui le corrompt, il commence par mettre les doigts sur le siège du mal ; la main qui cherche la guérison doit commencer par se souiller, pour que la guérison soit possible. C’est ce que je fais en ce moment : si je ne commence pas par souiller ma bouche qui cherche à guérir votre mal, je ne pourrai pas vous guérir. Je me trompe, ni ma bouche ne se souille, ni les mains du médecin ne sont des mains souillées. Pourquoi ? C’est que l’impureté n’est pas dans notre nature, dans notre corps, de même que l’impureté ne sort pas des mains du médecin, mais d’ailleurs. Eh bien, si, pour sauver un corps étranger, le médecin ne refuse pas de plonger ses mains dans la pourriture, quand il s’agit de sauver notre propre corps, répondez-moi, pourrons-nous refuser ? Car vous êtes notre propre corps, ô vous à qui je m’adresse, corps malade et souillé, et pourtant notre corps. 4. Eh bien, qu’ai-je voulu vous dire, et à quoi tend toute cette exhortation ? Voici ce que je dis : le vêtement que porte votre esclave, vous ne voudriez pas le porter, ce vêtement immonde vous dégoûte, vous aimeriez mieux être nu que de vous en servir ; mais voilà un corps souillé, immonde, et ce n’est pas seulement à votre esclave qu’il sert, mais à des milliers d’autres, et vous vous en servirez, et vous ne serez pas dégoûté ? Vous rougissez d’entendre ces paroles ? Ah ! rougissez donc des actions, et non des paroles. Je passe toutes les autres infamies, les mœurs perverties, infâmes, la dégradation d’une existence servile, abominable pour un être libre. Vous approchez de la même femme, vous et votre esclave ; et encore, s’il n’y avait avec vous que votre serviteur, mais il y a aussi le bourreau. Vous ne supporteriez pas le contact des mains du bourreau ; et cette femme qui n’a fait qu’un corps avec lui, vous la pressez dans vos bras, vous la couvrez de vos baisers, et cela sans frissonner d’horreur ? sans honte ? sans remords ? sans crainte ? Je viens de dire à vos pères qu’ils doivent s’occuper promptement de vous marier ; mais vous n’en êtes pas moins, vous, exposés à tous les châtiments. S’il n’y avait pas un grand nombre d’autres jeunes gens plus sages que vous, des jeunes gens qui vivent dans la chasteté, s’il ne s’en était pas montré un grand nombre, et autrefois, et aujourd’hui encore, peut-être auriez-vous quelque excuse mais s’ils existent, quel moyen aurez-vous de prétendre que vous n’avez pas pu éteindre en vous la flamme de la concupiscence ? Ceux qui ont eu ce pouvoir vous condamnent, parce qu’ils ne sont pas d’une autre nature que vous. Écoutez ce que dit Paul : « Recherchez la paix et la sanctification sans laquelle nul ne verra le Seigneur ». (Heb 12,14) Ces menaces ne suffisent-elles pas pour vous remplir de terreur ? Vous voyez d’autres hommes, toujours chastes, toujours dignes de tous les respects, et vous, vous ne pouvez même pas rester pur pendant votre jeunesse ? Vous voyez d’autres hommes qui ont des milliers de fois triomphé du plaisir, et vous ne combattrez pas le plaisir une seule fois ? Voulez-vous que je vous donne l’explication de cette conduite ? Ce n’est pas la jeunesse qu’il faut accuser, car, à ce titre, tous les jeunes gens devraient être dissolus ; c’est nous-mêmes qui nous jetons dans le bûcher ardent. Quand vous allez au théâtre, quand vous y prenez place, pour – assouvir vos regards de la nudité des femmes, vous goûtez un moment de plaisir, et vous revenez dévoré par la fièvre. Quand vous voyez des femmes qui posent pour montrer leurs formes, quand les yeux et les oreilles ne sont frappés que d’infâmes amours, une telle, dit l’un, aimait un tel et ne l’a pas obtenu, elle s’est pendue, ajoutez à cela les affreux commerces où des mères se perdent avec leurs enfants ; quand vous entendez ces choses, que des femmes, que des gestes abominables, et ce n’est pas tout, que des vieillards vous enseignent (des vieillards, des hommes se mettent des masques et jouent des rôles de femmes), je vous le demande, répondez-moi, que devient désormais votre chasteté, avec de pareils entretiens, de pareils spectacles, de pareils bourdonnements autour de votre âme, de pareils songes qui occupent ensuite vos nuits ? L’âme naturellement se représente surtout alors ce qui a charmé pendant le jour ses désirs et ses goûts. Donc, quand vous voyez là des choses honteuses, quand vous entendez des discours plus honteux encore, quand vous recevez tant de blessures, quand vous n’y appliquez pas de remèdes, quel moyen que la corruption ne s’étende pas ? Quel moyen que la maladie n’empire pas, et cela bien plus vite que pour les plaies qui affligent nos corps ? Si nous voulions, bien plus facile que la guérison du corps serait celle de notre volonté malade. Car, pour le corps, il faut et des remèdes, et des médecins, et du temps ; pour l’âme, la volonté suffit, et aussitôt elle est bonne ou mauvaise. Car c’est de la volonté qu’est venue la maladie. Quand nous nous plaisons à accumuler sur nous ce qui nous perd, quand nous ne tenons aucun compte de ce qui nous est salutaire, d’où peut nous venir la santé ? Voilà pourquoi Paul disait : « Comme les païens, qui ne connaissent point Dieu ». Soyons donc saisis et de honte et de crainte à voir que les païens, qui ne connaissent point Dieu, pratiquent souvent la chasteté, la continence ; soyons confus d’être pires qu’eux. Il nous est facile de pratiquer la continence, nous n’avons qu’à le vouloir ; nous n’avons qu’à nous détourner de ce qui nous perd ; à vrai dire, il n’est pas facile de fuir l’impureté, si nous ne voulons pas la fuir. Qu’y a-t-il de plus facile que de se rendre à pied sur la place publique ? mais grâce à notre insigne mollesse, voilà qui est devenu chose difficile, non pour les femmes seulement, mais, à l’heure où je vous parle, même pour les hommes. Qu’y a-t-il de plus facile que de dormir ? Or, voilà ce que nous avons trouvé moyen de rendre encore difficile. Grand nombre de riches se tournent et retournent inutilement toute la nuit, parce qu’ils ne savent pas attendre, pour dormir, qu’ils aient besoin de dormir. Enfin, il n’y a rien de difficile, quand on veut, de même qu’il n’y a rien de facile, quand on ne veut pas ; car tout dépend de nous. Voilà pourquoi l’Écriture dit encore : « Si vous voulez m’écouter », et encore : « Si vous ne voulez pas m’écouter ». (Is, 1,19) Donc, tout se réduit à vouloir, à ne pas vouloir. Voilà ce qui fait que nous sommes châtiés, que nous sommes loués. Puissions-nous être du nombre de ceux qui sont loués, et obtenir les biens que nous annoncent les promesses, par la grâce et par la bonté, etc. HOMÉLIE VI.
QUANT À CE QUI REGARDE LA CHARITÉ FRATERNELLE, NOUS N’AVONS PAS BESOIN DE VOUS ÉCRIRE SUR CE SUJET, PUISQUE DIEU VOUS A APPRIS LUI-MÊME À VOUS AIMER LES UNS LES AUTRES ; ET, VRAIMENT, C’EST CE QUE VOUS PRATIQUEZ À L’ÉGARD DE TOUS NOS FRÈRES, QUI SONT DANS TOUTE LA MACÉDOINE. (IV, 9-11) Analyse.
- 1. De la nécessité de la charité. – Contre l’oisiveté. – Celui qui travaille, donne aux autres. – Il vaut mieux donner que recevoir. – Le travail, remède à la pauvreté ; la foi en la résurrection, remède à la tristesse.
- 2. Contre le désespoir où se laissent aller, devant la mort ceux qui croient en la résurrection. – Spécialement contre la douleur exagérée des veuves. – Sur les veuves inconsolables convolant à de secondes noces.
- 3. La longue vie, dans les premiers temps du monde, était la récompense de la foi des patriarches. – Longue vie d’Abraham et de Sara. – Ne pas irriter Dieu ; il y a de la prudence à l’aimer par-dessus tout. – Explication de la fermeté de Job. – Quand Dieu nous comble de ses bienfaits, ils sont absolument gratuits, nullement mérités par nous.
- 4. Devoir des veuves, élever leurs enfants. – Bonheur du ciel ; les coursiers, là haut, sont les nuages. – Gloire des élus.
