2 Corinthians 12
HOMÉLIE XXVI.
IL NE M’EST PAS AVANTAGEUX DE ME GLORIFIER, CEPENDANT JE VIENDRAI MAINTENANT AUX VISIONS ET AUX RÉVÉLATIONS DU SEIGNEUR. (XII, 1, JUSQU’À 10)
Analyse.
- 1 et 2. Visions et révélations de Paul.— Pourquoi il en parle, et pourquoi il ne le fait qu’a mots couverts.
- 3. Sur cet aiguillon que Paul ressentait dans sa chair, et qu’il appelait un ange de Satan, chargé de lui donner des soufflets. – Sens du mot Satan dans l’Écriture. – Humilité de Paul ; de la confession qu’il fait de ses faiblesses ; pourquoi il s’y complaît.— Les souffrances endurées pour Jésus-Christ sont pleines de consolations.
- 4. Sur la divinité ridiculement et honteusement attribuée à Alexandre-le-Grand, à un infâme comme Antinoüs.— L’empire d’Alexandre après sa mort, et l’empire du Christ, après sa mort. — Vive opposition.
- 5. Des apôtres, des martyrs. — Les sépulcres des martyrs, plus triomphants que les palais des rois. — Texte éloquent.
1. Qu’est-ce que cela veut dire ? Après tout ce qu’il vient de dire, pourquoi une réflexion de ce genre : « Il ne m’est pas avantageux de me glorifier », comme s’il n’avait rien dit ? Ce n’est pas qu’il trouve qu’il n’a rien dit, mais c’est qu’il va passer à une autre espèce de glorification ; ce n’est pas que ce dont il veut parler lui donne des droits à une glorieuse récompense, mais c’est que les faits qu’il va dire rendraient, aux yeux du grand nombre, sa gloire encore plus éclatante, quoique les sages ne soient pas de cet avis ; voilà pourquoi l’apôtre dit : « Il ne m’est pas avantageux de me glorifier ». En effet les grands titres de gloire étaient ceux qu’il a énumérés, ceux qui étaient fondés sur ses épreuves ; mais maintenant il va en produire d’autres ; ce sont des révélations, d’ineffables mystères. Pourquoi dit-il : « Il ne m’est pas avantageux », sinon parce qu’il craint que ce souvenir ne lui donne de l’orgueil ? Que dites-vous?quand vous ne parleriez pas de ces insignes faveurs, n’en avez-vous pas conscience ? Mais c’est que nous ne sommes pas aussi portés à nous enorgueillir de ce dont nous avons conscience, que de la communication que nous en faisons aux autres. Ce n’est pas la vertu des bonnes œuvres qui provoque l’orgueil, mais le grand nombre des témoins qui connaissent nos mérites. Voilà donc pourquoi il dit : « Il ne m’est pas avantageux », c’est-à-dire, je ne veux pas donner une trop haute idée de moi, à ceux qui m’écoutent. En effet, – les faux apôtres parlaient même des vertus qu’ils n’avaient pas ; Paul, au contraire, cache même les vertus qu’il a, et cela ; quand une nécessité si impérieuse devrait le faire parler, et il dit : « Il ne m’est pas avantageux », ce qui démontre éloquemment combien tous doivent flair l’ostentation. Il n’y a aucun profit à y céder, elle est funeste ; il faut pour parler de soi, une nécessité de nature à déterminer la volonté. L’apôtre donc, après avoir rappelé ses dangers, ses épreuves, les pièges qui lui ont été tendus, ses chagrins, ses naufrages, passe à un tout autre ordre de faits à sa gloire, il dit : « Je connais un homme, il y a quatorze ans, (fut-ce avec son corps ? je ne le sais ; fut-ce sans son corps ? je ne le sais ; Dieu le sait) qui fut ravi jusqu’au troisième ciel. Et je sais qu’il fut ravi dans le paradis ; (fut-ce avec son corps ? je ne le sais ; fut-ce sans son corps ? je ne le sais) ; et il y entendit des paroles ineffables, qu’il n’est pas permis à un homme de rapporter. Je pourrais me glorifier en « parlant d’un tel homme, mais je ne me glorifierai pas de moi-même (2, 3, 4, 5) ». Ce fut là une grande révélation, mais ce ne fut pas la seule qu’il eut, il en reçut beaucoup d’autres encore ; mais il n’en dit qu’une dans le grand nombre. Ce qui prouve combien il en reçut, c’est ce qu’il dit : « De peur que la grandeur de mes révélations ne me donne de l’orgueil ». Mais, dira-t-on, s’il tenait à les cacher, il ne devait pas en parler à mots couverts, il n’avait qu’à ne rien dire de pareil ; s’il tenait à en parler, il devait en parler clairement. Pourquoi donc n’a-t-il ni parlé clairement, ni gardé le silence ? C’est pour montrer que, même en parlant, il ne le fait qu’à contre-cœur. Voilà pourquoi il a fait la réflexion qu’il y avait, de ce fait, quatorze ans. Il ne l’a pas mentionné sans montrer qu’après avoir gardé le silence si longtemps, il n’en parle présentement, que parce qu’une impérieuse nécessité l’y oblige, qu’il continuerait encore à n’en rien dire, s’il ne voyait ses frères qui se perdent. Or si Paul, dès le début de sa carrière, méritait d’être honoré d’une telle révélation, lui qui n’avait pas encore fait paraître de si éminentes vertus, considérez ce qu’il dut devenir quatorze ans après. Et voyez sa modestie à raconter certaines choses, à reconnaître qu’il en ignore d’autres. Qu’il a été ravi, c’est ce qu’il dit ; fut-ce en corps ? fut-ce sans son corps ? c’est ce qu’il' reconnaît ignorer. Il pouvait se contenter de parler de ce ravissement, et de ne rien dire ensuite ; mais il n’écoute que sa modestie et il ajoute son observation. Quoi donc ? est-ce son esprit qui a été ravi avec son âme, et son corps serait resté mort ? ou est-ce le contraire ? Son corps a-t-il été ravi ? Impossible de le dire. Si Paul n’en sait rien, lui qui a été ravi, lui qui s’est vu révéler de si grands mystères, à bien plus forte raison devons-nous l’ignorer. Il était dans le paradis, voilà ce qu’il – sait ; il était dans le troisième ciel, voilà ce qu’il n’ignorait pas ; mais la manière, voilà ce qu’il ne distinguait pas clairement. Considérez une autre marque de sa modestie. Quand il parle de la ville des Damascéniens, il pense à garantir la véracité de son discours ; ici, au contraire, il ne s’en inquiète plus ; c’est qu’en effet, il n’attachait pas une extrême importance à être cru, il parle seulement à mots couverts. Ainsi ajoute-t-il : « Je pourrais me glorifier, en parlant d’un tel Homme » ; il n’entend pas dire par là que ce soit un autre que lui qui ait été ravi, mais, autant qu’il lui est perchis et possible, il évite de parler de lui ouvertement ; de là, la tournure de ses paroles. D’ailleurs à quoi bon, puisqu’il parlait de lui, recourir à un intermédiaire ? Pourquoi donc cette composition, cet arrangement ? C’est que ce n’était pas la même chose de dire : J’ai été ravi, et je connais un homme qui a été ravi ; ni : Je me glorifie en parlant de moi-même, et : Je pourrais me glorifier en parlant d’un tel homme. Que si l’on objecte : Mais comment pouvait-il être ravi sans son corps ? Je demanderai à l’auteur de l’objection : Mais comment pouvait-il être ravi avec son corps ? car le second fait est encore plus incompréhensible que le premier, si l’on ramène tout au raisonnement, si l’on rie veut pas s’incliner devant la foi. Maintenant pourquoi a-t-il été ravi ? C’est, je pense, afin qu’il ne parût pas inférieur aux autres apôtres. Ils avaient vécu avec le Christ, Paul ne l’avait pas approché, voilà pourquoi il fut élevé, dans un ravissement, à la gloire, au paradis. Le paradis ! le nom en était fameux, partout célébré. 2. Voilà pourquoi le Christ disait : « Aujourd’hui, vous serez avec moi dans le paradis ». (Luc ; XXIII, 43) « Je pourrais me glorifier en parlant d’un tel homme ». Qu’est-ce à dire ? Si c’est un autre qui a été ravi, de quoi pouvez-vous vous glorifier ? Il est donc évident que c’est de lui qu’il parlait. S’il a ajouté : « Mais je ne me glorifierai pas pour moi-même », ces paroles se réduisent à ceci : en l’absence de toute nécessité, je ne veux rien dire de pareil à la légère, ou certainement il voulait autant que possible, rejeter dans l’ombre ce qu’il avait dit. La suite démontre parfaitement que dans toutes ces paroles, il n’est question que de lui ; car il ajoute : « Si je voulais me glorifier, je ne serais pas un imprudent, car je dirais la vérité (6) ». Comment donc avez-vous pu dire d’abord : « Plût à Dieu que vous voulussiez un peu supporter mon imprudence », et, « ce que je dis, je ne le dis pas selon, Dieu, mais je fais paraître de l’imprudence » (2Co 11,1-17) ; tandis que vous dites maintenant : « Si je voulais me glorifier, je ne serais pas un imprudent ? » C’est qu’en ce moment il ne se préoccupe pas du fait de se glorifier, mais du fait de mentir ; si se glorifier est de l’imprudence, à combien plus forte raison y a-t-il de l’imprudence à mentir ? C’est donc dans cette pensée qu’il dit : « Je ne serais pas un imprudent ». Voilà pourquoi il ajoute : « Car je dirais la vérité ; mais je me retire de peur qu’on ne m’estime au-dessus de ce qu’on voit en moi, ou de ce qu’on entend dire de moi ». Cette raison est véritable, on prenait les apôtres pour des dieux, à cause des miracles qu’ils faisaient. (Act 4,10) De même qu’en créant les éléments, Dieu a fait deux choses, il les a créés à la fois faibles et éclatants ; éclatants, afin qu’ils publiassent sa puissance ; faibles, afin de prévenir l’égarement des hommes ; de même, les apôtres étaient à la fois admirables et faibles, de manière à instruire, par leurs œuvres mêmes, les infidèles. Si on ne les eût jamais vus qu’admirables, ne montrant aucun signe de faiblesse, c’est en vain qu’ils auraient voulu empêcher le peuple de soupçonner en eux une nature supérieure à la nature humaine ; non seulement ils n’y seraient pas parvenus, mais ils auraient produit un effet tout opposé. Les refus qu’ils auraient opposé aux louanges, auraient été regardés comme des preuves de leur modestie, et n’auraient fait qu’ajouter à l’admiration pour eux. C’est ce qui explique pourquoi leur conduite, leurs actions révélaient leur faiblesse. Témoin, les personnages de l’Ancien Testament. Élie, cet homme admirable, donna parfois des marques de timidité ; de même ce grand Moïse, qui, lui aussi, par la même faiblesse, prit la fuite. Ce qui leur arrivait parce que Dieu se retirait d’eux, afin que la nature humaine fût confondue en leur personne. Car si l’on entend les Israélites demander, après leur sortie d’Égypte, où donc est Moïse, supposez qu’il les eût encore introduits dans la Palestine, que n’eussent-ils pas dit ? Voilà donc pourquoi Paul dit : « Je me retiens de peur « qu’on ne m’estime… » Il ne dit pas, de peur qu’on ne dise, mais, de peur qu’on ne s’imagine que ma valeur est plus considérable. De sorte que, par là encore, il est évident que c’est de lui-même qu’il parle dans tout ce passage. Voilà pourquoi il disait en commençant « Il ne m’est pas avantageux de me glorifier ». Ce qu’il n’aurait pas dit s’il se fût proposé de parler d’un autre, car