2 Corinthians 2
HOMÉLIE IV.
POUR MOI, J’EN ATTESTE LE SEIGNEUR, SI JE NE SUIS PAS ENCORE ALLÉ A CORINTHE, C’ÉTAIT POUR VOUS MÉNAGER. (I, 23, JUSQU’À II, 11)
- 1 et 2. Prudence de saint Paul ; son affection pour les Corinthiens.
- 3 et 4. Absolution donnée à l’incestueux : belles réflexions de saint Chrysostome à ce sujet.
- 5 et 6. En quoi consiste la vraie pénitence.
1. Que dites-vous, bienheureux Paul ? C’est par ménagement pour les Corinthiens que vous n’êtes pas venu chez eux. N’est-ce pas une contradiction ? Pus haut vous disiez, pour vous excuser, que vous ne preniez point conseil de la chair, que vous n’étiez pas votre maître, que vous suiviez toujours les mouvements de l’Esprit-Saint ; vous mettiez en avant vos tribulations. Maintenant vous revendiquez votre liberté, et vous n’attribuez plus rien à l’autorité de l’Esprit-Saint : « C’est pour vous ménage », dites-vous, « que je ne suis pas allé vous voir ». Qu’est-ce à dire ? Saint Paul voulait-il aller à Corinthe, et l’Esprit-Saint lui a-t-il conseillé de renoncer à son dessein par ménagement pour les fidèles ? Ou bien s’agit-il d’un autre voyage, et veut-il dire, qu’avant d’écrire sa première épître, son intention était de se rendre à Corinthe, mais que la charité l’en avait détourné : car il leur eût reproché trop vivement leurs désordres. Il est probable qu’après cette première épître la même raison le détermina à ne pas faire ce voyage, sans que l’Esprit s’y opposât. Dans le principe, sans doute, l’Esprit-Saint s’y opposait ; mais ensuite il se convainquit lui-même que c’était le parti le plus sage ; après y avoir mûrement réfléchi. Voyez maintenant de quelle manière il parle de lui. Je ne cesserai de vous le faire remarquer, c’est par les contraires qu’il se justifie toujours. Les Corinthiens pouvaient avoir de fâcheux soupçons ; ils pouvaient dire : si vous n’êtes pas venu, c’est que vous nous détestiez. Il leur affirme tout le contraire : s’il n’a pas voulu se rendre à Corinthe, c’est par amour pour les Corinthiens. Que signifie cette parole : « par ménagement pour vous ? » J’ai appris, dit-il, que plusieurs d’entre vous s’étaient rendus coupables de honteux désordres ; et je n’ai pas voulu vous contrister par ma présence. Il m’aurait fallu faire une enquête, condamner, châtier, punir un grand nombre de fidèles. J’ai cru qu’il valait mieux ne pas aller à Corinthe, et vous donner le temps de faire pénitence, que de m’y, rendre pour vous punir et m’irriter contre vous. Il exprime nettement sa pensée à la fin de son épître, en disant : « Je crains, qu’une fois à Corinthe, Dieu ne m’humilie auprès de vous, et que je n’aie à verser des larmes sur plusieurs qui, après avoir péché, n’ont point fait pénitence de leur impureté et de leurs fornications ». (2Co 12,21) Il semble vouloir ici s’excuser ; mais cependant quel reproche et quel sujet d’effroi ! Ne leur montre-t-il pas les châtiments qu’ils ont encourus, et qu’ils subiront, s’ils ne se corrigent au plus tôt. Il y revient vers la fin de son épître : « Si je vais à Corinthe », leur dit-il, « je ne vous épargnerai point ». Ici son langage est plus clair ; tout à l’heure, au début de sa lettre, il s’exprimait avec plus de ménagement. Et encore cherche-t-il à tempérer, à mitiger ce qu’il vient de dire. C’est, en effet, le langage d’un homme qui jouit d’une pleine autorité ; on ne ménage, en effet, que ceux-là seulement contre lesquels on peut sévir. Il l’adoucit donc et voile pour ainsi dire ce qu’il pourrait avoir de trop dur en disant : « Ce n’est pas que nous tyrannisions votre foi (24) » ? C’est-à-dire, ce n’est point pour faire valoir mon autorité que je me suis servi de ces expressions : « Je voulais vous ménager, en m’abstenant de venir à Corinthe ». Il n’a pas dit : « vous tyranniser », mais « tyranniser votre foi » ; paroles qui renferment plus de douceur et de vérité. Qui en effet pourrait forcer à croire celui qui s’y refuse ? « Mais nous cherchons à contribuer à votre joie ». Votre joie n’est-elle pas la nôtre ? Aussi ne suis-je pas allé à Corinthe, de peur de vous contrister, et d’augmenter ainsi ma propre tristesse ; mais je suis resté, pour que vous puissiez vous réjouir, une fois corrigés par mes menaces. Votre joie est le but constant de nos efforts : car nous la partageons nous-mêmes. « Car vous êtes fermes dans la foi ». Voyez quelle modération ! Il craint de les réprimander trop vivement, parce que dans sa première lettre il les avait traités sévèrement, et qu’ils avaient témoigné quelque repentir n’eût-ce pas été compromettre cet heureux résultat, que de leur adresser les mêmes reproches après leur conversion ? Aussi cette seconde épître est-elle moins sévère que la précédente. « J’ai donc résolu de ne pas aller de nouveau et vous voir dans la tristesse (1) ». En disant, « de nouveau » ; il leur montre qu’ils lui ont causé du chagrin ; et tout en paraissant s’excuser, il leur reproche leur conduite. Si déjà ils l’avaient contristé et qu’ils dussent le contrister encore, jugez quel serait alors son chagrin ! Il ne leur dit donc pas : vous, m’avez contristé ; il emploie un autre tour pour leur faire entendre sa pensée : « Je ne suis pas venu », leur dit-il, « afin de ne pas vous affliger », paroles qui ont la même force, sans renfermer rien dé blessant. « Si en effet, je vous contriste, et qui donc me réjouit, sinon celui qui est contristé par moi (2) » ; quelle est ici la liaison du discours ? La liaison est très-grande. Voyez en effet : Je n’ai pas voulu, dit-il, me rendre à Corinthe pour ne pas vous contrister davantage en vous blâmant, en vous reprochant avec indignation tous vos désordres. Mais ensuite, comme il y a dans ces paroles une certaine dureté, comme elles reprochent aux Corinthiens une conduite propre à contrister le cœur de l’apôtre, il les tempère en disant : «. Si je vous contriste, qui donc me réjouira, sinon celui-là même qui est contristé par moi ? » Et voici le sens de ces expressions : S’il m’arrivait d’être plongé dans la douleur par la nécessité de vous adresser quelques reproches, et de vous voir ensuite contristés vous-mêmes, je ne pourrais faire autrement que de me réjouir en même temps. N’est-ce pas en effet me témoigner la plus grande affection que de m’estimer assez pour être sensibles aux reproches que vous adresse mon âme indignée. 2. Mais voyez aussi la prudence de l’apôtre. D’ordinaire, les disciples s’affligent et s’indignent d’une réprimande : Saint Paul leur en fait un mérite, c’est un plaisir qu’ils lui font ; je irai pas de plus grande joie, dit-il, que de voir mes paroles produire de l’effet et contrister l’âme de celui qui est témoin ; de ma colère. Il était naturel de dire : Si je vous contriste, qui donc vous réjouira ? Il ne le dit pas, il prend le contre-pied pour mieux adoucir sa pensée : Bien que je vous aie contristés, vous me témoignez la plus vive reconnaissance, puisque vous vous affectez de mes reproches. – « Car c’est là due je vous ai écrit (3) ». Quoi donc ? que je n’étais pas venu à Corinthe, dans l’intention de vous ménager. Quand le leur écrivait-il ? Est-ce dans sa première épître, où il leur disait : « Je ne veux pas vous voir en passant ? » Non, à mon avis du moins, mais bien dans celle-ci, quand il leur dit : « Je crains qu’une fois au milieu de vous, Dieu ne m’humilie ». Je vous ai donc éprit à la fin de cette épître : « De peur qu’une fois au milieu de vous, Dieu ne m’humilie et que je n’aie à verser des larmes sur un grand nombre de ceux qui ont péché auparavant ». Pourquoi écriviez-vous donc : « Afin qu’à mon arrivée je n’aie » pas à pleurer sur ceux qui auraient dû me « réjouir, ayant cette confiance à votre sujet, que ma joie est aussi la vôtre ? » Après avoir dit : « Je me réjouis de vous voir dans la tristesse », paroles un peu dures, ce semble, et un peu hardies, il prend un autre tour pour les rendre plus acceptables. Je