1. Pourquoi, après des discours si pressants sur la modestie et la sagesse, au moment de leur parler des œuvres à accomplir, au moment de leur prouver qu’il ne faut pas s’affliger du départ de ceux qui nous sont chers, pourquoi ne parle-t-il qu’en passant du principe de tous les biens, de la charité ? « Nous n’avons pas besoin », dit-il, « de vous écrire ». Il y a là une grande preuve d’intelligence et d’habileté dans l’enseignement spirituel. Il fait ici deux choses : il montre que la charité est tellement nécessaire, qu’elle n’a pas même besoin d’être enseignée, car les vérités d’une grande importance éclatent aux yeux de tous ; ensuite il les touche plus vivement en leur parlant ainsi, que s’il leur adressait une exhortation. Celui qui, par la considération que vous avez fait votre devoir, se dispense de vous exhorter, supposé que vous ne l’ayez pas rempli, vous excite plus fortement à l’accomplir. Et maintenant, voyez, il ne parle pas de la charité envers tous, mais de la charité envers ses frères. « Nous n’avons pas besoin de vous écrire ». Il fallait donc se taire, ne rien dire, puisqu’il n’en était pas besoin. Mais, en disant : Il n’est pas besoin, il dit plus que s’il faisait un discours en règle : « Puisque Dieu vous a appris lui-même ». Voyez quel honneur il leur fait : il leur donne Dieu lui-même pour maître. Il n’est pas nécessaire, dit-il, qu’un homme vous instruise. C’est ce que dit encore le Prophète : « Dieu leur apprendra à tous ». – « Puisque Dieu vous a appris lui-même », dit-il, « à vous aimer les uns les autres, et, vraiment, c’est ce que vous pratiquez à l’égard de tous nos frères, qui sont dans toute là Macédoine », et à l’égard de tous les autres, dit-il. Ce sont là des paroles tout à fait pressantes, pour les porter à cette conduite. Ce n’est pas sans y penser que je vous dis que Dieu vous a instruits lui-même ; je le vois bien, aux œuvres que vous faites ; et, à l’appui de ces paroles, il cite un grand nombre de témoignages. « Nous vous exhortons, mes frères, à vous avancer de plus en plus dans cet amour, à vous étudier, à vivre en repos, à vous appliquer chacun à ce que vous avez à faire, à travailler de vos propres mains, ainsi que nous vous l’avons ordonné, afin que vous vous conduisiez honnêtement envers ceux qui sont hors de l’Église, et que vous vous mettiez en état de n’avoir besoin de personne ». Il leur montre ici combien de maux résultent de l’oisiveté ; de combien de vertus le travail est la source. Vérité qu’il met hors de contestation, par des exemples pris des choses qui nous entourent, comme il le fait dans un grand nombre de passages ; l’apôtre a grande raison de procéder ainsi : car, pour le commun des hommes, les choses sensibles sont plus éloquentes que les choses spirituelles. Le propre de la charité envers le prochain, ce n’est pas de recevoir, mais de donner. Et maintenant, voyez la sagesse de l’apôtre ; au moment d’adresser aux fidèles une prière, des avertissements, il s’arrête, il établit simplement la règle de la vertu parfaite ; il veut laisser aux fidèles un moment pour respirer, après ses premiers avertissements ; il veut qu’ils puissent se remettre de ses menaces. On l’a entendu dire : « Donc l’outrage n’est pas un outrage à un homme, mais à Dieu ». Une raison si forte ne souffre pas qu’on regimbe contre le précepte. Or, maintenant, l’effet du travail c’est que l’homme actif ni ne reçoit rien des autres, ni ne languit dans l’oisiveté. Celui qui travaille, donne aux autres : « C’est un plus grand bonheur », est-il dit, « de donner que de recevoir ». (Act 20,35) « A travailler », dit-il, « de vos propres « mains » ; où sont ceux qui veulent voir ici une œuvre spirituelle ? Comprenez-vous comment le texte enlève à cette explication toute vraisemblance, par ces mots : « De vos propres mains ? » Est-ce qu’on jeûne avec les mains ? Est-ce qu’elles servent à veiller, à coucher sur la dure ? Nul ne peut le soutenir. Mais il parle d’un travail spirituel ; c’est en effet une œuvre spirituelle que de travailler pour fournir aux besoins des autres, et rien ne vaut ce travail. « Afin que vous vous conduisiez honnêtement ». Voyez sa manière de les toucher : il ne dit pas : De peur que vous ne vous déshonoriez en mendiant, mais il exprime implicitement cette pensée, d’une manière douce, de manière à piquer sans être blessant. Car, si les fidèles qui sont avec nous, se scandalisent de cette mendicité, à plus forte raison les étrangers trouvent-ils mille sujets d’accusations et de reproches, à la vue d’un homme sain de corps, pouvant se suffire à lui-même, et qui mendie, et qui a besoin des autres. Aussi nous appellent-ils d’un nom qui signifie « marchands du Christ. Voilà comment », dit-il ailleurs, « le nom de Dieu est blasphémé ». (Rom 2,24) Mais ici, rien de pareil. Il leur parle de ce qui pouvait le plus les toucher de la honte d’une pareille conduite. « Or, nous ne voulons pas, mes frères, que vous ignoriez ce que vous devez savoir, touchant ceux qui dorment du sommeil de la mort, afin que vous ne vous attristiez pas, comme font les autres hommes qui n’ont point d’espérance (12) ». 2. Les deux plus grandes causes des troubles de leurs pensées, c’étaient la pauvreté, et un chagrin porté au découragement, raisons de trouble aussi pour le reste des hommes. Voyez comment s’y prend l’apôtre, pour guérir ces blessures. La pauvreté leur venait de ce qu’on leur avait enlevé leurs biens ; or, s’il donne à ceux qui se sont vu ravir leurs biens à cause du Christ, le conseil de gagner leur vie par le travail, à plus forte raison le donne-t-il aux autres hommes. On leur avait enlevé leurs biens ; c’est ce qui résulte de ces paroles : « Vous êtes devenus les imitateurs des Églises de Dieu, qui ont embrassé la foi de Jésus-Christ, dans la Judée ». (1Th 2,14) Comment cela ? c’est qu’en écrivant à ces Églises, il leur disait : « Vous avez vu avec joie tous vos biens pillés ». (Heb 10,14) Maintenant, dans le passage qui nous occupe, il parle de la résurrection. Quoi donc ? n’avait-il pas déjà discouru avec eux sur ce sujet ? sans doute ; mais il insinue ici un autre mystère. Quel est-il ? C’est que « nous, qui sommes vivants et qui sommes réservés », dit-il, « pour l’avènement du Seigneur, nous ne préviendrons point ceux qui sont dans le sommeil de la mort (14) ». La résurrection suffit pour consoler celui que tourmente la douleur ; il suffit aussi de ce qu’il dit en ce moment pour confirmer la foi en la résurrection. Reprenons donc, et disons comme lui : « Or, nous ne voulons pas, mes frères, que vous ignoriez ce que vous devez savoir, touchant ceux qui dorment du sommeil de la mort, afin que vous ne vous attristiez pas, comme font les autres hommes, qui n’ont point d’espérance ». Voyez ici quelle douceur de langage ; il ne leur dit pas : Êtes-vous assez privés de raison, comme aux Galates (Gal 3,3), assez insensés, vous, qui connaissez la résurrection, pour succomber à la douleur comme les incrédules ? Il leur dit, avec une parfaite douceur : « Je ne veux pas » ; montrant d’ailleurs qu’il respecte leur vertu. Et il ne dit pas, touchant ceux qui sont morts, mais, dès ses premières paroles, il pose le fondement de la consolation. Se frapper la poitrine, au trépas de ceux qui ne sont plus, ce n’est pas là, assurément, une conduite digne de ceux qui espèrent ; sans doute l’âme qui ne sait rien de la résurrection, qui prend, cette mort pour une mort, a raison de guérir, de se lamenter sur ceux qui ont péri, de se livrer à une insupportable douleur ; mais toi qui attends la résurrection, pourquoi te lamentes-tu ? Le deuil ne convient qu’à ceux qui n’ont pas d’espérance. Écoutez, ô femmes ; vous toutes qui aimez les gémissements, vous toutes qui vous livrez au deuil outre mesure, vous faites ce que font les gentils. Si le deuil, au moment du départ de ceux qui ne sont plus, est le propre des gentils, que dirons-nous de ceux qui se frappent la poitrine, qui se déchirent les joues ? Quel nom leur donner, répondez-moi ? D’où viennent vos lamentations, si vous croyez que le mort ressuscitera, si vous croyez qu’il n’est pas mort, si vous croyez qu’il n’y a là qu’un assoupissement et un sommeil ? Mais, me répond-on, les habitudes si cruellement changées, un appui que l’on perd, un surveillant, un protecteur, tant de services précieux ravis à la fois ! Quand vous perdez un fils, avant l’âge, incapable jusqu’à ce jour de rien faire pour vous, pourquoi vos lamentations, pourquoi vos regrets ? C’est, dit-on, qu’il montrait de belles espérances, et je croyais qu’il prendrait soin de moi. Et voilà pourquoi je regrette mon mari ; pourquoi, mon fils ; pourquoi je me frappe la poitrine ; pourquoi je gémis ; je crois en la résurrection, mais je suis abandonnée, sans secours ; j’ai perdu mon protecteur, celui qui habitait avec moi, dont la vie était liée à la mienne, celui qui me consolait ; de là mon deuil ; je sais bien qu’il ressuscitera, mais je ne puis, en attendant, supporter la séparation ; une multitude d’affaires tourbillonnent sur moi ; je suis exposée à tous ceux qui veulent me nuire ; mes serviteurs, qui me craignaient auparavant, aujourd’hui me méprisent et m’insultent ; celui que mon époux a bien traité, a oublié aujourd’hui ses bienfaits ; mais celui qui a souffert de lui quelque rigueur, garde rancune à l’homme qui n’est plus, et tourne contre moi sa colère. C’est ce qui fait que je ne supporte pas mon veuvage, que mon deuil ne saurait être paisible, et voilà pourquoi je me frappe la poitrine, voilà pourquoi je me lamente. Comment donc nous y prendre pour consoler ces femmes ? Que leur dire ? Comment bannir, loin d’elles, le chagrin ? D’abord, j’essaierai de leur prouver que ce ne sont pas là des paroles qui expriment la douleur ; que c’est le langage de tout ce qu’il y a, en réalité, de plus déraisonnable dans la passion. En effet, si vous avez de la douleur pour ce que vous dites, il faudrait pleurer toujours celui qui est parti ; si, au contraire, au bout d’un an, vous l’avez aussi bien oublié que s’il n’avait jamais existé, ce qui vous fait pleurer, ce n’est pas celui qui n’est plus, ni sa tutelle que vous avez perdue ; mais c’est la séparation qui vous est insupportable ; et vous ne pouvez vous résigner à voir vos relations rompues. – Eh bien ! que diront celles qui convolent à de secondes noces ? assurément ce n’est pas le premier mariage qu’elles regrettent ; mais laissons-les, ne nous adressons qu’à celles dont la douleur est fidèle à ceux qui, ne sont plus. Pourquoi pleurez-vous votre enfant ? Pourquoi pleurez-vous votre mari ? C’est que je n’ai pas joui de l’un ; c’est que je m’attendais à jouir de l’autre plus longtemps. Je vous le demande, quel manque de foi que de penser qu’un mari, qu’un enfant puisse vous assurer un bonheur qui ne vous serait pas assuré par Dieu ? Comment ne voyez-vous pas que c’est Dieu que vous irritez ? Si le Seigneur vous prend ces objets de votre tendresse, souvent c’est pour que vous ne vous y attachiez pas, en renonçant aux espérances d’en haut ; car le Seigneur est un Dieu jaloux, et ce qu’il veut surtout de nous, c’est notre amour, et cela parce qu’il est pour nous plein d’amour. Vous savez bien comment se comporte l’amour ardent ; celui qui aime, est jaloux jusqu’à mieux aimer perdre la vie, que de se voir préférer un rival ; et voilà pourquoi Dieu vous a pris votre mari ou votre enfant ; c’est à cause de ces paroles que vous avez prononcées. 