1 Timothy 1
COMMENTAIRE SUR LA PREMIÈRE ÉPÎTRE A TIMOTHÉE.
PRÉFACE DE S. J. CHRYSOSTOME.
Timothée était un des disciples de l’apôtre. Saint Luc témoigne que c’était un jeune homme digne d’admiration, selon le témoignage des frères de Lystre et d’Iconium. (Act 16,1, 2) Il devint à la fois disciple et maître (4) ; il était d’une prudence rare, et savait si bien discerner l’à-propos, qu’après avoir entendu saint Paul prêcher l’Évangile sans tenir compte de la circoncision, et avoir appris que ce même saint Paul avait résisté à saint Pierre à ce sujet, il eut assez de ménagement non seulement pour ne pas attaquer ce rite dans ses prédications, mais encore pour le subir lui-même. Saint Paul le circoncit en effet, dit le texte (3), malgré son âge, et lui confia toute l’administration. L’affection de Paul suffisait pour montrer ce qu’était Timothée. Il rend, en effet, à diverses reprises, témoignage de lui dans ses écrits, lorsqu’il dit : « Sachez quelle épreuve il a soutenue, lui qui a servi avec moi pour l’Évangile, comme un fils auprès de son père ». (Phi 2,22) Et ailleurs, écrivant aux Corinthiens : « Je vous ai envoyé Timothée, qui est mon enfant chéri et fidèle dans le Seigneur » (1Co 4,17) ; et plus loin : « Prenez garde que personne ne le méprise, car il accomplit l’œuvre du Seigneur, comme je le fais moi-même ». (1Co 16, 11.10) Et il dit encore en écrivant aux Hébreux : « Sachez que notre frère Timothée est en liberté ». (Heb 13, 23) Partout on trouvera l’expression de sa grande tendresse pour lui. Les miracles qui se produisent maintenant montrent la sincérité de sa foi. Et si l’on demande pourquoi Paul n’écrit qu’à Tite et à Timothée, puisque Silas et Luc étaient aussi au nombre de ses plus illustres disciples, lui-même l’explique dans une épître, en disant : « Luc est seul avec moi ». (2Ti 4,11) Clément fut aussi un de ses compagnons, car il dit de lui : « Avec Clément et mes autres coopérateurs ». Ainsi, pourquoi écrit-il seulement à Tite et à Timothée ? C’est que déjà il leur avait confié des églises, tandis qu’il conduisait ceux-là avec lui. Il avait mis à part Tite et Timothée pour des postes éclatants. Et telle était la vertu éminente de celui-ci, que sa jeunesse n’y fut pas un empêchement. C’est pour cela qu’il lui écrit : « Que personne ne vous dédaigne à cause de votre jeunesse » (1Ti 4,12) ; et plus loin : « Exhorte comme des sœurs celles qui sont jeunes (2) ». Car là où se trouve la vertu, tout le reste est accessoire, et rien ne doit être un empêchement. Discourant en effet des évêques et touchant à beaucoup d’objets, il ne se préoccupe nulle part de leur âge. Et s’il écrit : « Qu’il se fasse obéir de ses enfants », et « qu’il n’ait eu qu’une seule femme », il ne veut pas dire par là qu’il doive être nécessairement époux et père de famille ; mais que, s’il a participé à la condition mondaine, il soit tel qu’il sache gouverner ses enfants et toute sa maison. Car si, dans le monde, il n’a pas su user de sa condition, comment lui confierait-on le soin d’une église ? Et pourquoi donc adressait-il ces épîtres à un disciple désormais chargé d’enseigner ? Ne fallait-il pas l’instruire pleinement avant de lui donner son mandat ? Oui, mais il avait maintenant besoin d’une instruction différente de celle des disciples et propre à celui qui enseigne. Voyez en effet comment, dans toute cette épître, Paul donne l’enseignement qui convient à un maître. Aussitôt après la suscription, il dit à Timothée, non pas de négliger ceux qui enseignent de nouvelles doctrines, mais de les avertir eux-mêmes de n’en point enseigner. HOMÉLIE PREMIÈRE.
PAUL, APÔTRE DE JÉSUS-CHRIST, SELON L’ORDRE DE DIEU NOTRE SAUVEUR ET SEIGNEUR, JÉSUS-CHRIST, NOTRE ESPÉRANCE, A TIMOTHÉE, SON VRAI FILS DANS LA FOI. (I, 1-2 JUSQU’À 4) Analyse.
- 1. Apostolat, grandeur de cette dignité. – De la filiation selon la foi.
- 2. En matière de foi il n’est pas besoin d’examen.
- 3. Contre les fausses doctrines ; en particulier contre l’émanation qui n’est autre chose que le panthéisme, contre le fatalisme.
1. La dignité d’apôtre était grande et digne d’admiration ; et partout nous voyons Paul en exposer l’origine comme celle d’un honneur qu’il ne s’arroge pas, mais qui lui est conféré et qui lui est imposé. Lorsqu’il dit qu’il est appelé, lorsqu’il dit qu’il est apôtre « par la volonté de Dieu » (1Co 1,1) ; et ailleurs « La nécessité m’en est imposée » (Id 9,16) ; lorsqu’il dit qu’il a été mis à part pour cet objet (Rom 1,1) ; par toutes ces paroles, il rejette loin de lui la passion des honneurs et la vaine gloire. De même, en effet, que celui qui s’élève de lui-même à un honneur qu’il ne reçoit pas de Dieu, est digne du blâme le plus sévère ; de même celui qui écarte et fuit ce que Dieu lui présente, mérite un autre reproche, celui de désobéissance et de rébellion. C’est ce que dit Paul, au commencement de cette épître à Timothée : « Paul, apôtre de Jésus-Christ, suivant l’ordre de Dieu ». Il ne dit pas en ce passage, « appelé », mais « suivant l’ordre » ; il débute ainsi pour empêcher que Timothée, voyant qu’on lui parle sur le même ton qu’aux autres disciples, n’en soit blessé par une faiblesse trop ordinaire aux hommes. Et où Dieu a-t-il donné cet ordre On trouve, dans les Actes des apôtres, que l’Esprit dit : « Mettez-moi à part Paul et Barnabé ». (Act 13,2) Partout, dans ses épîtres, Paul prend le nom d’apôtre, apprenant ainsi à celui qui l’écoute à ne pas croire que ses paroles soient des paroles humaines ; car l’apôtre (l’envoyé) ne peut rien dire de lui-même, et le nom d’apôtre élève la pensée de l’auditeur jusqu’à Celui qui l’envoie. Aussi met-il ce titre en tête de ses épîtres, comme garant de la croyance que méritent ses paroles, et il s’exprime ainsi : « Paul, apôtre de Jésus-Christ, selon l’ordre de Dieu, notre Sauveur ». Et même on ne voit nulle part le Père donner cet ordre, mais partout c’est le Christ qui lui parle ; c’est le Christ qui dit : « Marche, parce que je t’enverrai au loin parmi les nations » (Act 22,21) ; et ailleurs : « Il faut que tu comparaisses devant César ». (Id 27,24) Mais tous les ordres que donne le Fils, il les appelle ordres du Père, comme il appelle ordres du Fils ceux de l’Esprit. C’est l’Esprit qui l’a envoyé, c’est l’Esprit qui l’a mis à part, et il emploie ces mots : L’ordre de Dieu. Quoi donc ? La puissance du Fils est-elle restreinte, parce que son apôtre est envoyé par l’ordre du Père ? Nullement ; car voyez comment il montre que cette puissance leur est commune. Après ces mots : « Selon l’ordre de Dieu notre Sauveur », il ajoute ceux-ci : « Le Christ Jésus, notre espérance ». Voyez l’exacte propriété des termes qu’il emploie. Le Psalmiste appelle le Père « l’espérance de toutes les extrémités de la terre ». (Psa 65,6) Et saint Paul à son tour, dans son épître : « Nous nous fatiguons et nous sommes en butte aux outrages, parce que nous avons espéré dans le Dieu vivant et véritable ». Il fallait que le maître supportât des périls, et des périls bien plus nombreux que les disciples : « Je frapperai le pasteur, et les brebis seront dispersées ». (Mat 26,31) Il est donc naturel que le démon se déchaîne avec plus de violence contre le pasteur, puisque la perte du pasteur cause la dispersion du troupeau. En faisant périr les brebis, il diminue le troupeau ; mais, en faisant disparaître le pasteur, il ruine le troupeau tout entier. Pouvant donc par là obtenir avec moins d’efforts un résultat plus grand et tout ruiner en perdant l’âme d’un seul, c’est aux pasteurs qu’il s’attaque surtout. Tout d’abord donc et dès le préambule, Paul élève l’âme de Timothée, en lui disant : Nous avons un Sauveur, qui est Dieu, et une espérance, qui est le Christ. Nous souffrons beaucoup de maux, mais nous avons de grandes espérances ; nous sommes exposés aux périls et aux embûches, mais nous avons un Sauveur, qui n’est pas un homme, mais Dieu. A notre Sauveur la force ne peut manquer, puisqu’il est Dieu ; et, quelque grands que soient les périls, ils ne nous surmonteront pas ; notre espérance ne sera point confondue, puisqu’elle vient du Christ. Ainsi nous sommes garantis des périls, ou par une prompte délivrance, ou par les nobles espérances dont nous sommes nourris. Car, est-il dit, tout ce que nous pouvons souffrir n’est rien, quand il ne s’agit que des souffrances de cette vie. Pourquoi ne dit-il nulle part qu’il est l’envoyé du Père, mais du Christ ? Parce qu’il leur attribue tout en commun ; ainsi il dit que l’Évangile est de Dieu. « A Timothée, mon vrai fils dans la foi ». Ici encore se trouve une exhortation. Car si Timothée a montré assez de foi pour être appelé fils et vrai fils de Paul, il sera plein de confiance pour l’avenir. La foi, en effet, est telle que, si les événements ne se montrent pas d’accord avec les promesses, elle ne se laisse ni abattre ; ni troubler. Mais, dira-t-on, voici un fils, un vrai fils, qui n’est point de la même substance que son père. – Quoi donc ? est-il d’une autre race ? – Mais, insiste-t-on, il n’était pas fils de Paul. – Ce mot n’indique pas une filiation proprement dite. Mais quoi ? était-il d’une substance différente ? Non, car en disant : « Mon fils », il a ajouté : « dans la foi » ; ce qui indique une légitime filiation. Ils ne sont différents en rien : la ressemblance de la foi est entre eux ce qu’est entre les hommes la ressemblance de la nature. Un fils ressemble à son père, mais non aussi parfaitement que s’il s’agissait de la nature divine. Parmi les hommes, quoique la substance soit la même, bien des différences se produisent : le teint, les traits, l’intelligence, l’âge, les goûts, les qualités de l’âme et celles du corps, les circonstances extérieures, mille choses établissent entre un père et son fils des différences ou des ressemblances. Ici aucune de ces causes d’opposition n’existe. « Par ordre » est une expression plus forte que le mot « appelé ». Quant au passage : « A Timothée, mon vrai fils », on peut le rapprocher de ce que Paul dit aux Corinthiens : « Je vous ai engendrés en Jésus-Christ » (1Co 4,15), c’est-à-dire dans la foi. Il ajoute « Vrai fils », pour témoigner d’une ressemblance plus exacte de Timothée que des autres avec lui, de son affection pour lui, et des dispositions de son âme. Voici encore la préposition « dans » mise devant le mot foi. Voyez quel éloge contient ce langage, où il l’appelle, non seulement son fils, mais son fils véritable. 2. « Grâce, miséricorde et paix », dit-il, « de la part de Dieu notre Père, et de Jésus-Christ Notre-Seigneur ». Pourquoi « miséricorde » dans la suscription de cette épître, et non dans les autres ? Sa vive tendresse lui a dicté ce mot ; pour son fils sa prière est plus étendue, parce qu’il craint et tremble pour lui. Sa sollicitude est telle qu’à lui et à lui seul il adresse des recommandations sur ses besoins matériels. « Usez d’un peu de vin à cause de votre estomac et de vos fréquentes maladies ». (1Ti 5,23) Or ceux qui enseignent ont plus que d’autres, besoin de miséricorde. « De la part de Dieu notre Père, et de Jésus-Christ Notre-Seigneur ». Ici encore se trouve une exhortation. Car, si Dieu est notre Père, il prend soin de ses enfants ; écoutez en effet le Christ nous dire : « Quel est l’homme parmi vous qui, si son fils lui demande du pain, voudrait lui donner une pierre ? » (Mat 7,9) « Ainsi que je vous ai prié de demeurer à Éphèse, à mon départ pour la Macédoine ». (1Ti 1,3) Écoutez la douceur de cette parole ; ce n’est point la voix d’un maître qui enseigne, c’est presque celle d’un suppliant. Il ne dit point : J’ai commandé, j’ai ordonné, j’ai prescrit, mais bien : « Je vous ai prié ». Ce n’est pas envers tous les disciples qu’il faut agir ainsi, mais bien envers ceux qui sont doux et vertueux ; envers ceux au contraire qui sont corrompus, qui ne sont pas de véritables disciples, il faut lin autre langage, comme l’apôtre même le témoigne, quand il dit : « Réprimandez avec pleine autorité ». (Tit 2,15) Et ici même, voyez ce qu’il ajoute : « Afin de prescrire à certains homes (et non de les prier) de ne point enseigner une autre doctrine ». (1Ti 1,3) Que veut-il dire en parlant ainsi ? L’épître que Paul avait adressée aux Éphésiens ne suffisait-elle pas ? Non, car on méprise plus facilement un texte écrit ; ou peut-être ce fait était-il antérieur à l’épître. L’apôtre a passé beaucoup de temps dans cette ville où était le temple de Diane, et où il a souffert cette persécution (Act 19,23-40) que vous connaissez. Car après que la foule, réunie au théâtre, fut dispersée (Id 29, 31, 40), Paul fit venir ses disciples, les exhorta et partit (Act 20,1) ; et quelque temps après il se retrouva parmi eux. (Id 17) Il est intéressant de rechercher si ce fut alors qu’il y établit