2 Corinthians 3
HOMÉLIE VI.
COMMENCERONS-NOUS A FAIRE ENCORE UNE FOIS NOTRE ÉLOGE ? AVONS-NOUS BESOIN, COMME QUELQUES-UNS, DE RECOMMANDATIONS AUPRÈS DE VOUS, OU BIEN AVONS-NOUS BESOIN DE RECOMMANDATIONS DE VOTRE PART ? (III, 1, JUSQU’À 6).
Analyse.
- 1 et 2. Éloge des Corinthiens.
- 3. Parallèle entre la Loi ancienne et la Loi nouvelle ; développement de ces paroles : la lettre tue, mais l’esprit vivifie.
- 4. De l’âme plongée dans la mort.
1. On ne manquera pas de reprocher à l’apôtre qu’il se comble lui-même d’éloges. C’est ce reproche qu’il veut prévenir. Sans doute il a expliqué le sens de ses paroles ; il a dit : « Qui est capable de ces choses ? » Et encore : « Nous parlons avec sincérité ». Mais cela ne suffit pas. Telle est la coutume de saint Paul. Il insiste : tant il craint d’avoir l’air de parler de lui-même avec orgueil, tant il met d’ardeur et de zèle à foie même l’apparence de ce vice l’Remarquez ici l’étendue de sa prudence. Ce qu’il y a de plus triste, ce semble, c’est-à-dire, les afflictions, il les relève à ce point, il en montre si bien la grandeur et l’éclat, que son langage peut sembler orgueilleux. Il en agit de même à la fin de l’épître. Après avoir passé en revue les innombrables périls qu’il a courus, les outrages qu’il a essuyés, ses besoins, ses angoisses, et le reste, il ajoute : « Nous ne prétendons point faire notre éloge, mais vous donner à vous-mêmes l’occasion de vous glorifier ». Il dit la même chose plus loin avec une certaine force, afin d’encourager de plus en plus les Corinthiens. Ici c’est le langage de l’affection « Avons-nous besoin, comme plusieurs, de lettres de recommandation ? » Mais à la fin de cette épître, tout est plein de véhémence et de feu : il le fallait dans l’intérêt des fidèles de Corinthe : « Nous n’entreprenons point de faire notre éloge, mais nous vous donnons à vous-mêmes l’occasion de vous glorifier ». Et ensuite : « Pensez-vous que nous voulions nous excuser nous-mêmes ? C’est en présence de Dieu et dans le Christ que nous parlons. Je crains qu’arrivant parmi vous je ne vous troue pas tels que je voudrais, et que vous ne me trouviez pas non plus tel que vous le voudriez ». Il ne veut pas avoir l’air de les flatter en vue de se faire honorer lui-même, et c’est pourquoi il dit : « Je crains qu’arrivant parmi vous je ne vous trouve pas tels que je voudrais et que vous ne me trouviez pas non plus tel que vous le voudriez ». Ces paroles respirent le blâme ; au début de l’épître il s’exprime en termes moins durs. Que veut-il dire ? Il a parlé de ses épreuves, des dangers qu’il a courus ; des triomphes que Dieu lui a fait remporter par Jésus-Christ et que tout l’univers connaît. C’est parce qu’il vient de rappeler toutes ces circonstances si glorieuses pour lui, qu’il se fait à lui-même cette objection : « Est-ce que j’entreprends de faire mon « propre éloge ? » Voici le sens de ses paroles : Peut-être nous dira-t-on : Eh quoi ! Paul, est-ce ainsi que vous parlez de vous-même ? Est-ce ainsi que vous vous glorifiez ? C’est donc pour renverser cette objection qu’il dit : Nous ne voulons point nous enorgueillir ni nous glorifier. Bien loin d’avoir besoin auprès de vous de lettres de recommandation, nous vous regardons comme étant vous-mêmes notre lettre. « Car vous êtes notre lettre, dit-il ». Qu’est-ce à dire ? Si nous avions besoin de nous recommander auprès des autres, nous vous produirions vous – mêmes comme une lettre de recommandation. Il disait la même chose dans la première épître : « Vous êtes le sceau de mon apostolat ». Il emploie ici une autre forme ; il fait usage de l’interrogation, pour donner plus de force à son discours. « Avons-nous besoin de lettres de recommandation ? » Puis faisant allusion aux faux apôtres, il ajoute : « Comme d’autres en ont besoin auprès de vous, ou de votre part », auprès des autres. Ensuite il adoucit ce qu’il vient de dire, en ajoutant : « Vous êtes, notre lettre, écrite dans nos cœurs, et cette lettre tous les hommes la connaissent(2). Tout le monde a sait que vous êtes la lettre du Christ ». Ici, il rend témoignage non seulement de leur charité, mais encore de leurs bonnes actions, puisqu’il suffit de leurs vertus pour prouver la dignité du maître. C’est ce qu’il veut dire par ces paroles : « Vous êtes notre lettre ». Une lettre pourrait nous recommander et nous attirer le respect ; or on est plein d’estime pour nous, dès que l’on vous a vus et entendus. La vertu des disciples est pour le maître une meilleure recommandation, un plus bel ornement que n’importe quelle lettre. – « Inscrite dans nos cœurs », c’est-à-dire, que tout le monde connaît. Vous êtes sans cesse dans notre cœur, et ainsi nous vous portons partout où nous allons. C’est comme si l’apôtre disait : Vous nous recommandez auprès des autres ; vous êtes sans cesse dans notre cœur, et partout nous publions vos bonnes œuvres. Ainsi nous pouvons nous passer de vos lettres, puisque vous nous servez vous-mêmes de lettres de recommandation mais nous n’avons pas besoin non plus d’être recommandés auprès de vous, parce que nous vous aimons avec tendresse. C’est à des inconnus que l’on présente des lettres de recommandation ; mais vous, sans cesse vous êtes présents à notre pensée. Il ne dit pas simplement : « Vous êtes », mais « vous êtes inscrits ». C’est-à-dire, vous ne pouvez sortir de notre cœur. Tous ceux qui connaissent notre cœur, y lisent comme dans une lettre l’amour que nous vous portons. 2. Si par une lettre je reconnais que tel ou tel est mon ami, si en conséquence je traite avec lui familièrement, l’amour que vous me portez produit le même effet. Si donc nous nous rendons parmi vous, toute recommandation devient inutile, puisque votre affection nous en tient lieu ; si nous nous dirigeons d’un autre côté, là encore nous pouvons nous passer de lettres : votre charité nous suffit bien ; car nous portons une lettre dans nos cœurs. Il va plus loin, et les appelle une lettre du Christ : « Tout le monde sait », dit-il, « que vous êtes une lettre du Christ ». Il part de là pour examiner ce qui concerne la loi. – Ils sont, dit-il, d’une autre manière encore, la lettre de l’apôtre. Tout à l’heure ils lui servaient de lettre de recommandation ; maintenant il les appelle la lettre du Christ, parce qu’ils ont la loi de Dieu gravée dans leurs cœurs. Tout ce que Dieu a voulu vous faire connaître, à vous et aux autres, tout cela est gravé dans vos cœurs. Nous vous avons préparés à recevoir les lettres de cet enseignement divin. Moïse grava la Loi sur des tables de pierre ; nous l’avons gravée dans vos âmes. C’est pourquoi l’apôtre dit : « Nous en avons été les secrétaires. ». Jusque-là, point de différence : Les lois de Moïse avaient été écrites par Dieu lui-même ; celle-ci est écrite par l’Esprit-Saint. En quoi diffèrent-elles donc ? « Cette loi, ce n’est pas avec l’encre qu’elle a été écrite, mais par l’Esprit du Dieu vivant ; il l’a écrite non sur des tables de pierre, mais sur des tables de chair qui sont vos cœurs (3) ». Autant il y a de différence entre l’Esprit-Saint et l’encre, entre des tables de pierre et des tables de chair, autant il s’en trouve entre ces deux Lois elles-mêmes ; et par conséquent entre les ministres de celle-ci et les ministres de celle-là. Il vient encore de parler de lui-même avec éloge, et aussitôt il se reprend en ces termes « Or nous avons confiance en Dieu par Jésus-Christ (4) ».C’est à. Dieu qu’il renvoie toute la gloire : Le Christ, dit-il, est l’auteur de tous ces