3. Expliquez-moi, en effet, pourquoi, dans les anciens temps, il n’y avait ni veuvage, ni perte prématurée ; pourquoi Abraham et Isaac vécurent si longtemps ; c’est parce que Isaac, étant plein de vie, Abraham lui préféra Dieu. En effet, Dieu lui dit : Va me l’immoler. Et Abraham immola son fils. Pourquoi Sara atteignit-elle une si longue vieillesse ? C’est parce que Sara étant pleine de vie, Abraham écouta Dieu plus que Sara ; aussi Dieu lui disait : « Écoute Sara ton épouse ». (Gen 21,12). Ni l’amour pour un mari, ni l’amour pour une femme, ni l’intérêt pour un enfant, n’excitait alors la colère de Dieu. Mais aujourd’hui que nous sommes penchés vers la terre et tout à fait déchus, maris, nous aimons nos femmes plus que Dieu ; femmes, nous nous attachons à nos maris plus qu’à Dieu ; et alors Dieu, malgré nous, nous rappelle à son amour. N’aime pas ton mari plus que Dieu, et tu ne sentiras jamais le veuvage ; je dis plus, supposé que tu sois veuve, tu ne sentiras pas ton état. Pourquoi ? c’est que tu as pour défenseur un ami plus tendre, un protecteur immortel. Si tu aimes Dieu plus que tout, ne pleure pas ; car celui que tu aimes plus que tout, est immortel, et il ne permet pas que tu sois sensible à la perte du moins aimé. Un exemple vous prouvera cette vérité ; répondez-moi, vous avez un mari, qui fait tout au gré de vos désirs ; la considération l’entoure ; il répand la gloire tout autour de vous ; il chasse loin de vous tous les mépris ; c’est un homme fameux auprès de tous, plein de sagesse, d’habileté, d’amour pour vous ; vous êtes heureuse par lui ; il vous donne un fils, et ce fils, avant l’âge, s’en va ; est-ce que vous sentirez le deuil ? nullement. Celui qui est plus aimé, rend la perte moins sensible. Eh bien, maintenant, si vous avez plus d’amour pour Dieu que pour votre mari, Dieu ne vous l’enlèvera pas aussi vite ; s’il vous l’enlève, vous n’en ressentirez pas le deuil ; voilà pourquoi le bienheureux Job n’a pas éprouvé une douleur trop amère en apprenant, coup sur coup, la mort de ses enfants ; il aimait Dieu plus que ses fils. L’objet aimé étant plein de vie, ses pertes n’étaient pas faites pour l’abattre. Que dis-tu, ô femme, ton mari et ton fils te défendaient et veillaient sur toi, et Dieu te traite avec rigueur ? Ce mari, qui te l’a donné ? N’est-ce pas Dieu ? Et toi-même, qui est-ce qui t’a faite ? N’est-ce pas Dieu ? Tu n’étais pas, et il t’a donné l’être ; et il a mis en toi une âme ; et il t’a douée de pensées ; et il a daigné se faire connaître à toi ; et, à cause de toi, il a traité avec rigueur son Fils unique ; et tu dis que c’est toi qu’il traite avec rigueur ; et tu dis que celui qui est esclave comme toi, a pour toi moins de rigueur ? Quelle colère n’excitent pas de telles paroles ? Qu’as-tu reçu, quel pareil bienfait as-tu éprouvé de la part de ton mari ? Tu ne saurais le dire. Si quelquefois il t’a traitée avec bienveillance, sa bienveillance était provoquée par la tienne qui avait commencé. Mais à propos de Dieu, ce langage est impossible ; quand Dieu nous comble de ses bienfaits, ce n’est pas pour répondre aux nôtres, il n’a besoin de personne, il n’écoute que sa seule bonté, pour faire du bien aux hommes ; il t’a promis le royaume du ciel, il t’a donné la vie immortelle, la gloire, la fraternité, l’adoption des enfants de Dieu ; il t’a faite cohéritière de son Fils unique ; et toi, après tant de bienfaits, tu penses encore à ton mari ? De quels dons t’a-t-il gratifiée, qui ressemblent à ces dons ? Le Seigneur a fait lever pour toi son soleil, et il t’a envoyé la pluie ; il te nourrit des fruits des saisons ; malheur à notre ingratitude. Il te prend ton mari pour que tu n’y attaches pas toute ton âme, et toi, tu t’obstines à poursuivre celui qui est parti ; et tu renonces à Dieu quand tu devrais le bénir, quand tu devrais te jeter tout entière dans ses bras ; car enfin, qu’as-tu reçu de ton mari ? Les douleurs de l’enfantement, les fatigues, les outrages, et souvent les querelles, et les reproches, et les paroles d’indignation. N’est-ce pas là ce qu’il faut attendre des maris ? Mais il y a aussi, me répond cette femme, d’autres présents bien doux. Quels sont-ils ? Il m’a revêtue de vêtements somptueux, il a couvert d’or mon visage, il m’a faite considérable pour tous. Eh bien, si vous voulez, Dieu vous donnera un ornement bien plus riche, car l’or est mie parure moins splendide que l’honnêteté. Notre Roi a aussi des vêtements qui ne ressemblent pas à ceux de la terre, qui sont bien plus riches ; il ne tient qu’à vous de les revêtir. Quels sont-ils ? Des vêtements brochés d’or ; vous n’avez qu’à vouloir, pour en revêtir votre âme. Mais votre mari vous a rendue considérable parmi les hommes ; quelle merveille ! le veuvage vous a rendue respectable pour les démons. Autrefois, vous commandiez à vos serviteurs, je veux bien dire que vous leur commandiez ; aujourd’hui vous avez pour serviteurs, soumis à votre empire, les puissances incorporelles, les principautés, les dominations, le prince de ce monde. Et maintenant, vous ne me parlez pas des chagrins qui vous tourmentaient avec votre mari ; si parfois vous aviez à craindre les magistrats, si parfois ; dans le voisinage, d’autres personnes étaient plus considérées que vous ; aujourd’hui, vous êtes affranchie de tous ces soucis, et de la terreur, et de la crainte. Mais voilà ce qui vous inquiète : qui les nourrira, ces enfants qui vous restent ? Le père des orphelins ; car qui vous les a donnés ? répondez-moi. N’entendez-vous pas le Christ dire dans l’Évangile : « La vie n’est-elle pas plus que la nourriture, et le corps plus que le vêtement ? » (Mat 6,25) 4. Voyez-vous que ces lamentations ne viennent pas d’une affection dont l’âme s’est fait une habitude, mais du manque de foi ? Mais les enfants n’ont plus une position si brillante, une fois que leur père est mort. Pourquoi ? Dieu est leur père, et leur position a cessé d’être brillante ? Combien vous en montrerai-je d’enfants élevés par des veuves, qui ont acquis de la considération ? Combien furent élevés par leur père, qui ont péri ? Car, si vous les élevez comme il convient, dès le premier âge, ils jouiront d’un plus grand bienfait que de la sollicitude paternelle. Et voilà la fonction des veuves, elles doivent élever leurs fils. Écoutez ce que dit saint Paul « Si elle a bien élevé ses enfants » ; et ailleurs « Elle se sauvera par les enfants qu’elle aura mis au monde » (l’apôtre ne dit pas par son mari) « s’ils persévèrent dans la foi, dans la charité, dans la sainteté et dans une vie bien réglée ». (1Ti 5,10 et 2, 15) Inspirez-leur la crainte de Dieu dès l’enfance, et il les gardera mieux que n’importe quel père ; ce sera là, pour eux, le mur indestructible. En effet, quand le gardien réside à l’intérieur, nous n’avons pas besoin des appuis du dehors ; si au contraire ce gardien manque, toutes les choses du dehors sont inutiles. Voilà ce qui leur tiendra lieu de richesse, de gloire, de parure ; voilà qui fera leur splendeur, non seulement sur la terre, mais dans les cieux. Ne regardez pas ceux qui ont des ceintures d’or, ceux que portent des coursiers, ceux qui brillent, dans les palais des rois, de l’éclat de leurs pères, ceux qui ont un cortège de serviteurs et de pédagogues. Voilà peut-être ce qui excite les lamentations des veuves sur leurs fils orphelins ; elles pensent, elles se disent : Si mon fils avait encore son père, il jouirait de toute cette félicité, tandis que maintenant le voilà abaissé, sans honneur ; nul n’a de considération pour lui. Bannis ces pensées, ô femme ; ouvre-toi les portes du ciel par les conceptions de ton esprit ; contemple la royauté d’en-haut, c’est là que le vrai roi réside ; considère ceux qui demeurent sur la terre : peuvent-ils être revêtus de plus de gloire que ton fils, élevé à ces hauteurs ? Gémis alors, si tu peux. S’il est sur la terre quelque gloire, il n’en faut tenir aucun compte ; tu peux te représenter ton fils comme un soldat du ciel, enrôlé dans cette sublime armée. Les soldats de là-haut ne montent pas des chevaux ; leurs coursiers sont les nuages ; ils ne se traînent pas sur la terre, ils volent dans le ciel ; ils n’ont pas des esclaves précédant leur marche, ce sont les anges (lui vont devant eux ; ils n’escortent pas un roi mortel, mais le Roi qui possède en propre l’immortalité, le Roi des rois, le Seigneur des seigneurs ; ils n’entourent pas leurs reins d’une ceinture vulgaire, mais d’une gloire ineffable ; et ils éclipsent les rois et tous ceux qu’on honore et qu’on estime ; car, dans cette résidence royale, on ne recherche ni trésors, ni noblesse, ni rien de pareil ; on ne recherche que la vertu ; et, avec elle, rien ne manque et l’on est au premier rang. Rien ne nous est difficile, si nous voulons être sages. Lève les yeux au ciel, et vois de combien ces hauteurs dominent le faîte des rois. Si, de ces rois supérieurs, les parvis sont tellement magnifiques, que les palais des rois de la terre ne sont plus que de la boue ; si l’un de nous peut mériter de voir de près, dans toutes ses parties, cette sublime demeure, quelle ne sera pas sa félicité ? « La veuve qui est vraiment veuve et abandonnée », dit l’apôtre, « espère en Dieu ». (1Ti 5,5) À qui adressé-je ces paroles ? Aux veuves qui ont des enfants, parce qu’elles sont de beaucoup plus considérables aux yeux de Dieu ; parce qu’elles ont une plus grande occasion de plaire à Dieu ; parce que tous leurs liens sont brisés ; parce qu’elles n’ont plus rien qui les retienne ; parce qu’elles n’ont plus de chaînes à traîner. Tu es séparée de ton mari, mais tu es unie à Dieu ; tu n’as plus de compagnon d’esclavage partageant son existence avec toi, partage ton existence avec le Seigneur. Lorsque tu pries, n’est-ce pas avec Dieu que tu t’entretiens ? réponds-moi. Lorsque tu fais la lecture, écoute sa voix qui te parle ; que te dit-il ? Des paroles bien plus désirables que les paroles d’un époux. Un époux, même quand il vous flatte, ne vous fait pas grand honneur ; ce n’est qu’un compagnon d’esclavage ; mais quand le Seigneur flatte sa servante, c’est alors que l’affection bienveillante est précieuse. Comment le Seigneur nous témoigne-t-il sa bonté ? Écoutez ses paroles : « Venez à moi, vous tous qui êtes fatigués et qui êtes chargés, et je vous soulagerai » ; et encore, il nous crie par le Prophète : « Une mère peut-elle oublier son enfant, et n’avoir point compassion du fils qu’elle a porté dans ses entrailles ; mais, quand même elle l’oublierait, pour moi, je ne vous oublierai jamais ». (Isa 49,15) Quelles paroles d’amour ! Et ailleurs : « Tournez-vous vers moi » ; et dans un autre passage encore : « Tourne-toi vers moi, et tu seras sauvé ». (Isa 4,5, 22 ; 44, 22) Si l’on veut recueillir, dans le Cantique des cantiques, d’autres expressions plus mystiques : « Ma colombe, mon unique beauté ». (Can 2,10) Voilà ce que dit le Seigneur à l’âme qu’il chérit. Quoi de plus doux que ces paroles ? Voyez-vous l’entretien de Dieu avec l’homme ? Eh quoi ? dites-moi ; ne voyez-vous pas combien de fils de ces femmes bienheureuses, sont partis, sont couchés dans les tombeaux ; combien de femmes ont souffert des douleurs plus cruelles, perdant leur mari, avant de perdre leurs enfants ? Élevons nos âmes, appliquons-les aux divines promesses, méditons-les, et aucun chagrin ne nous accablera, et nous passerons notre vie entière dans la joie spirituelle, et nous jouirons des biens de l’éternité. Puissions-nous tous les obtenir par la grâce et par la bonté, etc. HOMÉLIE VII.
