1 Timothy 5
Tome IV p.253
HOMÉLIE XIII.
PRESCRIVEZ ET ENSEIGNEZ CELA. QUE NUL NE MÉPRISE VOTRE JEUNESSE, MAIS SOYEZ L’EXEMPLE DES FIDÈLES PAR VOS PAROLES, VOS RELATIONS, VOTRE CHARITÉ, VOTRE FOI, VOTRE CHASTETÉ. JUSQU’À MON ARRIVÉE, APPLIQUEZ-VOUS A LA LECTURE, A L’EXHORTATION, A L’ENSEIGNEMENT. NE NÉGLIGEZ POINT LA GRACE QUI EST EN VOUS, QUI VOUS A ÉTÉ DONNÉE PAR LA PROPHÉTIE, AVEC L’IMPOSITION DES MAINS SACERDOTALES. (IV, 11-14, JUSQU’À V, 7) Analyse.
- 1. Devoirs d’un évêque ; de la conduite qu’il doit tenir envers les vieillards et les jeunes gens, envers les femmes âgées et les jeunes femmes, envers les veuves.
- 2. Devoirs de la veuve.
- 3-4. Contre les excès de la table. – Effrayante peinture.
1. Il est des objets qui ont besoin de prescriptions, et d’autres, d’enseignement. Si donc vous commandez là où il faut instruire, vous vous rendrez ridicule, et il en sera de même si vous enseignez là où il faut commander. Ainsi, ne pas être pervers, il ne faut pas l’enseigner, mais l’ordonner, l’interdire avec une grande énergie ; ne pas judaïser, c’est matière à prescription. Mais si vous dites que l’on doit répandre ses biens, garder la virginité, si vous discourez sur la foi, alors il faut un enseignement. Aussi Paul établit-il les deux choses : « Prescrivez et enseignez », dit-il. Par exemple, si quelqu’un porte des amulettes ou quelque objet semblable, et sait qu’il fait mal, c’est de prescription qu’il a besoin ; s’il l’ignore, c’est d’instruction. « Que nul ne méprise votre jeunesse », dit-il. Vous voyez que le prêtre doit prescrire, parler avec énergie et non toujours enseigner. La jeunesse est souvent méprisée par le préjugé commun ; c’est pourquoi il dit. « Que nul ne méprise votre jeunesse ». Car il faut que celui qui enseigne soit honoré. – Mais, dira-t-on, que devient le mérite de la modération et de la condescendance, si l’on est défendu contre le mépris ? Dans tes choses qui le concernent lui seul, qu’il souffre le mépris ; car c’est ainsi que par la longanimité, l’enseignement chrétien se perfectionne ; mais, pour ce qui regarde le prochain, il n’en doit plus être de même, car ce ne serait plus modération, mais, indifférence. S’il tire vengeance des injures qu’il a reçues, des insultes, des trames ourdies contre lui, on a raison de le blâmer ; mais, quand il s’agit du salut d’autrui, qu’il parle avec autorité, qu’il unisse l’énergie à la prévoyance : c’est d’énergie qu’il est alors besoin et non de douceur, afin d’éviter un dommage public. Il n’y a pas d’ailleurs de moyen terme : « Que nul ne méprise votre jeunesse » ; c’est qu’en effet, si l’on mène une vie contraire à la légèreté de cet âge, au lieu du mépris on s’acquiert une haute estime. « Mais soyez l’exemple des fidèles par vos paroles, vos relations, votre charité, votre foi, votre chasteté ; vous montrant en toutes choses un modèle de bonnes œuvres ». (Tit 2,7) C’est-à-dire, soyez un parfait modèle de conduite, et comme une image offerte aux regards de tous, une loi vivante, une règle, un exemplaire de bonne vie, car tel doit être celui qui enseigne. « Par vos paroles » : qu’elles soient donc empreintes d’affabilité, « dans vos relations, dans la charité, la foi » orthodoxe, « la charité », la réserve. « Jusqu’à mon arrivée, appliquez-vous à la lecture, à l’exhortation, à l’enseignement ». L’apôtre ordonne à Timothée de s’appliquer à la lecture. Écoutons-le tous et apprenons à ne pas négliger la méditation des choses divines. Il dit aussi : « Jusqu’à mon arrivée ». Voyez comment il le console, car ce disciple orphelin devait chercher son maître. « Jusqu’à mon arrivée, appliquez-vous à la lecture » des Écritures divines, « à l’exhortation » mutuelle, « à l’enseignement. Ne négligez point la grâce qui est en vous, qui vous a été donnée par la prophétie ». C’est de la grâce d’enseigner qu’il parle. « Avec l’imposition des mains sacerdotales » ; non du simple sacerdoce, mais de l’épiscopat, car ce n’étaient pas des prêtres qui créaient un évêque. « Méditez ces choses, arrêtez-y votre esprit (15) ». Voyez comment il revient auprès de Timothée sur les mêmes exhortations, voulant montrer que tel doit être l’objet principal du zèle de celui qui enseigne. « Veillez sur vous et sur votre enseignement, ne vous en laissez pas distraire ». C’est-à-dire, veillez sur vous-même et enseignez les autres. « Car en agissant ainsi, vous vous sauverez, vous et a ceux qui vous écoutent (16) ». Car celui qui se nourrit des paroles de l’enseignement en recueille le premier les fruits : en avertissant les autres, il atteint son propre cœur. Ce que dit l’apôtre, il ne le dit pas à Timothée seul, mais à tous. S’il parle ainsi à un homme qui ressuscitait les morts, que pourrons-nous répondre ? Le Christ a dit : « Semblable à un père de famille qui tire de son trésor des choses nouvelles et anciennes ». (Mat 13,52) Et le bienheureux Paul dit à son tour : « Afin que, par la patience et la consolation des Écritures, nous possédions l’espérance ». (Rom 15,4) Surtout il l’a pratiqué lui-même, lorsqu’il s’instruisait de la loi de ses pères auprès de Gamaliel, en sorte que depuis lors il avait dû s’appliquer à la lecture ; il s’adressait sans doute les avertissements qu’il adressa depuis à autrui. Vous le voyez sans cesse citer les témoignages des prophètes et en scruter le sens caché. Ainsi Paul s’appliquait à la lecture, et ce n’est pas un mince profit que celui qu’on peut tirer des Écritures ; mais aujourd’hui nous les négligeons. – « Afin que votre progrès soit manifeste à tous (15) ». Vous voyez qu’il voulait que son disciple devînt, sur ce point aussi, grand et digne d’admiration, mais que Timothée avait encore besoin de cet avis. « Afin que votre progrès soit manifeste à tous » ; non seulement dans sa conduite, mais dans les discours de son enseignement. 2. « Ne réprimandez point un ancien ». (V, 1) Veut-il ici parler d’un prêtre ? je ne le pense pas : il parle de tout homme avancé en âge. Mais quoi ! s’il a besoin d’être redressé ? Comportez-vous envers lui, suivant l’avis de Paul, comme envers un père qui aurait commis une faute, parlez-lui de la même façon. « Reprenez les femmes âgées comme des mères, les jeunes gens comme des frères, les femmes jeunes comme des sœurs, en toute chasteté ▼▼Les mots
νεοτἐρους ἑς αδελφύς, sont ici transposés.
». La chose est pénible de sa nature, je dis la nécessité de reprendre ; elle l’est surtout quand il s’agit d’un – vieillard ; et, si c’est un jeune homme qui doit le faire, il est trois fois exposé à l’accusation de témérité. La rudesse du fond est adoucie par la douceur de la forme. Car il est possible de reprendre sans blesser, si l’on veut s’y appliquer ; il y faut une grande prudence, mais on le peut. « Les jeunes gens comme des frères ». Pourquoi l’apôtre lui donne-t-il ici cet avis ? Il fait entendre par là que la jeunesse est fière. Il faut donc là aussi adoucir la réprimande par la modération du langage. « Les femmes jeunes comme des sœurs ». Et il ajoute : « En toute chasteté ». N’évitez pas seulement des relations coupables, mais toute occasion de soupçon. Comme les rapports avec les jeunes femmes y échappent difficilement, mais que l’évêque doit en avoir, il ajoute : « En toute chasteté ». Mais, Paul, pourquoi adresser cette prescription à Timothée ? Je le fais, me répond-il, parce qu’en m’adressant à lui je parle à toute la terre. S’il parle ainsi à Timothée, que chacun de nous comprenne ce qu’il doit être, évitant toute occasion de soupçon et ne donnant pas l’ombre d’un prétexte à ceux qui veulent nous calomnier. « Honorez les veuves qui sont véritablement veuves (3) ». Pourquoi ne parle-t-il pas ici de la virginité, pas même pour dire : Honorez les vierges ? Apparemment parce qu’il ne s’en trouvait point alors, ou qu’elles avaient succombé. Car, dit-il, Satan en a entraîné plusieurs à sa suite. « Honorez les veuves qui sont véritablement veuves ». L’on peut donc n’avoir plus de mari et n’être pas veuve. De même que l’on n’est pas vierge, pour vivre en dehors du mariage, mais qu’il faut être irréprochable et toujours appliquée à ses devoirs, de même en est-il de la viduité : ce qui fait la veuve, ce n’est pas la perte d’un époux, mais la vie passée dans la continence, la patience et la solitude. Voilà les veuves que l’apôtre recommande d’honorer avec raison : On doit en effet un grand respect à ces femmes, puisqu’elles sont seules, puisqu’elles n’ont plus un homme pour les protéger ; mais, auprès de la foule, leur état est exposé au blâme et paraît de mauvais augure. Aussi l’apôtre veut-il qu’elles soient grandement honorées par le prêtre ; et ce n’est pas seulement pour cela, mais parce que leur état en est digne. « Si une veuve a des enfants ou des, petits-enfants, qu’elle apprenne d’abord à faire régner la piété dans sa maison et à rendre ce qu’elle doit à ses parents (4) ». Voyez la prudence de Paul et comment, dans ses avis, il fait souvent appel à des raisonnements humains. Il n’a point apporté ici une idée grande et sublime, mais quelque chose qui fût accessible à tous : rendre ce qu’elle doit à ses parents. Comment cela ? Vous avez été nourrie, vous avez grandi, vous avez joui de l’honneur qu’ils vous transmettaient. Ils ont quitté ce monde, et vous n’avez pu les payer de retour, car vous ne leur avez donné ni la vie ni la nourriture ; rendez-leur ce bienfait dans leurs descendants, acquittez dans vos enfants votre dette envers eux : « Que ces veuves apprennent d’abord à faire régner la piété dans leurs maisons ». L’apôtre exprime ainsi par un mot l’accomplissement de tous les devoirs. « Car », dit-il, « cela est favorablement accueilli de Dieu (4) ». Et comme il a dit : « Qui sont véritablement veuves », il exprime ce qu’est une véritable veuve. « Celle-là est véritablement veuve qui vit dans la solitude, espérant en Dieu et persévérant nuit et jour dans la n prière et l’oraison ; mais celle qui est dans les délices est morte toute vivante (5, 6) ». Ainsi l’apôtre nous dit. Celle qui n’a pas choisi une vie mondaine, et qui vit dans la viduité, celle-là est véritablement veuve ; celle qui espère en Dieu comme on le doit faire, qui s’adonne à l’oraison et y persévère nuit et jour, celle-là est veuve ; ce qui ne veut pas dire que la veuve qui a des enfants ne le, soit pas véritablement, car l’apôtre admire aussi celle qui donne à ses enfants l’éducation qu’elle leur doit, mais il parle ici de celle qui n’a pas d’enfants, qui est seule. Il la console ensuite de ne point avoir d’enfants, en lui disant que c’est ainsi qu’elle est parfaitement veuve, parce qu’elle se trouve privée non seulement de la consolation que lui eût donnée son mari, mais de celle qu’elle eût reçue de ses enfants ; elle a Dieu pour les remplacer tous. Car celle qui est privée d’enfants n’est pas au-dessous de l’autre ; mais l’apôtre remplit par ses consolations le vide que cette privation lui fait éprouver. Ne vous affligez pas, lui dit l’apôtre, si vous entendez cette parole qu’il faut élever des enfants (4), vous qui n’en avez pas, comme si votre dignité en était amoindrie, car vous êtes véritablement veuve. « Celle qui vit dans les délices est morte toute vivante ». 3. Plusieurs en effet, ayant des enfants, conservent la viduité, non pour s’interdire les jouissances de la vie, mais plutôt pour en nourrir le goût chez elles, pour vivre avec plus d’indépendance et se donner davantage aux passions du monde ; que leur dit-il ? « Celle qui vit dans les délices est morte toute vivante ». Quoi ! une veuve ne doit pas vivre dans les délices ? Non, vous dit l’apôtre. Si donc la faiblesse de l’âge et de la nature ne rend point nécessaire une pareille vie, mais si cette manière d’agir procure la mort et la mort éternelle, que pourraient alléguer des hommes qui vivent ainsi ? C’est avec justice qu’il a dit « Celle qui vit dans les délices est morte toute vivante ». Voyons ce que font les vivants, quelle est la condition des morts et dans quels rangs nous devons la placer. Les vivants sont ceux qui font les œuvres de la vie à venir, de la véritable vie. Or, quelles sont les couvres de la vie à venir, dont nous devons nous occuper sans cesse ? Écoutez la parole du Christ. « Venez hériter du royaume qui vous a été préparé depuis la création du monde. Car j’ai a eu faim, et vous m’avez donné à manger ; j’ai eu soif, et vous m’avez donné à boire ». (Mat 25,34, 35) Les vivants ne sont pas distingués des morts seulement par la vue du soleil et des cieux ; non, dis-je, ce n’est point ainsi qu’ils diffèrent, mais par la pratique du bien, et s’ils ne le pratiquent pas, ils ne vaudront pas mieux que des morts. Et, pour vous en instruire, écoutez comment on peut vivre, bien qu’on soit mort. « Dieu », dit l’Évangile, « n’est pas le Dieu des morts, mais des vivants ». (Mat 22,32) Mais, dira-t-on, c’est une autre énigme. Eh bien ! éclaircissons-les toutes deux. Celui-là est mort quoique vivant, qui vit dans les délices. Et comment ? c’est qu’il ne vit que par son ventre et non par ses autres sens ; ainsi il ne voit pas ce qu’il doit voir, n’entend pas ce qu’il doit entendre, ne dit pas ce qu’il doit dire, ce que doivent voir, entendre et dire les vivants ; mais, tel qu’un homme qui, étendu sur son lit, ferme les yeux, et rapprochant ses paupières ne s’aperçoit plus de rien de ce qui se passe, tel est cet homme, ou plu tôt il est dans un état bien pire. Car le premier est également insensible à ce qui est bon et à ce qui est mauvais ; l’autre n’est sensible qu’au mal, et quant au bien il n’en éprouve pas plus l’impression qu’un cadavre. Rien ne l’émeut des choses de la vie future ; en cela donc il est mort ; sa passion le saisit dans ses bras et l’entraîne comme dans une sombre retraite, dans un lieu obscur, dans un antre impur, et le fait demeurer dans les ténèbres, comme les morts dans leur sépulcre. En effet, quand il passe tout son temps à table ou dans l’ivresse, n’est-il pas dans les ténèbres ? n’est-il pas mort ? Le matin même où il paraît à jeun, il ne l’est pas franchement ; il n’a pas cuvé tout son vin de la soirée, il est en proie au violent désir de la débauche qui va commencer, lui qui passe et la soirée et le milieu du jour dans les festins, toute la nuit et la meilleure partie de la matinée dans un sommeil pesant. Dites-moi, devons-nous compter cet homme au nombre des vivants ? Et que dire des tempêtes produites dans l’âme par la volupté, tempêtes qui se répandent jusque dans le corps ? De même qu’un amas continu de nuages ne laisse plus passer un rayon de soleil, de même les vapeurs de la volupté et du vin, occupent le cerveau comme un point culminant, y condensent un épais nuage, ne permettent plus à la raison de se manifester et retiennent dans une nuit profonde celui qui est dans cet état. Et encore quelle tempête au-dedans ! De même que, quand une inondation se produit et que l’eau franchit le seuil des ateliers, nous voyons ceux qui les habitent s’empresser, pleins de trouble, de saisir des plats, des amphores, des éponges et d’autres objets pour épuiser l’eau et l’empêcher de ruiner les fondements de la maison, de mettre hors d’usage tout ce qu’elle renferme ; de même, lorsque la volupté s’est glissée de toutes parts dans une âme, les facultés intellectuelles sont troublées et ne peuvent suffire à la débarrasser de ce qui l’a envahie, parce que l’invasion se renouvelle sans cesse, et que la tempête est terrible. Ne considérez pas le visage qui est riant et illuminé, mais fouillez au dedans et vous verrez un homme plein d’une tristesse qui l’abat. S’il était possible de faire sortir l’âme du corps et de l’exposer sous nos yeux, vous verriez celle du voluptueux, morne, triste, endolorie, exténuée. Plus le corps s’engraisse et s’épaissit, plus l’âme s’exténue, s’affaiblit et s’ensevelit. Et de même que, devant la prunelle de l’œil, si la cornée s’épaissit, elle ne peut plus laisser passer le rayon visuel, le sens de la vue s’altère et la cécité se produit souvent, de même quand le corps est engraissé, il doit obstruer les abords de l’âme. Mais les morts se gâtent et se corrompent, le sang corrompu s’en échappe ; de même on voit chez les hommes livrés à la vie sensuelle, le rhume, l’inflammation, la pituite, les hoquets, les vomissements, les éructations ; je passe le reste, que j’aurais honte d’énoncer. Car telle est cette tyrannie, qu’elle leur fait faire ce qu’on n’ose pas exprimer. 4. Leur corps aussi laisse échapper la corruption de toutes parts. – Mais ils mangent et boivent ? Est-ce donc là le témoignage de la vie humaine, puisque les bêtes aussi mangent et boivent ? Quand l’âme est morte, quel besoin est-il d’aliments et de boisson ? Quand un corps est devenu cadavre, le vêtement parfumé qui l’enveloppe ne lui sert de rien, et quand une âme est morte, un corps parfumé ne lui sert pas davantage. Si sa pensée ne se préoccupe que de cuisiniers, de maîtres d’hôtel, de boulangers, si elle ne prononce pas une parole de piété, n’est-elle pas morte ? Qu’est-ce en effet que l’homme ? Les philosophes païens nous disent que c’est un animal raisonnable, mortel, susceptible d’intelligence et de science ; mais ce n’est pas par leur témoignage, c’est par l’Écriture sainte que nous déterminons sa nature. Or, comment la détermine-t-elle ? Écoutez-la : « Il était un homme », et qu’était-il ? « juste, véridique, pieux, s’éloignant de tout ce qui est mal ». (Job 1,1) Voilà le type de l’homme. Un autre écrivain sacré nous dit : « C’est une grande chose que l’homme, et l’homme miséricordieux est un objet précieux ». Mais ceux qui ne sont pas tels, quand ils seraient doués d’intelligence, et mille fois aptes à la science, l’Écriture ne les reconnaît pas pour dés hommes, mais pour des chiens, des chevaux, des vipères, des serpents, des renards, des loups et des animaux plus odieux que ceux-là, s’il en existe. Si donc tel est l’homme, le voluptueux n’est pas un homme ; et comment le serait-il, puisqu’il ne se préoccupe de rien de tel ? On ne peut être àla fois voluptueux et sobre : l’un exclut l’autre. Les païens eux-mêmes le disent : A ventre épais, jamais esprit subtil ▼▼Le grec forme un vers iambique trimètre, emprunté sans doute à quelque poète comique.