vous ai écrit, dit-il, pour que je n’aie pas la douleur de vous trouver non corrigés encore. Quand je dis : « Pour que je n’ai pas la douleur », ce n’est point mon avantage personnel que j’ai en vue, mais le vôtre : Je le sais en effet, vous êtes joyeux de ma propre joie, et vous souffrez de me voir souffrir. Voyez comme tout s’enchaîne depuis le commencement. Cet examen nous fera mieux entendre ce que veut dire apôtre. Si je ne suis pas venu, dit-il ; c’est pour ne pas vous contrister dans le cas où vous ne seriez pas encore réformés. En cela je me suis proposé votre intérêt, et non le mien propre. Quand je vous vois plongés dans la tristesse, j’en ressens une grande joie ; car cette affliction, cette douleur, me prouve que vous vous souciez de mes paroles et de mon indignation. « Qui donc me réjouit en effet, sinon celui que je contrains moi-même ? » Toutefois, comme je vous ai vous-mêmes en vue, je, me suis servi de ces paroles : « Pour n’avoir pas la douleur », en m’oubliant moi-même, pour ne penser qu’à vous. Car, je ne l’ignore pas, vous éprouverez beaucoup de chagrin de me voir triste ; comme au contraire, vous vous réjouirez de me voir joyeux : Voyez donc quelle est la prudence de l’apôtre ! Il avait dit : Je ne suis pas venu pour ne pas vous contrister, et cependant, dit-il, je m’en réjouis. Ensuite, pour ne pas leur laisser croire que leur douleur est cause de sa joie, il ajoute : Je me réjouis de voir mes paroles produire leur effet. Ce qui m’afflige, c’est d’être dans la nécessité de contrister des fidèles qui me chérissent, non seulement par les reproches que je leur adresse ; mais aussi par la tristesse où ils me voient plongé. Et voyez comment il sait assaisonner le reproche par l’éloge : « Par ceux au sujet desquels j’aurais dû ressentir de la joie ». N’est-ce pas le langage d’un homme qui témoigne la vivacité de son affection ? Ne vous semble-t-il point parler de fils qu’il aurait comblés de bienfaits et pour lesquels il se serait imposé les plus rudes travaux ? Ainsi ! donc, si je vous écris, au lieu d’aller vous voir, c’est dans votre intérêt, ce n’est point par haine, mais au contraire, par amour pour vous : Mais il avait dit : Celui qui me chagrine me cause de la joie ; et ils auraient pu conclure : C’est donc là ce que vous cherchez, votre propre joie ; vous voulez donc montrer à tout le monde l’énergie de votre puissance ! – Aussi se hâte-t-il d’ajouter : « C’est l’âme brisée de douleur et les larmes aux yeux, que je vous écrivis alors, non point pour vous affliger, mais pour que vous sentiez la vive affection que j’ai pour vous (4) ». Y eut-il jamais âme plus aimante ? Ne se montre-t-il pas plus vivement affligé que ceux-là mêmes qui ont péché ? Il ne se contente pas de dire : c’est avec douleur ; mais voyez la force de son expression C’est l’âme brisée de douleur ». Il ne dit pas : avec larmes, mais « en répandant beaucoup de larmes ». N’est-ce pas comme s’il disait : La tristesse me suffoquait, m’ôtait la respiration ; je ne pouvais plus endurer cette sombre tristesse, et je vous ai écrit, non pour vous affliger, mais pour vous témoigner l’affection que je vous porte. Ces paroles, « non pour vous affliger », semblaient amener naturellement celles-ci : mais pour vous rassurer, et tel était en effet son dessein ; cependant ce n’est point ce qu’ajoute l’apôtre. Il sait donner à son langage plus de douceur et pins d’attrait, il veut, leur inspirer plus d’amour pour lui, en leur montrant que tout ce qu’il fait, al le fait lui-même sous l’impulsion de la charité. Et non seulement il aime les Corinthiens, mais il les aime jusqu’à l’excès. C’est ainsi qu’il veut se les attacher, en leur témoignant qu’il les aime plus que les autres, qu’il les regarde comme ses disciples de prédilection. C’est pourquoi il dit : « Si je ne suis pas apôtre pour les autres, du moins le suis-je pour vous » ; et encore : « quand même vous auriez beaucoup de maîtres, cependant vous n’avez pas beaucoup de pères ». (2Co 9,2 ; 4, 15) Il dit encore « Nous avons agi dans le monde avec la grâce du Seigneur, mais nulle part autant que chez vous ». Et plus bas il ajoute : « Je vous porte une vive affection ; la vôtre est moins forte envers moi ». (2Co 1, 12 ; 13, 15) Et enfin ici : « Cette affection si vive que j’ai pour vous ». 3. Son langage était plein d’indignation sans doute, mais cette indignation venait de l’affection et de la douleur. La cause de la douleur, des angoisses que j’éprouvais en vous écrivant, ce n’étaient pas seulement vos désordres, mais aussi la nécessité où je nie trouvais, de vous contraster. Si cette nécessité même n’avait-elle point son principe dans l’affection ? Qu’un père voie son fils bien-aimé rongé par un ulcère qu’il faille enlever et brûler ; il souffre et de voir son fils en proie à la maladie, et d’être contraint à cette cruelle opération. Ainsi donc, ce que vous croyez être une marque de haine, c’est au contraire une preuve d’affection. Si donc je vous aime en vous contristant, à plus forte raison je vous aime encore en me réjouissant de vous voir affligés. Voilà comment l’apôtre se justifie ; et nous le voyons se justifier en maintes circonstances, sans qu’il ait lieu d’en rougir : car Dieu lui-même ne craint pas de se justifier en disant : « O mon peuple, de quoi suis-je coupable envers toi ? » (Mic 6,3) Maintenant, il va parler en faveur de cet homme qui s’était rendu coupable d’inceste. Il fallait prévenir une surprise trop brusque, une obstination funeste, chose si naturelle en présence de deux injonctions contradictoires. Car il avait fait éclater son indignation contre l’incestueux, et maintenant, il allait enjoindre de l’absoudre. Voyez donc comment tout se prépare et par ce qu’il a déjà dit, et par ce qu’il va dire encore. Que dit en effet l’apôtre ? « Si quelqu’un m’a contrasté, ce n’est pas moi seul qu’il a contrasté (5) ». Après les avoir loués de partager sa joie et sa tristesse, il aborde son sujet. Il a dit : « Ma joie est aussi votre joie ». S’il en est ainsi, ne devez-vous pas vous réjouir avec moi, comme vous vous êtes affligés avec moi. En vous affligeant, vous m’avez causé de la joie ; en vous réjouissant aujourd’hui, mous m’en causerez encore. L’apôtre n’a pas dit : ma tristesse à été votre tristesse. Cette pensée, il l’avait exprimée dans d’autres endroits ; ici, il se contente de rappeler, ce que demande son sujet, et il dit : « Ma joie est aussi votre joie ». Il revient ensuite sur le passé : « Si quelqu’un, dit-il, a été un sujet de tristesse ; ce n’est pas moi seulement qu’il a contrasté ; mais vous a aussi du moins en partie, pour user de ménagement à son égard ». Je le sais, dit-il, vous avez tous partagé mon indignation contre celui qui avait commis l’inceste ; oui, vous avez tous, du moins presque tous, éprouvé quelque tristesse, en apprenant ce crime abominable. Si je dis : presque tous, ce, n’est pas que vous ayez été moins vivement émus que moi-même ; mais je m’exprime ainsi pour user de ménagement à l’égard du coupable. Ce n’est donc pas moi seulement qu’il a contristé, mais vous tous aussi bien que moi ; et c’est par indulgence que j’emploie ces expressions : « Presque tous ». Voyez-vous comme il s’empresse d’apaiser, leurs âmes, en leur disant qu’ils ont partagé son indignation ? « Il suffit à cet homme d’avoir été repris parle plus grand nombre (6) ». Il ne dit pas : « à l’incestueux » ; mais « à cet homme », comme dans l’épître précédente ; toutefois, ce n’est plus pour la même raison qu’il se sert de ce mot. Alors, c’était par modestie, ici, par indulgence. Oui, c’est par indulgence que désormais il ne rappelle plus la faute commise ; car il veut maintenant prendre sa défense. « Maintenant, au contraire, soyez pleins de prévenances à son égard, et empressez-vous de le consoler, de peur qu’il ne soit comme absorbé par une tristesse trop prolongée (7) ». non