JE NE VEUX PAS QUE VOUS IGNORIEZ, MES FRÈRES, CE QUE VOUS DEVEZ SAVOIR TOUCHANT CEUX QUI DORMENT DU SOMMEIL DE LA MORT, AFIN QUE VOUS NE VOUS ATTRISTIEZ PAS, COMME FONT LES AUTRES HOMMES, QUI N’ONT PAS L’ESPÉRANCE. (IV, 12 ET 13) Analyse.
- 1. Sur le dogme de la résurrection. – Le Christ a réellement revêtu notre chair ; autrement la résurrection n’a pas de sens. – Il faut distinguer la résurrection universelle, et la résurrection individuelle et particulière. (246)
- 2. Des objections qu’on opposait au dogme de la Résurrection. – Sur la métempsycose à diverses erreurs des Grecs. – Images naturelles pour faciliter la foi en la résurrection.
- 3. Nous ne savons rien de rien, nous ne comprenons rien ; rien n’est impossible à Dieu.
1. Bien des douleurs ne nous viennent que de notre ignorance, à ce point que si nous étions instruits, nous bannirions la tristesse. C’est ce que Paul fait voir par ces paroles : « Je ne veux pas que vous ignoriez, afin que vous ne vous attristiez pas, comme font les autres hommes, qui n’ont pas l’espérance ». Que leur défendez-vous d’ignorer ? Le dogme de la Résurrection, dit l’apôtre. Mais pourquoi ne leur dites-vous pas : Le châtiment réservé à qui ne connaît pas le dogme de la Résurrection ? C’est que c’était chose manifeste et avouée, et qu’à cette pensée du châtiment facile à sous-entendre, il en voulait ajouter une autre aussi très-profitable. Ils croyaient à la résurrection, ce qui ne les empêchait pas de se lamenter, de là les paroles de l’apôtre. Il ne tient pas le même langage aux incrédules, et à ceux dont il s’occupe ici : car évidemment ces derniers, puisqu’ils s’inquiétaient des temps, n’ignoraient pas le dogme. « Car si nous croyons », dit l’apôtre, « que Jésus est mort et ressuscité et vivant, nous devons croire aussi que Dieu amènera avec Jésus, ceux qui se seront endormis en lui (13) ». Où sont-ils ceux qui ne veulent pas que le Seigneur ait réellement pris notre chair ? Évidemment, s’il ne s’est pas incarné, il n’est pas mort ; mais, s’il n’est pas mort, il n’est pas ressuscité. Que deviennent les raisons que l’apôtre nous donne pour nous porter à la foi ? Faut-il n’y voir, comme font les contradicteurs, qu’une frivole imposture ? Car si la mort est le fait du péché, comme le Christ est sans péché, que deviennent les exhortations de l’apôtre ? Et maintenant pourquoi dit-il encore : « Comme font les autres hommes qui n’ont pas l’espérance ? » C’est comme s’il disait : Que pleurez-vous, ô hommes ? sur qui vous affligez-vous ? sur les pécheurs, ou simplement sur tous ceux qui meurent ? Et ceux qui n’espèrent pas en la résurrection, que pleurent-ils eux-mêmes, puisque tout est néant pour eux ? « Le premier-né », dit l’apôtre, « d’entre les morts » (Col 1,18), c’est-à-dire les prémices. Donc, puisqu’il y a des prémices, il faut qu’il y ait une suite. Maintenant voyez, l’apôtre s’abstient ici de raisonnements, parce qu’il s’adressait à des âmes bien disposées. Mais quand il écrit aux Corinthiens, il développe les preuves et il ajoute : « Insensés que vous êtes, ce que vous semez ne se vivifie-t-il pas ? » (1Co 15,36) Son langage d’aujourd’hui avec les Thessaloniciens, convient mieux, à la condition de s’adresser à des fidèles : les mêmes paroles, aux gentils, quelle efficacité auraient-elles pu avoir ? « Nous devons croire aussi », dit l’apôtre, « que Dieu amènera, avec Jésus, ceux qui se seront endormis en lui ». Encore, « ceux qui se seront endormis » ; il ne dit jamais, les morts. À propos du Christ, il lui a bien fallu dire « est mort », avant de dire qu’il est ressuscité ; mais ici : « Ceux qui se seront endormis en Jésus ». Ou il faut entendre, par ces paroles, ceux qui se sont endormis ayant la foi dans Jésus, ou l’apôtre déclare que Dieu, par le moyen de Jésus, réunira ceux qui se seront endormis, à savoir les fidèles. Ici les hérétiques prétendent qu’il s’agit de ceux qui ont reçu le baptême. Mais alors que signifie le : Nous devons croire « aussi ? » En effet, Jésus ne s’est pas endormi dans le baptême. Pourquoi donc l’apôtre dit-il : « Ceux qui se seront endormis ? » C’est qu’il ne parle pas d’une résurrection universelle, mais d’une résurrection particulière. « Dieu amènera, avec Jésus, ceux qui se seront endormis avec lui », dit l’apôtre, et c’est sa manière de parler dans un grand nombre d’endroits. « Ainsi nous vous déclarons, comme l’ayant appris du Seigneur, que nous, qui sommes vivants, et qui sommes réservés pour son avènement, nous ne préviendrons point ceux qui sont dans le sommeil (14) ». C’est en parlant des fidèles qu’il dit encore : « Ceux qui se seront endormis avec le Christ ». Ailleurs : « Les morts ressusciteront ». Ensuite, ce n’est plus seulement de la résurrection qu’il traite, mais, et de la résurrection, et du degré d’honneur au sein de la gloire. Tous jouiront de la résurrection, dit-il ; quant à la gloire, tous n’y participeront pas, mais ceux qui se seront endormis « avec le Christ ». Donc l’apôtre, jaloux de les consoler, ne les console pas seulement par la résurrection, mais par tous les honneurs qui les attendent, et par la brièveté du temps qui les en sépare ; ce qu’il fait, parce qu’ils connaissaient le dogme de la Résurrection. La preuve que c’est par tous ces honneurs qu’il les veut consoler, c’est la suite de ses paroles : « Et nous serons toujours avec le Seigneur, et nous serons ravis dans les nuages ». (1Co 15) Mais comment les fidèles se sont-ils endormis avec Jésus ? C’est-à-dire qu’ils possèdent le Christ en eux. Quant à cette expression, « amènera avec Jésus », c’est pour montrer qu’on les amène de tous les côtés. « Nous vous déclarons », dit l’Apôtre, « comme l’ayant appris du Seigneur ». Sur le point d’annoncer une vérité aussi étrange, il prend les précautions nécessaires pour opérer la persuasion : « Comme l’ayant appris du Seigneur », dit-il ; ce qui signifie, nous ne parlons pas de nous-mêmes ; nous vous disons ce que le Christ nous a enseigné : « Que nous qui sommes vivants, et qui sommes réservés pour son avènement, nous ne préviendrons point ceux qui sont dans le sommeil » : C’est ce qu’expriment ces paroles de la lettre aux Corinthiens : « En un moment, en un clin d’œil… » (Ibid), où l’apôtre assure la foi à la résurrection par la manière même dont elle doit s’accomplir. 2. C’est qu’aussi l’on objectait des difficultés naturelles ; alors l’apôtre montre qu’il est aussi facile à Dieu d’enlever les morts que les vivants. Quant à ce mot : « Nous », il ne l’applique pas à lui-même, car il ne devait pas vivre jusqu’à l’époque de la résurrection, mais il l’applique aux fidèles ; voilà pourquoi il ajoute : « Qui sommes réservés pour l’avènement du Seigneur, nous ne préviendrons pas ceux qui sont dans le sommeil ». C’est comme s’il disait : Ne créez pas des difficultés, lorsque vous entendez dire que les vivants d’alors ne préviendront pas les morts tombés en dissolution, en putréfaction, ceux qui sont morts depuis des milliers d’années ; c’est Dieu qui fait tout. Et, comme il lui est facile de faire comparaître ceux qui ont tous leurs membres, il lui est également facile de faire venir ceux qui sont décomposés. Mais il y a des personnes qui ne croient pas à ces choses, dans l’ignorance où elles sont de Dieu. Lequel, dites-moi, est le plus facile de faire venir du néant à l’existence, ou de ressusciter ce qui était décomposé ? Mais que disent les incrédules ? Un tel a souffert un naufrage, et il a été englouti, et, dans la chute qu’il a faite au fond de l’eau, de nombreux poissons l’ont reçu. Et chacun de ces poissons lui a mangé un membre ; et ensuite, de ces poissons mêmes, l’un a été pris dans un tel golfe, l’autre, dans tel autre, et celui-ci a été mangé par celui-là, et celui-là par un troisième. Et maintenant ceux qui ont mangé les poissons, par qui l’homme a été dévoré, ont péri ; les uns, dans telle contrée ; les autres, dans telle autre, et ces mangeurs de poissons ont été mangés des vers : dans cette confusion, dans cette dispersion, le moyen de croire à une résurrection ? Qui rassemblerait cette poussière ? À quoi tend ce discours, ô homme, et que signifie cet enchaînement de réflexions frivoles dans un problème inexplicable ? Car, répondez-moi, si cet homme n’était pas tombé dans la mer, si un poisson ne l’avait pas mangé ; si ce poisson n’avait pas été lui-même mangé par des hommes sans nombre ; si ce mort eût été déposé, après les funérailles ordinaires, dans un tombeau, à l’abri des vers, hors de toute atteinte nuisible, expliquez encore la résurrection, après la dissolution, expliquez la poussière et la cendre qui se rattachent, pour se coller ensemble ; expliquez d’où peut renaître la fleur de la vie dans un cadavre. N’y a-t-il pas là un mystère inexplicable ? Si ce sont des grecs qui nous opposent ces doutes, nos réponses seront interminables ; car enfin, n’ont-ils pas, au milieu d’eux, des penseurs qui donnent des âmes aux plantes, à des arbres, à des chiens ? Lequel est le plus facile, dites-moi, de reprendre possession de son corps, ou de revêtir un corps étranger ? Il en est d’autres qui parlent d’un