2 Corinthians 6
HOMÉLIE XII.
DONC, EN QUALITÉ D’AUXILIAIRES, NOUS VOUS EXHORTONS À NE PAS RECEVOIR EN VAIN LA GRÂCE DE DIEU. – CAR IL DIT : JE VOUS AI EXAUCÉ DANS LE TEMPS FAVORABLE, ET AU JOUR DU SALUT JE VOUS AI PORTÉ SECOURS. (VI, 1, JUSQU’À 10)
Analyse.
- 1-3. Étant donc ; dit l’apôtre, l’envoyé de Dieu dans l’œuvre de votre sanctification, je vous exhorte à laisser agir en vous les grâces que vous avez reçues, et à ne pas laisser passer le temps de la grâce sans en profiter, comme aussi de mon côté je me montre un ministre de Dieu sans reproche et fidèle par ma constance au milieu de toutes les épreuves, par une conduite irrépréhensible, et par la liberté d’esprit dont je jouis au dedans de moi-même, malgré toutes les tribulations qui au-dehors m’environnent.
- 4-6. Dans quel esprit on doit pratiquer l’aumône et les autres vertus. – De la pauvreté et des richesses.
1. C’est, Dieu lui-même qui invite les hommes, a dit l’apôtre ; et les apôtres sont les ambassadeurs de Dieu ; en son nom ils les pressent de rentrer en grâce avec le Seigneur. De peur que les Corinthiens ne tiennent, à se relâcher encore, il leur inspire de nouveau un sentiment de crainte ; « Ne recevez donc pas en vain la grâce de Dieu ». De ce que Dieu nous prie lui-même et nous envoie ses ambassadeurs, ce n’est pas un motif pour nous de vivre dans l’indolence ; nous n’en devons avoir que plus d’ardeur et de zèle pour plaire à Dieu et pour faire provision de richesses spirituelles. (C’est ce que l’apôtre disait plus haut : « La charité de Dieu nous presse », c’est-à-dire nous pousse, nous excite) Après tant de preuves de bonté de la part de Dieu, gardons-nous de tomber et de perdre l’effet de si nombreuses grâces, en ne montrant aucune générosité. Il nous envoie maintenant ses lieutenants pour nous exciter au bien ; mais cette miséricorde aura un terme : ce sera le second avènement de Jésus-Christ ; après cela viendra la condamnation et les supplices. C’est pourquoi l’apôtre dit : Nous sommes pressés. Ce n’est pas seulement par la vue de si grands Biens, par la pensée de la bonté de Dieu, qu’il excite les fidèles, mais aussi par la considération du peu de durée de la vie. Ailleurs il dit : « Notre salut est maintenant plus proche » (Rom 13,11) ; et encore : « Le Seigneur est proche ». (Phi 4,5) Ici il fait quelque chose de plus. Ce qui doit les animer, c’est que non seulement la vie est courte, mais une fois le temps de la vie écoulé, le salut devient impossible. « Voici », leur dit-il, « voici le temps favorable, voici les jours de salut ». Ne les laissons donc point passer inutiles, mais que notre zèle réponde aux grâces que nous avons reçues. Si nous mettons nous-mêmes tant d’empressement à vous prêcher l’Évangile, c’est que nous songeons au peu de durée d’une vie si précieuse. Telle est le sens de ces paroles : « En qualité d’auxiliaire nous vous exhortons ».C’est vous que nous aidons, plutôt que Dieu, dont nous sommes les ambassadeurs. Dieu ne manque de rien, le salut est tout à votre avantage. L’apôtre ne craint pas non plus de s’appeler l’auxiliaire du Seigneur, car ailleurs il dit : « Nous sommes les auxiliaires de Dieu »..C’est de cette manière qu’il contribue au salut des hommes : « Nous vous exhortons ». Dieu ne se contente pas d’une simple exhortation, mais il l’appuie des motifs les plus puissants : il a donné son fils ; l’innocence même, son fils qui ne connaissait point le péché ; il l’a fait « péché » pour nous qui étions pécheurs, afin de nous rendre justes à ses yeux. Et ce Jésus qui est Dieu, ce n’est pas lui qui devrait prier les hommes coupables de tant d’offenses ; ce sont les hommes qui devraient le prier. Néanmoins c’est lui qui les prie. Pour nous, quand nous vous prions, nous ne pouvons mettre en avant aucun droit, aucun bienfait : c’est au nom du Dieu qui vous a comblés de grâces que nous vous prions. Nous vous conjurons donc de recevoir le bienfait qui vous est offert ; de ne pas refuser ce présent de la part de Dieu. Obéissez-nous donc et prenez garde de ne pas recevoir en vain la grâce de Dieu.. En effet, l’apôtre ne veut pas qu’ils s’imaginent que la foi leur suffit pour être réconciliés ; il leur demande avec la foi le zèle dans leur conduite. Si après s’être vu délivré de ses péchés, après être devenu l’ami de Dieu, on le plonge, de nouveau dans ses anciens désordres, on redevient ennemi de Dieu, et la grâce de Dieu ne sert de rien désormais pour la vie éternelle. A quoi peut en effet servir la grâce du baptême, si nous vivons dans l’impureté ? Au contraire, elle nous devient funeste, elle aggrave nos fautes, puisque nous retournons à nos péchés après avoir connu Jésus-Christ et après avoir joui de ses dons. Mais cette pensée, il ne l’exprime pas tout de suite, pour ne pas tenir un langage par trop rebutant ; il se borne à dire qu’il ne nous en revient aucun avantage. Il rappelle ensuite les paroles du prophète, pour les exciter davantage à mettre la main à l’œuvre de leur salut. Car le prophète a dit : « Je vous ai exaucés en temps favorable, et je vous suis venu en aide au jour du salut. « Voici maintenant un temps favorable, voici maintenant des jours de salut ». Un temps favorable, quel est-il donc ? Le temps du bienfait et de la grâce, temps où l’on ne demande pas compte des fautes commises, où l’on ne subit point de châtiment, mais où après avoir été réconcilié avec Dieu, on jouit de biens sans nombre, la justice, la sainteté, et tant d’autres faveurs. Quels travaux ne s’imposerait-on point pour trouver une occasion aussi précieuse ? Et voici que, sans effort de notre part, elle s’offre à nous et nous apporte la rémission de toutes nos fautes passées. C’est pourquoi l’apôtre appelle ce temps un temps favorable ; car il accueille les plus criminels, et non seulement il les accueille ; mais il les élève au sommet des honneurs. C’est ainsi que l’arrivée de l’empereur annonce non pas un jugement, mais des bienfaits et le salut ; voilà le temps que l’apôtre appelle un temps favorable : c’est le temps où nous sommes dans la carrière, où nous cultivons la vigne, c’est en un mot la onzième heure, comme dit l’Évangile. 