seulement l’apôtre ordonne de cesser la punition, mais il veut qu’on le rétablisse dans son premier état. Se borner à châtier le coupable sans le soigner et le guérir, c’est en effet ne rien faire. Voyez comme il sait imposer un frein à l’incestueux, de peur qu’il n’abuse du pardon qu’il obtient. Il a confessé sa faute, il s’en est repenti, il est vrai ; néanmoins, ce n’est pas tant son repentir que la généreuse bonté de l’Église qui le relève de l’excommunication, c’est pourquoi saint Paul emploie ces mots : « Accordez-lui son pardon et empressez-vous de le consoler ». La suite le dit clairement aussi. Ce n’est pas qu’il soit digne de rentrer en grâce, ce n’est pas que la pénitence ait été suffisante, non ; c’est parce qu’il est faible, dit l’apôtre, que je le juge digne de pardon. Aussi ajoute-t-il : « De peur qu’il ne soit comme absorbé par une trop longue tristesse », C’est le langage d’un homme qui rend témoignage à une pénitence sincère et qui craindrait de voir le coupable tomber dans le désespoir. Que signifie cette parole : « De peur qu’il ne soit absorbé ? » c’est-à-dire, de peur qu’il ne vienne à faire comme Judas, ou bien encore ; de peur qu’il ne mène une vie plus coupable, s’il se résigne à continuer de vivre. En effet, qu’il perde courage, ne pouvant supporter plus longtemps les reproches dent on l’accable, ou bien il se donnera là mort, ou bien il se plongera dans toutes sortes de crimes. 4. L’apôtre se proposait donc, comme je l’ai dit, d’imposer à l’incestueux le frein d’un salutaire conseil, pour prévenir le relâchement après le pardon. Si je lui pardonne, dit-il, ce n’est pas que je le regarde comme entièrement lavé de ses souillures, mais je veux empêcher qu’il ne se porte aux dernières extrémités. Ainsi donc, ce n’est pas seulement d’après la nature des fautes que nous devoirs infliger une pénitence ; nous devons tenir compte aussi des dispositions et des sentiments du coupable, comme fit en cette circonstance saint Paul, qui redoutait la faiblesse de l’incestueux. Aussi disait-il « De peur qu’il ne soit dévoré » par la tristesse, comme par une bête féroce, ou par une violente tempêter « C’est pourquoi je vous exhorte ». Il ne commande plus, il exhorte ; non comme un maître, mais comme un égal ; il établit jugés les Corinthiens eux-mêmes, et lui, il joue maintenant le rôle d’avocat. Comme il avait réussi au gré de ses désirs, il ne se sent plus de joie maintenant, et ne met plus de bornes à ses prières. Que demandez-vous donc, ô grand apôtre : « Je vous exhorte à confirmer « votre charité envers lui (8) ». Ce que je vous demande, ce n’est pas une charité quelconque, mais une charité effective et persévérante. N’est-ce pas un beau témoignage que rend l’apôtre à la vertu des Corinthiens ? Oui, les Corinthiens, qui aimaient ce pécheur, qui l’approuvaient ad point de sen glorifier, l’eurent ensuite en si grande aversion que saint Paul dût les exhorter à se montrer charitables envers lui. Admirez la vertu du maître, admirez la vertu des disciples ! Les disciples se montrent dociles, le maître les dirige avec une rare sagesse. S’il en était ainsi de nos jours, tant de fautes ne passeraient pas inaperçues. Il faut aimer, il faut montrer de l’aversion, sans doute, mais toujours à propos, et jamais sans motif. « Je vous ai écrit pour me convaincre par expérience de votre obéissance en toutes choses (9) ». C’est-à-dire, quand il s’agit de rétablir parmi les fidèles, comme quand il s’agit d’exclure de leur société. Voyez-vous comme il sait, ici encore, leur inspirer un sentiment de crainte ? Quand cet homme eut péché, il sut les faire trembler pour les amener à se détourner de lui : « Ne savez-vous pas », leur disait-il, « qu’un peu de levain suffit pour corrompre toute la masse ? » (1Co 5,6) De même, il leur fait redouter les suites d’une désobéissance, en leur tenant à peu près ce langage. Comme par le passé vous avez agi dans votre intérêt aussi bien que dans l’intérêt du coupable ; maintenant encore, vous devez rechercher votre avantage autant que le sien, et ne montrer ni obstination, ni dureté, ni désobéissance. Et voilà pourquoi il leur dit : « Je vous ai écrit pour me convaincre par expérience de votre obéissance en toutes choses ». L’obéissance qu’ils avaient montrée d’abord, pouvait être imputée à la jalousie, à la haine ; ici, c’est une obéissance évidemment pure de tout mauvais sentiment ; et qui ne s’exerce qu’en vue de la miséricorde. Les vrais disciples, les disciples bien disposés, après avoir obéi, quand il s’agissait de punir, obéiront encore maintenant qu’il s’agit de pardonner. Aussi l’apôtre disait-il : « En toutes choses ». Sils refusent d’obéir ; la honte sera pour eux plutôt que pour lui, car on les regardera comme des hommes pleins d’obstination. Il veut donc par là les amener à l’obéissance, et c’est pourquoi il leur dit : « Je vous ai écrit dans ce dessein ». Sans doute, tel n’était pas le but de son épître, et s’il s’exprime ainsi ; c’est pour les entraîner plus facilement. Ce qu’il avait surtout en vue, c’était le salut de l’incestueux ; mais il aime à leur faire plaisir, quand il le peut sans inconvénient : Par ces paroles. « En toutes choses », il fait de nouveau leur éloge, en leur rappelant ainsi leur première obéissance. « Quand vous accordez quelque faveur, c’est moi aussi qui l’accorde (10) ». Voyez comme il se met au second rang ; ce sont eux qui commencent, il ne fait que les suivre. C’est ainsi qu’on apaise une âme imitée ; c’est ainsi qu’on brise l’obstination. Cependant, il ne veut pas les rendre orgueilleux en proclamant leur autorité, ni leur permettre d’abandonner le pécheur. C’est pourquoi il ajoute qu’il lui pardonne lui-même : « Si je lui ai remis sa faute, c’est à cause de vous que je l’ai fait ». Oui, ce pardon, c’est à cause de vous que je l’ai accordé. Quand il leur enjoignit de le retrancher de l’assemblée des fidèles, il ne les laissa pas libres d’user d’indulgence envers lui ; mais il leur disait : « J’ai jugé à propos de le livrer au pouvoir de Satan » ; et cependant il se les associe pour prononcer la sentence, en ajoutant : « Vous vous réunirez à cet effet ». Remarquez ces deux actes de la plus haute importance : la sentence est prononcée, mais non sans leur participation, pour qu’ils ne pussent se plaindre, il ne la prononce pas seul, de peur de montrer de l’arrogance et du mépris à leur égard. D’autre part, il ne leur abandonne pas toute l’affaire, de peur que, manquant à leurs devoirs, ils n’exercent envers le coupable une indulgence intempestive. Il en agit de même dans la circonstance présente : « Je lui ai déjà accordé son pardon, comme dans ma première épître je l’avais déjà condamné ». Ensuite pour prévenir tout soupçon de mépris, il ajoute : « A cause de vous » ; quoi donc ? c’est pour se ménager les bonnes grâces des hommes, qu’il lui pardonne ? Non, car il ajoute aussitôt : « Dans la personne du Christ. » Qu’est-ce à dire : Dans « la personne du Christ ? » c’est-à-dire, selon Dieu, ou pour la gloire du Christ : « De peur que nous ne soyons circonvenus par Satan, car nous n’ignorons pas ses pensées (11) ». Voyez-vous comme il leur accorde et leur retire tour à tour l’autorité, voulant d’une part les ménager, et d’autre part prévenir tout sentiment d’orgueil ? Il veut en outre leur faire voir que leur désobéissance tournerait au détriment général. C’est ce qu’il avait en vue dès le principe, car alors il disait aussi : « Un peu de levain corrompt toute la masse » (1Co 5,6) ; et ici il dit : « De peur que nous ne soyons circonvenus par Satan ». Partout il se les associe dans l’absolution donnée à l’incestueux… 5. Reprenons les choses de plus haut. « Si quelqu’un m’a contristé, ce n’est pas moi qu’il a contristé », dit-il, « mais vous tous, en partie du moins, pour ne point l’accabler ». Et ensuite : « Il suffit qu’il soit réprimandé par