feu qui consume tout, et qui croient à la résurrection des vêtements et des chaussures, et on ne les tourne pas en ridicule ; d’autres arrivent avec leurs atomes. Quant à ceux-là, nous n’avons rien à leur dire. Mais pour les fidèles, si toutefois il faut appeler fidèles ceux qui nous interrogent, nous leur dirons comme l’apôtre, que c’est de la corruption que vient toute vie, toute plante, tout germe. (1Co 15,36) Ne voyez-vous pas le figuier ? Quel tronc, que de souches et que de feuilles, de rameaux ; de bourgeons, de racines, qui se prolongent, qui s’entrelacent ; et cet arbre si grand, dont vous voyez la nature, naît de ce grain ; jeté de haut en bas, et qui se corrompt et qui meurt ; car, s’il ne devient pas poussière et dissolution, rien ne se fera. Expliquez-moi cet effet-; et la vigne, si belle à voir, et dont le fruit est si doux, sort de ce grain d’une forme si laide. Et enfin, répondez-moi, n’est-ce pas de l’eau seulement qui tombe d’en haut ; et comment cette eau, qui est une par sa nature, subit-elle de si nombreuses transformations ? Car voilà qui est bien plus merveilleux que la résurrection. Là même germe, même planté, même substance, une grande parenté ; ici, dans la pluie, une seule et même qualité, une seule et même nature ; comment donc subit-elle de si nombreux changements ? La vigne produit du vin, et non seulement du vin, mais, et des feuilles, et la sève. Et en effet, ce n’est pas seulement la grappe, mais tout le reste, tout ce qu’on voit dans la vigne, qui en tire sa nourriture. Et de même l’olivier produit, avec l’huile, tout ce qui sort de l’olivier ; et remarquez cette merveille : ici l’humide, là le sec ; ici le doux, là l’aigre ; ici l’astringent, là l’amer ; d’où viennent, répondez-moi, tant de changements ? Donnez-moi l’explication ; impossible à vous. Et maintenant, considérez-vous vous-mêmes, je vous en prie, car voilà un, sujet qui est plus près de vous. Cette première semence, comment se change-t-elle de manière à former des yeux, des oreilles, des mains, un cœur ? D’où lui viennent tant de formes qui la dessinent ? Ne voyez-vous pas, dans le corps, d’innombrables différences de figure, de grandeur, de qualité, de position, de puissance, d’harmonie ? Comment des nerfs, des veines, des chairs, des os, des membranes, des artères, des muscles, des cartilages et bien d’autres choses particulières, que les médecins connaissent et dont ils parlent d’une manière exacte, qui sont des attributs de notre nature, comment tout cela vient-il d’une seule et même semence ? Cette merveille ne vous semble-t-elle pas bien plus complexe, bien plus inexplicable ? Comment l’humide et le mou se réunissent-ils de manière à former ce qui est dur et froid, à former un os ? de manière à produire le chaud et l’humide, réunis dans le sang ? le froid et le mou, réunis dans le nerf ? le froid et l’humide, réunis dans l’artère ? D’où vient tout cela, répondez-moi ? D’où vient que vous ne doutez pas ? Ne voyez-vous pas, chaque jour, la résurrection et la mort dans l’écoulement des âges ? Où s’en est allée la jeunesse ? D’où est venue la vieillesse ? Et comment ce quia vieilli, ce qui ne peut pas se donner la jeunesse à soi-même, enfante-t-il, dans un autre, l’enfance, plus jeune que la jeunesse ? Que ce que l’on ne peut se donner à soi-même, on le donne à un autre ? 3. C’est ce que nous montrent et les arbres et les animaux. Pourtant, ce qu’on donne à un autre, on devrait d’abord se le donner à soi-même ; mais c’est là une exigence de la raison humaine : quand Dieu agit, il faut que tout cède. Si ces mystères sont inexplicables, à tel point qu’il n’est rien de plus inexplicable, je ne puis m’empêcher de penser aux insensés dont l’esprit se travaille sur la génération incorporelle du Fils. Nous portons, dans nos mains, des choses mille fois étudiées, que nul ne peut comprendre. Comment donc se travailler ainsi au sujet de cette génération ineffable, inexprimable, répondez-moi ? Ne faut-il pas que la pensée succombe à scruter de telles profondeurs ? À quels vertiges ne s’expose pas l’esprit qui veut fixer son regard sur ces mystères ? N’éprouvera-t-il pas un éblouissement à le rendre stupide ? Eh bien ! non, ces esprits sont incorrigibles ; ils ont la vigne, ils ont le figuier, dont ils ne peuvent rien dire, et les voilà, sur Dieu, qui se travaillent ; car enfin, répondez-moi, comment ce grain se résout-il en feuilles et en souches ? Comment produit-il ce qui n’était pas, ce qu’on ne voyait pas auparavant en lui ? Mais ce n’est pas, me répond-on, un effet du grain ; tout ce travail vient de la terre. Eh bien ! alors, comment, sans ce grain, la terre ne produit-elle rien d’elle-même ? Mais ne déraisonnons pas. Ni la terre, ni le grain ne produisent cet effet ; c’est l’œuvre du Seigneur, qui commande à la terre et aux semences. Aussi, tantôt sans aucune semence, tantôt avec des semences, il a produit tout ce qui reçoit la naissance : tantôt il s’est contenté de montrer sa puissance, comme quand il dit « Que la terre produise de l’herbe verte » (Gen 1,11) ; tantôt, il veut en nous montrant sa puissance, nous instruire, nous enseigner l’activité courageuse qui accepte les labeurs avec joie. Pourquoi ce discours ? Ce n’est pas sans dessein ; c’est pour réveiller notre foi à la résurrection. Quand il nous arrivera de vouloir tout comprendre par notre seule raison, si l’intelligence nous est refusée, il faut que nous sachions nous résigner avec douceur, il faut que nous sachions nous abstenir avec sagesse, réprimer nos pensées, nous réfugier dans cette croyance, qu’il n’est rien d’impossible à Dieu, rien pour lui de difficile. Donc, instruits de ces vérités, mettons un frein à nos pensées, ne franchissons pas nos limites, les bornes imposées à notre connaissance ; car, dit l’apôtre, « si quelqu’un se flatte de savoir quelque chose, il ne sait encore rien comme il faut le savoir ». (1Co 8,2) Je ne parle pas de Dieu, dit-il, mais de quelque chose que ce soit. Car, que voulez-vous savoir de la terre ? qu’en connaissez-vous, répondez-moi ? Sa mesure ? sa grandeur ? sa position ? sa substance ? le lieu qu’elle occupe ? où elle se tient ? sur quoi elle s’appuie ? sur tout cela vous serez toujours muet. Qu’elle est froide, sèche et noire, à la bonne heure ; mais en dire plus, impossible. Mais de la mer ? même embarras pour vous, difficultés inexplicables ; attendu que vous ne savez, ni où elle commence, ni où elle s’arrête ; sur quoi elle s’appuie ; qui en porte le fondement ; quel est son lieu ; si, après la mer, il y a un continent, ou de l’eau et de l’air ; et maintenant, des choses qu’elle renferme que savez-vous ? Et de l’air ? Et des éléments ? Jamais vous n’en pourrez rien dire ; je laisse ces sujets. Voulez-vous, parmi les plantes, prendre ce qu’il y a de moins considérable, ce gazon qui ne porte pas de fruit, que nous connaissons tous ; expliquez-m’en la naissance. N’a-t-il pas pour substance de l’eau, de la terre, du fumier ? D’où lui vient sa beauté, son admirable couleur ? et d’où vient que cette beauté se flétrit ? Ni la terre, ni l’eau n’ont produit cet ouvrage. Ne voyez-vous pas que partout c’est de la foi qu’il nous faut ? D’où vient que la terre produit ? D’où vient que la terre enfante ? répondez-moi. Impossible à vous ; apprenez, ô homme, par les choses d’en bas, par tout ce qu’elles contiennent, à ne pas scruter inutilement, curieusement le ciel. Et si encore vous ne scrutiez que le ciel, et non le Dieu du ciel ? Vous ne connaissez pas, répondez-moi, la terre dont vous êtes né, où vous prenez votre nourriture, où vous habitez, que vous foulez aux pieds, sans laquelle vous ne pouvez même pas respirer ; et, sur des choses si éloignées de vous, vous exercez votre curiosité ? Vraiment l’homme n’est que vanité. Et si l’on vous ordonnait de descendre au fond de l’abîme, de rechercher ce qu’il y a au fond de la mer, vous ne supporteriez pas un pareil ordre ; et quand personne ne vous y force, de vous-même, vous voulez embrasser l’abîme qu’il est impossible de sonder ? Cessez, je vous en conjure ; naviguons à la surface, ne nous mettons pas à nager dans les raisonnements ; la fatigue nous prendrait bien vite ; nous serions engloutis dans les ondes ; servons-nous des divines Écritures comme d’un navire ; déployons les voiles de la foi. Si nous montons sur ce navire-là, nous aurons pour pilote, la parole de Dieu : si au contraire nous nous jetons à la nage au milieu des raisonnements humains, plus d’espoir. Car, pour ceux qui voguent ainsi, où est le pilote ? Double danger, absence de navire, absence de pilote. Si la barque est en péril quand il n’y a pas de pilote, du moment qu’il n’y a ni pilote ni barque, quelle peut être l’espérance du salut ? Ne nous jetons pas dans un péril manifeste ; assurons notre marche en nous suspendant à l’ancre sacrée ; c’est ainsi que nous naviguerons jusqu’au port tranquille, avec une riche cargaison, et dans une pleine sécurité, et nous obtiendrons les biens réservés à ceux qui chérissent Dieu, dans le Christ Notre-Seigneur, auquel appartient, ainsi qu’au Père, etc. HOMÉLIE VIII.