2. Courage, menons une vie toujours pure, cela ne nous est point difficile. Combattre, alors que Dieu répand de tels dons et de telles grâces, c’est être sûr de remporter aisément la victoire. Quand on célèbre les fêtes des empereurs, quand ils sont revêtus des ornements consulaires ; ne suffit-il pas d’une faible démarche pour obtenir de grandes faveurs ? Et quand ils rendent la justice, ne faut-il pas une enquête minutieuse et active ? Eh bien ! nous aussi, combattons dans ce temps des bienfaits ce sont les jours de grâces, les jours de la grâce divine, et rien de plus facile que d’obtenir des couronnes. Nous étions chargés de vices, et Dieu nous a accueillis, nous a délivrés de ce fardeau ; et quand après cela nous nous acquittions de nos devoirs, il ne nous accueillerait pas plus favorablement encore ! Ensuite, selon sa coutume, l’apôtre se propose comme modèle, il ajoute : « Nous ne scandalisons personne, pour que notre ministère ne soit point déshonoré (3) ». Il ne s’agit donc plus seulement d’un temps opportun ; mais encore il leur met sous les yeux de grands exemples pour les porter au bien : et cela sans orgueil, sans arrogance. Il ne dit pas : regardez-nous, et voyez notre conduite ; mais il se contente de prévenir le reproche, et c’est pour cette raison uniquement qu’il parle de lui. Voici deux caractères d’une vie sans tache : « Nous ne donnons aucun scandale à personne ». Il ne dit pas : aucun motif d’accusation, son expression a moins d’énergie : « Aucun scandale ». C’est comme s’il disait : Nous ne donnons à personne l’occasion du moindre reproche et de la moindre plainte : « De peur que notre ministère ne soit déshonoré », c’est-à-dire, de peur qu’on n’y trouve quelque chose de répréhensible. Il ne dit point non plus : De peur qu’on ne puisse l’accuser, mais : De peur qu’on n’y surprenne la moindre faute, qu’on ne puisse y soupçonner quoi que ce soit. « Mais en toutes choses nous nous présentons comme les ministres de Dieu… (4) ». Ceci est d’un ordre bien plus élevé. Ce n’est certes pas la même chose d’être exempt de tout reproche, et de se montrer aux yeux de tous comme les ministres de Dieu. Il y a bien plus de gloire à mériter des éloges qu’à se mettre simplement à l’abri des reproches. L’apôtre n’a point dit : nous apparaissons, mais. « nous nous présentons », ou : « nous nous montrons ». Et comment se montrent-ils les ministres de Dieu ? « Par une patience sans bornes », dit-il. Vous avez dans cette parole le fondement de tous les biens. Aussi n’a-t-il pas dit : « patience », mais : « une grande patience », pour faire voir l’étendue de cette vertu dans son âme. Ce serait peu de chose d’avoir supporté une ou deux tentations. Mais les tentations qu’il a subies, il les représente tombant sur lui comme une grêle, en disant ; « Dans les tribulations, dans les nécessités ». Quel surcroît d’accablement quand les maux sont inévitables, quand il y a comme une nécessité de les souffrir, quand on ne peut s’en délivrer ! « Dans les angoisses ». Dans les angoisses de la faim et des autres besoins, ou simplement des tentations : « Dans les corps, dans les prisons, dans les séditions… (5) ». Chacun de ces maux n’est-il pas insupportable ? Ne suffit-il pas, pour faire perdre patience, d’être battu de verges, d’être enchaîné, d’être sans cesse persécuté, sans jamais trouver de repos ? Car c’est ce que signifie ce mot : « dans les séditions ». – Quand tous ces maux viennent fondre ensemble sur quelqu’un, songez quelle fermeté d’âme il faut à cet homme ! Voilà pour les afflictions qui lui viennent du dehors ; mais il souffre aussi de soif plein gré « Dans les travaux, dans les veilles, dans les jeûnes, dans la chasteté… (6) ». Il désigne par là ces fatigues qu’il éprouvait en courant çà et là, en gagnant sa vie de ses propres mains, en passant – les nuits à enseigner et à travailler. Il n’omet point le jeûne, quoique toutes ces fatigues valussent mille fois cette privation de nourriture. Par « chasteté » il entend ou bien la pureté, ou bien une intention droite en toutes choses, ou bien la prédication de l’Évangile faite gratuitement et sans recevoir aucune espèce de dons. « Dans la science ». Que veut dire cette expression ? Dans la science qui lui vient de Dieu, et c’est la vraie science. Ce n’est point la science de ces sages qui se glorifient d’une science toute profane et qui n’ont pont celle-là. – « Dans la longanimité, dans la douceur ». C’est encore une vertu d’une âme généreuse, que de souffrir patiemment la colère et les injures d’autrui. – Enfin, pour montrer le principe d’une telle patience ; il ajoute : « Dans l’Esprit-Saint ». C’est lui, en effet, qui est l’auteur de tous ces dons. Mais ce secours de l’Esprit-Saint, il n’en parle qu’après avoir énuméré toutes ses vertus. Dans ces paroles, il me semble avoir voulu faire entendre autre chose encore. Quoi donc ? L’abondance avec laquelle il avait reçu la grâce de l’Esprit-Saint. C’était une nouvelle preuve de sa mission, que ces dons spirituels déposés dans son âme. Sans doute toutes ces vertus étaient l’effet de la grâce ; mais cependant il les avait méritées en quelque façon par ses bonnes œuvres et par ses fatigues. Dire que saint Paul ait voulu montrer aussi qu’enrichi de tant de grâces, il en avait fait le meilleur usage, ce n’est pas s’éloigner de la pensée de l’apôtre. Car ceux qui parmi les chrétiens avaient reçu le don des langues, furent blâmés d’avoir conçu des sentiments d’orgueil : il peut donc bien arriver qu’on ne fasse pas un bon usage des grâces de l’Esprit-Saint. Pour nous, dit l’apôtre, il n’en est pas ainsi : on ne peut rien nous reprocher dans l’usage que nous en avons fait : « Dans une charité toujours sincère ». 3. Telle était pour lui la cause de tous les biens ; voilà ce qui le rendait si parfait ; c’est eu vertu de cette charité que l’Esprit-Saint, par le secours de qui il pratiquait tant de – bonnes œuvres', demeurait au dedans de lui. – « Dans la parole de la vérité… (7) ». C’est une pensée qu’il exprime souvent : Nous avons annoncé la parole de Dieu sans aucun déguisement et sans jamais l’altérer. « Dans la vertu de Dieu ». Comme toujours, il ne s’arroge rien à lui-même ; c’est à Dieu qu’il rapporte toutes ses actions, tout ce qu’il fait d’éclatant. Il s’était donné des éloges en disant que sa vie n’avait cessé d’être à l’abri de tout reproche, et qu’il avait toujours fait preuve d’une grande sagesse ; il attribue maintenant toutes ces vertus à l’Esprit-Saint et à Dieu : Ce n’étaient certes point des vertus ordinaires que celles dont il parle. Si en menant une vie paisible, il est difficile d’arriver à la vertu et de demeurer irréprochable, quelle difficulté n’était-ce pas que de jeter tant d’éclat par sa vertu, au sein de pareilles afflictions ? quelle force d’âme ne fallait-il point, pour cela ? Et ce ne sont pas les seules afflictions qu’il ait endurées ; il en endura beaucoup d’autres qu’il énumère plus loin. Ce qu’il y a de plus admirable ici, ce n’est pas de le voir toujours irrépréhensible au milieu de ces torrents de souffrances, ni de contempler sa patience invincible, mais de le voir joyeux au milieu de ces épreuves ; il nous le dit dans ces paroles : « Par les armes de la justice, à droite et à gauche » ; quelle présence d’esprit, quelle fermeté de sentiment ! Les afflictions sont pour lui des armes, elles ne le renversent pas, elles le protègent, elles le fortifient. – Par ce qui est à gauche, il entend les chagrins apparents, car ces sortes de peines nous méritent aussi une récompense. Pourquoi leur donne-t-il ce nom ? C’est pour se conformer à l’opinion du vulgaire, ou bien parce que Dieu nous a ordonné de prier pour que nous n’entrions pas en tentation. « Par la gloire et l’ignominie, par l’infamie et la bonne renommée ». Que dites-vous ? Quel mérite y a-t-il donc à être glorifié ? Un très-grand mérite, reprend l’apôtre. – Et comment donc ? – C’est une grande chose assurément que de supporter l’ignominie ; mais vivre entouré de gloire, n’est-il pas besoin pour cela d’une âme énergique ? Oui, il faut beaucoup d’énergie pour ne pas se laisser accabler par la gloire. Et c’est