‏ 2 Corinthians 13

HOMÉLIE XXIX.

VOICI LA TROISIÈME FOIS QUE JE ME DISPOSE A VOUS ALLER VOIR. TOUT SE JUGERA SUR LE TÉMOIGNAGE DE DEUX OU TROIS TÉMOINS. (XIII, 1, JUSQU’À XIII, 9)

Analyse.

  • 1. De la répugnance de saint Paul à punir ; de la sainte chaleur avec laquelle il multiplie les avertissements.
  • 2. Sur le Christ crucifié, selon la faiblesse, et vivant par la vertu de Dieu.— De la faiblesse et de ses diverses espèces ; différents sens du mot grec qui l’exprime.
  • 3. Les apôtres, à l’imitation de Jésus-Christ, acceptent les souffrances, non par faiblesse, mais par la grâce et par la force d’en haut.— De la puissance qui se manifeste en supportant les traitements mimes qui semblent témoigner de la faiblesse.
  • 4 et 5. La foi ne suffit pas pour mériter les dons de l’Esprit ; il faut y joindre les bonnes mœurs.— Admirable patience et charité de saint Paul ; ses prières à Dieu, non seulement pour être dispensé de punir, mais pour que la conduite des fidèles soi pure de tout péché ; affection paternelle de l’apôtre pour ses disciples. — Combien il était exempt de vaine gloire.— De la véritable gloire ; moyens de l’acquérir.

1. Les passages abondent où Paul montre, et sa sagesse, et l’ardeur de sa charité ; c’est surtout ici que son cœur se révèle, que se fait voir sa chaleur dans les avertissements, son hésitation, sa répugnance à punir. Ce n’est pas du premier coup qu’il châtie les coupables, il les a avertis une fois, deux fois ; et maintenant il ne se décide pas encore à, punir les désobéissances, il les avertit une fois de plus par ces paroles, il leur dit : « Voici la troisième fois que je me dispose à vous aller voir » ; avant de me rendre auprès de vous, je vous écris encore. Ensuite ne voulant pas que cette hésitation de sa part produise le relâchement, il trouve encore, voyez, le moyen d’ajouter à la correction ; il continue ses menaces, il frappe de nouveaux coups, il dit « Si je viens encore une fois, je ne pardonnerai pas ; et j’appréhende que je ne sois obligé d’en pleurer plusieurs ». Cette conduite, ce langage, c’est pour imiter Notre-Seigneur, le Maître de toutes les créatures ; car Dieu ne se lasse pas de menacer, souvent il avertit ; mais on le voit bien moins souvent châtier et punir. C’est ce que fait Paul : voilà pourquoi il disait auparavant : « C’est pour vous épargner que je n’ai point voulu retourner à Corinthe ». (2Co 1,23) Qu’est-ce que cela veut dire : « C’est pour vous épargner ? » C’est-à-dire : J’avais peur de trouver en vous de pécheurs incorrigibles, j’avais peur d’être obligé de châtier, de punir. Ici, il exprime 1a même pensée de cette manière : « Voici la troisième fois que je me dispose à vous aller voir. Tout se jugera sur le témoignage de deux ou trois témoins ». L’apôtre rapproche une parole qui est dans l’Écriture d’une autre (lui n’y est pas ; c’est ainsi qu’il dit ailleurs : « Celui qui s’unit à une prostituée, est un même corps avec elle ; car ceux qui étaient deux, dit l’Écriture, ne seront plus qu’une chair ». (1Co 6,16) II est certain pourtant qu’il n’est question dans l’Écriture, que du mariage légitime ; mais l’apôtre, tout en détournant ces paroles de leur véritable, objet, les emploie d’une manière utile, afin d’inspirer à l’adultère plus de terreur. Il fait de même ici ; ces témoins dont il parle ne sont autre chose que les visites et les menaces qu’il a faites aux Corinthiens. Voici ce qu’il veut dire : Ce que je vous ai dit une fois, deux fois, quand j’étais auprès de vous, je vous le répète en ce moment par lettres. Si vous m’écoutez, je n’ai plus rien à désirer ; si vous ne m’écoutez pas, je serai forcé de tenir ma parole, et d’en venir aux châtiments. Aussi dit-il : « Je vous ai prévenus, et je vous préviens encore, au moment de vous aller voir ; j’ai beau être loin de vous, je vous écris, à ceux qui ont péché auparavant, et à tous les autres, que, si je retourne auprès de vous, je ne pardonnerai pas (2) ». Car si tout doit dépendre de deux ou trois témoins, si je vous ai visités à deux reprises, si je vous ai parlé, ce que je vous ai dit, je vous le répète encore maintenant dans ma lettre ; je serai donc désormais forcé de prouver la vérité de mes paroles. N’allez pas croire que mes lettres ne vaillent pas ma présente ; ce que je vous disais, moi présent, je vous l’écris en ce moment, avec tout autant d’autorité, loin de vous. Comprenez-vous cette sollicitude paternelle ? Comprenez-vous la sagesse, la prévoyance de, l’apôtre ? Il ne garde pas le silence, il n’inflige pas non plus de punition, il accumule les avertissements, il se borne à menacer d’une manière constante, et il diffère le châtiment : ce n’est que, s’ils demeurent incorrigibles qu’il les menace d’en venir à la punition réelle. Mais quel avertissement avez-vous donné de vive voix, et qu’écrivez-vous de loin ? « Si je retourne, je ne pardonnerai pas ». il a commencé par montrer, qu’à moins d’être forcé, il ne peut se résoudre à cette rigueur ; il a parlé des pleurs qu’il serait obligé de verser ; il a parlé de son humiliation : « Et qu’ainsi Dieu ne m’humilie, lorsque je serai revenu chez vous, et que je ne sois obligé d’en pleurer plusieurs, qui ont déjà péché, et qui n’ont pas fait pénitence » ; pour se justifier devant eux, il leur rappelle qu’il les a avertis une, fois, deux fois, trois fois, qu’il fait tout, qu’il emploie tous les moyens, pour repousser la nécessité dés châtiments, pour les rendre meilleurs en les effrayant par ses paroles ; ce n’est qu’à la fin qu’il se sert de ces dures et menaçantes expressions : « Si je retourne, je ne pardonnerai pas ». Il ne dit point : Je châtierai, je punirai, j’exigerai une réparation ; il exprime encore d’une manière paternelle même la punition, il montre que ses entrailles se troublent, que son âme s’afflige avec leur âme, que c’est pour cette bonté dont ils sont l’objet qu’il a toujours différé de les punir. Mais il ne veut plus laisser croire qu’il se bornera encore à attendre, à menacer en paroles ; voilà pourquoi il a dit d’abord : « Tout se jugera sur le témoignage de deux ou trois témoins », et pourquoi il a ajouté : « Si je retourne, je ne pardonnerai pas ». Ce qui revient à dire : Je n’hésiterai pas plus longtemps, si je vous trouve incorrigibles ; (puisse ce malheur ne pas arriver !) je punirai, n’en doutez pas, et je tiendrai ma parole. Ensuite, il s’emporte, il s’irrite, il s’indigne contre ceux qui le représentent comme un homme faible, qui tournaient en dérision l’effet produit par sa personne, et qui disaient : « Lorsqu’il est présent, il paraît bas en sa personne, et méprisable en son discours » (2Co 10,10) ; c’est à eux qu’il adresse cette apostrophe : « Est-ce que vous voulez éprouver le Christ qui parle en moi (3) ? » C’est un coup donné à ses détracteurs, et en même temps, pour, les fidèles, un avertissement. Ce qui revient à dire:. Puisque vous tenez à éprouver si le Christ habite en moi, et que vous me demandez dés comptes, et que vous me tournez en ridicule comme un homme vil et méprisable, entièrement dépourvu de la force d’en haut, vous saurez que nous n’en sommes pas dépourvu, à la première occasion que vous nous donnerez de vous la faire sentir, (puisse ce malheur ne pas arriver !) Eh quoi ? Répondez-moi. Tenez-vous à les châtier, parce qu’ils veulent faire une expérience ? Nullement, répond l’apôtre ; car si j’y eusse tenu, je les aurais châtiés à la première faute, je n’aurais pas attendu. Évidemment, ce n’est, pas là ce qu’il cherche, et ce qu’il dit plus loin le montré avec une suffisante clarté : « Je prie Dieu, que vous ne commettiez aucun mal, non afin que nous ne soyons pas mis à l’épreuve, mais afin que vous soyez vous-mêmes éprouvés, vous, et que nous n’ayons pas nous-même l’occasion de nous montrer à l’épreuve ».