Timothée, car il lui dit « de prescrire à certains hommes de ne point enseigner une autre doctrine ». Il ne les nomme pas, afin de ne pas les humilier trop par la publicité de ses reproches. II y avait là plusieurs d’entre les juifs, faux apôtres, qui voulaient ramener les fidèles à la loi, ce que Paul attaque partout dans ses épîtres. Car ils ne le faisaient point par l’impulsion de leur conscience, mais par vanité, parce qu’ils voulaient se faire des disciples, et par esprit de contention et d’envie contre le bienheureux Paul. Tel est cet « enseignement d’une autre doctrine ». « Et de ne point s’attacher », poursuit-il, « à des fables et à des généalogies ». Les fables dont il parle, ce n’est pas la loi, à Dieu ne plaise ; mais les additions fictives, la fausse monnaie de la loi, les opinions trompeuses. Il paraît que les vains esprits de la race des Juifs employaient toutes leurs facultés à supputer les générations pour s’acquérir la renommée d’hommes savants et érudits. « De prescrire à certains hommes de ne point enseigner une autre doctrine et de ne point s’attacher à des fables et à des généalogies sans fin ». Que veut dire ici sans fin ? » Quelque chose d’interminable, ou sans objet sérieux, ou peu intelligible. Vous voyez comment il blâme ces recherches. Là où est la foi, la recherche est inutile ; là où il n’y a rien à chercher, à quoi bon l’examen ? L’examen exclut la foi. En effet celui qui cherche n’a pas encore trouvé, et ne peut avoir la foi. C’est pourquoi l’apôtre dit : Ne nous occupons point de recherches. Si nous cherchons, nous n’avons pas la foi qui est le repos du raisonnement. Comment donc le Christ dit-il : « Cherchez et vous trouverez ; frappez et il vous sera ouvert ? » (Mat 7,7) Et encore : « Scrutez les Écritures, puisque vous pensez y avoir la vie éternelle ». (Jn 5,39) Là le mot « cherchez » est dit de la prière et de ses ardents désirs ; ici, « scrutez les Écritures » n’est pas dit pour provoquer des recherches fatigantes, mais pour en soulager. Quand Jésus-Christ dit : « Scrutez les Écritures », il entend : Afin d’en apprendre et d’en posséder le sens exact, non pour chercher toujours, mais pour mettre fin à nos recherches. Et l’apôtre dit avec justice : « Prescrivez à certains hommes de ne pas enseigner une autre doctrine et de ne pas s’attacher à des fables et à des généalogies sans fin, qui produisent des recherches plutôt que l’édification divine qui est dans la foi ». (1Ti 1,3, 4) L’expression « l’édification divine », est juste ; car Dieu a voulu nous donner de grands biens ; mais le raisonnement n’est pas apte à concevoir la grandeur de ses plans. C’est l’œuvre de la foi, qui est le plus grand des remèdes de l’âme. La recherche est donc opposée au plan divin. Et quel est ce plan fondé sur la foi ? Accueillir les bienfaits de Dieu et devenir meilleur ; ne point disputer ni douter, mais trouver le repos. Car ce que la foi a achevé et édifié, la recherche le renverse. Comment cela ? En soulevant des questions et en mettant de côté la foi. « Ne pas s’attacher à des fables et à des généalogies sans fin ». Quel mal, dira-t-on, faisaient ces généalogies ? Le Christ a dit que l’on doit être sauvé par la foi, et ceux-là cherchaient et disaient qu’il n’en saurait être ainsi. Car, puisque l’assertion, la promesse est pour le temps présent, et l’accomplissement pour l’avenir, la foi est nécessaire. Or ces hommes, préoccupés des observances de la loi, faisaient obstacle à la foi. Mais je pense qu’il parle ici des gentils, dressant le catalogue de leurs dieux, quand il dit : « Les fables et les généalogies ». 3. Ainsi donc, ne nous attachons point à des recherches, car le titre de fidèles nous engage à croire à la parole, sans doute ni hésitation. Si c’était une parole humaine, nous devrions la soumettre à l’épreuve ; mais, si elle est divine, nous devons la vénérer et la croire ; si nous ne croyons pas à cette parole, c’est que nous ne croyons pas même qu’elle est de Dieu ; car comment connaître que c’est Dieu qui parle, et lui demander compte de sa parole ? La première preuve que nous connaissons Dieu, c’est de croire à sa parole sans preuves ni démonstrations. Les gentils eux-mêmes le savent, car ils croient en leurs dieux, bien que leurs oracles soient sans preuves, et par cela seul qu’ils viennent des dieux. Les gentils donc le savent, vous le voyez. Et que dis-je, la parole d’un dieu ? Ils croient à celle d’un enchanteur et d’un mage, je veux dire de Pythagore : « Le maître l’a dit ». Et dans la partie supérieure des temples, le dieu du silence était peint, tenant un doigt sur sa bouche, et serrant ses lèvres pour enseigner le silence à tous ceux qui passaient. Faut-il croire que leurs doctrines étaient vénérables, et que les nôtres au contraire sont dignes de risée ? C’est plutôt avec raison que celles des gentils sont un objet d’examen, car elles consistent en raisonnements contradictoires, en controverses, en conclusions, et les nôtres en sont affranchies. Celles-là sont l’œuvre de la sagesse humaine, celles-ci sont l’enseignement de la grâce de l’Esprit-Saint ; celles-là sont les dogmes de la folie et de la déraison, celles-ci de la véritable sagesse. Là il n’y a point de disciple et de maître, mais tous cherchent ensemble, qu’ils soient maîtres ou disciples. Car être disciple, ce n’est pas chercher ; c’est être guidé par la confiance et non par le doute ; c’est croire et non raisonner. C’est la foi qui fait la gloire des anciens ; c’est le manque de foi qui a tout corrompu. Et que parlé-je des choses célestes ? Si nous examinons de près celles de la terre, vous trouverez qu’elles ne sont point étrangères à toute foi ; ni les contrats, ni les arts, ni rien de semblable ne peut s’en passer. Et, s’il en faut pour des objets trompeurs, combien plus pour des objets célestes ! Attachons-nous donc à la foi, possédons-la ; c’est ainsi que nous écarterons de notre âme toute funeste doctrine, telle que celles de l’émanation et du destin. Si vous croyez à la résurrection et au jugement, vous saurez écarter de votre âme toutes ces doctrines. Croyez que Dieu est juste, et vous ne croirez pas à une émanation inique ; croyez à la Providence divine, et vous ne croirez pas à une émanation à laquelle tout est soumis ; croyez aux châtiments divins et au royaume de Dieu, et vous ne croirez pas à une émanation qui nous enlève notre libre arbitre, pour nous soumettre à une nécessité impérieuse. Ne semez point, ne plantez point, ne combattez pas, ne faites rien en un mot ; avec ou sans votre volonté, tout se produira par l’émanation. Que restera-t-il à la prière ? et pourquoi voudriez-vous être chrétien, si l’émanation est vraie ? Car vous ne pourrez plus être accusé d’aucun péché. D’où viennent les sciences ? De l’émanation ? – Oui, nous répond-on ; mais le destin exige que tel homme devienne savant à grand peine. – Eh ! montrez-m’en un seul qui le devienne sans peine. C’est donc le travail et non l’émanation qui fait les savants. Pourquoi, me dira-t-on, tel misérable coquin est-il riche, pour avoir reçu de son père un héritage, tandis que tel homme se donne mille peines et reste pauvre ? – Car tel est l’objet constant de leurs disputes ; ils ne soulèvent que des questions de richesse et de pauvreté, non de vice et de vertu. Mais plutôt à ce sujet, montrez-moi un homme qui soit devenu méchant, quelque effort qu’il ait fait pour être vertueux, ou vertueux sans nul effort. Si le destin a tant de puissance, qu’il la montre dans les objets les plus grands, la vertu et le vice, et non dans la richesse et la pauvreté. – Pourquoi, dira-t-on encore, celui-ci vit-il dans les maladies et celui-là dans la santé ? Pourquoi celui-ci dans l’estime et celui-là dans l’opprobre ; pourquoi celui-ci réussit-il à son gré dans toutes ses affaires, et celui-là trouve-t-il mille et mille entraves ? – Écartez la doctrine de l’émanation et vous le comprendrez ; croyez à la Providence divine, et vous le verrez clairement. – Je ne le puis, répond mon adversaire, car cette confusion ne me permet point de soupçonner qu’une providence divine soit l’auteur de tout cela. Comment croire qu’un Dieu bon par excellence donne les richesses à l’impudique, au scélérat, à l’homme cupide, et ne les donne pas à l’homme de bien ! Quel moyen de le croire ? Car il faut bien s’en rapporter à ce qui existe. – Soit. Eh bien ! tout cela provient-il d’une émanation juste ou injuste ? – Injuste, me direz-vous. – Et qui en est l’auteur ? Est-ce Dieu ? – Non, me dira-t-on ; elle n’a point d’auteur. – Et comment cette émanation, qui n’est pas émanée, peut-elle opérer tout cela ? Il y a contradiction. Ainsi Dieu n’y, est pour rien. Examinons pourtant qui a fait le ciel. – L’émanation, me dira-t-on. – Et la terre ? Et la mer ? Et les saisons ? Et puis elle a disposé la nature inanimée dans un ordre parfait, dans une harmonie parfaite, et nous, pour qui tout cela existe, elle nous aurait destinés au désordre ? Comme celui qui, par ses soins prévoyants, disposerait à merveille une maison, mais ne ferait rien pour ceux qui doivent l’habiter. Qui veille à la succession des phénomènes ? Qui a donné à la nature ses lois si régulières ? Qui a réglé le cours du jour et de la nuit ? Tout cela est au-dessus de l’émanation. – Non, me dira mon adversaire ; tout cela s’est fait par hasard. – Et comment un ordre pareil serait-il l’effet du hasard ? – Mais on insiste : D’où vient – que la santé, la richesse, la renommée sont le fruit, tantôt de la cupidité, tantôt d’un héritage, tantôt de la violence ? Et pourquoi Dieu l’a-t-il permis ? – Parce que ce n’est point ici que chacun est rémunéré suivant – ses mérites ; ce sera dans le temps à venir montrez-moi qu’alors il en sera comme en ce monde. – Donnez-moi d’abord, me dira-t-on, les biens d’ici-bas ; je ne cherche pas ceux de l’autre monde. – C’est pour ce motif que ceux-là ne vous sont pas donnés. Car si, lorsque vous êtes privé des plaisirs, vous les aimez au point de les préférer aux biens célestes, que serait-ce, si vous jouissiez d’un plaisir sans mélange ? Dieu vous montre ainsi que ces avantages ne sont pas réels, mais indifférents ; s’ils ne l’étaient pas, il ne les eût point donnés aux méchants. Dites-moi, n’est-il pas indifférent que l’on soit noir ou blond, grand ou petit ? Eh bien ! il en est de même de la richesse. Dites-moi, chacun n’est-il pas équitablement pourvu des biens nécessaires, savoir l’aptitude à la vertu et la répartition des dons spirituels ? Si vous connaissiez les bienfaits de Dieu, jamais, étant équitablement pourvu de ces biens, vous ne seriez indigné de manquer des biens terrestres ; vous n’auriez pas cette avidité, si vous connaissiez les biens auxquels vous êtes admis. Un serviteur nourri, vêtu, logé par son maître comme ses compagnons, ne se croit pas plus riche qu’eux parce qu’il a des cheveux plus abondants ou des ongles plus longs ; de même c’est un bien vain orgueil que celui des biens terrestres. Dieu les éloigne de nous pour apaiser cette folie, pour diriger vers le ciel le désir qui se portait vers eux. Mais nous, même alors, nous ne devenons pas sages. De même que si un enfant possède un jouet et le préfère aux objets importants, son père le lui enlève pour l’amener, même malgré lui, à une occupation sérieuse ; de même Dieu en agit envers nous pour nous diriger vers le ciel. – Et pourquoi donc, dira-t-on, permet-il que les méchants possèdent les richesses ? – Parce qu’il en fait peu de cas. Et pourquoi le permet-il aux justes ? Il se borne à ne pas l’empêcher. – Nous avons parlé ici d’une façon élémentaire, comme à des hommes qui ignoreraient les Écritures ; mais, si vous vouliez croire et vous attacher aux paroles divines, nous n’aurions pas besoin de tant de discours, vous sauriez tout ce que vous avez besoin de savoir. Et pour vous apprendre que la richesse n’est rien, que la santé n’est rien, que la gloire n’est rien, je vous montrerai beaucoup d’hommes qui ont pu s’enrichir et ne l’ont pas fait, qui ont pu avoir une santé florissante et ont macéré leur corps, qui ont pu être honorés et ont tout fait pour être méprisés. Cependant nul homme étant bon ne s’efforce de devenir mauvais. Ayons donc l’ambition des biens véritables et nous obtiendrons même les autres en Jésus-Christ Notre-Seigneur, avec lequel soient au Père et au Saint-Esprit, gloire, puissance, honneur, maintenant et toujours, et aux siècles des siècles. Ainsi soit-il. HOMÉLIE II.
LA FIN DU PRÉCEPTE EST LA CHARITÉ QUI PART D’UN CŒUR PUR, D’UNE BONNE CONSCIENCE ET D’UNE FOI SINCÈRE ; MAIS QUELQUES-UNS S’EN SONT ÉCARTÉS POUR S’ÉGARER EN DE VAINS DISCOURS, VOULANT ÊTRE DOCTEURS DE LA LOI ET NE COMPRENANT NI CE QU’ILS DISENT NI L’OBJET DE LEURS AFFIRMATIONS. (I, 5-7 JUSQU’À 11) Analyse.