le plus grand nombre ». Tel est sa décision, telle est sa pensée. Il ne s’en tient pas là ; mais de nouveau il se les associe en disant : « En sorte qu’il convient maintenant, au contraire, que vous lui pardonniez et le consoliez. C’est pourquoi je vous conjure de confirmer à son égard votre charité ». Après leur avoir abandonné tout le soin de cette affaire, il rappelle son autorité dans ces paroles : « Je vous ai écrit pour me convaincre que vous êtes obéissants en toutes choses » Puis il leur accorde le droit de faire grâce au coupable, en leur disant : « Celui à qui vous aurez pardonné ». Ensuite il le revendique pour lui-même : « Pour moi, si je lui ai pardonné, c’est à cause de vous, dans la personne du Christ » ; c’est-à-dire, pour la gloire de Jésus-Christ, ou bien encore d’après l’ordre de Jésus-Christ. C’est là ce qui surtout devait faire impression sur leurs : âmes. Ils eussent craint en effet de manquer d’indulgence dans une circonstance où la gloire de Jésus-Christ se trouvait intéressée. Après cela, c’est le funeste résultat de leur désobéissance qu’il leur met sous les yeux : « De peur que l’usurpateur Satan n’emporte quelque chose sur nous ». Épithète bien juste : car il ne prend pas seulement ce qui est à lui ; mais il enlève encore ce qui nous appartient. Qu’on ne dise pas : Mais l’incestueux seul est là proie du démon. Songez que le troupeau n’est plus complet ; et c’est un grand malheur, maintenant surtout, qu’il peut retrouver ce qu’il a perdu : « Car nous n’ignorons passes pensées » ; c’est-à-dire que ; soirs prétexte de piété, il cause notre perte. Ce n’est pas seulement en poussant au crime qu’il sait perdre les âmes, mais aussi en les plongeant dans une tristesse excessive. Puisque, non content d’enlever les siens, il se jette aussi sur ceux qui nous appartiennent, puisqu’à cause la perte des uns en les entraînant au péché, et qu’il nous dérobe ceux mêmes auxquels nous imposons une pénitence ; n’est-ce pas un usurpateur qui s’empare du bien d’autrui ? Il ne lui suffit pas de nous renverser par le péché ; il obtient le même résultat par notre pénitence, si nous ne sommes sur nos gardes. Saint Paul, a donc raison de l’appeler usurpateur, puisqu’il triomphe par nos propres armes ; qu’il s’empare de nous parle péché, je le conçois ; c’est une arme qui lui est propre ; mais qu’il triomphe par la pénitence, c’est une usurpation ; car la pénitence est une arme qui nous appartient, et qu’il ne peut revendiquer comme la sienne. Lorsqu’il peut nous vaincre, même par la pénitence, quelle défaite honteuse pour nous ! Il se rira de notre faiblesse et de notre misère, il nous tourmentera de mille manières, après nous avoir subjugué par nos propres armes. Quoi de plus ridicule en effet, de plus honteux, pour nous que de nous sentir blessés par ce qui devait nous, guérir ? Aussi l’apôtre disait-il : « Nous n’ignorons pas ses pensées ». C’est-à-dire nous savons combien il est souple, rusé, fourbe, méchant, habile à séduire par les apparences mêmes de la piété. C’est ce que nous ne devons jamais perdre de vue. N’ayons donc de mépris pour personne ; ne désespérons pas après notre péché, ne vivons point non plus dans l’indolence ; mais brisons notre âme par un sincère repentir, et ne nous bornons pas à témoigner notre douleur par nos paroles. Beaucoup en effet répètent qu’ils se repentent de leurs péchés, mais ils n’accomplissent aucun acte de pénitence ; ils jeûnent, il est vrai ; ils sont modestes dans leurs vêtements, mais ils ont plus soif de richesses que les usuriers ; leur colère surpasse celle des bêtes féroces ; la médisance leur cause plus de plaisir qu’à d’autres les éloges. Est-ce là une pénitence ? Non, c’est l’ombre, c’est l’apparence du repentir, ce n’est point le repentir. C’est pourquoi il est bon de leur adresser les paroles de l’apôtre : Prenez garde de vous laisser circonvenir par Satan ; car nous n’ignorons point ses pensées. Il sait perdre, ceux-ci par le péché, ceux-là par la pénitence, en les empêchant de retirer aucun fruit de leur repentir. Il ne peut réussir par un chemin direct ; il prend un chemin détourné ; il redouble la fatigue et enlève les fruits ; il persuade que tout est fait et qu’on peut négliger ce qui reste encore. Prenons donc garde que notre pénitence ne soit frappée de stérilité. Que de femmes font ainsi pénitence ! Adressons-leur cette courte exhortation, car elles en ont un besoin tout spécial. Oui, c’est une bonne chose que de jeûner, que de coucher sur la terre, que de mettre des cendres sur sa tête ; mais à quoi sert tout cela, s’il ne s’y joint autre chose ? Dieu n’a-t-il pas fait voir à quelle condition il pardonne les péchés ? Pourquoi donc abandonner cette voie pour en suivre une autre ? Autrefois les Ninivites péchèrent, et ils firent ce que vous faites maintenant ; mais quel avantage en retirèrent-ils ? Les médecins ont recours à mille remèdes différents ; mais la prudence veut que l’on se demande non pas quel remède a été employé, mais quel effet ce remède a produit. Il faut en agir, de même après que l’on a péché. Qu’y eut-il donc de vraiment avantageux pour ce peuple barbare ? Ils jeûnèrent, ils couchèrent sur la dure, se vêtirent de sacs, répandirent la cendre sur leurs têtes, ils poussèrent des gémissements : mais aussi, ils changèrent de conduite. 6. Parmi nous ces remèdes, quel fut le remède efficace ? Comment le savoir, direz-vous ? Si nous allons trouver le médecin et que nous l’interrogions, il nous le dira volontiers. Ou plutôt il nous épargne la peine de le lui demander, et il nous mentionne dans ses, écrits, le remède qui sauva les Ninivites. Quel est donc ce remède ? « Dieu vit que chacun avait quitté ses voies perverses, et il se repentit de les avoir menacés de si grands malheurs ». (Jon 3,10) L’Écriture ne dit pas : Il vit leur jeûne, leurs cilices, la cendre répandue sur leurs têtes. Ce que je dis, non pour déprécier le jeûne, à Dieu ne plaise ; mais pour vous exhorter à vous abstenir de toute espèce de vices ; ce qui vaut mieux encore que de se priver de nourriture. David, lui aussi, commit de grands péchés : voyons comment il en fit pénitence : Trois jours il resta assis sur la cendre. Ce n’était point pour expier son crime qu’il en agissait de la sorte ; mais il manifestait par là cette douleur où la mort de son fils avait plongé sort âme. Quant à son crime, il l’expia d’une autre manière, c’est-à-dire, par l’humilité, par la contrition, par la componction du cœur, par la résolution de ne plus le commettre de nouveau, d’en garder perpétuellement le souvenir, de souffrir avec joie toutes les adversités, dé pardonner à ses ennemis, de ne point se venger pu lui-même ou par d’autres. Séméi l’accablait d’outrages, et fin général s’indignait de l’entendre. Mais que disait le saint roi ? « Laissez-le me maudire, c’est Dieu qui le lui commande ». (2Sa 16,10) Il avait le cœur contrit et humilié ; et voilà ce qui surtout purifiait son âme. C’était là en effet avouer sa faute et s’en repentir. Si tout en jeûnant, nous demeurons orgueilleux, non seulement le jeûne ne nous sert de rien, mais encore il nous est nuisible. C’est pourquoi, vous aussi, soyez humbles, pour que Dieu vous attire vers lui : « Car Dieu est auprès de ceux qui ont le cœur brisé ». (Psa 34,19) Ceux qui habitent de splendides palais, après s’être eux-mêmes déshonorés par le péché, se laissent outrager, sans résistance par les derniers de, leurs serviteurs ; ils souffrent sans se plaindre, parce qu’ils se sont eux-mêmes couverts d’infamie par leurs péchés. Agissez de même : on vous accable d’injures ; ne vous irritez point, mais poussez des gémissements, non point à cause de l’outrage que l’on vous fait, mais à cause de ce péché qui vous a plongés dans l’infamie. Gémissez sur votre péché, non pas à cause des peines que vous avez encourues ; ces peines ne sont rien ; mais parce que