2. Donc ce qu’il dit ne signifie pas qu’il tienne à en venir aux effets ; c’est un cri de colère contre ceux qui le méprisaient. Quant à moi, dit-il, je ne désire pas vous faire faire : cette expérience ; mais si vous êtes cause que l’expérience se fait, si vous me provoquez, la réalité des faits vous instruira. Voyez encore ce qu’il y a de gravité dans, sa parole. Il ne dit pas : puisque vous voulez m’éprouver, mais, éprouver « Le Christ qui parle en moi » : il montre ainsi que c’est envers le Christ qu’ils ont péché. Il ne dit pas : le Christ qui habite en moi, mais, « Qui parle en, moi », montrant par là que ses paroles sont inspirées par l’Esprit. S’il n’en montre pas a force, s’il ne châtie pas encore, c’est qu’en cessant de parler de lui-même pour montrer le Christ, il rend ses menaces plus terribles ; il ne fait pas preuve de faiblesse, il a – la force pour lui, mais il prouve sa longanimité. Qu’on se garde bien d’imputer sa patience à, faiblesse. Qu’y a-t-il d’étonnant à ce qu’il ne fonde pas sur les pécheurs, à ce qu’il ne les réduise pas sur-le-champ à lui faire réparation, à ce qu’il montre sa patience, sa longanimité-, lorsque le Christ a supporté qu’on le mît en croix, et crucifié, n’a pas envoyé le châtiment ? Voilà pourquoi l’apôtre ajoute : « Qui n’est point faible devant vous, mais puissant parmi vous. Car encore qu’il ait été crucifié selon la faiblesse, il vit néanmoins par là vertu de Dieu (4) ». Ces paroles sont fort-obscures, et peuvent troubler les faibles. C’est pourquoi il est nécessaire de les expliquer, de préciser le sens es expressions qui présentent le plus d’obscurité, pour prévenir les scandales des esprits trop peu avancés.

Que signifie donc le mot « Faiblesse », et quel sens l’apôtre y a-t-il attaché ? Voilà ce qu’il faut nécessairement comprendre. Un seul mot, eu effet, peut avoir bien des sens. On entend, par le mot grec dont le premier sens est faiblesse, ἀσθένεια, les maladies du corps : de là, dans l’Évangile : « Voyez, celui que vous aimez, ἀσθενεῖ, est faible, est malade, à propos de Lazare » (Jn 11,3-4) ; et Notre-Seigneur disait : « Cette maladie, ἀσθένεια, n’est pas mortelle » ; et Paul, au sujet d’Epaphrodite : « Car il a été en effet malade, ἠσθένησε jusqu’à la mort, mais Dieu a eu pitié de lui » (Phi 2,27) ; et à propos de Timothée : « Usez d’un peu de vin à cause de votre estomac et de vos fréquentes indispositions,ἀσθένείας, faiblesses, maladies ». (1Ti 5,23) Toutes ces expressions marquent des maladies du corps. Maintenant le même mot indique le manque de solidité dans la foi, l’imperfection, ce que la foi a d’incomplet. C’est ce que Paul marquait par ces paroles : « Recevez avec charité celui qui est faible dans la foi, sans contester avec lui » et encore : « L’un croit qu’il lui est permis de manger de toutes choses, celui qui est faible ne mange que des légumes » (Rom 14,1-2) ; faible, ici, veut dire faible dans la foi. Voilà donc déjà deux sens du mot grec signifiant faiblesse, du mot ἀσθένεια ; il a encore un troisième sens. Quel est-il ? Les persécutions, les menées insidieuses, les attaques, les tentations, les dangers mortels. C’est ce que l’apôtre montré en disant : « C’est pourquoi j’ai prié trois fois le Seigneur, et il m’a répondu : Ma grâce vous suffit, car ma puissance éclate dans la faiblesse ». (2Co 12,8-9) Qu’est-ce que cela veut dire : « Dans la faiblesse ? » Dans les persécutions, dans les dangers, dans les tentations, dans les trames perfides, dans les périls où la mort menace. C’est encore en ce sens que l’apôtre disait : « Ainsi je me complais dans la faiblesse ». (Id 10) Et ensuite, expliquant de quelle faiblesse il parlait, il ne dit pas qu’il voulût faire entendre par là, soit quelque fièvre, soit quelque incertitude en ce qui concerne la foi ; mais que dit-il ? « Dans les outrages, dans les persécutions, dans les nécessités, dans les angoisses, dans les coups, dans les prisons, afin que la puissance de Jésus-Christ habite en moi. Car lorsque je suis faible, c’est alors que je suis fort », C’est-à-dire, c’est quand on me persécute, quand on me chasse, quand on veut me faire du mal, c’est alors que je suis fort, c’est alors que je triomphe le plus, que j’ai la victoire sur ceux qui veulent me nuire, et je la dois à l’abondance de la grâce qui réside en moi.

C’est dans le troisième sens que Paul emploie ici le mot faiblesse, et ce qu’il dit revient à ceci : Il veut, comme je l’ai déjà dit, ruiner ce qu’on affirmait de sa personne qui paraissait vile et méprisable à ces gens-là. Ce n’est pas assurément qu’il voulût se faire valoir, ni paraître ce qu’il était réellement, ni étaler la puissance qu’il avait de châtier et de punir ; ce qui est si vrai, que c’était précisément pour cette raison qu’il passait pour méprisable. Donc comme ces pensées où l’on était, produisaient un grand relâchement, l’engourdissement des esprits, empêchaient les repentirs, l’apôtre saisit une occasion favorable, s’exprime vigoureusement à ce sujet, et montre que ce n’est pas par faiblesse qu’il s’abstient, mais par longanimité. Ensuite, jé l’ai déjà dit, cessant de parler de lui, il fait intervenir le Christ pour augmenter la terreur et grandir l’effet de la menace. Ce qu’il dit revient à ceci : Eh bien, supposez que j’agisse que je soumette les pécheurs à des punitions, à des châtiments, est-ce que c’est moi qui inflige la punition, le châtiment ? C’est celui qui habite en moi, le Christ lui-même. Si vous n’avez pas la foi sur ce point, si vous tenez à faire l’expérience, les œuvres réelles de celui qui habite en moi, vous apprendront vite la vérité : car il n’est point faible devant vous, mais-il est puissant. Pourquoi l’apôtre a-t-il ajouté « Devant vous », car le Christ est puissant partout ? Il n’a qu’à vouloir pour châtier les infidèles, les démons, tout ce qu’il lui plaît. Pourquoi donc cette addition ? C’est une parole très-incisive pour rappeler aux gens une expérience qu’ils ont déjà faite ; ou peut-être Paul entend-il leur dire que la puissance de Jésus-Christ s’est, assez montrée à eux pour qu’ils doivent se corriger. C’est ce qu’il exprimait ailleurs : « Qu’ai-je à faire de juger ceux qui sont dehors ? » (1Co 5,12)

