2 Corinthians 4
HOMÉLIE VIII.
CHARGÉS DE CE MINISTÈRE, SELON LA MISÉRICORDE QUI NOUS A ÉTÉ FAITE, NOUS NE LE NÉGLIGEONS POINT ; MAIS NOUS AVONS DÉPOSÉ TOUTE HONTE CACHÉE. (IV, 1-7)
Analyse.
- 1 et 2. Mauvaise foi des faux apôtres.
- 3. Aveuglement des Juifs.
- 4. Preuves de la divinité du Christianisme.
1. L’apôtre a dit de grandes choses ; il s’est mis, lui et, tous les fidèles, avant Moïse lui-même. S’apercevant qu’il vient encore de faire de lui-même un éloge magnifique, il se hâte de parler le langage de l’humilité. Il devait se louer de la sorte à cause des faux apôtres et de ceux auxquels il s’adressait, et ensuite tempérer son langage, sans se contredire pourtant c’eût été de la comédie. Il procède donc maintenant d’une autre minière, et il, fait voir qu’il faut rapporter toute cette gloire, non pas à nos mérites et à nos vertus, mais à la bonté de Dieu. C’est pourquoi il dit : « Chargés de ce ministère ». Tous les biens que nous vous avons distribués, c’est en qualité de ministres du Seigneur que nous vous les avons distribués ; nous n’avons fait que prêter notre ministère aux dons qui venaient du ciel. Aussi ne dit-il point : largesse ou donation, mais bien, ministère. Et encore cela ne lui suffit-il pas, il ajoute : « Selon la miséricorde qui nous a été faite ». Ce ministère lui-même dont nous sommes chargés, c’est de la divine Bonté que nous l’avons reçu. Le propre de la pitié, c’est, de délivrer du mal, non pas de faire du bien mais la divine miséricorde va jusqu’à combler de bienfaits. « Nous ne le négligeons point ». C’est encore à la bonté de Dieu qu’il faut attribuer cet effet. Car ces paroles : « Selon la miséricorde qui nous a été faite », elles se rapportent à la fois à ceci : « nous ne le négligeons point », et au ministère apostolique. Voyez comme il s’applique à, rabaisser son propre mérite. Après avoir été comblé de tels bienfaits, et cela uniquement par pure bonté, par pure miséricorde de la part de Dieu, est-ce faire beaucoup que de se charger de ces quelques travaux, que de courir ces dangers, que de soutenir ces tentations ? Et c’est pourquoi nous ne nous décourageons point, mais au contraire nous nous réjouissons, nous agissons avec confiance. A ces mots : « Nous ne le négligeons point », il rattache les suivants : « mais nous avons déposé toute honte cachée, ne marchant point dans la ruse, et ne corrompant point la parole de Dieu ». Que veulent dire ces paroles : « Une honte cachée ? » Nous n’annonçons point, nous ne promettons point de grandes choses ; dit-il, pour n’en réaliser que de faibles, comme font les faux apôtres. Aussi disait-il : « Vous lisez sur notre visage ». (2Co 10,7) Tels vous nous voyez, tels nous sommes : nulle duplicité dans notre âme ; nous ne parlons pas d’une façon pour agir d’une autre, pour faire ce que la honte contraint à cacher et à couvrir d’un voile. C’est pour développer cette pensée qu’il ajoute : « Nous ne marchons point avec ruse ». Ce dont ils se glorifiaient, il le regarde, lui, comme honteux et misérable. Que signifie ce mot : « Avec ruse ? » Ils passaient pour ne recevoir aucun présent ; mais ils en recevaient en secret ; on les regardait comme de saints, comme d’irréprochables apôtres, et pourtant ils étaient tout plein de vices. Pour nous, dit-il, nous avons horreur de ces procédés (et c’est là ce qu’il appelle une turpitude secrète) », et nous nous montrons tels que nous sommes. Il n’y a rien de caché non seulement dans notre vie et dans nos mœurs, mais nul voile ne recouvre, notre enseignement. C’est là le sens de ces paroles : « Ne corrompant point la parole de Dieu, mais « annonçant toujours la vérité ». C’est-à-dire l’annonçant non par notre visage et en apparence, mais en proposant une doctrine solide et substantielle : «. Nous recommandant nous-mêmes à la conscience de tous les hommes ». Ce ne sont pas seulement les fidèles, mais encore les infidèles qui peuvent nous connaître : nous nous montrons à tous de manière que tous puissent nous examiner comme ils voudront. C’est ainsi que nous savons nous recommander, et non pas au mayen de l’hypocrisie ou d’un masque brillant. Nous disons donc que nous ne recevons point de présents, et nous vous prenons à témoin. Nous disons que notre conscience ne nous reproche rien, et ici encore nous invoquons votre témoignage : eux au contraire, c’est en se cachant sous le voile de l’hypocrisie, qu’ils en trompent un si grand nombre. Nous, nous soumettons notre vie aux regards de tous, nous prêchons à découvert : tous peuvent nous comprendre. – Cependant les infidèles ne connaissaient point la force de la prédication de l’apôtre ; et c’est pourquoi il ajoutait que ce n’était pas à lui, mais bien à eux qu’on devait l’imputer. « Si notre Évangile est couvert d’un voile, il l’est dans ceux qui périssent. Le Dieu de ce siècle a aveuglé les âmes des infidèles (3, 4) ». C’est une pensée qu’il exprimait déjà plus haut : « Nous sommes pour les uns une odeur de mort pour la – mort ; aux autres une odeur de vie pour la vie ». (2Co 2,16) 2. Que signifient ces mots : « Le Dieu de ce siècle ? » Les Marcionites prétendent que l’apôtre veut parler du Créateur, qui a la justice en partage, sans, avoir la bonté. Les Manichéens soutiennent qu’il est question du démon ; et ils imaginent follement un autre créateur que le seul véritable. L’Écriture, disent-ils, donne le nom de Dieu, non seulement à celui qui possède la nature divine, mais à tout ce Uni exerce un véritable empire sur la faiblesse des hommes : c’est ainsi qu’elle appelle de ce nom la richesse et le ventre. Non pas que ni l’un ni l’autre aient cette dignité ; mais ils exercent une entière puissance sur ceux qui se sont rendus leurs esclaves. Quant à nous, il nous semble qu’il ne s’agit nullement ici du démon, tuais bien du Dieu créateur de toutes choses, et qu’il faut lire : « Dieu a frappé d’aveuglement les âmes des infidèles de ce siècle ». Il n’y aura point d’infidèles dans le siècle futur ; il ne peut y en avoir que dans celui-ci. Et quand même on lirait : « Le Dieu de ce siècle », il ne saurait y avoir de difficulté : Ces mots ne peuvent servir à prouver que le Dieu dont parle l’apôtre n’est que le Dieu du siècle présent. Ne dit-on pas aussi : Le Dieu du ciel ? Et Dieu cependant n’est pas, seulement le Dieu du ciel. Ne dit-on pas encore : Le Dieu du jour présent ? Mais, en le disant, nous n’entendons point circonscrire la puissance de Dieu dans les bornes d’un seul jour. Dieu est encore appelé le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac et le Dieu de Jacob ; et cependant il n’est pas seulement le Dieu de ces trois patriarches. On trouverait dans les Écritures beaucoup d’autres témoignages. Mais comment Dieu les a-t-il frappés d’aveuglement ? Il n’a pas agi d’une manière positive ; il l’a seulement souffert et permis C’est la façon ordinaire de parler de la sainte Écriture, comme quand elle dit :.« Dieu les a livrés à leur sens réprouvé ». (Rom 1,28) D’abord ils ont cessé de croire ; ils se sont ensuite montrés indignes de voir les mystères, et ensuite il a permis qu’ils fussent frappés d’aveuglement. Qu’eût fait le Seigneur ? Les eût-il amenés à lui par force ? Eût-il révélé ses mystères à des hommes qui ne voulaient point les contempler ? Mais ils les eussent méprisés, sans daigner les apercevoir. Aussi l’apôtre ajoute-t-il : « En sorte que la lumière glorieuse de l’Évangile du Christ ne rayonne « pas à leurs yeux » : Ce qu’il dit non pas en ce sens qu’ils ne croiront pas en Dieu, mais en ce sens que l’âme infidèle ne pénétrera point ses mystères. Ne nous fait-il pas, à nous, la même recommandation, quand il nous dit de ne pas jeter les pierres précieuses devant les pourceaux ? Révéler ses mystères aux incrédules, t’eût été accroître encore leur incrédulité. Forcez un homme qui a mal aux yeux à regarder les rayons du soleil, n’augmenterez-vous pas encore sa maladie ? Aussi les médecins les tiennent-ils dans les ténèbres, pour ne pas aggraver leur état. Comprenons donc ce passage en ce sens qu’ils sont devenus incrédules par leur faute. Une fois incrédules, ils n’ont pu contempler les mystères de l’Évangile : car Dieu leur a dérobé ses rayons. C’est ce qu’il disait à ses disciples : « Voilà pourquoi je leur parle en paraboles, parce qu’ils entendent, sans entendre ». (Mat 13,13) Un exemple vous, le montrera plus clairement. Supposez un gentil qui traite de fables les dogmes chrétiens. Vaudra-t-il mieux pour lui entrer dans nos temples, assister à nos mystères que rester dehors ? C’est pourquoi l’apôtre dit : « En sorte que la lumière de « l’Évangile ne rayonne pas à leurs yeux ». Il fait encore allusion à l’histoire de Moïse. Ce qui alors arriva aux Juifs, arrive à tous les infidèles depuis l’Évangile. Quels mystères sont voilés pour eux, quels mystères ne leur sont point révélés ? Écoutez ce que dit l’apôtre : « En sorte que la lumière glorieuse de l’Évangile du Christ ne brille point à leurs yeux, de l’Évangile du Christ, qui est l’image de Dieu ». C’est là ce qui ne leur avait pas été découvert : que la croix est le salut du monde et sa gloire ; que Celui qui a été crucifié reviendra entouré de splendeur ; et qu’avec lui apparaîtront le présent, l’avenir, ce qui est visible, ce qui est invisible ; et la manifestation d’un grand nombre de mystères qui sont l’objet de notre espérance et de notre attente : C’est pourquoi l’apôtre dit : « Afin que la lumière ne rayonne pas », pour que vous ne cherchiez point tout ici-bas, où l’on vous envoie seulement les rayons de l’Esprit-Saint. C’est dans le même dessein que plus haut il disait : « le parfum », ou « le gage » : la réalité, nous la trouverons dans, le ciel. Or tout cela leur est caché ; et c’est une conséquence de leur incrédulité. Ensuite pour montrer que ce n’est pas seulement la gloire du Christ qu’ils ignorent, mais aussi celle du Père, saint Paul ajoute : « Lequel est l’image de Dieu ». Ne vous arrêtez pas au Christ. Par lui vous voyez le Père ; et si vous ne connaissez point sa gloire, vous rie connaîtrez point non plus la gloire du Père. « Nous ne nous prêchons pas nous-mêmes, mais nous prêchons Jésus-Christ et nous nous déclarons vos serviteurs par Jésus-Christ (5) ». 