pourquoi l’apôtre se glorifie de sa gloire comme de son ignominie : car l’une et l’autre sont pour lui une occasion de mérite. – Mais comment la gloire peut-elle être une arme de justice ? C’est qu’un grand nombre conçoivent des sentiments de piété, quand ils voient leurs maîtres comblés d’honneurs : ces honneurs sont une preuve de leurs bonnes œuvres, et Dieu se trouve par là glorifié. C’était aussi le dessein de Dieu d’ouvrir la porte à la prédication de l’Évangile par des moyens opposés. Voyez en effet, Paul était-il chargé de chaînes ? Cette captivité tournait au profit de l’Évangile. « Ces chaînes que je porte, contribuent au progrès de l’Évangile ; plusieurs de mes frères, pleins de confiance dans mes liens ; osent maintenant annoncer la parole de Dieu sans aucune crainte ». (Phi 1,12-14) Était-il entouré d’honneurs ? Cette circonstance donnait encore aux fidèles une nouvelle assurance. – « Par l’infamie » et « la bonne renommée ». Ce n’étaient pas seulement les afflictions corporelles qu’il endurait avec patience, ce n’étaient pas seulement les maux qu’il a énumérés ; mais aussi ces douleurs qui ne se font sentir qu’à l’âme, et qui causent d’ordinaire des troubles qui ne sont pas médiocres. Jérémie, après avoir souffert de nombreuses afflictions, se sentait accablé, et quand on l’avait accablé d’injures, il disait : « Non, je ne prophétiserai point, je ne parlerai plus au nom du Seigneur ». (Jer 20,9) David, lui aussi, se lamente au sujet des outrages qu’il reçoit. Isa. après beaucoup d’autres conseils, donne celui-ci : « Ne craignez point les injures des hommes, et ne redoutez point leur mépris ». (Isa 51,7) Et le Christ disait à ses disciples : « Quand on vous accablera de calomnies, réjouissez-vous et tressaillez d’allégresse : car votre récompense est abondante dans les cieux. ». (Mat 5,11, 12) Ailleurs il dit encore. « Tressaillez d’allégresse ». (Luc 6,23) Eût-il promis de si belles récompenses, si l’épreuve n’eût été terrible ? Dans les tourments le corps partage les douleurs avec l’âme : cette douleur affecte également l’âme et le corps ; mais par les outrages c’est l’âme seule qui est affligée. Que d’âmes ils ont accablées et perdues ! Job lui-même ne trouvait-il pas moins pénibles les vers et les ulcères que les outrages dont ses amis l’accablaient ? Non, pour ceux qui souffrent, il n’est rien de plus insupportable que des paroles blessantes. Et voilà pourquoi à côté des dangers et des fatigues, l’apôtre nomme aussi la gloire et l’ignominie. Que de Juifs refusèrent de croire en Jésus-Christ, de peur de perdre cette gloire dont la multitude les entourait. Ce qu’ils redoutaient, ce n’était point d’être châtiés, mais d’être chassés de la synagogue. C’est pourquoi le Christ disait : « Comment pourriez-vous croire, vous qui recevez de la gloire les uns des autres ? » (Jn 5,4) On en voit un grand nombre qui, après avoir triomphé des dangers les plus terribles, se laissent vaincre par le, désir de la gloire. – « Comme séducteurs et comme véridiques ». Ces paroles expriment la même pensée que celles-ci : « Par l’infamie et la bonne renommée. – Comme ceux qui sont inconnus, et comme ceux qui sont connus », est la même chose que : « Par la gloire et l’ignominie ». Ils étaient connus de quelques-uns et en étaient respectés ; d’autres ne daignaient pas même les connaître. – « Comme mourants ; et voici que nous vivons… (9) » : Comme destinés et condamnés à mourir : ce qui aussi était une ignominie. 4. Le dessein de l’apôtre était de montrer la puissance de Dieu et la patience des apôtres. Les persécuteurs n’ont rien négligé pour nous donner la mort, et ils croient avoir réussi ; mais Dieu nous a tiré du danger que nous courions. Pour expliquer ensuite pourquoi Dieu permet ces souffrances, il ajoute : « Comme châtiés ; mais non jusqu’à être tués ». Ainsi donc les afflictions offrent de grands avantages même avant la récompense, et les ennemis deviennent utiles, même malgré eux. « Comme si nous étions tristes, et en réalité « nous sommes dans la joie
(10)». Les païens nous croient plongés dans la tristesse, mais peu nous importent leurs imaginations ; notre âme goûte une joie délicieuse. Remarquez que saint Paul ne dit pas seulement : nous sommes dans la joie, mais il ajoute : « toujours. Nous sommes toujours dans la joie », dit-il. Y a-t-il rien de comparable à cette vie, où les périls mêmes ne font que redoubler la joie ? « Comme pauvres, et nous enrichissons un grand nombre d’hommes ». Selon plusieurs, il s’agirait ici des richesses spirituelles ; pour moi, je crois qu’il est question même des richesses temporelles. Car ces richesses mêmes leur arrivaient en abondance ; toutes les maisons, par une sorte de prodige, leur étaient ouvertes. Et ce qu’il dit ensuite ne le prouve-t-il pas ? « Comme n’ayant rien, et nous possédons tout ». Et comment cela se peut-il faire ? Direz-vous. – Mais, vous répondrai-je, c’est le contraire, qui est impossible. Celui qui possède beaucoup de choses, n’a rien ; et celui qui n’a rien, possède tout. Cela ne se voit pas seulement en cette circonstance ; mais c’est en toutes choses que les contraires naissent des contraires. Vous vous étonnez, vous demandez comment il se fait qu’on manque de font et qu’on possède tout : Eh bien ! je vous montre saint Paul qui commandait à l’univers, qui avait – en son pouvoir non seulement l’argent mais les yeux des fidèles. « S’il eût été possible, vous vous fussiez arraché les yeux pour me les donner ». (Gal 4,14) Ne nous troublons donc point des opinions de la foule. On nous traite d’imposteurs, on nous méconnaît, on nous croit condamnés, plongés dans le chagrin, accablés par le besoin, la pauvreté, la tristesse, quand au contraire nous sommes dans, la joie. Eh ! les aveugles peuvent-ils contempler l’éclat du soleil, et les insensés peuvent-ils goûter les plaisirs de la sagesse ? Il n’y a de justes appréciateurs que les hommes pieux : ils s’affligent et se réjouissent autrement que les autres. Qu’un spectateur ; peu familiarisé avec les jeux du stade, voie un athlète couvert de blessures et le front ceint d’une couronne, il s’imaginera qu’il souffre beaucoup de ses blessures, parce qu’il ignore la joie que cause une couronne. De même on est témoin de nos afflictions, sans savoir pourquoi nous souffrons ; il n’est pas étonnant qu’on n’aperçoive que les afflictions : c’est la lutte, c’est le péril qui frappe les regards ; on n’aperçoit point le mobile de ces combats si c’est-à-dire les récompenses et les couronnes. Quelles étaient donc ces richesses que possédait l’apôtre, quand il disait : « Comme n’ayant rien et nous possédons tout ? » C’était à la fois les richesses temporelles et les richesses spirituelles. Cet homme que les cités recevaient comme un ange, auquel les fidèles eussent donné leurs yeux, pour qui ils étaient tout disposés à sacrifier leur vie, ne possédait-il pas tous leurs biens ? S’agit-il des richesses spirituelles ? Il n’en est point qu’il ne possède. Admis dans l’intimité du Roi des cieux, il était le confident de ses secrets ; pouvait-il donc ne point surpasser tous les autres en richesses surnaturelles, pouvait-il