2 Corinthians 8
HOMÉLIE XVI.
C’EST POURQUOI NOUS SOMMES CONSOLÉS DE VOTRE CONSOLATION ; MAIS NOUS NOUS SOMMES RÉJOUIS PLUS SURABONDAMMENT ENCORE DE LA JOIE DE TITE, PARCE QUE SON ESPRIT S’EST REPOSÉ, GRACE A VOUS TOUS. (VII, 13, JUSQU’A VIII, 6)
Analyse.
- 1. L’apôtre se réjouit de la charité qui anime les fidèles de Corinthe. – Il les a trouvés louables dans toute leur conduite, et il espère tout d’eux.
- 2. Il leur cite pour les exciter l’exemple des Macédoniens, dont la joie a été grande au milieu des tribulations, et dont les aumônes ont été abondantes.
- 3. Les Macédoniens ont été en même temps plein de docilité ; saint Paul envoie Tite aux Corinthiens pour que ceux-ci ne le cèdent en rien aux Macédoniens. – Éloge de Tite.
- 4. L’aumône est une bonne couvre plus méritoire que le rappel des morts à la vie. – Pour être véritablement l’aumône, elle doit être désintéressée.
1. Voyez encore une fois comme il exalte leurs louanges, et comme il montre leur charité. Après avoir dit qu’il a été joyeux que sa lettre ait produit un si grand résultat, et qu’ils en aient tiré tant de profit : « Je me réjouis, non pas de ce que vous avez été affligés, mais de ce que cette affliction vous a conduits à la pénitence (9) » ; après avoir montré son affection pour eux : « Et si je vous ai écrit », dit-il, « ce n’est pas à cause de l’auteur de l’injure, ni à cause de celui qui l’a reçue, mais c’est afin de manifester à vos yeux notre zèle pour vous (12) » ; il ajoute un autre signe de leurs bonnes dispositions qui leur fait beaucoup d’honneur, et qui montre combien leur charité est sincère : « Dans votre consolation », dit-il, « nous nous sommes réjouis plus surabondamment encore de la joie de Tite (13) ». Pourtant, ce n’est pas le fait d’un homme qui les aime beaucoup, de se réjouir de ce qui arrive à Tite plutôt que de ce qui leur arrive. Si fait, nous dit l’apôtre ; car je ne m’en suis pas tant réjoui pour lui que pour vous. Et c’est pourquoi il en donne ensuite la cause en ces termes : « Parce que son cœur s’est reposé, grâce à vous tous ». Il n’a pas dit : Lui, mais : « Son cœur », c’est-à-dire, sa charité pour vous : Et comment s’est-il reposé ? « Grâce à vous tous ». Et en effet, c’est encore là un fort grand éloge. « Car si je me suis glorifié de vous en quelque chose auprès de à lui (14) ». Grand éloge pour les disciples que leur maître se glorifie d’eux ! « Je n’ai pas n’en », dit-il, « à en rougir (14) ». Je me suis réjoui, veut-il dire, de ce que vous êtes devenus meilleurs, et de ce que vous avez confirmé mes paroles par vos œuvres. De sorte que c’est pour moi un double honneur, puisque vous avez fait des progrès, et que moi, on a vu que je ne m’écartais pas de la vérité. « Mais de même que nous vous avons toujours parlé avec vérité, ainsi quand nous nous sommes glorifié de vous auprès de Tite, cela s’est trouvé conforme à la vérité (44) ». Ici, l’apôtre nous donne encore autre chose à entendre ; de même que tout ce que nous vous avons dit a été selon la vérité, car il est naturel qu’il leur ait fait aussi beaucoup d’éloges de Tite, ainsi les choses que nous avons dites à Tite sur votre compte, ont été trouvées vraies. « Et ses entrailles ressentent pour vous une tendresse bien plus vive (15) ». Ces paroles sont d’un homme qui leur recommande Tite comme ayant pour eux une ardente charité, et leur étant extrêmement attaché. Et il n’a pas dit : Sa charité, mais : « Ses entrailles ». Puis, pour qu’on ne pense pas qu’il le flatte, il ajoute partout les motifs de cette affection, afin, comme je viens de le dire, d’échapper au soupçon de flatterie, et afin de les exhorter encore mieux, en faisant retomber l’éloge sur eux ; et en leur montrant que ce sont eux qui ont fait naître en lui le principe et le motif d’une telle charité. Car, après avoir dit « Ses entrailles ressentent pour, vous une tendresse bien plus vive », il ajoute : « Car il se souvient de votre docilité à tous ». Ce langage nous montre aussi Tite reconnaissant envers ses bienfaiteurs, puisqu’il est revenu les portant tous dans son cœur, qu’il se souvient continuellement d’eux, et qu’ils sont perpétuellement à sa bouche et dans sa pensée. Il fait aussi aux Corinthiens un mérite encore plus grand de ce que, lorsqu’ils laissèrent Tite partir, ils se l’étaient ainsi gagné. Ensuite, il parle aussi de leur docilité pour accroître leur zèle ; c’est pour cela qu’il ajoute : « De la crainte, et du tremblement avec lesquels vous l’avez reçu (15) ». Non pas avec charité seulement, mais aussi avec un extrême respect. Vous le voyez, il rend témoignage de deux mérites en eux : – de ce qu’ils l’aimaient comme un père, et de ce qu’ils le craignaient comme un supérieur, sans que cette crainte affaiblît leur affection, sans que cette affection détruisît leur crainte. C’est ce qu’il avait déjà dit plus haut : « Cette tristesse selon Dieu que vous avez eue, quelle vigilance n’a-t-elle pas produite en vous, et aussi quelle crainte et quels soupirs (11) ? Je me réjouis donc, parce que j’ai en tout confiance en vous (16) ». Voyez-vous que c’est en eux qu’il se réjouit surtout ? C’est, veut-il dire, parce que vous n’avez été en aucune circonstance la honte de votre maître ; et que vous ne vous montrez pas indignes du mon témoignage. Ainsi, il ne se réjouissait pas tant à propos de Tite de ce que celui-ci avait été l’objet d’un si grand respect, qu’à propos des Corinthiens, de ce qu’ils avaient fait preuve d’une si grande reconnaissance. Car afin qu’on ne crût pas qu’il se réjouissait plus à cause de lui qu’à cause d’eux, voyez comme il en donne encore ici le motif. De