3. Voyons la suite des idées. Comment ceci peut-il se rattacher à ce qui précède ? Peut-être fait-il encore allusion à, ces faux apôtres qui cherchent leur propre gloire, et qui persuadent à leurs disciples de se recommander de leurs noms, comme il disait dans sa première épître : « Moi, je suis de Paul, moi, au contraire, je suis d’Apollon ». (1Co 3,4) Peut-être aussi a-t-il en vue quelque chose de très-sérieux. Quoi donc ? Ne veut-il pas dire que cab faux apôtres lui faisaient une guerre acharnée et lui dressaient de toutes parts des embûches : Est-ce contre nous que vous combattez, dit-il. N’est-ce pas plutôt contre Celui que nous prêchons ? Car nous ne nous prêchons pas nous-même ; je ne suis qu’un serviteur, je remplis auprès de ceux qui reçoivent ma prédication le ministère qu’un autre m’a confié, et tout ce que je fais, je le fais pour sa gloire. Donc en me faisant la guerre, vous renversez ce qui appartient à mon maître. Bien loin de rien m’arroger à moi-même des succès de ma prédication, je ne refuse pas d’être votre serviteur à cause du Christ, puisqu’il lui a plu de vous combler d’honneur, de vous environner de son amour, de faire tant de choses pour vous. C’est pourquoi il dit : « Nous nous déclarons nous-même votre serviteur à cause du Christ ». Voyez-vous quelle abnégation ? non seulement, dit-il, nous n’usurpons point ce qui appartient au Seigneur, mais nous nous faisons serviteur à cause de lui. « Parce que le même Dieu qui a dit à la lumière de resplendir du sein des ténèbres, a lui-même brillé dans vos cœurs ». Ils désiraient voir le merveilleux éclat de cette gloire de Moïse, il la leur montre toute brillante d’une splendeur encore plus vive. La gloire brillait sur le visage de Moïse, elle brille aussi dans vos cœurs. Et d’abord il rappelle la première œuvre de la création, la lumière sensible et les ténèbres, et il montre que ce second ouvrage de – Dieu l’emporte sur le premier. Quand est-ce que Dieu dit : « Que la lumière brille du sein des ténèbres ! » Au premier jour de la création : « Les ténèbres », dit l’Écriture, « étaient étendues sur l’abîme ; et Dieu dit : Que la lumière soit, et la lumière fut ». (Gen 1,2-3) Alors il disait : « Qu’elle soit, et elle fut ». Il ne le dit plus maintenant, mais c’est lui-même qui est notre lumière. L’apôtre ne dit pas en effet que Dieu ait parlé, mais qu’il a resplendi lui-même dans les cœurs. Ce ne sont donc point les choses sensibles que nous contemplons dans cette lumière, mais c’est Dieu lui-même par Jésus-Christ. Voyez-vous comme il n’y a aucune différence entre les personnes de la Trinité ? En parlant de l’Esprit-Saint l’apôtre dit : « Pour nous, contemplant sans voile la gloire du Seigneur, nous sommes transformés en cette même image de la gloire pour la gloire, comme par l’Esprit qui est le Seigneur ». (2Co 3,18) Et en parlant du Fils : « Afin que la glorieuse lumière de l’Évangile du Christ, qui est l’image du Père, ne brille pas à leurs records ». Enfin en parlant du Père : « Celui qui a dit à la lumière de resplendir du sein des ténèbres, a lui-même brillé dans vos cœurs, pour vous éclairer de l’éclat de la science de Dieu par le visage du Christ (6) ». Après avoir dit : « L’Évangile du Christ », il ajoute : « Qui est l’image de Dieu », pour faire voir que les incrédules ont été privés aussi de la gloire de Dieu. De même après avoir dit : « La science de Dieu », il ajoute : « par le visage du Christ », pour montrer que c’est par Jésus-Christ que nous parvenons à la connaissance du Père, comme par l’Esprit-Saint nous arrivons à la connaissance du Fils ». « Ce trésor, nous le portons dans des vases d’argile, afin que notre élévation soit l’œuvre de la puissance de Dieu, et non pas notre ouvrage (7) ». Après tant de beaux développements sur cette gloire ineffable, l’apôtre craint qu’on ne lui dise : Et comment pouvons-nous jouir d’une telle gloire, et vivre dans un corps mortel ? Oui, sans doute, reprend-il, c’est chose merveilleuse, et la plus grande preuve de la puissance divine, qu’un misérable vase déterre comporte tant d’éclat, et garde un tel trésor. Aussi l’apôtre s’écrie-t-il, saisi d’admiration : « Afin que notre grandeur soit l’œuvre de la puissance de Dieu, et non pas notre propre ouvrage », faisant allusion encore à ceux qui recherchaient leur propre gloire. La grandeur des dons, et la faiblesse de ceux qui les reçoivent font éclater la puissance de Dieu : il montre sa puissance non seulement en faisant des largesses, mais encore en les faisant à des êtres de si peu de prix. L’apôtre, par ces vases d’argile, représente la fragilité de la nature humaine et la faiblesse de notre chair. Elle ne vaut pas mieux en effet qu : un vase d’argile : elle est exposée à tant d’attaques ; la mort, les maladies, l’intempérie des saisons, mille autres maux, la détruisent si facilement ! Tout cela, saint Paul le disait tant pour rabattre l’orgueil des faux apôtres, que pouf montrer qu’en nous, chrétiens, il n’y a plus rien d’humain. 4. Dieu fait éclater surtout sa puissance, en accomplissant de grandes choses au moyen des plus faibles instruments. C’est pourquoi l’apôtre dit dans un autre endroit : « Ma puissance se montre tout entière dans la faiblesse ». (2Co 12,9) Dans l’Ancien Testament ne se servait-il pas de moucherons et de mouches pour mettre en fuite des armées de barbares ? [Il appelle « la Chenille », sa grande puissance.] (Jol 2,25) Et par la confusion des langages ne détruisait-il pas cette immense tour de Babel ? Trois cents hommes lui suffisaient pour mettre en déroute une innombrable armée, et le son de quelques trompettes pour renverser les villes : David encore enfant, si petit et si faible, triomphait de toute une armée. De même dans ces derniers temps il envoie douze hommes, et par eux soumet l’univers, et cela quand tout le monde les persécute et leur fait la guerre. Admirons donc la puissance du Seigneur, admirons-la, adorons-la. Demandons aux Juifs, demandons aux Gentils quels hommes ont persuadé aux peuples d’abandonner leurs mœurs pour embrasser un autre genre de vie ? Est-ce un pêcheur ou un faiseur de tentes ? Est-ce un publicain ou un ignorant, un homme étranger à toute espèce de connaissances ? Comment expliquer un pareil changement, si la puissance de Dieu n’eût opéré, ces merveilles tsar leur ministère ? Que disaient-ils pour persuader le monde ? Soyez baptisés au nom du Crucifié. – Quel est donc ce Crucifié ? – Un homme qu’ils n’avaient jamais vu : voilà ce qu’ils leur disaient, ce qu’ils leur prêchaient ; et ils persuadaient à leurs auditeurs, que ces dieux qui rendaient des oracles et qui avaient été transmis jusqu’à eux d’âge en âge comme des dieux, n’étaient pas dieux. Le Christ, qui avait été cloué à la croix, attirait tout le monde à lui. On savait bien qu’il avait été crucifié et enseveli ; mais un bien petit nombre seulement l’avaient vu après sa résurrection. Cette résurrection du Sauveur, les apôtres la firent croire à ceux mêmes qui n’en avaient pas été les témoins ; bien plus ils leur persuadèrent qu’il était monté aux cieux et qu’il viendrait juger les vivants et les morts. Qu’y a-t-il de si persuasif dans de pareils discours, dites-moi ? Cette persuasion leur venait de la puissance divine. Et d’abord c’étaient des nouveautés capables de blesser les esprits : quoi de plus grave que d’innover en pareille matière, puisque c’est saper les, fondements des vieilles institutions, détruire les lois jusque dans leurs racines ? Et les prédicateurs, quelle confiance inspiraient-ils ? lis étaient d’une nation détestée des autres nations, et de plus timides et ignorants. Comment purent-ils donc triompher de, l’univers ? Comment vous ont-ils mis en fuite, vous, vos ancêtres, ces grands philosophes, vos dieux eux-mêmes ? Bien évidemment parce que Dieu était avec eux. Non, ce n’est point là un effet de la puissance humaine, mais bien d’une ineffable, d’une divine puissance. Mais, dites-vous, n’ont-ils pas eu recours à la magie ? – Alors il eût fallu fortifier l’empire des démons et propager le culte des idoles. Comment se fait-il donc qu’il ait disparu, et qu’il ait été remplacé par notre religion ? C’est une preuve de plus que tout s’est accompli par la puissance de Dieu même. Elle se montre cette puissance, non seulement dans les résultats de la prédication, mais encore dans la conduite même des chrétiens. La virginité fut-elle jamais aussi fréquente ? Professa-t-on jamais tant de mépris pour les richesses, pour la vie, pour tous les biens de la terre ? Des hommes débauchés, des magiciens n’eussent jamais produit de tels sentiments dans les âmes ; ils auraient développé les sentiments contraires. Mais les apôtres nous apprirent à mener une vie digne des anges, ils nous en donnèrent les premiers l’exemple et dans notre pays, et sur la terre étrangère, et jusqu’aux extrémités du monde. Il est donc bien évident que tous ces changements ont été opérés par la puissance du Christ, par cette puissance qui envoie partout ses rayons et les répand plus prompts que l’éclair dans les intelligences. Pénétrés de ces pensées, trouvant dans les merveilles du passé une sûre garantie de la promesse des biens futurs, adorez avec nous l’invincible puissance du Crucifié. Ainsi pourrez-vous échapper aux affreux tourments de l’enfer et parvenir au royaume des Cieux. Daigne le Seigneur nous en faire la grâce, par bonté, etc. HOMÉLIE IX.