ne point les posséder toutes ? Autrement les démons ne lui eussent point si facilement cédé ; il n’aurait pu mettre en fuite les douleurs et les maladies. Nous aussi, quand nous souffrons pour le Christ, montrons-nous, non seulement courageux, mais pleins de joie. Si nous jeûnons, tressaillons, comme si le jeûne était un plaisir. Si l’on nous outrage, formons des chœurs, comme si l’on nous comblait d’éloges. Si nous dépensons nos richesses, croyons que nous en amassons de nouvelles. Si vous n’êtes dans cette disposition, vous ne donnerez pas facilement. Voulez-vous donc faire des largesses ? Ne considérez pas seulement la dépense que vous faites, songez au gain qui vous en revient ; que ce soit là votre première pensée. Ce n’est pas seulement pour l’aumône, mais pour toute espèce de vertus, qu’il faut envisager non point l’âpreté des fatigues, mais la suavité des récompenses, qu’il faut se mettre sous les yeux Jésus-Christ pour qui nous combattons. Ainsi vous engagerez la lutte avec ardeur, et votre vie se passera tout entière dans la joie. Rien ne donne plus de plaisir qu’une bonne conscience. Paul, malgré tant d’afflictions, se réjouissait et tressaillait d’allégresse. De nos jours au contraire une ombre de souffrance suffit pour jeter dans la tristesse, et cela, parce qu’on manque de sagesse. Dites-moi, je vous prie, quelle est la cause de vos larmes ? Votre pauvreté, l’indigence qui vous accable ? Il faut vous plaindre, non point de ce que vous pleurez, de ce que vous êtes ; dans le besoin, mais de ce que vous avez l’âme si peu élevée ; non pas de ce que vous manquez de richesses, mais de ce que vous avez tant d’amour pour les richesses. Saint Paul mourait, pour ainsi dire, chaque jour, et, cependant, loin de se plaindre, il se réjouissait : Il souffrait sans cesse de la faim, et cependant, loin de s’en attrister, il s’en glorifiait. 5. Vos récoltes ne sont pas encore serrées, c’est ce qui vous afflige, ce qui vous tourmente. Oui, dites-vous, saint Paul n’avait à s’inquiéter que de lui-même ; moi, je songe à mes serviteurs, à mes enfants, à mon épouse : Détrempez-vous, saint Paul ne se préoccupait point uniquement de ses intérêts, mais des intérêts du monde entier. Vous, c’est une seule maison qui vous tient en souci, lui, c’étaient les pauvres de Jérusalem, ceux de Macédoine, tous ceux en un mot quittaient dans le besoin ; c’étaient eux qui donnaient aussi bien que ceux qui recevaient. Il se préoccupait non pas seulement de procurer au monde les choses nécessaires, à la vie, mais aussi l’abondance des richesses spirituelles. Vous vous affligez moins de voir vos enfants souffrir de la faim qu’il ne s’affligeait des peines des chrétiens. Que dis-je, des chrétiens ? Mais les infidèles eux-mêmes étaient l’objet de sa sollicitude, et cette sollicitude allait jusqu’à lui faire souhaiter d’être pour eux anathème. Et vous, quand même la famine sévirait mille fois, vous ne voudriez pas donner votre vie pour un de vos frères. L’objet de toute votre inquiétude, c’est une épouse unique ; l’apôtre s’inquiétait de toutes les Églises de l’univers. « Ma sollicitude », disait-il en effet, « s’étend sur toutes les Églises ». (2Co 11,28) Jusques à quand, ô homme, te feras-tu un jeu de te comparer à saint Paul ? Quand cesseras-tu d’avoir cette faiblesse ! Pleurons, non pas d’être pauvres, mais d’être pécheurs : voilà ce qui mérite que nous versions des larmes ; tout le reste devrait nous faire rire. Mais ce n’est point la pauvreté qui m’afflige, c’est de voir tel ou tel au faîte des honneurs ; tandis que moi, je suis dans l’obscurité et le mépris. Eh quoi ! Saint Paul ne semblait-il pas aussi méprisable, et la plupart ne le rebutaient-ils pas ? – Oui, mais c’était saint Paul, direz-vous. – Donc ce ne sont point les maux eux-mêmes qui vous découragent, mais la faiblesse de votre volonté. C’est pourquoi, ne pleurez point sur votre pauvreté, pleurez sur vos mauvaises dispositions. Ou plutôt ne pleurez point, mais corrigez-vous, et au lieu de briguer, les richesses, cherchez ce qui enfante plus de joie que toutes les richesses ensemble : je veux dire la sagesse et la vertu. Avec la vertu, la pauvreté ne peut nuire. Sans elle, à quoi les richesses peuvent-elles servir ? Quel bonheur peut-on goûter, quand on est riche de biens temporels, en demeurant pauvre des biens spirituels ? Vous vous trouvez moins malheureux que ne se croit à plaindre ce riche de ce qu’il ne possède point toutes les richesses. Et s’il ne pleure pas comme vous, pénétrez dans son âme, et vous verrez ses lamentations et ses sanglots. Voulez-vous que je vous montre vos richesses, afin que vous cessiez d’envier le bonheur des riches ? Voyez-vous ce ciel, si beau si grand, si élevé ? Ce spectacle, le riche n’en jouit pas plus que vous, il ne peut point vous en priver pour en faire sa propriété exclusive : il a été créé pour vous aussi bien que pour lui. Et ce soleil, cet astre si brillant si radieux, qui charme nos regards ? Ne luit-il pas pour tous, et tous, riches et pauvres, n’en jouissent-ils point ? Et ce chœur des étoiles, et ce disque de la lune, n’ont-ils pas été donnés à tous les hommes ? Sans doute, et chose admirable, les pauvres en jouissent bien plus que les riches. Ceux-ci, en effet, la plupart du temps plongés dans l’ivresse, passant leur vie dans les festins et le sommeil, ne jouissent pour ainsi dire point de ces magnifiques spectacles ; ils se tiennent, renfermés à l’ombre de leurs splendides demeures. Les pauvres au contraire, par leur condition même, goûtent ce bonheur plus que les autres mortels. Et cet air répandu par tout l’espace, le pauvre le respire plus pur et plus abondant, Les voyageurs, les laboureurs n’éprouvent-ils pas en cela plus de jouissances que ceux des villes ; et parmi ceux-ci les artisans ne sont-ils pas dans une atmosphère plus salubre que ceux qui passent le jour à s’enivrer ? Que dirai-je de la terre ? N’est-elle pas aussi la propriété de tous ? – Non ? Direz-vous. – Et pourquoi ? – C’est que le riche, possède dans la ville une vaste étendue de terrain, il y plante des vergers, et à la campagne il retient pour lui une bonne partie des champs. – Et quoi donc ? De ce qu’il possède ces terrains, s’ensuit-il qu’il en jouisse tout seul ? Nullement, quoi qu’il veuille. Il est obligé en effet de distribuer les fruits qu’il récolte ; c’est pour vous qu’il fait venir le blé, le vin et l’huile, et partout il soigne vos propres intérêts. C’est encore pour vous qu’il élève à si grands frais, au prix de tant, de travaux, ces palais et ces enceintes, dont il vous livre là jouissance, moyennant une somme modique d’argent. Les bains et tout le reste vous montrent que les riches sont accablés de dépenses, de soucis et de travaux ; les pauvres profitent de tout cela pour quelques oboles, et ils en' jouissent dans la plus grande sécurité. Non, le riche ne jouit pas plus des fruits de la terre que vous n’en jouissez, vous-mêmes : il n’a pas dix ventres à – rassasier tandis que vous n’en avez qu’un. – Mais ses mets sont plus délicats ? – Qu’importe, vraiment ? Au contraire, le pauvre a encore ici l’avantage. Ce luxe d e la table volis semble désirable en ce qu’il donne plus de plaisir. Le pauvre en goûte bien davantage, puisqu’il a pour lui la santé. Tout ce qui revient au riche de tant de somptuosité, c’est l’affaiblissement du corps et le germe de nombreuses maladies. Le pauvre dans son régime prend conseil de la nature ; mais le riche mange avec dérèglement, et les excès n’engendrent que faiblesse et corruption. 