dons. – « Nous ne pouvons avoir aucune bonne pensée par nous-mêmes, comme venant de nous-mêmes (5) ». C’est une nouvelle précaution que prend l’apôtre. Car il possède au plus haut degré la vertu d’humilité : Aussi dès qu’il a rappelé quelqu’une, de ses bonnes œuvres, il s’empresse de s’en ôter le mérite. C’est ce qu’il fait ici. « Nous ne pouvons avoir a aucune bonne pensée de nous-mêmes, comme venant de nous-mêmes ». Ce qu’il signifie, par ces mots : « Nous avons confiance » ; je n’ai pas voulu m’attribuer une, chose, et une autre à Dieu ; mais c’est à Dieu que j’attribue tout. « Toute notre puissance vient de Dieu qui a nous rendus capables d’être les ministres du Nouveau Testament (6) ». Que veulent dire ces paroles : « Qui nous a rendus capables ? » c’est-à-dire, qui nous a donné la force et l’aptitude nécessaire pour remplir cette mission. N’est-ce pas une grande mission que cette d’apporter au monde des tables de lois, des lettres bien supérieures à la loi et aux lettres anciennes ? Et c’est pourquoi l’apôtre ajoute. « Les ministres, non de la lettre, mais de l’Esprit ». Voyez une autre, différence. Et quoi donc ? La Loi ancienne n’était-ce pas une Loi spirituelle ? l’apôtre ne dit-il pas : « Nous savons que la Loi est spirituelle ? » Oui, sans doute ; mais elle ne donnait pas l’Esprit-Saint. Ce n’est pas l’Esprit que Moïse apporta aux Hébreux, mais la lettre de la, Loi ; pour nous, Dieu nous a chargés de donner l’Esprit-Saint. L’apôtre insiste sur ce point, et il ajoute : « La lettre tue, mais l’Esprit vivifie ». Ce n’est pas sans raison qu’il parle ainsi ; il songe à ceux qui mettent leur orgueil dans les observances judaïques. Cette lettre dont il parle, c’est la loi de Moïse ; qui châtie les pécheurs ; l’Esprit, c’est la grâce du baptême qui rappelle à la vie ceux que le péché a fait mourir. Après avoir établi cette différence dans la nature des deux lois, il ne s’en tient pas là ; il continue, et achève de la faire voir. Il compare les avantages et la facilité de l’une et de l’autre : c’est par là surtout qu’il s’emparera de ses auditeurs. La loi nouvelle, dit-il, n’offre aucune difficulté, et présente des avantages bien plus nombreux. Si en effet, quand il parle de Jésus-Christ, il rappelle plutôt ce qui est de nature à prouver sa miséricorde que ce qui montre notre propre mérite, bien que notre mérite se trouve joint à la miséricorde divine, à plus forte raison en agit-il ; de la sorte à propos de la Loi nouvelle. Que signifient donc ces paroles : « La lettre tue ? » Saint Paul avait parlé de tables de pierre et de cœurs de chair ; mais la différence entre les deux Testaments n’était pas encore assez sensible. C’est pourquoi il ajoute que l’une est écrite avec de l’encre, l’autre par l’Esprit-Saint. Ce n’était pas encore assez pour encourager les Corinthiens. Ce qu’il ajoute est de nature à leur donner des ailes « La lettre tue », dit-il, « mais l’Esprit vivifie ». 3. Que veut-il dire encore ? Sous la Loi, celui qui pèche, reçoit un châtiment ; dans le Nouveau – Testament, le pécheur s’avance, reçoit le baptême, et il est justifié ; une fois justifié, il vit : car il est soustrait à la mort du péché. La loi punit de mort celui qui est convaincu, d’homicide ; la grâce au contraire l’éclaire et le vivifie. Que dis-je ? un homicide ? Ne suffisait-il pas de ramasser un peu de bois le jour du sabbat pour être lapidé ? C’est pourquoi l’apôtre dit-: « La lettre tue ». Que d’homicides, que de voleurs la grâce n’a-t-elle pas accueillis ! une fois baptisés, ils ont été délivrés de leurs crimes. Ainsi donc : « l’Esprit vivifie ». La Loi surprend un homme dans le péché, elle le trouve vivant, elle lui donne la mort ; la grâce vient trouver le coupable ; il est plongé dans la mort ; elle lui rend la vie. « Venez, dit-elle, venez à moi ; vous tous qui êtes fatigués et accablés sous le faix » ; et elle n’ajoute pas : je vous tourmenterai, mais, « je vous soulagerai ». (Mat 11,28) En effet le baptême ensevelit les péchés, fait disparaître le passé, donne la vie à l’homme, et imprime toute espèce de grâces dans son cœur, comme sur une table. Voyez donc, je vous prie, quelle est la dignité de l’Esprit-Saint ; puisque les tables qu’il grave valent mieux qua les anciennes, et puisqu’il produit une œuvre meilleure que la résurrection. Car la mort dont il délivre est pire que la première ; il y a entre ces deux morts la même différence qu’entre l’âme et le corps ; car c’est la vie de l’âme que donne le Saint-Esprit. Or si l’Esprit-Saint peut donner une telle vie, à plus forte raison peut-il en donner une moindre. Les prophètes ont pu rendre la Vie du corps, mais ils n’ont pu rendre la vie à l’âme. Personne ne peut remettre les péchés, excepté Dieu : Et encore, cette vie temporelle, les prophètes ne pouvaient la rétablir sans le secours de l’Esprit-Saint. Ce n’est pas seulement en ce qu’il vivifie, que l’Esprit-Saint est digne de notre admiration ; mais aussi en ce qu’il communique à d’autres cette puissance. « Recevez le Saint-Esprit », dit le Sauveur. Pourquoi ? Est-ce qu’il ne pouvait conférer ce pouvoir, sans nommer le Saint-Esprit ? Assurément ; mais Dieu se sert de ces paroles pour montrer que l’Esprit-Saint a en partage l’essence divine et la puissance suprême, et que sa dignité égale celle des autres personnes. Aussi Jésus-Christ ajoute-t-il : « Ceux dont vous remettrez les péchés, ils leur seront remis ; ceux à qui vous les retiendrez, ils leur seront retenus ». (Jn 20,22) Puisque nous avons recouvré la vie ; conservons-la toujours, et ne nous replongeons point dans la mort : « Car le Christ ne meurt plus ». (Rom 6,10) Il est mort, mais une fois seulement, à cause de nos péchés, et il ne veut pas que nous soyons sans cesse ramenés au salut par la grâce. Autrement nous n’aurions aucun mérite ; et c’est pourquoi il veut que nous fassions quelque chose de notre côté. Travaillons donc et efforçons-nous de maintenir notre âme dans la vie. Or qu’est-ce que la vie de l’âme ? Vous pouvez en juger par celle du corps. On dit que le corps a de la vie, quand il s’avance d’un pas ferme et qui annonce la santé. Lorsqu’il tombe en défaillance ; lorsqu’il se meut péniblement, mieux vaudrait pour lui la mort que ce reste de mouvement et de vie. Ou bien encore, s’il ne dit rien de sensé, si toutes ses paroles sont déraisonnables, si ses yeux le trompent, mieux vaudrait qu’il fût mort. De même une âme qui se porte mal, a beau sembler vivante ; elle est morte. Quand l’or lui paraît, non plus de l’or, mais quelque chose de grand et de précieux, quand elle ne se préoccupe plus de la vie future, quand elle rampe à terre, quand elle fait le contraire de ce qu’elle devra faire, elle est morte. Et d’où savons-nous que nous avons une âme ? N’est-ce point par ses actes ? Si donc elle cesse de remplir ses fonctions, elle est morte. Ainsi ; quand, loin de s’appliquer à la vertu, elle prend la bien d’autrui, elle se plonge dans le vice, comment pourrait-on dire qu’elle vit encore ? Vous marchez, il est vrai ; hais les animaux marchent aussi. Vous mangez et vous buvez ; mais les animaux en font autant. Votre corps est debout, et il se soutient sur deux pieds. Cela me prouvé que vous êtes un animal revêtu d’une forme humaine. En tout le reste vous ressemblez à l’animal ; vous n’en différez qu’en ce que votre corps est droit ; c’est là ce qui me trouble et m’épouvante : je crois avoir un monstre sous les yeux. Eh quoi ! Si je voyais un animal qui parle à la manière des hommes, dirais-je que cet animal est homme ? Non, je dirais que c’est un animal plus merveilleux que les autres. Comment croirais-je que vous avez une âme humaine, quand je vous vois lancer des ruades, comme les ânes ; avoir de la rancune, comme les chameaux ; vivre de rapines, comme les loups ; mordre, comme les ours ; voler, comme les renards ; aussi fourbes et rusés que, les serpents, aussi impudents que les chiens ? Comment, dis-je, pourrais-je croire que vous avez une âme ? Voulez-vous que je vous montre une âme – plongée dans la mort, et une âme qui a la vie ? Reportons-nous aux personnages de l’antiquité. Faisons paraître ce riche qui vivait au temps de Lazare, et nous comprendrons alors ce que c’est que la mort de l’âme. L’âme de ce riche était morte, et ses actions nous le montrent clairement. Elle ne faisait rien de ce que l’âme doit faire ; elle mangeait, elle buvait, elle se livrait au plaisir. 