2 Corinthians 1
TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.
COMMENTAIRE SUR LA DEUXIÈME ÉPÎTRE AUX CORINTHIENS.
HOMÉLIE I.
PAUL, APÔTRE DE JÉSUS-CHRIST, PAR LA VOLONTÉ DE DIEU, ET TIMOTHÉE, SON FRÈRE, A L’ÉGLISE DE DIEU QUI EST A CORINTHE, ET A TOUS LES SAINTS QUI SONT DANS TOUTE L’ACHAÏE, LA GRÂCE ET LA PAIX SOIT AVEC VOUS PAR DIEU LE PÈRE ET JÉSUS-CHRIST, NOTRE SEIGNEUR. BÉNI SOIT DIEU ET LE PÈRE DE NOTRE-SEIGNEUR JÉSUS-CHRIST, LE PÈRE DES MISÉRICORDES ET LE DIEU DE TOUTE CONSOLATION, QUI NOUS CONSOLE DANS TOUTES NOS TRIBULATIONS, AFIN QUE NOUS PUISSIONS, À NOTRE TOUR, CONSOLER LES, AFFLIGÉS, ET VERSER DANS LEURS CŒURS CES CONSOLATIONS QUI NOUS VIENNENT DE DIEU. (CHAP. 1, 1-4)
Analyse.
- 1 et 2. Saint Chrysostome commente les cinq premiers versets du premier chapitre.
- 3-6. Il fait ressortir le dessein de l’Apôtre dans cette Épître. – Il s’élève à de belles considérations sur le mérite des souffrances. – Exemple d’Abraham et de Job.
1. Demandons-nous d’abord pourquoi l’apôtre adresse aux Corinthiens cette seconde épître, et pourquoi dès le début, il leur parle de la bonté de Dieu et des consolations qu’il répand dans les âmes ? Pourquoi donc une seconde épître ? Dans la première il leur avait dit : « J’irai vous voir, et je ne me contenterai pas d’entendre les paroles de ceux qui sont enflés d’orgueil, je m’informerai de leurs œuvres » ; en terminant il leur fait la même promesse en termes plus doux : « J’irai vous voir », leur dit-il, « en passant par la Macédoine ; je ne ferai que traverser ce pays ; mais je séjournerai chez vous, et peut-être y passerai-je l’hiver ». Il s’écoula bien du temps sans que l’apôtre eût pu tenir sa promesse. L’époque fixée passa, et il n’arrivait pas à Corinthe : car l’Esprit-Saint le tenait occupé à des travaux plus urgents. C’est pourquoi il crut nécessaire d’écrire une seconde fois aux Corinthiens ; il eût pu s’en dispenser, s’il eût tardé moins longtemps à les visiter. – Un autre motif, c’est que sa première lettre avait produit chez eux des fruits de salut. Car cet impudique qu’ils favorisaient auparavant et dont ils s’enorgueillissaient, ils l’avaient complètement retranché de leur communion. Ce qu’il leur rappelle en ces termes : « Si l’un de vous m’a contristé, il ne m’a pas contristé moi seul, mais vous tous aussi, au moins en quelque sorte ; ce que je dis pour ne le point surcharger dans son affliction ». C’est assez qu’il ait été repris par un grand nombre de fidèles. C’est la même idée qu’il suggère un peu plus loin : « Cette tristesse que vous avez ressentie selon Dieu, vous a remplis de sollicitude ; elle vous a justifiés ; vous vous êtes indignés contre le coupable, vous avez redouté la justice divine, vous vous êtes trouvés plein d’ardeur pour l’accomplissement de sa loi, pour venger l’injure faite à Dieu ; en un mot vous avez montré que vous n’avez en rien participé au crime ». (2Co 7,11) Bien plus, ils s’étaient empressés de recueillir la somme d’argent qu’il leur avait demandée. Aussi leur disait-il : « Je sais quel est votre empressement, et je m’en glorifie auprès des Macédoniens, et je leur dis que l’Achaïe est toute prête depuis l’année dernière ». (2Co 9,2) D’ailleurs ils avaient reçu avec bienveillance son disciple Tite qu’il leur avait envoyé. Il leur en témoigne sa reconnaissance en ces termes : « Tite vous aime tendrement : il se souvient de votre obéissance et du saint tremblement avec lequel vous l’avez reçu ». (2Co 7,15) Voilà les divers motifs qui le décident à écrire une seconde épître aux fidèles de Corinthe. Après leur avoir reproché leurs désordres, ne devait-il pas les féliciter d’être revenus à de meilleurs sentiments ? Aussi ne fait-il paraître ni amertume ni colère dans tout le cours de cette épître, excepté cependant vers la fin. C’est qu’il y avait chez eux des Juifs enflés d’orgueil et qui, pleins de mépris pour l’apôtre, le traitaient d’homme arrogant, mais sans valeur. Ils disaient : « Ses lettres sont graves et fortes, mais son extérieur ne fait aucune impression, et son langage est méprisable ». C’est comme s’ils eussent dit : Dès qu’il est ici, il n’inspire aucun respect ; et quand il est parti, ses lettres sont pleines de faste et d’orgueil. Tel est le sens de ces mots : « Ses lettres sont graves et fortes ». Et pour se faire de la réputation, ils se flattaient hypocritement de ne rien accepter de personne : c’est de cette hypocrisie que parle saint Paul quand il dit : « Pour trouver un sujet de gloire, ils veulent paraître tout à « fait semblables à nous ». En outre, comme ils ne manquaient pas d’éloquence, ils faisaient gloire de ce talent. C’est pourquoi l’apôtre s’appelle lui-même un homme simple et sans habileté, pour montrer qu’il ne rougit pas de ce défaut ; et que l’éloquence à ses yeux n’a aucune valeur, aucun prix. Il était vraisemblable que leurs discours en avaient entraîné plusieurs loin de la vérité : aussi, après avoir loué leurs bonnes actions, les blâme-t-il de leur zèle à pratiquer les cérémonies judaïques, et leur adresse-t-il quelques reproches à cet égard. Tel est, à mon avis, pour le dire en passant, le sujet et comme – le sommaire de cette épître. – Expliquons-en maintenant le commencement, et disons pourquoi, tout aussitôt après les avoir salués selon sa coutume, il leur parle de la miséricorde du Seigneur. Demandons-nous cependant, avant toutes choses, pourquoi il fait ici mention de Timothée. « Paul, apôtre de Jésus-Christ, par la volonté de Dieu, et Timothée, son frère ». Dans sa première épître, en effet, il leur promettait de leur envoyer son disciple, et les exhortait à bien l’accueillir. « Quand Timothée sera venu, faites en sorte qu’il vive sans crainte au milieu de vous ». Pourquoi donc joint-il à son propre nom le nom de son disciple ? Selon la promesse du Maître, Timothée s’était transporté à Corinthe. « Je vous l’ai envoyé, dit-il, pour qu’il vous fasse part de mes desseins, qui sont selon Jésus-Christ » ; et après avoir établi dans cette ville un ordre parfait, il était revenu près de l’apôtre. En le leur envoyant, saint Paul leur disait : « Congédiez-le dans la paix du Seigneur ; car je l’attends avec les frères ». 2. Quand donc il fut de retour, ils s’occupèrent ensemble d’opérer en Asie les réformes nécessaires : « Je resterai à Éphèse jusqu’à la Pentecôte, dit saint Paul » (1Co 16,8), et ils passèrent en Macédoine. C’est donc à juste titre qu’il le nomme au commencement de son épître, puisqu’il l’accompagnait dans ce voyage Il écrivait sa première épître en Asie ; sa seconde, il la leur adressa de la Macédoine. S’il joint à son nom celui de Timothée, c’est pour recommander de plus en plus son disciple, et aussi par humilité. Timothée était bien au-dessous de Paul ; mais la charité supprime les distances. Et c’est pourquoi il ne met point de différence entre Timothée et lui. Tantôt il dit de son disciple : « Il m’aide, comme un fils aide son père » (Phi 2,22) ; tantôt : « Il accomplit l’œuvre de Dieu, comme je l’accomplis moi-même ». (1Co 16,8) Enfin dans cette épître il l’appelle son frère, afin de lui concilier par tous les moyens la vénération des fidèles de Corinthe. Car il avait séjourné dans cette ville, et tous avaient été témoins de sa piété. « A l’église de Dieu qui est à Corinthe ». Il donne aux Corinthiens le nom d’Église, pour les porter à une étroite union, et les concilier entre eux. Une église cesse d’être une, dès que ceux qui la composaient sont en désaccord et séparés les uns des autres. « Avec tous les saints qui sont dans toute l’Achaïe ». Il veut faire honneur aux Corinthiens, en saluant tous les chrétiens du pays, et en les comprenant tous dans cette lettre adressée aux fidèles de Corinthe. S’il les appelle des saints, c’est afin de montrer que ses salutations ne s’adressent pas aux hommes corrompus. Pourquoi l’apôtre, en écrivant à la Métropole, s’adresse-t-il en même temps à tous les chrétiens d’Achaïe ? Il s’en faut bien qu’il agisse toujours de la sorte. Quand il écrit aux Thessaloniciens, il ne s’adresse pas aux habitants de la Macédoine ; quand il écrit aux Éphésiens, il ne s’adresse pas à tous les fidèles de l’Asie ; l’épître aux Romains n’est pas envoyée non, plus aux chrétiens répandus en Italie. Dans celle-ci, il écrit à tous ceux d’Achaïe ; et c’est encore le même procédé dans l’épître aux Galates. Ce n’est pas à une ou à deux ou à trois villes qu’il écrit, mais à tous les chrétiens de ce pays. Voici en effet ses paroles : « Paul, apôtre, non par la volonté des hommes ou d’un homme en particulier, mais par celle de Jésus-Christ et de Dieu le Père qui l’a ressuscité d’entre les morts, et tous les frères qui sont avec moi, aux églises de Galatie la grâce et la paix soient avec vous ». (Gal 1,1-3) Il écrit de même une lettre commune à tous les Hébreux, et non pas à telle ou telle de leurs villes. Pourquoi donc agit-il de cette manière ? En voici, je crois, la raison. C’est que chez ces divers peuples il y avait des maladies spirituelles communes ; ils avaient besoin d’un remède commun, et il le leur donne par une lettre commune… Tous les Galates, tous les Hébreux étaient malades ; et, je le crois aussi, tous les chrétiens de l’Achaïe. Aussi s’adresse-t-il à toute la nation et les salue-t-il, selon sa coutume : « La grâce et la paix soient avec vous, dit-il, par Dieu notre Père et Jésus-Christ Notre-Seigneur ». Entendez maintenant comment son exorde répond bien au dessein qu’il se propose « Béni soit Dieu et le Père de Notre-Seigneur Jésus-Christ, le Père des miséricordes et le Dieu de toute consolation ». Quel rapport, direz-vous, entre ces paroles et le dessein de l’apôtre ? – Le rapport est manifeste. Voyez en effet : Les Corinthiens étaient vivement affligés et troublés de ne point voir arriver l’apôtre qui leur avait promis de venir, et qui persistait à séjourner en Macédoine, préférant, ce semble, les Macédoniens à ceux de Corinthe. Pour calmer leur affliction, il leur expose donc le motif qui l’a retenu. Il ne le fait pas en propres termes sans doute, et ne leur dit pas : Je sais que je vous avais promis d’aller vous voir, mais mille traverses m’en ont empêché. Pardonnez-moi, je vous prie, et ne me reprochez ni orgueil ni négligence. Il tient un langage plus élevé et plus persuasif ; il leur adresse des consolations, pour qu’ils ne songent plus à lui demander le motif de ses délais. Il parle comme parlerait un homme qui aurait promis à son ami de venir le voir et que mille obstacles auraient arrêté. Gloire à Dieu, dirait cet homme, qui rue permet enfin de voir votre visage si cher ! Béni soit le Seigneur, qui m’a tant de fois sauvé du péril ! Cette action de grâces n’est-elle pas une excuse qui prévient tout reproche et tout murmure ? L’ami rougirait en effet d’accuser son ami, de lui demander compte de son retard, quand il l’entend rendre gloire à Dieu, et le remercier de l’avoir sauvé de tant de maux. Tel est le sens de ces paroles de l’apôtre : « Béni soit le Dieu des miséricordes ». Elles insinuent que Dieu l’a tiré des mille dangers qu’il courait. David n’invoque pas toujours Dieu de la même manière ni dans les mêmes circonstances : s’agit-il de guerre et de victoire : « Je vous aimerai, Seigneur, vous qui êtes ma force : le Seigneur est mon protecteur ». S’agit-il de quelque péril auquel il vient d’échapper, ou de quelque trouble qui obscurcissait son âme : « Le Seigneur est ma lumière et mon salut », s’écrie-t-il. Tantôt c’est la bonté et la clémence de Dieu, tantôt sa justice et ses jugements qu’il célèbre. De même en cet endroit saint Paul donne au Seigneur un nom que lui suggère sa clémence et sa bonté ; il l’appelle « le Dieu des miséricordes », c’est-à-dire, le Dieu qui vient de faire éclater sa miséricorde envers lui, en l’arrachant aux portes mêmes de la mort. 3. Rien qui convienne mieux à Dieu, qui soit plus dans sa nature que la miséricorde ; et c’est pourquoi l’apôtre le nomme « Dieu des miséricordes ». Mais considérez aussi l’humilité de saint Paul. C’était la prédication de l’Évangile qui l’exposait à tous ces dangers : il n’attribue pas néanmoins son salut à ses propres mérites, mais à la bonté du Seigneur. Il développe plus loin sa pensée. Pour le moment il ajoute : « Qui nous console dans toutes nos tribulations ». Il ne dit pas : Qui nous préserve de l’affliction ; mais : « Qui nous console dans l’adversité », paroles bien propres à montrer la puissance de Dieu, et à redoubler la patience dans les âmes affligées. C’est là ce que le prophète avait en vue lui-même, quand il disait : « Au sein de l’affliction, vous avez dilaté mon cœur ». Il ne dit pas : Vous n’avez point permis au malheur de fondre sur moi ; ni, vous avez bien vite écarté loin de moi l’adversité ; mais bien, vous avez dilaté mon âme plongée dans la douleur. N’est-ce pas ce qui arriva aux trois jeunes Hébreux ? Dieu n’empêcha pas qu’on les jetât dans la fournaise ; et quand on les y eut précipités, il n’éteignit point la flamme, mais il sut, même au milieu de ces brasiers, leur ménager le bien-être et la consolation. Telle est toujours la conduite de la Providence ; et c’est là ce que nous enseigne l’apôtre par ces paroles : « Qui nous console dans toutes nos tribulations ». Il veut encore nous donner un autre enseignement. Ce n’est pas une fois ou deux seulement que Dieu nous console, mais toujours, mais continuellement. Il ne nous console pas aujourd’hui pour nous abandonner demain ; non, jamais il ne cesse de nous consoler. « Qui nous console », dit l’apôtre, et non pas, qui nous a consolés ; « dans toutes nos tribulations », et non pas seulement dans celle-ci ou dans celle-là. Oui, dans toutes nos tribulations, « afin qu’à notre tour nous puissions consoler ceux qui souffrent, et répandre dans leurs âmes ces consolations qui nous viennent du Seigneur ». Voyez-vous comme il trouve moyen de s’excuser, en laissant supposer au lecteur qu’il s’est trouvé en proie aux plus cruelles afflictions ? En même temps, quoi de plus modeste que ce langage ? Cette miséricorde, l’apôtre et son disciple en ont éprouvé les effets non pas à raison de leurs mérites ou de leur dignité, mais pour le bien de ceux qu’ils doivent assister eux-mêmes. Dieu nous a consolés, dit-il, pour qu’à notre tour nous consolions les autres. Et comme le dévouement de l’apôtre éclate dans ces paroles ! A peine est-il consolé, à peine commence-t-il à respirer, que, loin de demeurer oisif comme nous faisons, il s’empresse d’exhorter les fidèles, de les affermir, de les exciter. D’autres donnent de ce passage une autre explication. Le sens, d’après eux, serait celui-ci Notre consolation est aussi la consolation des autres. Il semble aussi que saint Paul veuille dans cet exorde censurer la conduite de ces faux apôtres, qui, pleins de jactance, restaient dans leurs maisons et y vivaient dans les délices ; mais il le fait d’une manière obscure et détournée. Ce qu’il se proposait surtout, c’était d’écarter tout reproche de négligence au sujet du retard qu’il avait mis à tenir sa promesse. Si en effet Dieu nous console pour qu’à notre tour nous consolions les autres, ne nous blâmez pas d’avoir différé notre voyage à Corinthe. Nous avons passé tout ce temps à résister aux attaques de nos ennemis, à