- 1. D’où viennent les hérésies. – Usage qu’il faut faire de la loi.
- 2. Saint Chrysostome voit dans les versets 9 et 10, où se trouvent énumérés les plus grands crimes, une allusion aux Juifs. – En quoi consiste la vraie gloire.
- 3. Vanité de la parure. – Bonne odeur de la vertu, infection du péché. – Quelle est la vraie volupté.
1. Rien n’est si funeste au genre humain que de mépriser la charité au lieu de la pratiquer avec zèle ; rien n’est si efficace pour la rectitude de la vie que de s’efforcer d’atteindre à cette vertu. Le Christ nous l’enseigne, quand il nous dit : « Si deux d’entre vous unissent leur prière pour le même objet, tout ce qu’ils demanderont, ils l’obtiendront ». (Mat 18,19) Et encore : « Lorsque l’iniquité sera abondante, la charité se refroidira ». (Mat 24,12) C’est là l’origine de toutes les hérésies. C’est parce qu’on n’aimait pas ses frères qu’on est devenu jaloux de leur bonne renommée ; cette jalousie a produit l’amour de la domination, et celui-ci toutes les hérésies. Aussi Paul, après avoir dit à Timothée « de prescrire à certains hommes de ne point enseigner une autre doctrine », lui enseigne comment il y pourra réussir. Et quel est ce moyen ? La charité. De même que, lorsqu’il dit : « Le Christ est la fin de la loi » (Rom 10,4), il veut dire son accomplissement, qui ne peut être obtenu sans le Christ ; de même le précepte ne peut s’accomplir sans la charité. La fin de la médecine, c’est la santé ; quand on la possède, on n’a pas besoin de soins extraordinaires ; de même quand on possède la charité, on n’a pas besoin de beaucoup de préceptes. Et de quelle charité parle l’apôtre ? De celle qui est véritable et ne s’en tient pas aux paroles, mais réside dans le sentiment de l’âme et le partage des souffrances. Celle qui part d’un cœur pur, dit l’apôtre ; voulant dire d’une conduite droite ou d’une affection légitime ; car une vie qui n’est point pure produit des divisions. « Quiconque fait le mal, hait la lumière ». (Jn 3,20) Il y a en effet aussi une amitié entre les méchants ; les brigands aiment les brigands, les meurtriers aiment les meurtriers ; celle-là ne part point d’une bonne conscience, mais d’une mauvaise ; non d’un cœur pur, mais d’un cœur impur ; elle ne part point d’une foi sincère. La foi enseigne le vrai ; une foi véritable fait naître la charité ; car celui qui croit véritablement en Dieu ne peut perdre la charité. « Quelques-uns », continue le texte, s’en sont a écartés pour s’égarer en de vains discours ». Oui, ils se sont égarés, car il faut être habile pour choisir la direction vraie et ne pas se détourner du but, en sorte qu’on se laisse diriger par l’Esprit ; beaucoup d’impulsions nous écartent du véritable but, et il faut avoir toujours en vue le terme unique. « Voulant », continue l’apôtre, « être docteurs de la loi ». Vous voyez ici une autre cause de ce désordre, l’amour de la domination. C’est pourquoi le Christ a dit : « Vous ne vous ferez point appeler rabbi ». (Mat 23,8) Et l’apôtre à son tour : « Ils n’observent point eux-mêmes la loi, mais veulent se glorifier dans votre chair ». (Gal 6,13) Ils désirent être honorés, et à cause de cela ne considèrent point la vérité. « Ne comprenant ni ce qu’ils disent, ni l’objet de leurs affirmations ». L’apôtre les accuse ici de ne point connaître le but de la loi, et de ne point savoir jusqu’à quel temps elle devait régner. Mais, me dira-t-on, si leur conduite vient d’ignorance, comment dites-vous qu’ils pèchent ? C’est que leur faute vient non seulement de ce qu’ils veulent être docteurs de la loi, mais encore de ce qu’ils ne conservent pas la charité, et que de là résulte l’ignorance. En effet, quand l’âme se donne aux objets charnels, sa vue se paralyse ; jetée hors de la charité, elle tombe dans une jalousie querelleuse, et désormais l’œil de son intelligence est éteint. Celui qui se laisse posséder par le désir des choses temporelles, s’enivre de sa passion et ne saurait être le juge intègre de la vérité. – « Ils ne connaissent point ce qu’ils affirment ». Sans doute ils débitaient de vaines paroles au sujet de la loi, et s’étendaient en longs discours sur les cérémonies purificatoires et les autres observances matérielles. Sans s’arrêter à démontrer que ces observances n’étaient que les ombres des préceptes spirituels et de simples figures, l’apôtre aborde un sujet plus digne d’attrait. Et quel est-il ? C’est l’éloge de la loi, par laquelle il entend ici le décalogue, dont il a séparé les observances légales. Car si les violateurs de celles-ci, qui sont inutiles aux chrétiens, ont encouru des châtiments, combien plus ceux du décalogue. « Nous savons », dit-il, « que la loi est bonne, si l’on en fait un usage légitime en sachant qu’elle n’est pas faite pour le juste (8, 9) ». La loi, dit-il, est bonne, et elle n’est pas bonne. Quoi ! si l’on en fait un usage illégitime, la loi cesse-t-elle d’être bonne ? Non, elle l’est toujours ; mais voici ce – que veut dire l’apôtre : Il la déclare bonne lorsqu’on l’accomplit par les œuvres. Tel est ici le sens de ces mots : « Si l’on en fait un usage légitime ». Mais l’interpréter en paroles et la violer dans sa conduite, c’est là en faire un usage illégitime ; ils en usent, mais non pour leur avantage. Il y a encore quelque chose à ajouter, c’est que si vous faites de la loi un usage légitime, elle vous conduit à Jésus-Christ. Le but de la loi en effet étant de justifier l’homme, et la loi ne le pouvant faire par elle-même, elle conduit à celui qui en a la puissance. Et l’on fait de la loi un usage légitime, lorsqu’on l’observe par surcroît. Et comment cela ? De même qu’un cheval obéit au frein de la façon la plus convenable, s’il ne se cabre ni ne mord, mais s’il ne le porte que pour la forme ; de même l’homme qui fait de la loi un usage légitime est celui qui ne doit pas sa conduite sage à la lettre de la loi. Et quel est-il ? C’est celui qui sait qu’il n’a pas besoin d’elle. Car celui qui s’efforce d’arriver à une si haute vertu, que la rectitude de sa conduite soit due, non à la crainte que la loi inspire, mais à la vertu même, celui-là fait de la loi un usage légitime et sûr ; agir sans craindre la loi, mais en ayant devant les yeux le jugement de Dieu et le châtiment, c’est faire un bon usage de la loi. L’apôtre appelle ici « juste » celui qui pratique la vertu. Celui-là fait un excellent usage de la loi, qui veut être formé par un autre que par elle. 2. De même en effet que l’on met la ponctuation dans les écritures à l’usage des enfants, mais que celui qui la supplée dans les écritures où elle n’est pas mise est en possession d’une science plus haute et sait mieux faire usage des lettres ; de même celui qui est au-dessus de la loi n’est pas instruit par elle. Celui qui l’accomplit, non par crainte, mais par un désir plus ardent de la vertu, celui-là l’exécute mieux. Car celui qui craint la peine et celui qui désire l’honneur n’accomplissent pas la loi de la même façon ; on ne peut assimiler celui qui est sous la loi et celui qui est au-dessus de la loi ; vivre au-dessus de la loi, c’est en faire un usage légitime. Celui-là en fait un excellent usage et l’observe, qui fait plus que la loi ne prescrit, et qui ne se fait pas le disciple de la loi. Car, en général, la loi défend le mal, mais cela ne suffit pas pour être juste ; il y faut joindre la pratique du bien. En sorte que ceux qui ne s’abstiennent du mal que par une crainte servile n’accomplissent point le but de la loi. Comme elle est faite pour réprimer la prévarication, ils font bien usage de la loi, mais seulement dans la crainte du châtiment. « Voulez-vous », dit l’Écriture, « ne pas craindre le pouvoir ? Faites le bien » (Rom 13,3) ; c’est-à-dire, qu’elle ne dénonce le châtiment qu’aux méchants ; mais celui qui mérite des couronnes, à quoi bon une loi pour lui ? Le médecin est utile au blessé, non à celui dont la santé est bonne et satisfaisante. « La loi », continue l’apôtre, « est faite pour les injustes et les insubordonnés, les impies et les pécheurs (9) ». Par les injustes et les insubordonnés, il entend les Juifs. « La loi », dit-il ailleurs, « opère la colère ». (Rom 4,15) Qu’a cela de commun avec celui qui mérite l’honneur ? « Par la loi, le péché est reconnu ». (Id 3,20) Qu’a cela de commun avec le juste ? Comment donc la loi n’est-elle pas faite pour lui ? Parce qu’il n’est pas soumis au châtiment, et parce qu’il n’attend pas qu’elle lui enseigne ce qu’il doit faire, ayant au dedans de lui-même la grâce de l’Esprit qui l’inspire. Car la loi a été donnée pour réprimer par la crainte et les menaces. Mais il n’est pas besoin de frein pour un cheval qui se laisse aisément conduire, ni d’instruction pour celui qui n’en manque pas. « Pour les injustes et les insubordonnés, les impies et les pécheurs, les scélérats et les hommes souillés, les meurtriers de leur père ou de leur mère (9) ». L’apôtre ne s’est pas borné là dans l’indication des péchés, mais il les a parcourus en détail, afin de faire rougir ceux qui sont sous la loi. Et derrière cette énumération, il y a une allusion facile à saisir. De qui veut-il donc parler ? Des Juifs. Les meurtriers de leur père et de leur mère, ce sont eux. Les hommes souillés, les impies, ce sont eux. Ce sont eux que l’apôtre a en vue lorsqu’il dit : « Pour les impies, pour les pécheurs ». Puisqu’ils étaient tels, il fallait bien que la loi leur fût donnée. Dites-moi, en effet, n’adoraient-ils pas continuellement des idoles ? Ne voulaient-ils pas lapider Moïse ? Leurs mains n’étaient-elles pas souillées du meurtre de leurs frères ? Les prophètes ne leur font-ils pas sans cesse ces reproches ? Tout cela est étranger à ceux dont la pensée est dans le ciel. « Les parricides, les meurtriers, les fornicateurs, les hommes coupables de désordres contre nature, les vendeurs d’hommes libres, les menteurs, les parjures, et tout ce qui peut encore être contraire à la saine doctrine (9, 10, 11) » : c’étaient là toutes les passions des âmes corrompues. « Doctrine qui est conforme », dit-il, « à l’Évangile de la gloire du Dieu bienheureux ; et cet Évangile m’a été confié (11) ». En sorte que maintenant encore la loi est nécessaire pour l’affermissement de l’Évangile ; mais non à ceux qui croient. Si l’apôtre l’appelle Évangile de gloire, c’est ou bien en vue de ceux qui en rougissent à cause des persécutions et de la passion du Christ, et spécialement parce que la passion du Christ et les persécutions sont une gloire ; ou bien pour exprimer mystérieusement l’avenir. Car si l’époque présente est remplie d’opprobres et d’outrages, il n’en sera pas de même de l’avenir, et « l’Évangile » a pour objet l’avenir plutôt que le présent. Comment donc l’ange a-t-il dit : « Voilà que je vous évangélise qu’il vous est né un Sauveur ? » (Luc 11,10-11) Le Sauveur « est « né », mais il « sera » Sauveur, car il n’a pas fait ses miracles à sa naissance. – « Conforme « à l’Évangile de la gloire du Dieu bienheureux ». Par « gloire » il entend l’adoration de Dieu, et nous dit que si le temps présent est rempli de sa gloire, le temps à venir le sera bien davantage ; « quand ses ennemis seront mis sous ses pieds » (1Co 15,25), lorsqu’il n’y aura plus d’opposition à sa gloire et que les justes verront ce bonheur « que l’œil n’a point vu, que l’oreille n’a point entendu, et qui n’a point pénétré dans le cœur de l’homme ». (Id 2,9) « Je veux », dit l’Évangile, « que, là où je suis, ils soient aussi, afin qu’ils contemplent la gloire que vous m’avez donnée ». (Jn 17,24) Apprenons quels sont ceux-là, afin que nous les félicitions d’être destinés à jouir, de tels biens, à participer à une telle gloire et à une telle lumière ! Car ici-bas la gloire est vaine et instable ; si longtemps qu’elle dure, elle ne peut durer plus que nous, elle s’évanouit donc bientôt. « Sa gloire », dit l’Écriture, « ne descendra pas avec lui dans la tombe » (Psa 49,18) ; et pour beaucoup elle n’a pas même duré jusqu’au terme de leur vie. Mais, pour la gloire céleste, on ne peut rien soupçonner de tel ; bien au contraire, elle demeure et n’aura jamais de fin. Car ces dons divins sont permanents, supérieurs au changement et à la mort. Alors la gloire ne vient plus des choses extérieures, mais elle a son siège en nous-mêmes, elle ne provient plus des vêtements somptueux, de la foule des serviteurs, des chars qui nous portent ; l’homme est revêtu d’une gloire indépendante de tout cela. Ici, quand il est privé de ces insignes, il est dépouillé de sa gloire : c’est ainsi qu’aux bains tous sont également nus, gens illustres et gens obscurs et misérables. C’est un danger que beaucoup ont couru, même sur les places publiques, lorsque pour quelque nécessité leurs serviteurs s’éloignaient d’eux. Mais le bienheureux n’est plus nulle part séparé de sa gloire. De même que les anges, quelque part qu’ils se montrent, portent leur gloire en eux-mêmes, ainsi en est-il des saints. Le soleil n’a pas besoin de vêtement ; il n’a pas besoin d’un autre soleil, mais, dès qu’il paraît, il fait reluire sa gloire ; ainsi en sera-t-il dans le ciel. 3. Poursuivons donc cette gloire, digne de la plus haute vénération ; renonçons à l’autre qui est ce qu’il y a de plus vain. « Ne vous enorgueillissez pas », dit l’Écriture, « des vêtements qui vous couvrent ». (Sir 11,4) Voilà ce qu’a dit aux insensés la sagesse d’en haut. En effet, le danseur, la courtisane, l’acteur, ne sont-ils pas vêtus avec plus de grâce et de richesse que vous ? Et, quand il n’en serait pas ainsi, comment vous enorgueillir d’un objet que les vers peuvent vous ravir, s’ils s’y attachent ? Vous voyez donc combien est instable la gloire de la vie présente. Vous vous enorgueillissez d’une chose qu’un insecte produit et qu’un insecte dévore. On dit en effet que ces fils sont l’œuvre de petits animaux de l’Inde ▼▼Il s’agit évidemment de la soie : dans la géographie très imparfaite de cette époque, l’Inde se dit pour l’extrême Orient.