4. Ils ressemblent a ce riche, ceux, qui sont sans entrailles et sans pitié ; eux aussi, leur âme est plongée dans la mort. Elle a perdu toute cette chaleur que produit l’amour du prochain ; elle est plus morte qu’un cadavre. Voyez au contraire le pauvre Lazare ; il se retranche dans la citadelle de la Sagesse, et il brille de l’éclat le plus vif ; la faim le dévore, il n’a pas même le nécessaire, et cependant, loin de blasphémer contre Dieu, il supporte ses maux avec courage. Voilà l’énergie de l’âme ; voilà le signe de la force et de la santé. Quand cela manque, n’est-il pas évident que l’âme est morte ? N’est-elle pas morte, cette âme que le diable envahit ; qu’il frappe, qu’il perce, qu’il dévore, sans qu’elle sente aucune douleur, sans qu’elle se plaigne, lors même qu’on lui enlève ses forces ? Le démon s’élance sur elle, elle demeure immobile, elle reste insensible comme un cadavre. Voilà ce qu’elle est nécessairement, dès qu’elle a perdu la crainte de Dieu, dès qu’elle s’est laissée aller à la négligence : son état est plus déplorable que celui des morts. Elle ne se corrompt point sans doute, elle ne tombe pas en poussière comme le corps, mais elle se plonge : dans l’ivrognerie, dans l’avarice, dans de coupables amours, dans les passions les plus funestes. Quoi de plus horrible ? Si vous voulez voir tout ce qu’il y a d’affreux dans A état, donnez-moi une âme pure, et alors vous pourrez voir clairement combien est hideuse une âme impure. Non, maintenant vous ne pouvez pas vous en faire une idée exacte ; car, tant que nous sommes habitués à une mauvaise odeur, mous ne sentons pas tout te qu’elle a de détestable. C’est après nous être nourris de paroles spirituelles, que nous reconnaissons toute l’étendue du mal, lors même que plusieurs le voient avec indifférence. Je ne parle pas encore de l’enfer. Mais, si vous le voulez, bornons-nous à la vie présente, ne parlons pas même de celui qui commet de honteuses actions, considérons seulement celui qui tient de honteux discours ; voyez combien il est ridicule, comme il s’outrage lui-même, semblable à cet homme dont la bouche vomit l’ordure et qui ainsi souille ses propres vêtements. Si ce qui jaillit de sa bouche est impur, quelle n’est pas l’infection de la source elle-même ? « La bouche parle de l’abondance du cœur ». (Mat 12,34) Ce que je déplore, ce n’est pas seulement ce mot en lui-même, mais c’est l’indifférence de tant ale chrétiens qui n’en aperçoivent point la turpitude. Voilà ce qui multiplie le mal outre mesure ; c’est que l’on pèche, sans se douter que l’on souille sa conscience. Voulez-vous donc savoir quel est le crime de ceux qui tiennent des discours honteux ? Voyez rougit de vos propos obscènes ceux qui les entendent. Quoi de plus vil, quoi de plus méprisable qu’un homme tenant de mauvais discours ? Il se met lui-même au rang des histrions et des femmes de mauvaise vie. Que dis-je ? Ils ont plus de pudeur que vous ; comment pouvez-vous former votre épouse à la sagesse, quand par vos discours vous l’excitez à la débauche ? Mieux vaudrait vomir du pus que prononcer un mot obscène. Si votre bouche sent mauvais, on ne vous admettra pas à un, festin ; et quand votre âme exhale une odeur si infecte, vous osez participer aux sacrés mystères ! Si quelqu’un venait Placer sur votre table un vase infect, vous prendriez un bâton pour le chasser. Dieu est présent sur cette table qu’il a formée, (car sa table, c’est notre bouche toute remplie de grâces) et vous proférez des paroles plus impures que le vase le plus infect, et vous ne craignez pas de l’irriter ! Comment ne s’indignerait-il pas ? lui qui est la sainteté, la pureté même ; rien ne l’irrite autant que de telles paroles. Rien non plus ne donne autant d’impudence et de témérité ; que ces paroles proférées ou entendues. Rien ne rompt les nerfs de la pudeur autant que la flamme allumée par ces discours. Dieu a déposé un parfum sur vos lèvres ; vous lui substituez des paroles plus fétides qu’un cadavre ; vous tuez votre, âme, vous la frappez d’immobilité. Quand vous injuriez quelqu’un, c’est le fait, non de votre âme, mais de la colère ; quand vous prononcez des mots obscènes, ce n’est point votre âme qui parle, c’est la passion ; si vous commettez des médisances, elles ont l’envie pour principe ; si vous dressez des embûches, ce n’est point votre âme qui agit, c’est l’ambition. Rien de tout cela n’est son œuvre, c’est l’œuvre des passions et des maladies qu’elle renferme. De même que la corruption n’est point l’œuvre du corps, mais bien de la mort et de, la souffrance qui agissent sur le corps, de même aussi ces désordres résultent des passions qui sont dans l’âme. Si vous voulez entendre la voix d’une âme vivante, écoutez saint Paul, quand il dit : « Pourvu que nous ayons des aliments et de quoi nous vêtir, nous sommes contents » ; et encore : « La piété est un gain considérable ». (1Ti 5,6-8) Et ensuite : « Le monde est crucifié pour moi, et moi, pour le monde ». (Gal 6,14) Écoutez saint Pierre : « Je n’ai ni or ni argent ; mais ce que j’ai, je te le donne ». (Act 3,6) Écoutez Job rendant grâces et disant : « Le Seigneur m’a donné, le Seigneur m’a ôté ». (Job 1,21) Voilà le langage d’une âme pleine de vie, d’une âme qui déploie sa vigueur. Ainsi Jacob disait à son tour : « Je ne demande à Dieu que du pain pour me nourrir, et des habits pour me couvrir ». (Gen 28,20) Et Joseph : « Comment me rendrais-je à tes séductions et ferais-je le mal en présence du Seigneur ? » (Gen 39,9) Ce n’est pas ainsi que parlait l’Égyptienne ; mais enivrée de passions, et comme au délire, elle disait : « Viens dormir avec moi ». Maintenant que nous sommes instruits, imitons les âmes vivantes, fuyons cette âme plongée dans la mort, afin d’obtenir un jour la vie éternelle. Puissions-nous tous y parvenir par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec qui soit au Père, en même temps qu’au Saint-Esprit, gloire, puissance, honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il. HOMÉLIE VII.
SI CETTE DISPENSATION DE LA MORT GRAVÉE AVEC DES LETTRES SUR DES TABLES DE PIERRE, SE FIT AVEC TANT D’ÉCLAT, QUE LES FILS D’ISRAËL NE POUVAIENT CONTEMPLER. LE VISAGE DE MOÏSE À CAUSE DE SA SPLENDEUR, LAQUELLE POURTANT A DISPARU ; A PLUS FORTE RAISON LA DISPENSATION DE L’ESPRIT-SAINT SE FERA DANS LA GLOIRE. (III, 7, 8, JUSQU’À LA FIN DU CHAPITRE) Analyse.
- 1-3. Continuation du parallèle entre la Loi ancienne et la Loi nouvelle : supériorité de celle-ci.
- 4. Divinité du Saint-Esprit.
- 5-7. Gloire de l’âme-chrétienne. – Il faut combattre l’amour sensuel et rechercher la beauté spirituelle.