quel inconvénient y a-t-il à se glorifier au sujet d’un autre ? C’était bien lui qui avait été honoré de ces révélations. De là, les paroles qu’il ajoute : « Aussi, de peur que la grandeur de mes révélations ne m’inspirât de la hauteur, j’ai ressenti dans ma chair un aiguillon, qui est un ange de Satan, pour me souffleter (7) ». Que dites-vous ? Celui qui regardait la royauté comme un pur néant, qui ne tenait aucun compte de la géhenne pour l’amour de Jésus-Christ, il attachait à la gloire que donne la foule assez de prix pour s’enorgueillir, pour avoir besoin d’un frein continuel ? Il ne dit pas, un ange qui me soufflettera, mais, « qui est un ange de Satan, pour me souffleter ». Actuellement, qu’est-ce que cela veut dire ? Que signifie donc cette parole ? Il nous faut d’abord découvrir ce que peut être cet aiguillon, et ce que peut être cet ange de Satan, et alors nous comprendrons. Quelques interprètes ont été d’avis qu’il fallait entendre par là une certaine douleur de la tête,.que le démon lui communiquait ; mais n’en croyons rien. Le corps de Paul n’aurait pas pu être livré aux mains du démon, puisque le démon lui-même cédait à un simple commandement de Paul ; puisque l’apôtre lui dictait des lois, lui fixait des limites, lui livrait le fornicateur pour mortifier sa chair (1Co 5,5), et que Satan n’aurait pas osé s’attaquer à d’autres. Que signifie donc cette parole de Paul ? Satan, dans la langue des Hébreux, veut dire adversaire, et c’est le nom que l’Écriture donne, dans le troisième livre des Rois, à ceux qui se portent comme adversaires, et, à propos de Salomon, elle dit : « Il n’y avait pas de satan dans les jours de ce roi » (1Ro 5,4), c’est-à-dire, d’adversaires faisant la guerre, ou suscitant des troubles. Ce que dit l’apôtre signifie donc : Dieu n’a pas permis que la prédication se répandît sans obstacles ; pour rabaisser notre orgueil, il a laissé nos adversaires nous attaquer. Car c’est là ce qui pouvait abattre l’orgueil, beaucoup plus que ce qui n’eût rien fait, à savoir une douleur de tête. Par ange de Satan, l’apôtre entend donc Alexandre, l’ouvrier en bronze, Hyménée, Philète, et enfin tous les adversaires de la parole, qui disputaient contre lui, qui lui faisaient la guerre, qui le jetaient en prison, qui le meurtrissaient, qui l’emportaient pour lui faire subir leurs violences, qui accomplissaient contre lui les œuvres de Satan. Donc, de même qu’il appelle fils du démon, les Juifs ardents à produire les œuvres du démon, de même, il appelle ange de Satan, tout homme qui faisait obstacle à la prédication. Voilà donc pourquoi il dit : « J’ai ressenti un aiguillon… pour me « souffleter » ; ce n’est pas Dieu qui donnait des armes à de tels ennemis, loin de nous cette pensée, mais Dieu ne les châtiait pas, ne les punissait pas, il les laissait faire, il les laissait libres pour un temps : « C’est pourquoi j’ai prié trois fois le Seigneur (8)». Ce qui veut dire, bien souvent. 3. Il y a une grande humilité à ne pas dissimuler son abattement devant les persécutions, ses fatigues, le besoin de prier pour se voir affranchi dé ses épreuves. Exemple que Paul nous donne : « Et il m’a répondu : Ma grâce vous suffit, car ma puissance éclate dans la faiblesse (9) ». Ce qui veut dire : Il vous suffit de ressusciter les morts, de guérir les aveugles, de purifier les lépreux, des autres miracles que vous opérez ; ne cherchez pas à fuir les dangers, les craintes, les embarras des affaires en publiant l’Évangile. Mais vous souffrez, vous éprouvez de l’abattement ? N’allez pas regarder comme une preuve de mon impuissance le grand nombre de ceux qui veulent vous nuire, qui vous meurtrissent, qui vous persécutent, qui vous frappent de verges : cela même est une marque de ma puissance : « Car ma puissance », dit Dieu, « éclate, dans la faiblesse » ; on vous verra vous, les persécutés, triomphant de vos persécuteurs ; vous chassés, victorieux de ceux qui vous chassent, vous enchaînés, convertissant ceux qui vous enchaînent. Ne demandez donc pas le superflu. Voyez-vous comme l’explication que donne l’apôtre diffère de celle qui est donnée par Dieu ? L’apôtre dit : « De peur que la grandeur de mes révélations ne m’inspirât de la hauteur, j’ai ressenti, dans ma chair, un aiguillon » ; quant à Dieu, il lui fait dire, que c’est pour manifester sa puissance, qu’il permet tout. Donc, ce n’est pas seulement le superflu que vous demandez, mais ce qui jetterait une ombre sur la gloire de ma puissance. Car le, « Il vous suffit », a pour but de montrer que l’apôtre n’a besoin de rien davantage, que tout' s’accomplit sans que rien ne manque. D’où ressort encore la preuve que Paul ne parle pas d’une douleur de tête. Assurément ils n’étaient pas malades, ceux qui prêchaient l’Évangile (comment auraient-ils pu prêcher s’ils n’avaient eu la force du corps) ce qui est vrai ; c’est que ce furent des bannis, des persécutés, qui triomphèrent de tous leurs ennemis. Donc, dit-il, après avoir entendu de telles paroles, « je prendrai plaisir à me glorifier de mes faiblesses ». Il veut prévenir le découragement des fidèles ; ces faux apôtres fondaient leur gloire sur des titres tout opposés ; les vrais apôtres étaient en proie aux persécutions ; Paul tient à montrer que ces persécutions mêmes rehaussent sa gloire, ne servent qu’à rendre plus éclatante la puissance de Dieu, et qu’il fait bien de se glorifier de ce qui arrive. Voilà pourquoi il dit : « Je prendrai donc plaisir à me glorifier ». Ce n’est pas avec chagrin que j’ai fait l’énumération que vous avez entendue, ni que je vous ai dit : « J’ai ressenti un aiguillon », mais avec fierté, mais avec un sentiment de ma force qui grandit. Aussi ajoute-t-il : « Afin que la puissance de Jésus-Christ habite en moi ». Il y a ici une pensée nouvelle, qui n’est qu’indiquée à mots couverts, c’est que, plus les épreuves devenaient rigoureuses, plus la grâce acquérait d’intensité et de persistance : « Et ainsi je me complais dans toutes mes faiblesses (10) ». Quelles faiblesses, dites-moi ? « Dans les outrages, dans les persécutions, dans les nécessités, dans les angoisses ». Voyez-vous comme ici l’explication est des plus claires ? Dans ces diverses espèces de faiblesses, il ne parle ni de fièvres, ni d’autre mal périodique de ce genre, ni de toute autre maladie du corps, mais d’outrages, de persécutions, d’angoisses. Comprenez-vous ce qu’il montre de sagesse ? Il désirait d’être affranchi de ses tribulations ; mais du moment que Dieu lui a dit que cette délivrance ne doit pas avoir lieu, non seulement il ne se décourage pas en n’obtenant pas l’effet de sa prière, mais il se réjouit. De là, cette parole : « Je me complais », c’est-à-dire, je me réjouis d’être, je désire d’être outragé, persécuté, dans les angoisses, pour Jésus-Christ. Et ex tenant ce langage, il rabaissait les orgueilleux, et il relevait les courages, il empêchait les fidèles de rougir à la pensée de ses souffrances. Ces choses suffisent pour nous rendre les plus illustres de tous les hommes. Il ajoute ensuite une autre explication encore de sa joie : « Car lorsque je suis faible, c’est alors que je suis puissant ». Qu’avez-vous à vous étonner que la puissance de Dieu se révèle alors ? C’est alors que je suis puissant, moi aussi ; c’est alors surtout que la grâce vient en moi. A mesure que ses souffrances abondent, pour nous abonde la consolation. Où est l’affliction, là se rencontre la consolation ; où est la consolation, là est la grâce. C’est quand il était en prison, qu’il faisait ces œuvres admirables ; c’est quand il essuyait des naufrages, quand il était transporté sur une terre barbare, c’est alors surtout que sa gloire éclatait. Quand il entrait, chargé de fers, au tribunal, c’est alors qu’il triomphait du jugé même. L’Ancien Testament nous montre des faits du même genre ; les épreuves montraient dans sa fleur la vertu des justes ; ainsi les trois jeunes hommes, ainsi Daniel, et Moïse, et Joseph, ainsi tous ont vu briller leur gloire, ont mérité d’insignes couronnes. Ce qui purifie Pâme, c’est l’affliction qui lui vient de Dieu ; c’est alors qu’elle en reçoit plus d’assistance ; comme elle a besoin de plus de secours, elle obtient plus de grâces. Même avant de jouir de la récompense que Dieu lui tient en réserve, elle recueille déjà de grands biens pour fruit de sa sagesse. Car l’affliction déracine l’orgueil, fait disparaître la lâcheté de l’indolence, elle répand sur vous l’huile de la patience ; elle met à découvert la bassesse, des choses humaines, c’est une grande leçon de sagesse, Toutes les passions lui cèdent, la jalousie, l’envie, les désirs déréglés, le faste de la puissance, la cupidité, la luxure, la vanité, l’orgueil, la colère, toute la cohorte des maladies dé ce genre. Voulez-vous considérer, dans la réalité de la vie, les hommes en particulier, les peuples dans leur ensemble, je pourrai vous les montrer dans l’affliction, vous les montrer au sein du repos, et vous faire comprendre tout le profit de l’une, toute la lâcheté qui provient de l’autre. 