écarter les dangers qui nous menaçaient. « Car de même que les souffrances de Jésus-Christ abondent en nous, de même aussi les consolations surabondent dans nos âmes par Jésus-Christ ». Pour ne pas consterner ses disciples par le récit de ses souffrances, il leur montre d’autre part l’abondance des consolations. Ainsi les rassure-t-il ; et c’est encore dans ce dessein qu’il leur rappelle Jésus-Christ, et qu’il regarde ses souffrances comme étant celles du Sauveur ; et ainsi avant même de prononcer le mot de consolation, il sait trouver un motif de consolation dans les souffrances elles-mêmes. Quoi de plus doux en effet, quoi de plus agréable que d’être associé à Jésus-Christ et de souffrir à cause de lui ? Quelle consolation comparable à celle-là ? Voici une autre parole bien capable aussi de soutenir ceux qui souffrent : « Elles abondent, ces souffrances », dit-il. Il ne dit pas : De même que les souffrances de Jésus-Christ fondent sur nous ; mais, « de même qu’elles abondent », voulant ainsi montrer, que les apôtres endurent non seulement les mêmes souffrances que le Sauveur, mais de plus nombreuses encore. Nous n’avons pas seulement à souffrir ce qu’il a souffert ; mais nous souffrons beaucoup plus qu’il n’a souffert lui-même. Voyez en effet : le Christ a été tourmenté, persécuté, battu de verges, il est mort. Eh bien ! nous souffrons davantage encore ; et c’en serait assez pour nous consoler. On ne saurait taxer l’apôtre d’arrogance ou de témérité. Écoutez ce qu’il dit ailleurs : « Maintenant je me réjouis de mes souffrances ; et j’accomplis dans ma chair ce qui manque aux souffrances de Jésus-Christ ». (Col 1,4) Oui, l’apôtre peut tenir ce langage sans arrogance ni témérité. Les disciples n’ont-ils point fait des miracles plus grands que ceux du Sauveur lui-même ? « Celui qui croit en moi, fera des miracles plus étonnants que ceux-ci ». (Jn 14,12) Mais toute la gloire en revient à Jésus-Christ, qui agit dans ses serviteurs. Toute la gloire de leurs souffrances revient pareillement au Sauveur, qui les console, et qui leur donne la force de supporter avec courage les maux qui viennent fondre sur eux. 4. Aussi l’apôtre adoucit-il sur-le-champ ce qu’il vient de dire, et il ajoute : « De même la consolation abonde par Jésus-Christ ». C’est à Jésus-Christ qu’il rapporte toutes choses, et il aime à publier la bonté du Sauveur. Il ne dit pas : La consolation égale les souffrances ; mais bien : « La consolation abonde » ; en sorte que le temps de la lutte est aussi le temps des nouveaux triomphes. Quoi de plus grand, quoi de plus glorieux que d’être battu de verges pour Jésus-Christ, que de s’entretenir avec Dieu, que d’être assez fort pour résister toujours, que de vaincre les persécuteurs, que de ne pouvoir être dompté par l’univers entier, que d’attendre des biens que l’œil n’a point vus, que l’oreille n’a pas entendus, que le cœur de l’homme ne peut comprendre ? Est-il rien de comparable à ces souffrances endurées pour, la religion, à ces innombrables consolations qui nous viennent du Seigneur, à ce pardon qui nous délivre de péchés si multipliés et si graves ; à cette justice et à cette sainteté dont le Saint-Esprit orne les cœurs, à cette assurance, à ce courage en face de l’ennemi, à cette gloire dont l’éclat brille au sein même du danger ? Ne nous laissons donc point abattre, quand l’affliction vient nous éprouver. On ne peut vivre dans les délices, on ne peut s’endormir dans la mollesse, et demeurer uni au Sauveur. Pour s’approcher de Jésus, il faut secouer toute indolence, passer par l’épreuve des afflictions, entrer résolument dans la voie étroite. C’est le chemin qu’il a suivi lui-même. Ne disait-il pas : « Le Fils de l’homme n’a pas où reposer sa tête ? » Ne vous plaignez donc pas d’être affligés ; songez que vous êtes dans la société de Jésus, que par l’affliction vous effacez vos crimes et vous vous acquérez de grands mérites. Ce qu’il faut craindre, ce qu’il faut redouter, c’est d’offenser le Seigneur. Cela excepté, ni l’affliction, ni les attaques de l’ennemi ne sauraient attrister une âme vraiment sage. Que dis-je ? Si vous jetez une étincelle dans l’Océan, n’est-elle pas éteinte aussitôt ? Ainsi en est-il de la souffrance ; fût-elle excessive, quand elle rencontre une conscience pure, elle se dissipe et s’évanouit sur-le-champ. C’est pourquoi saint Paul ne cessait de se réjouir, parce qu’il avait confiance en Dieu ; et il n’avait pas même le sentiment de si cruelles épreuves. Il était homme et il souffrait, mais sans se laisser abattre. Abraham n’était-il pas joyeux aussi, malgré les douleurs auxquelles il était en proie ? Exilé, condamné à de longs et pénibles voyages, il n’a pas où mettre le pied sur la terre étrangère. La famine sévit dans le pays de Chanaan et le force à passer en Égypte. Alors on lui enlève son épouse ; il court risque d’être tué. Ajoutez à tous ces maux la stérilité de Sara, les guerres qu’il est obligé de soutenir, les dangers qui l’environnent, et cet ordre qui lui enjoint d’immoler son Fils unique, cet Isaac qu’il aime si tendrement et dont la mort doit lui causer d’indicibles, d’irrémédiables douleurs. Il obéit promptement, il est vrai ; mais ne croyez pas qu’il ait supporté tant de maux, sans éprouver de souffrances. Quelque parfaite que fût sa justice, il était homme, et, comme tel, sensible à la douleur. Rien cependant ne put le décourager ; mais il soutint la lutte avec générosité, et chacun de ces combats fut suivi d’une victoire. De même aussi le bienheureux apôtre qui chaque jour voyait fondre sur lui les afflictions, semblait goûter les délices du paradis ; il était heureux, il tressaillait de joie. Au sein d’une telle joie, l’homme est inaccessible au découragement. Mais qu’il tombe aisément, s’il ne sait point la préférer à tout le reste ! C’est un soldat mai armé, et que renverse du premier coup son adversaire. S’il avait d’autres armes, il repousserait tous les traits dirigés contre lui. Y a-t-il une arme plus forte que cette divine allégresse ? Non, l’homme qui la ressent, ne peut se laisser vaincre ; il supporte courageusement toutes les attaques de ses ennemis. Y a-t-il un supplice plus horrible que le feu ? Y a-t-il rien de plus cruel que de continuelles tortures ? On endurerait plus facilement la perte de ses biens, la mort de ses enfants. « Peau pour peau », dit l’Écriture, « et tout ce que possède un homme, il le donnerait pour racheter sa vie ». (Job 11,4) Non, il n’est rien de plus affreux que les tourments du corps ; et cependant ces supplices dont le nom seul fait horreur, deviennent, grâce à cette joie divine, faciles à supporter et vraiment dignes d’envie. Retirez du bûcher, ou du gril le martyr qui conserve encore un reste de vie, vous trouverez son âme toute remplie d’une ineffable allégresse. A quoi bon ces réflexions ? direz-vous, nous ne sommes plus au temps du martyre. Que dites-vous ? Nous ne sommes plus au temps du martyre !… Mais n’est-ce pas sans cesse le temps du martyre, n’est-il pas sans cesse devant nous, si nous savons être sages ? Pour être martyr, il n’est point nécessaire d’être mis en croix ; si cela était nécessaire, Job aurait-il obtenu de si nombreuses couronnes ? Fut-il traîné devant les tribunaux ? Entendit-il la voix des juges, vit-il les bourreaux, fut-il pendu à un gibet ? Et cependant il souffrit plus cruellement que bien des martyrs ; ces messagers qui se succédaient sans interruption lui faisaient de plus profondes blessures que les instruments de supplice les plus horribles. – C’étaient autant de traits qui s’enfonçaient dans son âme ; et ces vers qui le rongeaient de toutes parts le faisaient souffrir plus que n’eussent fait les bourreaux eux-mêmes. 5. N’est-ce pas là un véritable martyre, ou plutôt n’est-ce pas endurer mille fois le martyre ? Il soutint en effet mille combats divers, qui lui valurent autant de couronnes. Il perdit ses biens, il perdit ses enfants, il souffrit dans son corps ; amis, ennemis, épouse, tous s’acharnèrent contre lui ; ses serviteurs même lui crachèrent au visage. Joignez-y la faim, les rêves, la puanteur. N’ai-je pas eu raison de dire que Job avait souffert le martyre, non une fois ou deux, mais plutôt mille fois. Ce qui multiplie encore ses triomphes, c’est le temps que durèrent ses souffrances, et l’époque où il souffrit. C’était avant la promulgation de la loi, avant l’avènement de Jésus-Christ ; elles durèrent plusieurs mois, elles furent excessives et vinrent fondre sur lui toutes ensemble. Chacune semblait intolérable, même la perte de ses biens, qui cependant paraît plus facile à supporter que les autres malheurs. Combien n’en voit-on pas en effet qui se résignent aux blessures, et qui ne peuvent supporter la perte de leur fortune ? Pour en sauver une partie, ils consentent à être battus de verges et à souffrir les plus horribles traitements : rien ne leur semble plus pénible que de perdre ce qu’ils ont. C’est donc une sorte de martyre que de supporter généreusement la perte de ses richesses. Et comment, direz-vous ; comment avoir cette généreuse résignation ? – Sachez qu’un seul mot d’action de grâces nous profite plu ; que ne peut vous nuire la perte de tous vos biens. Quand nous apprenons ce malheur sans nous troubler, et que nous nous écrions : Dieu soit béni, nous retrouvons des trésors ; bien autrement précieux. Il y a moins d’avantage pour vous à verser toutes vos richesses ; dans le sein des pauvres, à les visiter, à le ; rechercher, qu’à dire cette unique parole. Oui, j’admire moins Job tenant sa maison ouverte aux indigents, que je ne l’admire, que je ne l’exalte en l’entendant rendre grâce ! après la perte de ses biens. Il agit encore de la sorte en apprenant la mort de ses enfants. Vous recevrez la même récompensa qu’Abraham, qui emmène son fils sur la montagne pour l’immoler, si, témoin de la mort de votre enfant, vous bénissez la bond du Seigneur. Auriez-vous en effet moins de mérite que le patriarche ? Lui, il ne vit point son fils étendu sans vie à ses pieds ; il ne fit que trembler pour les jours d’Isaac. Il s’apprêtait à le sacrifier, et en cela il l’emporte sui vous ; il tenait le glaive levé contre lui, en cela encore il vous est supérieur ; mais votre fils est mort, et en cela vous l’emportez ci votre tour sur Abraham. Ne trouvait-il pas d’ailleurs une bien grande consolation dans l’accomplissement de cette action héroïque, qui devait faire éclater toute la force de son âme ? Cette voix venue d’en haut ne redoublait-elle pas son ardeur ? Rien de semblable pour vous. Oui, il faut une âme d’airain pour supporter avec résignation et sans murmure la perte d’un fils unique, élevé au sein des richesses, qui donnait de si belles espérances, et que l’on voit désormais étendu dans un tombeau. Heureuxl ’homme qui, apaisant dans son cœur les flots irrités de la nature, peut s’écrier, sans verser de larmes : « Dieu me l’avait donné ; Dieu me l’a ôté ». Cette unique parole lui vaudra d’être placé auprès d’Abraham, de recevoir comme Job la couronne due au vainqueur. Qu’il comprime les sanglots des femmes, qu’il écarte les chœurs des pleureuses, qu’il excite tout le monde à célébrer les louanges de Dieu, il sera magnifiquement récompensé dès cette vie ; les hommes l’admireront, les anges applaudiront, Dieu le couronnera. 6. Mais, direz-vous, qui pourrait ne point verser de larmes ? Abraham et Job ne pleurèrent point, et cependant ils étaient hommes et ils vivaient avant la loi, avant la grâce, avant cette sublime philosophie donnée par Dieu au monde. D’ailleurs, celui qui vient de mourir, habite une région plus heureuse, il jouit d’un meilleur sort ; loin d’avoir perdu votre fils, vous l’avez mis en lieu sûr. Ne dites donc pas : J’ai cessé d’être père : Ce n’est plus sur la terre seulement que vous êtes appelé de ce nom, mais encore dans le ciel. Bien loin de l’avoir perdu, vous le possédez plus que jamais : Vous êtes père, non plus d’un fils sujet à la mort, mais d’un fils immortel, d’un généreux soldat qui ne doit plus quitter sa patrie. Il n’est plus à côté de vous ; mais gardez-vous de croire qu’il soit perdu pour vous. Supposez-le parti pour un voyage : il est absent de corps, il est vrai ; mais cela suffit-il pour que le nom de parent disparaisse ? Ne considérez donc point ce visage désormais sans vie ; vous ne feriez que rappeler votre chagrin ; mais faites en sorte d’élever votre âme jusqu’au ciel. Ce n’est point ce cadavre étendu par terre qui est votre fils ; mais il s’est envolé, pour ainsi dire, à des hauteurs intimes. A la vue de ces yeux fermés, de cette bouche muette, de ce corps sans mouvement, gardez-vous bien d’accueillir cette pensée ; cette bouche ne parle plus, ces yeux ne voient plus, ces pieds ne marchent plus ; tous ces organes sont la proie de la corruption. Dites au contraire : cette bouche parlera un plus digne langage, ces yeux contempleront de plus beaux spectacles, ces pieds s’élèveront au-dessus des nuées, et ce corps enfin, maintenant livré à la corruption, sera un jour revêtu d’immortalité, et je reverrai mon fils tout éclatant de lumière. Si ce que vos yeux aperçoivent vous cause de la tristesse, faites ces réflexions : C’était un vêtement qu’il a dépouillé pour en prendre un plus beau ; c’était une maison, que l’on a renversée, pour en construire une plus belle. . Quand nous devons nettoyer nos maisons, laissons-nous quelqu’un dans l’intérieur ? Non. – Mais nous faisons sortir tout le monde, pour que la poussière ne souille personne, pour que le bruit ne fatigue personne. Et quand nous avons mis toutes choses en ordre, nous permettons d’y rentrer. C’est aussi la conduite du Seigneur. Après avoir détruit cette tente où votre fils habitait, il l’introduit dans sa propre demeure, afin de relever ce qu’il vient d’abattre et d’y ajouter une nouvelle splendeur. Ne dites donc point : Il est perdu, il n’est plus. C’est le langage de ceux qui n’ont pas de foi ; dites plutôt : Il dort et il ressuscitera ; il est parti pour un voyage d’où il doit revenir avec son roi. Qui est-ce qui parle de la sorte ? Celui dans l’âme duquel parle Jésus-Christ lui-même. « Si en effet, dit l’apôtre, nous croyons que Jésus-Christ est mort, qu’il est ressuscité, qu’il est plein de vie ; de même aussi Dieu ramènera avec lui, par Jésus-Christ, ceux qui se sont endormis dans la mort ». (1Th 4,14) C’est pourquoi, si vous cherchez votre fils, cherchez-le dans le palais du roi, dans les rangs de l’armée céleste, non pas dans le tombeau, non pas dans la terre ; et tandis qu’il habite ces sublimes régions, ne restez point cloué à la terre. – Avec de telles réflexions, nous n’aurons pas de peine à bannir toute espèce de chagrins. Daigne le Dieu des miséricordes et le Père de toute consolation consoler tous les cœurs de ceux qui sont en proie à cette Tristesse ou qui endurent d’autres souffrances ! Daigne sa bonté nous délivrer de tout chagrin, nous faire goûter les délices spirituelles et nous accorder les éternelles richesses. Puissions-nous tous y parvenir par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, auquel avec le Père et le Saint-Esprit, appartiennent la gloire, la puissance, l’honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il. HOMÉLIE II.