. L’Écriture a bien su désigner les hommes dépourvus d’âme par ces mots : « Parce qu’ils sont chair. » (Gen 6,3) Ils avaient cependant une âme, mais elle était morte. Car de même que nous disons des hommes vertueux qu’ils sont tout âme, tout esprit, bien qu’ils aient un corps, nous pouvons employer l’expression inverse. C’est ainsi que Paul a dit : « Pour vous, vous n’êtes pas dans la chair » (Rom 8,9), parce qu’ils n’accomplissaient pas les œuvres de la chair. De même les voluptueux ne sont point dans l’âme ni dans l’esprit. « Celle qui vit dans les délices est morte « toute vivante ». Écoutez, vous qui passez tout votre temps dans les festins et dans l’ivresse, vous qui n’arrêtez point vos regards sur les pauvres qui languissent et meurent de faim, mais qui mourez sans cesse dans les délices. Vous produisez une double mort par votre intempérance, la mort de ces infortunés et la vôtre ; et si vous aviez uni votre superflu à leur misère, vous auriez produit une double vie. Pourquoi donc gonfler votre estomac par vos excès et faire languir le pauvre par sa détresse?, Vous gâtez l’un en dépassant la mesure, et c’est outre mesure aussi que vous faites sécher l’autre. Pensez à ce que sont les aliments, comment ils se transforment et ce qu’ils deviennent. Ah ! cela vous blesse de m’entendre ? eh bien, pourquoi tant d’empressements à en produire plus largement la réalité, en vous gorgeant de nourriture ? La nature a ses bornes, et ce qui les dépasse n’accroît pas l’alimentation, mais devient inutile et nuisible. Nourrissez votre corps, ne le tuez pas. Nourriture ne veut pas dire ce qui tue, mais ce qui alimente. L’économie de la digestion est ainsi disposée, je pense, pour que nous ne soyons pas amis de l’intempérance ; car si la nourriture ne pouvait devenir inutile et nuisible, nous nous serions sans cesse dévorés les uns les autres : si l’estomac recevait tout ce que nous voulons lui donner, s’il le transformait en notre substance, combien ne verrait-on pas de guerres et de combats ? Si en effet, bien que tout né soit pas absorbé, malgré ce qui se transforme soit en sang, soit en graisse inutile et parasite, nous sommes si avides des plaisirs de la table, si souvent nous consumons dans un festin tout un héritage, que ferions-nous sans cela ? Nous nous infectons nous-mêmes en nous livrant à ces excès où notre corps devient semblable à une outre qui laisse échapper le vin ▼▼Sans avoir rien d’alarmant pour la pudeur la plus stricte, la phrase suivante ne peut se traduire qu’en latin et en note :
Eructat aliquis adeo ut vel extra conclave cerebrum audientis concutiat, ùndique e corpore caliginosus effluit quasi e camino fumus, calore intus in putredinem verso.
. Si les autres en sont incommodés, que ne doivent pas souffrir et le cerveau sans cesse atteint par ces vapeurs, et les vaisseaux obstrués d’un sang qui bouillonne, et le foie et la rate qui doivent le recevoir, et les intestins eux-mêmes ? Chose désolante, nous songeons à prévenir l’obstruction des égouts, de peur qu’ils ne regorgent ; nous avons grand soin de les dégager avec des crocs et des hoyaux, et, pour ceux de notre estomac, loin de les tenir libres, nous les obstruons et les engorgeons : les immondices montent à la résidence du roi, je veux dire au cerveau, et nous n’y veillons pas. Nous agissons comme si nous n’avions pas là un roi ami de la décence, mais un chien immonde. Le Créateur a relégué au loin ces organes, afin qu’ils ne nous incommodent pas ; mais nous troublons son œuvre et gâtons tout par notre intempérance. Mais que dire des maux qui en résultent ? Bouchez les canaux des égouts, et vous verrez bientôt naître la peste. Elle est produite par l’infection qui vient du dehors ; mais celle qui est au dedans, qui est concentrée par le corps et n’a point d’issue, ne produit-elle pas mille maux pour le corps et pour l’âme ? Ce qu’il y a de terrible, c’est que plusieurs murmurent contre Dieu pour les nécessités auxquelles notre corps est soumis, et eux-mêmes les accroissent. Dieu nous a donné ces lois, afin de nous détourner de l’intempérance, afin de nous persuader même par ces moyens de ne pas nous égarer dans les choses de ce monde. Mais vous ne vous laissez pas même par là détourner de l’intempérance ; vous vous y plongez jusqu’au gosier, tant que dure le temps du repas, ou plutôt vous n’attendez pas jusque-là. Le plaisir du goût ne s’éteint-il pas, dès que l’aliment a dépassé la langue et la gorge ? La sensation disparaît alors, mais le malaise se prolonge, parce que l’estomac n’opère pas ou opère avec grand-peine. L’apôtre a donc dit avec raison : « Celle qui vit dans les délices est morte toute vivante ». Elle ne peut ni se faire entendre, ni entendre, l’âme qui vit ainsi ; elle est amollie, sans générosité, sans courage, sans liberté, timide et impudente, vile flatteuse, ignorante, colère, irascible, pleine de tous les maux et privée de tous les biens. « Celle qui vit dans les délices est morte toute vivante. Et prescrivez-leur d’être irréprochables ». (1Ti 5,6-7) Vous le voyez, c’est une loi ; il ne le livre pas à leur choix. Prescrivez-leur, dit-il, de ne pas vivre dans les délices, car c’est assurément un mal, et l’on ne peut admettre aux mystères ceux qui vivent ainsi : « Prescrivez-leur d’être irréprochables » ; vous voyez donc qu’il met cette conduite au nombre des péchés ; car ce qui est libre, quand on ne le pratiquerait pas, n’empêche pas d’être irréprochable. Ainsi, obéissant à Paul, nous aussi nous vous avertissons que les veuves qui vivent dans les délices ne sont pas au nombre des veuves. Car si un soldat qui donne son temps aux bains, aux théâtres et à ses affaires est regardé comme un déserteur, combien plus le doit-on dire des veuves ? Ne cherchons point ici notre repos, afin de le trouver dans l’autre vie ; ne vivons pas ici dans les délices, afin de jouir dans la vie future des délices véritables, des véritables plaisirs qui ne produisent aucun mal et nous mettent en possession de tant de biens, que je souhaite à vous tous en le Christ Jésus Notre-Seigneur avec qui soient au Père et au Saint-Esprit, gloire, puissance, honneur, maintenant et toujours, et aux siècles des siècles. Ainsi soit-il. HOMÉLIE SUR LES VEUVES. Sur ce texte : « Que celle qui sera choisie pour être mise au rang des veuves, n’ait pas moins de soixante ans (1Ti 5,9) » De l’éducation des enfants et de l’aumône.
AVERTISSEMENT ET ANALYSE.
Cette homélie fut prononcée la même année que l’homélie sur les Calendes et que les homélies sur Lazare. On le voit par l’exorde où saint Chrysostome dit qu’il avait parlé dernièrement sur ce texte : Au sujet de ceux qui dorment, je ne veux pas vous laisser ignorer. C’est le sujet du cinquième discours sur Lazare. Donc l’homélie sur les Calendes, les sept sur Lazare et celle-ci furent faites par l’orateur, au commencement de la même année, à Antioche. Quelle est cette année ? c’est ce que l’on n’a pas encore découvert. - 1-2. Dignité de la veuve. Deux sortes de veuves, les veuves pauvres que l’Église nourrit, et les veuves opulentes. Desquelles l’Apôtre exige-t-il qu’elles aient soixante ans ? évidemment des dernières. Là où il s’agit de secours à donner, il n’y a pas d’âge à déterminer. Quiconque souffre veut être soulagé à tout âge et dans n’importe quelle condition. – 3. Il y avait autrefois des chœurs de veuves comme il y a maintenant des chœurs de vierges. Dans la composition de ces chœurs, l’on ne pouvait agir avec trop de prudence ; de là ce conseil de n’admettre que celles qui étaient d’un âge à ne plus vouloir retourner dans le monde. – 4. Le conseil de se remarier jeunes, ne regarde que les veuves qui ne supporteraient pas l’épreuve du veuvage. Celle qui veut être admise à la dignité de veuve doit d’abord en montrer les œuvres. – 5-6. Des inconvénients des secondes noces. – 7-11. Œuvres de la veuve ; premièrement : bien élever ses enfants. – 12-14. Deuxièmement, exercer l’hospitalité. – 15. Il faut servir les pauvres. —16. Exhortation à la pratique de l’aumône.
1. Reconnaissons l’à-propos dans la grâce que l’Esprit-Saint vous a ménagée par la lecture de la lettre apostolique de ce jour ; on y trouve, avec ce que nous disions naguère, un rapport de parenté ; vous verrez que ce sont des pensées de la même famille, si vous vous attachez moins aux paroles qu’au sens des expressions. En effet, notre lecture de l’autre jour, c’était : Touchant ceux qui dorment, je ne veux pas que vous ignoriez, mies frères (1Th 4,12), et alors nous avons parlé avec développement de la résurrection, du courage à montrer dans les jours de funérailles, des grâces qu’il faut rendre à Dieu, quand il nous prend ceux qui sont nos proches. Voici aujourd’hui notre lecture : Que celle qui sera choisie pour être mise au rang des veuves, n’ait pas moins de soixante ans. Puisque c’est la mort qui fait le veuvage ; puisque c’est là ce qui excite le plus la douleur, et rend le deuil plus amer, rappelez-vous les consolations naguère adressées par nous à ceux qui sont dans le deuil ; vous les avez recueillies avec toute l’ardeur d’un vrai zèle ; gardez-les où vous mettez en réserve les bonnes pensées. Certes, quand on dit veuvage, il semble que l’on dise malheur ; il n’en est pas ainsi pourtant ; le veuvage est une dignité, c’est un honneur, c’est la gloire la plus belle ; ce n’est pas un opprobre, mais une couronne. Si la veuve n’a plus de mari dont elle partage l’habitation, elle partage l’habitation du Christ, qui écarte tous les maux déchaînés contre nous. En effet, il suffit à la veuve qu’on outrage et qu’on tourmente, d’entrer, de fléchir les genoux, de gémir dans l’amertume de son cœur, de verser des larmes, et elle repousse loin d’elle tous les assauts ; car voilà les armes de la veuve : les pleurs, les gémissements, les prières assidues ; par là, elle n’écarte pas seulement les injures que lui font les hommes, mais les assauts que lui livrent les démons. Affranchie des affaires du siècle, elle n’a plus qu’à suivre son chemin vers le séjour d’en haut ; le zèle qu’elle témoignait à son mari, le culte qu’elle avait pour lui, elle pourra le convertir aux choses spirituelles. Si vous me dites que le veuvage était un malheur autrefois, voici ce que je vous répondrai : La mort aussi a été une malédiction, et la mort est devenue une dignité pour qui sait noblement la braver. Voilà comment les martyrs conquièrent leur couronne, voilà de même comment la veuve s’élève à un rang si haut. 2. Voulez-vous comprendre la grandeur de la veuve, de quel honneur elle est digne auprès de Dieu, quel amour Dieu a pour elle, de quelle protection puissante elle peut couvrir auprès de Dieu ceux qui sont déjà condamnés ; les désespérés qui n’osent pas murmurer une parole, qui sont détestés de Dieu, privés de tout espoir d’indulgence ; comme elle peut les délivrer, les réconcilier, non seulement obtenir leur pardon, les arracher au supplice, mais leur conquérir la confiance dans l’affection du Seigneur, la gloire ; leur rendre une splendeur plus pure que les rayons du soleil, quand ils seraient les plus souillés parmi tous les hommes ? Entendez Dieu lui-même parlant ainsi aux Juifs : Lorsque vous étendrez vos mains vers moi, je détournerai mes yeux de vous, et lorsque vous multiplierez vos prières, je ne vous écouterai point, parce que vos mains sont pleines de sang. (Isa 1,15) Eh bien ! pourtant, à ces scélérats, à ces homicides, à ces infâmes souillés de toute espèce d’ignominie, il promet de se réconcilier avec eux s’ils portent secours aux veuves à qui l’on fait une injustice. Car après avoir dit : Je détournerai mes yeux de vous, et je ne vous écouterai point, il dit : faites justice à l’orphelin, défendez la veuve et venez, et soutenez votre cause contre moi. Quand vos péchés seraient comme l’écarlate, je les rendrai blancs comme la neige. (Id 17,18) Voyez-vous quelle grande puissance possède la veuve, non pas auprès d’un prince ou d’un roi de la terre, mais auprès du Roi même qui règne dans les cieux ? quelle colère elle apaise ! comme il lui est donné de calmer le Seigneur irrité contre ceux que possède un mal incurable ! quel pouvoir elle a pour les arracher à l’insupportable supplice ! ce qu’elle fait d’une âme que le péché a souillée et rendue immonde ! Elle la purifie, elle lui rend tout l’éclat de la plus parfaite pureté. Gardons-nous donc de mépriser la veuve, entourons-la de toute notre sollicitude, de tout notre zèle ; pour nous quelle patronne, celle qui est vraiment une veuve, ? Mais il est utile de considérer ici, avec soin, de quelles veuves parle le texte sacré. On entend par veuves, celles qui, tombées dans la plus grande indigence, et portées sur les registres, sont nourries aux frais de l’Enlise, comme cela se pratiquait au temps des apôtres. Il s’éleva, dit l’Écriture, un murmure parmi les Juifs grecs, parce que leurs veuves étaient méprisées dans la dispensation de ce qui se donnait chaque jour. (Act 6,1) On appelle aussi de ce nom les femmes qui ne connaissent nullement l’indigence ; qui, au contraire, sont, riches, à la tête de leur maison, et n’ont perdu que, leur mari seulement. Voyons donc, de quelles veuves, le texte parle ici, en disant, que celle qui sera choisie pour être mise au, rang des veuves, n’ait pas moins de soixante ans. Est-ce de celle qui a besoin de secours, qu’il faut nourrir aux frais de l’Église ; ou de celle qui n’est nullement dans l’indigence, qui, au contraire, possède de grandes richesses ? Il est évident qu’il est question de la dernière ; car, lorsqu’il parle de l’autre, qui est tourmentée par la faim, il ne se préoccupe ni d’âge, ni de bonnes mœurs, mais il dit, d’une manière absolue : Si quelqu’un des fidèles ou si quelqu’une des fidèles a des veuves, qu’il leur donne ce qui leur est nécessaire, et que l’Église n’en soit pas chargée. (1Ti 5,16) Il ne dit pas : Pourvu qu’elle ait soixante ans ; il ne dit pas : Si elle a exercé l’hospitalité, si elle a lavé les pieds des saints (Id 5,10) ; et c’est avec raison que le texte n’apporte pas ces restrictions. En effet, où il faut remédier : à l’indigence, on ne doit pas s’occuper de l’âge. Qu’importe qu’elle n’ait que cinquante ans, si elle meurt de faim ? qu’importe qu’elle soit jeune, celle dont le corps est mutilé ? Faudra-t-il qu’elle dorme, attendant qu’elle ait soixante ans ? Ce serait le comble de la cruauté. Ainsi, quand il faut calmer la faim, il ne s’inquiète pas curieusement de l’âge ou des bonnes mœurs. Mais, quand il n’y a plus à secourir l’indigence, quand il s’agit d’un honneur, d’une dignité à conférer, il institue, et il a raison, une enquête qui se rapporte aux mœurs. 3. C’est que, comme il y a des chœurs de vierges, il avait aussi des chœurs de veuves ; et il n’était pas permis d’en former les listes indifféremment. Il n’est donc pas question ; ici, de la veuve qui vit dans l’indigence, qui a besoin de secours, mais de celle qui veut prendre le titre de veuve. Pourquoi maintenant pose-t-il, au sujet de celle-ci, une question d’âge ? C’est qu’il savait bien que la jeunesse est comme un bûcher, comme une mer aux innombrables flots, tourmentée par mille tempêtes ; donc, ce n’est qu’après qu’elles étaient affranchies, par le bénéfice de l’âge, après qu’elles étaient parvenues au port de la vieillesse, ce n’est qu’après que le feu des passions ne couvait plus en elles, qu’il les admettait, sans défiance, dans ce chœur des veuves. Quoi donc ! n’a-t-on pas vu, dira-t-on, nombre de veuves, des veuves de vingt ans, briller d’un pur éclat jusqu’à leur dernière heure, porter longtemps le joug, et montrer, sans jamais se démentir, un noble spécimen de la vie apostolique ? eh bien ! donc, je vous le demande, les écarterons-nous ? et, quand elles veulent conserver le titre de veuves, les forcerons-nous à contracter un second mariage ? Est-ce là une conduite digne du conseil de l’Apôtre ? Que signifient donc ses paroles ? Prêtez-nous toute votre attention, mes bien-aimés ; comprenez, bien le sens du texte. Il ne dit pas : qu’il n’y ait pas de veuve âgée de moins de soixante ans, mais que celle qui sera choisie pour être mise au rang des veuves; et, d’un autre côté, il ne dit pas : que les veuves plus jeunes ne soient pas choisies, mais : évitez les veuves plus jeunes. (1Ti 5,11) Ce sont là les paroles qu’il écrit à Timothée. Les détracteurs, les médisants abondent toujours, leurs langues sont aiguisées contre ceux qui dirigent les Églises. Paul veut mettre un chef d’église à l’abri des accusations ; il lui prescrit la loi qu’il exprime à peu près ainsi : Pour ce qui est de toi, ne choisis pas. Si, d’elle-même, si, de son propre mouvement, la veuve tient à entrer dans cette compagnie, qu’elle y entre ; toi cependant, ne l’admets pas encore. On pourrait dire : elle était jeune, elle voulait se marier, rester à la tête de sa maison ; c’est un tel qui l’a forcée ; voilà pourquoi elle a succombé ; de là, ses fautes. Toi, ne la choisis pas, afin que, si plus tard elle succombe, tu sois à l’abri des accusations ; et afin que, si elle demeure ferme, tu puisses la choisir, au temps convenable ; avec plus de sécurité. Si le texte dit : Je veux que les jeunes veuves se marient, qu’elles aient des enfants (1Ti 5,14), comprenez ce qu’il entend par jeunes veuves. Ce sont celles qui, ayant secoué le joug du Christ, veulent se remarier ; des bavardes, des curieuses, des coureuses, disant ce qu’on ne doit pas dire, qui se sont mises de la suite de Satan. Et, en effet, après avoir dit : Je veux que les jeunes veuves se marient, il ne s’est pas arrêté, mais il dit ce qu’il entend par jeunes veuves, et il raconte leurs faux pas. Quels sont-ils, ces faux pas ? Parce que la mollesse de leur vie, les portant à secouer le joug de Jésus-Christ, elles veillent se remarier ; des fainéantes, des causeuses, des curieuses, des coureuses, disant ce qu’on ne doit pas dire, des femmes perverties. (Id 11, 13, 15), pour voir qui ? pour voir Satan. Donc, puisqu’après avoir embrassé le veuvage et continue toute cette vie de honte, elles veulent contracter un second mariage, mieux vaut qu’elles le contractent avant d’être devenues les épouses du Christ, et d’avoir violé leur contrat avec lui. S’il est une veuve qui ne ressemble pas à celles-ci, le texte ne lui impose pas la nécessité d’un second mariage. 