PARTOUT NOUS AVONS DES TRIBULATIONS, MAIS NOUS NE SOMMES POINT ACCABLÉS ; NOUS SOMMES DANS LE BESOIN, MAIS NOUS NE SUCCOMBONS PAS ; ON NOUS PERSÉCUTE, MAIS NOUS NE SOMMES PAS DÉLAISSÉS. (IV, 8, JUSQU’À LA FIN DU CHAPITRE) Analyse.
- 1 et 2. Avantages des afflictions et des tentations. – C’est l’espérance des biens futurs qui. Nous console et nous réjouit.
- 3 et 4. Il faut mépriser les délices de la vie présente, craindre les maux de l’avenir, éviter le péché qui irrite le Seigneur.
1. Il insiste sur cette pensée, pour montrer que toutes ces merveilles sont l’œuvre de la puissance divine ; il veut ainsi réprimer l’arrogance de ceux qui se glorifient eux-mêmes. Chose admirable, dit-il, non seulement nous gardons ce trésor dans des vases d’argile, mais ; malgré tant de souffrances que nous endurons, tant de persécutions qui nous accablent, nous pouvons le défendre et nous ne le perdons point. Et ce serait encore un vase d’airain, qu’il ne suffirait pas à porter ce trésor, ni à résister à de telles attaques. Et cependant ce trésor, nous le portons, et la grâce de Dieu nous empêche d’éprouver rien de fâcheux. « Partout », dit-il, « nous avons des tribulations, et nous ne sommes point accablés ». Qu’est-ce à dire, « partout ? » C’est-à-dire, de la part de nos ennemis, de nos amis, de nos proches ; c’est-à-dire, par suite des besoins qui nous pressent de tous côtés, des dangers que nous suscitent nos parents comme nos ennemis. « Mais nous ne sommes point accablés ». Voyez comme il oppose les pensées aux pensées. « Nous sommes dans les tribulations », dit-il ; « mais nous ne sommes point accablés : nous sommes dans le dénuement, mais nous ne succombons point » ; c’est-à-dire, nous ne tombons pas en défaillance : Dieu ne permet pas que nous soyons vaincus, mais seulement que nous soyons éprouvés. « Nous sommes persécutés, mais nous ne sommes, pas délaissés ; nous sommes renverses, mais nous ne périssons point (9) ». Les tentations viennent fondre sur nous, mais nous ne subissons pas les conséquences ordinaires des tentations ; et c’est là un effet de la puissance, de Dieu et de sa grâce. Ailleurs l’apôtre dit que Dieu permet tout cela, soit pour affermir l’humilité dans, leurs cœurs, soit aussi pour assurer le bien des fidèles : « De peur que je ne m’enorgueillisse », dit-il, « un aiguillon m’a été donné ». (2Co 12,7) Et il dit encore : « De peur que l’on n’ait de moi une opinion plus haute que ce que l’on voit ou ce que l’on entend de moi ». Et ailleurs : « De peur que nous ne soyons pleins de confiance en nous-mêmes ». Ici il permet ces tentations, afin de faire éclater sa puissance. Voyez-vous combien les tentations sont avantageuses ? Elles montrent la puissance de Dieu, elles font voir l’efficacité, de sa grâce : « Ma grâce te suffit », dit le Seigneur. Elles affermissent l’humilité chez les uns, elles apaisent l’orgueil des autres et augmentent leur patience. « Car la patience », dit l’apôtre, « produit l’épreuve, et l’épreuve donne l’espérance ». (Rom 5,4) Quand on a couru de grands dangers, quand ensuite on en est sorti triomphant pour avoir mis en Dieu sa confiance, n’apprend-on point par là à s’attacher de plus en plus au Seigneur ? « Sans cesse nous portons dans notre corps la mortification de Jésus, afin que la vie de Jésus soit aussi manifestée dans notre corps (10) ». Quelle était donc cette mortification du Soigneur Jésus, qu’ils portaient dans leurs corps ? C’est qu’ils mouraient, pour ainsi dire, chaque jour, et prouvaient ainsi la résurrection du Sauveur. – Vous croyez que Jésus-Christ est mort, semblaient-ils dire, et vous ne croyez pas qu’il soit ressuscité, jetez les yeux sur nous qui mourons tous les jours, et qui chaque jour aussi ressuscitons ; alors vous croirez à la résurrection. Voilà donc encore une nouvelle cause des tentations : « Afin que », dit-il, « la vie de Jésus soit manifestée dans notre corps », en ce qu’il nous arrache au péril. Ainsi, ce qui semble être de la faiblesse, ce qui a l’air d’une défaillance, prêche la résurrection de Jésus-Christ. Le manque de tribulations manifesterait moins bien cette puissance de Jésus-Christ que ne la manifestent ces souffrances dont nous triomphons. « En effet, nous qui vivons, nous sommes livrés à la mort à cause de Jésus, afin que la vie de Jésus soit manifestée en nous, dans notre chair mortelle (11) ». C’est ainsi que procède ordinairement l’apôtre ; son langage d’abord obscur, s’éclaircit ensuite. Dans les paroles que nous venons de citer il expose plus nettement ce qu’il disait tout à l’heure. C’est pourquoi, dit-il, nous sommes livrés, c’est-à-dire, nous portons la mortification du Seigneur, afin que la puissance de sa vie se manifeste davantage. Car cette chair mortelle, accablée de tant de maux, il ne permet point qu’elle succombe. On peut encore entendre ce passage dans un autre sens. Quel est-il ? Celui qu’exprime ailleurs l’apôtre en disant : « Si nous mourons avec lui, nous vivrons avec lui ». (2Ti 2,11) Maintenant nous subissons la mort, comme il l’a subie lui-même, pour lui nous préférons la mort à la vie ; lui aussi, quand nous serons morts, il voudra nous ressusciter. Si nous sortons de cette vie, si nous mourons, lui, il nous prendra par la main pour nous tirer du tombeau et nous ramener à la vie. « Donc la mort opère en nous, mais la vie opère en vous (12) » : Ce n’est plus de la mort du corps qu’il s’agit, mais des tentations et du repos. Nous, dit-il, nous sommes sans cesse dans les périls et dans les tentations vous au contraire vous jouissez en paix de cette vie que procure le danger. Nous courons les dangers ; vous au contraire vous goûtez le bonheur ; il s’en faut bien que vous supportiez les mêmes épreuves que nous. – « Nous avons donc le même esprit de foi, comme il est écrit : J’ai cru, et c’est pourquoi j’ai parlé ; nous aussi nous croyons et c’est pourquoi nous parlons, sachant bien-que celui qui a « ressuscité Jésus – Christ, nous ressuscitera « aussi par Jésus-Christ (13, 14) ». Il a cité les paroles d’un psaume, plein d’une sublime philosophie, et bien propre à nous soutenir dans le danger. Le roi-prophète les prononça alors que les plus grands périls l’entouraient, et qu’il ne pouvait être délivré que par le secours du ciel. 2. Le rapprochement de circonstances analogues est de nature à procurer de grandes consolations. C’est pourquoi saint Paul a dit : « Nous avons le même esprit », ce qui signifie Le secours qui sauva David, nous sauve nous-même ; l’Esprit qui lui inspira ce psaume, est celui qui nous inspire nous-même. Ne montre-t-il point par là qu’il y a un merveilleux accord entre le Nouveau et l’Ancien Testament, que c’est le même Esprit qui opère dans tous les deux, que nous ne sommes pas les seuls à souffrir, mais que les anciens ont souffert comme nous ; qu’il faut nous appuyer sur la foi et l’espérance, et ne pas demander une prompte délivrance de nos maux. Après avoir montré la résurrection et la vie, après avoir fait voir que les périls ne sont nullement une preuve de faiblesse et de défaillance, il parle de la foi, et c’est à elle qu’il confie toutes choses. Cette foi, il l’appuie sur la résurrection de Jésus-Christ, en disant : « Nous croyons et c’est, pourquoi nous parlons ». Que croyons-nous, dites-moi ? Nous croyons « que celui qui a ressuscité Jésus-Christ ; nous ressuscitera nous-même et nous affermira avec vous. Car tout se fait à cause de vous, afin que, la grâce étant abondante, tous rendent grâce à Dieu pour sa gloire (15) ». Il élève leurs âmes, afin qu’ils ne croient point devoir leur conversion à des hommes, c’est-à-dire, à de faux apôtres. Tout est l’œuvre de Dieu, qui veut se montrer généreux à l’égard d’un grand nombre pour faire apparaître toute la puissance de sa grâce. C’est pour vous que Jésus-Christ est ressuscité, c’est pour vous que ses miracles ont eu lieu. Ce qu’il a fait, il ne l’a pas fait pour un seul homme, mais pour tous les hommes. « C’est pourquoi nous ne succombons point ; mais si l’homme extérieur chez nous se corrompt, l’homme intérieur se renouvelle de jour en jour (16) ». Comment l’homme extérieur se corrompt-il ? Quand on le frappe de verges, quand on le tourmente, quand on l’accable de maux. « Mais l’homme intérieur se renouvelle de jour en jour ». Et comment se renouvelle-t-il ? Par la foi, par l’espérance, par la ferveur de l’âme. Il faut donc se montrer intrépide en face du danger. Plus le corps est tourmenté, plus aussi l’âme conçoit d’espérance, plus elle a de splendeur, semblable à l’or éprouvé par le feu. Voyez comme il fait disparaître les afflictions de la vie présente ! « Ces tribulations si légères, ces tribulations d’un moment, produisent en nous un poids éternel, excessif de gloire, si nous portons nos regards non sur les choses qui se voient, mais sur celles qui ne se voient pas (17, 18) ». Tout se ramène donc à l’espérance ; déjà dans l’épître aux Romains il disait : « C’est par l’espérance que nous avons été sauvés ; or