1. L’apôtre a dit que les tables de la Loi étaient de pierre, que celles de la grâce sont de chair, que ces tables sont les cœurs des apôtres et qu’elles sont gravées par l’Esprit-Saint. Il a dit encore, que la lettre tue et que l’Esprit vivifie. Pour achever la comparaison, il fallait parler de la gloire de Moïse. La, gloire du Nouveau Testament ne se voit point avec les yeux de la chair. Celle de Moïse semblait donc bien grande, puisqu’elle frappait les sens ; on ne pouvait s’en approcher, mais les yeux l’apercevaient. C’est, l’intelligence, au contraire, qui contemple la gloire du Nouveau Testament. Les faibles ne peuvent comprendre cette supériorité : la gloire de Moïse les étonnait bien davantage et les attirait. L’apure qui vient d’aborder cette comparaison, et qui veut démontrer que la gloire de la nouvelle Loi l’emporte sur celle de la Loi ancienne, a une tâche difficile à remplir, à raison de la grossièreté de ses auditeurs ; voyez avec quelle adresse il procède. D’abord il emploie le raisonnement, pour rendre la différence sensible, et il rattache son discours à ce qu’il a dit tint à l’heure, Si l’une est une loi de mort, dit-il, si l’autre est, une loi de vie, nul doute que celle-ci ne soit plus glorieuse que la première. Il ne peut la faire briller aux yeux du corps : il se sert d’un raisonnement pour en faire voir l’excellence. « Si la dispensation de la mort fut glorieuse, comment la dispensation de l’Esprit ne le serait-elle pas ? » Par dispensation de la mort ; il entend la loi. Et voyez cependant comme il prend garde de donner prise à l’hérésie ? Il ne dit pas : la loi produit la mort, mais « elle produit une dispensation de la mort. ». Elle dispensait la mort, mais, ne l’enfantait point. Ce qui produisait la mort, c’était le péché. La loi infligeait le supplice, elle faisait ressortir la faute, mais né la faisait point. Oui, elle faisait ressortir le mal et le punissait, mais elle ne poussait pas au mal. Elle se présentait non pour produire le péché ou pour donner la mort, mais uniquement pour punir celui qui avait péché, et de la sorte elle effaçait le péché. En montrant tout ce qu’il y a d’horrible dans le péché, elle excitait à l’éviter, Celui qui prend un glaive et qui tranche la tête à un scélérat, prête sors ministère au juge qui prononce la sentence ; bien qu’il tranche la tête, ce n’est pas lui cependant qui donne la mort. Ce n’est pas non plus celui qui prononce une sentence de condamnation, mais bien le crime du coupable que l’on punit. De même ici, ce n’est pas la loi qui donnait la mort, c’était le péché qui faisait mourir et condamnait. Pour elle, par ses menaces, elle abattait la violence de la passion, et la comprimait par la crainte des châtiments. Mais l’apôtre ne se contente point de montrer ainsi la supériorité de la loi de grâce ; il ajoute : « Gravée avec des lettres sur des tables de pierre ». Voyez comme il rabaisse l’orgueil des Juifs. La loi, ce n’était pas autre chose que des lettres gravées sur la pierre. Mais quel secours pouvaient-elles fournir ? Pouvaient-elles animer les combattants, comme fait le baptême ? C’étaient des tables gravées qui menaçaient de mort ceux qui en violaient les préceptes. Voyez-vous comme il confond les prétentions des Juifs ? Comment, par les noms qu’il lui donne, il affaiblit la dignité de leur loi : ce sont des tables de pierre, ce sont des caractères qui sont les ministres de la mort, des caractères empreints, gravés sur la pierre. N’est-ce pas comme s’il disait que cette loi n’était établie qu’eu un seul lieu, bien différente en cela de l’Esprit, qui, présent partout, partout aussi inspire la force et le courage ? Ne veut-il pas dire aussi que ces lettres respirent toutes sortes de menaces, et de ces menaces qui ne peuvent disparaître, qui demeureront toujours, vu qu’elles sont gravées sur le roc ? Et ensuite, tout en donnant des louanges à cette loi de Moïse, cependant il n’épargne pas les reproches au peuple juif. Après avoir dit « Gravée avec des caractères sur des tables de pierre, elle fut entourée de gloire », il ajoute « En sorte que les fils d’Israël ne pouvaient contempler le visage de Moïse », paroles qui font bien voir la faiblesse des Juifs et leurs tendances vers les choses de la terre. Il dit encore, non pas à cause de la gloire des tables de la Loi, mais, « à cause de la gloire de son visage, laquelle gloire, a disparu bientôt ». C’était donc lui, Moïse, qui était environné de gloire, et non pas les tables de la Loi. Saint Paul ne dit pas en effet qu’ils ne pouvaient contempler ces tables de pierre, mais « le visage de Moïse » ; et il ajoute, non pas à cause de la gloire des tables, mais, « à cause de la gloire de son visage ». Et après avoir fait briller cette gloire, voyez comme il la fait disparaître, en disant : « laquelle a cessé de briller ». Ce n’est pas un reproche qu’il adresse à Moïse, il veut simplement diminuer son mérite. Il ne dit pas : laquelle a été corrompue, laquelle a été mauvaise ; mais seulement, laquelle a cessé, laquelle a disparu. « Comment donc la dispensation de l’Esprit ne serait-elle point plus glorieuse encore ? » C’est avec la plus ferme assurance qu’il célèbre la dignité du Nouveau Testament, comme tout à fait hors de doute. Et voyez ce qu’il fait : au cœur il oppose une pierre ; aux lettres, l’Esprit-Saint. Après avoir indiqué les conséquences des deux Lois, il n’y revient plus. Il se contente de rappeler les effets de la lettre, à savoir, la mort et la condamnation, et ne parle point de ceux de l’Esprit qui sont la vie et la justice ; aux effets de la Loi il oppose l’Esprit-Saint lui-même. Le discours y gagne en énergie. Car le Nouveau Testament ne donne pas seulement la vie, mais il communique l’Esprit-Saint lui-même, auteur de la vie. Il donne donc beaucoup plus que la vie. C’est pourquoi l’apôtre dit : « La dispensation de l’Esprit-Saint ». Ensuite il reprend la même pensée, en disant : « Car si la dispensation de la condamnation est accompagnée de gloire ». 2. II expose plus clairement ici le sens de ces paroles : « La lettre tue ». Il dit en effet ce que nous disions tout à l’heure, à savoir que la Loi fait connaître le péché, sans le produire elle-même. « À plus forte raison la dispensation de la justice surabonde-t-elle en gloire (9) ». Les tables de la Loi indiquaient les pécheurs et les punissaient ; quant à la Loi de grâce, non seulement elle ne punit point, mais encore elle justifie ; tel est en effet le don salutaire du baptême. « Et la gloire de la Loi n’est point une véritable gloire, si on la compare avec la gloire sublime de l’Évangile (10) ». Plus haut il montrait déjà la gloire de l’Évangile, non une gloire quelconque ; mais une gloire abondante ; il n’a pas dit simplement Comment le ministère de l’Esprit ne serait-il pas accompagné de gloire ? Mais bien : « il surabonde en gloire ». Et il en donne les preuves que nous avons vues. Maintenant, il fait voir jusqu’à quel point la gloire de l’Évangile l’emporte sur celle de la Loi de Moïse. Si vous les comparez l’une à l’autre, dit-il, la gloire de l’Ancien Testament ne, peut même s’appeler gloire. Il ne parle point d’une manière absolue, mais il établit un parallèle ; aussi ajoute-t-il : « à ce point de vue », c’est-à-dire, en comparaison. Ce n’est point là condamner l’Ancien Testament, c’est le louer au contraire, car on ne compare que des objets analogues. Puis il invoque un autre argument qui démontre d’une autre manière encore la supériorité de l’Évangile. Et quel est cet argument ? Il est pris de la durée des deux Lois. « Si ce qui finit est accompagné de gloire, à plus forte raison ce qui demeure est-il accompagné de gloire (11) ». L’Ancien Testament a fini, le Nouveau subsistera toujours. – « C’est parce que nous avons une telle espérance, que nous sommes remplis de confiance (12) ». L’auditeur qui vient d’entendre un éloge si magnifique du Nouveau Testament, souhaitait de voir de ses yeux cette gloire si excellente. Aussi voyez comme il le transporte au siècle futur ! Il fait luire à ses yeux l’espérance : « Parce que nous avons un tel espoir », dit-il. Et quel espoir ? Parce que nous avons été jugés dignes de plus grandes choses que Moïse lui-même, non seulement