. Acquérez un vêtement, si vous le voulez, mais un vêtement qui soit tissu dans le ciel, un ornement vraiment digne d’admiration et de gloire, un costume dont l’or soit véritablement pur. Cet or n’est point arraché des mines par les mains des condamnés, mais il est le produit de la vertu. Revêtons-nous de cette robe qui n’est pas, l’œuvre des pauvres et des esclaves, mais du souverain Maître lui-même. Mais quoi ! L’or est-il répandu sur ce vêtement ? Et que vous importe ? Ce que chacun admire dans votre costume, c’est l’art de l’ouvrier et non vous qui le portez, et c’est l’ouvrier seul qui le mérite. Pour les vêtements simples, nous n’admirons pas le morceau de bois sur lequel on les a étendus chez le foulon ; nous ne faisons cas que de l’ouvrier lui-même ; et cependant le bois porte le vêtement et sert à le maintenir : de même une femme parée ▼▼Texte obscur et peut-être altéré.
ne sert qu’à donner de l’air à ses vêtements, pour que les vers ne les dévorent pas. Comment donc en vient-on à cet excès de folie que, pour un objet qui n’est rien, l’on montre une telle passion, on soit prêt à tout faire, on trahisse le soin de son salut, on méprise l’enfer, on outrage Dieu, on oublie la pauvreté du Christ ? Que dire de cette abondance de parfums, fournis par l’Inde, l’Arabie et la Perse, secs et liquides ; essences et parfums à brûler, pour lesquels on fait une dépense si grande et si inutile ? Femme, pourquoi parfumez-vous un corps qui au dedans est rempli d’impureté ? Pourquoi tant de frais pour un objet infect ? C’est comme si vous jetiez un parfum sur de la boue ou du baume sur une misérable argile ? Il est, si vous voulez l’acquérir, un parfum, un aromate, dont vous pouvez embaumer votre âme ; on ne le tire point de l’Arabie, de l’Éthiopie, ni de la Perse, mais il descend du ciel lui-même ; on ne l’achète point au prix de l’or, mais par la bonne volonté et la foi sincère. Procurez-vous ce parfum, dont l’odeur peut remplir la terre entière. C’est lui que respiraient les apôtres. « Nous sommes un parfum d’agréable odeur », dit l’apôtre, « aux uns pour la mort, aux autres pour la vie ». (2Co 11,15-16) Que veulent dire ces paroles ? C’est que, dit-on, une odeur agréable suffoque les porcs. Ce n’était pas seulement le corps des apôtres, mais leurs vêtements qui respiraient le parfum spirituel. Des vêtements de Paul sortait une émanation si noble qu’elle chassait les démons. Le laser, la cannelle et la myrrhe peuvent-ils rivaliser avec le charme et l’avantage d’un tel parfum ? S’il chassait les démons, que ne pouvait-il pas faire ? Procurons-nous cet aromate ; c’est la grâce de l’Esprit qui nous le donne par sa miséricorde. Nous le respirerons, sortis de ce monde ; et comme, sur la terre, ceux qui sont parfumés attirent l’attention de tout le monde ; comme au bain, à l’église et dans toutes les réunions nombreuses, où une toilette exhale cette odeur, chacun s’en rapproche ou se tourne vers elle ; de même, dans l’autre monde, lorsqu’une âme se présente, respirant la bonne odeur spirituelle, chacun se lève et s’écarte pour lui faire honneur. Ici les démons et les vices n’ont ni le courage ni la force de s’en approcher : ils sont suffoqués. Couvrons-nous de cet aromate. L’autre nous vaut la réputation d’hommes efféminés ; celui-là d’hommes courageux et admirables ; il nous procure une mâle indépendance. Ce n’est point la terre qui le donne, c’est la vertu qui le produit ; il ne se dessèche point, il fleurit ; il rend dignes d’honneur ceux qui le possèdent. Nous en sommes enduits au baptême ; nous exhalons alors une odeur suave. Mais le respirer aussi durant le reste de notre vie, cela dépend de notre vertu. C’est pour cela que dans l’antiquité les prêtres étaient oints de parfums, comme symbole de la suave odeur de la vertu que doit exhaler le prêtre. Mais rien n’est plus infect que le péché. Voyez comment le prophète en décrit la nature, quand il dit : « Mes blessures sont infectes et corrompues ». (Psa 38,6) Et réellement le péché est pire et plus infect que la pourriture. Qu’y a-t-il, dites-moi, de plus infect que la fornication ? Si cette odeur ne se sent pas dans la perpétration du péché, essayez après, c’est alors que vous sentirez l’infection, que vous apercevrez l’impureté, la souillure, l’abomination. Il en est ainsi de tous les péchés : avant qu’ils soient commis, ils nous offrent quelque attrait ; après qu’ils sont consommés, le plaisir cesse et se flétrit, la douleur et la honte en prennent la place. Pour la justice, il en est tout au contraire ; elle impose d’abord quelque peine, mais ensuite elle apporte la joie et le repos. Et, même dans le péché, le plaisir n’est pas un plaisir, quand il attend la honte et le châtiment ; dans la justice, la peine n’est plus une peine, par l’espoir de la récompense. Qu’est-ce que l’ivrognerie, dites-le-moi ? Ne trouve-t-elle pas du plaisir uniquement dans l’acte de boire, ou plutôt pas même dans cet acte ? Lorsque l’ivrogne est tombé dans un état d’insensibilité et ne voit rien de ce qui l’entoure, mais gît ravalé au-dessous de l’insensé, quel plaisir lui reste-t-il ? La débauche ne procure pas même une satisfaction momentanée ; car, quand l’âme maîtrisée par sa passion a perdu le jugement, quelle joie peut-elle éprouver ? Si elle en éprouve, ce n’est qu’une démangeaison. La vraie joie est celle de l’autre vie, où l’âme n’est plus tourmentée et déchirée par les passions. Est-ce de la joie que de grincer des dents, de rouler les yeux, d’éprouver l’agitation et la chaleur de la fièvre ? C’est si peu la joie que nous nous empressons de nous en débarrasser et qu’après l’accès de la passion nous souffrons encore. Si c’est la joie, ne vous en débarrassez point, conservez-la. Vous voyez bien qu’elle n’en a que le nom. Mais le bonheur du chrétien n’est point tel ; il est véritable, ce n’est point un plaisir fiévreux ; il donne la liberté à l’âme, elle en est charmée et se fond de plaisir. Telle était la joie de Paul quand il disait : a En cela a je me réjouis et me réjouirai encore ». (Phi 1,18) – Et plus loin : « Réjouissez-vous toujours dans le Seigneur ». (Id 4,4) L’autre joie entraîne la honte et la condamnation ; elle ne se produit qu’en secret, et est remplie de mille dégoûts, celle-ci est franche de toutes ces peines. Poursuivons-la donc afin d’obtenir les biens futurs, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec qui soient au Père et au Saint-Esprit, gloire, puissance, honneur, à présent et toujours, et aux siècles des siècles. Ainsi soit-il. HOMÉLIE III.
JE RENDS GRÂCES A CELUI QUI M’A FORTIFIÉ, AU CHRIST JÉSUS NOTRE-SEIGNEUR, DE CE QU’IL M’A ESTIMÉ FIDÈLE, ME PLAÇANT A SON SERVICE, MOI QUI AUPARAVANT ÉTAIS BLASPHÉMATEUR, PERSÉCUTEUR ET COUPABLE D’OUTRAGES ; MAIS IL M’A FAIT MISÉRICORDE, PARCE QUE J’AI AGI PAR IGNORANCE DANS L’INCRÉDULITÉ ; ET LA GRACE DE NOTRE-SEIGNEUR A SURABONDÉ AVEC LA FOI ET LA CHARITÉ QUI EST EN JÉSUS-CHRIST. (I, 12-14) Analyse.
- 1. Admirable humilité de saint Paul.
- 2. S’il avait persécuté l’Église naissante, il l’avait fait par ignorance et par zèle, et non par amour de la domination. 3 et 4. Que l’amour de Dieu dirige notre vie. – Rendons le bien pour le mal.
1. Nous savons que l’humilité procure de grands avantages, mais nulle part on n’y arrive aisément ; nous trouvons bien et plus qu’il ne faut l’humilité des paroles, nulle part la vraie humilité. Mais le bienheureux Paul l’a pratiquée avec un grand zèle, et il se représentait toutes les raisons d’humilier son esprit. En effet, comme il est naturel que l’humilité soit difficile pour ceux qui ont conscience de leurs grands progrès dans le bien ; saint Paul devait souffrir une grande violence, car le bien dont il avait conscience produisait comme un gonflement dans son cœur. Considérez donc ce qu’il fait. Il vient de dire que l’Évangile de la gloire de Dieu lui a été confié, Évangile auquel ne peuvent avoir part ceux qui suivent encore la loi ; car il y a incompatibilité, et l’intervalle est si grand que ceux qui se laissent entraîner par la loi, ne sont pas encore dignes d’avoir part à l’Évangile ; ainsi dirait-on que ceux à qui il faut des chaînes et des tribunaux ne peuvent être admis au nombre des philosophes. Après donc qu’il s’est exalté et a dit de lui-même cette grande parole, il se rabaisse aussitôt et engage les autres à faire de même. A peine a-t-il écrit que l’Évangile lui a été confié, qu’il se hâte d’ajouter un correctif, afin que vous ne pensiez point qu’il a parlé par orgueil. Voyez donc comme il corrige son discours en ajoutant ces mots : « Je rends grâces à celui qui m’a fortifié, au Christ Jésus Notre-Seigneur, de ce qu’il m’a estimé fidèle, me plaçant à son service ». Voyez-vous comment il cache partout sa vertu et rapporte tout à Dieu, sachant toutefois réserver son libre arbitre ? En effet, un infidèle dirait peut-être : Si tout est de Dieu, si nous ne contribuons à rien, s’il vous transporte comme du bois et des pierres, du vice à la sagesse, pourquoi en a-t-il agi ainsi envers Paul et non envers Judas ? Voyez comment, pour détruire cette objection, il use de paroles prudentes : L’Évangile m’a été confié, dit-il, C’est là son avantage et sa dignité ; mais elle ne lui appartient pas pleinement, car voyez ce qu’il dit : « Je rends grâces à celui qui m’a « fortifié, à Jésus-Christ n. Voilà ce qui appartient à Dieu ; voici maintenant ce qui lui appartient à lui-même : « Parce qu’il m’a estimé fidèle » ; c’est-à-dire estimé devoir faire bon usage de ses propres facultés. « Me prenant », dit-il, « à son service, moi qui auparavant étais blasphémateur, persécuteur et coupable d’outrages ; mais il m’a fait miséricorde, parce que j’ai agi par ignorance dans l’incrédulité ». Voyez comment il expose ce qui lui appartient et ce qui appartient à Dieu, attribuant la plus grande part à la Providence divine, et resserrant la sienne, mais toutefois, comme j’ai eu hâte de le dire, sans porter atteinte au libre arbitre. Et pourquoi ces mots : M’a fortifié ? L’apôtre avait reçu un lourd fardeau et avait besoin d’une grande assistance d’en haut. Songez en effet ce que c’était que d’avoir à soutenir chaque jour les outrages, les insultes, les embûches, les périls, les railleries, les injures, le danger de mort ; et cela sans faiblir, sans glisser dans la voie, sans retourner en arrière mais, en butte à mille traits chaque jour, conserver un regard fixe et intrépide, cela n’est point ;?au pouvoir des forces humaines, et même ne demande pas l’assistance ordinaire de Dieu, mais une vocation spéciale. C’est parce que Dieu avait prévu ce que serait Paul, qu’il l’a choisi ; écoutez ce qu’il dit avant que Paul commence à prêcher l’Évangile : « Celui-ci est pour moi un vase d’élection, qui doit porter mon nom en présence des nations et des rois ». (Act 9,15) De même que ceux qui portent à la guerre le drapeau du souverain, le labarum, ont besoin de force et d’expérience, pour ne pas le laisser tomber aux mains de l’ennemi ; de même ceux qui portent le nom du Christ, non seulement durant la guerre, mais aussi en pleine paix, ont besoin d’une grande force pour ne pas le trahir devant les bouches qui l’accusent, mais pour le soutenir noblement et porter la croix. Oui, il faut une grande force pour soutenir le nom du Christ. Celui qui se permet dans ses paroles, ses actions ou sa pensée quelque chose d’indigne, ne le soutient pas et n’a pas le Christ en lui. Celui qui en est chargé, doit le porter avec honneur, non à travers une place publique, mais à travers les cieux ; et c’est avec tremblement que tous les anges l’escortent et l’admirent. « Je rends grâces », dit l’apôtre, « à celui qui m’a fortifié, au Christ Jésus Notre-Seigneur ». Vous le voyez, il témoigne sa reconnaissance. C’est de ce qu’il est un vase d’élection, qu’il témoigne sa reconnaissance envers Dieu. Ce titre vous appartient, ô bienheureux Paul, car Dieu ne fait point acception des personnes. C’est comme s’il disait : Je rends grâces de ce que Dieu m’a honoré de cette fonction, qui montre qu’il m’estime fidèle. Car de même que, dans une maison, l’intendant ne remercie pas seulement son maître d’avoir eu confiance en fui, mais voit dans sa charge un témoignage qu’il a en lui plus de confiance que dans les autres ; de même en est-il du ministère apostolique. Considérez ensuite comment il exalte la miséricorde et la bonté de Dieu, en parlant de sa vie antérieur : « Moi », dit-il, « qui auparavant étais blasphémateur, persécuteur et coupable d’outrages ». Lorsqu’il parle des juifs encore incrédules, son langage est fort réservé : « Je leur rends témoignage », dit-il, « qu’ils ont du zèle pour Dieu, mais un zèle qui n’est pas selon la science ». (Rom 10,2) S’il parle de lui-même, au contraire, il se donne les noms de blasphémateur et de persécuteur. Voyez comme il s’abaisse, comme il est éloigné de l’amour-propre, combien il tient sa pensée dans l’humilité. Il ne lui a pas suffi de dire « blasphémateur », il ajoute « persécuteur » ; il insiste. Il dit en effet qu’il ne se bornait pas à faire lui-même le mal, qu’il ne se contentait pas de blasphémer, mais qu’il persécutait ceux qui voulaient suivre la voie de la religion ; car la fureur du blasphème va bien loin. « Mais », ajoute-t-il, « Dieu m’a fait miséricorde, parce que j’ai agi « par ignorance dans l’incrédulité ». 