même qu’il a dit plus haut : « Car si je me suis glorifié de vous en quelque chose auprès de lui, je n’ai pas eu à en rougir » ; de même ici encore : « Parce que j’ai eu toute confiance en vous ». Ai-je à vous réprimander ? Je ne crains pas de votre part une rupture avec moi ; ai-je à me glorifier de vous ? Je n’ai pas à redouter d’être convaincu d’avoir tort ; en un mot, que j’aie à louer en vous soit l’obéissance, soit la charité, soit le zèle, j’ai confiance en vous. Je vous ai dit de couper, et vous avez coupé ; je vous ai dit d’accueillir, et vous avez accueilli ; j’ai dit en présence de Tite que vous êtes magnanimes et admirables ; que vous savez respecter vos maîtres ; et par votre conduite vous avez prouvé que cela est vrai. Bien plus, ce n’est pas tant de moi que de vous-mêmes que Tite a pu l’apprendre. Aussi est-il revenu rempli pour vous d’un amour enthousiaste, car vous avez offert à ses yeux plus encore que mes paroles n’avaient annoncé. « Or, je vais vous faire connaître, mes frères, la grâce de Dieu qui a été donnée dans les églises de Macédoine ». (8, 1) 2. Quand il les a élevés par ses éloges, il en, vient à l’exhortation. Et s’il a mêlé les louanges aux reproches, c’est de peur, en passant du reproche à l’exhortation, de rendre ses paroles difficiles à accepter ; – il veut, en commençant par flatter leurs oreilles, frayer la route à ses exhortations. Il se propose de parler sur l’aumône : aussi a-t-il la précaution de dire : « Je me réjouis de ce qu’en tout j’ai confiance en vous » ; faisant servir leurs mérites précédents à augmenter leur bonne volonté pour la circonstance présente. Il ne dit pas immédiatement : Faites donc l’aumône ; mais voyez sa prudence ; voyez comme il prépare de loin son discours, comme il le prend de haut : « Je vais vous faire connaître », dit-il, « la grâce de Dieu qui a été donnée dans les églises de Macédoine ». De peur qu’ils ne s’enorgueillissent, il appelle cela une grâce, et racontant les œuvres des autres, il se sert des éloges qu’il donne à ceux-là pour rendre plus grand le zèle de ses auditeurs. Et il loue les Macédoniens pour deux motifs, pour trois même parce qu’ils supportent courageusement les épreuves, parce qu’ils savent exercer la miséricorde, et parce que, tout pauvres qu’ils sont, ils ont montré de la libéralité dans leur aumône ; ils étaient pauvres, car on leur avait enlevé leurs biens. C’est ce qu’il nous apprend lorsqu’il leur écrit dans une de ses lettres : « Car vous êtes devenus les imitateurs des églises de Dieu qui sont en Judée, parce que vous avez aussi souffert les mêmes traitements de : la part de vos compatriotes, que les fidèles de Judée de la part des Juifs ». (1Th 2,14) Écoutez ce qu’il dit plus tard en écrivant aux Hébreux : « Car vous avez a accepté avec joie l’enlèvement de vos biens ». (Heb 10,34) Il appelle donc cela une grâce, non seulement afin de réprimer leur orgueil, mais afin de les stimuler, et d’enlever à ce qu’il va dire tout ce qui pourrait causer leur jalousie. C’est encore pour cela qu’il ajoute l’appellation de frères, c’est afin de détruire tout sentiment jaloux : car il se prépare à donner aux Macédoniens d’insignes éloges. Écoutez-les, ces éloges. Il vient de dire : « Je vais vous faire connaître la grâce de Dieu », il n’ajoute pas : qui a été donnée dans telle et telle ville, mais il loue la nation tout entière en ces termes : « Dans les églises de Macédoine ». Puis il expose quelle est cette grâce. « C’est que leur joie a été extrême dans de nombreuses épreuves de tribulation (2) ». Voyez-vous quelle prudence ? Il ne commence pas par ce qui est le but de son discours ; il dit d’abord autre chose, pour ne pas avoir l’air d’aborder exprès son sujet, mais y paraître amené par la suite d’autres idées : « Dans de nombreuses épreuves de tribulation ». C’est ce qu’il avait dit aux Macédoniens eux-mêmes, lorsqu’il leur écrivait ceci : « Vous êtes devenus les imitateurs du. Seigneur, ayant reçu la parole au milieu de nombreuses tribulations, avec la joie de l’Esprit-Saint » (1Th 1,6) ; et un peu plus loin : « La parole du Seigneur a rejailli de chez vous, non seulement dans la Macédoine et dans l’Achaïe, mais votre foi en Dieu est même parvenue en tout lieu ». (Id. 8) Or que signifie : « Leur joie a été extrême dans de nombreuses épreuves de tribulation ? » Ils ont eu, veut-il dire, les deux choses au plus haut degré : la tribulation et la joie. Aussi était-ce grande merveille devoir une telle abondance de joie jaillir en eux de la tribulation même. Car non seulement cette tribulation n’engendra point chez eux le chagrin, mais elle leur devint un sujet de contentement : et elle était grande pourtant ! Il parlait donc ainsi pour préparer les Corinthiens à se montrer courageux et inébranlables dans les épreuves. Car les Macédoniens n’avaient pas supporté la tribulation d’une manière ordinaire, mais de telle sorte qu’ils s’étaient illustrés parleur patience : bien mieux, l’apôtre ne parle pas de leur patience, mais, ce qui est plus encore, de leur joie ; et non pas simplement, de leur joie, mais d’une joie extrême oui, elle surgissait en eux, immense, ineffable. « Et que leur profonde pauvreté a été surabondante pour la richesse de leur simplicité ». Encore ici les deux choses au plus haut degré. Car de même qu’une grande tribulation a produit une grande joie, une joie extrême ; de même une grande pauvreté a produit une grande richesse d’aumône. Car c’est ce qu’il a voulu exprimer par ces mots : « A été surabondante pour la richesse ; de leur simplicité ». Car ce n’est pas à la quantité des choses données, mais à