nous qui sommes apôtres, mais vous aussi qui êtes de simples fidèles, pour cette raison, « nous sommes remplis de confiance ». Auprès de qui ? Auprès de Dieu, ou auprès de nos disciples ? Auprès de vous, dit-il, qui êtes mes disciples. C’est-à-dire, partout nous parlons avec liberté, sans rien cacher, sans rien dissimuler, sans aucune arrière-pensée, mais avec une entière franchise. Nous ne craignons pas d’éblouir vos yeux, comme Moïse éblouissait les yeux des Juifs. Que telle soit la pensée de l’apôtre, la suite vous le montrera. Racontons d’abord ce qui se passa dans le désert ; l’apôtre d’ailleurs y revient sans cesse. Que se passa-t-il donc alors ? Moïse, ayant reçu de nouveau les tables de la Loi, descendit de la montagne, et son visage resplendissait d’un tel éclat, que les Juifs ne purent ni s’approcher de lui, ni converser avec lui, tant qu’il n’eut pas voilé son visage. C’est ce que dit l’Exode : « Lorsque Moïse fut descendu de la montagne, il tenait dans ses mains les deux tables de la Loi. Il ne savait pas que son visage fût resplendissant de gloire ; et les Juifs n’osaient s’approcher de lui. Moïse les appela et leur adressa la parole. Et quand il eut cessé de leur parler, il mit un voile devant sa face. Mais quand il s’avançait devant a le Seigneur, pour s’entretenir avec lui, il « enlevait le voile et restait la tête découverte, jusqu’à ce qu’il eut quitté le Seigneur ». (Exo 34,29-34) L’apôtre rappelle ce récit en disant : « Et non pas comme Moïse qui mettait un voile « sur son visage, de manière que les fils d’Israël ne vissent point son visage. Mais tout cela a fini (13) ». Comme s’il disait : Il n’est pas nécessaire que nous nous voilions le visage comme faisait Moïse. Vous pouvez contempler cette gloire qui nous environne de sa splendeur, bien que cet éclat soit bien plus vif que l’éclat de la gloire de Moïse. Voyez les progrès que les Corinthiens ont faits ! Dans sa première épître, il leur disait : « Nous vous avons donné du lait à boire, mais pas de nourriture solide ». (1Co 3,2) Il leur dit maintenant : « Nous sommes remplis de confiance ». Il fait paraître Moïse, et par les comparaisons qu’il emploie, il élève son discours afin d’élever en même temps ses auditeurs. Et d’abord il les met avant les Juifs, quand il dit : Nous n’avons pas besoin de nous couvrir d’un voile, comme Moïse était obligé de – le faire en présente de son peuple. Ce qui vient ensuite se rapporte à la dignité du Législateur, ou à quelque chose de plus grand peut-être. Mais écoutons maintenant ce que dit l’apôtre : « Leurs esprits étaient endurcis. Jusqu’à ce jour le même voile est étendu devant leurs yeux, quand ils lisent, l’Ancien Testament, car ce voile ne s’ôte que par Jésus-Christ (14) ». Voici ce que l’apôtre veut établir. Ce voile dont Moïse couvrit une fois son visage, ce même voile est perpétuellement étendu sur la Loi. L’apôtre ne prétend donc point déprécier la toi ancienne, ni Moïse dont le visage était voilé, mais seulement faire des reproches aux Juifs ingrats : La Loi brille d’une gloire qui lui est propre ; mais, les Juifs n’ont, pu, la contempler. Qu’y a-t-il donc dé surprenant, dit-il ; s’ils ne peuvent voir cette gloire de la grâce, quand ils n’ont pas même vu la gloire plus faible de Moïse, ni pu contempler son visage ? Pourquoi vous troubler de voir les Juifs refuser de croire en Jésus-Christ, puisqu’ils ne erraient pas même à leur Loi ? S’ils n’ont point connu la grâce, c’est précisément parce qu’ils n’ont connu ni l’Ancien Testament, ni sa gloire. Car la gloire de la Loi, c’est de convertir à Jésus-Christ. 3. Voyez-vous comme l’apôtre confond l’orgueil des Juifs. Ils mettaient leur gloire dans cet éclat du visage de Moïse ; et c’est par là que saint Paul leur démontre leur grossièreté et leur bassesse. Qu’ils cessent donc de s’en glorifier ! Que leur importe cet éclat, puisqu’ils ne purent en jouir ? Il insiste en leur disant que le voile demeure étendu devant leurs yeux, quand ils lisent l’Ancien Testament, et qu’il ne saurait être levé que par Jésus-Christ. Bien plus, quand ils lisent les livres de Moïse, ce voile est sur leur cœur ; et ainsi il est à la fois devant leurs yeux et devant leurs cœurs. Plus haut il disait : « En sorte que les fils d’Israël ne pouvaient contempler le visage de Moïse, à cause de l’éclat dont il resplendissait, lequel éclat a cessé », Et quoi de plus dégradant qu’une telle faiblesse ? Ils ne peuvent fixer leurs regards sur une gloire qui s’évanouit, sur une gloire qui n’est rien en comparaison de la gloire de l’Évangile ; un voile la leur cache, de manière qu’ils n’aperçoivent pas la fin de ce qui finit, c’est-à-dire de la foi qui a disparu. « Mais leur intelligence a été obscurcie ». Et quel rapport entre ces paroles, et le voile de Moïse ? C’est que ce voile figurait l’avenir. Ils n’aperçurent pas, l’éclat du visage ; maintenant ils ne comprennent pas la Loi. Et c’est leur faute : l’obscurcissement de l’intelligence est le signe de la paressé et dé la lâcheté. C’est nous au contraire qui connaissons la Loi : le voile leur cache non seulement la grâce, mais la Loi elle-même. « Jusqu’à ce jour le même voile demeure devant eux, quand ils lisent l’Ancien Testament, et ce voile ne s’ôte que par Jésus-Christ ». Voici le sens de ces paroles. Ils ne peuvent voir que la fin de la Loi est venue, parce qu’ils ne croient pas au Christ. C’est le Christ qui a mis fin à la Loi, comme la, Loi elle-même le dit : Comment donc les Juifs qui ne reçoivent pas le Christ qui a fait disparaître la Loi, pourraient-ils voir que la. Loi n’existe plus ? S’ils ne le peuvent voir, n’est-il pas manifeste qu’ils ne connaissent point non plus la force et la gloire de la Loi ? Et me demandez-vous, où la Loi dit-elle qu’elle est abolie parle Christ ? non seulement elle le dit, mais elle le montre par les faits eux-mêmes. N’a-t-elle pas renfermé dans un seul lieu tous les sacrifices et tous les rites sacrés, et le temple n’a-t-il pas été renversé ? Si elle n’avait pas voulu que les sacrifices avec tout ce qui s’y rapporte, cessassent un jour d’exister, de deux choses l’une, ou bien elle n’aurait point, détruit le temple, ou bien si le temple eût été détruit, elle n’aurait point défendu de sacrifier ailleurs. Mais il est défendu de sacrifier en aucun lieu dé l’univers, pas même à Jérusalem ; le temple seul est le lieu dès sacrifices ; et le voilà détruit. Les faits eux-mêmes ont donc montré que le Christ a mis fin aux rites de la Loi. C’est le Christ en effet qui a fait disparaître le temple. Voulez-vous maintenant en être, convaincus par les paroles mêmes de la Loi, écoutez le Législateur lui-même : « Du milieu de vos frères Dieu vous suscitera un prophète semblable à moi ; vous lui obéirez en tout ce qu’il vous commandera. Et toute âme qui n’écoutera point ce prophète ; sera exterminée ». (Deu 18,18-19) Voyez-vous comment la Loi montre que le Christ la fera disparaître ? Ce prophète, c’est-à-dire, le Christ Dieu incarné, le Christ que Moïse ordonne d’écouter, a fait cesser le sabbat, la circoncision et toutes tes autres cérémonies légales. David exprime la même pensée, quand il dit du Christ : « Tu es prêtre éternellement selon l’ordre de Melchisédech » (Psa 110,4), et non pas selon l’ordre d’Aaron. C’est cette parole que saint Paul interprète avec la plus grande clarté en ces termes : « Le sacerdoce ayant été transféré, il est nécessaire que la Loi soit elle-même transférée ». (Heb 7,12) Dans un autre endroit il tient encore le même langage « Vous n’avez plus voulu des sacrifices et des offrandes ; les holocaustes pour le péché ne vous ont point plu ; alors j’ai dit : Voici que je viens ». (Heb 10,5-7) Que d’autres passages de l’Ancien Testament nous pourrions citer pour montrer que le Christ a mis fin à la Loi de Moïse ! Quittez donc la Loi pour bien voir la Loi ; tant que vous y demeurerez attachés, tant que vous refuserez de croire en Jésus-Christ, vous ne verrez pas la Loi. C’est pour mieux établir cette vérité que l’apôtre ajoute : « Jusqu’à ce jour, quand ils lisent les livres de Moïse, un voile est étendu sur leurs cœurs ». Il vient de dire qu’un voile est étendu sur la lecture de l’Ancien Testament ;. maintenant il veut empêcher qu’on n’entende ces paroles de l’obscurité de la Loi. Et déjà il affirmait que les Juifs étaient coupables, en disant : « Leur intelligence a été obscurcie ». Il l’affirme encore dans le pas sage que nous venons de piler. Il n’a pas dit en effet : Le voile est étendu sur les expressions de la Loi, mais « sur la lecture ». Or la lecture est l’acte de ceux qui lisent. Il dit encore : « Quand ils lisent les livres de Moïse ». Mais son langage lest plus clair encore dans ces paroles : « Un voile est étendu sur leurs cœurs ». Le voile couvrait le visage de Moïse, non pas à cause de Moïse lui-même, mais à cause de la grossièreté des Juifs et de leurs âmes charnelles. 