2. Et pourquoi n’a-t-il pas fait miséricorde au reste des juifs ? Parce qu’ils n’ont pas péché par ignorance, mais qu’ils avaient conscience et pleine connaissance du mal qu’ils taisaient. Et, pour le bien comprendre, écoutez l’évangéliste qui nous dit : « Plusieurs d’entre les principaux juifs croyaient en lui, mais n’en convenaient pas ; car ils aimaient mieux la gloire qui vient des hommes, que celle qui vient de Dieu ». (Jn 12,42,43) Et le Christ ; « Comment pouvez-vous croire, vous qui recherchez la gloire, que vous vous donnez les uns aux autres ? » (Jn 5,44) Et encorde passage où il est dit que les parents de l’aveugle parlèrent ainsi à cause des juifs, dans la crainte d’être chassés de la synagogue. (Jn 9,22) Et les Juifs disaient : Voyez-vous que nous ne gagnons rien ? car tout le monde va après lui. Partout, en effet, la passion de dominer les troublait. Et eux-mêmes dirent que « personne n’a le pouvoir de remettre les péchés, si ce n’est Dieu seul ». (Luc 5,21) Et aussitôt Jésus fit ce qu’ils disaient être le signe de Dieu. Ce n’était donc pas chez eux cause d’ignorance. Où était alors Paul ? dira-t-on peut-être. Il était assis aux pieds de Gamaliel, n’ayant rien de commun avec cette foule séditieuse. Et où était Gamaliel ? C’était un homme qui ne faisait rien par amour de la domination. Comment donc, après cela, Paul se trouve-t-il avec la foule ? Il voyait le nombre des croyants s’augmenter, prendre le dessus et tout le peuple se laisser gagner. Les uns s’étaient réunis au Christ pendant qu’il était sur la terre, d’autres à ses disciples ; enfin il se faisait une grande division parmi les Juifs. Et ce qu’il fit alors, il le fit, non par amour de la domination, comme les autres, mais par zèle. Car pourquoi se rendait-il à Damas ? Il regardait ce qui se passait comme un mal, et craignait que la prédication ne se répandît partout. Mais il n’en était pas ainsi des autres. Ce n’était pas par un soin tutélaire pour la foule, mais par amour de la domination qu’ils agissaient. Voyez ce qu’ils disent : « Les Romains détruisent notre nation et notre ville ». (Jn 11,48) C’était donc une crainte humaine qui les agitait. Mais il est important d’examiner comment Paul, disciple si exact de la loi, ne connaissait pas cet Évangile qu’il a dit avoir été annoncé d’avance parle ministère des prophètes. (Rom 1, 2) Comment ne le savait-il pas, lui zélateur de la loi de ses pères, instruit aux pieds de Gamaliel ? D’autres, vivant sur les lacs, sur les fleuves, dans les bureaux des publicains, accouraient à Jésus et accueillaient sa parole, et vous, savant dans la loi, vous la persécutiez. C’est pour cela qu’il se condamne en disant : « Je ne suis pas digne d’être appelé apôtre ». (1Co 15,9) Il reconnaît ainsi en lui une ignorance engendrée par l’incrédulité ; c’est pour cela qu’il dit avoir été l’objet de la miséricorde. Que veut donc dire : « M’a estimé fidèle ? » C’est qu’il n’a trahi aucun des commandements qu’il a reçus ; il a tout rapporté au souverain Maître, même ses actions, et ne s’est point approprié la gloire de Dieu. Écoutez en effet ce qu’il dit ailleurs : « Que faites-vous a là ? Nous sommes des hommes et dans la « même condition que vous » (Act 14,14) ; c’est ainsi qu’il entend ces mots : Il m’a estimé fidèle. En effet il dit ailleurs : « J’ai enduré plus de fatigues qu’eux tous, non pas moi mais la grâce de Dieu avec moi ». (1Co 15,10) Et dans un autre endroit : « C’est Dieu qui opère en nous le vouloir et le faire ». (Phi 2,13) Il s’avoue digne de châtiment. Mais la miséricorde intervient en ces circonstances. Et ailleurs encore : « L’aveuglement s’est répandu sur une partie d’Israël ». (Rom 11,25) « Mais », dit-il à Timothée, « la grâce de Dieu a surabondé avec la foi et la charité, qui est en Jésus-Christ ». (1,14) Pourquoi parle-t-il ainsi ? Afin que vous ne pensiez pas qu’il lui a seulement « été fait miséricorde ». J’étais, dit l’apôtre, blasphémateur, persécuteur, coupable d’outrages ; et par conséquent digne de châtiment. Je n’ai pas été puni, car il m’a été fait miséricorde. Mais ne s’est-elle étendue qu’à le sauver du châtiment ? Non certes Dieu y a ajouté de nombreux et immenses bienfaits. Dieu ne nous a pas seulement sauvés du châtiment suspendu sur nos têtes, mais il nous a faits justes, ses enfants, ses frères, ses amis, ses héritiers, cohéritiers de Jésus-Christ. C’est pour cela que l’apôtre dit : La grâce a surabondé ; car la mesure de ses bienfaits a dépassé le niveau de la simple miséricorde. Ce n’est plus l’acte de la miséricorde, mais de l’amour et d’une extrême tendresse. L’apôtre en exaltant la bonté de Dieu qui lui a fait miséricorde, à lui blasphémateur, persécuteur et coupable d’outrages, et qui ne s’en est pas tenu là, mais a daigné lui accorder de grands bienfaits, écarte encore l’objection des incrédules, en se gardant de laisser soupçonner la suppression du libre arbitre, car il ajoute : « Avec la foi et la charité eu Jésus-Christ ». Tout ce que nous avons apporté, dit-il, c’est que nous avons cru qu’il peut nous sauver. 3. Aimons donc Dieu par le Christ. Mais que veulent dire ces mots : « Par le Christ ? » Ils veulent dire que c’est à lui-même et non à la loi que nous devons notre salut. Voyez-vous de quels biens le Christ a été pour nous l’auteur et ce que nous devons à la loi ? L’apôtre n’a pas dit seulement que la grâce a abondé, mais qu’elle a surabondé. Oui, elle a surabondé, quand d’hommes qui méritaient mille châtiments, elle a fait tout à coup des enfants d’adoption. Dans le Christ, c’est par le Christ. Voici encore une fois « dans » mis pour « par ». Il n’est pas seulement besoin de foi, mais d’amour. Car aujourd’hui encore il en est beaucoup qui croient que le Christ est Dieu, mais qui ne l’aiment pas et n’agissent point comme des personnes qui aiment ; et comment l’aimeraient-ils, quand ils lui préfèrent toutes choses, les richesses, la naissance, le fatalisme, les superstitions, les présages, les augures ? Quand nous ne vivons que pour outrager le Christ, dites-moi, comment l’aimerions-nous ? Si quelqu’un a un ami chaleureux et plein d’ardeur, qu’il ait au moins pour le Christ, le même amour ; qu’il ait le même amour pour Dieu, qui a livré son Fils pour ses ennemis, pour nous qui n’avons rien fait pour le mériter. Que dis-je, qui n’avons rien fait ? Je devrais dire pour nous qui avons commis des crimes d’une audace inconcevable, sans motif, après d’innombrables bienfaits, d’innombrables marques d’amour ; et il ne nous a pas pour cela rejetés, mais c’est au moment où nous étions le plus avant dans l’iniquité, qu’il nous a donné son Fils. Et nous, après un bienfait si grand, après être devenus ses amis, après que, par le Christ, nous avons été comblés de biens si grands, nous ne l’aimons pas comme nous aimons un ami. Et quelle sera notre espérance ? Frémissez à cette parole, et plaise à Dieu que ce frémissement vous soit salutaire ! Et quoi, me dira-t-on, nous n’aimons pas même le Christ comme nos amis ? Je vais essayer de vous le faire voir ; je voudrais que mes paroles fussent des folies et non la vérité, mais je crains de rester encore au-dessous d’elle. Pour de véritables amis, souvent plusieurs ont volontairement souffert ; pour le Christ, nul ne consent, je ne dis pas à souffrir, mais à se contenter de sa fortune présente. Pour un ami, souvent nous nous exposons à l’injure, nous acceptons des inimitiés ; pour le Christ, nul n’en accepte ; mais, comme dit le proverbe ##Rem Fais-toi aimer à l’aventure et non haïr à l’aventure. Nous ne voyons pas d’un ceil indifférent notre ami souffrir de la faim ; chaque jour le Christ vient nous demander non de grands sacrifices, mais un morceau de pain et nous ne l’accueillons pas, tandis que nous remplissons et gonflons notre ventre jusqu’à un ignoble excès, que notre haleine est infectée de vin, que nous vivons dans la mollesse, que nous prodiguons nos biens les uns à des créatures sans pudeur, les autres à des parasites, ou à des flatteurs, ou encore à des monstres, à des fous, à des nains, car on se fait un amusement des disgrâces de la nature. Jamais nous ne portons envie à nos véritables amis, et nous ne souffrons point de leurs succès ; mais envers le Christ, nous éprouvons ce sentiment ; on voit donc que l’amitié a sur nous une plus grande puissance que la crainte de Dieu. L’homme perfide et envieux a moins de respect pour Dieu que pour les hommes. Comment cela ? C’est que la pensée de Dieu voyant au fond des cœurs, ne le détourne pas de ses machinations, mais s’il est aperçu d’un de ses semblables, il est perdu, il est saisi de honte, il rougit. Que dirai-je encore ? Nous allons trouver un ami dans le malheur, et, si nous différons quelque peu, nous craignons d’être blâmés ; et quand, tant de fois, le Christ est mort dans la captivité, nous n’y avons pas pris garde. Nous allons vers nos amis qui sont au nombre des fidèles, non parce qu’ils sont fidèles, mais parce qu’ils sont nos amis. 4. Vous le voyez, nous ne faisons rien parla crainte de Dieu, ni par amour pour lui, mais nous agissons par amitié ou par coutume. Quand un ami est absent, nous pleurons, nous gémissons ; si nous le voyons mort, nous nous lamentons, bien que nous sachions que ce n’est point une séparation éternelle ; mais quand le Christ est éloigné de nous chaque jour, ou plutôt quand chaque jour nous l’éloignons d nous, nous n’en éprouvons aucune douleur et nous ne pensons pas être malheureux quand nous commettons l’injustice, quand nous ! contristons, quand nous l’irritons, quand noue faisons ce qui lui déplaît. Mais nous ne non contentons point de ne pas le traiter en ami ; je vais vous montrer que nous le traitons en ennemi. Comment cela ? C’est que « la prudence de la chair, dit l’Écriture, est ennemie de Dieu ». (Rom 8,7) Or nous nous tenons attachés à cette prudence, et nous persécutons le Christ qui veut accourir à nous ; car tel est l’effet des actions mauvaises ; nous nous rendons chaque jour coupables des outrages qu’il subit par notre cupidité et nos rapines. Un homme jouit d’une éclatante renommée, parce qu’il célèbre la gloire du Christ et qu’il sert les intérêts de l’Église ; eh bien ! nous lui portons envie, parce qu’il fait l’œuvre de Dieu ; nous paraissons ne porter envie qu’à lui, mais elle remonte jusqu’à Dieu lui-même. Nous ne voulons pas que le bien se fasse par d’autres que par nous ; qu’il se fasse pour le Christ, mais pour nous ; car, si nous le désirions en vue du Christ, il nous serait indifférent qu’il s’opérât par d’autres mains ou par les nôtres. Car, dites-moi : si un médecin a un enfant menacé de devenir aveugle, et qu’étant lui-même impuissant à le guérir il en trouve un autre capable de le faire, l’écartera-t-il d’auprès de son fils ? Non certes, mais il sera prêt à lui dire : Par vous ou par moi, que mon enfant soit guéri. Pourquoi ? Parce que ce n’est pas son intérêt qu’il a en vue, mais celui de son fils. De même aussi nous dirions, si nous considérions la cause du Christ : Par nous ou par un autre, que ce qui est expédient s’opère ; et, comme dit l’apôtre, « par vérité ou par occasion, que le Christ soit annoncé ». (Phi 1,18) Écoutez ce que dit Moïse, quand on voulut exciter sa colère, parce que Eldad et Moad prophétisaient : « N’ayez point de jalousie à mon sujet ; qui me donnera de voir tout le peuple du Seigneur devenir prophète ? » (Nom 11,29) Tout cela vient de l’amour de la renommée. N’est-ce pas là la conduite d’ennemis, d’ennemis déclarés ? Quelqu’un vous a-t-il mal parlé ? Faites-lui bon accueil. Est-ce possible ? Oui, si vous le voulez. Quel mérite avez-vous, si vous aimez celui qui n’a pour vous que de bonnes paroles ? Car vous ne le faites pas pour le Seigneur, mais pour votre renommée. Quelqu’un vous a-t-il fait tort ? Faites-lui du bien ; car si vous rendez service à ceux qui vous en rendent, vous n’avez rien fait de grand. Avez-vous subi une grande injustice, une grande offense ? Efforcez-vous de rendre le bien pour le mal. Oui, je vous en conjure, agissons ainsi de notre côté ; cessons d’offenser et de haïr nos ennemis. Dieu nous ordonne d’aimer nos ennemis, et nous persécutons le Dieu d’amour. Qu’il n’en soit point ainsi. Nous en convenons tous de bouche, mais non tous par nos actions. Telles sont les ténèbres du péché, que ce que nous n’oserions dire, nous l’osons faire. Tirons notre salut de ceux qui nous font tort et outrage, afin d’obtenir ce qui appartient aux amis de Dieu. « Je veux », dit Jésus, « que là où je suis, là soient aussi mes disciples, afin qu’ils voient ma gloire » (Jn 17,24) ; gloire à laquelle je souhaite que nous arrivions tous en Jésus-Christ Notre-Seigneur, avec qui soit au Père et au Saint-Esprit, gloire, à présent et toujours, et aux siècles des siècles. Ainsi soit-il. HOMÉLIE IV.