6. Un exemple vous le fera mieux comprendre. Allumez un bûcher ; jetez-y des robes de soie ; les tissus les plus fins ; qu’un autre jette des branches de chêne ou de pin ? Que vous restera-t-il de plus qu’à lui ? Rien assurément ; vous aurez même moins de reste que lui.. Comment cela ? Rien ne nous empêche de modifier cet exemple. On jette du bois sur un bûcher, sur un autre des cadavres ; près duquel resterez-vous de préférence ? Celui que le, bois alimente, ou bien relui où les cadavres sont entassés ? Le premier, sans aucun doute, il n’y a rien que de naturel dans les flammes de ce bûcher, et il vous offre un spectacle agréable L’autre au contraire, par la graisse qui ruisselle de toutes parts, par le sang que l’on voit couler ; l’épaisse fumée qui s’en élève, la puanteur qui s’en exhale, fera fuir tout le monde. Ce tableau voue fait horreur, et volts ne pouvez le regarder. Eh bien ! voilà les ventres des riches, vous y trouverez plus de pourriture que dans ce bûcher. Quelle haleine fétide, quelles exhalaisons pestilentielles, quel malaise dans tout le corps et dans chaque partie du corps, résultat d’une nourriture trop abondante. Quand la chaleur naturelle ne suffit plus pour digérer les aliments, quand elle est comme engloutie sous leur masse, ils pèsent sur l’estomac, y produisent des vapeurs, et causent un malaise général. Ces ventres, à quoi les comparerai-je encore ? Ne vous offensez pas de ce que je vais dire. Si je ne dis pas la vérité, reprenez-moi. Oui, à quoi puis-je comparer les ventres des riches ? Car tout ce que nous avons dit ne suffit pas encore pour peindre leur misère. Voici donc un autre tableau. Dans les cloaques où il y a, quantité de fumier, de paille, de jonc, de pierres, de boue, il se produit souvent des obstructions, et alors toute la boue remonte comme un flot à la surface. C’est ce qui se passe dans leurs ventres : il est aussi obstrué, et les matières corrompues refluent vers le haut du corps. Chez les pauvres, il en est tout autrement. Semblables à des fontaines d’où s’écoule une onde pure et qui arrosent, les jardins et les prairies, leurs ventres sont vides de toute cette corruption. Les riches au contraire, ou plutôt ceux qui s’abandonnent aux délices de la table, sont tout remplis d’humeurs malfaisantes, de sang corrompu, de déjections pourries. Aussi ne peuvent-ils garder longtemps leur santé ; sans cesse ils sont malades. Aussi il me prend, envie de leur demander pourquoi la nourriture nous a été accordée, si c’est pour nous donner la mort, ou pour soutenir notre vie ? Si c’est pour ruiner notre santé, ou bien pour l’entretenir ? Pour cous affaiblir ou nous fortifier ? Il est bien évident que la nourriture est destinée à entretenir chez nous la santé et les forces. Pourquoi donc en abuser, pourquoi l’employer à rendre le corps infirme et malade ? Le pauvre au contraire, par une nourriture simple et frugale, se ménage une santé robuste. Cessez donc de déplorer une pauvreté qui vous donne la santé ; réjouissez-vous plutôt d’être pauvres ; et si vous voulez être riches, méprisez les richesses. La vraie richesse consiste taon pas à posséder les richesses, mais à ne pals même les désirer : Ah ! si nous arrivons à ce dégagement des biens de la terre, mous serons plus abondamment pourvus que les riches et nous obtiendrons les biens de la vie future. Puissions-nous y parvenir par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui, avec le Père et le Saint-Esprit, gloire, puissance, honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il. HOMÉLIE XIII.
NOTRE BOUCHE S’EST OUVERTE POUR VOUS, Ô CORINTHIENS, NOTRE CŒUR S’EST DILATÉ. – VOUS N’ÊTES PAS A L’ÉTROIT DANS NOTRE CŒUR, C’EST DANS LES VÔTRES QUE VOUS ÉTES RESSERRÉS. (VI, 11, JUSQU’À VII, 1) Analyse.
- 1-3. Je laisse mon cœur se répandre sur ce sujet, afin que vous puissiez connaître l’amour ardent que j’ai pour vous, et me rendre amour pour amour. – Fuyez particulièrement toute société avec les infidèles, car Jésus-Christ et Satan ne peuvent aller, ensemble, et le temple du Dieu vivant, qui est vous-mêmes, ne peut contracter aucune liaison avec les idoles.
- 3 et 4. Qu’il ne faut pas divulguer ses aumônes, et que l’état du pauvre est plus avantageux que celui du riche.
1. L’apôtre vient de passer en revue ses épreuves et ses afflictions : « J’ai vécu dans la patience », dit-il, « dans les afflictions, dans le besoin, dans les angoisses, sous les verges, dans les prisons, changeant souvent de demeure, dans les fatigues, dans les veilles ». C’est là, dit-il, un grand bien : « On nous croit tristes, et nous sommes toujours dans la joie ; on nous croit pauvres, et nous enrichissons beaucoup de nos frères ; on nous croit dans l’indigence, et nous possédons toutes les richesses ». Toutes ces épreuves sont pour lui autant de ressources : « Par là, Dieu nous instruit, et nous ne mourons point ». De plus elles manifestent là puissance de Dieu et sa sollicitude envers nous : « Afin que notre patience semble l’effet de la toute puissance divine, et ne paraisse pas venir de nous-même ». En outre il nous dit ses combats : « Nous portons en tous lieux la mortification de Jésus » Il ajoute que c’est là une preuve évidente de la résurrection du Sauveur : « Afin que la vie de Jésus soit manifestée dans notre chair mortelle ». Voici maintenant la mission qui lui a été confiée : « Nous sommes les ambassadeurs du Christ, comme si Dieu exhortait par notre parole ». Ensuite il indique l’objet de son ministère ; c’est non point la lettre, mais l’esprit. Ce n’est point par son ministère seulement qu’il mérite le respect, mais aussi par ses afflictions : « Grâces soient rendues à Dieu », dit-il, « qui nous fait partout triompher ». Puis il s’apprête à les blâmer de leur négligence. Mais, avant d’en venir là, il leur témoigne son affection, et il passe ensuite aux reproches. Sans doute les belles actions commandent le respect envers celui qui blâme ; mais ses reproches sont mieux accueillis encore s’il fait preuve d’une véritable amitié. Saint Paul laisse donc maintenant de côté ses souffrances, ses fatigues, ses combats, pour parler de son amour pour les Corinthiens, et pouvoir ensuite leur faire entendre le langage de la sévérité. Comment leur témoigne-t-il de son affection ? « Notre bouche s’est ouverte pour vous, ô Corinthiens ». Et quelle preuve d’affection renferment ces paroles ? que signifient-elles ? Nous ne pourrions garder le silence ; quand il s’agit de vous ; c’est un besoin pour nous de vous faire entendre notre voir, de nous entretenir avec, vous. N’est-ce point la conduite de ceux qui aiment ? Comme deux corps s’unissent par la jonction des mains, ainsi deux âmes se lient par la conversation. Mais il v a un autre sens dans ces