vous avez offensé Dieu ; un Dieu si bon, si plein d’amour pour vous, si désireux de votre salut, qui n’a pas craint d’immoler son Fils pour vous. Gémissez donc et ne cessez point de gémir ; par là, vous confesserez votre péché : Ne passez pas de la joie à la tristesse, et de la tristesse à la joie ; mais persévérez dans votre douleur et dans votre repentir : « Bienheureux ceux qui pleurent », dit l’Écriture. (Mat 5,5) C’est-à-dire, bienheureux ceux qui ne cessent de pleurer. Pleurez donc sans cesse, veillez sur vous-mêmes, brisez votre cœur, affligez-vous comme si vous aviez perdu votre propre fils. « Déchirez vos cœurs », dit l’Écriture, « et non point vos vêtements ». (Jol 2,3) Ce qui a été déchiré ne peut se redresser ; ce qui est broyé ne peut se relever : Aussi l’Écriture dit-elle : « Déchirez », et encore : « Dieu ne méprisera pas un cœur contrit et humilié ». (Psa 51,19) Vous êtes philosophe ; vous êtes riche, vous êtes puissant, n’importe ; brisez votre cœur, et ne lui permettez point de s’enfler d’orgueil et de jactance. Ce qui est déchiré ne peut s’enfler. S’il y a lieu encore à quelque élévation, du moins le gonflement se trouve désormais impossible. Appliquez-vous donc à la modestie et à l’humilité. Rappelez-vous qu’une seule parole suffit pour justifier le publicain. Et encore n’était-ce point précisément un acte d’humilité, mais plutôt le sincère aveu de ses péchés. Or, si tel fut l’effet de cette confession, quel ne sera pas celui de l’humilité ? Pardonnez volontiers à ceux qui vous auront offensés ; vous obtiendrez ainsi la rémission de vos fautes. Quant à l’efficacité du premier sentiment, voici ce que dit l’Écriture : « Je l’ai vu s’avancer plein de tristesse, et j’ai guéri ses voies ». (Isa 57,18) C’est ce sentiment qui calma le Seigneur irrité contre Achab. Quant au pardon des injures : « Pardonnez », dit l’Écriture, « et l’on vous pardonnera ». (Luc 6,37) Il y a encore un autre moyen d’obtenir notre pardon, c’est de condamner nous-mêmes nos crimes : « Condamnez le premier vos iniquités, pour mériter d’être justifié ». (Isa 43,26) Oui, vous effacerez vos péchés, si vous savez rendre grâces au sein des tribulations. Mais rien n’est comparable à l’aumône. Comptez maintenant les remèdes capables de guérir vos blessures, et employez-les tour à tour ; employez l’humilité, la confession, l’oubli des injures, l’action de grâces dans les tribulations ;. assistez le prochain par votre argent, par votre zèle, par vos bons offices, et priez avec persévérance. C’est ainsi que la veuve de l’Évangile put fléchir ce juge cruel et impitoyable. Elle fléchit un juge inhumain ; à plus forte raison fléchirez-vous ce juge plein de douceur et de bonté. Outre tant de moyens que nous venons d’indiquer, il en est un autre encore, c’est de prendre la défense de ceux qui sont outragés : « Jugez en faveur de l’orphelin », dit l’Écriture, « et rendez la justice en faveur de la veuve ; venez et engageons la discussion. Et si vos péchés sont rouges comme la pourpre, ils deviendront blancs comme la neige ». (Isa 1,16-17) Serions-nous excusables, si avec tant de moyens pour nous élever au ciel, avec tant de remèdes pour guérir nos blessures, nous persévérions dans les mêmes habitudes, même après avoir reçu le baptême. Oh ! non, je vous en conjure, n’y persévérons point. Voies, qui n’êtes point tombés, ne souillez point la beauté de vos âmes ; cherchez au contraire à l’augmenter de jour en jour. Vous n’avez point commis de péchés que vos bonnes œuvres doivent effacer ; eh bien ! elles rendront votre beauté plus éclatante. Et nous qui avons tant de fautes à nous reprocher, effaçons-les en faisant usage des remèdes que nous venons d’énumérer, afin que nous puissions nous présenter avec assurance au tribunal du Christ. Cette assurance, daigne notre Dieu nous l’accorder par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui soit avec le Père et le Saint-Esprit, gloire, honneur, puissance, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. – Ainsi soit-il. HOMÉLIE V.
ARRIVÉ DANS LA TROADE POUR Y PRÊCHER L’ÉVANGILE DU CHRIST ; LA PORTE DE CE PAYS M’AYANT ÉTÉ OUVERTE DANS LE SEIGNEUR, MON ESPRIT N’EUT POINT DE REPOS ; PARCE QUE JE N’Y TROUVAI POINT MON FRÈRE TITE. (II, 12, 13, JUSQU’À LA FIN DU CHAPITRE) Analyse.
- 1 et 2. Après avoir développé le sens de quelques versets, saint Chrysostome insiste sur les avantages d’une bonne conscience.
- 3. Le témoignage d’une bonne conscience est la gloire de l’homme.
- 4 et 5. Il traite ensuite du pardon des injures, et recommande de faire au démon une guerre acharnée.
1. Voilà des paroles indignes, ce semble, du grand apôtre ; l’absence d’un frère lui fait perdre l’occasion de convertir les âmes. On ne voit d’ailleurs aucun lien qui les unisse à ce qui précède. – Voulez-vous donc que je vous montre d’abord que saint Paul n’a riels dit qui fût indigne de lui ? Ou bien voulez-vous que je vous fasse voir l’enchaînement de ses pensées ? Il vaut mieux, je crois, commencer par ce second point ; il servira à nous faire comprendre le premier. Comment donc ces dernières paroles de l’apôtre se rattachent-elles aux précédentes ? Pour le comprendre, reportons-nous à ce qu’il disait au commencement. – Que disait-il donc ? « Je ne veux pas que vous ignoriez les tribulations que nous avons a endurées en Asie, où nous avons été accablés outre mesure et au-dessus de nos forces ». Après avoir montré comment Dieu le délivra de ses maux, et ajouté ce que nous avons lu, il parle d’un nouveau genre d’affliction : il n’a point rencontré Tite dans la Troade. Pour accabler son âme, c’est bien assez sans doute de supporter tant de tribulations. Mais la souffrance n’est-elle pas encore plus vive quand on ne reçoit de consolations de personne, quand personne ne vient aider à supporter le poids du malheur. Or, Tite est ce même disciple dont Paul parle plus bas, disant qu’il est revenu de Corinthe auprès de lui, à qui il donne de si grands éloges, et que dans la première épître, il dit avoir envoyé à Corinthe. C’est donc pour eux encore que saint Paul, a supporté cette affliction, et tel est le sens de ses paroles. Tout cela, vous le voyez, se lie donc très-bien à ce qui précède. J’essaierai maintenant de vous prouver crue ces paroles ne sont pas indignes de saint Paul. Il ne dit pas en effet que l’absence de Tite ait retardé le salut de ceux qui devaient se convertir ; ni que pour cette raison il ait négligé ceux qui déjà avaient embrassé la foi de l’Évangile, mais simplement que son esprit n’eut point de repos, c’est-à-dire que l’absence de ce frère chéri le plongea dans la douleur et l’affliction. Il veut montrer par là combien l’absence d’un frère peut être pénible ; et la douleur qu’il ressentit le força de quitter ce pays. Que signifient ces paroles : « Après être venu dans la Troade pour l’Évangile ? » Je ne suis pas allé sans motif dans ce pays, mais bien pour y annoncer la parole de Dieu. C’était là le motif qui m’y avait amené ; mon zèle trouvait une ample matière. « La porte », dit-il, « m’avait été ouverte dans le Seigneur ; je n’eus point de repos » ; mais cependant mon travail n’en fut point entravé. Pourquoi dit-il donc : « Prenant congé d’eux, je m’en allai ? ». C’est-à-dire : les angoisses et la douleur ne rue permirent point d’y prolonger mon séjour. Peut-être même l’absence de Tite était-elle un obstacle aux travaux de l’apôtre ; c’est encore là un moyen de consoler les Corinthiens. Et en effet, la porte était ouverte à saint Paul, il était venu en Troade pour y prêcher l’Évangile ; mais il n’y trouve point son frère, et aussitôt il quitte ce pays ; à plus forte raison devez-vous nous pardonner en songeant à tant d’affaires pressantes, indispensables, qui nous mènent et nous ramènent, qui nous empêchent de nous rendre là où nous voudrions, et de prolonger notre séjour comme nous le souhaiterions. Plus