3. Pour ceux qui sent dehors, dit l’apôtre, c’est au jour du jugement qu’ils s’entendront demander la réparation de leurs péchés ; mais pour vous, c’est maintenant que vous la subirez, afin d’être affranchis de l’autre. Eh bien, cette pensée pleine d’une sollicitude qu’inspire l’affection paternelle, voyez comme il l’exprime d’une manière terrible et avec quelle passion : « Qui n’est peint faible devant vous, mais puissant parmi vous. Car encore qu’il ait, été crucifié, selon la faiblesse, il vit néanmoins par la vertu de Dieu ». Qu’est-ce à dire : « Encore qu’il ait été crucifié selon la faiblesse ? » Quoiqu’il ait consenti, dit l’apôtre, à subir un supplice qui semble autoriser des soupçons de faiblesse, il n’y a rien en cela qui diminue sa puissance ; elle subsiste inexpugnable, et ce qui semble une preuve réelle de faiblesse, ne lui a porté aucune atteinte ; au contraire, c’est la preuve la plus éclatante de la force qui est en lui, qu’il ait pu supporter un pareil traitement sans que sa puissance en ait été amoindrie. Donc il ne faut pas que le mot de faiblesse vous trouble en effet, ailleurs encore, il dit : La folie de « Dieu est plus sage que l’homme, et la faiblesse de Dieu est plus forte que l’homme » (1Co 1,25) ; évidemment il n’y a en Dieu ni folie ni faiblesse, mais c’est une allusion qu’il fait à la croix pour exprimer les idées des incrédules à ce sujet. Écoutez donc l’apôtre s’expliquant lui-même : « La parole, de la croix est une folie pour ceux qui se perdent, mais pour ceux qui se sauvent, pour nous, c’est la puissance de Dieu et encore : « Nous prêchons, nous, un Dieu crucifié, scandale pour les Juifs, folie pour les Grecs, le Christ qui est, pour ceux qui sont appelés ou Juifs ou Grecs, la puissance et la sagesse de Dieu » (1Co 1,18, 23-24) ; et encore « L’homme animal ne reçoit pas les choses de l’esprit ; car, pour lui, c’est folie ». (1Co 2,14) Voyez-le partout exprimant les idées, des infidèles qui regardent comme une folie, comme une faiblesse, l’acte de ta croix. C’est de cette manière qu’ici encore il ne parle pas d’une faiblesse réelle, mais de Ce qui était regardé comme une faiblesse par les infidèles. Il ne dit donc pas que celui qui fut mis en croix était un être faible ; loin de nous cette pensée. Qu’il lui fut possible d’échapper à là croix, c’est ce qu’il a montré par tous les moyens, tantôt renversant ceux qui veulent le saisir, tantôt détournant les rayons du soleil, desséchant le figuier, aveuglant ceux qui l’approchent, opérant d’autres actes innombrables de sa1puissance ; que signifie donc ce que dit l’apôtre, « Selon la faiblesse ? » C’est que si le Christ a été crucifié, s’il a supporté d’être victime des dangers et des haines (nous avons montré qu’aux dangers, aux attaques de la haine l’apôtre donne le nom d’astheneia, de « faiblesse »), sa force pourtant n’en a reçu nulle atteinte. Mais l’apôtre parlait ainsi pour s’approprier ce qui ressort de cet exemple. Comme on voyait que les apôtres persécutés ; chassés, méprisés, ne songeaient ni à se défendre, ni à attaquer, Paul enseigne que ce n’est ni par faiblesse qu’ils supportent de pareils traitements, ni par impuissance de les écarter, et il s’élève jusqu’au souverain Maître du monde pour en déduire sa démonstration ; lui-même, dit-il, a été mis en croix, chargé de fers, a souffert d’innombrables douleurs, et il ne repoussait pas ses ennemis, il endurait tout, il supportait tous les traitements qui semblent des preuves de faiblesse, et par là il manifestait la force qui est en lui, puisque, tout en s’abstenant de repousser les attaques et de se venger, il n’a reçu absolument aucune atteinte. La croix n’a donc pas supprimé la vie, n’a pas mis obstacle à la résurrection, le Christ est ressuscité et il vit. Lorsqu’on vous parle de croix et de vie, entendez cela de l’humanité de Jésus-Christ, car c’est le sujet de tout ce discours. Si l’apôtre dit : « Par la vertu de Dieu » (ce n’est pas que Jésus-Christ ne fut pas assez puissant pour revenir de lui-même à la vie quant à la chair ; il n’aurait pas refusé de dire par la vertu du Père et élu Fils. En disant : « Par la vertu de Dieu »), c’est de la vertu de Jésus-Christ qu’il parle. Ce qui preuve que c’est le Christ lui-même qui a ressuscité, (lui a le pouvoir de ressusciter sa chair, écoutez : « Détruisez ce temple, et je le rétablirai en trois jours ». (Jn 2,19) S’il dit que tout ce qui lui appartient, appartient à son Père, ne vous troublez pas : « Car tout ce qui appartient à mon a Père est à moi », dit-il (Jn 16,15) ; et encore : « Tout ce qui est à moi est à vous, et a tout ce qui est à vous est à moi ». (Id 17,10) Donc, dit l’apôtre, de même que ce Dieu crucifié n’a reçu aucune atteinte, de même ne souffrons-nous aucun mal, nous que l’on persécute, nous à qui l’on fait la guerre. Voilà pourquoi Paul ajoute : « Nous sommes faibles aussi avec lui, mais nous vivrons avec lui par la vertu de Dieu ». Que veut dire : « Nous sommes faibles avec lui ? » Nous sommes persécutés, chassés, nous souffrons les maux les plus rigoureux. Mais que signifie « Avec lui ? » Par la prédication ; dit-il, et par la foi en lui. Que si nous endurons des choses sinistres, des afflictions à cause de lui, il est évident que nous devons aussi être heureux avec lui ; voilà pourquoi Paul a ajouté « Mais nous sommes sauvés avec lui par la vertu de Dieu. Examinez-vous vous-mêmes pour voir si vous êtes dans la foi ; éprouvez-vous vous-mêmes. Ne reconnaissez-vous pas vous-mêmes que Jésus-Christ est en vous, si ce n’est que vous soyez déchus ? Mais j’espère que vous reconnaîtrez que nous, nous ne sommes pas déchus (5, 6) ». En effet, après leur avoir dit que, s’il ne les traite pas sévèrement, ce n’est pas qu’il ne porte pas le Christ en lui, mais c’est qu’il veut imiter la longanimité du Christ crucifié, du Dieu qui ne se défend point ; il s’y prend encore d’une autre manière pour arriver au même but ; il trouve dans les disciples une preuve encore plus forte à l’appui de son discours. Mais est-il nécessaire de vous parler de moi, d’un maître chargé, dit-il, de tant de soins, à qui la terre entière a été confiée, et qui a donné tant de signes de sa mission ? Vous n’avez, sous, simples disciples, qu’à vous examiner vous-mêmes, vous verrez que même en vous réside le Christ ; s’il réside en vous, à bien plus forte raison réside-t-il dans le maître. Oui, si vous avez la foi, le Christ est aussi en vous. Car ceux qui avaient la foi faisaient des miracles alors. Voilà pourquoi Paul ajoute. « Examinez-vous vous-mêmes, éprouvez-vous vous-mêmes, pour voir si vous êtes dans la foi. Ne reconnaissez-vous pas vous-mêmes que Jésus-Christ est en vous, si ce n’est que vous soyez déchus ? » Or, s’il est en vous, à bien plus forte raison est-il dans le Maître. Quant à moi, il me semble parler ici de la foi qui fait des miracles. Car, dit-il, si vous avez cette foi, le Christ est en vous, « si ce n’est que vous soyez déchus ».