4. Et voici la preuve que c’est là la vérité. Si, en effet, on eût prescrit, comme par une loi, à toutes les femmes de se marier, de rester à la tête de leur maison, l’enquête suivante eût été superflue : Si elle a bien élevé ses enfants, si elle a lavé les pieds des saints, si elle a secouru les affligés, si elle s’est appliquée à toutes sortes de bonnes œuvres. (Id 5,10) Il est aussi inutile de dire : qu’elles n’aient eu qu’un mari. (Id. 9) En effet, si vous ordonnez à toutes les jeunes veuves de se marier, comment pourra-t-il arriver qu’une des veuves qui vous occupent n’ait eu qu’un mari ? Donc, le texte considère les veuves dont on doit se défier. Telle est encore la pensée du texte sur le commerce conjugal. En effet, après avoir dit : Ne vous refusez point l’un à l’autre ce devoir, si ce n’est du consentement de l’un et de l’autre, pour un temps, afin de vous exercer au jeûne et à la prière, et ensuite vivez ensemble comme auparavant(1Co 7,5) ; pour que vous n’alliez pas regarder cette parole comme une loi, comme un précepte, il en donne aussitôt la raison, en disant : De peur que le démon ne vous tente, ce que je vous dis comme une chose qu’on vous conseille et nos pas qu’on vous commande à cause de votre incontinence. Donc, de même que, dans ce passage, il ne s’adresse pas à tous les hommes, mais seulement aux plus incontinents, à ceux qui succomberaient facilement ; de même, à présent, il a en vue, parmi les femmes, celles dont la chute est trop facile, celles qui ne supporteraient pas le veuvage ; c’est à elles qu’il donne le conseil de se marier une seconde fois. C’est qu’en effet le veuvage est chose double. Comment cela, double ? C’est un spécimen de bonnes œuvres, c’est une très-haute dignité. De même donc qu’une magistrature, aussi, est chose double ; en effet, il y faut considérer les œuvres et la dignité : la dignité c’est la puissance du magistrat, les honneurs que le peuple lui rend, c’est la magistrature en elle-même. Quant aux œuvres de la magistrature, c’est de secourir ceux à qui l’on fait injustice de réprimer les auteurs de l’injustice, de commander aux villes, de veiller, de passer les nuits pour les affaires communes de la république, ce sont mille autres soins ; de même pour le veuvage, il faut distinguer la dignité et les œuvres : la plus grande dignité, c’est d’être veuve, nous l’avons déjà démontré ; quant aux œuvres, c’est de ne pas faire venir un second mari, mais de se contenter du premier ; de bien élever ses enfants, d’exercer l’hospitalité, de laver les pieds des saints, de secourir les affligés, de s’appliquer à faire le bien, de toutes les manières. Aussi, Paul, en parlant de ces œuvres, permet aux veuves de les accomplir toutes, mais il ne permet pas d’élever à la dignité de veuve, de faire entrer dans la compagnie, de mettre au rang des veuves ; celle qui n’a pas soixante ans accomplis ; c’est comme s’il disait : Qu’elle fasse toutes les œuvres qui conviennent aux veuves ; quant à la dignité, qu’elle ne l’obtienne que quand, après avoir accompli tontes ces bonnes œuvres, elle devra au bénéfice de l’âge toute sécurité ; et, à ses œuvres, la démonstration et le témoignage extérieur de sa vertu. Que nul n’aille s’imaginer que ce discours ne convienne qu’aux femmes, car les hommes y trouveront aussi de quoi profiter lis doivent, eux aussi, s’en tenir à la femme qu’ils ont perdue ; ils ne doivent pas vouloir que des lionnes habitent avec leurs enfants, que des belles-mères, introduites dans leur maison, en ruinent toute la sécurité. 5. Ce que nous disons, ce n’est pas pour vous prescrire la haine d’un second mariage, mais nous vous conseillons de vous contenter du premier. Autre chose est l’exhortation, autre chose le commandement. L’exhortation, le conseil, laissent à la discrétion de l’auditeur le choix ; dans ce qu’on lui conseille ; le précepte, au contraire, supprime ce pouvoir de choisir. L’Église ne fait pas, ici, de précepte ; elle exhorte seulement ; Paul a permis les seconds mariages, quand il a dit : La femme est liée à la loi du mariage tant que son mari est vivant ; mais si son mari meurt, elle est libre ; qu’elle se marie à qui elle voudra, pourvu que, ce soit selon le Seigneur. Cependant elle sera plus heureuse si elle demeure en cet état. (1Co 7,39-40) Ainsi, comme le mariage est bon, mais la virginité vaut mieux ; de même, le second mariage est bon, mais le premier, l’unique mariage, vaut mieux. Nous ne rejetons donc pas le second mariage ; nous ne prescrivons rien non plus sur ce point, mais nous exhortons : Que celui qui veut conserver la chasteté se contente du premier mariage. Et, maintenant, pourquoi nos exhortations et nos conseils ? Pour assurer la sécurité de la maison. Souvent le second mariage est une occasion de luttes et de combats de tous les jours. Assurément, bien souvent, if arrive qu’assis à table, le mari, au souvenir de sa première femme, pleure en silence ; mais l’autre, tout à coup, prend feu, bondit comme une bête fauve, et lui demande raison de sa tendresse pour celle qui n’est plus. S’il veut louer la femme qui est partie, c’est un prétexte de guerre ; un éloge est un sujet de combat. Et, voyez, quand nos ennemis particuliers sont morts, nous ne sentons plus rien contre eux ; la même heure a terminé leur vie et notre haine. Chez les épouses, ce qui se montre, c’est tout le contraire ; la femme qu’elle n’a pas vue, la femme qu’elle n’a pas entendue, la femme qui ne lui a fait aucun mal, celle-ci la déteste, l’a en horreur, et la mort même n’éteint pas sa haine. Qui donc a jamais vu, qui donc a jamais entendu dire que la poussière fût un objet ; de jalousie, qu’on fit la guerre de la cendre ? 6. Mais ce n’est pas là que s’arrête le mal ; soit que la seconde épouse ait des enfants, soit qu’elle n’en, ait pas, nouveaux combats, toujours la guerre. Si elle n’en a pas, son chagrin est plus amer, et, pour cette cause, elle regarde comme des ennemis, qui lui font le plus grand outrage, les enfants de la première femme ; elle les regarde comme un reproche, qui lui rend plus sensible sa stérilité ; si, au contraire, elle a des enfants, le mal n’est pas moindre. En effet, souvent le mari, par tendresse pour, l’épouse qu’il a perdue, embrasse ses enfants, et, par l’affection, par la compassion qu’il éprouve, il souffre de les voir orphelins. Mais l’autre veut que toujours et partout on préfère ses enfants à elle, et, à ses yeux, les autres ne sont pas des frères, mais de vils esclaves ; voilà qui est de nature à bouleverser la maison, à rendre pour l’époux la vie insupportable. Aussi, nous vous exhortons à garder, s’il est possible, la continence, à vous contenter du premier mariage. Nous conseillons, aux maris, de ne pas prendre une nouvelle femme ; aux femmes, de ne pas prendre un nouveau mari, de ne pas jeter leur maison dans un tel bouleversement. Mais maintenant, pourquoi Paul, parlant de la viduité, ne s’est-il pas contenté de cette première condition : Pourvu qu’elle n’ait eu qu’un mari ? C’est afin de vous faire comprendre que ce qui constitue la veuve, ce n’est pas seulement de ne jamais épouser un second mari, mais d’abonder en bonnes œuvres, en aumônes, en douceur, en soins pour les étrangers. Car, si la virginité n’a servi de rien aux vierges (et cependant la virginité est bien supérieure à la viduité), si les vierges dont la lampe s’est éteinte sont tombées dans le mépris pour n’avoir pas pu montrer les fruits de la charité et de l’aumône (Mat 25), c’est ce qui est encore bien plus vrai des veuves. Quand Paul entend cette parabole, effrayé pour les veuves, il étudie leur cause avec le plus grand soin ; il ne veut pas que la modération qui les porterait à s’en tenir à un seul mariage leur fasse négliger les autres vertus. Voilà pourquoi il dit : Qu’on puisse, rendre témoignage de ses bonnes œuvres. (1Ti 5,10) En effet, de même que la virginité, quoiqu’étant un bien, ne produit toute seule arien n fruit, et rie peut ouvrir là chambre de l’époux ; de même la viduité est un bien, mais, sans les autres vertus, elle est vaine et superflue. Aussi le conseil de Paul ne se réduit pas à ce qu’elles s’abstiennent d’un second mari, mais il réclame, de la veuve, d’autres vertus, en grand nombre, et des vertus considérables. Il faut que des soldats d’élite soient des soldats bien constitués ; de même, Paul choisissant les soldats du Christ, veut des âmes bien constituées, vaillantes, ardentes pour toutes les bonnes pauvres, et il prononce ces paroles : Si elle a bien élevé ses enfants ; si elle a exercé l’hospitalité ; si elle a lavé les pieds des saints ; si elle a secouru les affligés ; si elle s’est appliquée à toutes sortes de bonnes œuvres. Chacune de ces paroles ne semble qu’un petit mot, sans valeur, et pourtant contient eu soi ce qui constitue la vie. 7. S’il vous paraît bon, étudions d’abord ce que Paul a mis au premier rang : Si elle a bien élevé ses enfants. Il indique par là l’éducation, non pas cette éducation, simple, vulgaire, qui consiste, lorsque les enfants meurent de faim, à s’en apercevoir. Il suffit de la nature pour veiller toujours aux soins de ce genre ; d’où il arrive qu’il ne faut ni commandement, ni loi, pour obtenir que les veuves élèvent leurs enfants. Mais Paul entend ici le soin de les élever, dans la justice et dans la piété. Celles qui n’élèvent pas ainsi leurs enfants, sont des infanticides plutôt – que des mères. Ce que je dis, je ne l’adresse pas aux femmes seulement ; je l’adresse en même temps aux hommes. Il ne manque pas de pères qui, pour donner à leur fils un bon cheval, des demeures magnifiques, un domaine d’un grand prix, font tout, remuent tout ; quant à obtenir que leur fils ait l’âme bonne, et se tourne vers la piété, ils n’y pensent pas. Et c’est là ce qui produit le chaos sur la terre entière. Noirs n’avons pas soin de nos enfants ; de leurs possessions, de leur fortune, nous prenons grand souci ; noirs négligeons leur âme, et voilà le comble de la démence. En effet, multipliez tant que vous voudrez les riches humaines, si le possesseur n’a ni vertu ni zèle de l’honnêteté, tout s’en via, tout s’évanouit avec lui ; et ces richesses causent, à celui qui les possède, un préjudice affreux. Au contraire, une âme généreuse et sage, quand elle n’aurait aucun bien en réserve, est assurée de jouir de tous les trésors. Nous devons donc nous proposer de rendre nos enfants, non pas riches d’argent et d’or, ni des choses de ce genre, mais riches, le plus possible ; par la piété, par la tempérance, par l’acquisition de toutes les vertus, nous proposer de les préserver de mille habitudes qui deviennent des besoins ; de leur faire prendre en mépris les choses du siècle, les passions succédant toujours aux passions, pour surprendre l’âme. Où entrent-ils ? d’où sortent-ils ? voilà ce qui doit exciter notre curiosité, éveiller tous nos soins. Quelles sont leurs connaissances ? quels sont leurs amis ? et comprenons bien que, si nous négligeons cette surveillance, nous n’obtiendrons, de Dieu, aucun pardon. S’il est vrai que notre négligence pour les intérêts d’autrui, nous attire des châtiments, que personne ne cherche sa propre satisfaction, de l’Apôtre, mais le bien des autres (1Co 10,24) ; quel châtiment bien plus terrible nous frappera, si nous négligeons nos enfants. N’ai-je pas mis ton enfant dans ta maison, dès le commencement, dit le texte ? ne t’ai-je pas établi son précepteur, son maître, son protecteur, son juge ? ne t’ai-je pas remis entre les mains tout pouvoir sur lui ? Je t’ai confié le soin de pétrir, de façonner cette âme molle et délicate ? quel pardon mérites-tu si, pour quelque résistance, tu l’abandonnes ? que pourrais-tu dire ? que c’est une nature rétive, qui ne supporte pas le frein ? Mais c’est tout d’abord ce qu’il fallait prévoir ; quand il supportait le frein, quand il était dans la première jeunesse, il fallait prendre le soin de le brider, l’habituer, le façonner au devoir, châtier les vices dont son âme est malade. La culture était facile ; c’était alors qu’il fallait arracher les épines ; dans un âge encore tendre, on les eût plus facilement extirpées ; on n’aurait pas vu les passions grandir, par la négligence du surveillant, et défier qui les veut combattre. Voilà pourquoi, dit le Sage : Fléchis-lui le cou, quand il est jeune (Sir 7,23) ; c’est-à-dire, à l’heure où il est plus facile de le former par l’éducation. Et l’Écriture ne se contente pas du précepte, elle Se met à l’œuvre avec vous. Comment ? Celui qui aura maudit son père ou sa mère, sera puni de mort. (Exo 21,17) Voyez-vous quelle crainte elle inspire ? quel redoutable rempart elle construit pour vous ? quelle force elle vous donne ? Quelle excuse pourrons-nous donc alléguer ? Comment ! si nos enfants nous outragent, Dieu n’épargne pas même leur vie ; et nous, quand nous les voyons outrager Dieu, nous sommes sans colère, et nous les supportons ! Moi, dit le Seigneur, je ne refuse pas de mettre à mort qui t’outrage, et toi, tu ne veux même pas qu’on attriste d’un mot celui qui foule aux pieds mes lois ! Eh ! quelle pourrait être l’excuse d’unetelle conduite ? Vous voyez qu’on outrage son Créateur, et vous ne vous indignez pas, répondez-moi, et vous ne tremblez pas, et vous n’avez pas de réprimande pour l’enfant, et cela quand vous savez qu’il enfreint la loi de Dieu ! ce n’est pas que l’outragé en reçoive aucun préjudice (Dieu n’a rien à perdre), mais l’enfant n’est-il pas à sauver ? qui se livre contre Dieu à des outrages insensés, à bien plus forte raison, insultera son père, et dégradera son âme. 8. Donc soyons vigilants, puisque nous savons que, s’ils rendent à Dieu ce qui lui est dû, nos enfants jouiront, même dans la vie présente, d’un brillant et glorieux nom. A l’homme vertueux et modeste les respects de tous, tous les honneurs ; fût-il le plus misérable de tous les pauvres ; le méchant, le pervers n’excite que répulsion et que haine, vît-il abonder chez lui les richesses à grands flots. Et non seulement votre enfant sera, pour les autres, un sujet de vénération, mais vous-même, son père, vous, le chérirez plus encore ; car, à l’amour qui résulte de la, nature, se joindra l’amour non moins vif qui s’attache à la vertu, et non seulement vous le chérirez plus, mais ce cher objet vous sera plus utile, vous honorant, vous servant, vous soutenant dans votre vieillesse. De même que les ingrats envers Dieu ; méprisent leurs parents, de même ceux qui honorent leur Créateur entourent leurs parents d’hommages et de vénération. Donc voulez-vous être considéré de Dieu et des hommes, assurer le doux bonheur de votre vie, vous préserver des châtiments à venir, faites de votre enfant l’unique objet de vos soins. Ceux qui négligent leurs enfants, fussent-ils d’ailleurs honnêtes, tempérants et sages, subiront, pour cette négligence, le plus terrible des châtiments, ce que prouve une vieille histoire, que je vais vous raconter. Il y avait chez les Juifs un prêtre honnête d’ailleurs et sage que l’on nommait Héli. Cet Héli avait deux fils, tombés dans les derniers excès de la dépravation ; il ne les réprimandait pas, il les laissait faire : c’est-à-dire il les réprimandait bien, il cherchait à les retenir, mais il n’y mettait pas le soin suffisant, il manquait de sévérité. (1Sa 2,11). Il aurait dû employer les verges, il aurait dû les chasser de la maison paternelle, user de tous les moyens de correction ; eh bien ! non, il se contentait de leur adresser des exhortations, (tes conseils ; il leur disait : Ne faites pas cela, mes enfants, ne faites pas cela, car je n’ai pas les oreilles flattées de ce qui vient à mes oreilles à cause de vous. (1Sa 2,21). Que dis-tu ? Ils ont outragé Dieu