haut c’était déjà l’Esprit-Saint qui dirigeait ses voyages ; maintenant c’est encore Dieu qui les détermine, car il, ajoute : « Or, je rends grâces à Dieu qui nous fait toujours triompher en Jésus-Christ, et qui répand en tout lieu par notre ministère, la bonne odeur de sa connaissance (14) ». Bien loin de verser des larmes et de se lamenter, l’apôtre rend grâces à Dieu. Or voici le sens de ses paroles. Partout l’affliction, partout les angoisses : je suis venu en Asie ; les souffrances y dépassaient mes forces. Je suis venu en Troade, je n’y ai point trouvé mon frère ; je n’ai pu venir chez vous, et j’en ai ressenti une vive tristesse, d’abord parce que beaucoup d’entre vous sont tombés dans le péché, ensuite parce queutais prisé de vous voir : « Ç’a été pour vous ménager que je ne suis pas allé à Corinthe », dit-il. Pour ne point paraître désolé, il ajoute non seulement nous ne nous plaignons point de ces tribulations, mais nous nous en réjouissons ; oui, nous nous en réjouissons non seulement à cause des biens futurs, mais encore à cause des biens présents : car tout cela donne un nouveau lustre à notre gloire. Bien loin de nous en désoler, nous triomphons au contraire, et nous nous glorifions de tout ce qui nous est arrivé. Et Lest pourquoi l’apôtre disait : « Nous rendons grâces à Dieu qui nous fait triompher » ; c’est-à-dire, qui fait briller notre gloire aux yeux de tous. Ces persécutions qui semblent être un déshonneur, nous nous regardons comme très-honorés de les subir. Aussi, ne dit-il pas seulement : Qui nous rouvre de gloire ; mais, « qui nous donne le triomphe », voulant montrer que ces persécutions lui élèvent partout de nombreux trophées contre le démon. Puis, après avoir indique le triomphateur, il fait connaître la cause du triomphe, et par là encore il relève les courages. non seulement c’est Dieu qui nous fait triompher, dit-il, mais nous triomphons en Jésus-Christ, c’est-à-dire, à cause de Jésus-Christ et de la prédication de l’Évangile. Puisqu’il s’agit d’un triomphe, et que nous portons le trophée, nous devons être en évidence, et par là-même couverts d’une gloire éclatante : « Et il manifeste en tous lieux par notre ministère la bonne odeur de sa connaissance ». 2. Tout à l’heure l’apôtre disait : « Qui nous fait triompher toujours », maintenant il dit : « en tous lieux » pour montrer que tous les temps et tous les lieux sont remplis dès travaux apostoliques. Il emploie encore une autre métaphore, celle « d’un suave parfum » ; nous sommes aperçus de, tous, comme si nous portions des parfums : c’est la connaissance de Dieu qu’il compare à un parfum de grand prix. Il ne dit pas : la connaissance, mais le « parfum de la connaissance ». Telle est en effet la connaissance que nous avons de Dieu ici-bas, une connaissance qui est loin d’être claire et sans voiles. Et c’est pourquoi, dans sa première épître, l’apôtre disait : « Nous voyons maintenant comme dans un miroir et en énigme ». (1Co 13,12) Ici, c’est à une odeur qu’il compare la connaissance que nous avons de Dieu. Une substance odorante, cachée quelque part, se trahit par son odeur, mais la nature de cette substance, on ne peut. La connaître uniquement par son odeur ; il faut avoir vu la substance elle-même. De même nous savons que Dieu existe, mais nous ne savons quelle est sa nature. Nous sommes donc, pour ainsi dire, un encensoir royal, et partout où nous allons, nous portons en quelque sorte un parfum céleste, une odeur spirituelle. Voilà ce que disait saint Paul, afin de montrer la puissance de la prédication évangélique. Dresser des embûches aux apôtres, c’est donner tan nouvel éclat à leur gloire ; en les persécutant, on rend l’univers entier témoin de leurs victoires, et on répand partout la suavité de leurs parfums. Ce que se proposait encore l’apôtre, c’était d’encourager les Corinthiens à supporter généreusement toutes les afflictions, toutes les tribulations, en leur montrant la gloire ineffable dont ils seraient environnés, même avant de recevoir les récompenses célestes. « Nous sommes la bonne odeur du Christ pour Dieu dans tous ceux qui sont sauvés et dans ceux qui périssent (45) ». – Oui, dit-il, qu’un homme soit sauvé, ou qu’il périsse, l’Évangile n’en manifeste pas moins cette énergie qui lui est propre : si les yeux sont malades, le soleil les offusque ; en est-il pour cela moins lumineux ? Le miel est amer pour les infirmes ; mais cependant n’est-il pas doux de sa nature ? Ainsi l’Évangile exhale le parfum le plus suave ; bien que plusieurs refusent de croire et, périssent. Ce n’est pas l’Évangile qui 'est cause de leur perte, mais bien la perversité de leurs cœurs. Au contraire la perte des hommes méchants et corrompus fait ressortir la douceur de l’Évangile. Et de la sorte les méchants qui se damnent comme les bons qui se sauvent, révèlent sa vertu. N’est-ce point par son éclat même que le soleil blesse les yeux des malades ? Le Sauveur n’est-il point venu pour la ruine et la résurrection d’un grand nombre ? Il n’en demeure, pas moins le Sauveur, quel que soit le nombre de ceux qui se perdent.: il a été présent au milieu des hommes, et il a puni d’autant plus sévèrement ceux qui ont refusé d’obéir ; mais sa présence dans le monde n’en a pas été moins salutaire. Aussi l’apôtre dit-il : « Nous sommes une bonne odeur pour Dieu ». C’est-à-dire, bien que plusieurs périssent, nous demeurons néanmoins ce que nous étions. Il ne dit pas d’une manière absolue : « Nous sommes une bonne odeur » mais « pour Dieu ». C’est vers Dieu que s’élève cette odeur ; il l’a pour agréable. Qui pourrait donc soulever la moindre objection. Ces paroles : « Nous sommes la bonne odeur du Christ », me semblent pouvoir s’entendre de deux manières. Les apôtres, en mourant pour Jésus-Christ, s’offrent eux-mêmes comme victimes ; ou bien encore, ils sont la bonne odeur de Jésus-Christ immolé ; comme si l’on disait : Le parfum que les apôtres exhalent est la bonne odeur de cette victime sainte. Tel est peut-être le sens de ce passage, ou bien, comme je l’ai dit plus haut, il signifie que chaque jour ils sont immolés pour le Christ. Voyez-vous comme saint Paul exalte les tribulations, en les nommant un triomphe, une bonne odeur, un sacrifice offert à Dieu. Puis, après avoir dit : « Nous sommes la bonne odeur de Jésus-Christ dans ceux qui périssent » ; pour empêcher que vous ne regardez ceux-ci comme agréables à Dieu, il ajoute : « Aux uns nous sommes une odeur de mort pour la mort ; aux autres une odeur de vie pour la vie (46) ». Cette odeur, les uns la respirent pour être sauvés ; d’autres, pour périt. Il en est donc qui trouvent la mort dans cette odeur, mais c’est leur faute. Les parfums, dit-on, suffoquent les porcs, et l’éclat de la lumière, comme je l’ai dit, plonge dans les ténèbres les yeux malades. C’est ainsi que les Substances les meilleures non seulement guérissent les substances auxquelles elles conviennent, mais aussi font périr celles à qui elles ne conviennent pas : c’est en cela surtout que se montre leur énergie. Voyez le feu ! Ce n’est pas seulement quand il éclaire, quand il purifie l’air qu’il manifeste sa force ; mais encore lorsqu’il ravage les épines. De même le Christ fait éclater sa grandeur ; quand de son souffle il terrasse l’antéchrist, et l’écrase par la splendeur de son visage. « Et qui est capable de ces choses ? » L’apôtre vient de tenir un langage magnifique, en disant : Nous sommes immolés pour le Christ, nous sommes une bonne odeur, partout nous triomphons ; maintenant pour tempérer cette magnificence, il renvoie à Dieu toute la gloire : « Et qui est capable de ces choses ? » Tout cela appartient au Christ ; nous ne devons rien nous attribuer à nous-mêmes. Quelle différence entre ce langage et celui des faux apôtres ! Ceux-ci se glorifiaient en effet comme si, dans la prédication de l’Évangile, ils avaient eu quelque mérite propre ; mais saint Paul ne se glorifie que d’une chose, c’est de ne rien avoir en propre « Notre gloire dit-il, c’est ce témoignage de notre conscience que nous avons vécu dans le monde non pas selon la sagesse de la chair, mais selon les mouvements de la grâce de Dieu ». (2Co 1,12) Cette sagesse extérieure que les faux apôtres se glorifiaient de posséder, saint Paul se glorifie de ne pas l’avoir ; et c’est pourquoi il dit : « Et qui est capable de ces choses ? » Si nous n’en sommes point capables, elles sont donc l’œuvre de la grâce : « Car nous ne ressemblons pas à tant d’autres qui corrompent la parole de Dieu (17) ». 