4. Après lui avoir fait ces reproches, il leur fait voir comment ils peuvent ne plus les encourir. « Quand les Juifs seront revenus au Seigneur », c’est-à-dire, quand ils auront renoncé à leur Loi, « le voile sera enlevé ». Voyez-vous que le voile couvrait non pas le visage de Moïse, mais celui des Juifs ? Il s’agissait non pas de cacher la gloire de Moïse, mais d’empêcher les Juifs de l’apercevoir. Car ils n’auraient pu en soutenir la vue. C’était donc une conséquence de leur faiblesse : ce, voile ne dérobait à Moïse aucune connaissance, mais il arrêtait les regards des Juifs. Si l’Apôtre ne dit pas en propres termes. Quand ils auront abandonné la loi, il le fait assez entendre par ces paroles : « Quand ils seront revenus au Seigneur, le voile sera enlevé ». Il continue jusqu’au bout son allusion à la même histoire. Quand Moïse parlait aux Juifs, il voilait son visage ; quand il se tournait vers le Seigneur, le voile tombait. C’était une figure de l’avenir. Quand nous nous tournerons nous-mêmes vers le Seigneur, alors nous contemplerons la gloire de la Loi, nous verrons à découvert le visage du Législateur. Bien plus, nous – serons élevés au même rang que Moïse. Voyez-vous comme l’apôtre excite les Juifs à embrasser la foi de l’Évangile ? S’ils croient en Jésus-Christ, non seulement ils pourront contempler Moïse, mais ils se tiendront au même rang que le Législateur lui-même. non seulement, dit-il, vous verrez cette gloire, que vous ne vites pas alors, mais vous brillerez de la même gloire que lui. Que dis-je ? Votre gloire sera plus brillante encore, si brillante que la gloire de Moïse n’est qu’une ombre en comparaison. Et comment cela ? Oui, si vous revenez au Seigneur ; si vous entrez dans la grâce, la gloire dont vous serez environnés sera-t-elle que la glaira de Moïse n’est rien en comparaison. Mais quoique la gloire de votre Législateur soit si peu de chose et si inférieure à cette autre que je vous annonce, vous n’y arriverez pas, tant que vous resterez. Juifs. D’où il suit que ni du temps de Moïse, ni maintenant, les Juifs n’ont vu ni ne voient cette gloire. Mais si vous embrassez la foi, la bonté de Dieu vous en découvrira une autre bien plus magnifique. Quand il s’adressait aux fidèles, il disait que la gloire de Moïse n’avait pas été une gloire véritable : il ne s’exprime plus maintenant de la même manière ; que dit-il donc ? « Quand les Juifs se seront convertis au Seigneur, le voile sera enlevé ». Il élève peu à peu les Juifs, et les place d’abord au même rang que Moïse lui-même, pour les mettre ensuite en participation des biens d’un ordre supérieur : Quand vous aurez contemplé la gloire de Moïse, dit-il, alors vous vous convertirez au Seigneur et votre gloire l’emportera sur la sienne. Voyez que de circonstances il, signale pour faire ressortir la différence du Nouveau et de l’Ancien Testament, pour établir la supériorité de l’un sur l’autre, sans les mettre néanmoins en opposition l’un avec l’autre. L’Ancien Testament, c’est la lettre, ce sont des tables de pierre, c’est un ministère de mort, il a disparu ; et cependant les Juifs n’ont pas même pu en contempler la gloire ; le Nouveau Testament, ce sont des tables de chair, c’est l’Esprit-Saint, c’est la justice, et il subsistera toujours ; et tous nous sommes appelés à le contempler ; cet honneur n’est point réservé à un seul, comme l’honneur de contempler la Loi ancienne fut réservé au seul Moïse. « Tous », dit l’apôtre, « nous contemplons la gloire », non de Moïse, « mais du Seigneur ». Mais plusieurs combattant les vérités les plus claires, prétendent que ces paroles « lorsqu’ils se seront convertis au Seigneur », se rapportent au Fils. Étudions-les donc avec soin, et voyons d’abord les motifs sur lesquels ils s’appuient. Quels sont-ils ? De même, disent-ils, que l’Écriture dit : Dieu est Esprit ; de même aussi en cet endroit elle dit : Le Seigneur est Esprit. Mais non, l’Écriture n’a pas dit : Le Seigneur est Esprit, mais bien : L’Esprit est le Seigneur. Il y a une grande différence entre ces manières de dire. Quand l’Écriture veut s’exprimer comme vous dites, elle ne joint pas l’article à l’attribut. Mais revenons sur nos pas, et voyons de qui l’apôtre, a voulu parler, quand il disait : « La lettre tue, l’Esprit vivifie » ; et encore : « La loi écrite non avec l’encre, mais par l’Esprit du Dieu vivant ». Est-ce du Fils ou de l’Esprit-Saint qu’il veut parler ? Évidemment c’est de l’Esprit-Saint : car il exhortait les Juifs à quitter la lettre pour se rendre à l’Esprit-Saint. Mais peut-être en entendant ce mot : « l’Esprit », les Juifs trouveront leur condition inférieure à celle de Moïse, puisque Moïse « s’est tourné vers le Seigneur » et eux vers l’Esprit-Saint, C’est pour prévenir cette erreur, que l’apôtre dit : « L’Esprit-Saint est le Seigneur » ; c’est-à-dire, lui aussi est Dieu. Et pour qu’ils comprennent bien qu’il s’agit du Paraclet, il ajoute : « Là où se trouve l’Esprit du Seigneur, là est la liberté ». Impossible de supposer que l’apôtre ait voulu dire : Là où se trouve le Seigneur du Seigneur. Quant à la liberté, il l’oppose à la servitude de la Loi. Ce n’est point du temps à venir qu’il parle, puisqu’il dit ensuite : « Contemplât sans voile la gloire du Seigneur » ; non pas celle qui finit, mais celle qui demeure, d’une gloire nous passons à une autre ; transformés à son image, comme par l’Esprit-Saint qui est le Seigneur (18) ». Voyez-vous comme il affirme la divinité du Saint-Esprit, comme il met les fidèles au même rang que les apôtres ? D’abord il disait : « Vous êtes la lettre du Christ » ; et ici : « Tous nous contemplerons sans aucun voile ». Or les apôtres étaient venus portant la Loi, comme autrefois Moïse. Mais, dit-il, nous qui sommes apôtres, nous n’avons pas eu besoin de voiles ; vous n’en avez pas eu besoin non plus, vous, qui avez reçu l’Évangile. Or celte gloire est bien autrement éclatante que celle de Moïse : car ce n’est pas la gloire de notre visage, mais celle de l’Esprit-Saint ; et néanmoins, vous aussi bien que nous, vous pouvez y fixer vos regards. Les Juifs ne le purent pas même par un intermédiaire ; vous, sans médiateur, vous pouvez contempler une gloire plus grande ; ils ne purent contempler la gloire de Moïse, vous, vous pouvez contempler celle de l’Esprit-Saint. Si l’Esprit-Saint occupait un rang inférieur ; assurément l’apôtre n’eût point déclaré cette gloire de l’Évangile supérieure à celle de la Loi. 5. Mais que signifient ces paroles : « Contemplant la gloire du Seigneur, nous sommes transformés en la même image ? » Le sens de ces mots était plus clair, quand le don des miracles déployait toute sa puissance. Cependant on n’aura pas de peine à les comprendre aujourd’hui, si on les envisage avec les yeux de la foi. Quand nous recevons le baptême, notre âme a plus d’éclat que le soleil, purifiée qu’elle est par le Saint-Esprit ; non seulement nous apercevons la gloire de Dieu, mais nous y puisons une certaine splendeur : Voyez l’argent bien pur, exposé aux rayons du soleil lui-même lance des rayons, non pas seulement en vertu de sa propre nature, mais aussi parce qu’il est éclairé par l’astuce du jour : de même l’âme purifiée de ses souillures, devenue plus brillante que l’argent, reçoit les rayons glorieux de l’Esprit-Saint qui les réfléchit à son tour. C’est pourquoi l’apôtre dit : « Contemplant la gloire du Seigneur, nous sommes transformés en une même image, par la gloire de l’Esprit-Saint, dans la gloire », qui nous est propre désormais, qui réside en nous, et qui a tout l’éclat d e son origine, qui