l’intention de ceux qui donnent que se mesure la libéralité. Aussi ne parle-t-il pas de la richesse des dons, mais il dit : « La richesse de leur simplicité ». Ce qui revient à ceci :. non seulement la pauvreté ne fut pas pour eux un obstacle à la libéralité, mais elle leur devint un motif de donner largement, comme la tribulation devint le motif de leur joie. Car plus ils étaient pauvres, plus ils montraient de libéralité, et donnaient de bon cœur. Aussi les admire-t-il beaucoup, de ce qu’avec tant de pauvreté ils montrèrent une libéralité si grande. Car « leur profonde pauvreté », c’est-à-dire leur extrême pauvreté, qui dépassait toute expression, fit voir leur simplicité. Il ne dit pas : Fit voir, mais : « A été surabondante » ; il ne dit pas leur simplicité, mais : « La richesse de leur simplicité », c’est-à-dire, une richesse en rapport avec la grandeur de leur pauvreté ; que dis-je, l’extrême libéralité dont ils firent preuve alla beaucoup au-delà de cette mesure. Il explique ensuite la même chose encore plus clairement, en ces termes : « Car, je l’atteste », (et certes le témoin est digne de foi) « ils ont agi selon leurs moyens, et même au-delà de leurs moyens (3) » ; ce qui revient au même que : « A été surabondante pour la richesse de leur simplicité ». Que dis-je?. ceci n’est pas la seule explication : tout ce qui suit éclaircit encore cette même pensée : « De leur propre mouvement », dit-il. C’est là un second titre d’excellence. « Avec beaucoup d’instances (4) » ; en voilà un troisième ; puis un quatrième : « Nous demandant ». Puis un cinquième : Quoiqu’étant dans la tribulation, et dans la pauvreté, ce qui en fait un sixième ; enfin en voici un septième : c’est qu’ils ont donné considérablement. 3. Et comme son principal objet, c’est d’obtenir des Corinthiens qu’ils donnent de bon cœur il insiste principalement là-dessus, et il dit : « Avec beaucoup d’instances », et : « Nous demandant ». Ce n’est pas nous qui leur avons fait une demande, ce sont eux qui nous en ont fait une. Et que nous ont-ils demandé ? « La grâce et la communication des services « rendus aux saints (4) ». Voyez-vous comme il relève encore leur action, en lui donnant des noms honorables ? Parce qu’ils avaient du zèle pour les âmes, il appelle cela une grâce, afin que les Corinthiens y courent ; puis il l’appelle une communication, pour que les Corinthiens sachent que ce n’est pas là seulement donner, mais en même temps recevoir. Ce dont ils nous priaient, dit l’apôtre, c’était donc de nous charger d’un tel service. « Et ce ne fut pas comme nous nous y attendions « (5) ». Il fait ici allusion, et à la quantité de ce qu’ils donnèrent, et à leurs tribulations. Il veut dire : Car nous ne nous sérions pas attendus qu’étant dans une si grande tribulation et dans une si grande pauvreté, ils nous eussent pressés, et nous eussent si instamment priés. Il nous a fait aussi connaître la régularité du reste de leur vie, en ajoutant : « Mais ils se sont donnés d’abord au Seigneur, et à nous par la volonté de Dieu (5) ». Car en toutes choses ils furent plus dociles que nous ne l’avions attendu ; et, parce qu’ils exerçaient la miséricorde, ils ne négligeaient pas pour cela les autres vertus, mais ils se donnèrent d’abord au Seigneur. Et que signifie : « Ils se sont donnés au Seigneur ? » C’est-à-dire : Ils se consacrèrent à lui, ils s’illustrèrent par leur foi, ils se montrèrent d’un grand courage dans les tentations, ils firent preuve de beaucoup de modération, de douceur, de charité, d’ardeur et de zèle dans la pratique de toutes les mitres vertus. Et ces mots. « Et à nous ? » C’est-à-dire, ils ont été dociles à notre égard, ils ont pratiqué la charité et l’obéissance, en ce qu’ils ont accompli les lois de Dieu, et que par la charité ils nous sont demeurés unis. Considérez comme il montre aussi leur zèle, en disant : « Ils se sont donnés au Seigneur ». Ils n’ont pas obéi à Dieu pour certaines choses, et au monde l four d’autres, ils ont obéi – à Dieu en tout, et se sont donnés tout entiers à lui. Ainsi parce qu’ils faisaient l’aumône, ils n’en ont point conçu nu fol orgueil, mais c’est tout en montrant beaucoup d’humilité, beaucoup d’obéissance, beaucoup de respect, beaucoup de grandeur d’âme, qu’ils ont exercé aussi la miséricorde. Et pourquoi ces mots : « Par la volonté de Dieu ? » C’est qu’ayant dit : « Ils se sont donnés à nous », il veut faire entendre que ce n’est pas humainement parlant, mais qu’en cela même ils ont agi suivant l’intention divine. « De sorte que nous avons prié Tite d’achever cette grâce en vous comme il l’a commencée (6) ». Et comment ces paroles viennent-elles après les autres ? Avec beaucoup de suite ; et se rattachant étroitement à ce qui précède. En effet, voici le sens : Comme nous avons vu les Macédoniens pleins d’énergie et d’ardeur en toutes choses, dans les tentations, dans l’aumône, dans leur charité envers nous, dans la pureté de leur vie pour tout le reste ; afin que vous les égaliez, nous avons envoyé Tite vers vous. Il ne le dit pas, mais il le fait comprendre. Voyez son extrême tendresse ! Lorsque nous vîmes, veut-il dire ; les Macédoniens nous supplier ainsi et réclamer de nous ces services, nous avons eu souci de vos intérêts, dans la crainte que vous ne leur fussiez inférieurs. Aussi avons-nous envoyé Tite pour qu’il vous réveillât en vous rappelant leur exemple, et qu’alors vous devinssiez les rivaux des. Macédoniens. Car Tite se trouvait là quand cette lettre fut écrite. Et l’apôtre nous le représente comme ayant déjà commencé l’œuvre avant les exhortations que lui-même donne maintenant : « Comme il l’a commencée », dit-il. Ainsi, il lui accorde de grands éloges, d’abord vers le commencement de l’épître, lorsqu’il dit : « N’ayant point rencontré Tite, mon frère, je n’ai pas trouvé de repos pour mon esprit » (2Co 2,13) ; et ensuite, dans tout ce qu’il vient de dire ici, et dans le passage même où nous en sommes ; car ce n’est pas un faible titre aux éloges, même de n’avoir encore que commencé l’œuvre : c’est le fait d’une âme fervente, d’un zèle ardent. Aussi, entre autres motifs, l’apôtre a-t-il envoyé un tel homme aux Corinthiens, afin de fournir, dans la présence même de lite, le plus grand stimulant à leur libéralité. Il a encore autre chose en vue, en l’exaltant par ses louanges : il veut l’établir plus solidement dans l’amitié des Corinthiens. Car un des grands points pour nous persuader, c’est que l’homme qui nous conseille soit notre ami. Ce n’est pas avec moins de raison qu’ayant à parler de l’aumône, non pas une fois, mais à deux et trois reprises différentes, il l’appelle une grâce. La première fois, il dit : « Je vais vous faire connaître, mes frères, la grâce de Dieu qui a été donnée dans les églises de Macédoine » ; un peu plus loin : « De leur propre mouvement, avec beaucoup d’instances nous demandant la grâce et la communication » ; et enfin : « D’achever cette grâce en vous comme il l’a commencée ». 4. En effet, l’aumône est un grand bien, un grand présent de Dieu, et quand nous la pratiquons, elle nous rend semblables à Dieu autant que cela est possible : car c’est elle surtout qui fait l’homme. Aussi le Sage, dans une peinture qu’il a faite de l’homme, a mis ce trait : « C’est une grande chose que l’homme, et c’est une chose de prix qu’un homme miséricordieux ▼▼N’oublions pas que saint Chrysostome cite toujours les Septante.
». (Pro 20,6) L’aumône est une grâce plus grande que de ressusciter des morts. En effet, quelque chose de bien plus excellent que de rappeler, au nom de Jésus, les morts à la vie, c’est de nourrir le Christ lorsqu’il a faim ; car c’est vous qui faites alors du bien à Jésus-Christ-, et dans le premier cas, c’est lui qui vous en fait. Or la récompense se gagne à faire le bien, et non pas à le recevoir. Dans le premier cas, je veux dire lorsque vous faites des miracles, c’est vous qui êtes redevable à Dieu ; et quand vous faites l’aumône, c’est Dieu qui est votre débiteur. Or il y a aumône, lorsqu’elle est faite de bon cœur, avec libéralité, lorsqu’on ne croit pas donner, mais recevoir, lorsqu’en la faisant, on se regarde soi-même comme favorisé d’un bienfait, comme y gagnant et non pas comme y perdant, car dans ce dernier cas, cela ne pourrait même s’appeler une grâce. Quand on exerce la miséricorde, on doit être joyeux, et non mécontent. Quelle absurdité n’y aurait-il pas, lorsque vous faites cesser la tristesse d’autrui, à tomber vous-même dans la tristesse ? Vous êtes cause alors que ce n’est plus une aumône. Car si vous êtes triste pour avoir délivré un autre de sa tristesse, vous faites preuve de la dernière cruauté, de la plus grande inhumanité ; il vaudrait mieux ne point, lui ôter sa peine, que la lui ôter ainsi. Mais au bout du compte, qu’est-ce qui vous attriste ? Est-ce de voir diminuer votre or ? Alors, si telle est votre disposition, ne donnez absolument rien ; si vous n’avez pas la confiance que vos richesses se multiplient dans le ciel, ne faites point d’aumône. Mais peut-être, vous voudriez une récompense ici-bas. Et pourquoi ? Laissez donc l’aumône être l’aumône, n’en faites pas un trafic. Bien des gens sans doute ont reçu une récompense même ici-bas ; mais ce n’est pas avec le privilège de l’emporter un jour sur ceux qui n’auront rien reçu en ce monde quelques-uns d’entre eux au contraire ne l’ont reçue qu’en raison de leur plus grande faiblesse, parce qu’ils n’étaient guère attirés par les biens de l’autre vie. Ils ressemblent à ces gens gloutons ? mal appris et esclaves de leur ventre, qui, invités à un festin splendide, n’attendent pas le moment convenable, mais, comme les petits enfants, compromettent leurs jouissances mêmes en les anticipant, et en se gorgeant d’aliments de qualité inférieure. Ainsi les gens qui, dès ce monde, cherchent et reçoivent leur récompense, diminuent pour eux celle de la vie à venir. Quand vous prêtez de l’argent, vous désirez ne rentrer dans le capital qu’au bout de longtemps, peut-être même ne pas y rentrer du tout, afin d’accroître les intérêts par cet ajournement : et lorsqu’il s’agit d’aumône, vous réclamez votre dédommagement tout de suite, et cela, quand vous ne devez pas rester en ce monde, que vous devez être pour toujours dans l’autre ; quand ce n’est point ici-bas que vous serez jugé, quand c’est là-haut que vous devez rendre vos comptes ? Si l’on vous préparait une demeure où vous ne dussiez pas rester, vous regarderiez cela comme une dépense perdue : eh quoi ! vous voulez vous enrichir en ce monde, d’où il vous faudra partir, peut-être avant ce soir ? Ne savez-vous pas que nous sommes ici à l’étranger, comme des hôtes, comme des voyageurs ? ne savez-vous pas que le sort des étrangers, c’est d’être chassés au moment où ils ne s’y attendent et n’y songent point ? Eh bien ! c’est là notre condition. En conséquence ; tout ce que nous avons amassé ici, nous l’y laissons. Le souverain Maître ne permet pas que nous emportions rien avec nous, soit que nous ayons construit des maisons, soit que nous ayons acheté des terres, ou des esclaves, ou des meubles, ou autres choses semblables, Et non seulement il ne laisse rien emporter, mais il ne vous donne pour cela aucun dédommagement : il vous a prévenus