4. Quand les Hébreux étaient dans le malheur, quand on les poursuivait, ils gémissaient alors, ils invoquaient Dieu, ils obtenaient d’en haut un puissant, secours ; au contraire, quand ils s’engraissaient de leur prospérité, ils regimbaient. Les Ninivites, de leur côté, ne profitèrent de leur félicité que, pour irriter Dieu, qui dut menacer de détruire leur ville jusque dans ses fondements ; une fois humiliés par la prédication de Jonas, ils montrèrent une parfaite sagesse. Voulez-vous considérer un homme en particulier, voyez Salomon. Quand il était dans les inquiétudes et dans le trouble que lui inspirait le gouvernement de son peuple, il mérita d’avoir une sublime vision ; mais, dès qu’il se fut livré aux délices, il plongea jusqu’au fond dans l’abîme de la corruption. Et son père ? Quand mérita-t-il l’admiration et la gloire ? N’est-ce pas quand il fut dans l’adversité ? Absalon, maintenant, ne pratiqua-t-il pas la sagesse, tant qu’il mena la vie d’un fugitif ; mais, à son retour, ne se montra-t-il pas un tyran et un parricide ? Et Job ? Sa vertu brilla au sein de la tranquillité, mais elle partit plus brillante encore après son affliction. Mais à quoi bon ces vieilles histoires des temps anciens ? Il suffit de considérer ce qui se passe aujourd’hui chez nous, pour comprendre tout le profit de l’affliction. Aujourd’hui, nous jouissons de la paix, et nous sommes tombés, nous languissons, nous avons rempli l’Église de mille maux ; quand nous étions tourmentés, nous avions plus de sagesse, plus de dignité, plus de zèle, plus d’ardeur, pour rechercher les pieuses réunions, pour entendre la parole. Ce que le feu est pour l’or, l’affliction l’est pour l’âme ; elle en fait disparaître les souillures, elle lui rend sa pureté, elle rehausse l’éclat de sa gloire. L’affliction mène au royaume du ciel ; la prospérité tranquille, à la géhenne. C’est ce qui fait que l’une est la voie étroite ; l’autre, la voie large. De là, ce que disait le Christ lui-même : « Dans le monde, vous aurez l’affliction » (Jn 16,33), nous annonçant par là un grand bien. C’est pourquoi, si vous êtes un disciple, cheminez par la voie étroite de l’affliction ; ne vous attristez pas, ne vous laissez point abattre. Si vous ne consentez pas à cette affliction, il vous en faudra subir une autre dont vous ne retirerez aucun profit. L’envie, l’amour des richesses, le feu de la fornication, la vaine gloire, toutes les autres passions perverses, tourmentent et affligent l’âme ; non moins que la douleur et les larmes. Si vous ne voyez ni les larmes ni les chagrins du méchant, c’est la honte qui le retient, ou l’engourdissement de son mal ; pénétrez dans son âme, vous y verrez régner la tempête. Donc, puisque quelle que soit la voie que l’on suive, l’affliction est inévitable, pourquoi ne pas, embrasser de préférence le genre de vie où l’affliction mérite d’innombrables couronnes ? Aussi, c’est par la voie étroite des afflictions que Dieu a conduit ses saints. Il procurait ainsi leur bien, et en même temps celui des autres, de peur qu’ils ne conçussent d’eux une idée trop haute. Ce quia fait dans les premiers temps prévaloir l’idolâtrie, c’est qu’on a exagéré l’admiration que méritaient les hommes ; c’est ainsi qu’Alexandre a été considéré comme un treizième Dieu par le sénat romain. Car ce sénat avait le pouvoir de créer des dieux par ses décrets. A la nouvelle de tout ce que le Christ avait fait, le gouverneur de la Judée envoya demander à Rome s’il plaisait aux sénateurs de décréter que le Christ aussi était un Dieu. Ils n’en voulurent pas entendre parler dans leur colère et dans leur indignation de ce que, devançant leur suffrage et leur décret, la vertu du Crucifié avait, par son propre éclat, conquis toute la terre. Cette conduite du sénat de Rome était, contre l’intention même des sénateurs, un effet dé la suprême sagesse qui ne voulait pas faire proclamer la divinité du Christ comme fondée sûr dés suffrages humains ; qui ne voulait pas que l’on pût le confondre avec un de ces dieux sortis de leurs votes. Ces hommes-là mirent jusqu’à des athlètes au rang des dieux, ainsi que les infâmes qui servaient à Adrien ; on sait d’où vient le nom de la ville d’Antinoüs. Comme la mort accuse notre nature mortelle, le démon a trouvé, dans l’immortalité de l’âme, combinée avec tous les excès de la flatterie, un moyen de précipiter les peuples dans l’impiété. Voyez sa scélératesse : quand nous faisons de cette considération un usage convenable, le démon détruit l’édifice qu’élèvent nos paroles ; veut-il au contraire faire servir à notre perte l’immortalité, il affermit l’édifice avec le plus grand soin. Si l’on dit : Et d’où vient ce dieu Alexandre ? n’est-il pas mort, et misérablement ? Mais son âme est immortelle, répond-on. Vous affirmez l’immortalité maintenant, et vous faites profession de sagesse pour nous séparer du Dieu maître de toutes choses ; mais quand c’est nous qui l’appelons le plus grand don de Dieu, nous sommes des esprits bas et terre à terre, en rien supérieurs aux êtres sans raison, victimes de l’erreur, et vous nous détrompez. Si nous nous avisons de dire que le Crucifié vit encore, on nous répond par le rire, malgré le cri de l’univers qui l’attesta jadis, qui l’atteste aujourd’hui ; jadis, par les miracles ; aujourd’hui, par ceux qui se sont convertis ; un mort certes ne fait pas de si belles choses. Qu’on vous dise qu’Alexandre est vivant, vous le croyez, sans pouvoir cependant fournir aucun signe. Comment ! répondra-t-on ; mais que d’admirables choses n’a-t-il pas faites de son vivant ! que de nations, que de villes par lui soumises, quelles guerres n’a-t-il pas faites, quelles victoires, quels trophées ! 5. Eh bien, que direz-vous si je vous montre en Jésus-Christ ce à quoi n’a jamais pensé ni ce fameux Alexandre, de son vivant, ni aucun autre, quel qu’il soit, des hommes qui ont jamais existé ? quelle autre preuve de la résurrection vous faudra-t-il encore ? Qu’on livre de son vivant d’heureux combats, que l’on remporte des victoires, quand on est roi, que l’on a des armées sous sa main, il n’y a là rien de merveilleux, rien d’étonnant, rien de bien nouveau ; mais qu’après avoir été crucifié, enseveli, on opère de si grandes œuvres partout, sur la terre et sur la mer, voilà ce qui est fait surtout pour frapper de stupeur, pour proclamer une divine et ineffable puissance. Alexandre, après sa mort, n’a pas recomposé son empire déchiré, détruit : comment aurait-il eu ce pouvoir, ce mort ? Le Christ, au contraire, c’est après sa mort qu’il a surtout affermi son empire. Et à quoi bon parler du Christ quand ses disciples mêmes ont reçu de lui le don de voir, après leur trépas, leur gloire plus brillante ? Où est-il, répondez-moi, le tombeau d’Alexandre ? montrez-le-moi, et dites-moi quel jour il a cessé de vivre ? Mais, pour les serviteurs mêmes du Christ, leurs tombeaux sont glorieux, ils ont pris possession de la capitale du monde. Les jours de leur mort sont illustres, ce sont des jours de fête pour l’univers. Le tombeau d’Alexandre, les siens mêmes ne sauraient où le trouver ; le tombeau du Christ, les barbares mêmes le connaissent. Les sépultures des serviteurs du Crucifié sont plus splendides que les palais des souverains, et ce n’est pas seulement par la grandeur et la beauté des constructions, supérieures, on le sait, à tous les bâtiments impériaux ; mais, ce qui est bien plus glorieux, par l’empressement des peuples qui s’y réunissent. Celui qui porte la pourpre se rend à ces tombeaux pour les baiser ; il dépose son faste, il supplie les saints de lui servir d’appui auprès de Dieu ; c’est pour se faire d’un fabricant de tentes, d’un pêcheur, et encore sont-ils morts, des protecteurs, qu’il est là en prières, ce souverain portant diadème. Oserez-vous donc, répondez-moi, regarder comme mort le Maître de ces hommes, celui dont les serviteurs, même quand ils ont cessé de vivre, sont les protecteurs des rois de la terre ? Ces spectacles, on ne les voit pas seulement dans Rome, on les voit aussi à Constantinople. Car le fils de Constantin-le-Grand n’a pas cru pouvoir faire un plus grand honneur à son père que de le déposer sous les portiques du pêcheur ; ce que sont les portiers des souverains dans leurs palais, les souverains le sont, pour les pêcheurs, dans leurs sépultures. Les pêcheurs, comme maîtres de la résidence, occupent l’intérieur ; les empereurs se trouvent trop honorés d’avoir leur place près de la porte et de servir ainsi à montrer, même à des infidèles, que des pêcheurs au jour de la résurrection obtiendront sur eux la supériorité. S’il en est ainsi maintenant dans les sépultures, à bien plus forte raison en sera-t-il de même, dans la résurrection ; bouleversement complet ; les empereurs sont devenus des domestiques, des serviteurs ; les sujets sont élevés à la dignité de souverains ou plutôt à une dignité bien plus haute encore. La vérité elle-même fait foi que ce n’est point par flatterie que les choses se passent ainsi, car le voisinage des saints profite à la gloire des empereurs. Car bien plus augustes que toutes les sépultures impériales sont ces tombeaux des saints : d’une part, complète solitude, d’autre part, la foule qui se presse. Voulez-vous faire la comparaison entre les cours des empereurs et ces tombeaux ? Nouvelle preuve de la même victoire. D’un côté, beaucoup de gens pour écarter le peuple ; d’un autre côté, beaucoup d’amis qui invitent, qui attirent à eux les riches, les pauvres, les hommes, les femmes, les esclaves, les hommes libres ; d’un côté, un appareil terrible ; d’un autre côté, une joie ineffable. Mais pourtant c’est un plaisir que de voir l’empereur, dans son manteau d’or, la couronne en tête, et, à ses côtés, généraux, magistrats, préfets, tribuns, centurions, prêteurs ? Oui, mais nos spectacles à nous sont tellement plus augustes, tellement plus redoutables, que les autres, en comparaison, n’ont plus l’air que d’un jeu de théâtre et d’une puérilité. Il vous suffit de franchir nos seuils pour que le seul aspect du lieu transporte votre pensée vers le ciel, vers le Roi d’en haut, vers l’armée des anges, vers le trône sublime, vers la gloire inaccessible. Il ne s’agit plus d’un préfet quia pouvoir de mettre l’un en liberté, de charger l’autre de fers ; les ossements de nos saints n’ont pas cette pauvre et misérable puissance ; ils en ont une autre, et celle-là est bien plus considérable. Ils arrêtent les démons, ils les torturent ; ils affranchissent des plus tristes liens ceux qui étaient enchaînés. Quoi de plus redoutable, que ce tribunal ? On ne voit personne ; personne n’est là déchirant visiblement les flancs du démon, et cependant ce sont des voix, des cris déchirants, des coups de fouet, des gémissements arrachés par les tortures, des langues de feu, le démon ne pouvant pas résister à cette merveilleuse puissance. Ceux qui ont été revêtus, de corps triomphent de puissances incorporelles ; de la poussière, des os, de la cendre causent les déchirements de ces natures invisibles. Voilà pourquoi on ne fait pas de voyages pour voir des palais d’empereurs ; mais une foule d’empereurs ont fait des voyages pour assister à un pareil spectacle. C’est que les signes, les symboles du jugement à venir apparaissent dans les temples de nos saints ; les ossements des martyrs nous annoncent les démons frappés de verges, les hommes purifiés, affranchis. Voyez-vous la puissance des saints même après leur mort ? Voyez-vous la faiblesse dés pécheurs même encore vivants ? Donc fuyez le vice afin de triompher des méchants, et attachez-vous, de toutes vos forces, à la vertu. Car si, même ici-bas, telle est sa puissance, considérez ce que fera paraître la vie à venir. Possédé sans cesse de cet amour, attachez-vous à l’éternelle vie ; puissions-nous tous en jouir, par la grâce et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient, comme au Père, comme au Saint-Esprit, la gloire, la puissance, l’honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il. HOMÉLIE XXVII.