LA PAROLE EST FIDÈLE ET DIGNE D’ÊTRE REÇUE : LE CHRIST JÉSUS EST VENU DANS LE MONDE POUR SAUVER LES PÉCHEURS, ENTRE LESQUELS JE SUIS LE PREMIER. MAIS J’AI OBTENU MISÉRICORDE, POUR QU’EN MOI TOUT LE PREMIER JÉSUS-CHRIST FIT VOIR TOUTE SA PATIENCE, AFIN QUE JE SERVISSE D’EXEMPLE A CEUX QUI CROIRONT EN LUI POUR LA VIE ÉTERNELLE. (I, 15-16 JUSQU’À 17) Analyse.
- 1. La justice légale n’est rien.
- 2. Humilité de saint Paul.
- 3. Comment nous pouvons glorifier Dieu.
1. Les bienfaits de Dieu sont si grands et dépassent de si loin toute attente et toute espérance humaine, qu’ils trouvent souvent des incrédules. Il nous a en effet accordé ce que jamais n’eût attendu ni pensé l’esprit d’un homme, en sorte que les apôtres ont eu grand peine à établir la foi aux dons de Dieu. Car, de même qu’éprouvant quelque grand bonheur, on se dit : N’est-ce pas un songe ? exprimant ainsi qu’on se défie de sa réalité ; de même en est-il des dons de Dieu. Et quel est ce don auquel on ne croit pas ? On se demande si les ennemis de Dieu, les pécheurs, ceux qui n’étaient justifiés ni dans la loi ni par les œuvres, obtiendront réellement tout à coup et par la seule foi, la justification qui est le premier des biens. L’apôtre s’étend sur ce chapitre dans l’épître aux Romains, et il s’y étend ici encore. « La parole est fidèle », dit-il, « et digne d’être reçue : le Christ Jésus est venu dans le monde pour sauver les pécheurs, entre lesquels je suis le premier ». Car, comme c’était là surtout la doctrine que les juifs avaient peine à suivre, il leur persuade de ne pas s’attacher à la loi, car par elle et sans la foi l’on ne peut être sauvé. Il combat donc sur ce point. Il pensait qu’on jugerait incroyable qu’un homme qui aurait étourdiment dissipé toute sa vie antérieure, et l’aurait salement employée à de mauvaises actions, dût être ensuite sauvé par la seule foi. C’est pour cela qu’il dit : La parole est fidèle. Mais quelques-uns ne se bornaient pas à n’y pas croire, ils s’en faisaient les calomniateurs, comme on le fait maintenant encore, lorsque l’on dit : « Faisons le mal, afin que le bien arrive ». (Rom 3,8) L’apôtre a dit : « Là où le péché a abondé, la grâce a surabondé ». (Id 5,20) Mais pourquoi disent-ils : « Faisons le mal afin que le bien arrive ? ». Ce sont surtout les gentils qui le disent, tournant en dérision notre doctrine. Lors donc que nous leur parlons de l’enfer ; comment, disent-ils, ce dogme est-il digne de Dieu ? Si un homme trouve son serviteur coupable de plusieurs fautes, il lui fait grâce et le croit digne de pardon, et Dieu punirait de peines éternelles ? Puis, quand nous leur parlons du baptême et de la rémission des péchés conférée par lui, ils nous disent : Comment serait-il digne de Dieu de pardonner les péchés à celui qui a commis tant de fautes ? Voyez-vous la perversion de leur pensée, qui cherche surtout à contester ? Pourtant, si c’est un mal de pardonner, c’est un bien de punir ; s’il n’est pas bien de punir, il est bien de pardonner. Je parle ainsi en me plaçant à leur point de vue ; mais, selon notre doctrine, il est bon de punir et il est bon de pardonner ; comment cela ? C’est ce que nous ferons voir dans une autre occasion, car celle-ci n’est pas opportune. C’est une question profonde et digne d’être longuement développée ; il faudra donc l’exposer aux yeux de votre charité. Comment cette parole est-elle fidèle ? On le voit par ce qui précède et par ce qui suit. Considérez comment l’apôtre y prépare les esprits et s’arrête ensuite sur ce point. Quand il a dit que Dieu lui a fait miséricorde, à lui blasphémateur et persécuteur, il préparait l’esprit à cette parole, non seulement, dit-il, Dieu a eu pitié de moi, mais il m’a rendu fidèle ; tant il est vrai qu’il a eu pitié de moi. Car nul, voyant un prisonnier devenu l’hôte du palais, ne doute qu’il ait obtenu sa grâce ; et c’est ce qu’on voit en Paul. Mais encore, comment cette parole est-elle fidèle ? Il en montre la preuve en lui-même, car il ne craint pas de s’appeler pécheur ; mais il se glorifie d’autant plus d’avoir été l’objet d’une si grande bonté, parce que c’est par là surtout qu’il peut montrer la grandeur de la tendresse divine. Et comment ailleurs parle-t-il de lui-même ? « Suivant la justice qui est dans la loi, j’étais sans reproche » (Phi 3,6) ; et ici il proclame qu’il était pécheur et le premier des pécheurs. C’est que, suivant la justice qui est l’œuvre de Dieu et qui est le vrai but de nos devoirs, ceux-mêmes qui sont dans la loi sont des pécheurs. « Car tous ont péché, et ne peuvent atteindre à la gloire de Dieu ». Il n’a pas dit simplement la justice, mais, la justice qui est dans la loi. Car de même que celui qui possède beaucoup d’argent paraît riche, à ne considérer que lui, mais est bien pauvre et le premier des pauvres, si l’on compare ses trésors à ceux de l’empereur ; de même ici, les hommes, même justes, sont des pécheurs, si on les compare aux anges. Mais si Paul, ayant pratiqué la justice qui est dans la loi, est le premier des pécheurs, qui, parmi les autres, pourra être appelé juste ? Car il ne parle pas ainsi en calomniant sa vie ; il ne s’est dit ni impudent, ni débauché, ni avide du bien d’autrui, à Dieu ne plaise ; mais, en comparant une justice avec l’autre, il montre que la justice légale n’est rien, et que ceux qui la possèdent sont des pécheurs. – « Mais j’ai obtenu miséricorde, pour qu’en moi tout le a premier, Jésus-Christ fît voir toute sa patience, afin que je servisse d’exemple à tous ceux qui croiront en lui pour la vie éternelle ». 2. Vous voyez comment ici encore l’apôtre s’humilie et s’abaisse, en présentant une autre cause plus humble de sa justification. Obtenir son pardon à cause de son ignorance, ne montre pas que l’on ait été fort coupable ni que l’on ait mérité des reproches bien accablants ; mais l’obtenir pour que désormais nul pécheur ne désespère d’obtenir aussi miséricorde, voilà ce qui témoigne d’un grand, d’un extrême abaissement. Et bien qu’il ait dit : « Je suis le premier des pécheurs, blasphémateur, persécuteur et coupable d’outrages » ; et encore : « Je ne suis pas digne d’être nommé apôtre » (1Co 15,9), rien de tout cela, ni de ce qu’il a dit ailleurs n’exprime autant d’humilité. C’est ce qu’une comparaison va éclaircir. Supposez une ville populeuse, dont tous les habitants soient criminels, les uns plus, les autres moins, mais qui tous sont condamnés ; que l’un soit plus que tous les autres digne de châtiments et de supplices, qu’il se soit livré à tous les genres de crimes. Si quelqu’un annonce que l’empereur veut pardonner à tous, on ne le croira pas facilement jusqu’à ce qu’on ait vu la grâce accordée au plus coupable ; mais alors il n’y aura plus de doute. Voilà ce que dit Paul, que Dieu voulant remplir les hommes de la confiance qu’il leur pardonne tous leurs péchés, a choisi le plus coupable de tous. Car, dit-il, quand j’obtiens mon pardon, nul ne peut douter du pardon des autres ; en sorte qu’on pourrait se servir de la formule : Si Dieu pardonne à celui-là, il ne punira personne. Il exprime par là qu’il n’était point digne de grâce, mais qu’il l’a obtenue en vue du salut des autres. Que personne donc ne doute, dit-il, puisque j’ai été sauvé. Voyez donc l’humilité de ce bienheureux. Il n’a pas dit : Pour que Dieu montre en moi sa patience, mais « toute sa patience » ; comme s’il eût dit : En nul autre, il n’en pouvait montrer davantage ; il ne peut trouver un si grand pécheur qui ait besoin de toute sa miséricorde, de toute sa patience et non d’une partie, comme ceux qui ne sont pécheurs qu’en partie. – « Afin que je servisse d’exemple à ceux qui croiront en lui pour la vie éternelle » ; c’est-à-dire pour leur consolation, pour leur encouragement. Et après avoir dit du Fils cette grande parole sur l’immense charité qu’il a montrée, afin que nul ne suppose qu’il ait voulu priver le Père de la gloire qui lui est due, il la lui rapporte en disant : « Et au roi des siècles, immortel, invisible, Dieu unique, honneur et gloire aux siècles des siècles. Ainsi soit-il ». (1Ti 1,17) De ces bienfaits, dit-il, nous glorifions non seulement le Fils, mais le Père. Mais écoutons les hérétiques : Voyez, il a dit : Dieu unique ; le, Fils n’est donc pas Dieu ; il a dit : Seul immortel ; le Fils n’est donc pas immortel. – Eh quoi ! Ce qu’il nous donne après cette vie, il ne le possède pas ? Oui, dira l’hérétique, il est Dieu et immortel, mais non comme le Père. – Que voulez-vous dire par là ? – C’est qu’il est d’une moindre substance. – Ainsi il est d’une moindre immortalité ? Qu’est-ce donc qu’une immortalité moindre ou plus grand ? Car l’immortalité, qu’est-ce autre chose que de ne pas mourir ? La gloire peut être plus grande ou plus petite, mais non l’immortalité, non plus que la bonne santé : un être doit mourir, ou ne pas mourir. – Quoi donc, me répondra-t-on, en est-il de nous comme de Dieu ? – Non certes ; loin de nous une telle pensée. – Et comment l’entendez-vous ? – C’est qu’il possède l’immortalité par nature, et que nous l’avons reçue. Mais en, est-il de même du Fils ? Nullement, il la possède aussi par nature. – Quelle est donc la distinction ? – C’est que le Père n’est point engendré d’une autre personne et que le Fils est engendré de, son Père. Nous en convenons ; nous ne nions point que le Fils soit engendré immortel du Père. Nous glorifions le Père de ce qu’il a engendré un tel Fils. Comprenez-vous que le Père est glorifié d’autant plus que le Fils est plus grand ? Car la gloire du Fils lui est rapportée. Ainsi Dieu ayant engendré un, Fils aussi puissant que lui-même, la, gloire en appartient-elle plus au Fils qu’au Père ? Il en est de même, quand nous disons que le Fils est puissant par lui-même, qu’il se suffit à lui-même et qu’il possède la force. C’est en parlant du roi des siècles, et c’est de son Fils qu’il est dit « Par lequel il a fait aussi les siècles ». (Heb 1,2) Voici ce qui se passe en ce monde. Chez nous, la fabrication et la création sont choses bien différentes. L’un se fatigue et s’épuise à effectuer une œuvre ; un autre en jouit. Pourquoi ? Parce que l’ouvrier est moins puissant. Mais, dans les cieux, autre n’est pas le fabricateur et autre le maître. Ainsi je n’irai pas, à cause de ces mots : « Par lequel il a fait aussi les siècles », enlever au Père la puissance créatrice ; ni à cause de ceux-ci : « Le Père, roi des siècles », enlever au Fils sa souveraineté ; l’une et l’autre sont communes à tous les deux. Le Père est l’auteur du monde, puisqu’il a engendré le Démiurge ; le Fils est Roi, puisqu’il est maître des créatures. Ce n’est point un ouvrier mercenaire comme les nôtres ; il n’est point comme eux un instrument passif ; mais il agit par sa propre bonté et son amour pour les hommes. Et le Fils a-t-il été vu ? Nul ne l’oserait dire ▼▼En dehors de l’Incarnation.