de ne rien bâtir, de ne faire aucune dépense avec des ressources étrangères, mais d’y employer les vôtres. Pourquoi donc, laissant là ce qui vous appartient, mettez-vous en œuvre et dépensez-vous des biens étrangers, de manière à perdre à la fois et votre peine et votre salaire, et à subir les derniers châtiments ? Qu’il n’en soit pas ainsi, je vous en conjure, mais puisque nous sommes par notre condition, étrangers en ce monde, soyons-le aussi par nos dispositions, afin de ne pas être là-haut chassés avec mépris comme étrangers. Car si nous avons voulu devenir citoyens de ce monde, nous ne serons citoyens ni de ce monde, ni de l’autre ; si au contraire nous restons ici-bas comme étrangers, si nous nous y conduisons comme des étrangers doivent le faire, nous obtiendrons les franchises du citoyen, et dans ce monde et en l’autre vie. Car l’homme juste, ne possédât-il rien, vivra ici même au milieu des biens de tous, comme si ces biens étaient à lui, et quand il sera parvenu au ciel, il y verra ses propres tabernacles éternels ; même en ce monde il n’aura rien eu à souffrir d’humiliant ; car nul n’aura pu considérer comme étranger celui qui aura eu pour cité la terre entière ; et une fois en possession de sa véritable patrie, il y recevra les véritables richesses. Afin donc de gagner à la fois et les biens de ce monde et ceux de l’autre, usons comme il faut de ce que nous possédons. Car de cette manière nous serons citoyens des cieux, et nous y jouirons d’un grand crédit auprès de Dieu ; puissions-nous tous obtenir cette faveur, par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec lequel gloire, puissance, honneur au Père, ainsi qu’au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il. HOMÉLIE XVII.
MAIS AFIN QUE VOUS EXCELLIEZ EN TOUT, PAR VOTRE FOI ET PAR VOTRE PAROLE, ET PAR VOTRE SCIENCE, ET PAR TOUTE ESPÈCE DE ZÈLE. (VIII, 7, JUSQU’A 15) Analyse.
- 1. Saint Paul évite tout ce qui pourrait ressembler à de l’importunité à l’égard des Corinthiens r il leur a cité l’exemple des Macédoniens, non pour rendre les Corinthiens jaloux, mais pour les engager à imiter les Macédoniens ; il stimule ensuite les Corinthiens par leur propre exemple. – Il commence par leur demander de faire l’aumône sans aller jusqu’à se gêner.
- 2. Leur aumône rétablira l’égalité, tant des biens temporels que des biens spirituels. – C’est le fait de l’orgueil, de ne vouloir avoir besoin de personne. – Utilité des pauvres en ce monde.
- 3. Les riches ont bien plus besoin d’autrui que les pauvres. – Ce besoin où nous sommes les uns des autres, est un effet de la sagesse divine. – Il ne faut jamais se lasser de faire l’aumône. – Faire aux autres ce que nous voulons qu’ils nous fassent, telle est la règle de conduite à suivre à l’égard du prochain.
1. Voyez encore comme avec des éloges il les excite à en mériter de plus grands. Il n’a pas dit : Afin que vous donniez ; mais : « Afin que vous excelliez par votre foi dans les dons de la grâce, par votre parole » pleine de sagesse, « par votre science » des dogmes, « par toute espèce de zèle » pour les autres vertus, « et par votre charité », cette charité dont j’ai déjà parlé, et dont j’ai donné la preuve. « Qu’ainsi vous excelliez également en cette dernière grâce (7) ». Vous le voyez, s’il commence par les louer sur les premiers points, c’est afin de les entraîner, par la suite de son discours, à se montrer tout aussi zélés sous ce dernier rapport. « Je ne vous dis pas cela par manière de commandement (8) ». Voyez quelle complaisance il a sans cessa pour eux, comme il s’abstient d’être importun, et d’employer là violence ou la contrainte ; que dis-je ? ce double caractère est ici dans les paroles même : absence d’importunité et absence de contrainte. En effet, comme il les a continuellement exhortés, qu’il a beaucoup loué les Macédoniens, de peur que cela ne ressemble à de la contrainte, voici comment il s’exprime : « Je ne vous dis pas cela par manière de commandement, mais voulant, par le zèle des autres, éprouver aussi votre fonds sincère de charité (8) ». Non pas qu’il en, doute : car tel n’est pas ici le sens ; mais il veut mettre cette vertu en lumière, la prouver, et en même temps la fortifier. Si je vous parle ainsi, veut-il dire, c’est afin de vous exciter à la même ardeur ; et en faisant mention de leur zèle, je donne de l’éclat ; du lustre, un stimulant, à vos propres dispositions. Puis, de ce motif, il en vient à un plus puissant : car il ne néglige aucune manière de présenter son conseil : il met tout en œuvre, il emploie toutes les ressources du langage ; il les a d’abord exhortés en louant les autres : « Vous connaissez la grâce de Dieu qui a été adonnée dans les églises de Macédoine (1) » ; il les exhorte ensuite en les louant eux-mêmes : « Mais afin que vous excelliez en a tout, par votre parole et par votre science (7) ». En effet, il peut être plus cuisant d’être surpassé par soi-même que par autrui. Il arrive ensuite à l’argument capital et définitif de son conseil : « Car vous connaissez i la grâce de Notre-Seigneur, par laquelle il « s’est appauvri pour nous, lui qui était riche, « afin que nous nous enrichissions par sa pauvreté (9) ». Pensez, leur veut-il dire, à cette faveur divine, réfléchissez-y, méditez-la ; ne la laissez point passer comme inaperçue, mais considérez-en la grandeur, l’importance et la dignité, et alors vous ne ménagerez rien de ce qui vous appartient. Notre-Seigneur s’est dépouillé de sa gloire, pour que vous vous enrichissiez, non par sa richesse, mais par sa pauvreté. Si vous ne croyez point que la pauvreté produise la richesse, pensez