J’AI ÉTÉ IMPRUDENT EN ME GLORIFIANT ; C’EST VOUS QUI M’Y AVEZ CONTRAINT, CAR C’ÉTAIT A VOUS DE PARLER AVANTAGEUSEMENT DE MOI. (XII, 11, JUSQU’À 16) Analyse.
- 1. Des raisons qui portent saint Paul à se glorifier.— Des meilleures preuves du véritable apostolat. — De la patience. — Grandeur des œuvres de saint Paul ; sa modestie se borne à les indiquer en très-peu de mots.
- 2. Reproche à la fois sévère, doux et délicat, à l’adresse des fidèles dont il ne veut rien recevoir.— Belle pensée, que ce n’est pas aux enfants à thésauriser pour leurs pères, mais aux pères pour leurs enfants.— Dévouement paternel de saint Paul, son désintéressement porté jusqu’au plus grand sacrifice.— Exemple qu’il nous donne.
- 3. Il est odieux, il est monstrueux de ne pas aimer qui, nous aime.— Autre pensée : rien n’est plus inutile au public, aux particuliers, qu’un homme incapable d’affection. – Contre la haine jalouse.— Image énergique : mieux vaut un serpent dans les entrailles, que l’envie dans l’âme.— Texte des plus éloquents.
- 4. L’Église, actuellement divisée, comparée à un corps qui vient de mourir.
1. Après avoir terminé son éloge personnel, il ne s’en tient pas là, il s’excuse encore, il demande qu’on lui pardonne le langage qu’il a tenu, qu’il attribue à la nécessité, non à sa libre détermination. Quelle qu’ait été cependant la nécessité, il se traite d’imprudent. Il a commencé par dire : « Souffrez-moi comme imprudent », et : « Je fais paraître de l’imprudence » ; maintenant il supprime le « Comme », le « Je fais paraître », il se traite purement et simplement d’imprudent. Après avoir produit, par ses paroles, le fruit qu’il se proposait, il ne se gêne plus, il ne garde plus de ménagement pour flétrir les fautes de ce genre ; il tient à bien démontrer à tous qu’on ne doit jamais, sans nécessité, se louer soi-même, puisque lui, Paul, nonobstant une nécessité réelle, se traite d’imprudent. Il fait ensuite retomber la responsabilité de ce qu’il a dit, non sur les faux apôtres, mais uniquement sur les disciples. « C’est vous », dit-il, « qui m’y avez contraint ». Car si ces faux apôtres ne faisaient que se glorifier, mais sans vous jeter dans l’erreur, sans vous perdre, je ne me serais pas risqué jusqu’au point de m’abaisser à de pareils discours ; mais ils corrompaient toute l’Église, et moi, ne considérant que votre intérêt, j’ai été contraint d’être un imprudent. Et il ne dit pas : j’ai craint qu’après avoir usurpé la primauté auprès de vous, ils n’en vinssent à répandre leurs doctrines ; quant à cette pensée, il l’a exprimée plus haut par ces paroles : « J’appréhende qu’ainsi que le serpent a séduit Eve, vos esprits aussi ne se corrompent » ; dans le passage qui nous occupe en ce moment, l’apôtre parle d’une autre manière, avec plus d’autorité et de puissance ; ce qu’il vient de dire lui donne plus de liberté : « Car c’était à vous de parler avantageusement de moi ». Il en dit ensuite la raison et il ne reparle plus de ses révélations ; il ne raconte pas seulement les miracles qu’il a opérés, il parle aussi de ses épreuves. « Puisque je n’ai été en rien inférieur aux plus éminents d’entre les apôtres ». Voyez encore ici, comme il parle avec plus d’autorité. Auparavant, il disait : « Je ne pense pas avoir été inférieur en rien » ; ici, affirmation absolue, avec la confiance, comme je l’ai déjà dit, que lui donnent les preuves qu’il vient d’énumérer ; toutefois, même dans cette circonstance, il ne se départ pas de la modestie qui le caractérise. En effet, on l’entend, comme s’il avait parlé avec orgueil, comme s’il avait exagéré le jugement en sa faveur pour s’être mis au nombre des apôtres, reprendre de nouveau un ton d’humilité : « Encore que je ne sois rien, les marques de mon apostolat ont paru parmi vous (12) ». Ne regardez pas, dit-il, si je suis misérable et petit, mais seulement si vous n’avez pas trouvé en moi tout ce que vous deviez attendre d’un apôtre. Et il ne dit pas : encore que je sois misérable, mais, ce qui exprime plus d’abaissement encore : « quoique je ne sois rien ». En effet, qu’importé que vous soyez grand, si vous n’êtes utile à personne ? Il ne sert absolument de rien qu’un médecin, par exemple, ait de l’habileté, s’il ne guérit jamais ses malades. Ne recherchez donc pas, dit-il, s’il est vrai que je ne suis rien ; mais considérez donc, en ce qui concerne le bien à vous faire, que je n’ai été inférieur en rien à personne, mais que je vous ai donné la preuve de mon apostolat. Je n’aurais donc pas dû être obligé de parler de moi. Ce n’est pas qu’il sentît le besoin d’être recommandé auprès des hommes ; comment aurait-il pu tenir à de pareils titres, lui qui ne comptait pour rien le ciel même pour l’amour de Jésus-Christ ? Mais c’est qu’il était possédé du désir de les sauver. Ensuite, comme on aurait pu lui dire : Et que nous fait à nous que vous n’ayez en rien été inférieur aux plus éminents d’entre les apôtres, il ajoute : « Les marques de mon apostolat ont paru parmi vous, dans toute sorte de patience, et dans les miracles et dans les prodiges ». Ah ! quelle mer d’œuvres magnifiques franchie d’un bond par lui en ces courtes paroles ? Or, voyez ce qu’il met en premier lieu : la patience. Voilà, en effet, la marque de l’apôtre : tout souffrir avec un noble courage. Voilà ce qu’indique une expression si courte ; quant aux miracles ; qui n’étaient pas des fruits de sa vertu propre, il en parle en plus de mots. Considérez combien de prisons, combien de coups, combien de dangers, combien de pièges perfides, combien d’épreuves il fait entendre ici, combien de guerres intestines, combien de guerres avec les étrangers, combien de douleurs, combien d’assauts renferme ce simple mot de patience ! Et maintenant, par ce mot de miracle, comprenez combien de morts ressuscités, combien d’aveugles guéris, combien de lépreux purifiés, combien de démons chassés ! En entendant ces paroles, apprenons, nous aussi, quand la nécessité nous contraint à parler de nous à notre avantage, à couper court le chapitre de nos perfections, à imiter l’apôtre. 2. Ensuite, comme on aurait pu lui dire : si vous êtes grand, si vous avez beaucoup fait, toutefois vous n’avez pas tant fait que les apôtres des autres Églises, il ajoute : « Car en quoi avez-vous été inférieurs aux autres Églises (13) ? » Vous n’avez pas eu, en fait de grâces, une moindre part que les autres. Mais, dira-t-on peut-être, pourquoi se tourne-t-il maintenant vers les apôtres ; après avoir engagé le combat contre les faux apôtres, pourquoi le cesse-t-il ? C’est pour relever tout à fait les courages, c’est pour montrer, non seulement qu’il vaut mieux que ces faux docteurs, mais qu’il ne le cède en rien aux grands apôtres. Voilà pourquoi, quand il parle des prétendus ministres de Jésus-Christ, il dit : « Je le suis plus qu’eux » ; mais quand c’est aux apôtres qu’il se compare, il se contente de ne leur être pas inférieur, quoiqu’il ait travaillé plus qu’eux. Et par là il montre aux fidèles qu’ils outragent les apôtres, en le mettant, lui leur égal, au-dessous des faux docteurs. « Si ce n’est en ce que je n’ai point voulu vous être à charge ». Ici le reproche est sévère ; il y a plus de sévérité encore dans ce qui suit : « Pardonnez-moi ce tort que je vous ai fait ». Toutefois cette sévérité n’exclut ni l’affection ni l’éloge, puisque Paul suppose que les Corinthiens tenaient pour une injure son refus de rien accepter d’eux, ainsi que le manque de confiance qu’il leur témoignait en ne voulant pas qu’ils le nourrissent. Si vous m’accusez, (il ne dit pas : vous faites mal de m’accuser ; son expression est pleine de douceur), je demande mon pardon, accordez-moi ma grâce. Voyez sa sagesse : aussitôt qu’il leur a adressé ce reproche, aussitôt il les en veut consoler. Plus haut, après leur avoir dit : « La vérité de Jésus-Christ est en moi, on n’arrêtera point le cours de ma gloire », il ajoutait : « Est-ce que je ne vous aime pas ? Dieu le sait ; mais je veux retrancher une occasion de se glorifier, à ceux qui veulent trouver cette occasion en paraissant semblables à nous ». (2Co 11,10-12) Et, dans la première épître : « En quoi trouverai-je donc ma récompense ? En prêchant gratuitement l’Évangile que je prêche ». (1Co 9,18) Ici, même précaution : « Pardonnez-moi ce tort que je vous ai fait ». Car il tient toujours à dissimuler que c’est leur faiblesse qui est cause qu’il ne veut rien recevoir d’eux ; voilà pourquoi, ici encore, il tient ce langage : Si j’ai fait une faute, selon vous, pardonnez-la-moi. Ce qu’il disait, c’était à la fois pour les exciter et les adoucir. Et qu’on n’objecte pas. Si vous voulez réprimander, pourquoi vous défendre ? Si vous voulez adoucir, pourquoi réprimander ? Voilà précisément la marque de l’habileté faire une incision et refermer la plaie. Ensuite, je l’ai déjà dit, aussi souvent qu’il leur fait ce reproche, il l’adoucit, afin qu’on ne s’imagine pas qu’il espère recevoir d’eux quelque chose. Dans la première épître, il leur disait : « Je ne vous écris point ceci, afin qu’on me traite de même ; car mieux vaudrait pour moi mourir, que de souffrir qu’on me fît perdre cette gloire ». (1Co 9,15) Ici, ses paroles sont plus douces et plus caressantes. Comment s’y prend-il ? « Voici la troisième fois que je me prépare pour vous aller voir, et je ne vous serai pas à charge ; car ce ne sont pas vos biens que je cherche, mais vous ; car ce n’est pas aux enfants à thésauriser pour leurs pères, mais aux pères pour leurs enfants (14) ». Voici ce qu’il veut dire : Ce n’est pas parce que je ne reçois rien de vous que je ne vais pas vous trouver ; j’ai été vous voir deux fois, et je me prépare à vous aller voir une troisième, et je ne vous serai pas à charge. Son explication sur ce point est grave. Il ne dit pas : parce que vous êtes mesquins, parce que vous vous blessez vite, parce que vous êtes faibles ; mais que dit-il ? « Car ce ne sont pas vos biens que je cherche, mais vous ». Je cherche plus que de l’argent, je cherche des âmes et non des fortunes, votre salut et non votre bourse. Ensuite, comme on pouvait encore le soupçonner de parler ainsi par dépit, il ajoute encore une réflexion. Il pouvait croire qu’on lui dirait : Ne sommes-nous pas libres de conserver ce qui est à nous ? Par ce motif il a l’air de prendre leur défense, et il dit avec beaucoup de suavité : « Car ce n’est pas aux enfants à thésauriser pour leurs pères, mais aux pères pour leurs enfants » ; au lieu de maîtres et de disciples, il met parents et enfants ; il présente comme étant simplement l’accomplissement d’un devoir une conduite d’une perfection plus haute, car Jésus-Christ n’a point commandé à ses apôtres de ne rien accepter de leurs disciples ; c’est par ménagement pour eux que l’apôtre s’exprime ainsi, et voilà pourquoi il ne recule pas devant une certaine exagération. En effet, il ne se contente pas de dire : Ce n’est pas aux enfants à thésauriser pour leurs pères ; mais il ajoute que c’est pour les pères un devoir d’agir ainsi. Eh bien ! donc, puisque c’est un devoir : « Je donnerai très-volontiers tout ce que j’ai, et je me donnerai encore moi-même, pour le salut de vos âmes (15) ». C’est la loi de la nature qui ordonne aux pères de thésauriser pour leurs enfants, mais moi je fais plus, je m’ajoute moi-même à ce que je donne ; l’excès de sa générosité se manifeste non seulement en ce qu’il ne reçoit rien, mais en ce qu’il fait plus, il donne ; et il ne donne pas simplement, mais il donne avec une générosité sans borne, il donne ce qui lui manque à lui-même ; car c’est là ce qu’indique cette parole : « Je me donnerai encore moi-même ». S’il vous fallait ma chair même, je ne la ménagerais pas pour votre salut. Il y a, dans ce qui suit, un reproche et en même temps une, parole d’affection « Quoique moi qui vous aime tant, je me voie si peu aimé de vous ». Ce que je fais, dit-il, pour ceux que j’aime, et qui ne m’aiment pas autant. Considérez maintenant la gradation dans tous ces mérites de l’apôtre. Il était autorisé à recevoir,-mais il ne recevait rien premier mérite. Cependant il avait besoin second mérite ; cependant il leur prêchait l’Évangile : troisième mérite ; et il fait plus, il donne : quatrième mérite ; et non seulement il donne, mais son présent est considérable cinquième mérite ; et il ne donne pas seulement de l’argent, il se donne lui-même sixième mérite ; et à des gens qui n’ont pas pour lui un vif amour : septième mérite ; et pour qui il éprouve, lui, un vif amour : huitième mérite. 3. Sachons donc, nous aussi, suivre cet exemple. C’est une faute grave que de ne pas aimer son prochain ; c’en est une plus grave de ne pas répondre à l’amour qu’on nous porte. Si, en aimant celui qui nous aime, nous ne faisons rien de plus que les publicains, ne l’aimer pas, c’est être inférieur aux bêtes sauvages. Que dis-tu, ô homme ? Tu n’aimes pas celui qui t’aime ? alors pourquoi vis-tu ? à quoi pourras-tu jamais être utile ? dans quelles affaires ? dans celles qui intéressent l’État ? dans celles qui intéressent les particuliers ? Nullement, en aucune manière : rien de plus inutile qu’un homme qui ne sait pas aimer. La loi d’amour souvent a touché même des brigands, des assassins, des violateurs de sépulture ; pour avoir seulement mangé le sel ensemble, ils ont changé de mœurs, la table les a convertis ; et vous qui n’avez pas seulement même table, mais mêmes conversations, mêmes occupations, mêmes entrées, mêmes sorties avec d’autres hommes, vous ne les aimez pas ? Ceux qui se livrent à de coupables amours, dépensent leurs fortunes entières pour des femmes perdues, et vous qui avez au cœur un amour honnête, vous êtes froid, vous êtes lâche, vous êtes dépourvu de cœur au point de ne pouvoir aimer même quand il ne vous en coûte rien ? Mais qui donc, dira-t-on, peut être assez malheureux, assez semblable aux bêtes sauvages pour se détourner de celui qui l’aime, et pour le haïr ? Vous avez raison de regarder comme incroyable unetelle dépravation ; mais si je vous montre une foule de dépravés de ce genre, comment pourrons-nous supporter cette honte ? Tenir des discours méchants sur celui qu’on aime, entendre les discours méchants d’un autre sur lui, et ne pas le défendre, le voir honoré et lui porter une haine jalouse, que faut-il penser d’un tel amour ? Certes ce serait pourtant une bien faible preuve d’amitié que de ne pas être jaloux, de ne pas haïr, de ne pas susciter de combats contre celui qu’on aime ; il faudrait encore applaudir à sa prospérité, travailler à l’accroître ; mais quand toutes vos actions, toutes vos paroles tendent à sa ruine, quelle âme pourrait être plus misérable que la vôtre ? Hier, avant-hier, vous étiez son ami, vous partagiez ses entretiens et sa table ; puis, tout à coup, à la vue de la prospérité de celui qui est votre membre, jetant le masque de l’amitié, vous ne respirez plus que la haine, ou plutôt une fureur insensée. Cette fureur insensée se manifeste par le chagrin que vous cause la prospérité du prochain ; cette démente est le propre des furieux, des chiens possédés de la rage. Semblables à ces animaux, les envieux qu’irrite l’aiguillon sinistre, se jettent aussi sur tous. Mieux vaut un serpent replié dans les entrailles que l’envie qui rampe dans l’âme. Le reptile, souvent il suffit d’un remède pour le vomir ; la nourriture en adoucit l’effet ; ce n’est pas dans les entrailles que l’envie se replie, elle se roule au sein de l’âme, il est difficile de l’en faire sortir. Le reptile, dans l’intérieur du corps, n’en attaque pas les organes, si on lui donne sa nourriture ; mais l’envie, quelque abondante que pussent être les aliments que vous lui serviriez, s’en prend à l’âme même, qu’elle mord de toutes parts, qu’elle ronge, qu’elle déchire ; et rien ne saurait l’adoucir, rien ne saurait mettre un terme à sa fureur, rien qu’une chose, une seule : le malheur fondant sur celui qui prospérait ; voilà le seul remède qui la puisse guérir, ou plutôt ce remède ne fait rien. Car si tel subit l’adversité, elle en voit un autre qui est heureux, et les mêmes tortures la reprennent, et partout elle reçoit des blessures, et partout elle se sent frappée de nouveaux coups. Car il est impossible de se retourner sur la terre sans y voir des heureux. Et tel est l’excès de ce mal, que, même renfermé dans sa maison, l’envieux éprouve de la haine