SI NOUS SOMMES AFFLIGÉS, C’EST POUR VOTRE CONSOLATION ET VOTRE SALUT, QUI S’ACCOMPLIT DANS LA SOUFFRANCE DES MÈNES MAUX QUE NOUS SOUFFRONS. – ET NOUS AVONS UNE FERME ESPÉRANCE À VOTRE SUJET. (CHAP. 1,6, 7, JUSQU’À 11) Tome X p. 1-185 Analyse.
- 1 et 2. La souffrance est une épreuve. – Elle enseigne l’humilité.
- 3. Dieu console.
- 4. La prière obtient ces divines consolations.
- 5-7. Les fidèles doivent prier les uns pour les autres, et aussi pour les catéchumènes.
1. L’apôtre vient de proposer un premier motif de consolation, et c’est la ressemblance et l’union avec le Sauveur. Un second motif, c’est que le salut des disciples s’opère par ces souffrances. Ne vous laissez donc pas abattre, dit-il, ne vous troublez point, ne craignez rien, quand vous nous voyez dans l’affliction ; concevez au contraire de grands sentiments de confiance. Sans les tribulations que nous avons endurées, vous auriez été perdus. Comment cela ? Oui, si la mollesse, si la crainte, nous eussent empêché de vous annoncer l’Évangile, et de vous donner la véritable science, c’en était fait de vous. Voyez-vous quelle force et quelle hardiesse de langage ? Pour les consoler, il a recours à des expressions qui devraient, ce semble, porter le trouble dans leurs âmes. Plus la persécution redouble de violence contre nous, plus vous devez avoir d’espérance, parce que l’œuvre s’opère d’autant mieux, et que votre consolation s’en augmente. Quoi de plus consolant en effet que les biens sans nombre dont les enrichit la prédication de l’Évangile ? Ensuite pour ne pas s’attribuer à lui seul toute la gloire, voyez comme il sait la partager avec eux ! Il vient de dire : « Si nous sommes affligés, c’est pour votre consolation et votre salut » ; et il ajoute : « Il s’opère dans la souffrance des mêmes maux que nous souffrons ».
Il s’exprime ensuite plus clairement encore, en disant : « Comme vous partagez nos souffrances, vous partagerez aussi notre consolation ». Tout à l’heure, il se contentait de leur insinuer cette pensée, en disant, « les mêmes souffrances », et en leur appliquant ce mot aussi bien qu’à lui-même. Or voici le – eus de ses paroles : Ce n’est pas nous seulement qui nous occupons de votre salut, mais vous aussi. En, vous prêchant l’Évangile, nous souffrons l’affliction ; et vous qui écoutez nos enseignements, vous souffrez avec nous ; nous souffrons l’affliction pour vous transmettre ce que nous avons reçu, et vous, pour recueillir et conserver ce que l’on vous donne. Peut-il pousser plus loin l’humilité ? Ces chrétiens, qu’il laisse si loin derrière lui, il leur attribue une patience égale à la sienne. « Votre salut s’opère, dit-il, en endurant les mêmes souffrances que nous ». Ce n’est pas seulement votre foi qui vous sauvera, mais la patience avec laquelle vous supportez les mêmes souffrances que nous.
L’athlète excite l’admiration par la vigueur et les belles proportions de son corps, lors même qu’il se tient en repos ; mais s’il déploie sa force, s’il frappe son adversaire, nous l’admirons bien plus encore ; car alors nous avons la preuve de sa vigueur et de son habileté. Ainsi votre salut s’opère avec plus d’énergie, il se manifeste, il grandit, il s’étend par la patience et le courage au sein des afflictions. Ce n’est pas en maltraitant les autres, mais en supportant le mal qu’ils nous font, que s’opère notre salut. L’apôtre ne dit-il pas : « Qui opère (
ένεργούσης), mais : qui s’opère (
ένεργοομένης), pour montrer que la grâce de Dieu s’unissant à leur ardeur et opérant dans leurs âmes, leur procurait les plus grands avantages. « Nous avons pour vous une ferme espérance ». C’est-à-dire, quelles que soient vos souffrances, nous sommes sûr que les persécutions ne vous feront point chanceler. Bien loin de supposer que nos tribulations puissent vous jeter dans le trouble, nous nous persuadons que vous ne vous laisserez pas même abattre par vos propres malheurs. Voyez-vous quels fruits a portés chez eux la première épître du saint apôtre ! Il donne moins d’éloges aux Macédoniens, que parfois cependant il loue dans cette lettre. Il n’était pas sans crainte à leur sujet, et il leur disait : « Nous vous avons envoyé Timothée pour vous affermir et vous encourager dans votre foi, afin que personne ne se laisse ébranler par ces tribulations : « Vous savez que nous y sommes sans cesse exposés ». Et encore : « Plein d’inquiétude je me suis enquis de votre foi ; j’ai voulu savoir si le tentateur ne vous avait pas renversés, rendant ainsi notre travail inutile ». (
1Th 3,2, 5)
Ce n’est pas de la sorte qu’il parle des fidèles de Corinthe ; au contraire, « Nous avons pour vous une ferme espérance. Si nous sommes consolés, c’est pour votre consolation et votre salut ; sachant bien que partageant nos souffrances, vous partagerez aussi notre consolation ». C’est à cause d’eux en effet que l’on persécutait les apôtres, et c’est ce qu’il veut leur faire entendre par ces paroles. « Si nous souffrons, c’est pour votre consolation et votre salut ». Il veut leur montrer aussi que c’est à cause d’eux qu’ils sont consolés. Ne l’avait-il pas dit plus haut en termes plus obscurs : « Béni soit Dieu qui nous console dans toutes nos tribulations, afin que nous puissions à notre tour consoler ceux qui sont plongés dans l’affliction ». Il le redit maintenant avec plus de clarté, et ses paroles respirent la tendresse : « Si nous sommes consolés, c’est pour votre consolation ». Comme s’il disait : Notre consolation, c’est aussi la vôtre, et nous n’avons pas besoin de parler pour consoler vos cœurs. Il suffit que nous respirions pour que vous repreniez courage. Vous regardez nos malheurs comme étant les vôtres ; et nous ne pouvons être consolés, sans que vous le soyez aussi. Non, puisque vous partagez mes souffrances, vous devez partager ma joie et mon bonheur. Vous vous associez à tout ce qui me concerne, à mes douleurs et à mes consolations ; et dès lors je ne crains point que vous me reprochiez d’avoir tardé si longtemps : car c’est pour vous que nous sommes affligés, et c’est pour vous que nous sommes consolés. On eût pu se blesser de cette parole : C’est pour vous que nous souffrons ; aussi a-t-il soin d’ajouter : « C’est à cause de vous que nous sommes consolés ». Nous ne sommes pas seuls à courir des dangers, puisque vous vous associez vous-mêmes à nos souffrances.
2. En se les associant ainsi dans les dangers qu’il court, en trouvant en eux-mêmes la cause de ses propres consolations, il adoucit tout ce que ses paroles pouvaient offrir d’un peu dur. Si donc on nous dresse des embûches, rassurez-vous : C’est pour que votre foi se fortifie, que nous endurons tous ces maux. Si nous sommes consolés, vous pouvez vous en glorifier. C’est à cause de vous que nous goûtons ces consolations ; vous aussi vous serez consolés, puisque vous partagez notre joie. Entendez bien ici la nature de ces consolations : non seulement la conduite des Corinthiens le console ; mais il se réjouit de penser qu’ils sont désormais délivrés de toute espèce de trouble à son sujet. Voyez les paroles qui suivent où i1 leur dit ouvertement : « Nous savons que, partageant nos souffrances, vous partagerez aussi notre consolation ». Vous souffrez de nos persécutions, comme si vous les subissiez vous-mêmes ; nous ne pouvons en douter, les consolations que nous éprouvons, causent à vos cœurs autant de jouissances qu’aux nôtres. Où trouver plus d’humilité ? Cet homme, environné de tant de périls, veut bien associer à ses mérites ceux qui n’y ont aucune part ; quant aux consolations, c’est à cause d’eux qu’il les éprouve, et nullement en vue de ses travaux. Il parlait de ses souffrances en général ; maintenant il désigne le pays où il a souffert. « Nous ne voulons pas vous laisser ignorer, mes frères, les tribulations que nous avons souffertes en Asie (8) ». Si nous vous parlons de nos souffrances, c’est pour que vous n’ignoriez pas ce qui nous arrive. Tout ce qui nous concerne, nous voulons que vous le sachiez, nous nous empressons de vous le dire. Et c’est de la part de l’apôtre une grande preuve d’affection. Dans la première épître, il leur faisait pressentir ces tribulations en disant : « Évidemment une large porte s’ouvre devant moi, et j’ai de nombreux adversaires dans Éphèse ». (
1Co 16,9) Maintenant donc il leur rappelle et leur expose ce qu’il vient d’endurer. « Je ne veux pas que vous ignoriez les maux que j’ai soufferts en Asie ». Il agit de même dans son épître aux Éphésiens. S’il leur envoie Tychique, c’est pour les informer de sa situation. « Je veux que vous sachiez tout ce qui m’arrive, tout a ce que je fais : Tychique vous le dira, Tychique notre frère bien-aimé et notre fidèle ministre dans le Seigneur ; je vous l’envoie exprès, pour que vous sachiez ce qui nous concerne, et aussi pour qu’il répande la consolation dans vos cœurs ». (
Eph 6,21-22) Nous remarquons la même chose dans ses autres épîtres. Il n’y a rien là d’inutile : tout cela au contraire est nécessaire. N’est-ce pas une conséquence du grand amour de l’apôtre pour ses disciples ? Ne fallait-il pas, au milieu de ces continuelles épreuves, trouver quelque consolation dans ces renseignements mutuels ? S’ils étaient tristes et affligeants, on se préparait à souffrir, on se tenait sur ses gardes ; s’ils étaient bons et joyeux, on ressentait une commune joie. Au reste en ce passage il mentionne en même temps et le commencement et la fin de l’épreuve. « Nous avons été accablés outre mesure et au-dessus de nos forces ». Ne dirait-on pas un navire qu’une charge trop pesante a submergé ? Ces paroles : « Outre mesure et au-dessus de nos forces » semblent offrir le même sens. Il n’en est rien cependant. On eût pu dire : « L’épreuve était excessive, il est vrai, mais non point trop forte pour vous ». Et c’est pourquoi l’apôtre ajoute : L’épreuve était grande et au-dessus de nos forces ; et tellement au-dessus de nos forces que la vie nous était à charge, c’est-à-dire, que nous désespérions de vivre plus longtemps. Ce que David appelle « les portes de l’enfer et les douleurs de l’enfantement », c’est ce que Paul veut faire entendre à son tour, quand il dit : Le danger que nous avons couru devait amener la mort.
« Et nous avons eu au dedans de nous-mêmes une réponse de mort, afin que nous ne mettions pas notre confiance dans nos forces, mais en Dieu qui ressuscite les morts (9) ». Qu’est-ce à dire : « Nous avons eu une réponse de mort ? » C’est-à-dire une sentence, un jugement, l’attente de la mort. C’était là comme le cri, comme la réponse de ce qui nous arrivait : tout cela nous disait que nous devions mourir. Cependant la menace ne s’accomplit pas : notre attente ne se réalisa point. L’épreuve, par sa nature même rendait une sentence de mort ; mais la puissance divine ne voulut pas qu’elle eût son effet ; elle permit seulement que nous nous attendissions à mourir. Et c’est pourquoi l’apôtre dit : « Nous avons eu au dedans de nous-mêmes une réponse de mort », au dedans de nous-mêmes, et non pas dans la réalité. Pourquoi Dieu a-t-il permis une épreuve qui nous avait enlevé jusqu’à l’espérance, et abattu tout notre courage. « C’est, dit-il, afin que nous ne mettions pas notre confiance en nous-mêmes, mais en Dieu ».
3. Saint Paul tenait ce langage, non pas qu’il fût dans cette disposition : (loin de nous une telle pensée), mais tout en parlant de lui-même, il voulait instruire les autres ; c’était encore son humilité qui lui inspirait ce langage. Car plus loin, il dit : « J’ai senti l’aiguillon de la chair » (
2Co 12,7), c’est-à-dire, les tentations, et cela, « de peur que je ne fusse enflé d’orgueil ». Dieu toutefois lui en donne une autre raison ; et laquelle ? C’est qu’il veut faire éclater sa puissance : « Ma grâce te suffit », lui dit-il ; « car ma puissance se montre tout entière dans la faiblesse ». Mais, comme je le disais, ce que Paul ne perd jamais de vue, c’est sa faiblesse : toujours il se range parmi ceux qui bien inférieurs à lui-même ont besoin de s’instruire et de se corriger. Ne suffit-il pas d’une ou deux épreuves pour ramener l’homme le plus vulgaire à de meilleurs sentiments ? Comment donc cet apôtre, qui toute sa vie s’est montré le plus humble des hommes, qui a enduré toutes les souffrances, qui fait preuve depuis tant d’années d’une sagesse toute céleste, aurait-il besoin de cet avertissement ? Rien de plus évident ; c’est par modestie, c’est pour reprendre ceux qui entretiennent des sentiments d’orgueil et de vaine gloire qu’il emploie ces paroles : « Afin que nous ne mettions pas notre confiance en nous-mêmes, mais en Dieu ».
Et voyez avec quelle douceur il les traite avec quels ménagements ? C’est à cause de vous, dit-il, que Dieu a permis que nous fussions éprouvés : tant votre âme a de prix aux yeux du Seigneur : « Si nous sommes dans la tribulation, c’est pour votre consolation et votre salut ». Mais l’excès même de cette tribulation, Dieu le permet pour prévenir en nous tout sentiment d’orgueil. « Nous avons été accablés au-delà de toute mesure et au-dessus de nos forces, pour que nous ne mettions pas en nous-mêmes notre confiance, mais en Dieu seul ». Il leur remet en mémoire cette doctrine de la Résurrection, qu’il développe si longuement dans la première épître, et qu’établit si bien la situation actuelle de l’apôtre. Il ajoute donc : « Qui nous a délivré si souvent de la mort (10) ». Il ne dit pas : De tant de périls. Non : car il veut montrer l’excès de ses souffrances, et confirmer ce qu’il a dit de la résurrection. La résurrection des morts appartient à l’avenir, et c’est pourquoi l’apôtre fait voir que tous les jours Dieu ressuscite des morts. Cet homme qui avait perdu tout espoir, qui était descendu jusqu’aux portes de la mort, Dieu, qui le rappelle à la vie, qui le retire de l’abîme où il est tombé, ne donne-t-il point par là comme un exemple de la résurrection future ? Lorsque ces malades dont on désespère échappent à une maladie dangereuse, ou à d’intolérables souffrances, ne disons-nous pas : c’est une véritable résurrection.