paroles. Lequel ? Vous nous êtes chers, et nous vous parlons en toute franchise, sans rien dissimuler, sans rien vous cacher. Il va leur adresser des reproches ; il s’en excuse d’abord ; ces reproches eux-mêmes seront une preuve de la vite affection qu’il a pour eux. Il ajoute le nom des Corinthiens, et c’est encore là une marque d’une vive, d’une ardente amitié. N’aimons-nous pas à répéter sans cesse les noms de ceux que nous aimons ? – « Notre cœur s’est dilaté ». C’est la chaleur qui dilate ; c’est aussi le propre de la charité : car la vertu est ardente. C’est elle qui ouvrait la bouche de saint Paul, et qui dilatait son cœur. – Je n’aime pas seulement de bouche, dit-il ; mon cœur est d’accord avec mes lèvres ; et c’est pourquoi je vous parle avec confiance de toute ma bouche et de toute mon âme. Rien de plus large que le cœur de Paul. Avec l’ardeur brûlante d’un amant, il embrassait toutes les âmes pieuses, sans se diviser, sans s’affaiblir : son affection se portait tout entière sur chacun d’eux. Rien en cela de surprenant, puisque ce cœur de l’apôtre embrassait même les infidèles dans l’univers entier. Aussi ne dit-il pas : je vous aime ; mais il s’exprime par images : « Notre bouche s’est ouverte pour vous ; notre cœur s’est dilaté ». Nous vous avons tous dans notre cœur ; et encore vous n’y êtes pas à l’étroit ; vous y êtes au large. Celui que nous aimons se promène, pour ainsi dire, sans aucune crainte, au fond de notre cœur. C’est pourquoi l’apôtre dit : « Vous n’êtes pas à l’étroit dans notre cœur, mais c’est dans vos cœurs que vous êtes à l’étroit ». Il y a dans ces paroles un reproche qu’adoucit l’indulgence de saint Paul : et c’est encore le propre de ceux qui aiment. Il ne dit pas : Vous ne m’aimez point ; mais vous ne m’aimez pas autant que je vous aime. Il ne veut pas les reprendre trop durement. Si l’on veut savoir de quel amour il brûlait pour les fidèles, on n’a qu’à parcourir ses épîtres. Dans sa lettre aux Romains il dit : « Je désire vous voir », et encore : « Je me suis souvent proposé de me rendre chez vous » ; et : « Puisse-je me rendre sans obstacle chez vous ». (Rom 1,11, 13, 10) Voici ce qu’il dit aux Galates : « Mes petits enfants ; que j’enfante de nouveau » (Gal 4,19) ; aux Éphésiens : « A ce sujet je fléchis les genoux pour vous » (Eph 3,14) ; aux Philippiens : « Quelle est mon espérance, ou ma joie, ou ma couronne de gloire, si ce n’est vous. » (1Th 2,19) Il les porte, dit-il encore, dans son cœur et dans ses liens. Il écrit aux Colossiens : « Je voudrais que vous fussiez témoins des luttes que je soutiens pour vous ; puissent aussi en être témoins tous ceux qui ne m’ont point vu dans la chair, afin que leurs cœurs soient consolés » (Col 2,1) ; aux Thessaloniciens ; « Comme une nourrice réchauffe ses enfants, nous aussi nous désirions vous donner, non seulement l’Évangile, mais encore nos âmes » (1Th 2,7, 8) ; et dans sa lettre à Timothée : « Le souvenir de tes larmes me remplit de joie ». (2Ti 1,4) Il appelle Tite « son cher fils » (Tit 1,4) ; et c’est aussi le nom qu’il donne à Philémon. (Phi 1,1) 2. En outre, dans l’épître aux Hébreux il y a bien d’autres témoignages de l’affection de l’apôtre ; il ne cesse de les consoler et de leur dire : « Encore un peu de temps et celui qui doit venir, viendra ». (Heb 10,37) C’est une mère qui s’adresse à des enfants accablés d’ennui et de chagrin. C’est ainsi qu’en cet endroit encore il leur dit : « Vous n’êtes pas à l’étroit dans notre cœur ». Non seulement il témoigne aux Corinthiens son affection ; mais il leur rappelle qu’eux aussi ont de la sympathie pour lui, afin de se concilier ainsi de plus en plus leur bienveillance. Et pour leur exprimer clairement sa pensée, il leur dit : « Tite à son arrivée nous a exprimé votre désir, vos pleurs, votre empressement ». (2Co 7,7) Il disait des Galates : « S’il eût été possible, vous vous fussiez arraché les yeux pour nous les donner ». (Gal 4,15) – Des Thessaloniciens : « Nous nous rappelons l’accueil que vous nous fîtes à notre arrivée ». (1Th 1,9) Et il disait une seconde fois à son disciple Timothée : « Je me souviens de tes larmes, et elles me comblent de joie ». (2Ti 1,4) Et partout dans les épîtres de saint Paul, vous l’entendez dire à ses disciples qu’il les aime et qu’il est payé de retour. Leur affection cependant n’égale pas la sienne. Il dit, par exemple, aux Corinthiens : « Je vous aime ardemment, et votre amour pour moi est loin d’être aussi vif ». (2Co 12,15) C’est ainsi qu’il parle à là fin de sa seconde épître ; ici, il s’exprime plus fortement : « Vous n’êtes pas à l’étroit dans notre cœur ; c’est dans vos propres cœurs que vous êtes à l’étroit ». Un objet suffit pour les remplir ; le nôtre contient votre ville entière et son peuple. Il ne dit pas : Vos cœurs ne peuvent nous contenir ; mais : « Vous avez des cœurs trop étroits » ; c’est la même pensée qu’il exprime en termes adoucis, pour ne point les blesser. « Or, vous avez les mêmes récompenses que nous ; c’est pourquoi, et je vous parle comme si vous étiez mes enfants, dilatez aussi vos cœurs (13) ». Il y a plus de mérite à aimer le premier, qu’à payer de retour. L’amour fût-il égal de part et d’autre, la priorité suffit pour donner l’avantage. Mais je ne veux pas être trop exigeant, dit-il ; il me suffit, pour vous aimer, pour vous chérir, que vous me témoigniez quelque bienveillance en retour de l’affection que je vous porte. Ensuite, pour leur montrer qu’ils y sont tenus, pour écarter tout soupçon de flatterie, il ajoute : « Je vous parle, comme si vous étiez mes enfants ». Qu’est-ce à dire : « Comme si vous étiez mes enfants ? » Il n’y a rien d’étonnant que, me regardant comme vôtre père, je veuille, être aimé de vous. Quelle prudence ! quelle modestie ! Il ne rappelle ni les dangers qu’il a courus pour eux,-ni les fatigues qu’il a supportées, ni la mort qui le menaçait – chaque jour, et tant d’autres – actes de dévouement, tant il craint de paraître orgueilleux ! Mais s’il exige leur affection, c’est qu’il les aime lui-même le premier. Je suis votre père, dit-il, parce que j’ai pour vous la plus vive affection. N’est-ce pas offenser son ami, que de lui rappeler les bienfaits dont il a été l’objet ; il y a là comme un reproche. Aussi l’apôtre se garde-t-il bien de rappeler le passé ; aimez-moi comme un père, leur dit-il ; il ne leur demande donc rien que de naturel, et ce que tout enfant doit à l’auteur de ses jours. Et ce n’est point son propre intérêt qu’il a en vue, mais uniquement le leur. Aussi ajoute-t-il : « Ne tirez pas le même joug avec les infidèles… « (14) ». Il ne dit pas : ne vous mêlez point avec les infidèles ; il emploie un terme plus énergique, pour leur faire sentir qu’ils vont contre la justice. Ne vous avilissez point. « Quelle participation y a-t-il entre la justice et l’iniquité ? » Ce n’est point son affection qu’il compare avec l’affection de ces hommes qui corrompaient les Corinthiens ; mais la noblesse des Corinthiens qu’il met en regard de l’ignominie de leurs corrupteurs. Ainsi donnait-il plus de force à son discours, ainsi relevait-il sa mission, ainsi se les conciliait-il de