est l’Esprit-Saint. Voyez donc comment ici encore il qualifie l’Esprit-Saint, de Seigneur ! Ailleurs aussi on peut remarquer son souverain empire : « Pendant qu’ils priaient le Seigneur et qu’ils jeûnaient », disent les Act. « l’Esprit-Saint leur dit : Choisissez pour moi Paul et Barnabé. » (Act 13,2) Pourquoi l’Écriture emploie-t-elle ces paroles : « Tandis qu’ils priaient le Seigneur, choisissez pour moi », sinon pour montrer que l’Esprit-Saint est au même rang que les autres personnes divines. Le Christ lui-même avait dit : « Le serviteur ne sait pas ce que fait son maître ». (Jn 15,15) Or de même que l’homme connaît ce qui est en lui, de même l’Esprit-Saint connaît les choses de Dieu, sans avoir besoin de les apprendre : autrement la comparaison ne se soutient plus. Ce qui montre encore l’autorité suprême et la puissance du Saint-Esprit, c’est qu’il agit selon sa volonté. C’est lui qui nous transforme, c’est lui qui nous empêche de nous conformer au siècle présent, c’est lui qui est l’auteur de cette nouvelle création : L’Écriture dit : « Nous avons été créés en Jésus-Christ ». (Eph 2,10) Et elle dit aussi : « O Dieu, créez en moi un cœur nouveau, et mettez dans l’intime de mon âme un esprit droit ». (Psa 51,12) Voulez-vous mieux comprendre encore cette puissance de l’Esprit-Saint ? Voyez les merveilles opérées par les apôtres ! Songez à saint Paul, dont les vêtements taisaient des miracles, à saint Pierre dont l’ombre même avait tant d’efficacité ! S’ils n’eussent porté en eux-mêmes l’image du Roi, à leurs âmes n’eussent brillé d’un éclat incomparable, leurs vêtements et leurs ombres eussent-elles opéré ces prodiges ? Le vêtement royal suffit pour épouvanter les voleurs. Voulez-vous voir resplendir cette gloire même à travers le corps. « Contemplant le visage d’Étienne, ils le virent semblable à celui d’un ange ». (Act 5,15) Et cependant qu’était-ce que cet éclat en comparaison de celui qui brillait au dedans du martyr ? Cette gloire dont resplendissait le visage de Moïse, elle entourait leurs âmes ; elle était donc bien plus précieuse. L’éclat du visage de Moïse frappait les sens ; la gloire des martyrs et des apôtres n’avait rien de matériel. Les corps enflammés en tombant sur d’autres corps leur communiquent leur propre éclat ; c’est ce qui arrive pour les fidèles. Aussi quittent-ils, pour ainsi dire, la terre, pour ne plus s’occuper que des choses célestes. Hélas ! oui, oui, gémissons amèrement : élevés à une si éminente dignité, nous ne savons pas même ce que l’on nous dit à ce sujet, tant cet éclat passe vite, tant nous mettons d’empressement à courir après les biens sensibles. Cette splendeur mystérieuse et vénérable, elle dure en nous un jour ou deux, pour s’évanouir ensuite. Nous en chassons les rayons par la tempête des choses mondaines, par les épais nuages que nous amoncelons. Car les affaires de cette vie ressemblent à une tempête, si toutefois elles ne sont plus tristes qu’une tempête. Sans doute elles n’amènent ni le froid, ni la pluie, elles ne produisent ni boue ni limon ; mais que leurs conséquences sont plus terribles ! Elles aboutissent à l’enfer et aux maux de l’enfer. La violence du froid engourdit les membres, leur donne là mort ; ainsi la tempête des péchés refroidit les âmes, qui ne remplissent plus leurs fonctions, qui s’engourdissent pour ainsi dire dans la glace de la conscience tue mauvaise conscience est, pour l’âme ce qu’est le : froid pour le corps : elle fait frissonner l’âme de crainte. Rien de plus timide que l’homme attaché aux choses de la vie. Il ressemble à Caïn, qui sans cesse tremblait de frayeur. A quoi bon parler de la mort, de la perte des biens, des haines ; des pièges de la flatterie ? Il y a mille autres dangers qu’il redoute. Ses coffres regorgent d’or ; mais son âme craint sans cesse la pauvreté ; et c’est avec raison : Il s’attache à ce qui passe, à ce qui change, il y fixe, pour ainsi dire, son ancre ; quand même il ne fait pas naufrage lui-même, la vue du naufrage des autres suffit pour le tuer ; il est craintif, il est lâche. Et ce n’est pas seulement au milieu du danger qu’il fait preuve de lâcheté, mais en toute circonstance. Si l’avarice s’empare de son âme, il ne saura point la repousser avec une généreuse liberté ; mais il se fera l’esclave de cette passion tyrannique, comme s’il s’était vendu à elle. Qu’il voie une jeune fille, le voilà séduit aussitôt par la beauté de son visage, il la suit, comme un chien dévoré par la rage, tandis qu’il devrait faire tout le contraire. 6. Quand volis voyez une belle femme, cherchez non pas à satisfaire votre passion, mais à vous en délivrer : Et comment y parviendrai-je, dites-vous ? Car je ne suis pas libre d’aimer ou de ne pas aimer. Qui donc vous contraint à éprouver cet amour coupable ? Est-ce le démon ? Vous croyez que c’est le démon qui vous tend un piège. – Eh bien ! combattez, luttez contre votre passion. – Mais je ne puis, dites-vous. – Sachez donc tout de suite que votre lâcheté en est la cause, que dès le principe vous avez donné au démon entrée dans votre âme, et que maintenant, si vous le voulez, vous le repousserez aisément. Dites-moi, ceux qui commettent l’adultère, y sont-ils amenés par la violence dé leur amour, ou bien seulement par le désir de courir un danger ? Évidemment c’est l’amour qui les entraîne. Est-ce un motif suffisant d’excuse ? Non, assurément. Pourquoi, parce qu’ils ont commis l’adultère par leur faute. A quoi bon tous ces raisonnements, direz-vous ? Je sens bien que je voudrais me délivrer de cette passion, mais que je n’en ai point la force. Elle me poursuit sans cesse, elle m’accable, elle me tourmente. – Vous voulez, dites-vous, vous en délivrer. Mais, vous ne faites rien de ce qu’il faudrait. Vous ressemblez à un homme qui, brûlé par la fièvre, ne cesserait de boire de l’eau fraîche et dirait : que d’expédients j’imagine pour apaiser ma fièvre, et je n’en viens pas à bout ; je ne fais qu’en accroître la violence ! Et vous, ne ranimez-vous point sans cesse les flammes de votre passion, tout en vous imaginant faire usage de ce qui pourrait les éteindre ? – Oh ! non, dites-vous. – Eh, bien, je vous le demande, qu’avez-vous donc fait pour apaiser votre passion ? Comment en général se développe une passion ? Nous ne sommes pas tous, il est vrai, sujets aux mêmes faiblesses, et on trouverait bien plus d’esclaves de l’amour des richesses que l’on ne trouverait d’esclaves de la beauté des corps, mais le remède, que je propose peut convenir à tous, à ceux-ci comme à ceux-là. L’amour des uns n’est pas moins absurde que celui des autres ; mais l’amour qu’excite la beauté corporelle est plus vif, plus violent. Si nous triomphons de celui-ci, nul doute que nous ne triomphions de celui-là ; qui est plus faible. Mais, direz-vous, si la passion de l’amour a plus de violence, comment se fait-il qu’elle ne s’empare point de tout le monde, et qu’un si grand nombre coure après les richesses avec une véritable fureur ? – C’est que cette passion des richesses semble moins dangereuse ; ensuite, si la passion de l’amour a plus de violence, elle s’éteint aussi plus vite. Si elle persistait, comme l’avarice, c’en serait fait de celui dont elle s’empare. Parlons donc de cet amour que fait naître la beauté corporelle, et voyons comment se développe cette coupable faiblesse. Nous saurons alors si nous sommes à coupables ou non ; si nous sommes coupables, ne négligeons rien pour triompher du mal ; il n’y a rien de notre faute, pourquoi nous tourmenter en vain ? Au lieu de blâmer les victimes de l’amour, pourquoi ne pas leur pardonner au contraire ? – Comment donc l’amour prend-il naissance dans une âme ? Ce qui le produit, dites-vous, c’est la beauté du visage : un beau visage, un visage plein d’agréments, porte à l’âme une profonde blessure. – Vaines paroles ! S’il suffisait de la beauté pour produire l’amour, cette jeune fille aurait tout le monde pour amants. Il n’en est pas ainsi, et c’est pourquoi il ne faut attribuer cette passion ni à la beauté ni à la nature, mais à l’immodestie des regards. Vous la contemplez avec admiration, vous soupirez après tant de charmes ; et le trait s’enfonce dans votre cœur. – Eh, dites-vous, comment voir une