« Nous espérons qu’il nous en délivrera encore, avec le secours des prières que vous a faites pour nous : afin que la grâce que nous avons reçue en considération de plusieurs, soit aussi reconnue par les actions de grâces que plusieurs en rendront pour nous (11) ». Il vient de dire : « Afin que nous ne mettions pas en nous-mêmes notre confiance » ; et ces paroles semblent renfermer un reproche général dont quelques-uns pouvaient se blesser. Mais qui pourrait se plaindre, maintenant qu’il implore le secours de leurs prières, et qu’il leur rappelle que toute notre vie doit se passer dans les soucis et l’inquiétude ? Leur dire en effet : « Nous espérons qu’il nous en délivrera encore », n’est-ce pas leur annoncer comme une armée de tentations, et du même coup l’assistance et le secours dans le combat ?
Que néanmoins la vue de ces dangers ne les consterne point ; ils offrent de grands avantages, et ces avantages il les énumère dans ces paroles : « Afin que nous ne mettions pas en nous-mêmes notre confiance » ; c’est-à-dire, afin que Dieu nous maintienne dans une continuelle humilité, et que leur salut s’accomplisse. Autres avantages : l’épreuve met en communion avec Jésus-Christ. « Car », dit-il, « les souffrances de Jésus-Christ abondent en nous-mêmes » ; c’est pour les fidèles que l’apôtre souffre : « Si nous sommes dans la tribulation, c’est pour votre consolation et pour votre salut ». Ce même salut resplendit d’un plus grand éclat, car : « Il s’opère par les mêmes afflictions supportées avec patience ». De plus, la tribulation fortifie ; et surtout fait briller aux regards la radieuse espérance de la résurrection : « Il nous a tant de fois sauvés de la mort » ; la souffrance rend vigilant, et force l’homme à lever sans cesse les yeux vers le Seigneur : « Nous espérons qu’il nous délivrera » ; dernier avantage enfin, la souffrance ne permet pas de se détacher de la prière « Avec le secours des prières que vous faites pour nous ». Après leur avoir ainsi montré les avantages de la tribulation, après leur avoir inspiré une salutaire inquiétude, il ranime leur zèle et les excite à la vertu, par ce témoignage qu’il rend de l’efficacité de leurs prières : « Avec le secours des prières que vous faites pour nous, dit-il ». Quel est le sens des paroles qui suivent ? « Afin que la grâce que nous avons reçue en considération de plusieurs, soit aussi reconnue par les actions de grâces que plusieurs en rendront pour nous ». Il nous a maintes fois sauvés de la mort, avec le secours de vos prières ; c’est-à-dire, vous l’avez tous prié pour nous. Ce salut, qu’il vient de nous accorder, c’est un bienfait que vous partagez avec nous ; et ainsi vous devez joindre vos actions de grâces aux nôtres, puisque avec nous vous avez éprouvé la miséricorde de notre Dieu.
4. Il les exhortait par là à prier les uns pour les autres, et les habituait aussi à remercier le Seigneur, à l’occasion de ce qui arrive au prochain, leur faisant entendre que rien ne pouvait lui être plus agréable. En effet, s’ils le font déjà pour le prochain, ils ne manqueront pas dans l’occasion de le faire pour eux-mêmes. De plus, il les forme à l’humilité et les pousse à s’enflammer d’une charité plus ardente. Ne leur dit-il pas, lui, ce grand apôtre, ne leur dit-il pas qu’il doit son salut à leurs prières, qu’elles lui ont valu le secours du ciel ? Quelle ne doit donc pas être l’humilité des simples fidèles ! N’oubliez pas non plus, quelle est l’efficacité de la prière. Sans doute Dieu se montre miséricordieux envers nous, et c’est à la divine miséricorde que Paul au commencement de cette épître attribue son salut : « Le Dieu des miséricordes », dit-il, « nous a délivrés ». Mais ici il proclame l’efficacité de la prière. L’homme qui devait dix mille talents vint se jeter aux pieds de son maître, et le maître eut pitié de lui : « Ému de pitié, il lui remit sa dette », dit l’Écriture ; ce fut à force d’instances, à force de persévérance, que la Chananéenne finit aussi par obtenir la guérison de sa fille : toutefois ce fut un effet de la miséricorde du Sauveur.
Ainsi donc, bien que Dieu manifeste envers nous sa miséricorde, nous devons recourir à la prière, si nous voulons nous en rendre dignes. Sans doute le secours de Dieu nous vient de sa miséricorde, mais il faut que Dieu nous en trouve dignes. On ne l’obtient pas sans motif, et tout en demeurant dans l’inaction : « J’aurai pitié », dit-il, « de celui dont j’aurai pitié ; et celui dont j’aurai pitié, éprouvera l’effet de ma miséricorde ». (
Exo 33,19) Voyez aussi ce que dit l’apôtre : « Avec le secours de vos prières ». Ce n’est pas uniquement à leurs prières qu’il attribue son salut, de peur d’enfler leurs âmes ; il leur attribue néanmoins une part dans les secours qu’il a reçus d’en haut, pour accroître leur ardeur et resserrer les liens de la charité fraternelle. C’est pourquoi il leur disait encore : « Il vous a accordé ma délivrance ». Dieu semble comme avoir honte de résister à une multitude qui n’a qu’un cœur et qu’une voix pour le prier. Aussi disait-il à son prophète : « Quoi ! ne pardonnerai-je pas à cette cité dans laquelle habitent plus de cent vingt mille hommes ». (
Jon 4,11)
N’allez pas croire pourtant que le grand nombre suffise pour émouvoir la bonté de Dieu : car le Seigneur dit aussi : « Israël fût-il aussi nombreux que les grains de sable de la mer, il n’y aura de sauvé que les restes de ce peuple ». (
Isa 10,22) Comment se fait-il donc qu’il ait sauvé les Ninivites ? C’est que non seulement ils étaient nombreux, mais ils firent éclater leur vertu, ils firent tous pénitence, et renoncèrent à leurs désordres. En les sauvant le Seigneur disait : « Ils ne savent pas distinguer leur droite de leur gauche ». N’est-il pas évident qu’ils avaient péché plus par ignorance que par malice ? Ne voyons-nous pas d’ailleurs qu’il suffit de quelques paroles pour les convertir ? Si la seule vue des cent vingt mille habitants de Ninive eût pu déterminer le Seigneur, pourquoi dès le principe ne leur eût-il point pardonné ? Pourquoi, demanderez-vous, ne disait-il pas au prophète : Ne pardonnerai-je pas à cette cité maintenant convertie, mais bien : « A cette cité qui renferme tant de milliers d’hommes ? » C’était afin de ne rien omettre : la conversion était en effet manifeste ; mais le prophète ne savait ni le nombre des Ninivites, ni leur ignorance. Dieu veut donc mettre tout en œuvre pour leur faire miséricorde : le nombre n’est pas inutile, quant au nombre se joint la vertu.
C’est encore ce que nous dit l’Écriture dans ce passage : « Sans cesse l’Église priait Dieu pour l’apôtre ». (
Act 12,15) Et voyez la puissance de ces prières ! Les portes de la prison étaient fermées, l’apôtre, chargé de chaînes et entouré de gardiens qui dormaient à ses côtés ; les prières des fidèles le délivrèrent et renversèrent tous les obstacles. – Le nombre, disions-nous, n’est pas inutile, si au nombre se joint la vertu ; mais il n’offre aucun avantage, si le vice y domine. Les Israélites, en effet, aussi nombreux, dit l’Écriture, que les grains de sable de la mer, périrent tous. Et au temps de Noé, les hommes n’étaient-ils pas innombrables ? Quel avantage retirèrent-ils de leur grand nombre ? C’est que le nombre seul ne peut rien : il n’est qu’un accessoire. Empressons-nous donc d’unir nos prières, prions les uns pour les autres, comme les premiers chrétiens priaient pour les apôtres. Ainsi nous accompli : sons le précepte du Seigneur, ainsi nous fortifions en nous la charité ; et ce mot de charité ne comprend-il pas tous les biens ? Montrons aussi plus d’empressement à rendre grâces. Si l’on remercie Dieu pour les dons faits au prochain, à plus forte raison le remerciera-t-on pour les bienfaits qu’on a reçus soi-même. David nous en a donné l’exemple : « Louez le Seigneur avec moi, et ensemble célébrons la sainteté de son nom ». (
Psa 34,4) C’est ce que réclame sans cesse l’apôtre. Suivons ce conseil, publions partout les bienfaits de Dieu, pour associer tous nos frères aux actions de grâces que nous lui rendons. Quand nous publions les bienfaits que nous avons reçus des hommes, n’augmentons-nous pas leur bienveillance à notre égard ? Publions les bienfaits de Dieu, et nous nous ménagerons de sa part une plus grande bienveillance. Et si après avoir obtenu des hommes quelques faveurs, nous invitons les autres à joindre leurs remerciements aux nôtres, ne devons-nous pas, à plus forte raison, presser nos frères de s’unir à nous pour remercier le Seigneur ? Paul le faisait, lui s’approchait de Dieu avec tant de confiance ; à plus forte raison, sommes-nous obligés de le faire nous-mêmes.
5. Prions les saints, conjurons-les de remercier Dieu pour nous, et remercions-le aussi les uns pour les autres. C’est surtout le devoir des prêtres : il n’est pas une fonction plus élevée que celle-là. Quand nous montons à l’autel, nous commençons par rendre grâces au Seigneur au nom du monde tout entier pour les bienfaits communs que tous ont reçus de sa munificence. Sans doute tous ensemble jouissent de ces bienfaits ; mais n’en avez-vous point votre part ? Donc pour cette part qui vous est faite, vous devez vous associer aux communes actions de grâces ; et il est juste aussi qu’en votre particulier, vous remerciiez Dieu de ce qu’il étend ses bienfaits à tous les hommes. Ce n’est pas seulement pour vous qu’il a allumé le soleil dans le firmament, mais pour tous en général ; toutefois vous en jouissez aussi complètement que s’il eût été créé pour vous seul. C’est pour l’utilité de tous que Dieu l’a fait si grand ; et vous le voyez à vous seul aussi grand que tous les mortels ensemble. D’où il suit que votre reconnaissance doit égaler la commune reconnaissance du genre humain tout entier. Oui, vous devez remercier Dieu de ces bienfaits communs à tous les hommes, vous devez le remercier pour la vertu des autres. D’ailleurs ces bienfaits que Dieu nous accorde, ne tournent-ils pas aussi à l’avantage de nos frères ? S’il y avait eu seulement dix justes dans Sodome, Sodome eût obtenu son pardon. Remercions Dieu des mérites de nos frères c’est une antique loi, qui a pris racine dans l’Église. Saint Paul ne rend-il pas grâces pour les Romains, pour les Corinthiens, pour l’univers entier ? Ne dites pas : Cette belle action n’est pas mon fait. Mais son auteur n’est-il pas comme vous un membre de l’Église, et n’est-ce pas assez pour que vous exprimiez à Dieu votre reconnaissance ? Cette belle conduite, vous vous l’appropriez par vos actions de grâces, vous vous ménagez les faveurs du ciel, et vous acquérez des droits à la récompense.
Aussi les lois de l’Église prescrivent-elles de prier de la sorte non seulement pour les fidèles, mais aussi pour les catéchumènes. L’Église, en effet, ne commande-t-elle pas aux fidèles de prier pour ceux qui ne sont pas encore initiés aux saints mystères ? Quand le diacre dit : « Prions avec ferveur pour les catéchumènes », ne se propose-t-il pas d’exciter la multitude des fidèles à prier pour eux ? Cependant les catéchumènes ne font pas encore partie de l’Église ; ils ne sont pas encore membres de Jésus-Christ ; ils ne participent pas aux saints mystères, ils sont encore séparés du troupeau spirituel. Si donc il faut prier pour les catéchumènes, à plus forte raison faut-il prier pour ceux qui sont avec nous les membres d’un même corps. Le diacre dit : « Prions avec ferveur », pour que vous ne les rejetiez pas comme des étrangers, pour que vous ne les laissiez pas à l’écart, comme des inconnus. Eux, ils n’ont pas encore cette prière enseignée par Jésus-Christ et que la loi chrétienne nous impose : ils ne peuvent encore s’approcher de Dieu avec une filiale confiance, et ils ont besoin d’être aidés par ceux qui ont reçu le baptême. Ils se tiennent hors des demeures royales, loin de l’enceinte sacrée. Aussi les éloigne-t-on ; quand arrive le moment des redoutables prières. Le diacre vous exhorte donc à prier pour eux, afin qu’ils deviennent vos membres, et cessent d’être des étrangers et des profanes. Cette parole : « prions » s’adresse au peuple aussi bien qu’aux prêtres. Quand il dit : « Ayons une attitude respectueuse et prions », il vous invite tous à la prière. Puis il commence en ces termes : « Afin que le Dieu clément et tout miséricordieux exauce leurs demandes ». Ne dites pas : « A quoi sert-il de prier pour eux ? » Ce sont des étrangers, ils ne font point partie de notre communion : : comment obtenir pour eux les grâces du Seigneur ? Comment leur obtenir miséricorde et pardon ? Non, loin de vous une pareille hésitation : qu’elle cède devant ces paroles : « Afin que le Dieu clément et tout miséricordieux », entendez-vous ? « Le Dieu tout miséricordieux ». Donc n’hésitez plus : le Dieu tout miséricordieux étend sa miséricorde à tous les hommes, aux pécheurs comme à ses amis. Ne dites donc plus : Comment prierai-je pour eux ? Dieu exaucera les prières faites pour eux. Et que peuvent demander les catéchumènes, sinon de ne pas rester catéchumènes.
Ensuite le diacre explique le sens de la prière ; et quel est-il ? « Afin, ajoute le diacre, qu’il ouvre les oreilles de leur cœur » ; – car elles sont encore fermées et obstruées ; non pas certes les oreilles du corps, mais celles de l’âme. – « Afin qu’ils apprennent ce que l’œil n’a point vu, ce que l’oreille n’a point entendu, ce que le, cœur de l’homme n’a point senti ». Ils ne savent rien encore des sacrés mystères ; mais ils se tiennent à l’écart pendant qu’on les célèbre ; entendraient-ils, qu’ils ne comprendraient point ce qui se dit : il ne suffit pas en effet de les entendre, il faut en avoir l’intelligence, et les oreilles de leurs cœurs sont encore fermées. Aussi le diacre, demande-t-il pour eux le don de prophétie. Voici en effet ce que disait le prophète : « Dieu enseigne à ma langue le moment où elle doit parler : c’est lui qui m’ouvre la bouche ; dès le matin il m’a fait cette grâce, et il m’a donné une oreille qui entend bien ». (
Isa 50,4-5) De même que les prophètes entendaient autrement que les autres ; de même les fidèles entendent autrement que les catéchumènes. Aussi enseignons-nous au catéchumène que ce n’est point des hommes que lui vient la science et l’intelligence : « N’appelez personne maître sur la terre », mais d’en haut, mais du ciel ; « tous », dit l’Écriture, « seront instruits par Dieu lui-même ». (
Mat 23,8 ;
Isa 54,13) Et le diacre ajoute : « Afin qu’il fasse résonner en eux la parole de vérité ». C’est d’une voix intérieure que leur vient l’enseignement. Car cette parole de vérité, ils ne la connaissent point encore comme il faut. « Afin qu’il répande sa crainte, comme une semence, dans leurs âmes ». Mais cela ne suffit pas, car la semence peut tomber sur le chemin ou sur la pierre.