pour les hommes d’autrefois qui ont cessé de vivre. Or, que ceux qui vivent dans la société, au milieu de la foule, souffrent de cette maladie, c’est triste, mais ce n’est pas ce qu’il y a de plus affligeant ;-mais que ceux mêmes qui sont affranchis de tous les troubles de la vie publique, soient possédés du même mal, voilà ce qui est affreux, au-delà de tout ce qui se pourrait penser. Je voudrais garder le silence sur ce que j’ai à dire ; mais il faudrait que mon silence suffît pour effacer la honte de la réalité ; il y aurait alors de l’utilité dans le silence ; mais quand je pourrais me taire, les choses crieraient plus haut que ma langue, et mes paroles ne sauraient produire autant de mal que la notoriété de nos malheurs qui s’étalent à tous les yeux, et mon discours, sans danger, ne sera peut-être pas sans profit et sans utilité. Ce mal s’est attaqué à l’Église, et voilà ce qui a tout bouleversé, ce qui a détruit l’harmonie des membres ; voilà pourquoi nous nous élevons les uns contre les autres ; l’envie nous donne nos armes. De là l’excès de la dépravation. Lorsque tous conspirent à édifier, il faudrait encore s’estimer heureux que tous les fidèles demeurassent ; si, au contraire, nous conspirons tous à détruire, à quel terme aboutirons-nous ? 4. Que fais-tu, ô homme ? Tu penses qu’il t’est avantageux de ruiner ton prochain, et tu commences parte ruiner toi-même. Tu ne vois pas les jardiniers, les agriculteurs conspirant tous à un seul et même but ? L’un creuse, l’autre sème, un autre recouvre la racine, un autre arrose ce qui a été planté, un autre élève une baie, un mur, un autre encore écarte les bêtes nuisibles ; tous n’ont qu’un seul et même but : le salut de la plante. Ici, il n’en est pas de même ; moi, de mon côté, je plante, mais un autre remue et bouleverse tout. Laisse donc au moins à la plante le temps de pousser des racines, de se fortifier contre toute atteinte. Ce n’est pas mon ouvrage que tu détruis, c’est le tien que tu réduis à néant ; moi, j’ai planté ; toi, tu devais arroser. Donc si tu viens tout remuer, tu arraches la racine, et tu ne pourras plus prouver que tu as bien arrosé. Mais c’est la gloire de celui qui plante que vous ne pouvez souffrir ? Rassurez-vous, je ne suis rien, ni vous non plus. « Ni celui qui plante, ni celui qui arrose, n’est rien » (1Co. III. 7) ; c’est Dieu seul qui fait tout. De sorte que c’est lui que vous combattez, que, c’est a lui que vous faites la guerre en arrachant les plantations. Revenons donc enfin à la sagesse et à la vigilance. Je ne crains pas tant la guerre du dehors que le combat du dedans ; car une fois la racine bien enfoncée dans la terre, elle peut défier les vents ; mais si on l’ébranle, si, à l’intérieur, un ver la ronge, sans même qu’on attaque extérieurement la plante, tout s’en va. Jusques à quand rongerons-nous la racine de l’Église comme des vers ? C’est de la terre que s’engendrent de pareilles passions ; ou plutôt elles ne naissent pas de la terre, mais – du fumier ; leur mère, c’est la corruption. Soyons donc enfin des hommes fiers et forts, soyons donc des athlètes de la sagesse, chassons loin de nous toute cette hideuse portée de maux. Je vois tout le corps de l’Église étendu par terre en ce moment comme un corps mort. Comme dans un corps qui vient d’être privé de vie, je vois des yeux, des mains, des pieds, un cou, une tête, ruais ce que je ne vois pas, c’est un membre remplissant ses fonctions ; de même ici, tous ceux qui sont présents, ont la foi en partage, mais ce n’est pas la foi agissante ; nous avons éteint la chaleur vitale, nous avons fait, du corps de Jésus-Christ, un corps mort. Si cette parole est effrayante, bien plus effrayante encore est la réalité qui se montre par les œuvres. Nous nous donnons les noms de frères, mais nos actions révèlent des ennemis ; nous sommes tous, par le nom, membres les uns des autres ; nous sommes de fait divisés comme des bêtes féroces. Je ne tiens pas à étaler nos fautes, mais ce que j’en dis, c’est pour vous faire honte, c’est pour vous ramener. Un tel est entré dans une maison ; il a été reçu avec honneur : il fallait bénir Dieu en voyant traiter avec honneur celui qui est votre membre ; car cette conduite glorifie Dieu ; eh bien, c’est le contraire que vous faites ; vous dites du mal de votre frère auprès de celui qui l’a honoré, de manière à nuire à tous les deux, et en outre, à vous déshonorer vous-même. Pourquoi, ô malheureux, ô infortuné Vous entendez faire l’éloge de votre frère, par des hommes ou par des femmes, et c’est pour vous un sujet d’affliction ? Mais ajoutez donc plutôt à cet éloge, et c’est ainsi que vous ferez votre éloge à vous-même. Si, au contraire, vous ruinez l’éloge, d’abord vous dites du mal de vous-même, vous donnez de vous-même une mauvaise opinion, et vous ne faites que grandir celui que vous vouliez rabaisser. Quand vous entendez des louanges, associez-vous à ces louanges ; si ce n’est par la sainteté de votre vie, et par vos vertus, que ce soit au moins par la joie que, vous ressentez des belles actions. Une personne a fait entendre un éloge ; admirez, de votre côté ; c’est ainsi que cette personne vous louera, vous aussi, pour votre vertu, pour votre bonté. Ne craignez pas de rabaisser vos actions par l’éloge d’autrui ; car ce malheur n’arrive qu’à celui qui accuse. Car la, nature de l’homme c’est de tenir à ses opinions, et celui qui vous entend dire du mal d’une personne qu’il vient de louer s’obstine à rendre son éloge plus éclatant, afin de vous mortifier, afin de faire justice des détracteurs, et il les flétrit en lui-même, et il les accuse auprès des autres. Comprenez-vous quelle honte nous nous attirons par cette conduite, et comme nous dissipons, comme nous perdons le troupeau ? Ne soyons donc enfin que les membres les uns des autres, ne formons donc enfin qu’un seul corps. Que celui qui s’entend louer, repousse loin de lui les éloges, et les fasse retomber sur son frère ; que col ni qui entend louer son frère, se réjouisse de pareils discours. Si nous savons nous unir ainsi les uns aux autres, nous sentirons le bonheur de tenir à celui qui est la tête du corps entier ; si, au contraire, nous nous divisons contre nous-mêmes, nous écarterons loin de nous, pour surcroît de malheur, le secours de Dieu ; or, privés de cette assistance, nous verrons périr notre corps, que ne conservera plus la vertu d’en haut. Prévenons ce danger, chassons loin de nous la haine jalouse, méprisons la gloire qui vient des hommes, attachons-nous à l’amour et à la concorde. C’est ainsi que nous obtiendrons les biens présents et les biens à venir ; puissions-nous tous entrer dans ce partage, par la grâce et par la honte de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient, comme au Père, comme au Saint-Esprit, la gloire, la puissance, l’honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il. HOMÉLIE XXVIII.
SOIT, JE NE VOUS AI POINT ÉTÉ A CHARGE MOI-MÊME, MAIS ÉTANT ARTIFICIEUX, J’AI USÉ D’ADRESSE POUR VOUS SURPRENDRE. MAIS ME SUIS-JE SERVI DE CEUX QUE JE VOUS AI ENVOYÉS POUR BÉNÉFICIER SUR VOUS ? J’AI PRIÉ TITE DE VOUS ALLER TROUVER, ET J’AI ENVOYÉ AVEC LUI UN DE NOS FRÈRES. TITE S’EST-IL ENRICHI À VOS DÉPENS ? N’AVONS-NOUS PAS SUIVI LIT MÈNE ESPRIT ? N’AVONS-NOUS PAS MARCHÉ SUR LES MÊMES TRACES ? (XII, 16, 17, 18, JUSQU’A LA FIN DU CHAPITRE) Analyse.
- 1. Réponse de saint Paul à ceux qui pourraient lui objecter que, s’il n’a rien voulu recevoir par lui-même, il a reçu par l’entremise de ses disciples.— Il en appelle, en ce qui concerne ses envoyés, au témoignage des Corinthiens eux-mêmes.— Du zèle parfaitement désintéressé de l’Apôtre pour l’édification des fidèles.— Comment il les réprimande ; plus ses paroles sont sévères, plus, en môme temps, elles sont tempérées par l’affection.
- 2. L’orgueil envieux, cause principale de tous les dérèglements.— La fornication n’est pas la seule impureté ; toute espèce de péché souille l’âme.— De là, la faiblesse des pécheurs qui perdent facilement contenance devant les hommes irréprochables.— Achab, devant Elie ; Hérode, devant saint 1Jn.
- 3 et 4. Le vice ne peut soutenir l’aspect de la vertu, il la redoute.