belle femme, sans se sentir épris d’admiration ? S’il ne dépend pas de nous d’admirer ou de ne pas admirer, nous ne sommes donc pas libres non plus de ne pas aimer. Arrête, ô homme ! Pourquoi confondre ainsi toutes choses, pourquoi se jeter ainsi de tous côtés, sans vouloir découvrir la racine du mal ? Combien n’y en a-t-il pas qui admirent, qui louent, et qui cependant ne sont point les esclaves de cette passion de l’amour ? – Mais, diras-tu, est-il possible de ne pas aimer, quand on admire ? – Pas de trouble, je te prie, patience, et tu entendras Moïse qui admire le fils de. et qui dit : « Joseph était beau de visage ; et son aspect était plein de charmes ». (Gen 39,6) Et bien ! tout en tenant ce langage, Moïse était-il épris d’amour pour Joseph ? Non certes. – C’est qu’il 'ne voyait pas, diras-tu, celui dont il faisait l’éloge mais ce sentiment de l’amour, nous l’éprouvons en entendant parler de la beauté corporelle comme en la voyant de nos yeux. – Mais je veux trancher la question : David n’était-il pas fort beau, n’avait-il pas les cheveux blonds et de très beaux yeux ? Et rien ne captive mieux que la beauté des yeux. Or, qui s’éprit d’amour pour lui ? personne. L’admiration n’entraîne donc point nécessairement l’amour. Que d’hommes ont eu des mères d’une beauté remarquable ! Et cependant les fils ont-ils brûlé d’amour pour leurs mères ? Loin de nous cette pensée. Ils admiraient sans doute cette beauté qu’ils avaient sous les yeux ; mais ils ne se laissaient pas aller à un amour honteux. – C’était, dis-tu, l’effet de la nature. – Et comment ? Parce que, ces femmes étaient leurs mères ? – Ne savez-vous pas que les Perses ont avec leurs mères, et cela librement, un commerce incestueux ; non pas seulement un ou deux de ce peuple, mais la nation tout entière ? – Mais pourquoi tant de paroles ? Il est bien évident d’ailleurs que ce n’est point la beauté du corps, ni celle du visage qui engendre cette maladie, mais la paresse et la lâcheté de l’âme. Combien n’en voit-on pas qui dédaignent les femmes vraiment belles, pour se livrer à d’autres vraiment laides. Donc l’amour ne vient point de la beauté ; autrement, ces hommes dont je parle eussent donné la préférence aux premières. – Quelle est donc la cause de l’amour ? S’il ne vient point de la beauté, où a-t-il donc son principe et sa racine ? – Vient-il du démon ? Sans doute. Mais ce n’est pas la question. II s’agit de savoir si nous lui donnons nous-mêmes naissance. Car ce n’est pas le démon tout seul qui l’inspire, nous agissons de concert avec lui. Ce qui engendre surtout cette maladie pernicieuse, c’est le trop de familiarité, ce sont les paroles flatteuses, c’est l’oisiveté, le désœuvrement, l’inoccupation. 7. Grande, oui, bien grande est la force de l’habitude ; elle est si grande qu’elle devient une nécessité. Si donc l’habitude est la cause du mal, n’est-il pas évident que l’habitude contraire le fera disparaître. Que d’amants ont cessé d’aimer en ne voyant plus celles qu’ils aimaient ! Quelque temps sans doute c’est une privation amère et pénible ; mais l’amertume se change ensuite en douceur, et on ne pourrait retomber, quand même on le voudrait. – Mais, direz-vous, avant d’avoir contracté l’habitude, dès le premier aspect, me voilà séduit. – Lâcheté encore, mollesse, négligence de vos devoirs, abandon de vos affaires les plus urgentes. Vous ressemblez à un vagabond que tous les maux envahissent ; votre âme me fait l’effet d’un enfant qui erre au hasard, et que le premier vent emmène en servitude. Il faut qu’elle exerce son activité ; si vous ne l’appliquez à des actions sérieuses, comme elle ne peut se passer d’agir, elle se crée une autre occupation. La terre que l’on n’ensemence point, où l’on ne plante rien, ne produit que de l’herbe ; ainsi en est-il de l’âme ; n’a-t-elle rien de sérieux en vue, elle se laisse aller au mal par le désir qu’elle a d’agir. L’œil, dont la fonction est de voir, à défaut de beaux objets, se portera sur des objets repoussants. De même l’âme, à défaut d’occupations utiles, s’occupera de futilités. Que le travail, que l’application puisse repousser la première attaque, on peut en donner bien des preuves. C’est pourquoi si vous voyez une belle femme et que vous vous sentiez affecté, cessez de la voir et vous êtes délivré. Et comment puis-je ne plus la voir, entraîné que je suis par la passion ? – Appliquez-vous à d’autres objets capables de distraire vota âme : lisez, méditez, défendez le pauvre, venez au secours de l’opprimé, priez, songez à la vie future ; voilà autant de moyens d’enchaîner votre âme. Alors vous pourrez guérir, je n dis pas une, blessure toute fraîche encore mais une blessure profonde, invétérée. Une insulte, dit le proverbe, suffit pour éteindre l’amour dans le cœur de l’amant ; à plus forte raison ces spirituels enchantements triompheront-ils du mal, pourvu que nous voulions nous éloigner de l’objet de notre passion. Mais si nous continuons à fréquenter, à entretenir ces personnes qui lancent ces traits contre nous, qui nous font ces blessures, si nous aimons à parler d’elles, à jouir de leur conversation, nous ne ferons qu’accroître notre maladie. Comment pouvez-vous espérer d’éteindre le feu, si chaque jour vous activez la flamme ? – Voilà ce que j’avais à dire aux jeunes gens sur les effets de l’habitude. Quant aux hommes faits ; quant à ceux qu’savent réfléchir, je ne puis rien leur conseiller de plus efficace que la crainte de Dieu, la pensée de l’enfer, le désir du royaume de cieux : cela suffit bien pour éteindre le feu de la passion. Dites-vous encore que ce que vos yeux admirent n’est pas autre chose que de l’humeur et du sang et le suc d’une nourriture corrompue. – Mais du moins, dites-vous, ce visage est comme une fleur brillante. – Est-il rien de plus brillant que les fleurs de la campagne ? Et cependant elles se flétrissent elles se corrompent. Aussi, ne vous attachez point à cette fleur ; voyez plus avant par la pensée ; enlevez par la pensée cette peau si belle, et considérez ce qu’elle cache. Le corps des hydropiques a-t-il rien de repoussant, ne brille-t-il pas au contraire des plus vives couleurs ? Néanmoins, la seule pensée de l’humeur qu’il renferme nous rebute, et nous ne voudrions pas baiser un hydropique. Cet œil est plein de tendresse et en même temps de vivacité, ce sourcil s’étend délicieusement, ces paupières sont azurées, cette prunelle respire la douceur, le regard est d’une ineffable sérénité. – Mais après tout, qu’est-ce autre chose que des nerfs, des veines et des artères ? Figurez-vous cet œil si beau, débilité, épuisé par la vieillesse, abattu par le chagrin, gonflé par la colère ! Oh ! qu’il est hideux, que sa beauté s’est vite évanouie ! une peinture se dissipe moins rapidement. Élevez votre esprit jusqu’à la, véritable beauté. – Mais je ne vois pas, dites-vous, la beauté de l’âme. – Vous la verrez, si vous le voulez bien. Comme on peut admirer la beauté d’un visage en se le représentant par l’imagination, même en l’absence de ce visage ; de même, sans le secours des yeux, on peut voir la beauté de l’âme. Ne vous êtes-vous jamais représenté par la pensée une forme remarquable par sa, beauté, et n’avez-vous pas de la sorte éprouvé un vif sentiment ? Représentez-vous donc aussi la beauté de l’âme, et complaisez-vous dans cette image. Mais je ne puis voir ce qui est incorporel. – Notre esprit le contemple mieux que nous ne contemplons les corps. N’admirons-nous pas les anges et les archanges, que nous ne voyons pas de nos yeux ? De même aussi, nous pouvons admirer les bonnes mœurs et la vertu de l’âme. Si vous voyez un homme de bien, modéré dans ses désirs, vous l’admirerez bien plus qu’un beau visage. Si vous le voyez supporter un outrage avec patience, aimez-le quand même il serait accablé par la vieillesse. Oui, la beauté de cette âme, malgré la vieillesse, a un grand nombre d’amants, elle ne se flétrit jamais, elle se conserve toujours dans sa fleur. Pour posséder nous-mêmes cette beauté, recherchons ceux qui la possèdent, et soyons épris d’amour pour eux. Ainsi pourrons-nous, à notre tour, une fois revêtus de cet éclat, parvenir aux biens éternels. Puissions-nous tous avoir ce bonheur, par la grâce et la bonté, etc.