4. Voyez-vous comme il prend de nouveau un accent terrible, comme il leur montre victorieusement que le Christ est en lui ? L’apôtre me semble ici faire allusion à leur conduite. En effet, la foi ne suffisant pas pour attirer la vertu active de l’Esprit, et lui leur disant, si vous êtes dans la foi, vous avez le Christ en vous, comme il arrivait que plusieurs n’avaient pas cette vertu active, quoiqu’ils eussent la foi, il leur dit résolument : « Si ce n’est que vous soyez déchus », si ce n’est que vos mœurs soient corrompues. « Mais j’espère que vous reconnaîtrez que nous, nous ne sommes pas déchus ». La suite naturelle des idées était, si vous êtes déchus, nous ne le sommes pas, nous ; ce n’est pas ainsi que Paul s’exprime ; il ne veut pas les frapper durement ; il s’enveloppe d’obscurité ; il ne veut ni découvrir au grand jour sa pensée, en disant, vous êtes déchus ; ni procéder par interrogation, en disant : seriez-vous déchus ? il glisse tout en indiquant sa pensée d’une manière obscure : « Mais j’espère que vous reconnaîtrez que nous, nous ne sommes pas déchus ». Il y a encore ici une menace sévère, un accent terrible. Puisque vous tenez maintenant, dit-il, à ce que le châtiment exercé contre vous, vous serve de preuve, nous ne serons pas embarrassés pour vous faire la démonstration. Mais l’apôtre s’exprime avec plus d’autorité et d’une manière plus menaçante : « Mais j’espère que vous reconnaîtrez que nous, nous ne sommes pas déchus ». Vous ne devriez pas, dit-il, avoir besoin de cette expérience pour savoir ce que nous sommes, pour savoir que nous portons le Christ parlant et agissant en nous ; mais puisque vous tenez à faire une expérience par lw réalité des faits, vous apprendrez que nous ne sommes pas déchus. Ensuite, quand il a bien proféré la menace, montré que le châtiment est à leurs portes, quand il les a réduits à trembler, à attendre la punition, voyez-le, suivant un autre sentiment, adoucir son discours, tempérer la crainte ; montrer combien il est éloigné d’ambition, plein de sollicitude pour ses disciples, sage, élevé d’esprit et de cœur, étranger à la vaine gloire. Ce sont là toutes les qualités qu’il fait paraître, dans les paroles qu’il ajoute : « Je prie Dieu, que vous ne commettiez aucun mal, et non pas que nous soyons considérés ; que vous fassiez ce qui est de votre devoir, quand même nous devrions paraître déchus de ce que nous sommes. Car nous ne pouvons rien contre la vérité, mais seulement pour la vérité. Et nous nous réjouissons, lorsqu’il arrive que nous sommes faibles, et que vous êtes forts. Car nous prions afin que vous soyez parfaits (7, 8, 9) ».

Où trouver une âme qui égale cette âme ? On le méprisait, on l’abreuvait d’outrages, on lui prodiguait les moqueries, les railleries, on le traitait de personnage vil, misérable, de fanfaron, d’homme superbe dans ses paroles, mais incapable de rien produire, dans la réalité, qui fût de nature à montrer tant soit peu sa force à lui ; eh bien, non seulement il diffère de punir, non seulement il éprouve de la répugnance à frapper, mais il prie pour n’être pas réduit à cette nécessité. « Je prie Dieu », dit-il, « que vous ne commettiez aucun mal, et non pas que nous soyons considérés ; que vous fassiez votre devoir, quand même nous devrions paraître déchus de ce que nous sommes ». Que veut-il dire ? Je conjure Dieu, dit-il, je le supplie pour que je ne trouve personne d’incorrigible, personne qui soit incapable de repentir ; ou plutôt, je ne lui demande pas cela seulement, mais qu’il n’y ait pas même en vous un commencement de péché : « Afin que vous ne commettiez », dit-il, « aucun mal » ; afin que, si vous tombez dans le péché, vous vous bâtiez de vous repentir, de vous corriger, de désarmer la colère. Et ce que je désire de toute mon âme, ce n’est pas que nous soyons considérés, c’est tout le contraire, c’est que notre gloire, à nous, ne se montre pas. Car si vous vous obstinez, si votre repentir ne suit pas vos péchés, nous sommes dans la nécessité de vous châtier, de vous punir, de frapper vos corps : ce qui s’est fait pour Sapphira et pour le magicien, nous avons prouvé alors notre force et notre puissance. Mais ce n’est pas là que vont nos prières, bien au contraire, nous ne voulons pas que notre gloire se montre ; c’est-à-dire, nous ne voulons pas prouver la puissance qui est en nous, par votre châtiment, par la punition de pécheurs atteints de maladie incurable, mais que voulons-nous ? « Que vous fassiez ce qui est bien » ; voilà ce que demandent nos prières, que vous soyez toujours vertueux, toujours sans reproche, et que nous soyons comme sans gloire, n’ayant pas à montrer notre puissance pour punir. Et il ne dit pas, sans gloire : car il ne devait pas être sans gloire, en supposant même qu’il n’eût pas châtié ; il était, par cela même, couvert de gloire ; s’il en est qui soupçonnent, dit-il, qu’en ne montrant pas notre force nous nous rendons méprisables, abjects, peu nous importe cette opinion. Mieux vaut pour nous de passer pour tels auprès de ces personnes que d’être forcés, en frappant des coups sévères, en punissant des incorrigibles, de manifester la puissance que Dieu nous a donnée. « Car nous ne pouvons rien contre la vérité, mais seulement pour la vérité ». Il prouve, par ces paroles, que ce n’est pas uniquement pour leur être agréable qu’il tient ce discours (car sa pensée n’a rien qui respire la vaine gloire), qu’il ne fait que ce qu’exigent les circonstances, voilà pourquoi il ajoute : « Car a nous ne pouvons rien contre la vérité ». Si nous vous trouvons, dit-il, exhalant les parfums de la vertu, effaçant vos péchés par le repentir, fondés à vous adresser à Dieu avec une entière confiance, nous ne pourrons pas, quand même ce serait notre volonté, vous infliger de punition ; si nous entreprenions de le faire, Dieu ne serait pas – avec nous. Car s’il nous a donné sa puissance, c’est pour là vérité, c’est pour la justice,-ce n’est pas pour agir contre la vérité. Voyez-vous comme il a recours à tous les moyens pour adoucir son langage, pour corriger ce que ses menaces auraient de trop rude ? Toutefois ce désir de son cœur est aussi une raison pour lui de montrer qu’il leur – est, du fond de l’âme, étroitement uni : voilà pourquoi il ajoute : « Et nous nous réjouissons, lorsqu’il arrive que nous sommes faibles et que vous êtes forts. Car nous prions afin que vous soyez parfaits ». Voilà certes, dit-il, où il est surtout vrai de dire que nous ne pouvons rien contre la vérité, ce qui revient à ceci, que nous ne pouvons pas vous punir quand vous êtes agréables à Dieu ; car, outre que ce n’est pas en notre pouvoir, nous ne le voulons pas, précisément parce que vous êtes agréables à Dieu ; c’est tout le contraire que nous désirons. En vérité, ce qui nous réjouit surtout, c’est de ne pas trouver en vous l’occasion pour nous, de vous montrer la puissance que nous avons pour le châtiment. Si notre sévérité nous permet de montrer notre gloire, de faire briller notre autorité, notre force, ce que nous voulons, c’est, au contraire, vous trouver dans votre devoir, vous, et irréprochables, sans rencontrer jamais, en ce qui nous concerne, l’occasion de nous glorifier par votre faute. Voilà pourquoi il dit : « Nous nous réjouissons lorsque nous sommes faibles ». Qu’est-ce à dire, « lorsque nous sommes faibles ? » Lorsque nous paraissons faibles ; non pas lorsque nous sommes réellement faibles, mais lorsqu’il arrive qu’on nous regarde comme faibles ; c’était l’effet produit par les apôtres sur leurs ennemis, quand ils n’avaient pas encore prouvé leur pouvoir de punir. Eh bien, peu importe, nous nous réjouissons lorsque vous vous conduisez de manière à ne pas nous donner la moindre prise pour vous punir. Oui, c’est un plaisir pour nous d’être regardés comme faibles, uniquement afin que vous soyez irréprochables ; c’est pour cela qu’il ajoute : « Et que vous êtes forts », c’est-à-dire, en possession de la gloire que donne la vertu. Et ce n’est pas là seulement ce que nous voulons, mais nous prions pour obtenir ce bonheur, que vous soyez irréprochables, accomplis, exempts de tout péché qui nous donne prise sur vous.