AINSI NOUS VOUS DÉCLARONS, COMME L’AYANT APPRIS DU SEIGNEUR, QUE NOUS, QUI SOMMES VIVANTS, ET QUI SOMMES RÉSERVÉS POUR SON AVÈNEMENT, NOUS NE PRÉVIENDRONS POINT CEUX QUI SONT DANS LE SOMMEIL DE LA MORT ; CAR AUSSITÔT QUE LE SIGNAL AURA ÉTÉ DONNÉ PAR LA VOIX DE L’ARCHANGE, ET PAR LE SON DE LA TROMPETTE DE DIEU, LE SEIGNEUR LUI-MÊME DESCENDRA DU CIEL, ET CEUX QUI SERONT MORTS EN JÉSUS-CHRIST, RESSUSCITERONT D’ABORD ; PUIS, NOUS AUTRES, QUI SOMMES VIVANTS, ET QUI AURONS ÉTÉ RÉSERVÉS JUSQU’ALORS, NOUS SERONS EMPORTÉS AVEC EUX DANS LES NUÉES, POUR ALLER AU-DEVANT DU SEIGNEUR AU MILIEU DE L’AIR ; ET AINSI NOUS SERONS POUR JAMAIS AVEC LE SEIGNEUR. (CH. IV. 14, 15, 16, 17) Analyse.
- 1. Différence entre la manière des prophètes et celle de saint Paul, pour donner de l’autorité à leurs paroles. – De l’ordre des résurrections pour les morts des diverses époques, quand viendra le dernier jour. – Bonté de Dieu pour les hommes. – La résurrection, en un clin d’œil, effet de la divine puissance.
- 2. Description du jugement dernier. – Soyons saisis d’épouvante comme si le fait allait s’accomplir. – Il ne faut pas se faire une objection de la bonté de Dieu. – Preuves qu’il a données de sa juste colère. – Le déluge.
- 3. Sodome, Gomorrhe. – Contre le crime abominable de Sodome. – Les égarements de cette ville antique moins détestables que l’infamie présente. – Autre preuve de la colère de Dieu, Pharaon et son armée engloutis. – Punitions terribles infligées par Dieu, même à ceux qui croyaient en lui. – Ne nous rassurons pas, Dieu ne frappe pas toujours tout de suite. – Nous sommes plus coupables et nous avons moins d’excuses que les hommes d’autrefois.
- 4. Divers châtiments infligés au peuple de Dieu. – Pestes, guerres, captivités, famines en Palestine. – Châtiments individuels ; Caïn. – Autres exemples, Saül, Ananie et Saphire. – N’y a-t-il pas, sous nos yeux, des forfaits impunis, dont la punition est inévitable ? – Les sages, parmi les païens, admettent la nécessité des châtiments. – Utilité de pareilles méditations.
1. Les prophètes, pour montrer combien leurs paroles sont dignes de foi, se hâtent de commencer ainsi : « Vision qu’a vue Isaïe ». (Isa 1, 1) Autre exemple : « Paroles que le Seigneur a adressées à Jérémie » (Jérémie, 1, 2) Et encore : « Voilà ce que dit le Seigneur », et autres expressions semblables. Beaucoup de prophètes encore voient Dieu lui-même assis, autant qu’ils peuvent le voir, mais Paul, qui ne le voit pas assis, qui le porte en lui-même, qui entend le Christ parler, au lieu de dire : « Voilà ce que dit le Seigneur », s’exprimait de cette manière : « Est-ce que vous voulez éprouver la puissance de Jésus-Christ qui parle en nous ? » (2Co 13,3) Et encore : « Paul, apôtre de Jésus-Christ », montrant par là qu’il ne dit rien de lui-même ; car l’apôtre ne fait qu’annoncer la parole de Celui dont il est l’apôtre. Et encore : « Je crois que j’ai aussi l’esprit de Dieu ». (1Co 7,40) Tous ces discours lui étaient donc inspirés par l’Esprit ; quant à celui qu’il tient maintenant, il l’a entendu de Dieu lui-même ; ainsi ce qu’il disait aux vieillards d’Éphèse : « il y a plus de bonheur à donner qu’à recevoir » (Act 20,35), c’étaient des paroles qu’il avait entendues dans le secret. Voyons donc ce qu’il dit maintenant. « Ainsi nous vous déclarons, comme l’ayant appris du Seigneur, que nous qui sommes vivants et qui sommes réservés pour son avènement, nous ne préviendrons point ceux qui sont dans le sommeil de la mort ; car, aussitôt que le signal aura été donné par la voix de l’archange, et par le son de la trompette de Dieu, le Seigneur lui-même descendra du ciel ». C’est ce que le Christ en personne a dit : « Les puissances des cieux seront ébranlées ». (Mat 24,29) Mais pourquoi ? « Et par le son de la trompette ». Nous voyons la même circonstance sur le Sinaï ; nous y voyons aussi des anges. Mais maintenant, que signifie, dans ce passage : « La voix de l’archange ? » Nous nous rappelons les paroles à propos des vierges : « Levez-vous, voici venir l’Époux ». (Mat 25,6) Ou il exprime la même pensée, ou il prend une image de la cour impériale ; par analogie, les anges seront les ministres de la résurrection. Dieu, en effet, n’a qu’à dire : Que les morts ressuscitent, et la résurrection s’opère, non par la force des anges, mais par la seule énergie de sa parole. Comme si l’empereur donnait l’ordre de faire sortir des prisonniers que des ministres amèneraient, non en vertu de leur pouvoir propre, mais pour obéir à l’empereur. Le Christ dit ailleurs encore : « Il enverra ses anges, avec une trompette éclatante, et ils rassembleront les élus des quatre points du monde, depuis toutes les extrémités des cieux ». (Mat 24,31) Et partout vous voyez les anges courant en tous sens. Quant à « l’archange », je crois que c’est celui qui commande les anges, et il leur crie : Faites que tous soient prêts, car voici le juge. Que signifie : « Par le son de la dernière trompette ? » C’est pour montrer qu’il y aura plusieurs trompettes, et que c’est au son de la dernière, que le juge descendra. « Et ceux qui seront morts en Jésus-Christ, ressusciteront d’abord ; puis, nous autres, qui sommes vivants et qui aurons été réservés jusqu’alors, nous serons emportés avec eux dans les nuées, pour aller au-devant du Seigneur, au milieu de l’air ; et ainsi nous serons pour jamais avec le Seigneur ». Consolez-vous donc les uns les autres par ces vérités. Mais si Dieu doit descendre, pourquoi serons-nous emportés ? C’est pour rendre à Dieu les honneurs qui lui sont dus. Lorsque l’empereur fait son entrée dans une ville, les dignitaires vont à sa rencontre ; mais ceux qui sont en jugement, demeurent dans l’intérieur de la ville, attendant le juge. À l’arrivée d’un bon père, ses enfants, ses dignes enfants, montent sur un char, et vont au-devant de lui pour l’embrasser. Au contraire, les serviteurs, qui l’ont offensé, restent dans la maison. Eli bien, nous serons transportés sur le char de notre Père ; c’est lui-même qui l’a mis dans les nuées, et nous serons emportés dans les nuées. Voyez quel Donneur pour nous : il descend, et nous allons à sa rencontre, et, bonheur suprême, ainsi nous serons avec lui. « Qui racontera les œuvres de la puissance du Seigneur et qui fera entendre toutes ses louanges ? » (Psa 106,2) De combien de faveurs il a honoré la race des hommes ! Les premiers morts ressuscitent, et c’est ainsi que se fait la rencontre universelle. Abel, le premier de tous les morts, ira alors au-devant de Dieu, avec tous ceux qui vivaient de son temps. Les anciens morts n’auront rien de plus que les autres ; celui qui est mort depuis si longtemps, qui est resté tant d’années sur la terre, ira à la rencontre de Dieu, avec tous les morts de son temps, et tous les autres. Si ceux-là nous ont attendus pour nous voir couronnés, comme l’apôtre le dit ailleurs : « Dieu ayant voulu, par une faveur particulière qu’il nous a faite, qu’ils ne reçussent qu’avec nous l’accomplissement de leur « bonheur » (Heb 11,40), à bien plus forte raison les attendrons-nous de notre côté ; ou plutôt, ils nous auront attendus, mais nous, nous n’attendrons pas un instant. En effet, la résurrection sera l’affaire d’un moment, d’un clin d’œil. Quant à ce que dit l’apôtre, qu’il se rassembleront, cela veut dire qu’ils ressusciteront de partout ; ce sont les anges qui les rassembleront. La résurrection sera l’effet de la puissance de Dieu, ordonnant à la terre de rendre le dépôt qu’elle a reçu, et aucun serviteur n’en sera l’agent. C’est ainsi que, lorsqu’il appela Lazare, il n’eut qu’à lui dire : « Lazare, viens dehors ». (Jn 11,43) Quant à « conduire auprès de Dieu », c’est ce qui se fait par le ministère des anges. Mais, si les anges les rassemblent et courent de différents côtés, comment les morts, sont-ils ravis jusqu’au ciel ? C’est après la descente des anges que les morts seront ainsi ravis ; c’est après qu’ils auront été rassemblés ; cela se fera d’une manière soudaine et à l’insu de tous. On verra d’abord la terre en mouvement, un mélange de poussière ; et, en même temps, tous les corps se réveillant à la fois de toutes parts, et cela sans qu’aucun serviteur prête son ministère ; un ordre pur et simple suffit pour que la terre, qui était pleine, devienne vide. Considérez cet immense événement : tous les morts, depuis Adam jusqu’au jour actuel, debout, ensemble, avec leurs femmes et leurs enfants ; il faudra voir un tel tumulte pour le comprendre. Et de même que le monde a ignoré tout le mystère d’un Dieu fait homme, de même nul n’aura rien deviné de cette résurrection. 