l’espérance de ce que l’on voit n’est pas une espérance ». (Rom 8,24) C’est la même pensée qu’il exprime ici, quand il compare le présent à l’avenir, les biens éphémères avec les biens éternels, des avantages si minces avec d’autres si considérables, la tribulation avec la gloire. Mais il ne s’en tient pas là, il ajoute une expression qu’il répète pour lui donner plus de force : « excessif jusqu’à l’excès ». Ensuite il fait voir comment de telles afflictions deviennent légères. Et qu’est-ce donc qui les allège ? « C’est que nous portons nos regards, non sur des choses qui se voient, mais sur celles qui ne se voient pas ». C’est ainsi que les maux présents nous deviendront légers, et les biens futurs, immenses, si nous nous détournons des choses visibles : « Car ce que l’on voit ne dure qu’un instant ». Ce que l’on voit, ce sont les afflictions. « Mais ce que l’on ne voit pas est éternel ». Or les célestes couronnes sont invisibles. L’apôtre ne dit pas : telles sont les tribulations, mais « ce qui se voit », qu’il s’agisse des supplices ou du repos. Il ne faut donc ni se laisser amollir par le repos, ni se laisser abattre par les tribulations. En parlant des biens futurs, il ne dit pas non plus : Le royaume des cieux est éternel ; mais, « ce qui ne se voit pas est éternel », qu’il s’agisse du royaume des cieux ou des châtiments. Il faut donc trembler à la pensée des châtiments, et aspirer à la récompense. Oui, puisque les biens qui se voient sont éphémères, puisque ceux qui ne se voient pas sont éternels, portons nos regards vers ceux-ci. Serions-nous excusables de donner aux premiers la préférence ? Le présent peut être agréable, mais il passe ; les peines qui succèdent à ces jouissances ne finiront jamais, ne seront jamais adoucies. Et comment Dieu ferait-il grâce à ces hommes qui, après avoir reçu le Saint-Esprit et ses dons ineffables, s’appliquent aux choses de ce inonde et se laissent tomber à terre ? J’entends trop souvent prononcer ces ridicules paroles : Donnez-moi la journée présente, et prenez pour vous celle du lendemain. S’il y a une vie future, comme vous le dites, ce sera donner un pour un ; s’il en est autrement, ce sera donner deux pour rien. Quoi de plus criminel, quoi de plus insensé que ce langage ? Il s’agit du ciel etde ses biens infinis : et vous citez des paroles qui se crient dans les cirques, et vous ne vous voilez pas le visage, et vous ne rougissez pas de ressembler aux fous qui les prononcent ? Quoi ! vous ne rougissez pas d’être cloués, pour ainsi dire, aux choses de la terre ! Vous ne sortirez pas de cette démence, de cet égarement, vous ne cesserez pas de délirer, comme des enfants ! Que les gentils parlent de là sorte, je ne m’en étonne point ; mais de la part des chrétiens, est-ce excusable ? Vous révoquez donc en doute ces immortelles espérances ? Vous les tenez donc pour incertaines ? Encore une fois êtes-vous excusables ? – Mais, dites-vous, qui est venu de l’autre monde nous dire ce qui s’y passe ? – Ah ! Ce n’est pas un homme, vous répondrai-je ; c’est Dieu lui-même, dont vous ne pouvez récuser le témoignage ; oui, c’est Dieu qui vous a révélé toutes ces choses. – Mais vous ne les voyez pas ! – Et Dieu, le voyez-vous ? Quoi donc, nierez-vous son existence, sous prétexte que vous ne le voyez pas ? – Certes, répliquez-vous, je crois bien que Dieu existe. 3. Un infidèle vous demande : qui donc est venu du ciel vous annoncer cette vie future ? Que lui direz-vous ? – D’où savez-vous que Dieu existe ? – L’ordre visible de cette création, l’univers lui-même, le consentement général nous le disent assez. – Je vous tiendrai le même langage au sujet du jugement. – Comment cela?-. le vous interrogerai et vous répondrez. – Dieu est-il juste, et rend-il à chacun selon son mérite ? Ou bien au contraire veut-il que les méchants soient dans le, bonheur et lus délices, et que les bons soient malheureux ? – Non certes, direz-vous ; les hommes mêmes ne le souffriraient pas. – Mais ceux qui souffrent ici-bas, où trouveront-ils le bonheur ? Où les méchants souffriront-ils, s’il n’y a pas ensuite une autre vie où chacun recevra selon ses œuvres ? Voyez-vous que c’est un pour un, et non pas deux pour un ? Je vais plus loin, et je prétends vous montrer que les méchants n’auront pas même un pour un, que les justes auront deux pour un. Ceux qui pendant la vie, se sont plongés dans les délices, n’ont pas même reçu un, pour uni ceux au contraire qui ont pratiqué la vertu, ont reçu deux pour, un. – Quels sont ceux qui ont goûté le repos pendant la vie ? Sont-ce ceux qui ont abusé du temps présent ou ceux qui se sont conduits avec sagesse ? – Les premiers, dites-vous ; moi, je vous dis que ce sont les derniers, et j’en atteste ceux-mêmes qui ont joui des biens présents, et ils n’auront rien à répliquer à ce que je vais dire. Que de fois n’ont-ils pas maudit leurs fiancées, et le jour où s’est ouverte la chambre nuptiale ? Que de fois n’ont-ils pas envié le bonheur de ceux qui ne se sont point mariés ! Que de jeunes gens, libres de se marier, n’ont pu s’y résoudre, à la pensée des embarras de cet état de vie ! Je n’entends point par là décrier le mariage, (il est honorable), je ne fais que blâmer ceux qui en abusent. Si la vie des hommes mariés semble parfois insupportable, que dirons-nous de ceux qui se précipitent dans le gouffre de l’adultère ? Est-il un esclave plus malheureux ? Que dirons-nous de ceux qui se corrompent dans legs délices, et y contractent toutes sortes de maladies ? – Mais la gloire a glu moins des charmes. – Rien de plus amer qu’une telle servitude. L’homme, avide de gloire, se fait esclave, rampe jusqu’à terre pour plaire à tout le monde. Quiconque au contraire la foule aux pieds, quiconque méprise cette gloire qui vient des hommes, est au-dessus des autres. – Mais les richesses sont désirables. – N’avons-nous pas démontré bien des fois que moins on a de richesses ; plus on est riche et tranquille. – Il y a du plaisir à s’enivrer. – Non, vous ne pouvez tenir ce langage. – Si donc la pauvreté vaut mieux que les richesses, si le célibat est préférable au mariage ; si l’obscurité vaut mieux que la gloire, la privation mieux que les délices, on peut dire que les hommes détachés des choses de ce monde possèdent plus que les autres. Je n’ai rien dit encore de l’espérance qui soutient l’homme affligé, même au milieu des plus vives souffrances, de cette crainte de l’avenir qui trouble le plaisir, même au sein des plus abondantes jouissances. N’est-ce pas là un terrible châtiment, et d’autre part, n’est-ce pas là aussi une source féconde de bonheur et de repos ? Mais ce n’est pas tout. – Qu’y a-t-il donc encore ? Les délices de la vie n’ont rien de réel, pas même au moment où on les goûte ; leur nature et leur fragilité le montrent assez ; les biens qui viennent de l’affliction, non seulement sont de vrais biens, mais ils demeurent inébranlables. – Vous le voyez donc, ce n’est pas deux pour rien, mais trois, cinq, dix, vingt, mille pour rien, qu’il faut dire. Un exemple le vous fera comprendre. Le mauvais riche et Lazare crut joui, l’un du présent ; l’autre de l’avenir. Est-ce la même chose, je vous le demande, que d’être éternellement tourmenté, et de souffrir quelques instants la faim ? De souffrir dans un corps mortel, et d’endurer sans pouvoir mourir le cruel supplice du feu ? Ne verrez-vous point de différence entre ces couronnes, ces jouissances, éternelles récompenses d’une courte maladie, et ces supplices, ces tourments éternels, conséquence de quelques instants de plaisir ? Est-ce la même chose ? qui oserait le dire ? Comparez ces deux états, quant à la quantité, quant à la qualité, voyez l’estime, que Dieu fait de l’un et de l’autre, le jugement qu’il porte sur l’un et, sur l’autre. Jusques à quand tiendrez-vous un langage digne de ces insectes qui se roulent dans la poussière ? Est-ce ainsi que doivent parler des hommes raisonnables ? Convient-il de sacrifier une âme si précieuse pour un si vil plaisir, quand il faudrait au contraire gagner le ciel au prix de quelques fatigues ? Voulez-vous une autre preuve du jugement terrible qui se fera au dernier jour ? Ouvrez la porte de votre conscience, et voyez ce juge qui siège au dedans de votre âme. Malgré l’amour que vous avez pour vous-mêmes, vous vous condamnez, et vous n’oseriez point porter sur vous-mêmes une injuste sentence. Pensez-vous que Dieu se préoccupe moins de la justice, qu’il ne prononcera pas, lui aussi, sur tous une sentence équitable, croyez-vous que cette sentence doive être prononcée au hasard et sans fondement ? qui oserait le dire ? personne – assurément. Tous, grecs et barbares, poètes et philosophes, le genre humain tout entier est en cela d’accord avec nous, chacun à sa manière ; et tous mettent des tribunaux dans les enfers, tant c’est chose manifeste et reconnue ! – Et pourquoi, demandez-vous, Dieu ne punit-il pas dès ce monde ? C’est pour montrer sa générosité, pour nous laisser