6. Ce n’est certes point là seulement ce que nous demandons. Mais, de même qu’une terre fertile est renouvelée par les profonds sillons qu’y creuse la charrue, de même leurs âmes doivent être renouvelées pour recueillir la semence et retenir fidèlement tout ce qu’ils entendront : telle est le sens de notre prière. Écoutez ce qui suit : « Afin qu’il affermisse la foi dans leurs cœurs » ; c’est-à-dire, afin qu’elle ne reste pas 'à la surface, mais qu’elle y jette de profondes racines. « Afin qu’il leur révèle l’Évangile de la justice ». Cet Évangile, un double voile leur en dérobe la vue ; d’abord les veux de leurs âmes sont fermés ; ensuite l’Évangile est comme caché pour eux. C’est pourquoi le diacre disait tout à l’heure : « Afin qu’il ouvre les oreilles de leurs cœurs ». Et maintenant il ajoute : « Afin qu’il leur révèle l’Évangile de la justice », c’est-à-dire, afin qu’il leur donne la sagesse et les dispose à recevoir la grâce ; afin qu’il les instruise et jette dans leurs cœurs la bonne semence. A quoi leur servira-t-il d’être préparés, si Dieu ne leur en communique la science ; et à quoi leur servira cet enseignement, s’ils ne veulent pas le recevoir ? Aussi demandons-nous au Seigneur d’ouvrir leurs âmes et de leur apprendre l’Évangile. Qu’un ornement royal soit recouvert d’un voile, en vain regarderez-vous ; vos yeux ne l’apercevront pas ; qu’on soulève le voile, vous ne l’apercevrez pas davantage, si vous ne tournez vos regards de ce côté. Or, que nos catéchumènes le veuillent, et le voile sera levé et leurs yeux seront ouverts.
Que signifient ces paroles : « l’Évangile de la justice ? » C’est comme si l’on disait « l’Évangile qui justifie ». Elles ont pour effet d’exciter en eux le désir du baptême, en leur montrant que non seulement l’Évangile remet les péchés, mais qu’il donne aussi la justice. « Afin qu’il, leur donne une âme toute divine, « de sages pensées, et une vie vertueuse ». Entendez, fidèles, vous qui vous livrez tout entiers aux affaires de ce monde. Si l’Église nous prescrit de prier ainsi pour ceux qui n’ont pas encore reçu le baptême, dites-moi comment doivent se conduire ceux qui sollicitent ces grâces pour les autres ? Ne devons-nous pas rendre notre vie conforme à l’Évangile ? Aussi, dans cette prière pour les catéchumènes, passons-nous de l’enseignement à la pratique. Après avoir dit : « Afin qu’il leur révèle l’Évangile de la justice », le diacre ajoute aussitôt : « Afin, qu’il leur donne une âme toute divine ». Qu’est-ce à dire : « toute divine ? » c’est-à-dire : « Afin que Dieu habite dans leurs âmes ». – « Car », dit le Seigneur, « j’habiterai au dedans d’eux, et j’y marcherai ». (
Lev 26,12) L’âme, une fois douée de justice, et dépouillée de ses péchés, devient la maison de Dieu ; en elle plus rien d’humain, dès qu’il y a fixé son séjour. C’est ainsi que l’âme est comme divinisée ; tout ce qu’elle dit lui est pour ainsi dire inspiré par le Seigneur, qui l’a choisie pour en faire sa demeure.
Donc il n’a pas une âme divine, celui qui tient de mauvais discours ; il n’est pas sage, celui qui met son bonheur dans d’indécentes bouffonneries. Qu’est-ce donc que posséder la sagesse ? C’est avoir l’âme saine. L’esclave des mauvaises passions, celui qui soupire après les biens de cette vie, n’est point sage ; son âme est malade. L’homme dont le corps est malade ne recherche-t-il pas ce qui ne peut lui convenir ? C’est ce que fait aussi l’âme dont je parle. « Une vie toujours vertueuse ». La doctrine appelle l’action. Écoutez, vous qui, pour recevoir le baptême, attendez que vous soyez mourants. Nous demandons que vous fassiez le bien après votre baptême ? Et vous, au contraire, vous voulez absolument sortir de ce monde sans avoir fait aucune action chrétienne. Il ne suffit pas d’être juste seulement par la foi. Nous demandons que vous le soyez aussi par vos bonnes œuvres. « Pour songer sans cesse aux choses de Dieu, pour les rechercher sans cesse, pour les mettre sans cesse eu pratique », ce n’est pas en effet pour un jour ou deux seulement, mais pour toute la durée de la vie que nous demandons cette sagesse et cette vertu, et ce qui est la source de tout bien, les bons désirs. « La plupart, en effet, recherchent ce qui leur convient, et non pas ce qui appartient à Jésus-Christ. » Et comment former ces bons désirs ? Il faut joindre à la prière la bonne volonté. « Si jour et nuit nous étudions sa Loi ». Aussi le diacre demande-t-il ensuite que les catéchumènes « s’appliquent jour et nuit à la Loi du Seigneur ». Il disait plus haut « sans cesse », il dit maintenant « jour et nuit » ; c’est le même sens. C’est pourquoi je m’afflige à la pensée que certains chrétiens se montrent à peine une fois l’an dans l’Église. Comment les excuser ? On leur fait une loi d’étudier, ce n’est pas assez dire, de méditer jour et nuit la Loi de Dieu ; et ils refusent d’employer même une faible partie de leur vie à se souvenir de ses préceptes et à garder ses justices !
7. Comme toutes ces demandes se suivent bien, s’enchaînent bien les unes avec les autres ! Pas de chaîne d’or plus solide et plus belle. On demande d’abord une âme toute divine, et on dit ensuite ce qu’il faut pour l’obtenir. Que devons-nous donc taire ? Il faut sans cesse s’appliquer aux choses de Dieu. Et comment y arriver ? En méditant sans cesse sa loi sainte. Comment y amener les hommes ? En leur persuadant d’observer les commandements ; ou plutôt c’est la méditation de la Loi divine qui engendre l’observation des commandements ; comme aussi le zèle des choses de Dieu, la sanctification de l’âme, font qu’on s’y applique. En effet, chacune des choses dont nous venons de parler en produit une autre, qui, à son tour, reproduit la première ; et elles sont comme renfermées l’une dans l’autre. « Prions encore pour eux avec plus de ferveur ». D’ordinaire un long discours fatigue l’âme et l’endort. Ces paroles sont dites pour la réveiller. C’est qu’il faut demander de grandes faveurs, des grâces signalées ; et c’est pourquoi il est dit : « Prions pour eux avec plus de ferveur ». Que va-t-il donc solliciter ? « Que le Seigneur les délivre de tout mal et de toute action funeste ».
Ici nous demandons qu’ils n’entrent point en tentation et que Dieu préserve du danger leurs corps aussi bien que leurs âmes. Et c’est pourquoi le diacre ajoute : « Que Dieu les préserve de toute action diabolique, et de toutes les embûches de l’ennemi ». Paroles qui indiquent clairement les tentations et les péchés. Car le péché assiège l’homme, il l’entoure de tous côtés, par-devant, par-derrière, et cherche à le renverser. Après nous avoir mis sous les yeux nos obligations, après nous avoir rappelé que nous devons étudier la Loi de Dieu, nous souvenir de ses préceptes et observer ses justices, on nous avertit que tout cela est insuffisant, si Dieu ne nous vient en aide. « En effet, si le Seigneur ne construit la maison, en vain travaillent ceux qui veulent la construire ». (
Psa 127,1) Et si le secours d’en haut est nécessaire, n’est-ce pas surtout à ceux qui sont encore soumis à l’empire du démon ? Vous le savez, vous tous qui avez été baptisés. Rappelez a votre mémoire ces paroles que vous, prononçâtes en renonçant à le servir, à genoux devant celui que vous preniez pour votre roi : paroles redoutables qui nous disent assez que nous ne devons plus obéir au démon en quoi que ce soit.
Le démon, le diacre l’appelle un adversaire : car il ne cesse de calomnier Dieu auprès des hommes, et les hommes auprès de Dieu. Autrefois ne calomniait-il pas Job auprès du Seigneur, quand il disait : « Job n’a-t-il pas intérêt à servir Dieu ? » (
Job 1,9-16) Ne calomnie-t-il pas Dieu auprès de Job, quand il lui dit : « Le feu est descendu du ciel ? » N’en agit-il pas de même auprès d’Adam et d’Eve, en lui affirmant que leurs yeux seront ouverts ? Et quand il dit aux hommes : « Dieu ne s’occupe point de ce monde visible ; c’est aux démons qu’il abandonne le soin de vos affaires » ; n’est-ce pas encore là calomnier le Seigneur ? Que de Juifs prêtèrent l’oreille à ses calomnies contre le Christ, qu’il appelait imposteur et magicien ! Maintenant voulez-vous savoir comment il s’y prend ? S’il rencontre une âme que n’inspire point la divine sagesse, qui met en oubli les commandements de Dieu, qui n’observe point ses justices, il s’en empare et l’entraîne à sa suite. Si Adam s’était rappelé l’ordre de son Dieu : « Mange des fruits de tous les arbres, etc. » ; s’il eût tenu compte de cette menace : « Du jour où vous en mangerez, vous mourrez de mort » (
Gen 2,17), eût-il subi la peine qu’il a subie ?
« Que Dieu leur accorde au temps favorable le bain de la régénération et la rémission de leurs péchés ». Nos demandes se rapportent, les unes au présent, les autres, à l’avenir. Nous exprimons les effets du baptême, et leur apprenons tout ce qu’il a de salutaire. Nous les habituons, à regarder le baptême comme une seconde naissance, à comprendre que ces eaux sacrées nous donnent la vie surnaturelle, comme nos mères nous ont donné la vie temporelle. Nous ne voulons pas qu’ils disent avec Nicodème « Comment un homme déjà vieux peut-il naître ? Peut-il entrer dans le sein de sa mère, et naître une seconde fois ? » (
Jn 3,4) Cette rémission des péchés dont il vient de parler, il y revient encore : « Qu’il leur accorde le vêtement de l’immortalité ». Le baptisé est élevé à la dignité de Fils de Dieu ; désormais il est donc immortel. Que signifient ces mots : « En temps favorable » ? Recevoir le baptême en temps opportun, c’est le recevoir dans de bonnes dispositions, avec une âme remplie d’ardeur et de foi : voilà le temps véritablement opportun.
« Qu’il bénisse leur entrée et leur sortie, qu’il bénisse leur vie tout entière ». Ici on nous prescrit de demander pour eux des bénédictions temporelles ; et cela, parce qu’ils sont encore trop faibles. « Qu’il bénisse leurs maisons et leurs familles ». C’est-à-dire, leurs serviteurs, ou leurs proches, ou leurs amis. Telles étaient les récompenses de l’ancienne Loi ; et rien alors n’était pénible comme le veuvage, la stérilité, une mort prématurée, la famine, les revers. Le diacre leur permet donc de se complaire encore dans ces demandes des biens temporels, et peu à peu il les fait monter plus haut. N’est-ce pas aussi ce que fait Jésus-Christ, ce que fait saint Paul ? Ne rappellent-ils pas eux-mêmes les antiques bénédictions ? Jésus-Christ dans ces paroles : « Bienheureux ceux qui sont doux ! car ils posséderont la terre ». Et saint Paul, quand il dit : « Honore ton père et ta mère, afin que tu vives longtemps sur la terre ».
8. « Qu’il bénisse leurs enfants, qu’il les conduise à la perfection de l’âge et les forme à la sagesse ». Ici encore il sollicite pour eux des bienfaits temporels et spirituels. Mais ensuite il n’a plus en vue que les dons spirituels. « Qu’il dirige toutes leurs entreprises selon leur utilité » ; non pas seulement leurs entreprises, mais selon leur avantage. Souvent en effet on se propose un voyage, mais ce voyage n’est pas utile ; on se – propose autre chose qui n’offre elle-même aucune utilité. Ainsi nos catéchumènes peuvent apprendre qu’en toute circonstance il faut louer Dieu, qui ne perd jamais de vue notre intérêt. Cette prière achevée, le diacre leur ordonne de se lever. Jusque-là ils étaient prosternés ; maintenant qu’ils ont prié et que la confiance remplit leurs âmes, on les invite à se lever et à prier Dieu par eux-mêmes. Nous prions d’abord nous-mêmes ; nous leur ouvrons, pour ainsi dire, les portes de la prière, et ensuite nous leur abandonnons le soin de prier à leur tour. Ce sont, pour ainsi dire, des enfants que nous instruisons, et qui doivent ensuite prendre eux-mêmes la parole. Nous leur disons donc : « Demandez l’ange de la paix, ô catéchumènes ! » N’y a-t-il pas en effet l’ange du tourment, comme il est dit dans le psaume : « Les troubles suscités par les mauvais anges ? » Il y a un ange exterminateur. Aussi leur enjoignons-nous de demander l’ange de la paix, et leur apprenons-nous ainsi à demander le bien qui résume tous les autres, cette paix qui les préserve de tout combat, de toute guerre, de toute dissension.
« Ne vous proposez rien que de pacifique ». – Ayez la paix, et tout fardeau, même le plus lourd ; vous devient léger. Et c’est pourquoi le Christ disait : « Je vous donne ma paix ». Le démon n’a point d’arme plus puissante et plus terrible que la lutte, la guerre, les dissensions. « Demandez la paix pour cette journée, et pour tous les jours de votre vie ». Voyez-vous comme il leur enjoint encore de pratiquer la vertu toute leur vie ? « Demandez, que votre fin soit chrétienne ; demandez en un mot tout ce qui est bien, tout ce qui est utile ». Ce qui n’est pas honnête, en effet, ne saurait être utile. Nous avons de l’utile une toute autre opinion que le vulgaire. « Recommandez-vous au Dieu vivant et à son Christ ». Nous ne les exhortons pas encore à prier pour le prochain ; c’est assez qu’ils puissent déjà prier pour eux-mêmes. Qu’elle est belle ; qu’elle est parfaite cette prière ! Quelle doctrine et quelle règle de conduite ! Nommer l’Évangile, rappeler ce vêtement d’immortalité, ce bain de la régénération, n’est-ce pas en peu de paroles comprendre tous les dogmes chrétiens ? Quant à la vie chrétienne, n’en traçons-nous pas le modèle dans ces expressions, : « Une âme toute divine ; de sages pensées » ; et le reste. Nous leur ordonnons ensuite d’incliner la tête, pour recevoir les bénédictions de Dieu, gage certain que les prières ont été exaucées. Ce n’est point l’homme en effet qui bénit, mais par les mains et par la voix du prêtre nous offrons leurs têtes au Roi suprême. Et tous s’écrient alors : «
Amen ».
Pourquoi ce discours ? Pour vous montrer que nous devons nous intéresser au bonheur de nos – frères ; et pour rappeler aux fidèles que toutes ces prières récitées pour les catéchumènes, ils doivent y prendre part. Ce n’est pas aux murs que s’adresse le diacre, quand il dit : « Prions pour les catéchumènes. » Mais il en est d’assez insensés, d’assez lâches, d’assez dissolus pour se tenir mal, pour lier des conversations, non seulement au moment de la prière pour les catéchumènes, mais encore pendant la prière pour les fidèles. Aussi on se corrompt, on se perd ; et comment en serait-il autrement ? C’est au moment même où nous pourrions nous rendre Dieu propice que nous excitons sa colère en nous retirant. On nous enjoint de prier pour les évêques ; pour les prêtres, pour les empereurs, pour les princes, pour la terre et pour la mer, pour la sérénité de l’air, pour l’univers tout entier, et d’implorer sur tous la divine miséricorde. Nous devrions avoir assez de crédit auprès de Dieu pour intercéder en « faveur des autres, et nous mettons de la négligence à prier même pour nous ! Comment serions-nous donc excusables ? Ah ! je vous en conjure, rappelez-vous mes paroles, saisissez avec bonheur le temps de la prière, élevez vos âmes, abandonnez la terre, montez jusqu’au ciel, afin de vous rendre Dieu propice et d’obtenir les biens qu’il vous promet. Puissions-nous y arriver un jour par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, auquel avec le Père et le Saint-Esprit, gloire, puissance, honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
HOMÉLIE III.