5. Voilà bien le caractère de l’affection paternelle, préférer à sa gloire personnelle le salut de ses disciples ; voilà le propre d’une âme au-dessus de la vaine gloire ; voilà ce qui rompt surtout les attaches du corps, et vous élève de la terre au ciel, n’être pas souillé des atteintes de la vaine gloire ; tandis que, au contraire, cette vanité accumule les péchés dans, l’âme. Il n’est pas possible à l’homme entaché de cette vanité superbe, d’avoir des pensées élevées, grandes et généreuses ; il faut nécessairement qu’il se traîne contre la terre, qu’il répande la destruction tout autour de lui, asservi qu’il est à la passion impure dont la tyrannie défie tout ce qu’il y a de plus barbare. Pouvez-vous concevoir une passion plus monstrueuse que celle qui s’exaspère en raison même du culte qu’on lui rend ? Les bêtes féroces elles-mêmes sont moins emportées par la rage, on les apprivoise à force de soins. Pour la vaine gloire, c’est tout le contraire : méprisez cette passion, elle s’apaise ; honorez-la ; elle s’aigrit, elle s’arme contre celui qui l’honore. C’est pour l’avoir honorée que les Juifs ont subi de rigoureux châtiments ; c’est pour l’avoir méprisée que les disciples ont mérité leurs couronnes. Mais à quoi bon parler, de châtiments et de couronnes ? Ce qui donne là gloire, c’est surtout le mépris qu’on fait d’un frivole éclat. Vous verrez que, même ici-bas, ceux qui honorent la vaine gloire, se perdent ; que ceux qui la méprisent, s’élèvent. Ceux qui l’ont méprisée, les disciples, (rien n’empêche de reprendre cet exemple), ceux qui ont honoré Dieu avant tout, brillent d’un éclat plus resplendissant que le soleil, l’immortel souvenir qu’ils ont attaché à leur nom les accompagne alors même qu’ils ont cessé de vivre ; ceux qui, au contraire, se sont inclinés devant cette vanité, les Juifs, privés de leurs cités, de leurs foyers, déshonorés, fugitifs, sont terrassés, abjects, méprisés.

Eh bien donc, vous aussi, si vous voulez conquérir la gloire, répudiez la gloire ; si vous poursuivez la gloire, vous serez précipités de la gloire. Tenez, si vous voulez bien, appliquons nos réflexions aux choses du siècle. Quels hommes poursuivons-nous de nos paroles malignes ? Ne sont-ce pas ceux qui recherchent la gloire ? Donc ce sont eux qui en sont les plus privés : ils ont des milliers de détracteurs, ils sont méprisés de tous. Quels hommes admirons-nous ? répondez-moi. Ne sont ce pas ceux qui la dédaignent ? Donc c’est à eux que la gloire appartient. De même que le riche n’est pas celui qui a beaucoup de besoins, mais celui à qui rien ne manque ; de même, l’homme couvert de gloire, ce n’est pas celui qui l’aime, mais celui qui la méprise ; car cette gloire n’est qu’une ombre de gloire. Jamais un homme, devant une image qui représente un pain, quelle que soit la faim qui le tourmente, ne portera la main à cette figure d’un pain. N’allez donc pas, vous non plus, poursuivre des ombres ; ce n’est qu’une ombre de gloire que vous voyez là, ce n’est pas la gloire. Et pour vous convaincre qu’il en est ainsi, voyez l’unanimité des accusations, des discours qui s’accordent à dire qu’il faut fuir ce mal, que ceux qui la désirent doivent être les premiers à s’en écarter ; voyez la confusion de l’homme convaincu de s’y être laissé prendre, ou de la rechercher. D’où vient donc, dira-t-on, ce désir funeste ? comment existe-t-il en nous ? C’est un effet de la faiblesse de l’âme, (car il ne suffit pas d’accuser les passions, il faut, de plus, les corriger), c’est un effet de l’imperfection de l’intelligence ; c’est un effet de la puérilité. Cessons donc enfin d’être des enfants, soyons des hommes ; ne recherchons plus partout que la vérité, au lieu de poursuivre les ombres, les ombres de la richesse, les ombres du plaisir, les ombres du bonheur vraiment exquis, de la gloire, de la puissance ; et nous verrons cesser, en même temps que ce mat funeste, une foule d’autres maux. Poursuivre des ombres, c’est être possédé. De là ce que disait Paul : « Tenez-vous dans la vigilance ; de la justice, et ne péchez pas ». (1Co 15,34) Il y a, en effet, une espèce de possession plus funeste que celle qu’opère le malin esprit, que le transport démoniaque. Cette possession par le démon n’enlève pas toute excuse, l’autre ne peut pas se justifier ; c’est dans l’âme même que réside la corruption ; l’âme a perdu la rectitude du jugement ; son sens est mort ; l’organe de la possession démoniaque, c’est le corps ; l’autre a pour siège et pour canne l’esprit. Et de même que les fièvres les plus pernicieuses, les fièvres incurables sont celles qui s’attaquent aux corps les plus robustes, qui se retirent au plus profond des nerfs, qui se cachent dans les veines ; de même cette démence, quand elle s’est retirée au plus profond de la pensée, la bouleverse et s’applique à la détruire. Eh ! n’est-ce pas, en fait de démence, ce qu’il y a de pies manifeste, de plus éclatant ; D’est-ce pas le plus funeste de tous les délires que, de mépriser ce qui subsiste d’une éternelle durée, pour s’attacher à ce qui est méprisable, pour s’y consacrer avec tant d’amour ? Répondez-moi : vous verriez un homme poursuivre, essayer de saisir le vent, ne diriez-vous pas que c’est un insensé ? Vous verriez un homme s’attacher à des ombres, négliger lit réalité, prendre en haine celle qui est réellement sa femme pour embrasser l’ombre de cette femme ; vous verriez un homme repousser son fils pour faire des caresses à l’ombre de ce fils, iriez-vous chercher une autre preuve qui montrât mieux ce que c’est que la démence ? Tels sont les insensés dont je parle, ceux qui ne sont épris que des choses présentes. Toutes ces choses ne sont rien que des ombres, et la gloire, et la puissance, et l’estime des hommes, et la richesse, et les plaisirs les plus raffinés, et tout ce que vous pourrez m’énumérer des biens de ce monde. Voilà pourquoi le prophète disait : « Oui, l’homme passe comme une image, et néanmoins il se trouble, quoique inutilement » ; et encore : « Nos jours ont décliné comme l’ombre ». Et ailleurs il appelle fumée, fleurs des champs, les choses humaines. (Psa 39,7 ; Psa 102,11 ; Psa 103, 15) Et ce ne sont pas nos joies seulement qui ne sont que des ombres ; il en est de même et des afflictions, et de la mort, et de la pauvreté, et de la maladie, et de quoi que ce soit. Quelles sont, au contraire, les choses qui durent, et les biens, et les douleurs ? La royauté éternelle et la géhenne sans fin. Car le ver ne finira pas, car le feu ne s’éteindra pas ; les uns ressusciteront pour la vie éternelle, les autres pour le châtiment éternel. Donc si nous voulons échapper au châtiment, jouir de la vie, abandonnons ce qui n’est qu’une ombre, attachons-nous à la vérité de tout notre cœur ; c’est ainsi que nous obtiendrons la royauté des cieux ; puissions-nous tous entrer dans ce partage, par la grâce et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient, comme au Père, comme au Saint-Esprit, la gloire, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE XXX.