plus en plus. C’est le langage que l’on tiendrait à un fils plein de mépris pour ses parents, et tout entier livré à des scélérats qui le perdent ! Que fais-tu, mon enfant ? Tu méprises ton père, tu lui préfères des scélérats, ries hommes plongés dans les vices les plus honteux ? Ne vois-tu pas combien tu l’emportes sur eux en probité et en noblesse ? Ainsi on le tirera bien mieux de la société des pervers qu’en lui faisant l’éloge de son père. Qu’on lui dise par exemple : Ne sais-tu pas que ton père vaut bien mieux que ces hommes-là ? On produira sui lui moins d’effet. Mais ne lui parlez pas de son père, et dites-lui Ignores-tu qui tu es ? Né songes-tu donc plus ni à ta noblesse, ni à ta naissance, ni à leur déshonneur ? Comment peux-tu t’adjoindre à des voleurs, à des adultères, à des charlatans ? Louez-le de la sorte ; vous lui donnez pour ainsi dire des ailes, et il prend son essor loin de la société des méchants. Lui parler autrement, faire l’éloge de son père, c’est lui préférer son père, c’est le blâmer d’accabler de chagrin non pas un père quel qu’il soit, mais un pépé doué de tant de qualités. Si vous louez cet enfant lui-même, vous n’avez plus rien à craindre. Il n’est personne qui n’aime les louanges : les louanges font accueillir les reproches ; cet enfant cédera aux avis qu’on lui aura donnés, il concevra de nobles sentiments, et repoussera désormais la société des hommes pervers. C’est donc une belle comparaison que vient d’employer l’apôtre ; mais voici quelque chose de plus admirable encore, une pensée bien propre à inspirer une terreur salutaire. D’abord il procède par interrogation : c’est la forme que l’on donne aux pensées claires et évidentes ; ensuite il emploie l’accumulation, pour faire mieux ressortir son idée. Ce n’est pas un ou deux ou trois noms seulement, mais un plus grand nombre qu’il met en regard ; il personnifie les choses ; d’un côté il nous montre la vertu dans sa perfection, de l’autre le vice dans toute sa laideur. Entre l’un et l’autre il fait voir une différence infinie, en sorte que toute preuve devient inutile : « Quelle participation y a-t-il entre la justice et l’iniquité ? Quel commerce entre la lumière et les ténèbres ? Quel accord entre le Christ et Bélial ? Quel partage entre le fidèle et l’infidèle ? Quel rapport entre le temple de Dieu « et les idoles (15, 16) ? » 3. Voyez-vous comme l’apôtre s’exprime nettement ! N’y a-t-il pas là de quoi les détourne ? des hommes corrompus qui les obsèdent ? Il ne se sert pas du mot « prévarication », qui a plus de force pourtant que le mot « iniquité ». Il ne dit pas : Ceux qui sont dans la lumière et ceux qui sont dans les Ténèbres ; mais il oppose une chose à une autre, met en regard deux choses incompatibles : la lumière et les ténèbres. Il ne dit pas ceux qui appartiennent au Christ et ceux qui appartiennent au démon, mais il oppose le Christ à Bélial, et cette opposition est bien plus marquée. Le mot Bélial en hébreu signifie apostat. – « Qu’y a-t-il de commun entre le fidèle et l’infidèle ? » Ce n’est plus seulement le vice qu’il attaque ou la vertu qu’il recommande ; il met aussi les personnes en parallèle. Il ne dit pas : « Quelle société ? » Mais : « Quel partage ? » – Il veut parler des récompenses. – « Quel rapport entre le temple de Dieu et les idoles ? Car vous êtes le temple du Dieu vivant ». Voici le sens de ces paroles : Votre roi n’a rien de commun avec le démon. « Quel accord y a-t-il entre le Christ et Bélial ? » Point de rapport non plus entre les choses elles-mêmes : « Quel commerce entre la lumière et les ténèbres ? » Donc vous non plus vous ne devez pas avoir de relations avec les infidèles. Il nomme d’abord le roi, puis les sujets, afin de les séparer plus complètement de leurs ennemis. Après avoir dit : « Quel rapport entre le temple de Dieu et les idoles ? » il les appelle « le temple du Dieu vivant ». Ce n’est pas une flatterie ; il leur en donne immédiatement la preuve. Louer quelqu’un sans appuyer son éloge sur aucune preuve, cela, ressemble à une flatterie. Quelle preuve l’apôtre leur donne-t-il donc à l’appui de cette parole ? « J’habiterai en eux et je m’y promènerai ». J’habiterai dans ces temples, et je m’y promènerai : marque éclatante de l’amour de Dieu pour eux ! « Ils seront mon peuple et je serai leur Dieu ». Que direz-vous maintenant ? Vous portez – Dieu au dedans de vos âmes ; et vous courez à là suite des infidèles ! Oui, vous portez-en vous le Seigneur qui n’a rien de commun avec eux. Êtes-vous excusables ? Songez donc à l’hôte qui se promène, pour ainsi dire, dans vos âmes, qui y fait son séjour ! « C’est pourquoi sortez du milieu d’eux, séparez-vous de leur société, ne touchez point ce qui est impur. » – « Et je vous recevrai, dit le Seigneur… (17, 18) ». Il ne dit pas : Ne commettez point d’actions impures ; il exige quelque chose de plus ; ne touchez pas à ce qui est impur, n’en approchez point. Quelles sont les impuretés de la chair ? C’est l’adultère, la fornication, l’incontinence. Et les impuretés de l’âme : ce sont les mauvaises pensées, les regards indécents, le souvenir des injures, les fourberies, et le reste. L’apôtre veut que nous soyons purs et de corps et d’âme. Et voyez comme Dieu récompense la pureté ! On est éloigné des méchants et réuni au Seigneur. Écoutez ce qui suit : « Je serai votre père et vous serez mes fils et mes filles », dit le Seigneur. Ainsi le prophète annonçait bien longtemps à l’avance notre véritable, grandeur, notre régénération parla grâce. « Telles sont les promesses, qui nous sont faites, mes bien-aimés… » (7, 1). Quelles promesses ? Nous sommes les temples de Dieu, nous sommes ses fils et ses filles », il est notre hôte, il se promène au dedans de nous ; nous sommes son peuple, il est notre Dieu et notre père. – « Purifions-nous de toute souillure de la chair et de l’esprit ». N’ayons point de contact avec ce qui est impur : autrement nous souillons notre corps ; n’ayons point de contact avec ce qui souille l’âme : autrement notre âme devient impure. Il va plus loin et il ajoute : « Achevons de nous sanctifier dans la crainte de Dieu ». Il ne suffit pas en effet de n’avoir aucun contact avec l’impureté, pour être pur. Si nous voulons être saints, il faut des efforts, de l’attention, de la prudence. Il a raison d’ajouter : « Dans la crainte de Dieu ». La pureté en effet peut être un effet non de la crainte de Dieu, mais de la vaine gloire. Mais ces paroles offrent encore un autre sens, et font voir la manière dont se perfectionne la sainteté : Les passions peuvent bien vous tyranniser : mais si vous vous armez de la crainte de Dieu, vous briserez vite leur fureur. Par sainteté l’apôtre n’entend pas seulement la pureté, mais, aussi l’état d’une âme libre detout péché. Celui-là est saint, qui n’a rien à se reprocher. Vous serez donc saint, si, non content de ne pas vous livrer à la débauche, vous repoussez l’avarice ; l’envie, l’arrogance et la vaine gloire ; surtout la vaine gloire qu’il faut fuir en toute circonstance, et principalement quand vous faites l’aumône. Dès que vous y joignez l’orgueil, ce n’est plus une aumône, mais un