le temps du repentir qui doit nous sauver, pour ne pas causer la ruine du genre humain, pour ne point priver du bonheur éternel ceux qui, par un changement complet de vie peuvent encore opérer leur salut. S’il punissait aussitôt après le péché, s’il frappait de mort sur-le-champ, comment Paul eût-il été sauvé ? Comment Pierre, comment les apôtres, ces docteurs des nations eussent-ils été sauvés ? Comment David eût-il gagné le ciel par sa pénitence ? Et les Galates ? et tant d’autres ? Voilà pourquoi le Seigneur ne fait pas toujours éclater sa vengeance en cette vie. C’est le petit nombre seulement qu’il punit ici-bas. Tous ne sont point punis dans l’autre inonde : les uns reçoivent leur châtiment sur la terre, les autres après la mort. Il veut, par les châtiments qu’il inflige, dès cette vie, ranimer les plus opiniâtres ; en laissant les autres impunis, il veut fixer notre attention sur les châtiments de la vie future. D’ailleurs n’en voyez-vous pas un grand nombre punis même ici-bas ; ceux par exemple qu’une tour écrasa dans sa chuté, ceux dont le sang fut mêlé par Pilate au sang des victimes ; ces Corinthiens qui moururent avant le temps pour avoir profané les saints mystères, ce Pharaon, ces Juifs, massacrés par les barbares, une multitude d’autres alors, maintenant et toujours ? D’autres aussi, coupables des plus grands crimes, sont morts sans avoir été châtiés durant leur vie, comme ce riche du temps de Lazare, comme beaucoup d’autres encore. 4. Dieu agit de la sorte pour, exciter ceux qui ne croient pas à la vie future, pour rendre plus actifs ceux qui y croient et qui s’engourdissent. Dieu en effet est un juge plein de justice, de force et de générosité, et il ne fait pas chaque jour éclater sa colère ; mais si nous abusons de sa longanimité, le, temps viendra où elle ne se fera plus sentir même, un seul instant, où la justice se hâtera d’accourir. Ces délices d’un instant, (et cette vie n’est qu’un instant) que nous voulons goûter, prenons-y garde, nous vaudront, une éternité de supplices. Ah ! travaillons plutôt quelque temps, afin de mériter des couronnes immortelles. Eh ! dans les affairés de ce monde, ne voyez-vous pas la plupart des hommes entreprendre des travaux de peu de durée pour s’assurer un long repos ? Souvent il leur arrive tout le contraire de ce qu’ils espéraient, car ici-bas la peine et le gain sont équivalents ; souvent même la peine est immense et le résultat bien faible. Il en est tout autrement du rythme des cieux : la peine est peu de chose, et la joie qui en résulte est infinie. Examinez en effet : le laboureur travaille toute l’année, et à la fin il voit tomber toutes ses espérances. Le pilote et le soldat passent toute leur vie dans les guerres et dans les fatigues et que de fois l’un perd le produit de ses marchandises, et l’autre la vie dans son triomphe ! Sommes-nous excusables ; je vous le demande ? Voilà que dans les choses de la vie nous préférons le travail au repos, afin de nous préparer quelques jouissances, toujours bien minces, si encore nous les obtenons, (car elles sont incertaines) ; et quand il s’agit de la vie spirituelle, nous faisons tout le contraire, nous aimons mieux nous reposer lâchement et nous attirer ainsi des châtiments inexprimables. Ah ! je vous en conjure, sortez enfin de cette torpeur ! Vous n’aurez, pour vous arracher à ces horribles supplices, ni frère, ni père, ni enfant, ni ami, ni voisin, ni personne. Si nos œuvres nous trahissent ; c’en est fait de nous, nous sommes perdus. Que de gémissements poussa le mauvais riche ! comme il supplia le patriarche de lui envoyer Lazare ! Mais entendez la réponse d’Abraham : « il y a un immense chaos entre vous et nous ; et quand même on le voudrait, on ne pourrait aller jusqu’à vous ». (Luc 16,26) Que de prières les vierges folles n’adressèrent-elles pas à leurs compagnes, pour obtenir d’elles un peu d’huile ! Mais écoutez ce qu’on leur répond : « Peut-être notre huile ne suffirait-elle pas pour nous et pour vous ». (Mat 25,9) Et personne ne put les introduire dans la chambre nuptiale. Pénétrons-nous bien de ces pensées ; et prenons soin de notre conduite. Imaginez – les travaux les plus pénibles, les tourments les plus épouvantables ! Qu’est-ce que cela en comparaison des biens futurs ? D’autre part, le feu, le fer, les bêtes féroces, les supplices les plus cruels ne sont pas même l’ombre des supplices de l’enfer. Malgré leur violence en effet, les premiers sont moins terribles parce, qu’ils ne durent qu’un instant : le corps ne peut résister longtemps, à une douleur excessive. Dans l’autre monde il en est tout autrement : la durée se trouve jointe à l’intensité, aussi bien dans la joie que dans la douleur. Donc, pendant qu’il en est temps encore, prévenons le visage du Seigneur par l’aveu de nos fautes, afin qu’il se montre à nous plein de douceur et de bonté, et que nous puissions échapper à ces puissances terribles et menaçantes. N’apercevez-vous point ces farouches licteurs ? Ne les voyez-vous point exécuter les ordres de leurs chefs, entraîner les pécheurs, les enchaîner, les accabler de coups, les percer de leurs glaives, leur brûler les flancs avec des torches, les déchirer ? Mais ce n’est là qu’un jeu, qu’une dérision en comparaison des tourments de l’enfer. Tout cela passe en effet : mais en enfer le ver ne meut point, le feu ne s’éteint point, le corps n’est plus sujet à la corruption. Ah ! nous préserve le Seigneur d’en faire l’expérience ! Puissent les menaces seules nous faire trembler, sans que nous soyons livrés aux bourreaux ! Qu’il serait préférable pour nous d’être châtiés ici-bas ! Que de paroles nous répandrions dans les enfers, en nous accusant nous-mêmes ! Que de gémissement, que de sanglots nous pousserions ! Mais à quoi tout cela nous servirait-il ? A quoi servent les gémissements au pilote, quand son navire brisé s’est abîmé dans les flots ? A quoi servent-ils au médecin, quand le malade est mort ? Ils ne cesseront de répéter qu’il fallait faire ceci et cela, paroles inutiles et inefficaces ! Tant que l’on peut espérer de se sauver par la réforme de sa vie et de ses mœurs, paroles et actions, tout peut servir ; mais quand il ne nous reste plus rien, quand tout est perdu, en vain parlerons-nous, en vain agirons-nous. Les Juifs diront alors : « Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur ! » (Jon 12,13) Mais ces paroles n’auront point pour effet de les soustraire aux châtiments. Ils ne les ont point prononcées, quand il fallait les prononcer. Épargnons-nous un pareil sort. Hâtions-nous de changer de vie, afin de nous présenter avec confiance au tribunal du Christ. Cette confiance, puissions-nous l’obtenir par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec qui gloire soit au Père et à l’Esprit-Saint, etc. HOMÉLIES SUR CE TEXTE PARCE QUE NOUS AVONS UN MÊME ESPRIT DE FOI.
AVERTISSEMENT.
On a formé quelques doutes sur les trois homélies qui expliquent ces paroles de saint Paul aux Corinthiens : Parce que nous avons un même esprit de foi. La première raison de douter si ces trois homélies sont de saint Jean Chrysostome, c’est que dans la première, l’auteur, en parlant du commencement de la foi, s’exprime d’une manière qui semble favoriser le semi-pélagianisme. Ni Dieu, dit-il, ni la grâce du Saint-Esprit ne préviennent notre dessein, et quoique Dieu nous ait appelés, il attend néanmoins que nous approchions librement de notre propre volonté, et, lorsque nous nous sommes approchés, il nous donne tout son secours. La seconde raison, c’est qu’au commencement de la troisième homélie, l’auteur compte cinq cents ans depuis saint Paul ce qui marque un auteur plus récent que saint Chrysostome. Mais ne sait-on pas que ce Père ayant vécu avant les controverses sur la grâce, a moins ménagé les expressions que s’il eût vécu depuis ? D’ailleurs, on trouve dans ses écrits les plus assurés divers endroits où le saint évêque déclare que le secours de la grâce est nécessaire pour le commencement de la foi. A l’égard de l’anachronisme qui se trouve dans la troisième homélie, outre que les chiffres ont pu être corrompus, on voit, par plusieurs autres endroits, en particulier par le cinquième discours centre les Juifs, que saint Chrysostome n’était point exact dans la chronologie, puisqu’il y compte quatre cents ans depuis la dernière ruine de Jérusalem fautes qui sont pardonnables dans un auteur qui discourait souvent sans préparation. Au reste, pour péri qu’on soit accoutumé à la lecture de ses écrits, on reconnaîtra aisément son style et toutes ses façons de parler dans ces trois homélies. Il les prononça à Antioche, comme on le voit par ce qu’il dit de la vie austère des moines qui se retiraient sur les montagnes. (Dom Remy Ceillier) PREMIÈRE HOMÉLIE. Sur ces paroles de l’Apôtre : « Parce que nous avons un même esprit de foi, selon qu’il est écrit (2Co 4,13) ; et sur ces mots : J’ai cru ; c’est pourquoi j’ai parlé (Psa 118,10) ; et sur l’aumône. »
ANALYSE.