et tu les appelles tes enfants ? Ils ont méconnu leur Créateur et tu les reconnais ? Voilà pourquoi l’Écriture dit qu’il ne les réprimandait pas, c’est que la réprimande n’est pas un conseil quelconque, c’est un moyen énergique, mordant, qui mesure, à la gravité de la blessure, la rigueur du traitement, du coup qu’il faut frapper. Il ne suffit pas de prononcer des paroles ; des exhortations, il faut aussi de la fermeté, de la force, inspirer une terreur qui secoue l’indolence de la jeunesse. Donc ; comme il les exhortait, mais rie les exhortait pas dans la mesure qui convenait, il les livra aux coups des ennemis, et, quand la bataille s’engagea, ils périrent clans la mêlée ; incapable de supporter cette nouvelle, le père tomba à la renverse, se brisa la tête et mourut. Avais-je raison de les appeler meurtriers de leurs enfants, les pères qui les négligent, qui ne les châtient pas sévèrement, qui ne les forcent pas à rendre le culte qu’ils doivent à Dieu ? C’est ainsi qu’Héli a été le meurtrier de ses fils. Sans douté, ce sont les ennemis qui ont tué ses fils, pourtant c’est lui qui a été l’auteur de leur mort violente, parce que sa négligence à l’égard de ses fils, a détourné d’eux le secours du Seigneur, les a livrés, nus, privés de tout appui, à qui les voulait tuer. Et non seulement il les a perdus, mais il s’est perdu lui-même avec eux. 9. C’est justement ce qui arrive, maintenant encore, à un trop grand nombre de pères. Ils ne veulent pas punir par les verges, ni même châtier en paroles, ni attrister leurs enfants, qui vivent dans les désordres et violent les lois ; qu’arrive-t-il ? souvent ils les voient convaincus des plus grands crimes, traînés en jugement, décapités par les bourreaux. Puisque tu ne les châties pas, puisque tu ne les corriges pas, puisque tu t’en vas toi-même te mêler à des scélérats ; à des hommes perdus ; puisque tu te fais le complice de leurs crimes, on les traite d’après la rigueur des lois, et, sous les yeux du public, on les châtie ; et, au malheur, se joint un surcroît d’infamie, quand tous montrent du doigt le père, dont le fils n’existe plus, et lui rendent impossible l’accès de la place publique. Comment ses yeux pourraient-ils supporter ceux qu’il rencontre, après une telle ignominie, après le malheur de son enfant ? Aussi, je vous en prie, je vous en conjure ; ayons bien soin de ces enfants qui sont nôtres, et toujours, et partout appliquons-nous au salut de leurs âmes. Le maître, le docteur de toute la famille, c’est toi ; et ta femme, et tes enfants, Dieu te les confie, pour les instruire toujours. Et, en tel endroit, Paul, en parlant des épouses, dit : Si elles veulent s’instruire de quelque chose, qu’elles le demandent, dans leurs maisons, à leurs maris. (1Co 14,30) ; et, en tel autre endroit, parlant des enfants:Élevez-les en les instruisant et les avertissant, selon le Seigneur.(Eph 6,4) Dites-vous que vous avez des statues d’or dans vos maisons, vos enfants ; et, tous les jours, polissez-les, ne vous lassez pas de les observer avec le plus grand soin, et employez tous les moyens, pour les embellir, pour les former. Imitez le bienheureux Job. qui redoutant les suites de leurs péchés, offrait, pour eux, des sacrifices, et ne cessait, pour eux, de s’inquiéter, de tout prévoir. (Job 1,5) Incitez Abraham, peu soucieux de ses trésors, de toutes ses possessions ; ce dont il se souciait, c’était de la loi de Dieu, c’était d’en recommander, à ses descendants ; l’observance exacte. Dieu rend témoignage de la vertu de ce juste, par ces paroles : Je sais qu’Abraham ordonnera, à ses enfants, d’agir selon l’équité et la justice. (Gen 18,19) David aussi, en mourant, fit venir son fils, et lui légua comme un bel héritage ces recommandations, sans cesse renouvelées : Si vous voulez, mon fils, vivre conformément à la loi de Dieu, aucun malheur imprévu ne fondra sur vous, et vous jouirez d’une grande sécurité ; mais si vous perdez ce puissant secours, toute votre royauté, toute votre puissance ne vous servira de rien. Voilà ce qu’il lui disait, telles étaient ses exhortations, sinon ses paroles mêmes. 10. Répétons-les, nous aussi, et pendant tout le temps de notre vie, et au moment de partir, à nos enfants ; persuadons-leur que c’est une grande richesse, et un héritage infaillible, et un trésor, le plus assuré de tous, que la crainte de Dieu : soyons moins jaloux de leur laisser une fortune périssable, que cette piété durable qui ne se dissipe jamais. Sans la piété, la fortune s’évanouit, ne vous laissant que les dangers et la honte ; avec la piété, la fortune arrive. Élevez bien votre fils, un autre en fera autant de son fils, et après cet autre, un autre encore ; c’est unie chaîne, une filiation excellente de chastes enseignements, qui s’étendra sur tous, et vous en serez le principe, la racine, et tous les fruits, récoltés de cette bonne éducation des enfants, se moissonneront pour vous. Si les pères appliquent tous leurs soins à bien élever leurs enfants, c’en est fait, il n’est plus besoin, ni de lois, ni de jugements, ni de peines, ni de supplices, ni d’expiations publiques par le sang ; car : Ce n’est pas pour le juste, dit l’Apôtre, que la loi est faite. (1Ti 1,9) Mais, comme nous n’en prenons pas soin, nous les précipitons dans les plus grands malheurs ; nous les livrons aux mains des bourreaux ; trop souvent, c’est nous qui les jetons dans les gouffres. Car, dit l’Écriture, Celui qui évente son fils, pansera ses plaies. (Sir 30,7) Que signifient ces paroles, Celui qui évente ? c’est-à-dire, celui qui cherche, outre mesure, à soulager, celui qui flatte, qui prodigue des soins serviles. Car ce qu’il faut à l’enfant, c’est un soin austère, sévère, qui inspire la crainte. Ce que j’en dis, ce n’est pas pour que nous soyons durs et farouches avec les enfants, mais pour éviter de devenir méprisables à leurs yeux. Si la femme doit craindre son mari, à bien plus forte raison, le fils doit-il craindre son père. Et ne me dites pas que la jeunesse est indomptable. Car si Paul demande à une veuve, à une femme, de prendre soin de ses enfants, à bien plus forte raison, le demande-t-il aux hommes ; et s’il y avait impossibilité, il n’aurait pas exprimé un commandement. Voici la vérité : toute perversité provient de notre négligence, provient de ce que, dès le principe, dès l’âge le plus tendre, nous n’avons pas formé nos enfants à la vertu. Nous avons grand soin de les mettre à l’étude des sciences profanes, de les initier à la milice, et nous dépensons de l’argent, et nous assiégeons nos amis de nos prières ; et à droite, à gauche, à chaque instant nous nous mettons en course : mais, pour que nos enfants soient en honneur auprès du Roi des anges, nous nous donnons fort peu de mouvement. Nous leur permettons souvent d’aller aux spectacles ; mais nous ne les poussons jamais, pour qu’ils viennent à l’église ; si une fois, deux fois, un tout jeune enfant vient ici ; c’est un hasard sans conséquence, sans aucune utilité ; c’est parce que cela l’amuse, qu’il se trouve en ce lieu. C’est le contraire que nous devrions voir quand nous envoyons nos enfants aux écoles, nous leur demandons qu’ils nous rendent compte de leurs leçons, ce que nous devrions faire en les envoyant à l’église, ou plutôt en les y conduisant. Car ce n’est pas à des mains étrangères que nous devons les confier ; c’est à vous de les amener ici, d’y entrer vous-même, afin de leur demander ensuite s’ils se souviennent bien de ce qu’ils ont entendu, de ce qu’ils ont appris. Cette conduite nous rendrait bien plus facile et plus expéditive la tâche de redresser vos enfants. Car si, dans l’intérieur de la maison, ils entendaient toujours ; de votre bouche, les discours de la sagesse, les bons conseils, auxquelles se joindraient les paroles qui se prononcent ici, ils nous montreraient bien vite, heureux fruits de ces généreux germes, une riche moisson. Mais nous ne faisons rien de semblable ; nous négligeons ce qui est de première nécessité ; faites des exhortations à ce sujet, tout de suite on rit de vous, et de là le bouleversement ; les pères négligent de corriger leurs enfants à la maison ; au-dehors, on s’en charge, et les enfants subissent la correction des lois. 11. N’avez-vous pas de honte, ne rougissez-vous pas, répondez-moi, quand ce fils, qui est votre fils, vous est pris par le juge pour le châtier ; pour le rendre plus sage ; quand il faut la correction du dehors à cet enfant, qui, depuis si longtemps, depuis sa naissance, a demeuré avec vous ? Ne vous cachez-vous pas, né rentrez-vous pas sous la terre ? avez-vous le courage, répondez-moi, de supporter qu’on vous nomme son père, vous qui avez ainsi trahi votre enfant, quine lui avez pas donné tous les soins nécessaires, qui l’avez négligé, quand la corruption pénétrait dans son âme ? À la vue d’un esclave qui bat voire enfant, vous vous indignez, votre colère s’allume, votre fureur éclate ; plus terrible qu’une bête féroce, vous bondissez à la vue de celui qui a frappé votre enfant ; et, à l’aspect du démon, qui le soufflette chaque jour sous vos yeux, des anges déchus qui l’attirent dans toutes les fautes, vous dormez, et vous ne vous indignez pas, et vous n’arrachez pas, au plus redoutable des monstres, votre enfant ? Si votre fils est démoniaque, vous courez vers tous les saints, vous troublez le repos de ceux qui résident au sommet des montagnes ; vous voulez le voir délivré de, cette maladie sinistre, et, quand c’est le péché, le péché, plus funeste que tous les démons ensemble, qui le trouble sans relâche, vous restez les bras croisés. Être possédé du démon, ce n’est rien ; cette possession ne peut pas jeter dans l’enfer, Si nous voulons pratiquer la sagesse, cette épreuve nous vaudra de brillantes, d’éclatantes couronnes ; sachons bénir Dieu dans de telles épreuves. Mais celui qui passe sa vie entière dans le péché ne peut être sauvé ; il est absolument nécessaire, et qu’il subisse, sur la terre, tous les opprobres, et qu’en partant d’ici, il endure les éternels supplices. C’est pourtant ce que vous savez ; mais voilà : pour éviter les malheurs moindres, nous montrons tout notre zèle ; pour les plus grands, nous ne voulons pas nous réveiller. À la vue d’un démoniaque, nous gémissons ; à la vue d’un pécheur, nous ne sentons rien ; c’est alors pourtant qu’il faudrait se frapper la poitrine et gémir ; mais non, il ne suffit pas de gémir, il faut contenir, il faut réprimer, employer le frein, conseiller, exhorter, faire trembler, réprimander, user de tous les moyens de guérison, pour chasser ce mal funeste. Il faut imiter cette veuve, dont parle le bienheureux Paul : Si elle a bien élevé ses enfants ; car ce n’est pas d’elle seulement qu’il parle. C’est à tous sans exception qu’il adresse son discours ; c’est à tous qu’il donne ce conseil : Élevez vos enfants dans l’esprit du Seigneur. (Eph 6,4) Voilà la première, la plus grande de toutes les bonnes œuvres, la première aussi qu’il demande à la veuve ; ensuite il ajoute : Si elle a exercé l’hospitalité. Que dites-vous, répondez-moi ? C’est d’une veuve que vous réclamez l’hospitalité ? Ne lui suffit-il pas d’élever ses enfants ? Non, dit-il, il faut encore qu’elle y ajoute ce devoir ; qu’à la surveillance de ceux qui lui appartiennent, elle joigne le soin des autres ; qu’elle ouvre sa maison aux étrangers ; ton mari est parti, le culte que tu avais pour lui, déploie-le envers les étrangers. Quoi donc ! me répond-on, et si elle est pauvre ? elle ne l’est pas plus que cette pauvre femme qui, avec un peu de farine, un peu d’huile, a reçu le grand prophète Élie ; elle aussi avait des enfants ; mais, ni son indigence, ni la famine qui pesait sur elle, ni la mort qu’elle attendait, ni ses inquiétudes pour ses enfants, ni son veuvage, ni quoi que ce puisse être, rien n’a été un obstacle pour cette femme, attachée aux devoirs de l’hospitalité. 12. Vous le voyez, ce qu’il faut partout, ce n’est pas la juste mesure de la fortune, mais la juste mesure de la sagesse ; quiconque a la grandeur de l’âme, la richesse des sages pensées, fût-il le plus pauvre de tous les hommes, parce que l’argent lui manque, peut surpasser les plus riches, par l’hospitalité, par l’aumône, par toutes les autres vertus. Celui dont l’âme est petite, dont la pensée est pauvre, celui qui rampe à terre, aurait beau être le plus opulent de tous les hommes, il est le plus pauvre de tous et le plus indigent. Voilà pourquoi, dans l’exercice des vertus hospitalières, il hésite, il succombe. Et, de même que le pauvre ne rencontre, dans sa pauvreté, aucun obstacle pour l’aumône, parce que son âme est riche ; de même le riche ne trouve, dans son abondance, aucun ressort pour la sagesse ; parce que son âme est pauvre. Et les exemples ne sont pas loin. Cette veuve, avec un peu de farine, accueillit le prophète ; Achab, au sein d’une si grande opulence, convoita le bien d’autrui : Ce n’est donc pas la richesse de l’argent ou de l’or, mais la richesse de l’âme, qui nous rend l’aumône facile, puisque cette veuve, avec deux oboles seulement, a surpassé des milliers de riches ; puisqu’elle n’a pas trouvé d’obstacle dans sa pauvreté. Donc, cette pauvreté même rend l’aumône plus considérable. C’est ce que dit le bienheureux Paul : Leur profonde pauvreté a répandu avec abondance, les richesses de leur charité sincère. (2Co 8,2) Il ne faut pas considérer ceci, qu’elle a donné deux oboles, mais que possédant uniquement ces deux oboles, elle ne les a pas ménagées ; elle à donné toute sa fortune ; il faut l’admirer et la couronner. Ce n’est pas de fortune que nous avons besoin ; c’est un zèle empressé qu’il nous faut, quand nous recevons les étrangers : De même que, si ce zèle nous anime, la pauvreté ne nous porte aucun préjudice ; de même, si ce zèle nous manque, nous ne retirons, de notre abondance, aucune utilité. Que m’objectez-vous ? Cette veuve a ses enfants à soigner, et, pour cette raison, elle ne pourrait pas s’occuper des étrangers ? Pour cette raison même, il lui sera plus facile de rendre aux étrangers ses devoirs. Elle associera ses enfants aux soins qu’elle prendra d’eux. Ses enfants partageront sa tâche, s’attacheront à elle, dans cette occupation si noble. Ainsi, ce n’est pas un obstacle, c’est un secours, dans l’exercice de l’hospitalité, que le grand nombre des enfants ; le grand nombre des mains à l’ouvrage, facilitera le ministère : Ne me parlez pas d’une table somptueuse ; si elle reçoit l’étranger dans sa maison, si elle lui offre ce qu’elle a, si elle lui montre tout le zèle d’une affection charitable, elle a recueilli, sans que rien y manque, le fruit de l’hospitalité. S’il suffit d’un verre d’eau pour ouvrir le royaume du ciel ; l’accueil qui admet sous le même toit, qui fait asseoir l’étranger à la même table, qui le fait se reposer, quel fruit ne recueillera-t-il pas, répondez-moi ? Remarquez bien jusqu’où va le précepte de Paul : il ne demande pas simplement, ici, qu’on accueille les étrangers, mais qu’on leur fasse accueil, de tout cœur, avec une âme que brûle le feu de la charité. Après avoir dit : Si elle a exercé l’hospitalité, il ajoute : Si elle a lavé les pieds des saints. Il ne faut pas qu’assise superbement, elle abandonne, à des servantes, le soin de l’étranger ; elle doit le servir elle-même, ravir elle-même ce fruit de vertu ; elle ne doit céder à personne ce trésor si beau. Et comment cela se ferait-il, me dit-on, si elle est de bonne famille, issue de nobles et illustres ancêtres ; elle ira laver elle-même les pieds de l’étranger ? Comment, ne serait-ce pas une honte ? Une honte ! si elle ne les lave pas, entendez bien ; fût-elle mille et mille fois de plus noble famille, issue de plus nobles, de plus illustres ancêtres, elle est du même sang que celui dont elle lave les pieds ; esclave, comme celui qu’elle soigne, et qui est son égal. 13. Méditez, considérez quel est Celui qui a lavé les pieds de ses disciples, et ne me parlez plus de noblesse, et ne me parlez plus de noble naissance. Le Maître, le Seigneur qui commande à la terre entière, le Roi des anges, il a lavé leurs pieds ! Il s’est mis un linge autour des reins, et il n’a pas lavé seulement les pieds de ses disciples, mais aussi les pieds de celui qui le trahissait ! Comprenez-vous, entre celui qui lavait et ceux qui étaient lavés, quelle distance il y avait ? Le Seigneur pourtant n’a rien voulu voir de toute cette distance, et le maître a lavé son esclave, afin que la femme esclave ne rougisse pas d’en faire autant à celui qui est esclave comme elle ; et, si le Seigneur a lavé les pieds du traître, c’est pour que vous ne disiez pas de l’étranger qu’il est trop vil, trop méprisable pour que vous lui donniez vos soins. Je veux qu’il soit vil et méprisable : il ne l’est pas autant que Judas ; il ne vous a pas fait ce que Judas a fait à son Maître : après tant de bienfaits, il a été le trahir. Le Seigneur prévoyait tout cela, et il lui a lavé les pieds, pour montrer à nos yeux, dans la pratique, les lois qu’il