2. Eh bien donc, quand cet événement s’accomplira, alors on entendra la voix de l’archange, donnant ses ordres aux anges, faisant retentir ses cris, et l’on entendra aussi les trompettes, ou plutôt le son des trompettes. Quel sera le tremblement, quelle sera l’épouvante des vivants de la terre ? Car « l’une est prise, et l’autre renvoyée ; l’un est saisi, et l’autre renvoyé ». (Mat 24,40-41 ; Luc 17,34-35) Que ressentira-t-on quand on verra les autres enlevés dans les airs, et qu’on sera soi-même renvoyé ? Un tel spectacle n’inspirera-t-il pas plus de terreur que tous les enfers qu’on peut se représenter ? Eh bien, supposons donc que le fait s’accomplit maintenant. Si une mort subite, ou, au milieu des villes, un tremblement de terre, si des menaces bouleversent, on le sait, nos âmes ; quand nous verrons la terre en éclats, et partout tant de prodiges, quand nous entendrons les trompettes, quand nous entendrons la voix de l’archange plus retentissante que toutes les trompettes, quand nous verrons le ciel s’abaisser sur nous, quand nous le verrons lui-même, Lui, le Roi de l’univers, Dieu, que ressentirons-nous ? Ah ! frémissons, je vous en prie, et soyons saisis d’épouvante, comme si le fait allait s’accomplir. Que l’ajournement ne soit pas, pour nous, une pensée qui nous rassure ; puisqu’il faut absolument que le fait s’accomplisse, que pouvons-nous gagner à l’ajournement ? Quel tremblement alors ? Quelle épouvante ? Avez-vous vu quelquefois des condamnés qu’on mène à la mort ? Qu’éprouvent-ils, selon vous, quand ils font le chemin, jusqu’à la porte ? Combien faudrait-il de morts pour égaler ce supplice ? Que ne voudraient-ils pas et faire et endurer, pour être délivrés de cette sombre nuit qui les enveloppe ? J’en ai beaucoup entendu, que la clémence de l’empereur avait rappelés du supplice ; ils disaient, au retour, avoir vu des hommes qui ne leur paraissaient pas des hommes ; tel était le trouble, la stupeur, le bouleversement de leur âme. Si la mort du corps produit en nous cette épouvante, quand viendra l’éternelle mort, que ressentirons-nous ? Et que dis-je de ceux qu’on mène à la mort ? La foule qui les entoure, se compose d’individus qui, pour la plupart, ne les connaissent pas. Supposez, dans cette foule, une personne dont les regards pussent lire au fond de leur âme ; qui pourrait être assez dur, assez ferme pour ne pas se sentir abattu, frappé d’anéantissement, glacé par la terreur ? Et maintenant, si cette mort, qui en saisit d’autres que nous, si cette mort qui ne diffère en rien du sommeil, produit une impression si profonde sur ceux qui n’ont pas à la subir ; à l’heure où nous-mêmes nous tomberons dans un état plus effroyable, quel ne sera pas notre abattement, notre consternation ? Non, non ; il faut m’en croire, il n’est pas de discours, de paroles, qui égalent l’impression qui nous attend. Sans doute, me répond-on ; mais Dieu est si bon pour les hommes, et rien de tout cela n’arrivera. Ainsi les Écritures sont sans valeur ? Non, me répond-on ; il n’y a là qu’une menace pour nous porter à la sagesse. Eh bien ! si nous ne nous conformons pas à la sagesse, si nous persévérons dans le mal, Dieu n’infligera-t-il pas le châtiment, répondez-moi ? Et par conséquent il ne décernera pas, à la vertu, ses récompenses ? Au contraire, me répond-on, récompenser est une conduite conforme à sa nature, et ses bienfaits dépassent nos mérites. Voilà donc votre conclusion pour les récompenses, la promesse est vraie et se réalisera d’une manière absolue ; quant aux châtiments, il n’en est pas de même ; il n’y a là qu’une menace pour nous épouvanter. Comment m’y prendre pour vous persuader ? Je n’en sais rien. Si je dis que « leur ver ne mourra point, que leur feu ne s’éteindra point » (Mrc 9, 45) ; si je dis qu’ils s’en iront dans le feu éternel ; si je produis devant vous le riche déjà livré au supplice, pures menaces, me direz-vous. Comment m’y prendre pour vous persuader ? Satanique pensée qui rend la grâce inutile et qui ne fait que des indolents. Comment l’extirper, cette pensée ? Tout ce que nous vous dirons pris des Écritures, pures menaces, répondrez-vous ; mais cette réponse, suppose qu’elle s’applique à l’avenir, si vous l’objectez à ce qui est arrivé, à ce qui est accompli, est sans valeur. Vous avez tous entendu parler du déluge. Direz-vous aussi, pure menace ? N’est-ce pas là un événement, un fait accompli ? Vos discours ne sont que la répétition des discours d’autrefois ; durant cent ans, employés à la construction de l’arche, pendant que l’on formait la charpente, pendant que le juste annonçait la vengeance à grands cris, nul ne l’en croyait. Mais aussi pour n’avoir pas cru les paroles de la menace, ils eurent à subir la réalité du châtiment ; et c’est le sort qui nous attend, si nous ne voulons pas croire. Voilà pourquoi l’apôtre compare l’avènement du Seigneur aux jours de Noé. De même qu’on refusa de croire à l’ancien déluge, de même on ne veut pas croire au déluge de l’enfer. N’était-ce donc qu’une menace jadis ? L’événement ne s’est-il pas accompli ? Et celui qui infligea si soudainement le supplice alors, ne l’infligera-t-il pas, à bien plus forte raison, aujourd’hui encore ? Les attentats des anciens âges ne dépassaient pas ceux d’aujourd’hui ; qu’est-ce à dire ? « Alors », dit l’Écriture, « les enfants de Dieu allèrent trouver les filles des hommes » (Gen 6,2) ; et le pêle-mêle était affreux ; et aujourd’hui quelle honte fait reculer ? Croyez-vous, oui ou non, au déluge, oui le prenez-vous pour une fable ? Les montagnes où l’arche s’est arrêtée l’attestent, je parle des montagnes de l’Arménie. 3. Les exemples me viennent en foule ; j’en prends un singulièrement manifeste. Quelqu’un de vous a-t-il jamais voyagé en Palestine ? Ce ne sont plus des paroles, mais des choses que je dis. – Quoique, à dire vrai, mes preuves de tout à l’heure fussent plus convaincantes que des réalités. Car ce que dit l’Écriture mérite plus notre foi, que ce que voient nos yeux. Eh bien donc, quelqu’un de vous a-t-il jamais voyagé en Palestine ? je pense que quelqu’un a fait ce voyage. Eh bien, vous qui avez vu le pays, servez-moi donc de témoins auprès de ceux qui n’y ont pas été. Au-dessus d’Ascalon et de Gaza, à l’endroit où cesse le Jourdain, il y a un pays immense, fertile ; disons mieux, il était fertile, car aujourd’hui il ne l’est plus ; c’était une contrée belle comme le paradis. « Loth vit », dit l’Écriture, « tout le pays autour du Jourdain et il était arrosé comme le paradis de Dieu ». (Gen 13,10) Donc, c’était un pays tout en fleurs, rivalisant avec les plus belles contrées du monde, un pays dont la fertilité égalait celle du paradis de Dieu ; et il n’est pas aujourd’hui de désert plus désert. On y voit des arbres, et qui portent du fruit ; mais ce fruit est un monument de la colère de Dieu ; on y voit des cours d’eau, et le bois, et le fruit, ont une belle apparence ; et qui n’est pas prévenu se réjouit ; mais, prenez-les dans vos mains, ces fruits, vous les brisez ; pas de fruit, rien que de la poussière, rien que de la cendre à l’intérieur ; et tout est de même, dans toute cette terre ; vous croyez voir une pierre et vous ne voyez que de la cendre. Et que parlé-je de pierres, de bois et de terre, là où l’air même et les eaux manifestent la même calamité ? De même qu’un corps, dévoré par le feu, conserve sa forme, sa figure, que c’est le même aspect, mais que la force en est détruite ; de même, pour cette terre, elle n’a plus, rien de la terre ; tout n’y est plus que cendre. Des arbres et des fruits qui ne sont plus en rien, ni des arbres, ni des fruits ; de l’air et de l’eau, qui n’ont plus rien ni de l’air ni de l’eau ; car ces éléments mêmes ne sont plus que de la cendre. Cependant comment de l’air peut-il être dévoré par le feu ? – Comment l’eau peut-elle brûler, et rester de l’eau ? Le bois et les pierres peuvent brûler, mais pour l’air et pour l’eau, c’est absolument impossible. Impossible pour nous ; mais pour Celui qui les a faits, c’est un prodige possible. Cet air n’est donc plus qu’une fournaise ; l’eau n’est plus qu’une fournaise ; rien ne porte de fruit, rien n’engendre rien ; partout les traces, les images de la colère antique, les preuves de la colère à venir. Sont-ce là des menaces en paroles ? n’est-ce là qu’un bruit de paroles ? Il est bien entendu que, pour moi, j’ajoute foi aux anciens exemples ; j’ajoute foi, aussi bien à ce que ne voient pas, qu’à ce que voient mes yeux. Mais je parle à l’incrédule, et ce que je dis doit suffire pour le forcer à croire. Que celui qui ne croit pas à l’enfer médite sur Sodome, réfléchisse sur Gomorrhe, sur le châtiment qui s’est effectué, qui dure encore. Témoignage du supplice éternel, pensées difficiles à supporter ; mais croyez-vous donc qu’il soit facile de supporter vos paroles qui soutiennent qu’il n’y a pas d’enfer ; qu’il n’y a, de la part de Dieu, qu’une simple menace ? Que faites-vous, quand vous frappez ainsi de découragement le cœur du peuple ? Vous me forcez à vous tenir de pareils discours, vous qui ne croyez pas. Si vous aviez ajouté foi aux paroles du Christ, je ne serais pas forcé d’avoir recours à la réalité, pour provoquer votre foi. Mais puisque vous n’avez pas voulu accepter d’autres preuves, bon gré malgré, il faudra bien que vous soyez persuadés, car enfin qu’avez-vous à dire de Sodome ? Et voulez-vous savoir la cause de ce qui est arrivé alors ? c’était un péché funeste, exécrable, mais enfin, ce n’était qu’un péché, une passion insensée pour les jeunes enfants, et voilà ce qui a motivé cette punition. Mais aujourd’hui on les compte par milliers, les désordres pareils, les égarements plus funestes que ceux des anciens hommes. Eh bien, celui qui, pour un seul péché, répandit les flots d’une si terrible colère, sans égard pour les prières d’Abraham, sans égard pour Loth, habitant de ce pays, lequel, pour honorer les serviteurs de Dieu, exposait ses propres filles aux outrages, Dieu, en présence de tant de crimes qui sont les nôtres, nous ferait grâce ? Préjugé ridicule, frivolité, erreur, illusion du démon ! Voulez-vous un autre exemple ? Vous connaissez suffisamment l’histoire de Pharaon, de ce roi des Égyptiens : vous connaissez la punition qu’il a subie, ses chars, ses chevaux, son armée entière, précipités avec lui au fond de la mer Rouge. Vous faut-il encore d’autres preuves ? car ce Pharaon était peut-être un impie ; je me trompe, il ne faut pas dire, peut-être ; c’était réellement un impie. Eh bien, vous faut-il des exemples, pris de ceux qui croyaient en Dieu, qui s’attachaient à Dieu, mais qui ne pratiquaient pas la vertu ? Voulez-vous les voir punis ? écoutez Paul : « Ne commettons point de fornication, comme quelques-uns d’entre eux commirent ce crime pour lequel vingt-trois mille furent frappés de mort en un seul jour ; ne murmurons point comme murmurèrent