acte d’ostentation et de cruauté. Si vous faites l’aumône non par pitié, mais par désir de paraître, n’est-ce point plutôt un outrage qu’une aumône ? Ne dénoncez-vous point votre frère ? Pour faire l’aumône il ne suffit donc point de donner de l’argent ; il faut le donner par un sentiment de pitié. Ceux qui dans les théâtres donnent de l’argent aux enfants qu’ils corrompent et à d’autres qui se montrent sur la scène, ne font certes point l’aumône ; ceux qui en donnent à des courtisanes, loin de se montrer en cela généreux, ne font qu’outrager ceux auxquels ils donnent. Il en est de même de celui qui recherche la vaine gloire. Le débauché qui vient de faire outrage à une courtisane, lui paie le prix de cet outrage. Vous aussi vous exigez une récompense de celui que vous outragez, et vous vous faites à vous comme à lui une mauvaise réputation. Bien plus, vous vous faites à vous-même là plus grand tort. C’est une maladie, c’est une cruauté qui nous enlève tous nos biens : elle en fait sa proie, semblable à une bête féroce ou à un chien dévoré par la rage. L’homme impitoyable ne donne jamais rien, il est vrai, à celui qui est pauvre ; mais vous faites pire encore, vous empêchez de faire l’aumône ceux qui en auraient le désir. En vantant votre bienfait, en le publiant partout, vous perdez la réputation de celui qui l’a reçu, et vous arrêtez celui qui s’apprêtait à donner quelque chose, pour peu qu’il manque de générosité. Non, il ne donnera rien à un homme qui à reçu de vous, qui ne manque par conséquent de rien ; et si cet homme vient le trouver, il le traitera d’importun. 4. Quelle aumône y a-t-il donc, à vous couvrir vous et lui de déshonneur, et à déshonorer aussi Celui qui vous a prescrit de faire l’aumône ? Vous ne vous contentez point d’avoir Dieu pour spectateur, vous voulez pour témoins vos semblables, et vous violez ainsi la loi qui vous le défend ! J’aurais voulu parler aussi d’autres actes de piété, du jeûne et de la prière, par exemple, et vous montrer comment la vaine gloire leur enlève aussi tout leur mérite ; mais je me souviens que, dans notre dernier entretien je n’ai pas développé suffisamment ma pensée. De quoi s’agissait-il ? Je vous disais que les pauvres, même dans les choses temporelles, sont plus heureux que les riches ; et je parlais de santé et de plaisir. Je vous en ai donné des preuves bien évidentes. Aujourd’hui montrons qu’ils ont l’avantage, non pas seulement dans les choses temporelles, mais encore dans les biens surnaturels. Est-ce l’opulence, est-ce la pauvreté qui ouvre les portes du ciel ? Écoutez le Roi des cieux lui-même : « Il est plus aisé », dit-il, « à un chameau de passer par le trou d’une aiguille, qu’au riche d’entrer dans le royaume des cieux ». Voilà pour les riches. Voici maintenant ce qu’il dit des pauvres : « Si vous voulez être parfait, vendez ce que vous avez et donnez-le aux pauvres. Venez, suivez-moi, et vous aurez un trésor dans les cieux ». Portez maintenant votre attention sur cette autre pensée : « Il est resserré et étroit », dit l’Écriture, « le chemin qui conduit à la vie ». (Mat 19,24, et VII, 14) Quel est donc celui qui marche par cet, étroit chemin, est-ce l’homme qui vit dans les délices, ou celui qui est dans l’indigence ? Est-ce celui qui est seul, ou celui qui porte d’énormes fardeaux ? Celui qui mène une vie molle et dissolue, ou bien celui qu’accablent les soucis et les inquiétudes ? Mais pourquoi tant de paroles quand nous pouvons citer des exemples ? Lazare était pauvre, très-pauvre ; il était riche au contraire celui qui passait sans daigner jeter un regard sur le pauvre couché devant sa porte. Lequel est entré dans le royaume des cieux, lequel se repose maintenant dans le sein d’Abraham ? Qui des deux est dévoré par les flammes, sans pouvoir obtenir même une goutte d’eau ? Mais, dites-vous, la plupart des pauvres périront ; et bien des riches, au contraire, jouiront de ces biens mystérieux. – Non, vous verrez au contraire que peu de riches sont sauvés, et qu’un bien plus grand nombre de pauvres opèrent leur salut. Considérez d’une part l’embarras des richesses, et de l’autre les inconvénients de la pauvreté. Ou plutôt ce ne sont les inconvénients ni des richesses, ni de la pauvreté ; ces inconvénients sont inhérents aux personnes elles-mêmes. Voyons cependant si ce sont les richesses ou la pauvreté qui offrent le plus de ressources. Quels vices entraîne donc la pauvreté ? – Le mensonge. – Et quels vices entraînent les richesses ? L’orgueil, père de tous les maux, qui a fait le diable ce qu’il est depuis sa chute. Une autre racine des maux, c’est l’avarice, et où se trouve-t-elle d’ordinaire ? Est-ce chez le riche ou chez le pauvre ? Chez le riche, sans aucun doute. Plus on a de richesses, en effet, plus on veut en avoir. Après ces deux vices, vient la vaine gloire, qui ruine un si grand nombre de vertus. Et combien le riche n’est-il pas exposé à la vaine gloire ! Mais vous ne dites rien des inconvénients de la pauvreté ? Vous ne parlez ni de l’affliction ni des angoisses qui en sont les conséquences. – Mais le riche n’en est pas exempt ; au con-, traire, il y est sujet plus encore que le pauvre. Ainsi donc les inconvénients qui semblent être le partage du pauvre, se font sentir tout aussi bien au riche ; et les inconvénients des richesses sont le partage exclusif de celui qui les possède. – Mais, direz-vous encore, la misère du pauvre lui fait commettre, bien des crimes ? – Eh bien ! il n’est point de pauvre qui par suite de ses besoins commette autant de crimes que les riches pour ne rien, perdre de leurs immenses richesses. Le pauvre désire-t-il le nécessaire avec autant d’avidité que le riche désire le superflu ? A-t-il autant de moyens d’exercer sa scélératesse ? Le riche qui désire davantage et qui peut davantage, accomplira, donc bien évidemment plus d’actions criminelles. Le pauvre redoute moins la faim que le riche ne tremble de perdre ses biens, qu’il ne se désole de ne point posséder à lui seul toutes les richesses. Exposé, comme il l’est à la vaine gloire, à l’orgueil, à l’avarice, source de tous les maux, quel espoir de salut lui reste-t-il, s’il ne fait preuve d’une sagesse supérieure ? Comment pourra-t-il marcher dans la voie étroite ? Puisqu’il en est ainsi, ne nous en tenons plus à l’opinion du vulgaire, voyons les choses en elles-mêmes. Quand il s’agit d’une somme d’argent, nous ne nous en rapportons pas à d’autres, nous voulons compter nous-mêmes ; s’agit-il au contraire de trancher une question, vite nous nous laissons entraîner par l’opinion, quand cependant nous avons une balance, fine règle certaine, la parole de Dieu lui-même. Quoi de plus absurde ? Je vous en conjure donc, ne, vous occupez point de ce que pense celui-ci ou celui-là ; consultez les saintes Écritures ; apprenez d’elles quelles sont les vraies richesses, puis mettez toute votre ardeur à les rechercher, afin de jouir des biens éternels. Puissions-nous tous y parvenir par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ auquel, avec le Père et le Saint-Esprit, gloire, honneur, puissance, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.