JE VOUS ÉCRIS CECI, ÉTANT ABSENT, AFIN DE N’AVOIR PAS LIEU, LORSQUE JE SERAI PRÉSENT, D’USER AVEC RIGUEUR DE LA PUISSANCE QUE LE SEIGNEUR M’A DONNÉE POUR ÉDIFIER ET NON POUR DÉTRUIRE. (XIII, 10)

Analyse.

  • 1. Saint Paul cherche, dans ses lettres, à inspirer la terreur, pour être dispensé de punir en réalité. – Qu’est-ce que se réjouir. – De la joie d’une bonne conscience.— Du saint baiser.
  • 2. Apostrophe aux impudiques profanant les temples de Jésus-Christ.— Sur la grâce, l’amour, la communication du Père, du Fils et du Saint-Esprit.— Le Saint-Esprit est de la même essence que le Père et le Fils.
  • 3. Dieu nous prouve son amour, surtout lorsqu’il nous commande de l’aimer. – Passages de l’Écriture qui témoignent de l’amour d’un Dieu attentif à tous nos intérêts, jusqu’à s’oublier lui-même pour nous.

1. Il s’est aperçu qu’il a parlé rudement, surtout à la fin dl sa lettre. En effet, il avait commencé par dire : « Moi, Paul, moi-même, je vous conjure par la douceur, et par la modestie de Jésus-Christ, moi qui étant présent parais bas parmi vous, au lieu qu’étant absent, j’agis envers vous avec hardiesse. Je vous prie, afin que, lorsque je serai présent, je ne sois point obligé d’user avec confiance de cette hardiesse qu’on m’attribue envers quelques-uns qui s’imaginent que nous nous conduisons selon la chair. Ayant en notre main le pouvoir de punir toute désobéissance lorsque vous aurez satisfait à tout ce que l’obéissance demande de vous ». Et encore : « J’appréhende qu’en arrivant auprès de vous, je ne vous trouve pas tels que je voudrais, et que vous ne me trouviez pas tel que vous voudriez » ; et encore : « Qu’ainsi Dieu ne m’humilie lorsque je serai arrivé auprès de vous, et que je ne sois obligé d’en pleurer a plusieurs qui, ayant déjà péché, n’ont pas fait pénitence de leur fornication et de leur impureté ». (2Co 10,1-2.6 ; 12, 20-21) Ensuite il avait ajouté : « Je vous ai prévenus et je vous préviens encore, au moment de vous aller voir, j’ai beau être loin de vous, je vous écris maintenant que, si je reviens, je ne pardonnerai pas. Est-ce que vous voulez éprouver le Christ qui parle en moi ? » (2Co 13,2-3) Après ces paroles et beaucoup d’autres, sévères, incisives, amères, où il les harcèle, il sent le besoin de justifier tout ce qu’il a dit : « Je vous écris ceci, étant absent, afin de n’avoir pas lieu, lorsque je serai présent, d’user avec rigueur… » Je veux que ma rigueur soit tout entière dans mes lettres, je ne tiens pas à la mettre dans mes actions ; je veux que mes épîtres soient violentes, afin que les menaces y restent, sans aboutir à l’effet. Toutefois il donne, en se justifiant, une explication faite pour inspirer la terreur ; il montre que ce n’est pas lui qui doit punir, que c’est Dieu lui-même, car il ajoute : « De la puissance que le Seigneur m’a donnée » ; et maintenant il montre que son désir n’est pas du tout de faire servir sa puissance à leur châtiment, car il ajoute : « Pour édifier et non a pour détruire ». Cette pensée, il ne l’indique qu’à mots couverts, comme je l’ai remarqué ; mais voici une autre pensée, qu’il a livrée à leurs réflexions : c’est que, s’ils demeurent incorrigibles, c’est faire une œuvre d’édification que de châtier de pareilles dispositions. C’est la vérité, l’apôtre ne l’ignore pas, et il a donné des preuves réelles de cette vérité. « Enfin, mes frères, soyez dans la joie, travaillez à être parfaits, consolez-vous, soyez unis d’esprit, vivez en paix ; et le Dieu d’amour et de paix sera avec vous (44) ». Qu’est-ce à dire : « Enfin, mes frères, réjouissez-vous ? » Vous nous avez affligés, remplis de craintes, d’angoisses, vous nous avez dit d’avoir peur, de trembler, comment pouvez-vous nous inviter à nous réjouir ? C’est précisément pour cette raison que je vous invite à vous réjouir. Si, en effet, votre conduite répond à mes avertissements, rien ne viendra troubler la joie. J’ai fait tout ce qui dépendait de moi j’ai montré de la patience, j’ai attendu, je n’ai rien brusqué, j’ai exhorté, conseillé, inspiré la crainte, menacé, employé tous les moyens pour vous porter à cueillir le fruit du repentir. Ce qu’il faut maintenant, c’est que vous fassiez ce qui dépend de vous, et, de cette manière, votre joie ne se flétrira pas, « Travaillez à être parfaits ». Qu’est-ce que cela veut dire : « Travaillez à être parfaits ? » Devenez des hommes complets, remplissez-vous de ce qui vous manque.— Consolez-vous.— Comme les épreuves étaient grandes, comme les dangers étaient considérables, « Consolez-vous », leur dit-il, les uns les autres, et auprès de nous, et en vous corrigeant, en vous améliorant. Si la joie vient de la conscience, si vous êtes parfaits, rien ne manque à votre tranquillité, à votre consolation. Rien, en effet, ne console tant' qu’une conscience pure, quand les épreuves tomberaient sur nous par milliers. « Soyez unis d’esprit, vivez en paix » ; ce qu’il demandait dans la première épître, dès les premiers mots. Il peut se faire qu’il y ait accord dans les esprits, et qu’on ne vive pas en paix, comme dans le cas où l’on est d’accord sur l’enseignement de la foi, mais divisé par les affaires. Paul tient à l’union des esprits et à la paix tout ensemble. « Et le Dieu d’amour et de paix sera avec vous ». L’apôtre ne se contente pas d’exhortations, d’avertissements, il y joint encore ses vœux. Ou il exprime les vœux qu’il forme, ou il prédit ce qui arrivera ; croyons plutôt qu’il fait, à la fois, les deux choses. Si vous tenez cette conduite, dit-il, ce qui signifie, si vous êtes unis d’esprit, si vous vivez en paix, Dieu sera avec vous ; car c’est le Dieu d’amour et de paix, ce sont là les biens qui le réjouissent et qui lui plaisent. Par là aussi vous aurez la paix qui vient de son amour ; par là, vous serez délivrés de tous les maux. C’est l’amour, de Dieu qui a sauvé la terre, quia terminé la guerre commencée depuis si longtemps, qui a mêlé la terre et le ciel, qui a fait que les hommes sont devenus des anges. Donc aimons-le, cet amour, nous aussi ; car d’innombrables biens sont les fruits de cet amour. C’est par lui que nous avons été sauvés, c’est par lui que nous viennent tous les présents d’un ineffable prix. Ensuite, pour provoquer cet amour au milieu des fidèles « Saluez-vous les uns les autres par un saint baiser (43) ». Qu’est-ce à dire « Saint ? » Non pas un baiser trompeur, perfide, comme celui de Judas à Jésus-Christ. Si le baiser nous a été donné, c’est pour être le foyer où s’embrase l’amour, pour enflammer l’affection, pour que nous nous aimions les uns les autres, comme les frères aiment leurs frères ; comme les enfants aiment leurs – pères ; comme les pères aiment leurs enfants ; ou plutôt d’un amour bien plus vif ; ces sentiments-là viennent de la nature ; les autres de la grâce. Voilà comment les âmes se lient entre elles, et voilà pourquoi, au retour d’un voyage, nous nous donnons le baiser mutuel, les âmes s’empressent de se réunir. La bouche est de tous nos organes, celui qui se plait le plus naturellement à déclarer l’amour.