1. Il y a certes une grande obscurité dans ces paroles, mais ce n’est pas sans dessein ni raison que l’apôtre s’exprime ainsi. II s’agissait d’argent, de justification dans des questions de ce genre, et Paul enveloppe d’une certaine ombre ce qu’il veut dire à ce sujet. Qu’entend-il par ces paroles ? Il vient de dire : Je n’ai rien voulu recevoir, et je suis prêt en outre à donner, à faire des dépenses ; il y a beaucoup de protestations de cette nature, et dans sa première lettre, et dans celle-ci. Maintenant, il dit quelque chose de plus ; il a l’air de prévenir une objection « et de la résoudre. Ce qu’il dit revient à ceci. Je n’ai fait aucun bénéfice sur vous. Mais peut-être me dira-t-on que si je n’ai rien reçu par moi-même, comme je suis artificieux, je me suis arrangé de manière que ceux que j’ai envoyés, vous ont de mandé en leur propre nom quelque chose, que j’ai fort bien reçu par leur entremise, que j’ai sauvé les apparences, que je n’ai rien reçu par moi-même, mais que j’ai reçu par le moyen des autres. Eh bien ! non ; personne ne saurait tenir ce langage ; et vous êtes mes témoins.—Voilà pourquoi il présente sa pensée sous forme d’interrogation : « J’ai prié Tite de vous aller trouver, et j’ai envoyé avec lui un de nos frères. Tite s’est-il enrichi à vos dépens ? » N’a-t-il pas marché comme moi ? C’est-à-dire, Tite lui aussi, n’a rien reçu. Vous voyez jusqu’où s’étendent les preuves de sa rigidité ; non seulement il s’est conservé personnellement sans reproche, il n’a rien reçu ; mais il a discipliné ses envoyés de manière à ne pas donner, par eux, la moindre prise à ceux qui voulaient le trouver en défaut. Il y a bien plus de grandeur encore dans cette conduite que dans celle du patriarche. De retour après sa victoire, le roi lui offrant des dépouilles, Abraham refusa de rien recevoir, (Gen 14,23-24) ; excepté ce que ses gens auraient pris pour leur nourriture ; mais Paul n’accepta pas même la nourriture qui lui était nécessaire, et, de plus, il ne permit pas à ses compagnons de l’accepter, et il ferma victorieusement la bouche à ses détracteurs effrontés. Aussi ne se borne-t-il pas à une simple affirmation, il ne dit pas que ses envoyés n’ont rien reçu ; mais, ce qui est bien plus significatif, il invoque le témoignage des Corinthiens eux-mêmes, comme quoi ils, n’ont rien reçu ; ce n’est pas lui qui décide la question de sa propre autorité, ce sont les Corinthiens eux-mêmes qui prononcent ; c’est la conduite que nous tenons d’ordinaire dans les faits qui sont incontestés, et qui nous laissent toute notre confiance. Répondez donc, leur dit-il, y en a-t-il un seul de ceux que nous vous avons envoyés qui ait fait un bénéfice sur vous ? Il ne dit pas qui ait reçu de vous quelque chose ; il se sert de l’expression « Faire d’injustes profits », s’enrichir aux dépens de quelqu’un ; l’expression est vive, mordante, c’est pour montrer que recevoir de celui qui ne veut pas donner, c’est chercher, avant tout, à faire un injuste profit. Et il ne dit pas, dans sa première interrogation : Tite a-t-il, mais : « Me suis-je servi de ceux que je vous ai envoyés ? » Vous ne pouvez pas dire qu’un tel n’a pas reçu, mais que tel autre a reçu. Personne n’a rien reçu. « J’ai prié Tite ». L’expression est éloquente. Il ne dit pas : J’ai envoyé Tite, mais : « Je l’ai prié », montrant par là que, même s’il avait reçu quelque chose, il aurait usé de son droit ; toutefois il a montré une grande rigidité. Voilà pourquoi, dans sa seconde interrogation, il dit : « Tite a-t-il fait quelque bénéfice sur vous ? N’avons-nous pas suivi le même esprit ? » Qu’est-ce à dire, « Le même esprit ? » Il attribue le tout à la grâce, il montre que tout ce qu’il y a de glorieux dans cette conduite ne vient pas de son énergie, de son courage, que c’est un pur don de l’Esprit, un bienfait de la grâce. En effet, c’était une grâce insigne que de supporter l’indigence, la faim, et de ne rien recevoir afin d’édifier les disciples. « N’avons-nous pas marché sur les mêmes traces ? » Ce qui veut dire : ils n’ont pas bronché, ils ont toujours montré la même rigidité. « Pensez-vous que ce soit encore ici notre dessein de nous justifier devant vous (19) ? » Voyez-vous cette peur qui ne le quitte pas de passer pour un flatteur ? Voyez-vous avec quelle sagesse apostolique il reprend sans cesse la même pensée ? Il a commencé par dire : « Nous ne prétendons point nous relever encore ici nous-même, mais vous donner une occasion de vous glorifier » (2Co 5,12) ; et, au commencement de l’épître : « Avons-nous besoin de lettres de recommandation ? » (2Co 3,1) « Tout ce que nous vous disons ici, est pour votre édification ». Il y a un changement de ton dans ces dernières paroles de notre texte ; elles sont caressantes. L’apôtre ne dit pas ouvertement aux fidèles : c’est pour ménager votre faiblesse que nous ne voulons rien recevoir de vous ; mais nous voulons vous édifier ; il parle d’une manière plus explicite qu’auparavant, il découvre la pensée dont il est pressé de se délivrer, il le fait toutefois sans les heurter. Il ne dit pas : c’est à cause de votre faiblesse, mais : c’est afin que vous soyez édifiés. « Car j’appréhende qu’arrivant vers vous, je ne vous trouve pas tels que je voudrais, et que vous ne me trouviez pas non plus tel que vous voudriez (20) ». Au moment de faire entendre une parole sévère, pénible, il s’excuse ; il vient de dire : « Tout ce que nous vous disons ici, est pour votre édification » ; il ajoute : « Car j’appréhende », afin d’adoucir l’amertume de ce qu’il prépare. Il n’y a là ni orgueil insolent, ni cette confiance que donne à un maître son autorité ; Paul montre ici la sollicitude d’un père, il éprouve plus de crainte que tes pécheurs mêmes, il tremble au moment de les corriger. Ce n’est pas tout, il rie tombe pas sur eux sans hésitation, il ne s’exprime pas de manière à tout dire, il est incertain : « J’appréhende qu’arrivant vers vous, je ne vous trouve pas tels que je voudrais » ; il ne dit pas : attachés à toutes les vertus, mais : « Tels que je voudrais » ; toutes ses expressions respirent l’amitié. Ces mots : « Que je ne vous trouve pas », marquent une attente trompée, il en est de même de : « Et que vous ne me trouviez pas non plus ». Car ce ne peut être un effet assuré de aria volonté, mais le résultat d’une nécessité dont la cause est en vous ; de là cette expression. « Que vous ne me trouviez pas non plus tel que vous voudriez ». Il ne dit pas, tel que je voudrais, mais, d’une manière plus efficace pour les piquer : « Tel que vous voudriez ». En effet, il entendait suivre, dès ce moment, sa volonté à lui ; non pas sans doute une volonté absolue, mais peu importe, une volonté décidée enfin à la sévérité. L’apôtre pouvait dire : « Tel que je ne veux pas être », et manifester ainsi son affection ; mais il ne veut pas flatter le relâchement de ceux qui l’écoutent : Ou plutôt, en parlant ainsi, son discours eût été plus difficile à supporter ; au contraire, sa manière présente est plus forte pour frapper et montre en même temps un esprit plus doux. C’est le caractère propre de la sagesse de Paul d’être d’autant plus caressant qu’il fait des blessures plus profondes. Ensuite, comme il y avait de l’obscurité dans son langage, il s’explique : « Je crains de rencontrer parmi vous des dissensions, des jalousies, des animosités, des médisances, des faux rapports, des esprits enflés ». Ce qu’il aurait dû dire en premier lieu, il le met à la fin ; en effet, c’était l’orgueil qui les soulevait contre lui. Mais l’apôtre ne veut pas avoir l’air de combattre d’abord ce qui gêne son action sur eux ; voilà pourquoi il parle d’abord de ce qu’il y a de général dans leurs égarements. 2. C’était l’envie qui les produisait, ces calomnies, ces accusations, ces dissensions. Comme une racine funeste, l’envie produisait la colère, l’esprit de dénigrement, la démence de l’orgueil et tous les autres fléaux qui, à leur tour, envenimaient cette haine jalouse. « Et qu’ainsi Dieu ne m’humilie encore, lorsque je serai retourné chez vous (29) ». Cet « Encore » est à lui seul un reproche. C’est bien assez, dit-il, de vos premiers égarements. Aussi disait-il au commencement : « C’est pour vous épargner que je ne suis pas allé à Corinthe ». (2Co 1,23) Voyez-vous comme il s’entend à montrer à la fois ce qui indigne son cœur, et l’affection qu’il ressent ? Mais maintenant que veut dire « Ne m’humilie ? » Il est pourtant glorieux d’avoir le droit d’accuser, de punir, de demander des comptes, de siéger comme juge, et c’est ce qu’il appelle une humiliation. Il était si loin de rougir de l’Humilité, de ce qu’on trouvait de bas dans sa personne, de méprisable en son discours (2Co 10,10), qu’il souhaitait de rester toujours en cet état, que ses prières tendaient à n’en pas sortir. Il explique bientôt sa pensée, et ce qu’il appelle humiliation c’est, avant tout ; la nécessité de châtier et de punir. Mais pourquoi, au lieu de dire : qu’en retournant chez vous je ne sois humilié, dit-il. « Que Dieu ne m’humilie lorsque je serai retourné chez vous ? » C’est que si ce n’était pour Dieu, je n’aurais aucun souci, tout me serait fort indifférent. Ce n’est pas par une usurpation orgueilleuse de pouvoir que je recherche ; lorsque je châtie, je ne veux qu’exécuter les ordres de Dieu. Il dit plus haut : « Que vous ne me trouviez pas tel que vous voudriez » : ici avec plus de ménagement, d’une manière plus douce, : plus affectueuse, il dit : « Et que je n’aie à en pleurer plusieurs qui ont péché ». Il ne se contente pas de dire : « Qui ont péché » ; il ajoute : « Et qui n’ont pas fait pénitence ». Il ne dit pas tous, mais « Plusieurs » ; et les pécheurs mêmes, il ne les désigne pas, il leur laisse un moyen facile de retourner à la pénitence ; il montre clairement que la pénitence peut effacer les fautes, et qu’enfin il ne pleurera que ceux qui sont incapables de faire pénitence, que les incurables, qui conservent leur plaie. Méditez donc sur la vertu apostolique de l’homme à qui sa conscience ne fait aucun reproche, qui gémit des fautes d’autrui, qui s’humilie parce que les autres ont péché. C’est là en effet ce qui doit surtout distinguer le maître, la compassion pour les malheurs de ses disciples, les chagrins, la douleur pour les blessures de ceux qu’il conduit. Il montre ensuite la nature du péché : « De leurs dérèglements et de leur impureté ». Ce qu’il désigne par là, à mots couverts, c’est la fornication ; mais si l’on tient à se rendre un compte exact des péchés de toute nature, ce nom leur convient à tous. Car quoique le fornicateur, l’adultère soient surtout ceux qu’on traite d’impurs, les autres péchés aussi mettent l', impureté dans l’âme. Voilà pourquoi, n’en doutez pas, le Christ traite d’impurs les Juifs ; ce ne sont pas seulement leurs fornications qu’il accuse, mais leur dépravation à d’autres égards. Aussi fait-il observer