nous impose, pour nous apprendre que, quel que soit notre rang et notre dignité, et quand les derniers de tous les hommes devraient venir chez nous demander l’hospitalité, ce n’est pas une raison pour nous de nous soustraire aux soins qu’ils réclament ; ne rougissons pas de leur bassesse. Que fais-tu, ô femme ! à la vue d’un homme qui te porte secours dans les affaires de la vie, qui t’assiste devant les juges ou dans quelque autre circonstance ? Tu lui fais un accueil plein d’affection et tu lui baises les mains, et tu dépenses de l’argent, et tu partages les soins des servantes. A la vue du Christ qui t’arrive, tu recules et tu renonces à le servir ! Si tu ne reçois pas l’étranger comme le Christ, ne le reçois pas ; mais, si tu le reçois comme le Christ, ne rougis pas de laver les pieds du Christ. Et ne vois-tu pas combien de victimes de l’injustice se sont réfugiées aux pieds de ses images ? Matière insensible, pourtant, bronze inanimé ! Mais, comme ce sont de royales images, on prend confiance ; on s’assure que, de ces pieds que l’on touche, on recueillera quelque utilité. Et toi, quand tu vois non des pieds insensibles, non une matière sans âme, mais une image qui porte le Roi en elle ; quand cette image vient vers toi, tu ne cours pas à sa rencontre ! Réponds-moi. Tu ne t’attaches pas à ses pieds, tu ne l’entoures pas de tous tes soins ? Quelle pourrait être l’excuse de cette indifférence ? Comment n’en pas rougir ? Considère quel commerce exalte, ton orgueil, transporte ta vanité, toi qui rougis de prendre soin d’un étranger. Ce, commerce, c’est le commerce avec le démon ; car le vain orgueil, voilà sa maladie. Si, au contraire, tu cours au-devant de l’étranger, considère quel est Celui dont tu suis l’exemple : tu imites ton Seigneur, tu fais l’action du Christ. Quelle honte, quel opprobre y a-t-il à faire comme le Seigneur ? Réponds-moi. La honte ! je sais bien ce qui la produit : c’est d’avoir honte de ces soins, c’est de regarder comme un opprobre ce qu’a fait le Christ. Les pieds des saints ont un grand pouvoir quand ils entrent dans une maison : ils sanctifient le sol, ils introduisent dans la maison un trésor de biens innombrables ; ils corrigent l’aveuglement de la nature ; ils dissipent la famine ; ils amènent l’abondance. C’est ce que firent les pieds d’Élie entrant dans la maison de la veuve, où ils introduisirent une incroyable, une admirable abondance. La maison de la veuve devint un champ fertile ; son vase devint un grenier. On vit alors une semence nouvelle, une moisson inouïe : la veuve semait dans la bouche du juste, et elle moissonnait dans son vase, avec une merveilleuse abondance, ce qu’elle avait semé ; elle semait la farine, et elle moissonnait la farine. Elle n’a eu besoin ni de bœufs, ni d’attelage, ni de charrue, ni de sillons préparés, ni de pluie, de température favorable, de faux, de greniers, de gerbes, de van pour séparer le grain de la paille, ni de meule pour moudre ; en un instant, dans son vase, elle a trouvé le couronnement de tous ses travaux : deux fontaines intarissables, une de farine, une d’huile, ont jailli à la voix du Prophète. 14. Tels sont les présents des saints : ils sont. abondants et ne coûtent aucune peine. Les fruits de la terre se consument ; les fontaines où la veuve puisait chaque jour étaient inépuisables ; la dépense et l’abondance luttaient à armes égales. Voilà les présents qu’apportent les pieds des saints, ou plutôt ils en procurent de bien plus considérables. Si ce n’était la crainte de trop allonger ce discours, je pourrais passer en revue un grand nombre de présents du même genre. De même que ceux qui les traitent avec honneur obtiennent d’eux de tels dons, de même ceux qui les méprisent s’attirent un redoutable supplice, la flamme, à laquelle on ne peut échapper. Qui le prouve ? Écoutez le Christ lui-même parlant à ses disciples : En quelque ville ou en quelque village que vous entriez, informez-vous qui est digne de vous loger, et demeurez là, et, en entrant, dites : Que la paix soit dans cette maison ! (Mat 10,11, 12) Et, afin que vous ne disiez pas : de dépense de l’argent, je dissipe ce que j’ai en servant des repas aux étrangers, le Seigneur fait que celui qui entre dans votre maison est le premier à vous donner les présents de l’hospitalité, présents magnifiques, qui surpassent toutes les richesses. Quels sont-ils ? La plénitude de la paix. Rien n’est comparable à la paix. Voyez avec quelle abondance de biens le saint fait son entrée dans une maison : la paix, ce n’est qu’un mot bien petit, mais qui renferme des, biens infinis. Quoi de plus sûr qu’une maison qui jouit de la paix ? Les saints souhaitent la paix à ceux qui les reçoivent : ce n’est pas seulement la paix avec les autres, mais la paix avec nous-mêmes. En effet, il arrive souvent que nous sentions la guerre dans nos pensées ; personne ne nous interpelle et nous sommes dans le trouble ; les passions mauvaises se lèvent contre nous. Ce combat intérieur s’apaise à cette parole des saints, qui produit en nous une profonde tranquillité ; car, aussitôt que le saint a prononcé cette parole, toute pensée inspirée par le démon, tout mauvais conseil est banni de notre âme. Et voilà comment vous recevez bien plus que vous ne donnez. Si cette maison volts reçoit, votre paix viendra sur elle ; si elle ne vous reçoit pas, secouez la poussière de vos pieds. Je vous dis, en vérité, au jour du jugement, Sodome et Gomorrhe seront traitées moins rigoureusement. (Id 13,15) Voyez quel feu vengeur appellent, attisent les pieds des saints. Voilà pourquoi Dieu nous commande de laver ces pieds c’est afin que le soin que nous en aurons pris nous concilie la faveur de Dieu. Et, en même temps, il nous avertit d’exercer par nous-mêmes tous les devoirs de l’hospitalité. Imitez Abraham, ô veuve ! devenez une fille d’Abraham. Il avait trois cent dix-huit esclaves, et lui-même partagea avec son épouse le fruit de l’hospitalité ; lui-même apportait le veau, Sara pétrissait la farine. Empressez-vous de les imiter. Ce n’est pas seulement l’argent que l’on donne, mais lé soin que l’on prend en servant soi-même les pauvres, qui mérite de grandes récompenses. Voilà pourquoi les apôtres confièrent ce ministère aux sept parmi lesquels on comptait Étienne. (Act. 6) Sans doute, ils ne donnaient d’eux-mêmes rien aux pauvres ; mais ils distribuaient sagement ce que les autres avaient donné, et ils ont mérité une grande récompense pour avoir distribué avec sagesse, avec une parfaite diligence, les dons qui provenaient des autres. 15. Devenez donc, vous aussi, les sages dispensateurs de vos biens, afin de recueillir un double fruit, et parce que vous donnez, et parce que vous distribuez vos dons avec sagesse. Ne rougissez pas de servir le pauvre, de vos propres mains ; le Christ ne rougit pas de vous tendre la main, lui-même, en prenant la figure du pauvre ; il ne rougit pas de recevoir ; et vous rougiriez, vous, de tendre la main pour accorder le don ? ne serait-ce pas le comble de la démence ? Je ne connais qu’une honte, la pensée mauvaise, la cruauté qui n’a pas d’entrailles ; mais, la tendresse du cœur, l’aumône, la charité, le soin que l’on prend des pauvres, voilà ce qui nous assure la gloire. Plus vous serez riches et opulents, plus vous vous acquerrerez toutes les louanges, quand vous vous abaisserez jusqu’au mendiant, jusqu’au pauvre qu’on méprise. Vous n’aurez pas seulement les louanges des hommes, mais celles de l’ange et du Dieu des anges ; et le Seigneur ne se contentera pas de vous louer, il vous décernera, en – retour, des présents, qui vaudront deux fois les vôtres ; il ne se contentera pas de récompenser en vous l’aumône, mais il récompensera largement l’humilité. Donc, ne rougissons pas de nous faire les serviteurs des pauvres ; ne refusons pas de laver les pieds des étrangers ; car nos mains se sanctifient par un tel ministère ; et, quand votre prière les relève vers le ciel, après qu’elles se sont abaissées à ces soins, Dieu les voit, et il s’émeut plus facilement, et il accorde ce qui lui est demandé. Il est facile de donner de l’argent ; mais se faire le serviteur des pauvres, et les servir avec l’allégresse de l’amour et de la charité, avec une affection fraternelle, c’est là ce qui suppose une âme grande et vraiment sage ; et c’est là ce que Paul demande à tous, avant toutes choses, quand il nous ordonne de compatir au sort des affligés, des pauvres, de ceux qui sont dans la tribulation, de nous représenter que nous-mêmes, nous sommes frappés comme eux : Souvenez-vous de ceux qui sont dans les chaînes, comme si vous étiez enchaînés avec eux. (Heb 12,3) Aussi ne se borne-t-il pas à ces paroles ; mais, autre part, il dit encore : Si elle a secouru les affligés, en les servant ; si elle s’est appliquée à toutes sortes de bonnes œuvres. (1Ti 5,10). Que signifie, si elle s’est appliquée à toutes sortes de bonnes œuvres ? Si elle est entrée dans les prisons, si elle a visité ceux qui étaient dans les fers ; si elle a été voir les malades, réconforter les affligés, consoler ceux qui sont dans la tristesse, et, si elle a fait tout ce qui dépendait d’elle, ne refusant absolument rien de ce qui a pour but le salut et la consolation de nos frères. S’il réclame, d’une veuve ; tant de bonnes œuvres, quelle sera notre excuse, à nous, qui nous appelons des hommes, de ne pas faire ce que Paul a prescrit à des femmes ? Mais, peut-être me dira-t-on, comment réclame-t-il enfin, d’une veuve, d’une femme, tant de zèle, lui qui, quand il écrivait au sujet des vierges, n’a rien dit de pareil ? Il exige d’elles une vertu plus grande encore, car après avoir dit : Il y a celle qui est mariée, et celle qui est vierge. La vierge s’occupe du soin des choses du Seigneur, elle s’inquiète de lui plaire ; il ajoute : Je vous dis ceci pour votre avantage, pour vous donner un moyen plus facile de prier Dieu, sans empêchement. (1Co 7,31, 35) Ce qui veut simplement dire, qu’il faut qu’une vierge, une fois qu’elle a renoncé à toutes les affaires de ce monde, se consacre à Dieu tout entière ; n’ait plus rien qui l’attache à la terre ; ne vaque pas, tantôt à certaines occupations, tantôt à d’autres occupations ; mais, après avoir absolument renoncé à toute affaire, applique toute son âme, aux – choses spirituelles. C’est évidemment ce que nous montre la parabole des dix vierges. Pourquoi sont-elles exclues de la chambre de l’époux ? c’est parce qu’elles n’ont pas d’huile ; or, l’huile n’est pas autre chose que la compassion, l’aumône, la bienfaisance, le soulagement apporté aux douleurs des victimes de l’injustice, la consolation donnée à ceux qui sont clans la tristesse. Et comme ces vierges n’avaient pas cette huile, elles ont dû se retirer sans honneur, loin de la chambre nuptiale. 16. Donc, puisque nous sommes instruits de toutes ces vérités, épouses, époux, vierges, femmes mariées, veuves, tous tant que nous sommes, appliquons-nous, de toutes nos forces, à l’aumône, et ne disons pas : Voilà un méchant, qui ne mérite pas un bienfait ; voilà un être vil, voilà un être méprisable. Ne regardez pas aux mérites de celui qui a besoin. d’assistance et de secours ; ne voyez que son indigence ; il est, tant que vous voudrez, vil, méprisable, abject ; quoi qu’il en soit pourtant ; le Christ vous est aussi reconnaissant de votre bienfait, que s’il l’avait reçu lui-même, par la main du malheureux. Voici qui prouve que nous ne devons pas considérer les mérites de ceux qui reçoivent les bienfaits ; écoutez la parole du Christ : J’ai eu faim, et vous m’avez donné et manger. (Mat 25,35) Et comme on lui disait : Quand donc avez-vous eu faim, et vous avons-nous donné à manger ? Il ajoutait ces paroles :Autant de fois que vous l’avez fait à l’un de ces plus petits, de mes frères, c’est à moi-même que vous l’avez fait. (Id 37,40) Ainsi, plus de prétexte ! Pour prévenir notre résistance, nos paroles de ce genre : Où donc trouverons-nous, maintenant, un homme qui ressemble à Élie ? un homme qui ressemble à Élisée ? ou bien encore : Amenez-moi de tels hommes, et vous verrez avec quelle ardeur je les accueillerai ; comme je ne refuserai pas de leur laver les pieds ; de leur rendre toute espèce de soins ; pour prévenir ces discours, voici que le Maître d’Élie, d’Élisée, et, de tous les prophètes, le Seigneur nous promet de venir vers nous, lui-même, sous la figure des pauvres, il nous dit : Autant de fois que vous l’avez fait à l’un de ces plus petits, de mes frères, c’est à moi-même que vous l’avez fait. Mais gardez-vous de passer encourant sur ce qui a été dit ; remarquez que cette parole, J’ai eu faim et vous m’avez donné à manger, contient quatre nécessités de l’aumône : la confiance que mérite celui qui demande, parce que c’est le Seigneur qui demande ; la nécessité qui le presse, parce que c’est la faim ; la facilité de lui donner ce qu’il demande, parce qu’il ne cherche que de la nourriture, il ne demande que du pain, et non des choses délicieuses ; la grande récompense à attendre, puisque, pour si peu de chose, ce qui est promis, c’est la royauté. Êtes-vous un homme sans entrailles, sans pitié, un être cruel ? respectez, redoutez la dignité de celui qui demande. La considération de cette dignité ne vous suffit pas ? Soyez du moins fléchi par le, malheur. Niais le malheur ne vous fléchit pas, n’excite pas votre pitié ? il est si facile d’accorder ce qu’on demande, donnez. Mais, ni la dignité, ni la nécessité pressante, ni la facilité de donner ne peuvent vous persuader ? Eh bien alors, ne voyez que la grandeur des biens qui nous sont annoncés, et donnez à l’indigent. Comprenez-vous qu’il y a quatre causes ? fussiez-vous des pierres, des avares, des êtres sans yeux et sans cœur, les plus stupides de tous les hommes, quatre causes suffisantes pour voua exciter ? Quel pardon pourrait mériter ceux qui, après tant d’exhortations et de conseils, mépriseraient les indigents ? Je veux dire, je veux ajouter encore, à ces considérations, une considération nouvelle ; écoutez, vous qui êtes initiés. Lui-même, Lui, quand il faut vous nourrir, n’épargne pas sa propre chair ; quand il faut vous abreuver, n’épargne pas son propre sang ; il ne vous le refuse pas, et vous, vous ne donnerez pas, même un peu de pain, pas même un verre d’eau ? Quel pardon enfin obtiendrez-vous, vous qui avez reçu tant de biens, si précieux, et qui êtes, pour de si petites choses, si avares ? Prenez garde, qu’en refusant, trop souvent, de faire, avec le Christ, une dépense qui profite, vous ne fassiez, avec le démon, une dépense lui damne. Ce que nous ne donnons pas aux pauvres ; nous le donnons aux esprits menteurs ; la plupart du temps, les voleurs, ou des serviteurs malfaisants, nous emportent nos richesses, et s’en vont ; ou c’est encore quelqu’autre coup du hasard, qui nous ravit notre bien. Supposez que nous évitions tous ces accidents, la mort survient, qui nous emmène, nus. Évitons ces malheurs ; hâtons-nous de donner au Christ, qui nous demande ; mettons notre fortune en réserve dans un trésor qu’aucun brigand ne menace ; qui nous assure que la fortune est bien gardée, et rapporte. Car, il ne suffit pas au Christ, de garder avec soin ce qu’il a reçu, il veut vous le rendre encore, avec un ample profit ; gardons-nous donc de croire que nous diminuons nos ressources, quand nous faisons l’aumône. Elles ne diminuent pas, elles croissent ; elles ne se dissipent pas, elles multiplient ; c’est un commerce à gros bénéfices ; ce sont des semailles avant la moisson ; ou plutôt, plus que toute semailles, plus que tout commerce, voilà qui est profitable et assuré. Le commerce est exposé aux vents, aux flots, aux naufrages sans nombre ; il faut craindre, pour les semences, la sécheresse, la pluie, toutes les intempéries, toutes les variations funestes de l’air ; mais l’argent déposé dans la main du Christ, est à l’abri de tous les dangers. Nul ne peut le ravir à cette main divine, une fois qu’elle a reçu ce qu’on lui a confié. L’argent reste là, produisant des intérêts ineffables, une moisson, qui se montre, quand le temps arrive, d’une ineffable magnificence. Celui qui sème peu, moissonnera peu, celui qui sème avec abondance, moissonnera aussi avec abondance. (2Co 9,6) Semons donc avec abondance, afin de recueillir aussi des moissons abondantes, afin de jouir de – la vie éternelle ; puissions-nous tous l’obtenir, par la grâce et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient, comme au père, comme au Saint-Esprit, la gloire, l’empire, l’honneur, maintenant et toujours, et dais les siècles des siècles. Ainsi soit-il. Traduit par M. C. PORTELETTE. HOMÉLIE XIV. SI QUELQU’UN N’A PAS UN SOIN PRÉVOYANT DES SIENS, ET SURTOUT DE CEUX DE SA MAISON, IL A RENIÉ LA FOI ET EST PIRE QU’UN INFIDÈLE. (V, 8-10)
Analyse.
- 1. C’est un devoir rigoureux que de s’occuper du salut de ses proches.
- 2. Des veuves. 3-5. De la pratique de l’aumône. – Vie admirable des solitaires.
- 6. Il y a aussi des saints dans la vie commune.