2. On peut encore, à propos de ce saint baiser, faire une autre réflexion. Quelle est-elle ? Nous sommes le temple de Jésus-Christ, (2Co 6,16) ; ce sont donc les vestibules, le portique du temple que nous baisons, quand nous nous donnons les uns aux autres le baiser mutuel. Ne voyez-vous pas combien de personnes baisent les vestibules mêmes de cette église, les uns abaissant leur tête, les autres y appuyant leur main, et approchant leur main de leur bouche ? C’est par ces issues, par ces portes qu’est entre le Christ, qu’il entre pour venir à nous dans la communion. Vous qui participez aux mystères, vous savez ce que je dis. Ce n’est pas un honneur vulgaire qui est fait à notre bouche, lorsqu’elle reçoit le corps du souverain Maître. Voilà surtout pourquoi nous donnons le baiser. Écoutez nos paroles, vous qui faites entendre des choses honteuses, vous qui proférez des outrages, et frémissez d’horreur en pensant quelle est cette bouche que vous déshonorez ; écoutez, vous qui donnez de honteux baisers ; écoutez les oracles que Dieu a prononcés par une bouche comme la vôtre, et sachez donc conserver votre bouche pure de toute souillure. Il a parlé de la vie à venir, de la résurrection, de l’immortalité, de la mort qui n’est pas une mort, de mille autres vérités ineffables. C’est comme un sanctuaire d’où partent des oracles, que la bouche du prêtre, pour celui qui doit être initié.

Écoutons tout ce qui est rempli de redoutables mystères. Cet homme, depuis les temps de ses premiers parents, a perdu ce qui fait la vie, il s’approche pour redemander sa vie, il interroge pour savoir quels sont les moyens de la retrouver, de la reconquérir. Alors Dieu lui fait entendre, par ses oracles, comment on trouve la vie, et la bouche du prêtre est plus saintement redoutable que le propitiatoire même. Car ce propitiatoire antique ne faisait jamais entendre une voix pareille ; il ne s’agissait pour lui que d’intérêts bien moindres, des guerres et de la paix d’ici-bas ; mais chez nous, on ne parle que du ciel, et de la vie future, et de choses nouvelles, et qui dépassent les esprits. Après avoir dit : « Saluez-vous les uns les autres, par un saint baiser », l’apôtre ajoute : « Tous les saints vous saluent », voulant encore, par ces paroles, leur donner de bonnes espérances. C’est pour leur tenir lieu du saint baiser ; il se sert de la formule de la salutation, pour les réunir tous ensemble ; c’est la même bouche qui donne le baiser et qui fait entendre ces paroles. Voyez-vous comment l’apôtre les réunit tous, aussi bien ceux que séparent de longues distances, que ceux qui vivent les uns auprès des autres, et cela, soit par le baiser, soit par ses lettres ? « Que la grâce de Notre-Seigneur Jésus-Christ, et l’amour de Dieu le Père, et la communication du Saint-Esprit soit avec vous tous. Amen (13) ». Après les salutations, les baisers, dont le but est d’opérer l’union des fidèles, vient, pour terminer, une prière pour cimenter l’union des fidèles avec Dieu.

Où sont maintenant ceux qui disent que le Saint-Esprit n’ayant pas été nommé au commencement des épîtres n’est pas de la même substance ? Le voilà nommé maintenant avec le Père et le Fils. Indépendamment de cette réflexion, on peut en faire une autre, c’est que l’apôtre dit, dans son épître aux Colossiens : « Que la grâce et la paix vous soient données par Dieu notre Père » (Col 1,3) ; et il passe le Fils sous silence, et il n’ajoute pas, comme dans toutes les épîtres, et par Notre-Seigneur Jésus-Christ. Sera-ce donc une raison pour que le Fils ne soit pas non plus de la même substance ? Mais c’est le comble de la démence. Car ce qui prouve le plus que le Fils est de la même substance, c’est la diversité même des phrases de Paul. Nous n’exprimons pas ici une simple conjecture ; voyez dans quelles circonstances il nomme le Fils et l’Esprit, en passant le Père sous silence. Il écrit aux Corinthiens et leur dit : « Mais vous avez été lavés, mais vous avez été sanctifiés, mais vous avez été justifiés au nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ, et dans l’Esprit de notre Dieu ». (1Co 6,11) Eh quoi donc, répondez-moi, n’avaient ils pas été baptisés au nom du Père ? Donc ils n’avaient été ni lavés ni sanctifiés. Mais ils avaient été baptisés, baptisés, par conséquent, comme le sont ceux qu’on baptise. Comment donc se fait-il que l’apôtre n’ait pas ajouté : vous avez été lavés au nom du Père ? C’est qu’il lui est indifférent de mentionner tantôt telle personne, tantôt telle autre, et vous trouverez la preuve du peu d’importance que l’apôtre y attache dans un grand nombre de passages des épîtres. En effet, il écrit aux Romains : « Je vous conjure donc, par la miséricorde de Dieu » (Rom 12,1) ; assurément la miséricorde appartient également au Fils ; et : « Je vous conjure ; par la charité du Saint-Esprit » (Rom 15,30) ; assurément la charité appartient également au Père. Pourquoi donc ne parle-t-il pas de la miséricorde du Fils, ni de la charité du Père ? Parce que ce sont des vérités évidentes, reconnues de tous. De là son silence. On trouvera aussi, à propos des dons divins, la même indifférence dans les paroles. Car en disant : « Que la grâce de Notre-Seigneur Jésus-Christ, et l’amour de Dieu le Père, et la communication du Saint-Esprit », il n’en dit pas moins ailleurs la communication du Fils et l’amour de l’Esprit. Car « Je vous conjure », dit-il, par l’amour de l’Esprit. Et dans l’épître aux Corinthiens : « Il est fidèle, ce Dieu par qui vous avez été appelés à la communication de son Fils ». (1Co 1,9) Ainsi, la Trinité est indivisible, et où se trouve la communication de l’Esprit, se trouve aussi celle du Fils ; et où se trouve la grâce du Fils, se trouve aussi celle du Père et du Saint-Esprit : « Car la grâce », dit-il, « vous vient de Dieu le Père ». Et, dans un autre passage, après avoir énuméré les nombreuses espèces de grâces, il ajoute : « Or, ce qui opère toutes ces choses, c’est un seul et même Esprit, distribuant ces dons en particulier à chacun, selon qu’il lui plaît ». (1Co 12,11) Ce que je dis, ce n’est pas pour confondre les personnes, loin de moi cette erreur, mais pour reconnaître, tout à la fois, la propriété qui les distingue, et l’unité de leur essence.