1. Lorsque les médecins sont obligés d’employer le fer, ils ne le font pas sans compatir à la douleur qu’ils causent à leurs malades ; saint Paul, obligé de corriger les Corinthiens, éprouve de la peine en songeant à c Ile qu’il leur cause. – 2 Faiblesse naturelle à la raison raffermie par la fonte de la foi. – 3. Imbécillité de la philosophie séparée de la foi. – 4. Le mot foi a deux significations dans les Écritures : il signifie cette vertu par laquelle les apôtres opéraient des miracles, il signifie encore ce qui conduit à la connaissance de Dieu. – 5. Dans ce chapitre, saint Chrysostome parle de la grâce d’une manière qui parait favoriser ! e semi-pélagianisme. – 6. Les bonnes œuvres font demeurer en nous l’Esprit-Saint. La virginité a besoin d’être unie à la charité. – 7. Dieu a particulièrement à cœur le précepte de la charité. – 8-10. Exhortation à la pratique de l’aumône. 1. Quand les habiles médecins voient qu’une plaie a besoin du fer, ils pratiquent des incisions, mais ils ne le font point sans peine ni pitié. Ils souffrent et se réjouissent autant que leurs malades. Ils souffrent de la douleur qu’ils causent dans l’opération, et se réjouissent à la pensée qu’ils rendent ainsi la santé à ceux qui l’avaient perdue. C’est aussi ce que fit Paul, ce sage médecin des âmes. Les Corinthiens eurent un jour besoin d’un blâme sévère, il les blâma, et se réjouit en s’affligeant. Il s’affligeait de la peine qu’il leur causait, et se réjouissait du bien que produisaient ses paroles. Ce sont ces deux sentiments qu’il exprime en disant : Car encore que je vous aie attristés par ma lettre, je n’en suis plus fâché, quoique je l’aie été auparavant. (2Co 7,8) Pourquoi en avais-je été fâché, pourquoi n’en suis-je plus fâché-? j’étais fâché de vous avoir si sévèrement blâmés : je n’en suis plus fâché parce que j’ai corrigé votre erreur. Et pour vous convaincre qu’il en était bien ainsi, écoutez la suite : C’est que je voyais qu’elle vous avait attristés pour un peu de temps ; mais maintenant j’ai de la joie, non de ce que vous avez été contristés, mais de ce que votre tristesse vous a portés à la pénitence. (Id. 9) Je vous ai attristés pour un moment, votre chagrin n’a point été de longue durée, et le bien que vous en avez retiré ne passera point. Permettez à l’amour que j’ai pour vous d’employer les mêmes paroles. Si je vous ai attristés dans ma précédente instruction, je n’en suis point fâché, quoique j’en fusse fâché auparavant. Car je vois que cette instruction et mes conseils, en vous attristant pour un moment, m’ont causé une grande joie, non de ce que vous avez été contristés, mais de ce que votre tristesse vous a portés à la pénitence. Voyez ! pour avoir été attristés selon Dieu ; quel zèle en vous aujourd’hui ! une assemblée plus belle, ce théâtre spirituel plus brillant, la réunion de nos frères plus nombreuse ! Ce zèle est le fruit de votre tristesse. C’est pourquoi, autant je souffrais alors, autant je me réjouis aujourd’hui, que je vois notre vigne spirituelle couverte de fruits. Si dans les festins matériels, il y a plus d’honneur et de plaisir pour l’hôte à mesure qu’il y a plus de convives, à plus forte raison en doit-il être ainsi dans ces festins spirituels. Dans les premiers, toutefois, un plus grand nombre d’invités consomme plus de mets ; et cause plus de dépense ; dans les autres, au contraire, un plus grand nombre d’invités, au lieu d’épuiser les tables, y amène l’abondance. Et, si dans les uns on trouve plaisir à dépenser, n’en trouvera-t-on pas davantage dans les autres à gagner, et à s’enrichir ? Car telle est la nature des biens spirituels ; plus on en distribue, plus ils s’augmentent. Et puisque je vois notre table pleine, j’espère que la grâce du Saint-Esprit aura un écho dans nos âmes. Car plus il y a de convives, plus la table est abondamment servie ; ce n’est point que Dieu dédaigne le petit nombre, c’est qu’il désire le salut de beaucoup d’hommes. C’est pourquoi, tandis que Paul ne faisait que traverser les autres villes, le Christ lui apparut et lui ordonna de séjourner à Corinthe, disant : Ne crains point ; parle sans te taire, car j’ai dans cette ville un grand peuple. (Act 18,9, 10) En effet, si pour une brebis le berger parcourt les montagnes, les bois, les lieux inaccessibles, comment ne prendrait-il pas plus de peine encore quand il faut arracher un grand nombre de brebis à l’indifférence et à l’erreur ? Et pour vous assurer que Dieu ne méprise point le petit nombre, écoutez Jésus : Ce n’est point la volonté de mon Père qu’aucun de ces petits périsse, Ni le petit nombre, ni l’intimité ne peuvent faire qu’il néglige notre salut. 2. Puisque la Providence prend tant de soin, des petits et du petit nombre, tant de soin du grand nombre, confions-nous entièrement à ce secours, et examinons les paroles de Paul que je viens de vous lire. Nous savons, dit-il, que si cette maison de terre où nous habitons vient à se dissoudre. (2Co 5,1) Mais remontons plus haut, au principe même de cette pensée. Comme ceux qui cherchent une source, s’ils trouvent un terrain humide, ne se contentent pas de remuer la terre à la surface, mais suivent la veine et pénètrent plus avant, jusqu’à ce qu’ils aient trouvé la source même des eaux, ainsi ferons-nous. Nous avons trouvé la fontaine spirituelle qui découle de la sagesse de Paul : suivons la veine et remontons à la source même de la pensée. Quelle est cette source ? Mais parce que nous avons le même esprit de foi, selon qu’il est écrit : J’ai cru, c’est pourquoi j’ai parlé ; et nous aussi, nous croyons, et c’est pourquoi nous parlons. Que dites-vous ? si l’on ne croit, l’on ne parle point, on reste muet ? Oui, répond l’Apôtre. Je ne puis sans la foi ouvrir la bouche, ni remuer la langue, ni desserrer les lèvres. Malgré la raison dont je suis doué, je reste muet si la foi ne me dicte mes paroles. De même que si l’arbre n’a point de racines, il ne porte point de fruit, de même sans le fondement de la foi, la parole, de la doctrine demeure stérile. C’est pourquoi il dit ailleurs : Il faut croire de cœur pour obtenir la justice et confesser la foi par ses paroles pour obtenir le salut. (Rom 10,10) Qu’y a-t-il de préférable ou de comparable à cet arbre dont la racine, aussi bien que les rameaux, porte son fruit ? car de la racine vient la justice, des rameaux le salut. C’est pourquoi il dit : Nous croyons, et c’est pourquoi nous parlons. De même qu’un corps tremblant et affaibli par la vieillesse, s’il s’appuie sur un bâton qui affermisse ses pas, ne peut chanceler ni tomber ; ainsi notre âme, chancelante et défaillante par la faiblesse de la raison, en s’étayant de la foi, le plus sûr de tous les appuis, acquiert assez de force pour ne jamais tomber, parce qu’il y a dans la foi une surabondance de force qui compense l’imbécillité de la raison. La foi dissipe les ténèbres dont l’âme est entourée, dans l’obscure demeure qu’elle habite au milieu des troubles de la raison, et l’éclaire de sa propre lumière. Aussi ceux qui en sont privés, semblables aux infortunés qui vivent dans les ténèbres, qui se heurtent aux murs et à tous les obstacles, se laissent choir dans les fossés et les précipices, et ne peuvent se servir de leurs yeux que la lumière n’éclaire point, ceux qui sont privés de la foi se heurtent les uns aux autres, se choquent aux murailles, et se précipitent enfin dans quelque gouffre où ils trouvent la mort. 3. Témoins ceux qui s’enorgueillissent de la sagesse profane, qui se font gloire de leur longue barbe, de leurs haillons et de leur bâton. Après de longs et d’interminables raisonnements, ils ne voient point les pierres qui sont devant leurs pieds ; car s’ils les voyaient, ils ne les prendraient pas pour des dieux. Ils se heurtent les uns aux autres, se plongent dans le gouffre sans fond de l’impiété, uniquement parce qu’ils se confient tout entiers à leurs raisonnements. C’est ce que fait entendre Paul quand il dit : Ils se sont égarés dans leurs vains raisonnements, et leur cœur insensé a été rempli de ténèbres ; ainsi ils sont devenus fous en s’attribuant le nom de sages. (Rom 1,21, 22) Ensuite, pour faire voir leur aveuglement et leur folie, il ajoute : Ils ont transféré l’honneur qui n’est dû qu’au Dieu incorruptible à l’image d’un homme corruptible, à des figures d’oiseaux, de quadrupèdes et de serpents. (Id 23) Toutes ces ténèbres, la foi les dissipe en pénétrant dans l’âme qui la reçoit. Ainsi qu’un vaisseau que ballottait la tempête et qu’inondaient les vagues, quand on jette l’ancre, reste ferme, et prend, pour ainsi dire, racine au milieu de la mer ; notre âme, bouleversée parles pensées profanes, quand elle s’attache à la foi, la plus ferme de toutes les ancres, se sauve du naufrage et trouve un abri tranquille dans la certitude de sa conscience. C’est ce que nous fait entendre Paul par ces paroles : Dieu nous a donné des apôtres, afin qu’ils travaillent à la perfection des saints, jusqu’à ce que nous parvenions tous à l’unité d’une même foi et d’une même connaissance du Fils de Dieu, et que nous ne soyons plies comme des insensés flottant à tous les vents des opinions. (Eph 4,11-14) Vous voyez la vertu de la foi ; comme une ancre solide, elle nous affermit dans la tempête. C’est ce que Paul écrit encore aux Hébreux : C’est pour notre âme comme une ancre ferme et assurée, qui pénètre jusqu’au sanctuaire qui est ait dedans du voile. (Heb 6,19) Et ne croyez pas que cette ancre vous attache à la terre ! l’Apôtre parle d’une ancre toute nouvelle, qui au lieu de vous retenir ici-bas, élève votre âme, la porte au ciel, et la fait entrer dans le sanctuaire que cache le voile ; car c’est le ciel qu’il appelle de ce nom. Comment et pourquoi ? c’est que de même que le voile se parait de l’extérieur du tabernacle le Saint des saints, ainsi le ciel, jeté comme un voile au milieu de la création, sépare de l’extérieur du tabernacle, c’est-à-dire du monde visible, le Saint des saints, le monde céleste placé au-dessus de lui, et où le Christ nous a précédés pour nous en ouvrir les voies. 