CAR NOTRE GLOIRE, C’EST CE TÉMOIGNAGE DE NOTRE CONSCIENCE : QUE NOUS AVONS VÉCU DANS CE MONDE DANS LA SIMPLICITÉ ET LA SINCÉRITÉ DE DIEU, ET NON PAS SELON LA SAGESSE DE LA CHAIR, MAIS SELON LA GRACE DE DIEU. (CHAP. 1,12, JUSQU’À 22)
Analyse.
- 1-2. Quelle grande consolation naît d’une conscience pure. – Les promesses de Dieu ne trompent point : sa gloire même est intéressée à les réaliser.
- 3-5. Dieu nous a donné l’Esprit-Saint comme gage de sa fidélité.
- 6. L’Esprit-Saint fait de nous des rois, des prêtres, des prophètes.
- 7. Exemple d’Abraham, développé avec une rare éloquence.
1. Voici que l’apôtre nous présente un autre motif de consolation, et ce nouveau motif est bien propre à relever une âme plongée dans le malheur. Comme il avait dit plus haut : « Dieu nous a délivrés », et qu’il avait attribué sa délivrance à la divine miséricorde et aux prières des fidèles ; il était à craindre que les Corinthiens ne se relâchassent de leur ardeur, en Se reposant sur la bonté de Dieu et les prières de leurs frères ; c’est pourquoi il leur montre que Timothée et lui ne sont pas restés oisifs, mais qu’ils ont fait ce qui dépendait d’eux. C’est ce qu’il leur laissait entendre auparavant : « De même », disait-il, « que les souffrances du Christ abondent en nous, de même abonde aussi notre consolation ». Ici il parle encore d’une autre bonne action qui lui est propre. Quelle est-elle ? Partout, dit-il, nous avons conservé notre conscience sans reproche, notre âme pure de toute tromperie ; et c’est là pour nous un puissant motif de consolation et d’encouragement. non seulement nous y puisons des consolations, mais ce qui vaut mieux encore, une véritable gloire. Ainsi leur apprend-il que dans les tribulations ils ne doivent point se laisser abattre, mais plutôt se glorifier, lorsque leur conscience ne leur adresse aucun reproche. Indirectement aussi il attaque les faux apôtres. Il disait dans l’épître précédente : « Le Christ m’a envoyé pour annoncer l’Évangile, non par la sagesse des discours, pour que la croix du Christ ne soit pas rendue vaine » ; et encore : « Pour que votre foi ne vienne point de la sagesse des hommes, mais de la puissance de Dieu ». (1Co 1,1.7, et 2, 5) Ici c’est encore la même pensée : « Non pas selon la sagesse. », dit-il, « mais selon la grâce du Christ ». Ces mots : « non pas selon la sagesse », signifient encore non pas selon l’erreur ; et c’est la sagesse profane qu’attaque l’apôtre. « Notre gloire », dit-il, « c’est le témoignage de notre conscience » : c’est-à-dire, notre conscience ne peut nous condamner : nulle mauvaise action ne la trouble. Tous les maux viennent fondre sur nous ; de toutes parts on nous attaque, on nous dresse des embûches ; mais la pureté de notre conscience suffit pour nous consoler ; et non seulement pour nous consoler, mais pour, nous glorifier. Elle nous rend témoignage, en effet, que cette affliction n’est point le châtiment de nos crimes, que Dieu lui-même nous l’a ménagée pour accroître notre vertu ; notre sagesse, et procurer le salut d’un grand nombre d’âmes. Le premier motif de consolation venait de Dieu ; celui-ci venait d’eux-mêmes et de la sainteté de leur vie. Aussi l’appelle-t-il une gloire, et à juste titre, puisqu’il est l’effet de leur courage. En quoi cette gloire consiste-t-elle donc, et quel est le témoignage que nous rend notre conscience ? Elle nous dit. « que nous avons vécu dans la simplicité et la sincérité ». C’est-à-dire, que nous n’avons point trompé, que nous n’avons point été hypocrites, ni dissimulés, ni flatteurs, que nous n’avons jamais dressé d’embûches, ni tendu de pièges, ni commis d’injustices en quoi que ce soit ; que nous allons toujours agi avec franchise et droiture, avec une intention pure et exempte de toute malice, de toute ruse, au grand jour et sans aucune dissimulation. « Non pas avec la sagesse de la chair », c’est-à-dire, non pas avec méchanceté et perversité, non pas avec l’habileté du langage, et la subtilité des sophismes car c’est là ce qu’il appelle la sagesse de la chair. Les faux apôtres mettaient en cela toute leur gloire ; saint Paul repousse et rejette bien loin tous ces artifices ; et il s’applique à faire voir qu’on ne doit point s’en glorifier, puisque lui-même, loin de les rechercher, les écarte et les déclare honteux. « Mais nous avons vécu selon la grâce de Dieu ». Que veulent dire ces paroles : « selon la grâce de Dieu ? » Cette sagesse et cette puissance qu’il nous a données, nous la manifestons par des miracles. Bien plus, nous qui sommes sans instruction, dénués de toute science profane, nous triomphons des savants, des orateurs, des philosophes, des rois et des peuples. Quel motif de consolation, quel sujet de gloire pour l’apôtre et son disciple de pouvoir se dire qu’ils n’ont pas eu recours à la puissance de l’homme, pour faire le bien, mais uniquement à la grâce du Seigneur ! « Dans le monde », non pas seulement à Corinthe, mais dans tout l’univers. « Mais plus abondamment auprès de vous ». Qu’est-ce à dire : « plus abondamment auprès de vous ? » Ces paroles se rattachent aux précédentes : « Nous avons vécu selon la grâce de Dieu ». Car chez vous nous avons fait des prodiges et des miracles, nous y avons déployé plus de zèle et mené une vie irréprochable. C’est là encore un effet de la grâce de Dieu ; c’est à elle qu’il attribue ses bonnes œuvres. A Corinthe, l’apôtre était allé plus loin que les préceptes : pour épargner leur faiblesse, il leur avait annoncé l’Évangile, sans rien recevoir d’eux. – « Nous ne vous écrivons rien autre chose que ce que vous lisez ou connaissez déjà (13) ». L’apôtre vient de se rendre à lui-même un magnifique témoignage, et pour ne point scandaliser les Corinthiens, il en appelle à leurs propres souvenirs. Ce n’est pas un vain étalage de paroles, dit-il ; tout ce que nous vous disons, vous le savez déjà ; et vous pouvez mieux que tous les autres rendre témoignage de notre sincérité. En lisant notre lettre, vous reconnaissez que nous ne faisons que rappeler des choses bien connues de vous. Vous ne pouvez nous contredire ; mais tout ce que vous savez est parfaitement, d’accord avec ce que vous lisez : « Car vous nous connaissez, en partie du moins (14) ». C’est par modestie qu’il écrit ces derniers mots. Ces restrictions lui sont en effet habituelles, quand il est obligé de faire son propre éloge : il ne les emploie pas en d’autres circonstances ; et si alors il en fait usage, c’est pour écarter tout soupçon d’orgueil. – « Or, j’espère que vous me connaîtrez jusqu’à la fin ». 2. Voyez-vous comment le passé garantit l’avenir, non seulement le passé, mais encore la puissance de Dieu ? Il n’affirme rien d’une manière absolue, mais c’est en Dieu qu’il met toute son espérance. « Vous connaissez que nous sommes votre gloire, comme vous êtes la nôtre, au jour de Jésus-Christ Notre-Seigneur ». Si les précédentes paroles avaient soulevé quelque mécontentement, tout mécontentement doit disparaître, maintenant qu’il associe les Corinthiens à ses œuvres et à sa gloire. Ces œuvres, elles ne sont pas seulement notre partage, dit-il, mais elles vous appartiennent aussi, et nous nous en renvoyons mutuellement la gloire. Il venait de faire son propre éloge. Le passé, disait-il, est une garantie pour l’avenir : il ne veut ni les scandaliser, ni les mécontenter, ainsi que je l’ai dit ; et c’est pourquoi maintenant il les fait entrer en participation de sa gloire et du mérite de ses bonnes œuvres. Notre gloire, dit-il, est aussi la vôtre ; et en retour, à la vue de vos triomphes, nous tressaillons d’allégresse et nous partageons vos trophées. N’y a-t-il pas dans ces paroles une nouvelle preuve de son humilité ? Ce n’est pas un maître qui parle à ses disciples, mais un disciple qui s’entretient avec ses condisciples sur le ton d’une amicale familiarité.. Mais voyez maintenant comme il les élève haut, quelle philosophie sublime il leur enseigne, en les renvoyant à ce terrible jour des jugements de Dieu ! Ne me parlez point du présent, leur dit-il, ni des outrages, ni des injures, ni des railleries que vous subissez, ni des éloges dont vous êtes les objets. Qu’est-ce que tout cela ? Qu’y a-t-il d’avantageux dans ces louanges, qu’y a-t-il de funeste dans ces outrages ? Songez à ce jour terrible, à ce jour affreux où tout sera révélé. Alors nous nous glorifierons en vous, et vous vous glorifierez en nous ; vous vous glorifierez d’avoir des maîtres qui ne vous auront rien enseigné d’humain, dont la vie aura été sans reproche et sans tache ; nous aussi, nous serons heureux d’avoir eu des disciples qui, se tenant loin des missions humaines, n’auront jamais chancelé, et se seront empressés de recevoir avec franchise nos enseignements. Dès maintenant, il est vrai, tout cela est clair pour qui veut être attentif ; mais alors tous devront en être convaincus. Si donc aujourd’hui, nous sommes dans l’affliction, nous trouvons un puissant motif de consolation, dans le témoignage de notre conscience, et dans cette pensée qu’un jour tout sera manifesté. Maintenant notre conscience nous dit que tout ce que nous Taisons, nous le faisons par la grâce du Seigneur ; et vous ne l’ignorez pas vous-mêmes ; et vous le saurez encore mieux plus tard. Mais au jour du jugement, tous les hommes connaîtront vos actions et les nôtres, et verront que nous sommes glorifiés les uns par les autres. L’apôtre ne se réserve donc pas à lui seul cet éclat dont ses vertus l’environnent ; il l’étend aussi sur les Corinthiens ; il les distrait ainsi de la tristesse qui les accable. Il leur disait, tout à l’heure : C’est à cause de vous que nous sommes consolés ; maintenant il leur attribue sa propre gloire : « C’est à cause de vous que nous nous glorifions », continuant de la sorte à les associer à tout ce qui le concerne, à ses consolations, à ses souffrances, à son salut ; car c’est à leur prière qu’il attribue sa délivrance. « Vous nous avez aidés de vos prières », leur dit-il, « et Dieu nous a délivrés ». De même en cet endroit il partage sa gloire avec eux. Comme il disait plus haut : « Sachant que vous vous unissez à nos consolations, comme à nos souffrances » ; il leur dit encore maintenant : « Nous sommes votre gloire, comme vous êtes la nôtre. – Et c’est avec cette persuasion que je voulais aller a vous voir (15) ». De quelle persuasion s’agit-il ? C’est que j’ai toute confiance en vous, je me glorifie en vous, je suis votre gloire, je vous aime, ma conscience ne me reproche rien ; en moi tout est selon l’Esprit, et j’ai en vous d’irrécusables témoins. « Je voulais donc venir vous voir ; et de Corinthe passer ensuite en Macédoine (16). » Dans la première épître il leur annonçait tout le contraire : « J’irai vous voir », disait-il, « quand j’aurai traversé la Macédoine ; car je traverserai la Macédoine » : Pourquoi donc se contredire ensuite ? Non, l’apôtre ne se contredit pas. Sans doute ce qu’il écrit maintenant est opposé à ce qu’il écrivait précédemment, mais non pas à ce qu’il voulait alors. Aussi ne dit-il pas : « Je vous ai écrit que j’irais en Macédoine » ; mais bien : « Je voulais ». Bien que je ne vous l’aie pas dit dans ma lettre, tel était cependant mon désir et ma volonté. Et j’étais si éloigné de songer à différer l’accomplissement de ma promesse, que j’ai voulu le hâter. « Pour que vous ayez une seconde faveur ». Que veut-il dire par là ? une seconde faveur : c’est-à-dire une double faveur : son épître d’abord, sa présence ensuite. Par faveur, il entend la joie qu’il leur causera. « Et de Corinthe je passerai en Macédoine, de Macédoine je reviendrai au milieu de vous, et je prendrai ensuite congé de vous pour aller en Judée. En vous faisant cette promesse, ai-je agi légèrement (17) ? » 3. Ici il repousse tout reproche au sujet de son retard et de son absence. Voici la pensée de l’apôtre : Je voulais aller vous voir ; pourquoi donc ne l’ai-je pas fait ? Est-ce par légèreté et par inconstance ? Non ; certes. Pourquoi donc ? « Parce que les pensées que je médite ne sont point des pensées charnelles » ; qu’est-ce à dire : « ne sont point des pensées charnelles ? » c’est-à-dire : « chez moi, oui c’est oui ; et non, c’est non ». Mais ici encore il y a quelque obscurité. Que signifient donc ces paroles ? L’homme charnel,'l’homme qui s’attache aux biens de ce monde, et qui s’en occupe sans cesse, qui jamais ne suit les mouvements de l’Esprit-Saint, peut bien errer dans sa marche ; mais le serviteur de l’Esprit-Saint, l’homme qu’il inspire et qu’il dirige n’est point maître de ses résolutions : il dépend de cette puissance surnaturelle. Il ressemble à ce serviteur fidèle qui suit, en tout les ordres de son maître, qui va où il l’envoie, qui n’a plus de volonté propre, qui ne s’est pas même réservé la faculté de respirer librement ; s’il fait quelque promesse à d’autres serviteurs, et que le maître ensuite en ordonne autrement, il ne peut plus tenir ce qu’il a promis. C’est donc parce que je ne prends point conseil de la chair et que je me laisse diriger par l’Esprit-Saint, que je ne suis point libre d’aller où je veux. Car je me soumets à l’empire et aux ordres du Paraclet, et j’accepte en tout ses décisions. Voilà pourquoi je n’ai pu aller vous voir : c’est que tel n’était pas le bon vouloir de l’Esprit Saint. On voit aussi dans le livre des Actes que souvent l’apôtre dut ne pas tenir sa promesse il se proposait de se rendre en quelque ville, et l’Esprit-Saint l’envoyait ailleurs. Il n’y a donc ni légèreté, ni inconstance de ma part, si je ne suis pas allé à Corinthe, mais je devais obéir à l’Esprit, auquel je me soumets toujours. Ne reconnaissez-vous point le raisonnement habituel de l’apôtre ? De ce qu’il n’avait pas tenu sa promesse, ses adversaires voulaient conclure qu’il suivait les conseils de la chair ; et c’est en partant de cette apparente violation de sa promesse qu’il leur montre son obéissance aux mouvements du Saint-Esprit, et qu’il leur prouve que se conduire autrement t’eût été agir, selon la chair. Mais, direz-vous, n’est-ce pas l’Esprit-Saint qui lui avait inspiré cette promesse ? Non. Paul ne savait point tout ce qui pouvait arriver, ni tout ce qui pouvait être avantageux. C’est pourquoi, dans sa première épître, il disait aux Corinthiens : « Afin que vous me conduisiez, en quelque lieu que j’aille » (1Co 16,6), craignant sans doute qu’après avoir mentionné la Judée ; il ne fut obligé d’aller ailleurs. Alors toutes ses espérances avaient été déçues ; mais