3. Oui, nous avons dit de grandes choses ; mais nous avons protesté que tous ces succès ne nous appartiennent pas, qu’ils appartiennent à Jésus-Christ. Nous ne voulons pas imiter les faux apôtres qui revendiquent pour eux toute la gloire. N’est-ce pas un trafic honteux, que de mêler l’eau au vin, que de vendre à prix d’argent, ce que l’on doit donner gratuitement ? Saint Paul se raille ici de leur amour pour les richesses ; il veut aussi faire comprendre qu’ils, mêlent leurs propres intérêts aux intérêts de Dieu. Isaïe adressait dé son temps le même reproche : « Tes cabaretiers mêlent l’eau avec le vin ». Sans doute le prophète parle de vin ; mais ce n’est point se tromper pourtant que d’entendre ces peuples de l’enseignement de la vérité. Pour nous, dit l’apôtre, nous n’agissons point de la sorte. Mais tout ce que l’on nous a confié, nous le distribuons, et nous offrons toujours une doctrine sans mélange. C’est pourquoi il ajoute : « Nous parlons avec sincérité, comme au nom de Dieu, en présence de Dieu et dans le Christ ». Ce n’est point pour vous tromper que nous prêchons, ni pour vous flatter, ni pour vous faire admettre nos propres idées mêlées à celles du Seigneur ; mais nous vous prêchons au nom de Dieu, c’est-à-dire, nous ne vous disons point que nous vous enseignons notre propre doctrine, mais que tout nous vient de Dieu. Tel est le sens de cette parole : « Au nom de Dieu ». Nous ne nous glorifions point comme si nous avions quelque chose en propre ; mais c’est à liai que nous renvoyons toute la gloire : « Nous parlons dans le Christ », inspirés non par notre propre sagesse, mais par sa puissance. Quand on se glorifie, parle-t-on de la sorte ? Non, mais on s’attribue tout à soi-même. Ce sont encore les faux apôtres qu’il attaque ailleurs en ces termes : « Qu’avez-vous que vous n’ayez reçu ? et si vous l’avez reçu, pourquoi vous en glorifier, comme si vous ne l’aviez pas reçu ? » La plus grande de toutes les vertus, c’est de tout attribuer à Dieu, de ne rien s’attribuer à soi-même, de ne rien faire en vue de la gloire humaine, mais de faire toutes choses pour se conformer à la volonté de Dieu. Car c’est lui qui nous demandera compte des actions de nôtre vie. Eh bien ! L’ordre n’est-il point renversé ? Celui qui sera assis sur son tribunal, qui nous demandera compte de notre vie, le craignons-nous ? Et ne tremblons-nous pas au contraire devant ceux qui se tiendront devant lui pour être jugés avec nous ? Quelle étrange maladie ! Comment se fait-il qu’elle ait envahi nos âmes ? C’est que nous ne songeons pas assez à la vie future, et que nous demeurons trop attachés aux biens présents. Et c’est pourquoi nous tombons si facilement dans des actions coupables, et, si nous faisons quelque bien, c’est par ostentation que nous le faisons, en Sorte que ce bien même nous devient funeste. Cet homme a jeté des regards immodestes sur une femme ; celte-ci ne s’en est peint aperçue non plus que les autres ; mais l’œil vigilant du Seigneur l’a remarqué. Oui, cet œil a pénétré, même avant que la faute eût été commise, cette âme impudique, cette passion intérieure, ces pensées qui s’agitaient comme une tempête furieuse. A-t-il besoin de témoins et de preuves, celui à qui toutes choses sont connues ? Ne considérez donc point les compagnons de votre misère : l’homme aura beau vous louer, si Dieu ne vous accueille favorablement ; et c’est en vain que l’homme vous condamnera ; vous ne souffrirez point de cette condamnation, si Dieu lui-même ne vous condamne point. Prenez garde, vous irriterez votre juge, si vous tenez compte de vos compagnons, si vous ne montrez ni crainte ni effroi devant son visage indigné. Méprisons donc cette gloire qui vient des hommes. Jusques à quand travaillerons-nous à nous avilir et à nous dégrader ? Dieu veut nous élever au ciel ; jusques à quand persisterons-nous à ramper sur la terre ? Si les frères de Joseph avaient eu la Crainte de Dieu devant les yeux, ils ne se seraient pas emparés de lui dans le désert pour le faire mourir. Et Caïn,.s’il eût redouté le jugement de Dieu, aurait-il dit à Abel : « Viens, et sortons dans la campagne ». Quoi donc, ô lâche, ô misérable, tu l’entraînes loin de son père et tu l’emmènes dans la campagne ! Mais au milieu des champs, Dieu ne verra-t-il point ton crime ? Ce qui est arrivé à ton père n’a-t-il pu t’apprendre que Dieu sait tout et qu’il assiste à toutes tes actions ? Pourquoi, lorsque Caïn niait son crime, Dieu ne lui dit-il pas : Peux-tu m’échapper à moi qui suis présent partout et qui connais ce qu’il y a de plus secret ? C’est que le coupable ne pouvait comprendre ce langage. Que lui dit-il donc ? « La voix du sang de ton frère crie vers moi ». Ce n’est pas que le sang ait une voix, mais Dieu parle, comme nous parlons de toute chose évidente et manifeste : Cette chose crie, disons-nous. Il faut donc avoir sans cesse devant, les yeux le jugement de Dieu ; et bientôt le mal aura disparu. Nous pouvons avoir la même attention dans nos prières, si nous songeons quel est celui auquel nous notes adressons, si nous nous rappelons que nous offrons un sacrifice, que nous portons dans nos mains le glaive, le feu, le bois ; si par la pensée nous ouvrons les portes du ciel, si nous nous y transportons, si ce glaive de l’esprit nous l’enfonçons dans la gorge de la victime, si nous offrons à (Esprit-Saint notre vigilance, si nous répandons des larmes. Les larmes, voilà le sang de la victime : ce sont elles qu’il faut faire fouler sur l’autel du sacrifice. Ne souffrez pas qu’en ce moment aucune pensée humaine occupe votre âme. 4. Rappelez – vous qu’Abraham, lorsqu’il offrit son sacrifice, n’admit en sa présence ni son épouse, ni son serviteur, ni personne autre. Vous non plus, ne souffrez pas qu’aucune passion servile, indigne des enfants de Dieu vienne occuper votre cœur ; allez tout seul sur la montagne que gravit Abraham, sans permettre à personne de la gravir avec lui. Que si des pensées humaines veulent monter avec vous, commandez-leur avec autorité ; dites-leur : Restez ici ; mon fils et moi nous reviendrons, après avoir adoré. Laissez donc au pied de la montagne l’ânesse, les serviteurs, tout ce qui est dépourvu de siens et de pensées. Prenez avec vous ce qui est doué d’intelligence et montez, comme Abraham monta avec Isaac. Comme le patriarche, élevez un autel ; dépouillez-vous de toute humaine pensée, élevez-vous au-dessus de la nature. Eût-il immolé son fils, s’il ne se fût lui-même élevé au-dessus de la nature ? Que rien ne vienne vous troubler dans votre oraison ; élevez-vous au-dessus du ciel même ; poussez d’amers gémissements ; offrez à Dieu, comme un sacrifice, la confession de vos fautes : « Commencez par confesser, vos iniquités, afin d’être par là justifié ». Offrez-lui la contrition de votre cœur. Voilà des victimes qui ne sont pas réduites en cendres, qui ne se dissipent pas en fume, pour lesquelles vous n’avez besoin ni de bois ni de feu, mais seulement d’une âme remplie de componction c’est le bois, c’est le feu qui brûle ces victimes, sans les consumer. Celui qui prie avec ferveur, est brûlé, mais il n’est point consumé ; son éclat redouble comme celui de l’or que le feu vient d’éprouver. Gardez-vous encore de prononcer aucune parole