4. Voici le sens de ses paroles : La foi, dit-il, élève notre âme au ciel, ne la laissant accabler par aucun des maux présents et soulageant ses misères par l’espérance de l’avenir. Car celui qui regarde l’avenir, qui vit dans l’espoir du ciel, et dirige là-haut les yeux de l’âme, ne sent même pas les maux présents, que Paul ne sentait point. Et il nous indique les causes de sa philosophie : Le moment si court et si léger des afflictions que nous souffrons en cette vie produit en nous le poids éternel d’une souveraine et incomparable gloire. Comment et de quelle manière ? Si nous ne considérons pas les choses visibles, mais les invisibles. (2Co 4,17-18) Et cela, avec les yeux de la foi. Car, de même que les yeux du corps ne voient point ce qui est intelligible, de même les yeux de la foi ne voient point ce qui est sensible. Mais de quelle foi parle Paul ? Car le mot foi a deux significations. Il appelle foi cette vertu par laquelle les apôtres opéraient des miracles, et dont le Christ disait : Si vous aviez de la foi comme un grain de sénevé, vous diriez à cette montagne : transporte-toi, et elle se transporterait. (Mat 17,19) tin jour que les disciples ne pouvaient délivrer du démon un possédé, et qu’ils voulaient savoir la cause de leur impuissance, il leur fit entendre que la foi leur manquait : C’est à cause de votre incrédulité. C’est encore de cette foi que parlait Paul, quand il disait : Si j’ai la foi qui transporte les montagnes. (1Co 13,2) Et quand Pierre, marchant sur la mer, se crut en danger d’être englouti, le Christ lui adressa le même reproche : Homme de peu de foi, pourquoi as-tu douté ? (Mat 14,31) On appelle donc foi cette vertu qui produit les miracles et les prodiges. On appelle encore foi ce qui nous conduit à la connaissance de Dieu et qui fait de chacun de nous des fidèles : c’est dans ce sens qu’il dit aux Romains : Je rends grâces à mon Dieu par Jésus-Christ de ce que votre foi est annoncée dans tout l’univers. (Rom 1,8) Et aux Thessaloniciens : non seulement vous êtes cause que la parole du Seigneur s’est répandue dans la Macédoine et dans l’Achaïe, mais même la foi que voies avez en Dieu est devenue célèbre partout. (1Th 1,8) De quelle foi parle-t-il en cet endroit ? C’est évidemment de la foi de connaissance ; la suite le prouve : Nous croyons, dit-il, et c’est pourquoi nous parlons. Que croyons-nous ? Que celui qui a ressuscité le Christ, nous ressuscitera nous-mêmes par sa vertu. (2Co 4,14) Mais pourquoi l’appelle-t-il esprit de foi et la compte-t-il au nombre des grâces ? En effet, si la foi est une grâce, un don du Saint-Esprit, si elle n’est point notre conquête, les incrédules ne seront as punis, ni les fidèles récompensés. Car, telle est la nature des grâces, qu’elles ne sont suivies, ni de récompenses, ni de punitions. Un don n’est point un mérite chez celui qui le reçoit, c’est un effet de la munificence de celui qui le donne. C’est pourquoi Jésus défendit à ses disciples de se réjouir du pouvoir qu’ils avaient dé chasser les démons, et beaucoup d’entre ceux qui avaient prophétisé en son nom et fait de grands miracles furent exclus par lui du royaume des cieux, parce qu’ils ne se sentaient aucun mérite propre et voulaient se sauver par les dons qu’ils avaient reçus. 5. Mais si la nature de la foi est telle que nous n’en devions rien à nous-mêmes, que nous la tenions tout entière de la grâce du Saint-Esprit, si c’est d’elle-même qu’elle entre en nos âmes, si elle ne nous doit procurer aucune récompense, pourquoi l’Apôtre a-t-il dit : Il faut croire de cœur pour obtenir la justice et confesser la foi par ses paroles pour obtenir le salut ? (Rom. X, 10) C’est que chez l’homme qui croit, la foi devient un mérite de sa vertu. Paul le ferait-il entendre ailleurs par ces paroles : La foi d’un homme qui, sans faire des œuvres, croit en celui qui justifie le pécheur, lui est imputée à justice (Rom 4,5), si tout dans la foi nous venait de la grâce du Saint-Esprit ? Pourquoi, à cause de cette même foi, comblerait-il de louanges le patriarche Abraham, qui, méprisant le présent, eut la foi et espéra contre toute espérance ? Pourquoi donc dit-il l’Esprit de foi ? Pour marquer que notre premier pas dans la foi dépend de notre bonne volonté, de notre docilité à la voix de Dieu ; mais que, quand la foi est entrée en nos, âmes, nous avons besoin du secours du Saint-Esprit pour la garder ferme et inébranlable. Car, ni Dieu, ni la grâce du Saint-Esprit ne préviennent notre volonté ; Dieu, il est vrai, nous appelle, mais il attend que nous venions librement et de notre gré, et quand nous sommes venus, il nous prête tout son secours ▼. Comme, en effet, le démon, dès que nous nous sommes rendus à la foi, se glisse en nos âmes pour en arracher cette précieuse semence et y répandre l’ivraie afin d’étouffer le bon grain, nous avons alors besoin du secours du Saint-Esprit, qui, semblable à un laboureur actif s’établit en nos cœurs et par ses soins prévoyants, protège contre toutes les atteintes la Plante naissante de la foi. Aussi Paul écrivait-il aux Thessaloniciens : N’éteignez pas l’Esprit (1Th 5,19), leur montrant ainsi qu’avec la grâce de l’Esprit-Saint ils seraient désormais invincibles au démon et à l’abri de ses pièges. Car, si personne ne peut dire Seigneur Jésus si ce n’est en l’Esprit-Saint, à plus [; orle raison ne pourra-t-il avoir sans lui une foi ferme et assurée. 6. Mais comment nous attirer le secours de l’Esprit-Saint et le persuader de rester en nous Par les bonnes œuvres et l’honnêteté de notre vie. De même que la lumière de la lampe se conserve par l’huile, et que, l’huile épuisée, la lumière s’éteint, de même la grâce du Saint-Esprit, tant que nous faisons de bonnes œuvres et que nous répandons sur nos âmes la céleste rosée de l’aumône, reste en nous comme la flamme que conserve l’huile. Mais sans ces pratiques elle nous quitte et se retire de nous. C’est ce qui arriva aux cinq vierges. Après beaucoup de fatigues et de sueurs, privées du secours qu’assure à l’homme la charité, elles ne purent conserver la grâce de l’Esprit-Saint ; elles furent chassées de la chambre nuptiale, et entendirent ces effrayantes paroles : Retirez-vous, je ne vous connais point (Mat 25,12), paroles plus terribles que la géhenne même. C’est encore pour cela que Jésus les nomme folles, et à juste titre. Elles avaient vaincu les plus tyranniques passions et elles cédèrent aux moins impérieuses. Voyez ! elles avaient triomphé de la nature, comprimé la furie des sens et calmé les désirs charnels ; sur la terre elles avaient mené une vie angélique ; êtres corporels, elles avaient rivalisé avec les créatures célestes ; et, parvenues à ce point, elles ne surent point vaincre l’amour de l’argent ; folles, insensées ! C’est pourquoi elles furent jugées indignes de pardon. Leur faute, en effet, rie venait que de leur manque de zèle. Elles avaient pu éteindre la flamme ardente des désirs corporels, dépasser les limites des devoirs auxquels elles étaient soumises (car il n’y a pas de loi qui commande la virginité, la volonté des fidèles est la seule règle) ; et ensuite elles se laissèrent vaincre par l’amour des richesses, et pour un peu d’argent (est-il rien de plus misérable ?) elles jetèrent la couronne de leur front ! Je ne parle point ainsi pour décourager les vierges, ni pour détruire la virginité, mais pour qu’elles ne courent point inutilement, pour qu’elles ne se voient pas après bien des fatigues ; privées de la couronne, couvertes de confusion et exclues de la lice. C’est une belle chose que la virginité, c’est un mérite surnaturel ; mais ce mérite si beau, si grand, si surnaturel, ne saurait, sans la charité, donner l’accès du vestibule même de la chambre nuptiale. Et considérez la force de la charité et la vertu de l’aumône ! La virginité sans la pratique de l’aumône ne peut donner l’accès du vestibule de la chambre nuptiale ; et l’aumône sans la même virginité conduit ceux qui la pratiquent au sein du royaume glorieux qui leur était préparé avant la création du monde. Parce que ces vierges n’avaient pas donné une large aumône, elles entendirent ces mots : Retirez-vous, je ne vous connais pas ! Et ceux qui ont donné à boire et à manger à Jésus, qui avait soif et qui avait faim, quoiqu’ils n’eussent point à se faire gloire de la virginité, ont entendu ces paroles : Venez, les élus de mon Père, clans le royaume qui vous est préparé depuis le commencement du monde. (Id 34) Et c’est à juste raison, car quiconque jeûne et garde la virginité se sert lui-même, mais celui qui exerce la charité est comme un port pour les naufragés ; car il soulage la pauvreté de son prochain et subvient aux besoins d’autrui. Et, parmi nos bonnes actions, les plus estimées de Dieu sont celles dont les autres retirent le fruit. 7. Ce qui vous convaincra que Dieu a ce précepte plus à cœur que tous les autres, c’est que, lorsque Jésus parle du jeûne et de la virginité, il nous promet pour récompense le royaume du ciel ; mais quand il parle de l’aumône et de la charité, quand il nous commande d’être miséricordieux, il nous propose un prix bien plus considérable que le royaume des cieux : Vous serez, dit-il, semblables à votre Père qui est dans les cieux. Car ce qui est le plus capable de rendre l’homme semblable à Dieu, autant que l’homme peut être semblable à Dieu, c’est l’observance des lois qui ont rapport au bien commun. C’est cela même que vous enseigne le Christ quand il dit : Il fait luire son soleil sur les bons et sur les méchants et tomber la pluie sur les justes et sur les injustes. (Mat 5,45) Et vous, travaillez selon vos forces à l’utilité commune et imitez Dieu qui fait de ses biens un égal partage à tous les hommes. Le mérite de la virginité est grand, et je veux qu’on lui prodigue les louanges. Car le mérite de la virginité ne consiste point seulement à s’abstenir du mariage, mais à faire paraître de la bonté, de la charité, de la miséricorde. Que sert la virginité avec la dureté du cœur ? Que vaut la tempérance unie à l’inhumanité ? Tu n’as point cédé aux passions charnelles, mais tu as cédé à la passion de l’argent. Tu as vaincu l’ennemi le plus redoutable pour te laisser dompter et terrasser par le plus faible, et ta défaite est d’autant plus honteuse. Aussi n’es-tu point digne de pardon, toi qui as vaincu le plus redoutable ennemi, qui as lutté contre la nature même et qui as succombé à l’amour de l’argent, que souvent des esclaves et des barbares ont surmonté sans peine. 