. Cependant l’apôtre dit : « Au roi des siècles, immortel, invisible, Dieu unique ». Mais que sera-ce quand l’Écriture dit aussi : « Il n’est point d’autre nom, dans lequel nous devions être sauvés », et : « Il n’est de salut en aucun autre ? » (Act 4,12) 3. « Honneur et gloire dans tous les siècles, ainsi soit-il », continue l’apôtre. L’honneur et la gloire ne viennent pas des paroles, et ce n’est pas en paroles que Dieu lui-même nous a honorés, mais par des actes effectifs ; nous aussi honorons-le donc par nos actions L’honneur qu’il nous fait nous touche, et celui que nous lui rendons ne l’atteint pas, car il n’a pas besoin de ce qui vient de nous, tandis que nous avons besoin de ses faveurs. En sorte que lui rendre gloire, c’est travailler à notre élévation. De même que celui qui ouvre les yeux pour voir la lumière du soleil, fait un acte utile à lui-même, et qu’en admirant la beauté de cet astre, il ne lui fait point une faveur, car il ne le rend pas plus brillant et le soleil demeure ce qu’il est ; de même et bien plus encore en est-il par rapport à Dieu celui qui vénère Dieu et lui rend honneur, se sauve lui-même et se procure le plus grand des biens. Comment ? Parce qu’il suit la voie de la vertu et est glorifié par Dieu même. « Ceux qui me glorifient, je les glorifierai » dit-il. (1Sa 2,30) Comment donc dit-il qu’il est glorifié par nous, puisqu’il ne jouit pas de l’honneur que nous lui rendons ? Eh ! De même qu’il dit avoir faim et avoir soif, il s’approprie ce qui est de l’humanité, afin de nous attirer à lui ; il s’approprie et les honneurs et les offenses, afin que nous craignions d’en commettre contre nos frères ; et nous ne nous laissons pas gagner. « Glorifions Dieu et exaltons-le dans notre corps » (1Co 6,20) et dans notre esprit. Comment un homme peut-il le glorifier dans son corps ? Et comment dans son esprit ? L’esprit ici veut dire l’âme, par opposition au corps. Mais comment le glorifier dans son corps ? Comment dans son âme ? On le glorifie dans son corps en évitant l’impureté, l’ivrognerie, la gourmandise, la vaine parure, en ne prenant de son corps que le soin utile pour la santé ; celui-là le glorifie qui ne commet point d’adultère ; celle-là, qui ne se parfume point, qui ne farde point son visage, qui se contente de ce que Dieu a formé, sans y rien ajouter par l’art. Pourquoi, en effet, dites-moi, ajouter ce qui vient de vous-même à l’œuvre que Dieu a parfaite ? Vous ne vous êtes pas formée vous-même ; et, comme si vous étiez une ouvrière d’un talent supérieur, vous essayez de rectifier l’ouvrage ; en vous parant ainsi, vous insultez le Créateur pour vous attirer de nombreux amants. – Mais comment faire, me direz-vous ? Je ne le voudrais pas ; c’est mon mari qui m’y contraint. – Non, cela n’arrive qu’à celles qui veulent provoquer l’amour. Dieu vous a faite belle, pour être admiré dans son œuvre et non pour être outragé ; ne lui offrez point pour ses dons un tel retour, mais une conduite modeste et réglée. Dieu vous a faite belle pour accroître le mérite de votre retenue ; car on ne peut mettre sur la même ligne la modestie d’une femme pleine d’attraits et celle d’une femme à qui nul ne songera. Écoutez ce que dit l’Écriture au sujet de Joseph, « qu’il était jeune et beau de visage ». (Gen 39,6) Que nous fait donc à nous qu’il fût beau ? L’Écriture le dit pour que nous admirions à la fois sa beauté et sa chasteté. Dieu vous a faite belle ! Pourquoi donc vous défigurer ? Celles qui se couvrent d’une couche de fard, ressemblent à l’homme qui barbouillerait de rouge une statue d’or ; c’est une boue rouge et blanche que vous répandez sur vous-même. Mais, dira-t-on, celles qui sont laides ont raison d’en agir ainsi. – Pourquoi donc, dites-moi ? Pour cacher leur laideur ? Peine perdue. Quand donc la nature est-elle vaincue par l’artifice ? Et après tout, en quoi la laideur vous afflige-t-elle ? Parce qu’on la repousse ? Écoutez cette parole d’un sage : « N’ayez point d’éloignement pour un homme à cause de son aspect, et ne louez point un homme pour sa beauté ». (Sir 11,2) Admirez Dieu, le grand artiste, et non un homme qui n’est pas l’auteur de sa propre beauté. Quel avantage apporte la beauté ? Aucun, mais plutôt des difficultés plus grandes, plus de malveillance, de dangers et de soupçons. Telle femme n’eût jamais été soupçonnée sans sa beauté ; telle autre, si elle n’use d’une réserve consommée, d’une réserve extrême, aura bien vite une mauvaise renommée. Un mari soupçonne celle qui est sa compagne : Que peut-il y avoir de plus pénible ? Il ne trouvera point tant de plaisir à la voir que de souffrances dans ses soupçons. Le plaisir s’émousse à la longue ; la nonchalance et le laisser-aller passent pour impudence, l’âme devient vulgaire et pleine d’arrogance ; et c’est la beauté surtout qui amène ces malheurs ; sans elle, il ne se trouvera plus tant d’inconvénients ; sans elle, on ne verra pas des chiens insulter l’agneau, mais il paîtra dans une paix profonde, sans que le loup le trouble et l’attaque, et le berger pourra demeurer assis auprès de lui. Ce qui est extraordinaire, ce n’est pas que l’une soit belle et que l’autre ne le soit pas ; c’est qu’une femme ait – de mauvaises mœurs sans être belle, et que celle qui l’est soit vertueuse. Dites-moi : Quelle est la qualité des yeux ? Est-ce d’être humides, bien mobiles, bien arrondis, d’un beau bleu, ou bien d’être clairs et perçants ? C’est assurément d’être perçants, et en voici la preuve : Quelle est la qualité d’une lampe ? Est-ce de jeter un vif éclat et d’éclairer toute la maison, ou d’être bien façonnée et bien arrondie ? C’est d’éclairer, dirons-nous sans hésiter ; c’est ce qu’on recherche en elle, le reste est indifférent. C’est pour cela que nous disons sans cesse à la servante qui en est chargée : Vous avez mal préparé la lampe. C’est que le fait d’une lampe est d’éclairer. L’œil de – même ; il n’importe pas qu’il soit de telle ou telle façon, dès lors qu’il remplit convenablement sa fonction ; on le dira mauvais s’il a la vue faible, si son organisme laisse à désirer ; nous disons de ceux qui n’y voient pas, les yeux ouverts, qu’ils ont des yeux détestables. Nous appelons ainsi tout ce qui ne remplit pas la fonction à laquelle il est destiné, et ne pas bien voir est le défaut des yeux. Et le nez, quelle est sa qualité ? Est-ce d’être bien droit, bien lisse des deux côtés ? parfaitement symétrique ? ou bien d’être bien disposé pour l’odorat, ou bien apte à percevoir promptement les odeurs, pour les transmettre au cerveau ? Ceci sera clair pour tout le monde, grâce à cette comparaison : L’instrument appelé croc, quand est-il bien fait ? Est-ce quand il peut accrocher fort et retenir, ou quand il est façonné avec élégance ? Évidemment, c’est le premier qui est bon. Et les dents, quand dirons-nous qu’elles sont bien faites ? quand elles sont bien tranchantes et mâchent facilement la nourriture, ou quand elles sont bien rangées ? Évidemment ce sont les premières. Il en est de même de tout le corps, si nous lui faisons subir la critique de la raison ; nous trouverons que les hommes bien portants sont beaux, dès lors que chacun de leurs membres remplit avec exactitude sa fonction spéciale. Ainsi en est-il d’un instrument, d’un animal, d’une plante : ce n’est point d’après ses formes ou sa couleur, mais d’après son usage que nous en jugeons ; de même encore nous appelons beau serviteur, celui qui est propre au service et non un jeune et gentil fainéant. Voyez-vous maintenant ce que c’est qu’être belle ? Lorsque nous jouissons tous de la même façon des avantages les plus grands et les plus magnifiques, nous ne sommes frustrés en rien. Je m’explique : Tous de la même façon nous voyons le monde, le soleil, la lune, les étoiles ; nous respirons l’air, nous avons part à l’eau et aux aliments, que nous soyons beaux ou laids. Et s’il faut dire quelque chose de surprenant, celles qui ne sont pas belles, ont une santé plus vigoureuse et jouissent mieux de ces dons. Les belles femmes, en effet, prennent garde aux saisons, ne s’exposent point à la fatigue, mais s’adonnent à l’oisiveté et vivent à l’ombre ; de là vient que leurs facultés physiques sont énervées. Les autres femmes, au contraire, débarrassées de ces soucis, usent simplement et largement de ces facultés. Ainsi donc « glorifions Dieu et portons-le dans notre corps ». Ne nous parons point c’est là un soin frivole et inutile. N’enseignez point à vos maris à n’aimer que le plaisir des yeux, car s’ils vous voient ainsi parées, ils ne songent qu’à votre visage, ils se laisseront bientôt séduire ; mais si vous leur apprenez à aimer vos mœurs et votre modestie, ils ne seront pas facilement infidèles, car ce ne sont point ces qualités, mais les vices contraires qu’ils trouveront chez une femme sans pudeur. Ne leur enseignez point à se laisser gagner par un sourire, par un extérieur efféminé, de peur de préparer des poisons contre vous-mêmes ; apprenez-leur à se plaire à la modestie, et vous leur plairez, si votre extérieur même est modeste ; mais si vous êtes évaporées, effrontées, comment pourrez-vous tenir un langage respectable ? Qui ne se rira pas de vous, qui ne vous raillera pas ? Et qu’est-ce que porter Dieu dans son esprit ? C’est pratiquer la vertu, parer son âme, car ceci n’est point défendu. Nous glorifions Dieu, quand nous sommes pleinement vertueux, et nous sommes nous-mêmes glorifiés en même temps, non comme des hommes qui se parent, mais bien autrement : « Car », dit l’apôtre, « j’estime qu’il n’y a point de proportions entre les souffrances du temps présent et la gloire future qui doit se révéler en nous » (Rom 8,18), : gloire à laquelle je souhaite que nous ayons tous part en Jésus-Christ Notre-Seigneur, avec qui soient au Père et au Saint-Esprit, gloire, puissance, honneur, maintenant et toujours, et aux siècles des siècles. Ainsi soit-il. HOMÉLIE V.
JE VOUS DONNE CE PRÉCEPTE, MON FILS TIMOTHÉE, CONFORMÉMENT AUX PROPHÉTIES PRONONCÉES SUR VOUS, DE COMBATTRE AVEC ELLES LE BON COMBAT, AYANT LA FOI ET UNE BONNE CONSCIENCE ; QUELQUES-UNS L’AYANT REJETÉE ONT FAIT NAUFRAGE DANS LA FOI. (I, 18, 19 ET 20) Analyse.
- 1. Quels sont ceux que l’on doit choisir pour l’épiscopat. – Ce qu’il faut entendre ici par ce mot de prophétie. – La foi et une bonne conscience sont deux choses qui se soutiennent mutuellement. – Une mauvaise vie a pour effet le naufrage dans la foi.
- 2. Les apôtres châtiaient eux-mêmes les incorrigibles ; et livraient à Satan ceux qu’ils voulaient corriger. Ainsi Satan était leur serviteur, signe éclatant de la grâce qui opérait en eux. – L’Esprit-Saint marquait l’Église de même que la nuée marquait le camp des Hébreux.
- 3. Contre ceux qui s’approchaient de la sainte Communion indignement ou une seule fois dans l’année.