capable d’irriter le Seigneur, et ne l’invoquez point non plus contre vos ennemis. Si c’est déjà une honte d’avoir des ennemis, songez quel mal ce serait de prier contre eux ! Loin de vous excuser d’avoir des ennemis, vous iriez encore les accuser devant Dieu Et comment obtiendrez-vous votre pardon, si vous les accusez au moment même où vous implorez miséricorde pour Vous ? N’est-ce pas en effet le pardon de vos péchés que vous sollicitez dans votre prière : ne vous souvenez donc, pas des péchés d’autrui ; autrement vous réveilleriez le souvenir des vôtres. Si vous dites : frappez mon ennemi ; vous vous fermez la bouche, vous enlevez toute liberté à votre languie, N’excitez-vous pas en effet dès le commencement la colère du Seigneur ; et ensuite ne demandez-vous pas précisément le contraire de ce qu’il faudrait demander ? Si en effet vous priez pour obtenir la rémission de vos péchés, comment se fait-il qu’en même temps vous, sollicitiez la punition des autres ? C’est le contraire que vous deviez faire : il fallait prier polir vos ennemis, afin de pouvoir aussi prier avec confiance pour vous-mêmes. Vous prévenez la sentence du juge par votre propre sentence, puisque vous déclarez les pécheurs dignes d’une punition : comment seriez-vous encore excusables ? Priez pour eux, et alors vous n’avez pas même besoin de dire un mot de vos propres fautes : tout est fait. Rappelez-vous combien la Loi prescrivait de sacrifices : le sacrifice de louange, le sacrifice de la confession, le sacrifice dû salut, le sacrifice d’expiation et tant d’autres ; mais je ne vois pas qu’elle en prescrive aucun contre les ennemis, tous au contraire ont pour objet nos propres péchés ou nos bonnes œuvres. Quel Dieu priez-vous donc ? N’est-ce pas celui qui a dit : « Priez pour vos ennemis ? » (Mat 5,44) Comment osez-vous donc élever la voix contre eux ? Comment pouvez-vous prier Dieu d’enfreindre sa propre loi ? Rien qui convienne moins au rôle de suppliant personne ne supplie pour qu’un autre périsse ; mais on implore son propre salut. Pourquoi donc jouer le rôle de suppliant avec des paroles d’accusateur ? Quand nous prions pour nous-mêmes, nous nous remuons, nous nous agitons, nous nous laissons aller à mille pensées étrangères ; mais quand nous prions contre nos ennemis, nous le faisons avec attention et avec ardeur. Le diable sait bien que nous nous enfonçons alors un glaive dans la poitrine ; et c’est pourquoi il se garde bien de nous distraire, de détourner notre attention ; il veut nous causer ainsi tout le mal possible. – Mais, direz-vous, on m’a fait injure, on m’a blessé. – Eh bien, priez donc contre le démon, qui nous outrage plus que personne ne le fait. On vous prescrit de dire dans votre prière : « Délivrez-nous du malin ». (Mat 6,93) Voilà votre implacable ennemi mais l’homme, quoi qu’il vous fasse, est votre ami et votre frère. : Aussi lançons-nous tous contre lui, prions Dieu contre lui ; et disons : Brisez Satan sous nos pieds. C’est lui qui nous suscite des ennemis. Si vous priez contre vos ennemis, vous accomplissez le plus ardent de ses vœux ; mais en priant pour vos ennemis, c’est contre lui que vous priez. Pourquoi donc laisser de côté votre véritable ennemi, pour dévorer vos membres, vous montrant ainsi plus cruels que les bêtes féroces ? – Mais, dites-vous, on m’a outragé ; on m’a enlevé mes biens. – Qui donc est le plus à plaindre, de celui qui supporte l’outrage ou d’e celui qui le fait ? S’enrichir à vos dépens, c’est perdre l’amitié de Dieu, et le dommage l’emporte Sur le gain. Agir de la sorte ; c’est se nuire à soi-même. Au lieu de prier contre votre ennemi, priez pour lui, pour que Dieu lui fasse miséricorde. 5. Que de souffrances n’endurèrent pas les trois jeunes Hébreux, sans avoir fait aucun mât. Emmenés loin de leur patrie, privés de toute liberté ; captifs, esclaves sur une terre étrangère, dans un pays barbare, ils étaient menacés de mort, sans motif, sans raison, uniquement à cause d’un songe qu’avait eu le roi. Quand ils furent réunis à Daniel quelle fut leur prière ? Que dirent-ils ? Brisez Nabuchodonosor, arrachez-lui son diadème, précipitez-le de son trône ? – Non, ils ne demandèrent rien de semblable ; au contraire ils imploraient sur lui la divine miséricorde. Dans la fournaise, ils firent de même. Et vous, que faites-vous ? Vous avez moins souffert qu’eux, et la plupart du temps vos souffrances étaient bien méritées, et cependant vous ne cessez de charger vos ennemis d’imprécations. L’un s’écrie : Seigneur, renversez pion ennemi ; comme vous avez précipité dans les flots le char de Pharaon ; l’autre : frappez-le dans sa chair ; un troisième, punissez-le dans ses enfants. Ne reconnaissez-vous point votre langage ? Pourquoi riez-vous donc ? voyez-vous combien tout cela devient ridicule, dès que la passion est absente ? Retranchez la passion, et vous verrez aussitôt combien le péché renferme de honte. Il suffit dé rappeler à celui qui s’est irrité, les paroles qu’il a proférées dans sa colère pour qu’il ait honte de lui-même, et il aimerait mieux souffrir toutes sortes de maux plutôt que d’avoir prononcé de telles paroles. Mettez un impudique en présence de la femme qu’il a violée ; il s’en détournera avec horreur. Maintenant que vous n’éprouvez point de passion contre vos ennemis, vous riez en entendant les paroles que je viens de prononcer : elles sont en effet ridicules, dianes d’une vieille femme en état d’ivresse qui se prend de querelle avec une autre. Joseph avait été vendu, réduit en servitude, jeté en prison ; néanmoins il ne lui échappa pas un seul mot d’amertume contre ceux qui l’avaient outragé. Que disait-il ? « J’ai été enlevé furtivement de la terre des Hébreux ». (Gen 40,15) Il ne dit point par qui. Il rougit du crime de ses frères, plus qu’ils n’en rougissaient eux-mêmes. Telles doivent être nos dispositions : éprouvons pour ceux qui nous ont injuriés, une douleur plus vive qu’ils ne l’éprouvent eux-mêmes. Car tout le dommage est pour eux. Si vous voyez un homme lancer des coups de pied contre des clous, et s’enorgueillir de sa bravoure, vous vous prendriez de pitié, vous verseriez des larmes à la vue d’une telle démence. De même vous devez plaindre, et non maudire ceux qui vous outragent, sans que vous leur ayez fait aucun mal : car ils font une grave blessure à leur âme. Quoi de plus criminel qu’une âme qui fait des imprécations ? Quoi de plus impure qu’une langue qui offre de tels sacrifices ? Vous êtes hommes ; ne vomissez point le venin des aspics ; vous êtes hommes ; ne vous changez pas en bêtes féroces. La bouche vous a été donnée, non pour mordre, mais pour guérir les blessures du prochain. Souvenez-vous de mes commandements, dit le Seigneur ; je vous ai prescrit de remettre et de pardonner. Et vous me demandez de me joindre à vous pour renverser mes préceptes ; vous rongez votre frère, vous ensanglantez vos dents, vous ressemblez à ces furieux qui enfoncent leurs dents dans leurs propres chairs. Quelle joie doit ressentir le démon, quels éclats de rire il doit poisser, en entendant votre prière ! Mais aussi que le Seigneur doit être irrité contre vous, et qu’il doit vous haïr, quand vous le priez de la sorte. Rien de plus fâcheux qu’une telle conduite. On ne peut s’approcher des saints mystères avec du ressentiment contre ses ennemis ; mais si, non contents de les haïr, vous faites des imprécations contre eux, on doit vous interdire jusqu’à l’entrée du temple. Pleins de ces pensées, nous rappelant l’objet de l’auguste sacrifice, dans lequel le Christ s’est immolé pour ses ennemis, mettons tous nos soins à n’avoir pas même un ennemi ; si nous en avons un, prions pour lui ; afin d’obtenir nous-mêmes le pardon de nos fautes, et de pouvoir nous présenter avec confiance devant le tribunal du Christ, à qui soit gloire, empire, honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.