8. Ce que sachant, mes frères, et ceux qui contractent le mariage et ceux qui pratiquent la virginité, montrons le plus grand zèle pour l’aumône, puisque ce n’est point autrement qu’on obtient le royaume des cieux. Car si la virginité sans l’aumône ne peut ouvrir l’entrée de ce royaume, quelle autre vertu le pourra, aura assez de force sans elle ? Il n’en est aucune. Donc, de toute notre âme et de toutes nos forces, versons de l’huile dans nos lampes, qu’elle soit abondante, qu’elle coule toujours, afin que la lumière soit vive et bien nourrie. Et ne considérez pas le pauvre qui reçoit, mais Dieu qui rend ; non celui à qui vous donnez l’argent, mais celui qui se fait caution de la dette. L’un la contracte et l’autre la paye, parce qu’il faut que le malheur et la misère du pauvre qui reçoit l’aumône vous poussent à la pitié et à la miséricorde, et que les richesses du Dieu qui promet de payer cette dette avec usure vous rassurent sur le principal et l’intérêt, et vous engagent à faire de plus larges aumônes. Car, je vous le demande, quel homme sachant qu’il recevra le centuple et entièrement sûr du paiement, ne donnerait tous ses biens ? Ainsi n’épargnons point nos richesses, ou plutôt épargnons-les ; car celui-là épargne sa fortune qui la confie aux mains des pauvres ; il en fait ainsi un inviolable dépôt que les voleurs, ni les esclaves infidèles, ni les traîtres, ni les malfaiteurs, ni les ruses des hommes ne peuvent atteindre. Que si, après ces paroles, vous hésitez à donner vos biens, si d’espoir de recevoir au centuple, ni les misères des pauvres, ni aucune autre considération ne vous peut fléchir, comptez vos péchés, entrez dans la conscience de vos fautes, examinez toute votre vie sans rien omettre, et connaissez vos erreurs. Seriez-vous le plus dur des hommes, tourmenté sans cesse par la crainte du châtiment, et n’ayant d’espoir de vous racheter que par l’aumône, vous donnerez non seulement vos biens, mais votre corps même. Si nous avions des plaies ou des maladies corporelles, pour les guérir nous n’épargnerions rien, nous donnerions notre vêtement même pour nous en délivrer : les maladies de l’âme sont plus dangereuses et nous pouvons les guérir, nous pouvons fermer par l’aumône les blessures du péché. Faisons donc l’aumône de tout notre cœur. Et pour se délivrer des maladies du corps, il ne suffit pas de donner son argent sans hésiter ; il faut, souvent souffrir des incisions, des brûlures, boire d’amers breuvages ; endurer la faim, la soif, se soumettre à des ordonnances plus dures encore. Mais il n’en est point ainsi des maux de l’âme. Il suffit de verser son argent entre les mains des pauvres pour être aussitôt lavé de toutes ses souillures sans douleur ni souffrance. Car le médecin des âmes n’a besoin ni de l’art ni des instruments, ni du fer, ni du feu. Il n’a qu’un signe à faire, et le péché sort de nos cœurs et s’évanouit dans le néant. 9. Voyez ces moines qui embrassent là vie solitaire et se retirent sur le faîte des montagnes : quelle dure existence ! Ils couchent sur la cendre, sont vêtus d’un sac, se chargent de chaînes, s’enferment dans le cloître, luttent sans trêve contre la faim, vivent dans les pleurs et dans d’intolérables veilles, pour se délivrer d’une petite partie de leurs péchés. Vous n’avez pas besoin de toutes ces rigueurs ; la voie de la piété vous est plus aisée et plus douce. Car, est-ce une peine, dites-moi, de jouir de vos biens, et de donner aux pauvres le superflu ? Ne vous proposerait-on point un prix si relevé, une récompense si belle, la nature de la chose suffirait à persuader aux cœurs les plus cruels d’user de leur superflu pour soulager les misères des pauvres. Mais alors, que l’aumône nous procure tant de couronnes, de récompenses, une complète rémission de nos fautes, quelle excuse, dites-moi, auront ceux, qui sont avares de leurs richesses et perdent leurs âmes dans le gouffre du péché ? Si rien ne vous peut émouvoir, ni volts porter à la miséricorde, considérez du moins l’incertitude du terme de votre vie ; songez que, quoique vous ne donniez pas votre argent aux pauvres, quand viendra la mort il faudra, bon gré mal gré, le laisser à d’autres, et devenez ainsi charitable dès à présent. Ce serait le comble de la démence de ne point partager volontairement avec d’autres ces biens dont nous devons nous séparer, et cela, sachant que nous devons retirer les plus grands fruits de notre charité. Que votre abondance, dit l’Apôtre,soulage leur détresse. (2Co 8,14) Que dit-il par ces paroles ? Vous recevez plus que vous ne donnez ; vous donnez des biens matériels et vous recevez des biens spirituels et célestes ; vous donnez de l’argent, et vous recevez le pardon de vos fautes ; vous délivrez le pauvre de la faim, et Dieu vous délivre de sa, colère. Dans cette affaire, le gain surpasse de beaucoup ha dépense. Car vous ne dépensez que des richesses et sous gagnez non point des richesses, mais la rémission de vos péchés, la paix devant Dieu, le royaume du ciel et des biens que les yeux mortels ne peuvent voir, ni les oreilles entendre, ni la pensée concevoir. N’est-il pas absurde que les marchands n’épargnent pas leur avoir pour acquérir, non point des biens d’Une nature supérieure, mais des biens semblables, et que nous, Pour échanger des biens périssables et passagers contre des biens impérissables et éternels, nous ne sachions point comme eux dépenser nos richesses ? Non, mes frères, ne soyons pas ennemis de notre salut : laissons-nous toucher à l’exemple des vierges folles et de ceux qui se précipitent dans le feu préparé pour le démon et ses anges rebelles, pour n’avoir pas donné à manger et à boire à Jésus-Christ ; conservons le feu de l’Esprit-Saint par une abondante charité et de larges aumônes, afin que notre foi ne fasse point naufrage. Car la foi a besoin du secours et de la présence de l’Esprit-Saint, pour rester inébranlable ; et ce qui nous assure le secours de l’Esprit-Saint, c’est la pureté de la vie et la bonne conduite. Si nous voulons que la foi jette en nous de profondes racines, nous devons mener, cette vie pure et sage qui conserve en nous la grâce et la vertu de l’Esprit-Saint. Car celui qui ne mène point une vie pure ne saurait garder sa foi à l’abri des orages. 10. Les insensés qui parlent de la destinée et n’ont point la salutaire croyance de la résurrection sont poussés, par leur mauvaise conscience et leurs mœurs impures, dans cet abîme d’impiété. Et de même quo les gens pris de fièvre, pour en apaiser l’ardeur, se jettent dans l’eau froide, et, après un léger soulagement, sentent s’aviver la flamme qui les dévore, de même ces hommes, en proie à leur mauvaise conscience, cherchant le repos, mais ne voulant pas le trouver dans le repentir, ont recours à l’aveugle tyrannie du destin et à l’incroyance en la résurrection. Ils se reposent un temps en de froids raisonnements, mais ils allument ainsi dés flammes plus dévorantes ; ils se plongent de plus en plus dans l’indifférence, et, quand ils – descendront aux enfers, ils verront chacun expier ses fautes. Et pour vous convaincre que les actions mauvaises ébranlent la solidité de la foi, écoutez ce que Paul dit à Timothée : Acquittez-vous de tous ces devoirs de la milice sainte, conservant la foi et la bonne conscience. (Or, la bonne conscience est le fruit d’une vie pure et des bonnes œuvres). Quelques-uns y ont renoncé, et leur foi a fait naufrage. (1Ti 1,18-19) Ailleurs il dit : L’amour des richesses est la cause de tous les maux ; quelques-uns en étant possédés se sont égarés de la foi. (Id 6,10) Vous voyez que, pour une cause, les uns ont fait naufrage, les autres, pour une autre cause, se sont égarés ; les premiers, pour avoir renoncé à la bonne conscience, les seconds, pour avoir succombé à l’amour des richesses. Ce que considérant avec soin, appliquons-nous à bien vivre pour nous assurer une double récompense, celle que nous procurera la rétribution de nos œuvres, et celle qui nous viendra de la fermeté de notre foi. Car la bonne vie est à la foi ce que la nourriture est au corps, et de même que notre corps ne saurait vivre sans aliments, notre foi ne saurait vivre sans les œuvres. La foi sans les œuvres est une foi morte : (Jac 2,20) Il me reste une chose à dire. Que signifient ces mots : Le même esprit de foi ? car l’Apôtre n’a pas dit simplement : l’esprit de foi : J’avais intention d’expliquer cette parole, mais je vois que les pensées jailliraient à flots de ce seul mot ; je crains que le nombre des choses qu’il faudrait dire ne déborde de vos âmes et que l’instruction ne souffre de ces longueurs. C’est pourquoi je m’arrête, en vous priant et vous suppliant d’observer avec soin les préceptes que je vous ai donnés sur la pureté de la vie, sur la foi, la virginité, la charité et l’aumône, de les retenir exactement pour être prêts à entendre ce que je dois vous dire encore. Car l’édifice qu’élèvent mes paroles sera ferme et inébranlable si mes premiers enseignements, étant bien assis dans vos âmes, y donnent aux suivants de solides fondements. Et que Dieu, qui m’a fait la grâce de vous dire ces choses, et à vous de les écouter avec zèle, nous rende dignes de produire quelque fruit par nos œuvres, par les mérites et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient la gloire dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.