quelques-uns d’entre eux qui furent frappés de mort par l’exterminateur ; ne tentons point le Christ, comme le tentèrent quelques-uns d’entre eux qui furent tués par les serpents ». (1Co 10,8-40) Si la fornication, si les murmures ont produit un tel effet, quel traitement ne nous attireront pas nos crimes ? que si Dieu ne réclame pas tout de suite la vengeance, n’en soyez pas surpris. Les hommes d’autrefois ne connaissaient pas l’enfer, aussi étaient-ils frappés de châtiments soudains ; mais vous, qui, quelles que soient vos fautes, n’êtes pas punis, vous les expierez toutes là-bas. Eh quoi ! Dieu a puni ceux qui, auprès de nous, n’étaient que des enfants, pour de moindres péchés, de tels supplices, et il nous épargnera ? Ce discours ne peut se soutenir. Quand nos fautes égaleraient seulement les leurs, nous mériterions un plus rigoureux châtiment. Pourquoi ? parce que nous avons reçu la grâce avec plus d’abondance. Et maintenant que nous sommes plus souvent et plus gravement coupables, à quelle vengeance ne devons-nous pas nous attendre ? Ces anciens hommes, (n’allez pas croire que je sois surpris de leur supplice, que je veuille les absoudre, loin de moi cette pensée ; quand Dieu punit, celui qui condamne le jugement de Dieu exprime une pensée qui lui vient du démon ; donc je ne fais pas l’éloge des anciens hommes, je ne prétends pas les absoudre, je ne fais que montrer notre perversité), eh bien donc, ces hommes d’autrefois, s’ils murmuraient, c’est qu’ils arrivaient dans un désert ; mais nous, nous avons une patrie, et c’est à l’abri de nos maisons que nous proférons des murmures ; ces hommes d’autrefois encore, ils se livraient à la fornication, mais ils sortaient de l’Égypte, du sein d’un peuple corrompu, et c’est à peine s’ils étaient initiés à la loi ; mais nous, qui avons reçu de n os pères des enseignements pour nous sauver, nous méritons un châtiment plus rigoureux. Vous faut-il encore d’autres exemples de punition ? Les châtiments soufferts dans la Palestine, les famines, les pestes, les guerres, les captivités ; captivité sous les Babyloniens, captivité sous les Assyriens ; les maux soufferts de la part, et des Macédoniens, et d’Adrien, et de Vespasien. Je veux, mon cher auditeur, vous raconter une histoire, mais ne faites pas un mouvement en arrière ; ou plutôt, non, je vous dirai autre chose d’abord. Il y avait une fois une famine, dit l’Écriture, et le roi se promenait sur le rempart : une femme s’approche de lui et lui dit : « Roi voilà une femme qui m’a dit : Donnez votre fils, que nous le fassions cuire aujourd’hui et que nous le mangions ; et demain, ce sera le mien ; et nous l’avons cuit, et nous l’avons mangé » (2Ro 6,26, 29) ; celle-ci n’a pas encore donné le sien. Quoi de plus affreux que ce malheur ? Dans un autre endroit le Prophète dit : « Les mains des femmes miséricordieuses ont fait cuire leurs enfants ». (Jer 4,10) Telle fut la punition des Juifs, et nous, n’en subirons-nous pas une bien plus terrible encore ? 4. Voulez-vous connaître encore quelques autres de leurs malheurs ? Lisez Josèphe, étudiez toute cette tragédie, nous vous persuaderons peut-être, par là, qu’il y a un enfer. Réfléchissez donc : s’ils ont été châtiés, pourquoi ne sommes-nous pas châtiés ? Quelle vraisemblance que nous ne soyons pas châtiés aussi, nous qui sommes plus coupables ? N’est-il pas évident que le châtiment est mis en réserve pour nous ? Si vous voulez, je vais vous montrer qu’ils ont été châtiés aussi individuellement. Caïn a tué son frère. Crime affreux, c’est ni contestable ; mais Caïn a subi sa peine, peine terrible, plus affreuse que mille morts ; écoutez ses plaintes : « Vous me chassez aujourd’hui de dessus la terre, et j’irai me cacher de devant votre face, et quiconque me trouvera, me tuera ». (Gen 4,14) Eh bien, dites-moi, n’y a-t-il pas beaucoup d’hommes qui font aujourd’hui comme ce meurtrier ? Quand vous assassinez, non votre frère selon la chair, mais, votre frère spirituel, ne faites-vous pas comme Caïn ? Qu’importe que ce ne soit pas avec une arme, mais d’une autre manière, quand, au lieu d’apaiser sa faim, ce que vous pourriez faire, vous l’abandonnez ? Eh quoi ! est-il vrai de dire aujourd’hui que nul n’est envieux de son frère ? Que nul ne jette son frère dans les dangers ? Eh bien, ces méchants sur cette terre, n’ont pas subi leur peine, mais ils la subiront. Voyez donc encore : celui qui n’a entendu ni la loi écrite, ni les prophètes, qui n’a pas vu des signes éclatants, celui-là est frappé d’un châtiment rigoureux ; et celui qui, sans être moins coupable, a eu tant d’avertissements pour le ramener au bien, celui-là demeurera impie ? Où donc est la justice de Dieu ? Qu’est devenue sa bonté ? Autre exemple : pour du bois ramassé le jour du sabbat, un malheureux a été lapidé (Nom 15,32) : la défense pourtant n’était pas des plus importantes, ce n’était pas une prescription comme celle de la circoncision. Eh bien, pour du bois ramassé le jour du sabbat, lapidé ; et ceux qui enfreignent mille fois la loi, seront impunis ? S’il n’y a pas d’enfer, où donc est la justice, que devient ce qu’on nous dit que Dieu ne fait point acception des personnes ? Cependant les accusations ne manquent pas contre tous ceux qui n’observent pas le sabbat. Autre exemple encore, un fils de Chram, pour une offrande soustraite, lui et toute sa famille, lapidés. Eh quoi, depuis ces temps anciens, n’a-t-on plus commis de sacrilège ? Saül encore, pour avoir fait grâce contre la volonté de Dieu, a subi un châtiment sévère ; depuis Saül, est-ce que personne n’a fait comme lui ? Plût au ciel qu’il en fût ainsi, et qu’on ne nous vît pas, plus féroces que les bêtes féroces, nous manger les uns les autres, contre la volonté de Dieu, et qu’il n’y eût pas (le combattants renversés dans la mêlée ! Autre exemple encore, les fils d’Héli pour avoir mangé les victimes avant qu’on les eût brûlées en sacrifice, furent punis d’une mort terrible, et leur père avec eux. N’y a-t-il donc plus de pères qui négligent leurs enfants ? N’y a-t-il plus d’enfants pervertis ? Nous n’en voyons aucun de puni. Quand donc le seront-ils, s’il n’y a pas d’enfer ? D’autres exemples encore, il y en a des milliers. Ananie et Saphire, pour avoir soustrait une partie de leurs propres offrandes, n’ont-ils pas été punis sur-le-champ ? Depuis ces temps anciens, personne n’a-t-il donc fait comme eux ? Comment donc n’avons-nous pas vu, depuis, les mêmes châtiments ? Comprenez-vous qu’il y a une géhenne, ou vous faut-il encore des exemples ? Eh bien, nous les demanderons à ce qui n’est pas écrit, à ce qui se passe aujourd’hui, car il ne faut négliger aucun moyen de conviction, il ne faut pas, par une complaisance irréfléchie pour nous-mêmes, nous faire du tort à nous-mêmes. Ne voyez-vous pas des malheureux, des mutilés sans nombre, en proie à mille maux ? Pourquoi des meurtriers punis ; d’autres, qui ne le sont pas. Écoutez Paul : « Il y a des personnes dont les péchés sont connus avant le jugement ; il y en a d’autres qui ne se découvrent qu’ensuite ». (1Ti 5,24) Combien y en a-t-il d’échappés parmi les meurtriers ; combien, parmi les violateurs de sépultures ? Mais laissons cela. Combien y en a-t-il que vous ne voyez pas rigoureusement punis ? Les uns sont frappés d’une maladie cruelle ; d’autres, livrés à de perpétuelles tortures ; d’autres encore, à des maux innombrables. Eh bien, quand vous voyez un homme coupable, comme ces malheureux, et beaucoup plus coupable encore, demeurer impuni, ne sentez-vous pas que, malgré vous, vous reconnaissez qu’il y a un enfer ? Rassemblez ceux qui, sur cette terre, avant vous, ont subi un châtiment rigoureux, considérez que Dieu ne fait pas acception des personnes, que vous avez fait mille et mille actions mauvaises, que vous n’avez éprouvé aucun traitement qui ressemble au leur, et alors vous comprendrez l’enfer. Car Dieu nous en a mis la pensée dans l’âme, à tel point que jamais personne n’a pu l’ignorer. Poètes, philosophes, auteurs de fictions, en un mot, tous les hommes ont raisonné sur la rémunération dans une autre vie, et ont parlé de la foule de ceux qui subissent, dans les enfers, des châtiments. Si leurs récits sont des fables, il n’en est pas de même chez nous. Je n’ai pas voulu vous effrayer par ce discours, ni charger vos âmes d’un poids incommode, au contraire, je voudrais leur donner les ailes de la sagesse. Je voudrais bien, moi aussi, qu’il n’y eût pas de châtiment, je le voudrais, plus que vous tous, moi qui vous parle. Pourquoi ? c’est que chacun de vous ne tremble que pour son âme à lui ; mais moi, j’aurai des comptes à rendre de mon administration, de sorte que c’est moi, plus que vous tous, qui aurai de la peine à y échapper. Mais il n’est pas possible qu’il n’y ait ni enfer ni supplice. Que ferai-je ? Voici maintenant des doutes et des objections : où est donc la bonté de Dieu ? Partout. Mais c’est un point que je développerai dans un autre temps ; ne confondons pas, avec ces réflexions, ce que nous avons dit sur l’enfer. Quant à présent, gardons le profit que nous avons retiré de ces paroles ; ce n’est pas un mince profit, que d’être convaincu qu’il existe un enfer. Le souvenir de pareil discours est un remède amer mais efficace pour nous purger de toute corruption, si nous savons le conserver dans notre esprit. Donc, il faut en user, purifions ainsi notre cœur, rendons-nous dignes de voir ce que l’œil n’a pas vu, ce que l’oreille n’a pas entendu, les biens que n’a pas compris le cœur de l’homme ; puissions-nous tous en jouir, par la grâce et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient, comme au Père, comme au Saint-Esprit, la gloire, la puissance, l’honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.