3. Demeurons donc attachés à ces dogmes, maintenons-en la pureté, et emparons-nous de l’amour de Dieu. D’abord, nous n’avions pour lui que de la haine, et il a commencé par nous aimer ; nous étions ses ennemis, et il nous a communiqué ses faveurs ; maintenant nous l’aimons et il veut nous aimer. Demeurons donc attachés à son amour, de manière à être aimés de lui. Si, quand nous sommes aimés des hommes puissants, nous devenons redoutables pour tous, à plus forte raison, quand c’est Dieu qui nous aime. Nos biens, nos corps, notre vie même, quoi qu’il faille donner ; livrons tout pour son amour, ne ménageons rien. Il ne suffit pas des paroles qui disent que nous ressentons cet amour, il faut des actions qui le prouvent ; ce n’est pas seulement par des paroles, c’est aussi par des actions qu’il a prouvé son amour pour nous. Montrez donc, vous aussi, montrez, par vos actions, que vous l’aimez, que vous cherchez son plaisir ; car vous profiterez ainsi doublement. Il n’a aucun besoin de nous ; et que c’est bien là la plus belle preuve de la pureté de son amour, que de n’avoir aucun besoin, et de ne pas cesser de tout faire pour être aimé de nous ! Aussi Moïse disait-il : « Que demande de vous le Seigneur votre Dieu, sinon que vous l’aimiez, que vous soyez prêts à marcher dans ses voies ? » (Deu 10,12) De sorte que c’est surtout en vous invitant à l’aimer, qu’il montre son amour pour vous. Rien n’assure aussi solidement notre salut que de l’aimer. Voyez donc comme tous ses commandements tendent à notre repos, à notre salut et à notre gloire. Quand il dit : « Bienheureux les miséricordieux ; bienheureux ceux qui ont le cœur pur ; bienheureux ceux qui sont doux ; bienheureux les pauvres d’esprit ; bienheureux les pacifiques » (Mat 5,7, 8, 4, 3, 9), lui-même n’en retire aucun fruit, c’est pour nous embellir de la sagesse des vertus qu’il nous donne ces commandements ; quand il dit : « J’ai eu faim », ce n’est pas qu’il ait besoin de nous, c’est pour répandre sur vous l’onction de la bonté. Car il pouvait, même en se passant de vous, nourrir le pauvre, mais il a voulu réserver en votre faveur le plus précieux de tous les trésors ; de là ces commandements. Si le soleil, qui n’est qu’une créature, n’a ancien besoin de nos yeux, (car il subsiste, gardant l’éclat qui lui est propre, alors même que nul ne le contemple), si c’est nous qui recevons de lui des bienfaits, en jouissant de ses rayons, à combien plus forte raison faut-il appliquer de telles paroles à Dieu. Mais encore une autre preuve, écoutez : Quelle idée vous faites-vous de la distance entre Dieu et nous ? est-ce comme entre les moucherons et nous ? faut-il concevoir un intervalle beaucoup plus grand encore ? Évidemment, la distance est bien plus considérable, distance infinie. Si donc nous, gale la vaine gloire gonfle, nous n’avons besoin ni du secours des moucherons, ni de la gloire qu’ils donnent, à bien plus forte raison faut-il appliquer cette réflexion à Dieu, si fort au-dessus de toutes les passions de l’homme et de tous les besoins. Il ne jouit de nous qu’en raison des bienfaits que nous recevons dé lui, du plaisir qu’il prend à notre salut. Voilà pourquoi, si souvent, il s’oublie pour vous. « Si un fidèle », dit l’apôtre, a une femme infidèle, « et si elle consent à demeurer avec lui, qu’il ne la renvoie pas. Celui qui renvoie sa femme, si ce n’est en cas d’adultère, la rend adultère ». (1Co 7,12 ; Mat 5,32) Comprenez-vous l’ineffable bonté ? Si la femme est adultère, dit-il, je ne vous force pas à la cohabitation ; et si elle est infidèle, je ne l’interdis pas. Voyez encore ; dans le cas d’une offense, voici ce que j’ordonne : C’est qu’avant de m’apporter son offrande, celui qui a quelque chose contre quelqu’un, coure à qui l’a offensé : « Si, lorsque, vous présenterez votre offrande, vous vous souvenez que votre frère a quelque chose contre vous, laissez là votre don ; au pied de l’autel, et allez vous réconcilier auparavant avec votre frère, et puis vous reviendrez offrir votre don ». (Id 5,23,24) Et la parabole de l’enfant prodigue ? n’est-ce pas encore la preuve de la même bonté ? Quand il eut mangé tant d’argent, son père eut pitié de lui, et lui pardonna ; quand l’homme sans entrailles réclame cent deniers à son compagnon d’esclavage, le maître appelle le méchant et le livre au châtiment ; c’est ainsi que les preuves abondent de cette bonté qui veut votre soulagement et votre repos. Le roi barbare allait pécher contre là femme de l’homme juste, et Dieu lui dit : « Je vous ai préservé d’un péché contre moi ». (Gen 20,6) Paul persécutait les apôtres, et Dieu lui dit : « Pourquoi me persécutez-vous ? » (Act 9,4) D’autres ont faim, et il dit lui-même qu’il a faim, qu’il est nu, errant, étranger, voulant par là fléchir votre cœur et vous porter à la miséricorde. Donc, considérant l’étendue de l’amour qu’il a toujours montré et qu’il continue de montrer, lui qui veut bien se faire connaître à nous, ce qui est la source la plus abondante de tous les biens, la lumière de l’intelligence, l’enseignement de la vertu ; lui, qui nous fait une loi de la vie la plus aimable, qui a tout fait à cause de nous, qui nous a donné son Fils, qui nous a promis sa royauté, qui nous a préparé les biens inénarrables et la vie la plus heureuse, faisons de notre côté, par nos actions, par nos discours, faisons tout pour nous rendre dignes de son amour et pour mériter les biens à venir ; puissions-nous tous entrer dans ce partage, par la grâce et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient, comme au Père, comme au Saint-Esprit, la gloire, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

Traduit pur M. C. PORTELETTE.

FIN DES HOMÉLIES SUR LA SECONDE ÉPÎTRE AUX CORINTHIENS. 

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