1. La dignité de l’enseignement et du sacerdoce est grande et admirable ; il faut vraiment le suffrage de Dieu, pour trouver celui qui est digne de l’exercer. Ainsi en a-t-il été autrefois ; ainsi en est-il encore, lorsque nous faisons ces choix en dehors de toute passion humaine, sans considérer rien de terrestre, ni l’amitié, ni la haine. En effet, bien que l’assistance de l’Esprit nous soit moins largement accordée qu’aux apôtres, il suffit de la, bonne volonté pour que le choix de Dieu s’opère, car les apôtres n’avaient point encore reçu le Saint – Esprit lorsqu’ils choisirent Matthias, mais ils s’en étaient remis à la prière, ils le firent entrer, au nombre des apôtres, sans avoir égard à aucun motif humain. Il en devrait être ainsi parmi nous : mais notre mauvaise volonté est telle que nous négligeons même les indices certains ; lorsque nous négligeons ce qui est manifeste, comment Dieu nous découvrira-t-il ce qui nous est caché ? Si vous n’êtes pas fidèles dans ce qui est petit, dit-il, qui vous confiera ce qui est grand et vrai ? (Luc 16,11) Alors rien d’humain n’agissait, et les prêtres étaient choisis par le don de prophétie. Qu’est-ce à dire ? C’est qu’ils étaient choisis par l’Esprit-Saint. La prophétie en effet ne consiste pas essentiellement à annoncer l’avenir, mais a aussi pour objet le présent, puisque Saül fut désigné par prophétie, tandis qu’il était caché ; car Dieu a des révélations pour les justes. Il y avait aussi une prophétie dans ces paroles : « Séparez-moi Paul et Barnabé » (Act 13,2) ; et c’est ainsi que Timothée lui-même fut choisi. Paul parle ici de plusieurs prophéties et peut-être de celle par laquelle il choisit Timothée, lorsqu’il le circoncit et le désigna, comme il l’écrit lui-même : « Ne négligez point la grâce qui est en vous ». (1Ti 4,14) Animant donc son zèle et le disposant au jeûne et aux veilles, il le fait souvenir de celui qui l’a choisi et qui l’a élu ; comme s’il lui disait : C’est Dieu qui vous a désigné ; il a eu confiance en vous ; ce n’est point un suffrage humain qui vous a fait ce que vous êtes, ne faites pas injure et honte au suffrage de Dieu. Puis, après ce mot si redoutable de précepte, que lui dit-il ? – « Je vous donne ce précepte, mon fils Timothée ». Il lui donne ses ordres comme à son véritable fils, non comme une autorité despotique, non comme une puissance souveraine, mais il lui dit : « Mon fils Timothée ». Il montre qu’il confie à sa garde la plus exacte, un dépôt qui n’est pas à nous, car nous ne nous le sommes pas approprié, et c’est la grâce de Dieu qui nous l’a remis : La foi et une bonne conscience. Ce qu’il nous a donné, gardons-le. Car s’il n’était pas venu, la foi elle-même n’eût pas été trouvée, ni la vie pure que nous suivons par ses enseignements. Comme s’il eût dit : Ce n’est pas moi qui donne le précepte ni qui vous ai choisi ; c’est ce qu’il entend par « les prophéties prononcées sur Timothée ». Écoutez-les, obéissez-leur. Que lui a-t-il prescrit ? De combattre avec elles le bon combat. Ce sont elles qui vous ont choisi ; faites cette guerre pour laquelle elles vous ont choisi. Le bon combat ; car il en est aussi un mauvais dont il a dit : « Comme vous avez fait de vos membres des armes pour le péché et l’impureté ». (Rom 6,19) Ceux – là servent sous un tyran ; vous, sous un roi. Et pourquoi donne-t-il à cette œuvre lé nom de combat ? Parce qu’une guerre terrible est allumée pour tous, mais surtout pour celui qui a la charge d’enseigner les autres ; parce que nous avons besoin d’armes puissantes, du jeûne, des veilles, d’une veille incessante, parce que nous devons nous préparer pour le sang et les combats, paraître sur le champ de bataille et n’a voir aucun sentiment de lâcheté. « De combattre avec elles », lui dit-il ; car, comme dans les armées tous ne servent pas avec les mêmes armes, mais dans des corps différents ; de même, dans l’Église, l’un a la fonction de maître, l’autre de disciple, un autre de simple fidèle ; vous servez comme je vous l’ai dit. Ensuite pour qu’il ne croie pas que c’est assez, il ajoute : « Ayant la foi et une bonne conscience », car celui qui enseigne doit d’abord s’enseigner lui-même. De même qu’un général, s’il n’est d’abord excellent soldat, ne sera jamais un vrai général, de même en est-il de celui qui est instruit. Il dit ailleurs la même chose : « De peur qu’ayant prêché aux autres, je ne sois rejeté moi-même ». (1Co 9,27) – « Ayant », dit-il, « la foi et une bonne conscience », afin que par là il soit supérieur à tous les autres. Que ces paroles nous apprennent à ne pas dédaigner les avertissements de ceux qui sont au-dessus de nous, quand nous aurions à enseigner nous-mêmes. Car si Timothée, que nul de nous n’égale, reçoit des avertissements et des enseignements, quoiqu’il soit chargé d’enseigner, combien plus le devons-nous faire. – « Quelques-uns, l’ayant rejetée, ont fait naufrage dans la foi » : Sans doute, car celui qui dit adieu à la vie chrétienne se forme une croyance semblable à ses mœurs, et l’on en peut voir beaucoup qui de là sont tombés dans un abîme de, maux et se sont dévoyés jusqu’au paganisme. Afin de n’être pas tourmentés par la crainte de la vie future, ils s’efforcent de persuader à leur âme que tout est mensonger parmi nous. Et plusieurs se détournent de la foi, en cherchant à tout soumettre à leurs raisonnements. Car c’est ainsi que l’on fait naufrage, tandis que la foi est semblable à une barque impérissable ; ceux qui s’en écartent font nécessairement naufrage. 2. Et l’apôtre l’enseigne par un exemple. « Au nombre desquels », dit-il, « sont Hyménée et Alexandre (20) » ; et il nous enseigne ainsi la prudence. Voyez-vous comment, dès ce temps-là, il existait de faux docteurs, des gens inquiets, qui refusent la foi et veulent tout chercher par eux-mêmes ? Celui qui fait naufrage est dépouillé de tout ; de même à celui qui a perdu la foi, il ne reste rien, ni point d’appui, ni port de refuge, ni une vie dans laquelle il puisse tirer quelque avantage de cet état, car, si la tête est gâtée, à quoi peut servir le reste du corps ? Si la foi sans les mœurs est inutile, combien plus les mœurs sans la foi. Car, si Dieu dédaigne à cause de nous ses propres œuvres, combien plus devons-nous, à cause de lui, dédaigner les nôtres. Il en est ainsi, lorsqu’un homme a perdu la foi ; il ne peut tenir nulle part, mais il flotte de côté et d’autre jusqu’à ce qu’enfin il soit englouti. – « Que j’ai livré à Satan », dit l’apôtre, « afin qu’ils apprennent à ne point blasphémer ». Vous voyez que c’est un blasphème que de soumettre à ses raisonnements les choses divines. Sans doute, car qu’est-ce que le raisonnement humain a de commun avec elles ? Et comment Satan leur apprend-il à ne point blasphémer ? S’il l’apprend aux autres, il devrait bien davantage se l’apprendre à lui-même ;, et s’il ne l’a pu jusqu’à présent, comment le ferait-il pour les autres ? L’apôtre n’a point dit : Afin que Satan leur enseigne à ne point blasphémer ; mais : « Afin qu’ils l’apprennent ». Ce n’est pas lui qui est l’auteur de cette couvre, elle s’opère par voie de conséquence ; c’est ainsi qu’ailleurs l’apôtre dit du fornicateur : « Livrez-le à Satan » non afin que celui-ci sauve son âme, mais « afin que son âme soit sauvée ».(1Co 5,5) Satan n’est pas le sujet du verbe. Comment cela se fait-il ? De même que les bourreaux, forts misérables eux-mêmes, contiennent les autres dans le devoir, ainsi en est-il du mauvais esprit. – Et pourquoi ne les avez-vous pas punis vous-même, comme vous avez puni Bar Jésus, comme Céphas a puni Ananie, mais les avez-vous livrés à Satan ? Pour qu’ils soient instruits plutôt que punis. Paul a cependant de la puissance, comme le jour où il a dit : « Que voulez-vous ? que je vienne vers vous avec la verge ? » (1Co 4,21) Et encore « Non pour que nous soyons approuvés, mais pour que vous fassiez le bien », et encore « Non pour perdre, mais pour édifier ». (2Co 13,7, 10) Pourquoi donc appeler Satan au châtiment ? Pour qu’avec la vigueur et la sévérité de la peine, l’humiliation fût plus grande ; ou plutôt les apôtres instruisaient eux-mêmes les infidèles et livraient à Satan ceux qui s’étaient écartés de l’Évangile. Cependant saint Pierre punit lui-même Ananie ? C’est qu’il était encore infidèle, puisqu’il tentait le Saint-Esprit. Afin que les infidèles apprissent qu’ils ne peuvent rester ignorés, les apôtres les ont punis par eux-mêmes ; mais ceux qui étant instruits se sont dévoyés, ils les ont livrés à Satan, pour leur montrer que ce n’était pas à leur propre vertu, mais à la garde des apôtres qu’ils devaient d’être préservés de Satan, et que ceux qui s’emportaient à un orgueil insensé lui étaient livrés. Il en est ainsi des rois qui frappent eux-mêmes leurs ennemis étrangers et livrent aux bourreaux ceux qui sont leurs sujets. Paul montre que les choses se passaient ainsi par le soin des apôtres. D’ailleurs ce n’était pas une faible puissance que de pouvoir commander au démon ; Paul montrait par là que celui-ci est asservi et cède malgré lui aux apôtres ; signe très-propre à faire briller la grâce dont jouissaient les apôtres. Et comment les a-t-il livrés ? Écoutez-le. « Lorsque vous serez rassemblés », dit-il, « avec mon esprit et la force de Notre-Seigneur Jésus-Christ, livrez-le à Satan ». (1Co 5,4-5) Il était chassé de l’assemblée des fidèles, séparé du troupeau, abandonné, dépouillé, livré au loup. Comme la nuée faisait reconnaître le camp des Hébreux, de même l’Esprit faisait reconnaître l’Église. Si donc quelqu’un en était éloigné, il était consumé ; et il en était éloigné par le jugement des apôtres. C’est ainsi que le Seigneur a livré Judas à Satan ; car dès qu’il eut pris la bouchée de pain, Satan entra dans lui. (Jn 13,26, 27) Il faut conclure de cela, que ceux qu’ils voulaient convertir, ils ne les châtiaient pas eux-mêmes ; mais ne le faisaient que pour ceux qui étaient incorrigibles ; ou du moins qu’ils se rendaient plus redoutables, en les livrant à un autre pouvoir. Job aussi fut livré à Satan, mais ce n’était pas à cause de ses péchés, c’était pour accroître sa gloire. 3. Bien des faits semblables se produisent même de nos jours. Car si les prêtres ne connaissent pas tous les pécheurs, tous ceux qui participent indignement aux saints mystères, Dieu les livre souvent lui-même à Satan. Lorsque les maladies, les trahisons, les douleurs et les calamités de toutes sortes nous arrivent, la cause en est là. C’est ce que dit Paul par ces paroles : « C’est pour cela que parmi vous plusieurs sont faibles et débiles, et que ceux qui l’ont mérité dorment ». (1Co 11,30) Et comment cela, dira-t-on, tandis que nous n’approchons qu’une fois chaque année de la sainte table ? Et voilà ce qui est effrayant ; c’est que ce n’est point la pureté de la conscience, mais l’intervalle écoulé qui détermine pour vous la convenance de cet acte ; vous croyez que la prudence consiste à ne pas approcher souvent, ignorant que la communion indigne, ne fût-elle faite qu’une seule fois, vous a souillés, tandis qu’une communion dignement faite, même souvent répétée, vous sauverait. Ce n’est point témérité que d’approcher souvent ; la, témérité c’est de le faire indignement, ne fût-ce qu’une fois dans la vie. Si nous sommes si insensés et si malheureux, c’est que, commettant mille péchés durant tout le cours de l’année, nous ne nous mettons point en peine de nous en laver, et nous croyons qu’il nous suffit de ne pas commettre de continuelles insolences, de ne pas fouler sans cesse aux pieds le corps du Christ, ne réfléchissant pas que ceux qui ont crucifié le Christ ne l’ont crucifié qu’une fois ; mais un péché est-il moindre parce qu’il n’est commis qu’une fois ? Judas n’a trahi qu’une fois ; eh bien ! Cela l’a-t-il sauvé ? Pourquoi donc arrêter sa pensée sur le temps où se fait une action ? Que le temps de la communion soit pour vous le temps de purifier votre conscience. Le mystère accompli à Pâques n’est en rien supérieur à celui que nous accomplissons en ce temps ; c’est un seul et même mystère, c’est toujours la pâque ; vous le savez, initiés : la veille et le jour du sabbat, le dimanche et le jour de la fête des martyrs, c’est le même sacrifice qui est offert. « Chaque fois que vous mangez ce pain ou que vous buvez ce calice, vous annoncez la mort du Seigneur ». (Id 26) L’apôtre ne limite point le temps du sacrifice. Pourquoi, dira-t-on, l’appeler la pâque ? Parce que c’est alors que le Christ a souffert pour nous. Que personne donc n’approche en des conditions différentes dans un temps et un autre temps ; c’est la même vertu du sacrifice, la même dignité, la même grâce, le même corps ; cette hostie n’est pas plus sainte, cette autre inférieure en dignité. Vous le savez vous-mêmes, car vous ne voyez rien de nouveau, que ces tapisseries terrestres et cette foule parée. Ce que ces jours ont de plus que les autres, c’est qu’ils furent le principe du jour de notre salut, où le Christ a été immolé ; mais quant aux mystères eux-mêmes, ils ne l’emportent point sur les autres. Comment donc, dites-moi, vous lavez-vous la bouche pour prendre une nourriture matérielle, et ne lavez-vous pas votre âme, mais demeurez-vous plein d’impureté pour approcher de la sainte table ? Les quarante jours de jeûne ne suffisent-ils pas, direz-vous encore, pour nous purifier des nombreuses immondices de nos péchés ? Mais, dites-moi, à quoi servirait-il de nettoyer la place où l’on versera des parfums abondants, si, peu après les avoir répandus, on y jette du fumier ? La bonne odeur ne disparaît-elle pas ? C’est ce qui nous arrive : nous nous sommes rendus selon notre pouvoir, dignes de l’Eucharistie au moment d’en approcher ; puis nous nous souillons de nouveau. Nous disons ceci de ceux qui peuvent se purifier réellement durant le Carême. Ne négligeons point notre salut, je vous en conjure. Car, dit l’Écriture, l’homme qui s’éloigne de son péché et qui ensuite rentre dans les mêmes voies et fait les mêmes actions, « est comme le chien qui revient à son vomissement ». Que mon labeur ne soit pas inutile. Car c’est ainsi que nous pourrons être jugés dignes de ces récompenses que je souhaite que nous obtenions tous, en Jésus-Christ Notre-Seigneur, avec qui soient au Père et au Saint-Esprit, gloire, puissance, honneur, maintenant et toujours, et aux siècles des siècles. Ainsi soit-il.