il peut dire maintenant que son intention était de passer ensuite en. Judée. Dans la première épître il leur dit expressément ce que sa charité pour eux lui dicte en leur annonçant sa visite ; mais qu’ensuite il se, rendit en Judée ou ailleurs, peu leur importait, et c’est pourquoi il ne détermine aucun pays. Maintenant qu’il sait clairement qu’il passera en Judée, il n’hésite plus à le leur dire. Ces hésitations tournaient à l’avantage de ; Corinthiens ; elles les empêchaient d’avoir de l’apôtre une opinion exagérée. Si en effet, malgré tout cela, on voulut parfois lui offrir des sacrifices, à quel excès d’impiété ne se fût-on point porté, si les apôtres n’eussent donné mille preuves de la faiblesse naturelle à l’homme ? Ne vous étonnez point que, l’apôtre ait ignoré certains faits à venir ; dans ses prières, n’ignore-t-il point ce qui lui est avantageux ? « Nous ne savons pas, dit-il, ce qu’il nous est expédient de demander ». (Rom 8,26) Ce qu’il dit, non seulement pour donner une bonne opinion de sa modestie, mais encore pour montrer qu’il ignore ce qui est véritablement utile. Et en quelles circonstances l’a-t-il ignoré ? Quand il demandait à Dieu d’être délivré de ses tentations. Voici ses paroles : « Et je sentis l’aiguillon de la chair, l’ange de Satan qui me souffletait. C’est pourquoi je priai trois fois le Seigneur, et il me dit : Ma grâce te suffit ; car ma puissance se montre toute entière dans tes infirmités ». Vous le voyez donc, il ne savait pas demander ce qui était expédient. Aussi ne fut-il peint exaucé, malgré sa persévérance. « Dieu, qui est fidèle, m’est témoin qu’il n’y a point eu de oui et de non dans la parole que je vous ai annoncée (18) ». Il prévoit une objection qu’il se hâte de détruire. Les Corinthiens pouvaient dire en effet : Si après nous avoir promis de venir, vous avez cependant mis tant de retard, et qu’ainsi on ne puisse pas se fier à votre parole, si vous renversez ensuite ce que vous avez établi, comme vous l’avez fait en cotte occasion ; malheur à nous ! Peut-être en sera-t-il de même pour la prédication de l’Évangile ? Pour prévenir cette pensée, et le trouble qu’elle eût produit, il leur dit donc « Dieu m’est témoin qu’il n’y a pas de oui et de non dans la parole que je vous ai annoncée ». Ce qui s’est passé relativement à ma promesse, n’a pas lieu dans la prédication de l’Évangile, mais seulement dans la direction de mes voyages. Tout ce que nous vous avons enseigné demeure ferme et immuable. Il s’agit ici de la prédication de l’Évangile. Et il donne une preuve certaine de la vérité de ses, enseignements, en rapportant à Dieu cette prédication tout entière. Voici le sens de ses paroles. C’est de moi-même que je vous ai promis d’aller à Corinthe, et cette promesse était tolite spontanée. Mais ce n’est pas de moi-même que je vous ai prêché l’Évangile ; cette prédication n’a rien d’humain, elle est toute divine. Or ce qui vient de Dieu ne peut être sujet au mensonge. Aussi l’apôtre dit-il : « Or Dieu est fidèle », c’est-à-dire, véridique. C’est pourquoi vous ne pouvez vous défier, d’enseignements qui viennent de lui : car ces enseignements n’ont rien d’humain. Quelle parole il a en vue, il l’expose dans ce qui suit. 4. Quelle est donc cette parole ? « Le Fils de Dieu qui vous a été annoncé par nous, par Silvain, Timothée et moi, n’a pas été oui et non (19) ». Il met en avant, les prédicateurs eux-mêmes, pour donner plus de crédit à son témoignage, et pour l’appuyer sur les maîtres aussi bien que sur les disciples. Or, Timothée et Silvain étaient eux-mêmes disciples de l’apôtre ; c’est par modestie qu’il les élève au rang des maîtres. Que signifient ces paroles : « Le Fils de Dieu n’a pas été oui et non ? » Il veut dire : Je n’ai pas renversé ce qu’auparavant je vous avais annoncé dans mes prédications ; je ne vous ai pas dit tantôt une chose, tantôt une autre : ce n’eût plus été la foi de l’Évangile ; mais la marque d’une âme qui s’aventure au hasard. « Mais le oui est en lui ». C’est-à-dire, ma parole n’a pas varié ; elle demeure ferme et immuable. « Toutes les promesses de Dieu sont en lui OUI et en lui AMEN, pour la gloire de Dieu par notre organe (20) ». Qu’est-ce à dire : « Toutes les promesses de Dieu ? » La prédication de l’Évangile faisait de nombreuses promesses ; et c’étaient les apôtres qui annonçaient l’Évangile et faisaient ces promesses. Ils avaient parlé de la résurrection, de l’assomption des corps désormais incorruptibles, des récompenses éternelles et de ces biens mystérieux du ciel. Or, toutes ces promesses, l’apôtre les déclare fermes et immuables : le « oui » et le « non » ne s’y succèdent point ; ce qui signifie : Ce que je vous ai dit n’est pas tantôt vrai, tantôt faux, comme la promesse que je vous faisais d’aller vous voir ; mais ce que je vous ai prêché demeure toujours vrai. Il l’affirme d’abord des dogmes de la foi et de son enseignement sur Jésus-Christ : Ma parole, dit-il, et ma prédication n’ont pas été tour à tour « oui et non » ; ensuite il l’affirme des promesses : « Toutes les promesses de Dieu », dit-il, « sont en lui OUI ». Si les promesses de Dieu sont sûres, s’il n’est pas douteux qu’il donne ce qu’il a promis, à plus forte raison Dieu lui-même et la parole qui le concerne sont-ils immuables et sûrs ; et l’on ne peut pas dire que tantôt il est d’une manière, tantôt d’une autre : non, il est toujours, et toujours le même. Que veulent dire ces mots : « Sont en lui OUI et en lui AMEN ? » Ils expriment ce qui doit arriver nécessairement. C’est par Jésus-Christ, et non point par la puissance dé l’homme que doivent se réaliser ces promesses. N’ayez donc aucune crainte : s’il s’agissait d’un homme, vous pourriez hésiter ; mais c’est Dieu lui-même qui a parlé, et il tiendra sa parole. « Pour la gloire de Dieu par nous ». Qu’est-ce à dire ? C’est par nous qu’il les accomplit, c’est-à-dire, par les bienfaits qu’il nous accorde en vue dé sa gloire. Mais si Dieu a en vue sa propre gloire, nul doute qu’il ne tienne ses promesses. Quand même il dédaignerait de nous sauver, il ne, peut cependant mépriser sa gloire. Mais d’ailleurs n’est-il pas tout plein de, miséricorde envers nous ? Notre salut n’est-il pas lié très-intimement à sa gloire, puisque notre salut le glorifie ? Si donc la gloire de Dieu dépend de ses promesses, notre salut est infaillible. C’est la même pensée qu’il reproduit sans cesse dans son épître aux Éphésiens, quand il dit, par exemple : « Pour l’augmentation de sa propre gloire ». (Eph 1,14) Et cette pensée si souvent répétée a pour but de prouver l’infaillibilité des divines promesses. C’est encore ce que l’apôtre se propose en cet endroit : Les promesses de Dieu, non seulement nous procurent le salut, mais encore elles servent à le glorifier. Ne vous dites doit plus : ces promesses nous viennent de l’apôtre, et c’est pourquoi nous devons nous en défier. Ce n’est pas nous qui les réaliserons, mais Dieu lui-même. Elles viennent de lui ; ce n’est pas nous qui avons promis, mais Dieu lui-même. « Or, celui qui nous confirme, avec vous dans le Christ, celui qui nous a oints, c’est Dieu ; et il nous a marqués de son sceau, et il nous a donné un gage par l’Esprit-Saint qu’il a répandu dans nos cœurs (21,22) ». Le passé est encore ici garant de l’avenir. Si en effet c’est Dieu qui nous confirme dans le Christ, c’est-à-dire, s’il ne permet pas que notre foi soit ébranlée, s’il nous a oints lui-même, s’il a répandu son Esprit dans nos cœurs, comment ne nous donnera-t-il pas les biens à venir ? Ces premières grâces, la foi en Dieu, la réception de l’Esprit-Saint, ne sont-elles pas comme la racine, le fondement, la source des autres ? Comment donc ne nous donnerait-il pas les biens qui en sont la conséquence ? Si en effet les bienfaits qui précèdent ne nous sont accordés qu’en vue d’autres bienfaits qui doivent suivre, Dieu qui nous a accordé les premiers, nous accordera aussi les seconds. Il nous a comblés de faveurs, quand nous étions ses ennemis ; maintenant que nous sommes devenus ses amis, ne se montrera-t-il pas plus généreux encore ? Aussi ne dit-il point simplement : le Saint-Esprit, mais : « le gage de l’Esa prit-Saint » ; afin que ce gage vous assure tout le reste. Non, s’il n’avait voulu voua donner tout le reste, il ne vous aurait point donné ce gage, et n’aurait pas en vain répandu et perdu, pour ainsi dire, son esprit dans vos cœurs. Et voyez la bonne foi de l’apôtre. A quoi bon dire, remarque-t-il, que la vérité des promesses de Dieu ne dépend point de nous ? Votre constance, votre inébranlable fermeté, est-ce à nous que obus la devez ? non, mais à Dieu seul : « Car celui qui vous confirme, c’est Dieu ». Ce n’est donc pas nous qui 'vous affermissons ; et nous-mêmes, n’avons-nous pas besoin de son secours pour persévérer dans nôtre constance ? Ainsi donc n’hésitez pas à croire nos enseignements ; c’est Dieu qui s’est chargé de tout, c’est de lui que tout dépend. 5. Que signifient ces paroles : « Qui nous a oints et marqués de son océan ? » C’est-à-dire, Dieu nous a donné son Esprit, et cet Esprit nous a oints et marqués de son sceau, nous faisant ainsi prophètes, prêtres et rois ; car prophètes, prêtres et rois recevaient autrefois l’onction sainte. Pour nous, ce n’est pas une seule de ces dignités, mais les trois ensemble qui nous sont conférées et dans un degré supérieur. Car nous sommes appelés à régner un jour, et en offrant nos corps comme victimes, nous devenons prêtres : « Offrez », nous dit l’apôtre ; « offrez vos membres, comme des hosties vivantes et agréables à Dieu ». (Rom 12,1) De plus nous sommes établis prophètes : « Ce que l’œil n’a point vu, ce que l’oreille n’a point entendu, voilà ce qui nous a été révélé ». (1Co 2,9) Nous sommes rois encore, si nous voulons commander à nos mauvaises pensées. Oui, celui qui commande à ses pensées mauvaises, est vraiment roi, il règne plus véritablement que celui dont la tête est ceinte du diadème : je veux vous le prouver. Le roi a de nombreuses armées, il est vrai ; mais nos pensées sont encore plus nombreuses. Impossible en effet de compter les pensées qui sont dans notre esprit, non seulement il y a en nous une multitude de pensées ; mais ces pensées ont leurs généraux, leurs tribuns, leurs centurions, leurs archers, leurs frondeurs. A quel signe encore reconnaissez-vous un roi ? A ses vêtements ? Mais les vêtements de nos pensées ne sont-ils pas plus brillants et plus durables ? Ni la teigne, ni la vétusté ne les rongent. Bien plus elles ont pour couronnes la gloire et les miséricordes du Seigneur. « Bénis le Seigneur, ô mon âme », s’écrie David, « parce qu’il te couronne de bonté et de miséricorde ». (Psa 103,2-4) « Vous l’avez couronnée », dit-il encore, « de gloire et d’honneur, et vous fui avez donné votre bonté pour bouclier et pour diadème ». (Psa 5,13) Il forme autour d’elles comme une couronne de grâces : « Vous recevrez », dit l’Écriture, « une couronne de grâces sur votre tête ». (Pro 1,9) Voyez-vous quelle variété de couronnes, quel gracieux diadème ! Mais entrons dans le détail, et examinons avec soin ce qui entoure les rois. Le roi domine sur tons ceux qui lui font cortège, et commande à tous ses sujets. Or je veux vous montrer ici un commandement bien plus étendu. Quant à la multitude des pensées elle est égale à celle des sujets, elle la surpasse même ; comparons donc la soumission des unes et des autres. Ne produisons point ces rois déchus de leurs trônes, ou tués par leurs satellites. Non, n’en tenons pas compte, et ne mettons en parallèle que ces rois qui ont bien 4dministré leurs royaumes. Supposez tous ceux qu’il vous plaira ; je me contenterai, moi, de mettre en regard le seul patriarche Abraham. Lorsqu’il reçut l’ordre d’immoler son fils, que de pensées, dites-moi, vinrent s’opposer à sa résolution ! Il les fit taire cependant, et elles tremblèrent devant lui plus que des satellites devant leur roi ; d’un seul regard, il les comprima toutes, et pas une n’osa murmurer ; toutes baissèrent la tête, comme si elles eussent cédé devant un roi, et cependant qu’elles étaient violentes et emportées ! Oui, moins horribles, moins redoutables sont les piques dont se hérisse toute une armée. N’inspirait-elle point plus d’horreur que des lances acérées, cette pitié que soulevait la nature ; et ne pouvait-elle pas s’enfoncer dans l’âme plus avant que la pique la plus aiguë ? Jamais on ne verra pointe plus acérée que les pointes de ces pensées qui jaillissent du fond du cœur et se dressant devant l’âme du juste, la transperçaient toute entière. Une lance, pour donner la mort, a besoin de temps, d’une résolution à prendre, d’un coup à frapper, d’une douleur à causer, et la mort ne vient qu’après ; mais ici rien de tout cela n’était nécessaire, tant les blessures étaient promptes et cuisantes. Et cependant, malgré tant de pensées armées contre lui, son âme était calme, et toutes ces pensées, rangées en bon ordre, l’honoraient, au lieu de le terrifier. Voyez-le donc brandir son épée ; et comparez-lui qui vous voudrez, un Auguste, un César. Non, ils ne peuvent soutenir le parallèle, et leur attitude est moins sublime, moins digne des cieux. C’est de la plus violente tyrannie que ce juste a su triompher. Quoi de plus tyrannique que la nature ? Rassemblez par la pensée tous ceux qui ont donné la mort à quelque tyran, vous n’en trouverez aucun qui lui puisse être comparé. Cette victoire était plutôt la victoire d’un ange que celle d’un homme. Voyez en effet ! Là nature est terrassée malgré ses armes, malgré ses légions ; et lui se tient debout ; le bras levé, ayant, non pas une couronne, mais un glaive dont l’éclat surpasse celui des couronnes ; la troupe des luges applaudissait, et du haut des cieux Dieu le proclamait vainqueur. Toute son âme se portait vers les cieux, et c’est de là aussi que lui vint son triomphe. Quel triomphe est plus glorieux ; ou plutôt quel triomphe est comparable à celui-ci ? Aux jeux Olympiques, si, au lieu d’un héraut, le roi lui-même se levant de son trône eût proclamé le vainqueur, l’athlète n’eût-il pas été plus fier de cet hommage que de toutes ces couronnes, et n’eût-il pas attiré bien mieux sur lui tous les regards ? Ici ce n’est pas un roi mortel, c’est Dieu, qui proclame bien haut, non pas sur un théâtre de peu détendue, mais en présence de l’univers, en présence, des anges et des archanges, la victoire que vient de remporter Abraham. A quelle hauteur, je vous le demande, ce juste ne s’est-il donc pas élevé ? Écoutons, si vous le voulez, la voix de Seigneur. Que disait-elle ? « Abraham, Abraham, n’étends point ton bras sur Isaac, ne lui fais point de mal. Je sais maintenant que tu crains le Seigneur, puisque pour moi, tu n’as pas épargné ton fils unique ». (Gen 22,12) Que veut-il dire ? Celui qui sait toutes choses avant qu’elles aient lieu, commençait-il seulement alors : à connaître la foi d’Abraham ? Les hommes mêmes connaissaient sa piété : n’en avait-il pas donné une preuve éclatante, quand le Seigneur lui eut dit : « Sors de ton pays et de ta parenté » (Gen 12,1) ; quand, en vue de la gloire de Dieu, il céda la place qu’il occupait au fils de son frère ; quand, sur l’ordre de Dieu, il se rendit en Égypte, où il se vit enlever son épouse, sans concevoir d’indignation, et dans tant d’autres circonstances ? Oui, les hommes eux-mêmes avaient appris par là à connaître la piété d’Abraham ; à plus forte raison Dieu ne l’ignorait pas, lui qui n’attend pas l’accomplissement des faits pour les savoir. Et comment l’eût-il déclaré juste, s’il n’eût apprécié sa justice ? « Abraham crut, dit l’Écriture, et sa foi lui fut réputée à justice ». (Rom 4,3) Que signifient donc ces paroles : « Maintenant j’ai reconnu ? » Le texte syriaque porte : « Maintenant tu as fait connaître », sous-entendez : aux hommes, car moi je te connaissais, même avant de t’avoir intimé cet ordre. Pour quoi donc manifester sa foi aux yeux des hommes ? ses précédentes actions ne suffisaient-elles pas pour prouver son dévouement au Seigneur ? Sans doute elles suffisaient. Mais ce dernier acte d’obéissance est tellement supérieur aux autres qu’ils ne paraissent plus rien à côté de lui. Ce fut donc pour faire ressortir la grandeur de cette action et pour en montrer l’incomparable sublimité, que Dieu prononça ces paroles. 