1. Beaucoup pensent que leurs vertus personnelles leur suffisent pour le salut et que, s’ils règlent bien leur propre vie, rien ne leur manque plus pour l’opérer. Ils se trompent, et c’est ce que nous montre l’homme qui avait enfoui son unique talent ; il le représenta tout entier, sans perte aucune, et tel que le lui avait confié son maître. C’est aussi ce que nous montre ici le bienheureux Paul, en disant : « Si quelqu’un n’a pas un soin prévoyant des siens ». Et il entend par là toute sorte de prévoyance, tant pour l’âme que pour le corps, car celle-ci est aussi prévoyance. « Des siens et surtout de ceux de sa maison », c’est-à-dire de sa famille. « Celui-là », dit-il, « est pire qu’un infidèle ». C’est ce que dit encore Isaïe. le plus grand des prophètes. « Ne dédaignez point ceux de votre sang ». (Isa 58,7) Car l’homme qui dédaignerait les besoins de ceux qui lui sont proches par la naissance, unis par la parenté, comment serait-il tendre envers les autres ? Chacun ne regarderait-il pas comme effet de la vanité la bienfaisance qu’exercerait envers les étrangers celui qui serait dédaigneux et impitoyable pour les siens ? Et que penser de celui qui, enseignant la foi aux étrangers, laisse les siens dans l’erreur, quand il lui serait plus facile de les instruire, quand cette bonne œuvre est plus instamment réclamée par la justice ? Non certes, dira-t-on, les chrétiens qui laissent sans soins ceux qui leur tiennent de près, ne sont guère charitables. « Et il est », dit l’apôtre, « pire qu’un infidèle ». Pourquoi ? parce que l’infidèle, s’il néglige les autres, ne néglige pas ses proches. Ainsi, celui qui ne remplit pas ce devoir, viole la loi divine et celle de la nature. Mais si celui qui ne prend pas soin de ses proches a renié la foi et est pire qu’un infidèle, quel rang assigner à celui qui commet des injustices envers eux ? avec qui le placer ? Il a renié la foi ; et comment ? C’est que, suivant la parole de l’apôtre, « ils professent qu’ils connaissent Dieu, mais ils le renient par leurs œuvres ». (Tit 1,16) Qu’a prescrit ce Dieu, objet de leur foi ? de ne pas négliger ceux de sa famille. Et quelle est donc la foi de celui qui renie ainsi Dieu ? Comprenons-le, nous tous qui, pour épargner nos richesses, dédaignons les besoins de nos proches. Dieu a institué les liens de la parenté afin que nous ayons des motifs multipliés de nous faire du bien les uns aux autres. Quand donc vous ne pratiquez pas une vertu que pratique un infidèle, n’avez-vous pas renié la foi ? Car il appartient à la foi, non seulement de confesser de bouche sa croyance, mais de produire des œuvres qui en soient dignes. La foi et l’incrédulité s’appliquent à chaque objet. L’apôtre donc, après avoir parlé de la mollesse et de la veuve qui vit dans les délices, nous dit qu’elle ne périt pas seulement par sa sensualité, mais parce qu’elle est par là obligée de négliger sa famille. Et cela est vrai, car elle vit pour son ventre, et par là elle périt puisqu’elle renie sa foi. « Est pire qu’un infidèle ». Car ce n’est pas une faute égale que de négliger les besoins d’un parent ou d’un étranger, d’une personne connue ou d’une personne inconnue, d’un ami, ou de celui qui ne l’est pas ; dans le premier cas le reproche mérité est plus sévère. « Que la veuve qui sera choisie n’ait pas moins de soixante ans, qu’elle n’ait eu qu’un mari et que l’on rende témoignage de ses bonnes œuvres (9, 10) ». L’apôtre a dit « Qu’elles apprennent d’abord à faire régner la piété dans leurs maisons et à rendre ce qu’elles doivent à leurs parents ». Il a dit ensuite « Celle qui vit dans les délices est morte toute « vivante ». Il a dit : « Ne pas avoir un soin prévoyant de ceux de sa maison, c’est être pire qu’un infidèle ». Il a énoncé les défauts qui rendent une femme indigne de figurer parmi les veuves ; il énonce maintenant les conditions qu’elle doit remplir. Mais quoi ? la choisirons-nous d’après son âge ? Quel est donc ce mérite ? car il ne dépend pas d’elle d’avoir soixante ans. Non, ce n’est pas seulement d’après son âge ; quand elle l’aurait atteint, si elle ne possède pas les vertus que demande l’apôtre, elle ne doit pas être inscrite parmi les veuves. Mais il va dire pourquoi il exige un âge déterminé, et le motif ne vient pas de lui, mais des veuves elles-mêmes ; écoutons donc ce qui vient ensuite : « Aux bonnes œuvres de laquelle on rende témoignage ». Et quelles œuvres ? « Si elle a élevé ses enfants ». Ce n’est pas là une œuvre de peu de valeur ; car il ne s’agit pas seulement de les nourrir, mais de les élever, comme l’apôtre l’a dit plus haut : « Si les femmes persévèrent dans la foi, la charité et la sanctification ». (1Ti 2,15) Vous voyez comment partout il met le bien fait à ses parents avant le bien fait aux étrangers. Car il dit en premier lieu : « Si elle a élevé ses enfants », et ensuite : « Si elle a exercé l’hospitalité, lavé les pieds des saints, pourvu aux besoins de ceux qui endurent tribulation, si elle s’est appliquée à toute sorte de bonnes œuvres (10) ». Mais quoi ? si elle est pauvre ? Elle n’est pas pour cela privée d’élever ses enfants, d’exercer l’hospitalité, de pourvoir aux besoins de ceux qui endurent tribulation. Est-il une veuve plus pauvre que celle qui avait versé deux oboles (Luc 21) ? Quand elle serait pauvre, elle a une demeure ; elle n’habite pas en plein air. « Lavé les pieds des saints » ; ce n’est pas une grande dépense. « Si elle s’est appliquée à toute sorte de bonnes œuvres ». À quoi se rapporte ce précepte ? Par là elle est exhortée à rendre des services corporels, car les femmes y sont particulièrement propres, comme de dresser un lit, de procurer le repos. Luc 21) ? Quand elle serait pauvre, elle a une demeure ; elle n’habite pas en plein air. « Lavé les pieds des saints » ; ce n’est pas une grande dépense. « Si elle s’est appliquée à toute sorte de bonnes œuvres ». À quoi se rapporte ce précepte ? Par là elle est exhortée à rendre des services corporels, car les femmes y sont particulièrement propres, comme de dresser un lit, de procurer le repos. 2. Ah ! quelle exactitude dans ses devoirs il demande à une veuve ; presqu’autant qu’à celui qui est chargé de l’épiscopat. Car ce mot : « Si elle s’est appliquée à toute sorte de bonnes œuvres », il le prononce, bien qu’elle n’ait pu les accomplir toutes elle-même, mais elle y a pris part, elle en a été l’auxiliaire. Il écarte ainsi d’elle la mollesse, il veut qu’elle soit vigilante, bonne économe, qu’elle persévère sans cesse dans la prière. Telle était Anne. Considérez quelle perfection l’apôtre réclame des veuves, plus grande presque que celle des vierges mêmes, à qui pourtant il demande une perfection bien haute ; car lorsqu’il dit : « Ce qui est honnête et donne toute facilité pour a s’adresser au Seigneur » (1Co 7,35), il comprend en abrégé la vertu tout entière. Vous le voyez, ne pas contracter un second mariage ne suffit pas pour faire une veuve, il faut bien d’autres conditions. Pourquoi en effet ne pas se remarier ? Condamne-t-il ce fait ? Nullement : ce serait une hérésie ; mais c’est qu’il veut qu’elle vaque désormais aux œuvres spirituelles, et qu’elle se consacre tout entière à la vertu. Le mariage n’est point impur, mais il enlève le libre emploi du temps ; l’apôtre en effet dit : Pour vaquer (à la prière), et non : Pour se purifier. Et réellement le mariage amène de perpétuelles occupations. Si donc vous ne vous mariez pas, afin de donner votre temps à la crainte de Dieu, et si vous ne le donnez point en effet, vous n’en tirez point l’avantage de donner vos soins aux étrangers, aux saints. Lors donc que vous négligez ces œuvres, il semble que vous vous êtes plutôt éloignée du mariage parce que vous le condamnez. C’est ainsi qu’une vierge qui n’est pas vraiment crucifiée s’est apparemment abstenue du mariage, parce qu’elle le croit coupable et impur. Vous voyez que l’apôtre parle de l’hospitalité et non de la simple affabilité, mais de la charité empressée, résultant d’une volonté joyeuse, zélée, accomplissant son œuvre comme si elle accueillait le Christ lui-même. Le Christ, en effet, ne veut point que ces soins soient remis à des servantes ; il veut qu’ils soient remplis par celles mêmes, qui exercent l’hospitalité. « Si j’ai lavé les pieds de mes disciples », dit-il, « combien plus devez-vous le faire les uns envers les autres ». (Jn 13,14) Quelque riche que soit une femme, de quelque considération qu’elle jouisse, quand elle serait fière de la noblesse de ses ancêtres, il n’y a pas là tant de distance que du Maître à ses disciples. Si donc vous recevez votre hôte comme le Christ, n’ayez pas honte, mais plutôt soyez glorieuse d u soin que vous lui rendez ; si vous ne le recevez pas comme le Christ, vous ne le recevez point du tout : « Celui qui vous reçoit me reçoit », dit-il. (Mat 10,40) Si vous ne recevez pas ainsi votre hôte, vous n’aurez point de récompense. Abraham crut accueillir des voyageurs qui passaient, et cependant il ne confia pas tout à ses serviteurs, mais il commanda à sa femme de pétrir de la farine, lui qui avait trois cent dix-huit serviteurs chez lui et parmi eux assurément des servantes ; mais il voulait acquérir lui-même avec son épouse la récompense, non des frais seulement, mais des services. C’est ainsi qu’il faut témoigner son hospitalité, faisant tout par soi-même, afin que nous soyons sanctifiés et que nos mains soient bénies. Si vous donnez aux pauvres, ne dédaignez pas de donner vous-même, car ce n’est pas au pauvre que vous donnez, mais au Christ. Et qui serait assez malheureux pour dédaigner de tendre la main au Christ ? C’est là l’hospitalité, c’est là vraiment agir pour Dieu. Mais si vous commandez avec orgueil, quand vous assigneriez le premier rang à votre hôte, ce n’est point là de l’hospitalité. Un hôte demande de grands soins, il faut s’estimer heureux qu’il ne rougisse pas de les avoir reçus. Puisque la nature est telle que l’on rougit d’un bienfait reçu, il faut vaincre la honte par l’empressement des services, et montrer par ses actes et ses paroles que le bienfaiteur est l’obligé et reçoit plutôt qu’il ne donne. C’est ainsi que l’action elle-même s’agrandit par la bonne volonté. Car, de même que celui qui croit subir une perte ou être le bienfaiteur, a tout perdu, celui qui se regarde comme favorisé par la bonne œuvre qu’il accomplit a reçu plus qu’il n’a donné. « Dieu aime celui qui donne avec joie ». (2Co 9,7) Vous devez au pauvre plus de reconnaissance qu’il ne vous en doit. S’il n’y avait pas de pauvres, vous n’auriez su effacer la multitude de vos péchés ; ils sont les médecins de vos blessures, et leurs mains qu’ils vous tendent sont les remèdes qu’ils vous offrent. La main que le médecin étend vers le malade, les remèdes qu’il lui présente ne le guérissent pas aussi bien que le pauvre en étendant sa main vers vous et recevant votre aumône ne fait disparaître vos maux. Tels les prêtres, « ils mangeront les péchés de mon peuple ». (Ose 4,8) Ainsi vous recevez plus que vous ne donnez, c’est le pauvre, plutôt que vous, qui est le bienfaiteur. Vous prêtez à usure à Dieu, non à l’homme ; vous accroissez votre richesse au lieu de la diminuer ; vous la diminueriez si vous n’y preniez rien pour le donner. 3. « Si elle a exercé l’hospitalité », dit l’apôtre, « si elle a lavé les pieds des saints ». Quels saints ? Ceux qui endurent tribulation et non simplement des saints ; car on peut être saint et recevoir des hommages universels. Ne vous attachez point à ceux qui sont dans l’abondance, mais à ceux qui sont dans la tribulation, inconnus ou peu connus. Celui qui a fait du bien à l’un de ces petits, c’est à moi qu’il l’a fait, dit le Seigneur. Ne chargez pas ceux qui sont à la tête de l’Église de distribuer vos aumônes, servez vous-même les pauvres, afin de ne pas obtenir seulement la récompense de vos dons, mais aussi de vos services ; donnez de vos propres mains, semez vous-même votre sillon. Il n’est point ici question d’enfoncer la charrue, d’atteler les bœufs, d’attendre la saison, de fendre la terre, de lutter contre la gelée ; tous ces soins laborieux, cette semence en est franche. Car vous semez dans le ciel où il n’y a point de gelée, ni d’hiver, ni rien de semblable ; vous semez dans les âmes où nul ne vient ravir le grain, mais où il est gardé sûrement avec le zèle le plus exact. Semez ; pourquoi vous priver de la récompense ? Et elle est grande, même quand on administre ce qui est donné par les autres. On est récompensé, non seulement pour donner le sien, mais pour administrer les aumônes d’autrui. Pourquoi ne pas obtenir la récompense ? Oui, ce soin est récompensé ; écoutez : Les apôtres, comme nous l’apprend l’Écriture, établirent Étienne pour le service des veuves. Soyez votre propre économe ; l’humanité, la crainte de Dieu vous élisent. Cette couvre, exempte de vaine gloire, donne le repos à l’âme, sanctifie les mains, ruine l’orgueil, enseigne l’amour de la sagesse, accroît le zèle et fait obtenir des bénédictions ; c’est la tête chargée de leurs bénédictions, que vous quittez les veuves. Devenez plus zélé dans la prière, inquiétez-vous des saints ; je dis les véritables saints, ceux qui vivent dans les déserts et ne peuvent rien demander, se reposant sur Dieu ; faites une longue route, donnez par vos propres mains, car, en donnant ainsi, vous pouvez acquérir beaucoup. Vous voyez une tente et une retraite hospitalière, un désert, un monastère. Souvent, en allant porter des aumônes, vous y donnez votre âme tout entière ; vous êtes retenu, vous en devenez captif, vous vivez en étranger au monde. C’est une grande chose que devoir les pauvres. Il vaut mieux, dit l’Écriture, entrer dans la maison du deuil que dans celle du rire. (Ecc 7,3) Dans celle-ci, l’âme se gonfle. Si vous pouvez rire comme ses habitants, vous devenez à la mollesse ; si vous ne le pouvez pas, vous y trouvez un sujet de peine. Rien de semblable dans la demeure du deuil ; mais, si vous ne pouvez vivre dans les délices, vous n’êtes point choqué ; si vous le pouvez, votre désir est réprimé. La vraie maison de deuil, c’est le monastère ; là sont le sac et la cendre, là est la solitude, là jamais le rire ni le tumulte des affaires temporelles, mais le jeûne, un lit d’herbes étendues à terre ; là tout est pur de la fumée des viandes et du sang des animaux ; tout est exempt de trouble, d’agitation, d’inquiétudes. C’est un port toujours calme ; ce sont comme des phares élevés sur les hauteurs pour briller de loin aux yeux des voyageurs, établis auprès d’un port et attirant chacun dans les eaux tranquilles, empêchant le naufrage de ceux qui les aperçoivent et dissipant pour eux les ténèbres. Allez donc trouver leurs habitants, donnez-leur l’hospitalité, présentez-vous aux saints et prosternez-vous à leurs pieds, car il est plus honorable de toucher leurs pieds que la tête des autres. Dites-moi, si quelques hommes embrassent les pieds à des statues, seulement parce qu’elles offrent l’image de l’empereur, vous qui, en la personne de ces hommes, trouvez celle du Christ, ne saisirez-vous pas leurs pieds pour être sauvé ? Leurs pieds sont saints, tout vulgaires qu’ils paraissent, et chez les profanes la tête même n’a rien de vénérable. Les pieds des saints ont une grande puissance, car ils apportent le châtiment quand ils en secouent la poussière. Et, lorsqu’un saint se trouve au milieu de nous, ne rougissons pas d’agir de même. Tous ceux-là sont saints qui reproduisent dans leur vie l’orthodoxie de la foi ; quand ils ne feraient pas de miracles, quand ils ne chasseraient pas les démons, ce sont des saints. Allez vers les tentes des saints. Pour un saint, se réfugier dans un monastère, c’est comme s’enfuir de la terre au ciel. Vous ne voyez pas là tout ce qu’on voit dans vos demeures ; ce lieu est pur de tout ce qui souille, là règnent le silence et la tranquillité ; on n’y connaît pas le tien et le mien. Mais, si vous y demeurez un jour ou deux, vous éprouverez plus de joie. Le jour vient, ou plutôt, avant le jour, le coq a chanté. Ce n’est point l’aspect d’une maison, où les serviteurs ronflent encore, où les portes sont fermées et où tous les habitants endormis ressemblent à des morts ; où le muletier agite ses clochettes. Là, rien de semblable ; mais tous sans retard cessent pieusement leur sommeil et se lèvent, réveillés par leur supérieur ; alors debout, formant un chœur saint, étendant leurs mains, ils chantent les hymnes sacrées. Il ne leur faut pas comme à nous des heures entières pour secouer le sommeil et la pesanteur de tête. Mais, à peine nous sommes-nous dressés sur nos lits que nous retombons pour étendre longtemps les bras. Plus tard nous nous lavons le visage et les mains, puis nous prenons nos chaussures, nos vêtements, et un long temps se passe. 4. Là, rien de pareil ; point de serviteur pour les appeler ; on se suffit à soi-même ; point tant de vêtements à prendre, point de temps pour secouer le sommeil, mais à peine ont-ils ouvert les yeux que les sobres habitants du monastère sont aussi éveillés que s’ils l’étaient depuis longtemps. Car, lorsque le cœur n’est pas appesanti et incliné vers la terre par la nourriture qui remplit l’estomac, il faut peu de temps pour recueillir ses esprits ; on le fait vite quand on est sobre ; les mains sont propres, le sommeil est bien réglé, on n’y entend pas ronfler ni haleter ; nul ne s’est jeté à bas de son lit ni dépouillé durant le sommeil ; mais ils ont, en dormant, une attitude plus décente que des gens éveillés ; et tout cela grâce à l’ordre parfait qui règne dans leur âme. Ce sont, vraiment des saints et des anges parmi les hommes. Leur grande crainte de Dieu ne leur permet pas de s’engourdir dans le sommeil et d’y ensevelir leur intelligence ; mais, en leur procurant le repos, le sommeil ne s’étend qu’à la surface de leur être, et leurs songes ne sont point l’œuvre d’une imagination désordonnée ni étrange. Mais, comme je le disais, le coq a chanté et aussitôt le supérieur s’est mis en marche ; il a simplement touché du pied chaque moine endormi et les a tous fait lever, car il ne leur est pas permis de se dépouiller pour dormir. S’étant donc levés, ils se tiennent debout, chantant les hymnes des prophètes avec un grand accord et une modulation cadencée. Ni cithare, ni flûte champêtre, ni aucun instrument de musique ne produit des sons tels que ceux que l’on entend lorsque ces saints chantent dans leur solitude, au milieu d’un calme profond ; chants salutaires et respirant l’amour de Dieu. « Durant les nuits, étendez vos mains vers Dieu » (Psa 133), dit l’Écriture ; et ailleurs : « Dès la nuit mon esprit veille vers vous, ô Dieu, parce que vos commandements sont une lumière sur la terre ». (Isa 26,9) Les chants de David produisent des sources de larmes. En effet, lorsque l’on chante : « Je me suis fatigué dans mes gémissements ; chaque nuit je laverai mon lit, j’arroserai de mes larmes ma couche ». (Psa 6,7) – « Je mangeais la cendre comme du pain ». (Psa 52, 10) – « Qu’est-ce que l’homme pour que vous vous souveniez de lui ? » (Psa 8,5) – « L’homme est devenu semblable à ce qui est vain, et ses jours passent comme une ombre ». (Psa.143,4) – « Ne craignez point quand un homme est devenu riche et quand la gloire de sa maison s’est multipliée ». (.143,4) – « Ne craignez point quand un homme est devenu riche et quand la gloire de sa maison s’est multipliée ». (Psa 49,17) – « C’est Dieu qui fait habiter ensemble des hommes dont les mœurs s’accordent ». (Psa 68,7) – « Sept fois le jour je vous ai loué pour les jugements de votre justice ». (Psa 119,1.64) – « Je m’éveillais au milieu de la nuit pour confesser devant vous les jugements de votre justice ». (Id 62) – « Dieu, rachetez mon âme de la main de l’enfer ». (Psa 49,16) – « Quand je marcherais au milieu des ombres de la mort, je ne craindrais point de mal, parce que vous êtes avec moi ». (Psa 23,4) – « Je ne craindrai point la terreur de la nuit, ni la flèche qui vole durant le jour, ni ce qui marche dans les ténèbres, ni les mauvaises rencontres, ni le démon du midi ». (Psa 91,5-6) – « Nous avons été estimés comme des brebis pour la boucherie ». (Psa 44,22) Quand ils chantent avec les anges, car les anges aussi chantent alors avec eux : « Louez le Seigneur du haut des cieux » (Psa 148,1) ; et cela à l’heure où nous bâillons, où nous ronflons, où nous sommes étendus sur nos lits et où nous méditons mille fraudes, que penser d’hommes qui emploient si saintement les nuits ? Lorsque le jour va paraître, ils se reposent un peu, et, à l’heure où nous commençons nos travaux, le temps de prendre du repos est venu pour eux. Quand le jour a paru, chacun de nous appelle quelqu’un, calcule l’argent distribué, court à la place, va trouver un magistrat, tremble et craint pour les comptes qu’il doit rendre ; un autre se rend sur la scène, un autre à ses occupations. Pour les moines, après qu’ils ont achevé leurs prières du matin et leurs hymnes, ils s’adonnent à la lecture des Écritures ; il en est aussi qui out appris à transcrire des livres. Chacun se retire dans la chambre qui lui est assignée et s’y tient dans une tranquillité constante, sans que personne bavarde ou même parle. Ils disent Tierce, Sexte, None et les prières du soir, partageant la journée en quatre parts, et à la fin de chacune, ils louent Dieu par leurs hymnes. Tandis que tous les autres hommes dînent, rient, jouent et se gorgent d’aliments, eux s’appliquent à chanter ses louanges. Jamais de temps pour les plaisirs de la table et des sens. Après le repas, ils se livrent aux mêmes occupations, ayant d’abord fait la sieste ; car, au lieu que les gens du monde dorment le jour, eux ils ont veillé la nuit. Ce sont vraiment des enfants de lumière. Les gens du monde, après avoir perdu un long temps dans le sommeil, marchent tout appesantis ; eux, toujours sobres, restent longtemps sans nourriture, adonnés au chant des hymnes. Quand le soir est venu, les autres vont se baigner ou se reposer ; pour eux, ayant achevé leurs travaux, ils s’approchent de la table sans mettre en mouvement une troupe d’esclaves, sans courir la maison, sans désordre ; ils ne chargent point leur table de mets somptueux, exhalant l’odeur des viandes, mais les uns se contentent de pain et de sel, d’autres y joignent de l’huile, d’autres, les plus faibles, font usage d’herbes potagères et de légumes. Puis, après être demeurés peu de temps assis et ayant clos la journée par des hymnes, chacun va dormir sur un lit de feuilles fait pour le repos et non pour le luxe. 5. Là, point de crainte des magistrats, point d’orgueil insensé des maîtres, point de terreurs des esclaves, point d’agitation des femmes ni de tapage des enfants, point de multitude de coffres ni de réserve inutile d’habits, point d’or ni d’argent, point de garde ni de précautions, point d’office ni rien de semblable ; tout respire la prière, les hymnes, la bonne odeur spirituelle ; rien de charnel ne s’y trouve. Ils ne craignent point l’arrivée des voleurs, car ils n’ont rien à perdre ; point de richesses, ils n’ont que leurs corps et leurs âmes ; si on leur prend la vie, ils n’en éprouvent point de tort, mais plutôt un avantage. « Ma vie, c’est le Christ, et la mort m’est un gain » (Phi 1,21) : ils seraient alors délivrés de leurs liens. Vraiment, « la voix de l’allégresse est dans les tentes des justes ». (Psa 118,15) On n’entend là ni sanglots ni lamentations ; leur toit est exempt de ces peines et de ces clameurs. Ils meurent dans les mêmes sentiments, car leurs corps ne sont point immortels, mais ils ne pensent pas que la mort soit une mort. Ils accompagnent avec des hymnes ceux qui sont décédés, et ils appellent cette cérémonie une conduite et non des funérailles. Si on leur apprend que tel ou tel est mort, c’est une grande et douce joie ; on n’ose pas même dire : Il est mort, mais plutôt : Il a achevé sa carrière. Puis ce sont des actions de grâces, on le glorifie, on se réjouit ; chacun prie Dieu d’avoir une semblable fin, de sortir ainsi du combat, pour voir le Christ à la fin de ses combats et de ses travaux. Si quelqu’un d’eux est malade, ce ne sont point des larmes et des lamentations, mais des prières ; et souvent ce ne sont pas les soins des médecins, mais la foi seule qui guérit le malade. Mais s’il est besoin de médecins, on trouve là une grande philosophie et une grande fermeté. On ne voit pas auprès du malade une femme qui s’arrache les cheveux, des enfants qui se lamentent d’avance d’être orphelins, des serviteurs qui conjurent le mourant de les léguer à un bon maître ; l’âme est libre de ce spectacle et ne pense qu’à se préparer au dernier instant pour paraître devant Dieu agréable à ses yeux. Et si une maladie survient, elle n’a pas pour cause la gourmandise ni l’appesantissement de la tête, mais l’origine en est digne de louange et non de flétrissure : un excès de veilles ou de jeûne ou quelque chose de semblable ; aussi est-elle facile à guérir, car il suffit de ne plus se fatiguer pour être délivré de tout. 6. Mais, dira-t-on, où trouver des saints tels que ceux-là pour leur laver les pieds ? Il y en a dans l’Église. N’allez point, parce que nous vous avons décrit la vie des solitaires, mépriser les saints qui sont dans les églises. Beaucoup de saints tels que ceux-là vivent au milieu des fidèles ; mais ils sont cachés. Non, ne les dédaignons point parce qu’ils habitent des maisons, parce qu’ils se montrent sur les places publiques, parce qu’ils exercent quelque charge. C’est Dieu lui-même qui l’a prescrit : « Rendez la justice en faveur de l’orphelin, et faites justice à la veuve ». (Isa 1,17) La vertu a divers sentiers, de même qu’il y a des perles bien différentes les unes des autres, et que toutes pourtant sont des perles ; l’une est brillante et parfaitement ronde, l’autre n’a pas la même beauté, mais a une beauté d’autre sorte. Comment cela ? De même qu’il est un art de donner au corail de longues branches et des angles bien ciselés, qu’il en est d’une couleur plus agréable à la vue que le blanc, qu’il en est de la nuance verte la plus agréable ; que telle pierre est d’un rouge de sang éclatant, telle autre d’un bleu plus vif que celui de la mer, qu’une autre surpasse la pourpre par son éclat ; que dans les fleurs et dans les couleurs du soleil on peut trouver tant de teintes diverses ▼▼Est-ce qu’on connaissait la décomposition de la lumière solaire au IVe siècle ?