à votre Maître, et vous n’aurez plus de doute. Car s’il n’était pas devenu pauvre, vous ne seriez pas devenu riche. Chose étonnante pourtant, que la pauvreté ait enrichi la richesse ! C’est qu’ici, par le mot richesse, l’Écriture entend la science de la piété, la purification de nos péchés, la justice, la sanctification, et les biens innombrables que Dieu nous a procurés, et qu’il nous procurera plus tard. Or, tout cela nous est venu de sa pauvreté. Et en quoi consista cette pauvreté ? A se revêtir de notre chair, à se faire homme, à souffrir ce qu’il a souffert. Et cependant il ne vous devait pas ces sacrifices, au lieu que vous, vous lui êtes redevable. « Et je vous donne en cela un avis pour votre utilité (10) ». Voyez comme ici encore il se préoccupe de n’être pas importun, et comme il adoucit son discours par ces deux expressions : « Je vous donne un avis », et « Pour votre utilité ». Il leur dit : Je ne vous contrains pas, je ne vous violente point, je fais un appel à votre bonne volonté et en vous parlant ainsi, j’ai moins en vue l’intérêt de ceux qui recevront que votre propre avantage. Puis, l’exemple même qu’il donne, il le tire d’eux-mêmes, et non pas de quelques autres. « À vous qui avez déjà commencé, non seulement à faire celte bonne œuvre, mais même à la vouloir dès l’année dernière (10) ». Voyez comme il fait voir qu’ils s’y sont portés d’eux-mêmes et sans impulsion étrangère. C’est qu’ayant précédemment rendu ce témoignage aux habitants de Thessalonique, qu’ils avaient pratiqué l’aumône de leur propre mouvement, et avec beaucoup d’instance, il veut montrer que ce mérite est aussi celui dés Corinthiens. Voilà pourquoi il dit : « Non-seulement à faire cette bonne œuvre, mais même à la vouloir », et pourquoi aussi, non content de ces simples mots : Vous avez commencé, il emploie ceux-ci : « Vous avez déjà commencé dès l’année dernière ». Ainsi, ce à quoi je vous exhorte, c’est une chose dans laquelle vous m’avez déjà prévenu, en vous y excitant vous-mêmes avec la plus grande ardeur. « Et maintenant vous en avez accompli l’exécution (11) ». Il ne dit pas : « Vous avez fait cette bonne œuvre », mais : « Vous y avez mis la dernière main ». – « De manière que comme votre désir est provenu de votre vouloir, ainsi votre action est provenue de votre avoir (11) ». En effet, il ne faut pas que ce noble mérite se borne au désir, il faut qu’il reçoive la récompense qui suit les actions ; « car pourvu que le désir précède, on est bien accueilli selon ce que l’on a, et non selon ce qu’on n’a pas (12) ». Voyez quelle ineffable sagesse l’apôtre leur avait montré au commencement des gens qui avaient fait l’aumône au-delà de leurs moyens, je veux parler des habitants de Thessalonique ; il les en avait loués, et avait dit : « Je leur rends ce témoignage qu’ils ont donné même au-delà de leurs moyens (3) » ; maintenant qu’il engage les Corinthiens à faire l’aumône suivant leurs moyens seulement, il laisse l’exemple qu’il a donné produire son effet de lui-même, sachant bien que c’est moins l’exhortation que le zèle qui pousse les hommes à imiter les bonnes actions ; c’est pour cela qu’il dit : « Car pourvu que le désir précède, on est bien accueilli selon ce que l’on a, et non selon ce qu’on n’a pas. ». Ne vous effrayez pas, veut-il dire, des paroles que j’ai prononcées tout à l’heure, car ce que j’en ai dit était pour faire l’éloge de leur libéralité ; mais Dieu nous demande en raison de nos moyens, d’après ce que nous avons, et non d’après ce que nous n’avons pas. Car l’expression : « On est bien accueilli » a ici la même valeur que s’il y avait : « Dieu demande de nous ». S’en remettant donc avec confiance à l’exemple qu’il a cité, il les ménage extrêmement, et les attire d’autant mieux qu’il les laisse libres ; aussi ajoute-t-il encore : « Car il ne faut pas que le soulagement des autres soit votre surcharge (13) ». 2. Cependant Jésus-Christ avait loué au contraire la veuve pour s’être dépouillée de tous ses moyens d’existence et avoir donné quelque chose dans sa misère même. Mais saint Paul parlait aux Corinthiens, à ce peuple au milieu duquel il préférait souffrir la faim : « Car », disait-il, « il est plus beau pour moi de mourir, que si quelqu’un me dépouillait de mon sujet de gloire ». (1Co 9,15) C’est pour cela qu’il a recours à une exhortation mesurée, louant à la vérité ceux qui font l’aumône au-delà de leurs moyens, mais sans contraindre les Corinthiens à en faire autant ; non pas qu’il ne le voulût, mais parce qu’ils étaient un peu faibles. En effet, pourquoi loue-t-il les autres de ce que, dans de nombreuses épreuves de tribulation, ils avaient une surabondance de joie, de ce que leur profonde pauvreté avait été surabondante pour la, richesse de leur simplicité (2Co 8,2), et de ce qu’ils avaient donné au-delà de leurs moyens (3) ? N’est-il pas clair que c’est pour y amener les Corinthiens ? Ainsi, bien qu’il paraisse leur passer en cela l’infériorité, ce n’est pour lui qu’un moyen de les faire monter aussi haut que les autres. Observez en effet comme par les paroles qui suivent, et sans en avoir l’air, il les prépare encore à ce résultat. Après ce qu’il vient de dire, il ajoute « Que votre superflu supplée à ce qui leur manque (4) ». Pour rendre son commandement léger, il n’en avait pas dit assez, il a voulu y ajouter les mots que vous venez d’entendre. Et même, non content des moyens précédents, il leur facilite encore l’accomplissement du précepte, en leur montrant la récompense, et en des termes plus grandioses qu’ils ne le méritent : « Afin », dit-il, « que l’égalité se fasse dans le