qu’ils n’ont pris soin de purifier que le dehors (Mat 23, 25) ; aussi dit-il ailleurs : « Ce n’est pas ce qui entre : qui souille l’homme, mais ce qui sort ». (Mat 15,11) L’Écriture dit ailleurs encore : « Tout homme au cœur insolent est impur devant le Seigneur ». (Pro 16,5) Et c’est avec raison. Rien de plus pur que la vertu, rien de plus impur que le péché ; car la vertu est plus éclatante que le soleil ; le péché est plus infect que la fange. C’est ce que peuvent prouver, par leur propre témoignage, ceux qui se roulent dans le bourbier, qui passent leur vie dans les ténèbres ; il suffit qu’on leur fasse ouvrir un moment les yeux. Tant qu’ils restent abandonnés à eux-mêmes, enivrés de leurs passions, ils continuent, comme dans l’obscurité, à croupir dans l’opprobre, dans l’ignominie ; ils ne sentent pas leur état, ils ne s’en rendent pas un compte exact ; mais s’ils se voient convaincus d’infamie par un homme vertueux, ne feraient-ils que l’apercevoir, c’est alors qu’ils reconnaissent combien leur état est misérable ; c’est comme un rayon qui tombe sur eux ; ils veulent alors cacher leur honte ; ils rougissent devant, ceux qui connaissent leur conduite, quand le témoin serait un esclave, et le coupable un homme libre ; quand le premier serait un sujet, et l’autre un souverain. C’est ainsi que l’aspect seul d’Élie couvrait Achab de confusion, avant même que le prophète eût parlé, rien que sa vue saisissait le roi ; l’accusateur gardait le silence, et le roi prononçait lui-même la sentence de sa propre condamnation ; ses paroles étaient celles du coupable convaincu : « Vous m’avez trouvé ; vous, mon ennemi ». (1Ro 21,20) Voilà comment Élie parlait à ce tyran avec une pleine liberté. Voilà comment Hérode, incapable de supporter la honte et les remords, (tel était l’éclat que donnait à son crime le cri retentissant de la : voix du prophète), fit jeter Jean en prison ; ce roi ressemblait à un homme qui se trouve en état de nudité, qui veut éteindre un flambeau, pour rentrer dans les ténèbres. Ou plutôt il n’osa pas l’éteindre lui-même, mais il le plaça comme sous un boisseau, dans l’intérieur de sa maison ; cette malheureuse et misérable femme le força enfin à l’éteindre. Eh bien, ils ne purent pas même par ce moyen faire disparaître leur crime ; ils le rendirent encore plus éclatant. Ceux qui demandaient pourquoi Jean était en prison, en apprenaient la cause, elle fut connue ensuite de tous ceux qui habitaient la terre et la mer, de tous sans exception, des hommes d’alors, des hommes d’aujourd’hui ; et ceux qui doivent naître apprendront à leur tour ce drame de forfaits, d’impuretés, d’infamie, joué par ces deux grands pécheurs, et il n’est pas de siècle qui puisse jamais en abolir la mémoire. 3. Le pouvoir de la vertu est si grand, si impérissable est le souvenir que la vertu laisse après elle, qu’elle n’a qu’à parler pour confondre ses contradicteurs. Pourquoi ce tyran jette-t-il en prison le prophète ? Pourquoi ne se contente-t-il pas de le mépriser ? Est-ce que Jean allait le traîner devant un tribunal ? Est-ce qu’il parlait de le punir de son adultère ? Est-ce que l’action de Jean ne se réduisait pas à des paroles ? Que craint-il donc et qu’a-t-il à trembler ? Quoi de plus, ici, que des paroles, que des discours ? C’est que ces paroles frappaient plus durement qu’un châtiment réel. Il ne le conduisait pas devant un tribunal, il le traînait devant sa conscience, il lui donnait pour juges toutes les consciences libres. Voilà pourquoi tremblait ce tyran, incapable de supporter la lumière de la vertu. Comprenez-vous la grandeur de la sagesse et de la vertu ? C’est elle qui fait qu’un prisonnier resplendit de plus de gloire qu’un tyran, et que ce tyran a peur et qu’il tremble. Celui-ci toutefois se contenta de le charger, de fers, mais cette femme criminelle provoqua le tyran à un meurtre. Cependant c’était lui plus qu’elle, qui était accusé. En effet, le prophète n’avait pas été trouver cette femme pour lui dire : Que faites-vous ? vous cohabitez avec le tyran ? Ce n’est pas qu’elle ne pût être accusée ; qui en doute ? mais c’est par lui que le prophète voulait que le scandale cessât : Voilà pourquoi c’est lui qu’il réprimande, et sa parole ne gronde pas d’une manière terrible. Il ne lui dit pas : O scélérat, ô le plus scélérat de tous les hommes, violateur des lois, impie, tu as foulé sous tes pieds la loi de Dieu, tu as tourné ses commandements en dérision, tu n’as reconnu pour loi que ta brutalité. Il ne lui dit rien de pareil ; dans ses reproches respire une modération, une douceur parfaite : « Il ne vous est pas permis d’avoir la femme de Philippe, votre frère ». (Mrc 6,18) C’était plutôt le ton de l’enseignement que de l’accusation, c’était plutôt une leçon qu’un châtiment, une réprimande qu’une poursuite, un avertissement qu’une attaque. Mais, je l’ai déjà dit, le voleur déteste la lumière, et les pécheurs détestent l’homme juste, rien que son aspect : « Il nous importune », dit l’Écriture, « rien que quand il paraît ». (Sag 2,14) En effet, ils n’en peuvent supporter les rayons ; les yeux malades ne soutiennent pas les rayons du soleil. Pour la foule des méchants ce n’est pas seulement la présence de l’homme juste, qui est insupportable, mais rien que le son de sa voix. Voilà pourquoi cette femme criminelle, cette femme la plus criminelle de toutes, cette infâme qui prostituait sa fille, ou plutôt qui en était le bourreau, cette misérable, qui pourtant n’avait ni vu le prophète, ni entendu sa voix, s’élança pour obtenir son meurtre, et elle s’associa, pour cette œuvré de sang, l’impudique qu’elle avait formée, qu’elle avait nourrie, tant elle redoutait le terrible prophète. Et que dit-elle ? « Donnez-moi ici, sur un plat, la tête de Jean ». Et pourtant, s’il est en prison, c’est pour toi, c’est à cause de toi qu’il est dans les fers, et cependant tu peux flatter ton amour insensé en te disant : J’ai triomphé du roi, il a repoussé une accusation publique, il n’a pas rejeté son amour, il n’a pas rompu nos liens adultères ; il s’en faut bien ; celui par qui il a été repris, il l’a chargé de chaînes. Quel est ton délire, quelle est ta rage, ô femme ; même après la réprimande tu jouis de ton amour ? Qu’as-tu à demander une table de furies, à préparer un banquet pour les démons tes bourreaux ? Voyez-vous le néant, la misère, la terreur, la lâcheté du vice ; voyez-vous que, plus il triomphe, plus il est frappé de faiblesse ? Cette femme avait moins le vertige avant que le prophète eût été jeté en prison ; c’est maintenant qu’elle se trouble surtout, maintenant qu’il est dans les fers ; c’est maintenant qu’elle dit : « Donnez-moi ici, sur un plat, la tête de Jean ». Et pourquoi « ici ? » Je crains, dit-elle, que le meurtre ne reste dans l’ombre, qu’il n’y ait des gens pour le soustraire au danger. Et pourquoi ne veux-tu pas tout son corps privé de vie, mais seulement sa tête ? C’est cette langue, dit-elle, qui m’a affligée, que je désire voir silencieuse. Eh bien, c’est tout le contraire qui aura lieu, ô malheureuse, ô misérable, cette langue fera entendre une voix encore plus éclatante dans cette tête tranchée, après ton crime. Jusqu’à ce jour, on n’entendait ses cris que dans la Judée, mais maintenant ils vont retentir jusqu’aux extrémités de la terre, et quelle que soit l’Église où vous entriez, chez les Maures, chez les Perses, dans les îles mêmes des Bretons, vous entendrez la voix éclatante de Jean : « Il ne vous est pas permis d’avoir la femme de Philippe, votre frère ». Mais cette femme, qui ne comprend rien, qui ne voit rien, pousse au meurtre, elle obsède, elle y précipite ce tyran insensé ; elle n’a qu’une peur, c’est qu’il ne change de volonté. Eh bien, remarquez encore cette nouvelle preuve de la puissance de la vertu. Le prophète est en prison, il est enchaîné, il est dans le silence, et cependant ce roi ne soutient pas l’aspect de l’homme juste. Comprenez-vous toute la faiblesse, toute l’impureté du vice ? Au lieu de mets, c’est une tête humaine qu’il fait apporter sur un plat. Quoi de plus exécrable, de plus abominable, de plus infâme que cette jeune fille ? Quelle voix a-t-elle fait entendre sur le théâtre de Satan, au banquet des démons ? Vous voyez une langue et une langue ; l’une portant des remèdes salutaires, l’autre, la perdition ; l’autre, dressant pour les festins de l’enfer, la table empoisonnée. Mais pourquoi l’ordre n’a-t-il pas été donné d’exécuter le meurtre dans la salle du banquet ? elle y aurait trouvé un plaisir plus exquis. Mais elle a eu peur, qu’à sa présence, qu’à sa vue, rien qu’en l’apercevant, rien qu’en entendant sa libre parole, toutes les dispositions ne fussent changées. Voilà pourquoi elle demanda sa tête, jalouse de dresser, de son infamie, ce trophée éclatant, qu’elle donna à sa mère. 4. Avez-vous bien compris ce salaire de la danse ? Avez-vous bien compris ces dépouilles conquises par l’artifice du démon ? Ce n’est pas de la tête de Jean que je parle, mais de l’adultère. Il suffit de se rendre un compte exact de ce qui se passe, pour voir que ce trophée est dressé contre lé roi ; et maintenant celle qui a triomphé – a été vaincue, le décapité a obtenu la couronne, et son nom a été proclamé ; après sa mort, il n’en u que plus vivement secoué la conscience des criminels. Nos paroles ne sont pas un vain bruit. Interrogez Hérode lui-même ; à peine eût-il appris les miracles de Jésus-Christ : « C’est Jean c’est lui-même qui est ressuscité », dit-il, « d’entre les morts ; et c’est pour cela qu’il se fait, par lui, des miracles ». (Mat 14,2) Ce qui prouve combien la terreur était vive et persistante en lui, et combien il ressentait d’angoisses ; et, nul n’était assez fort pour l’affranchir des terreurs de sa conscience ; le juge incorruptible continuait à le suffoquer, à lui demander chaque jour l’expiation du meurtre. Donc, instruits de ces vérités, craignons, non pas de souffrir du mal, mais de commettre le mal : d’une part, c’est la victoire ; de l’autre, la défaite. Voilà pourquoi Paul aussi disait « Pourquoi ne souffrez-vous pas plutôt qu’on vous fasse du tort ? Mais vous faites du tort aux autres, vous les frustrez, et vous faites cela à vos frères ». (1Co 6,7, 8) C’est la patience dans les maux qui mérite les couronnes, les récompenses, la gloire. C’est une vérité que manifeste la vie de tous les saints. Donc, puisque c’est ainsi que tous ont conquis leur couronne, ont conquis leur gloire, marchons, nous aussi, dans le même chemin ; demandons, par nos prières, à ne pas entrer en tentation ; si la tentation nous arrive, luttons avec énergie, avec courage, déployons l’ardeur qui convient à la vertu, afin d’obtenir les biens à venir, par la grâce et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient, comme au Père, comme au Saint-Esprit, la gloire, la puissance, l’honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.