; il en est de même des saints, les uns mènent la vie ascétique, les autres édifient les églises. « Si elle a lavé les pieds des saints et pourvu aux besoins de ceux qui endurent tribulation ». Hâtons-nous de le faire, afin de pouvoir nous féliciter au ciel d’avoir lavé les pieds des saints. S’il faut laver leurs pieds, il faut surtout que notre main leur fasse l’aumône. « Que votre main gauche », dit l’Évangile, « ignore ce que fait votre main droite ». (Mat 6,3) Pourquoi tant de témoins ? Que votre serviteur et votre femme même l’ignorent, s’il est possible. Les scandales produits par le perfide sont nombreux ; souvent une femme qui n’a jamais mis obstacle à vos bonnes œuvres s’avise de le faire par vanité ou pour quelque autre motif. Abraham, qui avait une femme admirable, lui cacha qu’il allait immoler son fils parce qu’il ignorait ce qui allait se produire et croyait le sacrifier en effet. Qu’est-ce qu’aurait dit à sa place un homme de sentiments vulgaires ? – Qui donc a jamais fait pareille chose, eût-il dit ? quelle cruauté ! quelle barbarie ! Ce juste ne songea à rien de semblable, son amour pour son fils ne l’égara pas à ce point. Mais sans permettre à la mère de voir une dernière fois son fils, d’entendre ses dernières paroles, de recueillir sa dernière palpitation, il emmena le jeune homme comme un captif. Il n’avait qu’une seule chose en vue, accomplir l’ordre divin. Ni sa femme ni son fils n’étaient présents à sa pensée. L’enfant ignorait ce qui allait arriver, Abraham faisait tous ses efforts pour offrir une victime pure, et pour ne point la souiller par des larmes et des murmures. Isaac lui dit : « Voici le bois et le feu ; où donc est la brebis ? » (Gen 22,7) Et que lui répond son père ? « Dieu pourvoira, mon fils, à la victime de son holocauste ». (Id. 8) Parole prophétique, car Dieu verra son propre fils offert en holocauste ; et Abraham s’est mis en marche. – Dites-moi : pourquoi lui cachez-vous qu’il doit être immolé ? – C’est que je crains qu’il ne faiblisse et ne paraisse une indigne victime. Vous avez vu avec quelle exactitude il accomplit cette parole : « Que votre main gauche ignore ce que fait votre main droite » ; c’est-à-dire : ne cherchons point sans nécessité à le faire connaître à ceux qui font partie de nous-même ; il en résulterait bien des maux. On est entraîné vers la vanité, souvent des obstacles se présentent. Cachons-nous donc à nous-même, s’il est possible, afin d’obtenir les biens promis, en Jésus-Christ Notre-Seigneur, avec qui soient au Père et au Saint-Esprit, gloire, puissance, honneur, maintenant et toujours, et aux siècles des siècles. Ainsi soit-il. HOMÉLIE XV.
MAIS ÉVITEZ LES VEUVES TROP JEUNES ; CAR, LORSQU’ELLES SONT SORTIES DES BORNES DE LA MODESTIE CHRÉTIENNE, ELLES VEULENT SE MARIER, ET SONT CONDAMNABLES PARCE QU’ELLES ONT TRANSGRESSÉ LEUR FOI PREMIÈRE. ELLES SONT D’AILLEURS OISIVES ET APPRENNENT A SE PROMENER DE MAISONS EN MAISONS ; NON SEULEMENT OISIVES, MAIS BAVARDES ET CURIEUSES, DISANT CE QU’ELLES NE DEVRAIENT PAS DIRE. JE VEUX DONC QUE LES JEUNES VEUVES SE MARIENT, AIENT DES ENFANTS, GOUVERNENT LEUR MAISON, ET NE DONNENT POINT A L’ENNEMI UNE OCCASION DE DIFFAMATION. CAR DÉJÀ QUELQUES-UNES ONT ÉTÉ DÉTOURNÉES DE LEUR VOIE, A LA SUITE DE SATAN. (V, 11-15 JUSQU’À 21) Analyse.
- 1. Se défier des jeunes veuves. – L’oisiveté enseigne tous les vices.
- 2. Tout ouvrier mérite un salaire, l’ouvrier de la prédication non moins que les autres.
- 3, 4. Instabilité et néant des choses humaines.
1. Paul tient grand compte des veuves ; il a déterminé leur âge, en disant : « Qu’elle n’ait pas moins de soixante ans », et fait connaître les qualités qu’elles doivent remplir quand il ajoutait : « Si elle a élevé ses enfants, exercé l’hospitalité, lavé les pieds des saints ». Maintenant il dit encore : « Évitez les veuves trop jeunes ». Quant aux vierges, bien que leur état soit bien plus difficile, il ne fait rien entendre, et avec raison. Pourquoi ? Parce qu’elles se sont enrôlées pour une milice plus haute, et que leur état vient d’une pensée plus sublime. Les mots : « Si elle a exercé l’hospitalité, lavé les pieds des saints » et tout ce qui s’y rapporte, il les a implicitement compris dans l’application aux bonnes œuvres, et dans cette parole : « Celle qui n’est point mariée songe au service du Seigneur ». (1Co 7,34) Et, s’il ne s’étend pas avec détail sur la question du temps, n’en soyez pas surpris ; car les conséquences de ce qu’il dit sont fort claires. J’ai dit ailleurs qu’une grande pensée leur a fait choisir la virginité. En outre il s’était déjà produit des chutes, et c’est à l’occasion des coupables que vient cette prescription dont il n’est pas question dans l’autre passage. Qu’il y en ait eu, cela résulte clairement de ces mots : « Car lorsqu’elles sont sorties des bornes de la modestie chrétienne, elles veulent se marier », et de ceux-ci : « Car déjà quelques-unes ont été détournées de leur voie, à la suite de Satan ». – « Évitez les veuves trop jeunes ». Pourquoi ces mots : « Car lorsqu’elles sont sorties des bornes de la modestie, elles veulent se marier ? » Et qu’est-ce à dire : « Sorties des bornes de la modestie ? » C’est lorsqu’elles sont coquettes, amollies par les délices ; semblables à l’épouse d’un homme de bien, qui l’abandonnerait pour un autre. L’apôtre fait voir par là, qu’elles avaient embrassé la viduité sans une résolution réfléchie. La vraie veuve devient épouse du Christ dans son veuvage. Car c’est lui, dit l’Écriture, qui est le protecteur des veuves et le père des orphelins. (Psa 68,5-6) L’apôtre fait voir qu’elles n’ont pas vraiment choisi la viduité, mais qu’elles se sont livrées à la mollesse. Il les supporte cependant ; mais il dit ailleurs aux Corinthiens : « Je vous ai fiancés comme une vierge chaste au Christ pour unique époux ». (2Co 11,2) Et, après qu’elles se sont inscrites au nombre des veuves, « elles veulent se marier, et sont condamnables, parce qu’elles ont transgressé leur foi première ». Par leur foi, il entend leur promesse ; elles ont menti, abandonné le Christ, transgressé leurs engagements. « Elles apprennent d’ailleurs à être oisives ». Car ce n’est pas seulement aux hommes que le travail est prescrit ; c’est aussi aux femmes, car l’oisiveté enseigne tous les vices. Et ce n’est pas seulement de leurs fautes qu’elles ont à répondre, mais des péchés d’autrui. S’il est inconvenant pour une femme de se promener de maisons en maisons, combien plus à une vierge ! « Non-seulement elles apprennent à être oisives, mais bavardes et envieuses, disant ce qu’elles ne devraient pas dire. Je veux donc que les jeunes veuves se marient, aient des enfants, gouvernent leur maison ». Qu’arrivera-t-il en effet, si une femme n’a plus à s’occuper de son mari, et que la pensée de Dieu ne la remplisse pas ? Elle deviendra naturellement oisive, bavarde et curieuse. Car celui qui ne se préoccupe pas de ce qui le regarde, se préoccupe sans cesse des affaires d’autrui ; de même que celui qui songe à ce qui le concerne n’aura ni souci ni curiosité de ce qui regarde les autres. « Disant ce qu’elles ne devraient pas dire ». Rien n’est si inconvenant pour une femme que ces recherches d’une vaine curiosité, et non seulement pour une femme, mais pour un homme, car c’est une grande preuve d’effronterie et d’impudence. « Je veux donc », puisqu’elles le veulent, je le veux aussi moi, « que les jeunes veuves se marient, aient des enfants, gouvernent leur maison » et s’y tiennent, car cela vaut beaucoup mieux que de se conduire ainsi. Il fallait se préoccuper du service de Dieu et lui garder fidélité ; mais, puisqu’il n’en est point ainsi, mieux vaut se marier, car Dieu n’est pas renoncé et elles ne contractent pas ces défauts. Une telle viduité ne produit rien de bon, et au contraire, en pareil cas, le mariage a d’heureux effets ; il pourra détourner leurs esprits de la langueur et de la paresse. Et pourquoi, voyant la chute de plusieurs, n’a-t-il pas dit qu’elles devaient être l’objet de grands soins pour ne pas tomber dans un tel malheur, mais leur recommande-t-il le mariage ? Parce que le mariage n’est pas défendu. « Qu’elles ne donnent point à l’ennemi une occasion de diffamation », ni de prise aucune ; « car déjà quelques-unes ont été détournées de leur voie, à la suite de Satan ». Il s’oppose donc à une viduité pareille, ne voulant pas de veuves trop jeunes qui se rendent coupables d’adultère, ne voulant pas d’oisives, qui disent ce qu’elles devraient taire, de curieuses, qui donnent occasion au démon ; si pareille chose n’avait pas eu lieu, il n’aurait pas mis cette opposition. « Mais, si quelque fidèle a près de lui des veuves, qu’il pourvoie à leurs besoins, et que l’Église n’en ait pas le fardeau, afin qu’elle suffise à celles qui sont vraiment veuves (16) ». Il appelle de nouveau vraiment veuves, celles qui vivent dans la solitude et qui n’ont de consolation nulle part. Le conseil que donne ici l’apôtre est excellent, il produisait deux grands résultats : Les uns trouvaient une occasion de faire le bien en nourrissant ces veuves, – et l’Église n’était pas surchargée. Il ajoute fort à propos : « Si quelque fidèle » ; car les veuves fidèles ne devaient pas être nourries par les infidèles, il ne convenait pas qu’elles eussent besoin d’unetelle assistance. Et voyez comment il est peu exigeant. Il ne parle point d’un secours dispendieux, mais dit seulement : « Qu’il pourvoie à leurs besoins, afin que l’Église… suffise à celles qui sont vraiment veuves ». Le bienfaiteur aura double récompense ; car en assistant l’une, il aide aussi les autres, en permettant à l’Église de les secourir plus largement. « Je veux que les jeunes veuves » – Et quoi ? vivent dans la mollesse ? dans les délices ? Nullement ; mais « se marient, aient des enfants, gouvernent « leur maison ». Et la gouvernent, comment ? Afin que l’on ne pense pas qu’il les engage à une vie molle, il ajoute : « Et ne donnent point à l’ennemi une occasion de diffamation ». Elles devaient être au-dessus des pensées mondaines ; puisqu’elles sont descendues plus bas, qu’elles sachent au moins s’y maintenir. 2. « Que les prêtres qui administrent bien soient jugés dignes d’un double honneur, surtout ceux qui se fatiguent ans la parole et l’enseignement. Car l’Écriture dit : Vous ne lierez point la bouche du bœuf qui travaille dans l’aire, et : Le travailleur mérite de recevoir son salaire (18) ». Par l’honneur il entend les soins et l’attention à fournir les objets nécessaires à la vie, comme on le voit par les textes qu’il cite. Lorsqu’il dit : « Honorez les veuves », il parle de même de pourvoir à leur subsistance ; car il dit aussi : « Afin que l’Église puisse suffire à celles qui sont vraiment veuves », et : « Honorez celles qui sont vraiment veuves », c’est-à-dire qui sont dans la pauvreté, car elles sont d’autant plus veuves. Il cite des paroles de la loi et des paroles du Christ, paroles qui concordent entre elles. Car la loi dit : « Vous ne lierez point la bouche du bœuf qui travaille dans l’aire ». (Deu 25,4) Vous voyez dans quelles conditions il veut que travaille celui qui enseigne. Il n’est point de travail semblable à celui-là, il n’en est point. Voilà le témoignage de la loi ; et celui du Christ, le voici : « Le travailleur mérite de recevoir son salaire ». (Luc 10,7) Ne nous attachons pas pour cela seulement au salaire, et le Christ le fait entendre puisqu’il dit : « Celui qui travaille mérite de trouver sa nourriture ». (Mat 10,10) En sorte que s’il vit dans la mollesse et le relâchement, il n’est pas digne. Si le bœuf ne travaille pas dans l’aire, s’il ne traîne pas un joug pesant, sous une chaleur étouffante et à travers les épines, s’il ne persévère pas jusqu’à la fin de sa tâche, il n’a pas gagné les aliments qu’on lui laisse prendre. Mais il faut certes que ceux qui enseignent se voient fournir en abondance les objets nécessaires à la vie, afin qu’ils ne succombent pas à la fatigue, et de peur qu’ayant à s’occuper de petites choses, ils ne se détournent des grandes ; ils se donneront ainsi aux œuvres spirituelles, sans songer aux besoins de la vie. Tels étaient les lévites : ils ne pensaient pas aux moyens de vivre ; c’était aux laïques à y pourvoir envers eux, et la loi prescrivait de payer la dîme du revenu, les offrandes sur les objets en or, les prémices, les vœux et plusieurs autres objets. Ces avantages étaient justement garantis par la loi à des hommes qui cherchaient les avantages de la vie présente ; mais je ne demande pour ceux qui gouvernent les églises rien de plus que la nourriture et le vêtement, afin qu’ils ne soient pas entraînés à y donner leurs pensées. Et qu’est-ce qu’un double honneur ? Double de celui des veuves, ou des diacres, ou simplement un grand honneur. Ne nous arrêtons pas à ce mot de double honneur, mais à ce que l’apôtre y a joint : Ceux qui administrent bien. Et quels sont-ils ? Écoutons la parole du Christ : « Le bon pasteur donne sa vie pour ses brebis ». (Jn 10,11) Ainsi bien administrer, c’est ne rien épargner pour prendre soin de son troupeau. Principalement ceux qui travaillent dans la prédication et l’enseignement. – Où sont ici ceux qui disent qu’il n’est pas besoin de parole et d’enseignement ? Quand l’apôtre donne de tels avis à Timothée – « Méditez ces choses, attachez-vous-y ». Et ailleurs : « Appliquez-vous à la lecture, à l’exhortation, car, en le faisant, vous vous sauverez vous et ceux qui vous écoutent ». (1Ti 4,15) Voilà ceux que l’apôtre veut que l’on honore plus que tous les autres, et il en donne le juste motif c’est qu’ils supportent de grandes fatigues. Car lorsque l’un ne veille ni ne médite, mais reste tranquillement assis sans crainte ni soucis, tandis que l’autre se fatigue en occupant son esprit et ses soins, surtout s’il est étranger à la science profane, comment celui-ci ne devrait-il pas être honoré grandement et plus que tous les autres, quand il se donne tant de peines ? Il est exposé à bien des langues ; l’un l’a blâmé, l’autre l’a loué, un troisième l’a raillé, un quatrième a attaqué sa mémoire ou sa méthode ; il lui faut bien de la force pour endurer tout cela. C’est une grande chose pour l’édification d’une église, c’est une chose de grande importance, que de savoir enseigner, quand on la gouverne ; sans cela bien des choses tombent en ruine, C’est pour cela qu’avec les autres qualités, avec l’hospitalité, la modération, en demandant que l’évêque soit irréprochable, l’apôtre ajoute : « Qu’il sache enseigner » ; Le docteur, ce doit être celui qui, par sa vie, enseigne l’amour de la sagesse. Rien de mieux ; mais il faut en même temps l’enseigner par ses discours. C’est pour cela que Paul dit : « Surtout ceux qui se fatiguent dans la parole et l’enseignement » ; car, quand il s’agit d’exposer les dogmes, quelle vie saurait suppléer aux paroles ? Et quelles paroles ? Non celles qui sont pompeuses et revêtues d’ornements profanes, mais des paroles pleines de force, de lumière et de prudence. Ce qu’il faut, ce n’est pas l’art du style et du langage ; il faut des pensées, de quelque façon qu’on les exprime ; non l’art de la composition, mais seulement la sagesse. « N’accueillez pas d’accusation contre un ancien, s’il n’y a deux ou trois témoins (19) ». Faut-il donc accueillir contre un jeune homme, ou contre qui que ce soit, une accusation sana témoignage ? Ne faut-il pas prêter l’oreille avec un discernement scrupuleux ? Que veut donc dire l’apôtre ? Qu’il ne faut accueillir ces sortes d’accusations contre personne, mais surtout contre un ancien. Et il ne parle pas ici de la dignité sacerdotale, mais de l’âge, car les jeunes gens sont plus sujets à faillir que les vieillards. Il est évident par tout ceci que désormais une église est confiée à Timothée, ou même toute la province d’Asie ; aussi lui parle-t-il des anciens. – « Ceux qui sont en faute, réprimandez-les en présence de tous, afin que les autres en conçoivent de la crainte (20) ». C’est-à-dire, ne les rejetez pas trop vite, mais examinez tout avec une grande exactitude ; et, quand vous vous serez rendu clairement compte de l’affaire, montrez-vous plein d’énergie, afin que les autres deviennent plus retenus. Car, s’il est nuisible de condamner sans raison, ne pas agir contre les fautes manifestes, c’est ouvrir la voie aux autres, pour qu’ils osent en faire autant. Il ne dit pas seulement de réprimander, mais de le faire avec sévérité, car c’est ainsi que les autres en concevront de la crainte. Pourquoi donc le Christ a-t-il dit : « Va, et reprends ton frère entre toi et lui seul, s’il a péché contre toi » (Mat 18,15), tandis que Paul permet de l’accuser devant l’Église ? 