temps présent, et que leur superflu supplée à ce qui vous manque (ibid) ». Qu’est-ce à dire ? Le voici : vous regorgez, vous autres, de richesses : eux, ils regorgent de la véritable vie et de leur crédit auprès de Dieu. Donnez-leur donc de ces richesses que vous avez en surabondance, et dont ils sont privés, afin que vous receviez d’autres biens par l’entremise de ce crédit dont ils sont riches, et dont vous êtes pauvres. Voyez comme il a su, sans qu’ils s’en doutassent, les préparer à donner au-delà de leurs moyens, et même dans l’indigence. Car si vous voulez, leur dit-il, recevoir de la surabondance des autres, donnez vous-mêmes de votre surabondance ; mais si vous voulez vous faire donner tout, il faut leur offrir même de votre indigence, et au-delà de vos moyens. Il ne tient pas littéralement ce langage à ses auditeurs, mais il laisse leur raisonnement tirer cette conclusion : en attendant, il poursuit toujours son premier but, il opère son exhortation modérée, en leur parlant des effets visibles, en leur disant : « Afin que l’égalité se fasse dans le temps présent ». Comment arrivera cette égalité ? En ce que vous et eux vous vous donnerez réciproquement de ce que vous avez en abondance, et vous suppléerez mutuellement à ce qui vous manque. Et quelle est cette égalité, puisqu’en retour de choses matérielles, on vous en rendra de spirituelles ? La supériorité est grande de ce dernier côté : comment donc appelle-t-il cela de l’égalité ? Il ne la considère qu’au point de vue du superflu et du trop peu, ou bien seulement par rapport à la vie présente. C’est pour cela qu’après avoir dit : « L’égalité », il ajoute : « Dans le temps présent ». Et en parlant ainsi, il voulait rabaisser l’orgueil des riches, et faire voir qu’après notre départ d’ici-bas, les hommes spirituels auront de beaucoup l’avantage. Car en ce monde nous jouissons tous d’une grande égalité ; mais alors il y aura une grande différence, les uns auront sur les autres une extrême supériorité, car les justes seront plus resplendissants que le soleil. Ensuite, quand il les a représentés non seulement comme donnant, mais encore comme recevant en retour dé plus grands avantages, il veut donner à leur ardeur un autre mobile, en leur montrant que même s’ils ne font part de rien à autrui, ils ne posséderont lien de plus, après avoir ainsi tout amassé chez eux. Et il leur cite alors un trait de l’antique histoire : « Selon ce qui est écrit : « Celui qui en recueillait beaucoup, n’en avait pas plus que les autres ; et celui qui en recueillait peu, n’en avait pas moins ». (Exo 16,18) C’est de la manne qu’il en fut ainsi. Car ceux qui en avaient ramassé davantage et ceux qui en avaient ramassé moins, se trouvaient en avoir la même mesure, Dieu punissant ainsi l’avidité. Or l’apôtre parlait ainsi, tant pour les effrayer par, l’exemple dé ce qui s’était passé alors, que pour leur persuader de ne désirer rien de trop, et de ne point s’affliger lorsqu’ils n’avaient pis assez. Et l’on peut voir se renouveler de nos jours, au sujet des affaires de cette vie, ce qui eut lieu autrefois à propos de la manne. Chacun de nous n’a qu’un seul estomac à satisfaire, la durée de la vie est la même pour tous, et chacun de nous n’est revêtu que d’un seul corps : en conséquence, le superflu du riche ne lui vaudra rien de plus, comme au pauvre son dénuement, rien de moins. Dès lors, pourquoi craignez-vous la pauvreté ? Ou pourquoi courez-vous après la richesse ? Je crains, direz-vous, d’être forcé de frapper à la porte des autres, et de demander à mon prochain. J’entends aussi continuellement nombre de personnes qui font au ciel cette prière : Ne permettez pas que j’en vienne jamais à avoir besoin des hommes. J’ai grande pitié d’entendre un tel langage car la crainte est puérile. Tous les jours, et pour ainsi dire en toutes choses, nous avons besoin les uns des autres. De sorte que ces paroles dénotent un esprit irréfléchi, plein de lui-même, et qui ne discerne pas clairement la nature des choses. Ne voyez-vous pas que tous nous avons besoin les uns des autres ? le soldat a besoin de l’artisan, celui-ci du négociant, le négociant à son tour a besoin du laboureur, l’esclave a besoin de l’homme libre, le maître a besoin de l’esclave, le pauvre du riche, le riche du pauvre, celui qui ne fait aucun travail de celui qui fait l’aumône, et celui qui donné de celui qui reçoit, car celui qui reçoit l’aumône tient une place extrêmement nécessaire, et plus importante que toutes les autres. S’il n’y avait pas de pauvres, la plus grande partie de notre salut se trouverait renversée, les hommes n’ayant pas où répandre leurs richesses. Ainsi, le pauvre, qui semble le plus inutile de tous les hommes, en est au contraire le plus utile. Si donc il est honteux d’avoir besoin d’autrui, il ne lui reste plus qu’à mourir, car il n’est pas possible de vivre si l’on craint cela comme une honte. Mais je ne puis, direz-vous, souffrir un regard d’arrogance. Et pourquoi, en condamnant la hauteur chez les autres, vous flétrissez-vous du même coup par cette accusation ? Car ne pouvoir supporter l’arrogance, c’est le fait d’une âme gonflée elle-même d’orgueil. Et si tout cela ne mérite d’être compté pour rien, pourquoi le craindre, pourquoi le redouter, pourquoi à cause de cela trembler à l’idée de la pauvreté ? Si vous étiez riche, les gens dont vous auriez besoin n’en seraient que plus nombreux, oui plus nombreux et en outre plus vils : car plus on s’enrichit, plus on se met en butte à cette malédiction. 