6. N’est-ce pas ainsi que s’expriment les hommes, en présence de quelque action d’éclat et qui l’emporte sur les précédentes ? Si, par exemple, on reçoit un présent d’une plus grande valeur que lés autres, ne dit-on pas : je n’en doute plus, il m’aime. Ses sentiments étaient bien connus par avance ; mais on veut exprimer par là que le dernier présent l’emporte en richesse sur tous ceux qui ont précédé. Dieu emprunte ici le langage des hommes, quand, il dit : « Maintenant je sais ». Ce qu’il veut faire entendre, c’est la grandeur du combat, et non pas seulement la certitude qu’il a de la crainte d’Abraham ou de l’étendue de cette crainte. S’il dit : « Venez, descendons et voyons » (Gen 11,7) ; ce n’est pas qu’il ait besoin de descendre, lui qui remplit l’univers et à qui rien n’échappe ; mais il veut nous apprendre à ne point nous prononcer témérairement. De même aussi quand l’Écriture dit : « Dieu a regardé du haut du ciel » (Psa 14,2), elle emprunte cette métaphore à notre manière de parler, et désigne par ces mots, une connaissance approfondie. De même en cet endroit le Seigneur dit : « Je sais maintenant » ; pour faire voir que cette marque de soumission éclipse toutes les autres. Oui, elle éclipse toutes les autres, et la preuve se trouve dans les paroles qui suivent : « Parce que à a cause de moi tu n’as pas épargné ton fils bien-aimé » ; non pas seulement : « ton fils » ; mais « ton fils bien-aimé ». Ce n’est pas seulement la nature que combat Abraham, mais encore cette tendresse si vive que lui inspiraient les mœurs et la rare vertu de cet enfant, Si les, parents ne peuvent se résoudre à repousser des fils dépravés, s’ils répandent des larmes sur eux ; que dire de, cette admirable sagesse d’Abraham, quand nous le voyons sur le point d’immoler son fils, son fils unique, son fils bien-aimé, Isaac en un mot ? Cette victoire n’est-elle pas mille fois plus glorieuse que tous les diadèmes, que toutes les couronnes ? Celui qui porte une couronne ; se la voit enlever par les mains de la mort, et avant de mourir, mille dangers l’environnent. Pour Abraham, qui pourra d’entre ses proches, ou d’entre les étrangers, lui enlever, même après la mort, le diadème qui orne son front ? Mais contemplez le plus précieux des diamants qui le composent. Il s’y trouve placé en dernier lieu comme le plus riche de tous. Quel est-il donc ? Le voici : a à cause de moi ». Rien de bien admirable qu’il n’ait pas épargné son fils ; ce qu’il y a de plus digne d’admiration, c’est qu’il l’ait fait à cause de moi. O heureuse main ; quelle épée on te donne ! O admirable épée, à quelles mains on le confie ! O heureuse épée, à quelle œuvre on te destine ! quel ministère elle remplit, quel mystère elle figure ! Pourquoi est-elle teinte de sang, pourquoi n’est-elle pas teinte de sang ? Je ne sais plus que dire, tant ce mystère était redoutable. Elle n’effleura pas même la peau de l’enfant, elle ne s’enfonça point dans sa gorge, elle ne se teignit point de son sang ; ou plutôt elle frappa, elle s’enfonça, elle se couvrit de sang ; elle fut plongée dans le sang et n’y fut point plongée. Il vous semble que je m’égare en me contredisant de la sorte. Ah ! sans doute, je suis hors de moi, quand je contemple ce merveilleux spectacle, et cependant je ne me contredis point. Car la main de l’homme juste a enfoncé le glaive dans la gorge de l’enfant ; mais ce glaive, Dieu ne permit pas qu’il fût souillé du sang d’Isaac. Abraham n’était pas seul à le tenir ; Dieu le tenait en même temps qu’Abraham ; le patriarche l’enfonça par sa volonté ; Dieu le retint par sa parole. La voix de Dieu arma la main d’Abraham et la retint ensuite. Dieu commandait en maître ; soumise à ses ordres, elle les exécutait fidèlement, et se laissait diriger par sa voix. Voyez en effet : Dieu commande d’immoler ; elle s’arme aussitôt. Il dit ensuite : ne frappe pas ; aussitôt elle est désarmée : car alors l’épreuve était suffisante. Dieu devait désormais montrer à l’univers, à l’assemblée des anges, ce soldat, ce général victorieux, ce prêtre, ce roi, que son glaive couronne mieux que ne ferait un diadème, qui élève un brillant trophée, qui remporte une éclatante victoire, sans avoir eu d’ennemis à terrasser. Un général, qui a sous ses ordres une vaillante armée, par son habileté, par sa seule attitude, par le seul aspect, de sa force, frappe son ennemi de terreur ; ainsi Dieu par la résolution, par les gestes, par l’attitude de l’homme juste, épouvante et met en fuite notre ennemi commun, le démon. Qui, à ce moment, le démon recula saisi d’effroi. Mais, dira-t-on, pourquoi Dieu ne permit-il pas que la main d’Abraham se teignît du sang de la victime, pourquoi rappelle-t-il Isaac àla vie ? C’est que Dieu ne pouvait accepter ce sang répandu ; un tel breuvage ne doit être servi que sur la table infâme des démons. A ce moment éclataient à la fois la bonté de Dieu et la vertu de son serviteur. Naguère il avait abandonné sa patrie ; maintenant il sacrifie jusqu’aux sentiments de la nature. Aussi obtint-il sa récompense, le capital et les intérêts, si je puis m’exprimer de la sorte, et à juste titre ; il aima mieux cesser d’être père que de manquer à ses devoirs de serviteur. C’est pourquoi non seulement il demeura père, mais il devint prêtre ; et comme il avait renoncé à ses propres avantages à cause de Dieu, Dieu se plut à l’enrichir de ses dons. Quand les ennemis dressent des embûches, il les laisse aller jusqu’au bout, et il fait un miracle. Mais quand c’est lui-même qui commande, il retire son ordre, dès que la bonne volonté s’est manifestée. 7. Eh bien ! je vous le demande, que manque-t-il à la générosité d’Abraham ? Le saint patriarche pouvait-il prévoir ce qui arriverait Savait-il quels étaient les desseins dé la divine miséricorde ? Il était prophète, je le veux bien ; mais les prophètes ont une science limitée. L’immolation devenait donc inutile et indigne de Dieu. S’il lui fallait apprendre que Dieu est assez puissant pour ressusciter les morts, la fécondité miraculeuse de son épouse ne le lui disait-elle pas assez ? Et même avant cette éclatante manifestation de la puissance divine, sa foi ne le lui apprenait-elle pas ? Ne vous contentez pas d’admirer la justice d’Abraham, imitez-la. Quand vous le voyez voguer sur – ces flots tumultueux, comme sur une mer paisible, saisissez aussi le gouvernail de l’obéissance et du courage. Ne me dites pas qu’il se contenta de dresser un autel et de préparer le bois ; rappelez en votre mémoire les paroles d’Isaac, songez à cette légion de pensées qui envahit son âme et la glace d’épouvante à ces paroles de son fils : « Mon père, où est donc la victime ? » (Gen 22,7) Que de pensées agitent alors son âme ! ce sont comme amant de javelots enflammés qui la percent et la déchirent. Si j’en vois qui sans être pères sont émus à ce récit, et qui eussent versé des larmes, s’ils n’avaient connu le dénouement, si j’en vois, qui malgré le dénouement fondent en larmes, quel tourment ne dut pas endurer celui qui l’avait engendré, qui l’avait élevé dans sa vieillesse, qui n’avait que lui, qui le voyait, qui l’entendait, qui était sur le point de lui donner la mort ? Mais ensuite, quelle sagesse et quelle douceur dans sa réponse ! Qui donc inspirait Abraham ? était-ce le démon qui ravivait les ardeurs de la nature ? Non, c’était Dieu qui voulait éprouver l’âme si riche de l’homme juste. Quand l’épouse de Job élevait la voix, c’était le démon qui l’inspirait : les conseils qu’elle donne le font bien voir. Mais Abraham ne prononce pas une seule parole impie ; tout dans son langage respire la piété et la religion. Il y a même je ne sais quelle grâce et quel parfum ; de cette âme calme et paisible le miel coule avec abondance ; et il y a dans ses paroles de quoi toucher le cœur le plus dur. Et cependant le sien résiste ; il n’est pas même ébranlé. Il ne dit pas : Pourquoi appeler du nom de père celui qui tout à l’heure ne sera plus ton père, qui déjà même a perdu ce doux honneur ? – Et pourquoi le fils a-t-il fait cette demande ? Ce n’était pas simplement par curiosité ; mais parce que tout ce qu’il voyait, était de nature à lui donner de l’inquiétude. Voici ce qu’il se disait : « Si mon père n’avait l’intention de me faire participer à son action, il n’aurait point laissé ses serviteurs au pied de la montagne pour m’emmener seul avec lui ». Et c’est pourquoi il l’interroge, alors qu’ils étaient seuls, et que personne ne pouvait les entendre. Telle était la prudence de cet enfant. Eh bien ! qui que vous soyez, hommes et femmes, ne sentez-vous point, vos âmes tout embrasées ? Ne serrez-vous point dans vos bras, ne couvrez-vous point dé vos baisers cet enfant dont la prudence est si admirable ? n’êtes-vous point émus, à la vue de tant de douceur ? On le lie, on l’étend sur le bûcher : il ne s’effraie point, il ne fart aucun mouvement, il ne reproche pas à son père sa cruauté. Oui, on l’enchaîne, on se saisit de lui, on le place sur le bûcher ; et il souffre tout cela sans rien dire, comme un tendre agneau, ou plutôt, comme le Sauveur, nôtre maître commun, Car il imitait la douceur du Messie dont il était la figure. « Il a été conduit à la mort », dit le prophète, « et il s’est tu comme l’agneau « devant celui qui le tond ». (Isa 53,7) C’est-à-dire, il n’a montré ni arrogance ni dureté dans ses paroles, mais au contraire la plus grande douceur et la plus grande, mansuétude : son silence en eût moins manifesté. Le Christ ne disait-il pas : « Si j’ai mal parlé, témoignez du mal que j’ai dit ; mais sij’ai bien parlé, pourquoi me frappez-vous ? » (Jn 18,23) N’y a-t-il pas dans ces paroles plus de douceur que dans le silence même ? Du haut de la croix il parle comme Isaac de l’autel où son père l’a placé : « Mon père », dit-il, « pardonnez-leur : car ils ne savent ce qu’ils font » ; (Luc 13,31) Et que dit le patriarche ? « Dieu y pourvoira, mon fils, et trouvera bien une victime ». (Gen 22,8) Tous deux emploient les noms que suggère la nature : l’un, celui de père, l’autre, celui de fils. De part et d’autre je vois une guerre terrible, une affreuse tempête ; mais le navire n’est point brisé : la sagesse triomphe de tout. A peine Isaac a-t-il entendu le nom de Dieu, il se tait, et ne pose plus de questions. Voyez quelle était la prudence de cet enfant, quelle était sa sagesse dans un âge si tendre ! Vous avez vu maintenant toutes les armées dont le roi a su triompher, toutes les victoires qu’il a remportées. Ces peuples barbares qui ne cessaient d’assiéger la ville de Jérusalem, étaient moins terribles que ces pensées qui de toutes parts venaient fondre sur l’âme d’Abraham ; et cependant il les subjugua toutes. Voulez-vous maintenant que je vous montre le prêtre ? je ne serai pas long. Il tient la flamme et le glaive, il est debout devant l’autel ; vous ne pouvez mettre en doute son sacerdoce. Est-ce la victime que vous cherchez ? Voici une double victime. Il offrit son fils, il offrit une brebis, ou plutôt, et surtout, il immola sa volonté propre ; par le sang de la brebis, il sanctifia ses mains ; par l’immolation de son fils, il sanctifia son âme. Ainsi fut-il fait prêtre par l’immolation de son fils unique, et par le sang de cette brebis. Les prêtres en effet étaient sanctifiés par le sang des victimes offertes au Seigneur. Voulez-vous voir le prophète dans Abraham ? « Abraham votre père tressaillit du désir de voir mon avènement ; il le vit, et fut rempli de joie ». (Jn 5,35) Vous aussi, le baptême vous fait rois, prêtres et prophètes ; il vous, fait rois, quand vous terrassez vos mauvaises actions, et que vous donnez la mort à vos péchés ; il vous fait prêtres, quand vous sacrifiez votre corps, vous immolant ainsi vous-mêmes. « Si en effet » ; dit saint Paul, « nous mourons avec Jésus-Christ, nous vivrons avec lui » (2Ti 2,11) ; enfin il vous fait prophètes ; quand vous apprenez à connaître l’avenir, quand vous recevez l’inspiration divine, et que vous êtes marqués du sceau de Dieu. L’Esprit-Saint imprime aux fidèles un caractère analogue à cette marque qui fait reconnaître les soldats ; et si vous quittez les rangs, vous êtes aussitôt découverts. Les Juifs avaient la circoncision, comme marque distinctive des Chrétiens, il est le gage de l’Esprit – Saint. Pénétrés de ces pensées, persuadés de notre sublime dignité, conformons-y toujours notre vie, afin d’arriver au royaume des Cieux. Puissions-nous y parvenir tous, par la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec qui soit au Père et au Saint-Esprit la gloire, l’empire, l’honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il. Voir le commentaire du début du chap. 2.