3. N’y aura-t-il pas là plus de scandale ? Pourquoi ? Il y en aurait davantage si l’on connaissait la faute et non le châtiment. Mais de même que, si les fautes restent impunies, les coupables se multiplient, de même la répression en redresse un grand nombre. C’est ce qu’a fait Dieu, en châtiant aux yeux de tous, Pharaon, Nabuchodonosor et bien d’autres ; nous voyons que cités et individus ont porté la peine de leurs crimes. L’apôtre veut donc que tous craignent l’évêque, et il lui donne autorité sur tous. Parce que souvent les accusations proviennent du ressentiment, dit-il, il faut des témoins, des hommes qui discutent contre l’accusé, conformément à l’ancienne loi. « Toute parole doit être appuyée par deux ou trois témoins ». (Deu 19,15) « N’accueillez pas d’accusation contre un ancien ». Il n’a pas dit : Ne condamnez pas, mais : N’accueillez pas même d’accusation, ne le traduisez pas en jugement. Mais si deux témoins mentent ? Cela est rare, mais on peut l’éclaircir dans le jugement et faire briller la vérité. On doit s’estimer heureux qu’une faute ait deux témoins, car elles se commettent en secret et à la dérobée ; en sorte que c’est là matière à examen approfondi. Mais si les fautes sont reconnues et qu’il n’y ait pas de témoins, mais qu’on ait mauvaise opinion de l’affaire ? L’apôtre l’a dit plus haut : « Il faut que, l’évêque ait bon témoignage de ceux du dehors ». Ayons donc l’amour et la crainte de Dieu. Il n’y a point de loi pour le juste, mais la plupart, suivant la vertu par contrainte et non par préférence, retirent de grands fruits de la crainte et répriment souvent leurs mauvais désirs. Écoutons à cause de cela les menaces qui nous sont faites de l’enfer, afin de recueillir les précieux fruits de cette crainte. Car si Dieu, qui y précipitera les pécheurs, ne nous en eût pas d’avance adressé la menace, un bien grand nombre y fussent tombés. Si en effet, maintenant que la terreur agite nos âmes, il s’en trouve plusieurs qui pèchent si facilement, comme s’il n’y avait pas d’enfer, quels crimes ne commettrions-nous pas si nous n’en avions ni la révélation ni la menace, en sorte, comme je le dis sans cesse, que l’enfer ne montre pas moins l’intérêt que Dieu nous porte que son royaume céleste. L’enfer conspire avec le paradis, puisque la crainte de l’un nous pousse vers l’autre. Ne croyons donc pas que c’est l’œuvre d’un être cruel et impitoyable, mais plutôt l’œuvre de la miséricorde et d’une immense bonté, du zèle avec lequel il veut nous attirer à lui. Si Ninive n’eût pas été menacée par Jonas de sa ruine, cette ruine se serait accomplie ; s’il n’eût pas dit que Ninive serait détruite, Ninive n’aurait pas subsisté ; si nous n’avions été menacés de l’enfer, nous y serions tous tombés ; si nous n’avions été menacés du feu, nul n’y eût échappé. Dieu dit le contraire de ce qu’il veut, afin d’accomplir ce qu’il veut : il ne veut pas la mort du pécheur, et il parle de la mort du pécheur, afin qu’il ne se précipite pas dans la mort. Ce n’est pas une simple parole ; il nous montre la réalité, afin que nous l’évitions. Et pour que personne ne pense que c’est une vaine menace, pour qu’on en connaisse la réalité, ce qui s’est passé en ce monde le rend manifeste. Le déluge de pluie qui a fait périr le genre humain n’est-il pas une image de la géhenne du feu ? « De même », dit l’Évangile, « que dans les jours de Noé, il y avait des hommes qui se mariaient, des hommes qui donnaient leurs filles en mariage… il en sera de même alors ». (Mat 24,37, 38) Il a prédit, cet événement longtemps d’avance ; dans l’Évangile encore il le prédit d’avance quatre siècles et davantage ▼▼L’orateur s’exprime ainsi parce qu’il parle quatre siècles après Jésus-Christ, dans l’ignorance absolue du temps où viendra le dernier jour.
; mais nul ne médite ses menaces, tous les regardent comme des fables et comme un objet de risée ; nul n’a de crainte, nul ne pleure ses fautes, nul ne se frappe la poitrine. Le fleuve de feu bouillonne, la flamme s’élève, et nous, nous rions, nous vivons dans les délices, nous péchons sans crainte. Nul ne fait entrer dans son esprit ce dernier jour, nul ne pense que la vie présente passe, que tout ce que nous voyons n’a qu’un temps, bien que chaque jour les événements nous le crient et nous fassent entendre leur voix. Les morts prématurées, les changements qui ont lieu même pendant notre vie, ne nous instruisent pas, non plus que nos maladies de toute sorte. Et ce n’est pas dans nos corps seulement, mais dans les éléments aussi que l’on peut voir les changements se produire : tout nous donne occasion de méditer sur cela même dans notre jeunesse ; partout et en tout l’instabilité est signalée. Ni l’hiver, ni l’été, ni le printemps, ni l’automne ne se sont jamais arrêtés dans leur cours ; ils s’écoulent, ils s’envolent. Mais que dis-je les années et les fleurs ? Voulez-vous parler des dignités ? des rois qui sont aujourd’hui et ne seront plus demain, des riches, des demeures somptueuses, de la nuit et du jour, du soleil ? N’est-il pas souvent éclipsé, disparu dans les ténèbres, caché par un nuage ? Rien demeure-t-il de tout ce que nous voyous ? Non, rien que notre âme, et nous la négligeons ; nous faisons grand cas de ce qui change, et ce qui demeure à jamais, nous y restons indifférents, comme s’il nous échappait sans cesse. – Un tel est puissant. – Oui, jusqu’à demain, et ensuite il périra ; vous le voyez par l’exemple de ceux qui furent plus puissants que lui et qui ont disparu. La vie est un théâtre, un songe. De même que, chez les acteurs, quand le théâtre est enlevé, la diversité des rôles disparaît, de même que les songes s’envolent aux premiers rayons du matin, de même ici quand notre rôle est achevé dans la vie publique ou privée, tout se dissipe et disparaît. L’arbre que vous avez planté, la maison que vous avez bâtie demeurent après vous ; l’architecte et le laboureur sont enlevés et meurent. Et, quand nous en sommes témoins, cela ne nous change point ; nous disposons tout comme si nous étions immortels, et nous vivons dans le luxe et la mollesse. 4. Écoutez ce que dit Salomon, qui a éprouvé par lui-même ce que sont les choses de la vie présente : « Je me suis élevé des demeures », dit-il, « j’ai planté des jardins et des parcs, des vignobles… des piscines… j’ai acquis de l’or et de l’argent… je me suis procuré des chanteurs et des chanteuses, des troupeaux de gros et de menu bétail ». (Ecc 2,4-8) Nul n’a joui de tant de délices, nul n’a été si illustre et si sage, nul n’a été maître si puissant, nul n’a connu comme lui les événements passés. Mais quoi ! rien de tout cela ne l’a satisfait, et que dit-il après en avoir joui ? « Vanité des vanités, tout est vanité » (Id 1, 2) Non pas vanité seulement, mais il s’exprime avec plus d’énergie. Croyons-en, je vous en conjure, un homme qui en a fait l’expérience, écoutons-le et entreprenons des choses où l’on ne trouve pas la vanité, mais où réside la vérité, où tout est solide et stable, où tout est fondé sur la pierre, où rien ne vieillit ni ne passe, où tout est florissant et jeune, où le temps n’a point d’action, où rien ne doit disparaître. Je vous en conjure, désirons sincèrement Dieu, non par la terreur de l’enfer, mais par le désir du royaume éternel. Dites-moi, en effet, qu’y a-t-il de semblable au bonheur de voir le Christ ? Rien assurément. Qu’y a-t-il de semblable à la jouissance des biens célestes ? Assurément rien. Biens « que l’œil n’a point vus, que l’oreille n’a point entendus, qui n’ont point pénétré dans le cœur de l’homme et que Dieu a préparés à ceux qui l’aiment ». (1Co 2,9) Efforçons-nous de les obtenir, et méprisons les biens terrestres. Ne nous plaignons-nous pas souvent de ce que la vie de l’homme n’est rien ? Pourquoi donc cet empressement pour un rien ? Pourquoi se donner tant de peine pour un rien ? Vous considérez des habitations somptueuses ; est-ce cette vue qui vous trompe ? Levez donc les yeux au ciel, comparez-en la beauté avec ces pierres et ces colonnes, et vous verrez qu’elles ne sont qu’un ouvrage de fourmis et de moucherons. Adonnez-vous à la contemplation, élevez-vous vers les objets célestes, voyez de là ce que sont de somptueux édifices, et vous verrez qu’ils ne sont rien que des jeux de petits enfants. Vous savez que l’air devient plus subtil, plus léger, plus pur, plus transparent, à mesure que l’on s’élève ? C’est dans une semblable région qu’ont leurs demeures, leurs tabernacles, ceux qui pratiquent les œuvres de miséricorde. Toute habitation terrestre sera détruite à la résurrection, et, avant la résurrection, le temps, dans son cours, la détruit, la dissout, la fait disparaître. Souvent même, avant l’action du temps, dans l’éclat de la nouveauté, un tremblement de terre la renverse, un incendie la dévore ; car il y a des morts prématurées pour les édifices, comme il y en a pour les hommes : souvent, quand la terre est ébranlée, des bâtiments usés par le temps restent en équilibre, et ceux qui brillent de jeunesse, qui sont solides et nouvellement achevés, sont ébranlés et renversés par la foudre seule ; Dieu l’a réglé ainsi sans doute pour que nous ne soyons pas orgueilleux de nos constructions. Voulez-vous ne pas vous laisser décourager ? Allez dans ces édifices publics dont vous jouissez comme les autres ; car il n’est point de maison, il n’en est point, quelque somptueuse qu’elle soit, qui l’emporte sur les édifices publics ; demeurez-y autant qu’il vous plaira, ils sont à vous, à vous comme aux autres ; ils sont publics et non privés. Mais cela ne vous satisfait pas, dites-vous. Non, d’abord par l’effet de l’habitude, puis par celui de la cupidité. C’est donc la cupidité qui fait l’agrément d’une chose, et non sa propre beauté. Le plaisir c’est d’être cupide et de vouloir s’approprier ce qui est à tous. Eh ! jusques à quand serons-nous cloués et collés à la terre ? Jusques à quand nous roulerons-nous dans la boue comme des vermisseaux ? Dieu nous a fait un corps de terre afin que nous l’élevions vers le ciel, et non pour qu’il nous serve à abaisser notre âme elle-même vers la terre ; mon corps est terrestre, mais, si je le veux, il devient céleste. Voyez quel honneur Dieu nous a fait, en nous confiant une si grande œuvre. C’est moi, dit-il, qui a fait le ciel et la terre ; je te rends participant de la création : fais de la terre un ciel, tu le peux. On dit de Dieu qu’il fait et qu’il change tout. (Amo 5,8) Il a aussi donné cette puissance aux hommes, comme un père plein de tendresse, qui sait peindre, mais qui veut aussi instruire son fils dans cet art. Je t’ai donné, nous dit-il, un corps qui est beau ; je te confie l’accomplissement d’une œuvre plus grande : fais une belle âme. J’ai dit en effet : Que la terre produise l’herbe verdoyante… et les arbres portant des fruits » (Gen 1,11) ; dis aussi, toi : Que la terre produise son fruit, et tout ce que tu voudras faire se produira. Je fais la chaleur et le brouillard ; je suis l’auteur du tonnerre et le créateur du vent, j’ai formé le dragon, c’est-à-dire le démon pour me jouer de lui. (Psa 104,26) Je ne t’ai point envié cette puissance : joue-toi de lui, si tu le veux ; car tu peux le lier comme un petit oiseau. Je fais lever mon soleil sur les bons et sur les méchants : imite-moi, fais part de tes biens aux bons et aux méchants. Je suis patient dans les outrages, et je fais du bien à ceux qui me les adressent ; imite-moi, car tu le peux. Je fais le bien, non pour en obtenir en retour ; imite-moi, et tu ne le feras plus pour obtenir un retour, pour qu’on te le rende. J’ai allumé des flambeaux pour le ciel : allumes-en de plus brillants, car tu le peux ; éclaire ceux qui sont dans l’erreur, le bienfait de me connaître est plus grand que celui de voir le soleil. Tu ne peux créer un homme, mais tu peux former un juste, un homme agréable à Dieu. J’ai créé sa substance, embellis sa volonté. Vois combien je t’aime et pour quels grands objets je t’ai donné du pouvoir. Voyez, mes bien-aimés, quel honneur vous recevez ; et cependant il est des insensés, des ingrats qui demandent pourquoi nous sommes maîtres de notre volonté. Dans tous ces objets que nous venons de parcourir, nous pouvons imiter Dieu ; il nous serait impossible de le faire si notre volonté n’était pas libre. Je règne, dit-il, sur les anges, et toi aussi par tes prémices. Je suis assis sur un trône royal, et toi aussi par tes prémices ▼▼C’est-à-dire, l’Homme-Dieu, qui est les prémices de l’humanité, et qui est assis à la droite de Dieu son Père. (J.- B. J)
: « Il nous a ressuscités et nous a fait asseoir à la droite de « Dieu ». (Eph 2,6) Les chérubins, les séraphins, toute l’armée des anges, les principautés, les puissances, les trônes, les dominations, s’inclinent devant toi à cause de tes prémices. N’accuse pas ton corps, qui jouit d’un honneur si grand, que les puissances incorporelles vénèrent. Mais que dis-je ? Ce n’est pas seulement par là que je veux te gagner, mais aussi par mes souffrances. C’est pour toi que l’on m’a craché au visage, que l’on m’a souffleté, que j’ai anéanti ma gloire, et que, descendant du séjour de mon Père, je suis venu vers toi, qui me haïssais, qui te détournais de moi et ne voulais pas entendre mon nom ; j’ai couru à ta poursuite afin de te saisir ; je t’ai uni et attaché à moi-même ; je t’ai dit : Mange ma chair et bois mon sang ; je t’élève au ciel et je viens t’embrasser sur la terre. Je ne me suis pas contenté de placer si haut tes prémices, cela ne suffisait pas à mon amour. Je suis descendu sur la terre ; et je ne me joins pas seulement à toi, mais je pénètre tout ton être, je suis mangé par toi, je m’amincis peu à peu, afin que la fusion, que l’union soient plus parfaites. Ce qui s’unit demeure dans les limites de sa propre étendue, mais moi je ne fais plus qu’un tout avec toi. Je veux que rien ne nous sépare plus ; je veux que nous ne fassions plus qu’un. Sachant cela, sachant la grande tendresse de Dieu pour nous, faisons tout pour ne pas être indignes de si grands dons ; obtenons-les tous dans le Christ Jésus Notre-Seigneur, avec qui soient au Père et au Saint-Esprit, gloire, puissance, honneur, maintenant et toujours, et aux siècles des siècles. Ainsi soit-il.