3. En demandant les richesses pour n’avoir besoin de personne, vous ne savez pas, ce que vous souhaitez : c’est comme si un homme, en s’embarquant sur une mer où l’on a besoin de nautoniers, d’un vaisseau, et de mille agrès divers, formait le vœu de n’avoir absolument besoin de personne. Si vous voulez n’avoir grand besoin de personne, demandez la pauvreté : car si, étant pauvre, vous êtes obligé d': avoir recours à quelqu’un, ce ne sera que pour du pain ou pour un vêtement ; tandis qu’étant riche, vous serez forcé de recourir à autrui pour vos terres, pour vos maisons, pour les impôts, pour les salaires, pour votre rang, pour votre sûreté, pour votre gloire, pour vos rapports avec les gens en place ; et non pas avec eux seulement, mais avec leurs subordonnés, avec ceux de la ville, ceux de la campagne, avec les négociants, avec les aubergistes. Voyez-vous que de telles paroles sont insensées au dernier point ? Car si, au bout du compte, ce besoin du secours d’autrui vous paraît quelque chose de si terrible, premièrement il est impossible de s’y soustraire absolument ; en second lieu, si vous voulez du moins fuir la foule, car ceci est possible, alors, vous réfugiant dans le port sans tourmente de la pauvreté, rompez avec le tumulte si compliqué des, affaires, mais gardez-vous de considérer comme honteux, d’avoir besoin des autres : car c’est ici l’ouvrage de la sagesse ineffable de Dieu. Voyez en effet : nous, avons besoin les uns des autres, et ce n’est pas encore assez de ces liens nécessaires pour nous réunir par ceux de l’amitié ; eh bien ! si chacun de nous pouvait se suffire à soi-même, ne serions-nous pas des bêtes féroces que rien ne pourrait apprivoiser ? Dieu nous a donc placés sous une dépendance mutuelle parla contrainte et la nécessité, et chaque jour nous nous froissons les uns contre les autres. Si Dieu nous eût retiré ce frein, qui de nous eût recherché de longtemps l’amitié de son prochain ? Gardons-nous donc de considérer ce besoin comme une honte, et ne disons pas dans nos prières : Préserve-nous d’avoir besoin de personne ; mais demandons-lui ceci : Ne permets pas que, lorsque nous serons dans le besoin, nous repoussions ceux qui peuvent nous secourir. Ce qui est méprisable, ce n’est pas d’avoir besoin des autres, mais c’est de ravir ce qui appartient à autrui. Eh bien ! pourtant nous ne prions jamais à ce dernier sujet, jamais nous ne disons : Préserve-moi de désirer le bien des autres ; et pour ce qui est d’avoir, besoin d’eux, nous croyons, devoir en demander à Dieu l’affranchissement. Pourtant saint Paul se trouva souvent dans le besoin, et il n’en rougissait pas ; au contraire, il s’en vantait, et il faisait dans les termes suivants l’éloge de ceux qui lui avaient rendu service : « Car une première et une seconde fois vous m’avez envoyé de quoi m’aider dans mes besoins » (Phi 4,16) ; et ailleurs : « J’ai dépouillé les autres Églises, en recevant de quoi vivre pour vous servir ». (2Co 11,8) Rougir de cela, ce n’est donc pas de la dignité, mais de la faiblesse, c’est le fait d’une âme sottement fière, d’un esprit déraisonnable. En effet, Dieu juge à propos que nous ayons besoin les uns des autres. Ne poussez donc pas votre sagesse au-delà des bornes. Mais, dira-t-on, je ne puis souffrir un homme à qui je fais des prières réitérées, et qui n’y accède point. Et comment donc Dieu te souffrira-t-il, quand il t’exhorte et que tu ne te rends pas, et cela, lorsqu’il t’exhorte dans ton propre intérêt ? « Car nous, sommes les délégués du Christ », dit l’apôtre, « de sorte que c’est Dieu qui vous adresse par notre organe cette exhortation : Réconciliez-vous avec Dieu ». (2Co 5,20) Mais, direz-vous, je ne laisse pas d’être le serviteur de Dieu. Comment, cela ? Quand vous, le prétendu serviteur, vous vous enivrez, et que lui, le Maître, souffre de la faim, et n’a pas même la nourriture nécessaire, en quoi pourra vous protéger le titre de serviteur ? Il ne fera au contraire que vous charger davantage, lorsque vous aurez demeuré dans vos palais à triple étage, tandis que votre maître n’avait pas même un abri suffisant ; quand vous aurez couché sur des lits moelleux, tandis qu’il n’avait pas même ou reposer sa tête. On me dira encore : Eh bien ! j’ai donné. Oui, mais il ne faut pas s’arrêter dans cette voie. Car cette raison ne sera bonne que lorsque vous n’aurez plus de quoi donner, que vous ne posséderez plus rien. Tant que vous aurez quelque chose, eussiez-vous donné à dix mille personnes, s’il y a encore des gens qui ont faim, vous n’aurez pas de bonne raison à faire valoir. Et si vous accaparez le blé, si vous le faites enchérir, si vous imaginez d’autres moyens insolites de, trafic, quel espoir de salut vous restera-t-il ? Dieu vous a prescrit de donner gratuitement à celui qui a faim, et vous ne le faites même pas quand vous recevez un prix en proportion ; il s’est lui-même pour vous, dépouillé de tant de gloire, et vous ne daignez pas même lui donner du pain : votre chien est rassasié, et Jésus-Christ meurt de faim ; votre serviteur est gorgé de mets jusqu’à étouffer, et votre Maître et le sien manquent de la nourriture nécessaire. Est-ce là se conduire en ami ? Réconciliez-vous donc avec Dieu ; car votre manière d’agir a été celle d’un ennemi, d’un ennemi juré. Rougissons donc de tous les bienfaits que nous avons reçus, de tous ceux que nous recevrons encore ; et quand un pauvre s’approche de nous en nous demandant l’aumône, accueillons-le avec une grande bienveillance, le consolant, l’encourageant par nos paroles, afin que nous éprouvions à notre tour le même traitement, et de la part de Dieu, et de la part des hommes. En effet, « tout ce que vous voulez que les hommes vous fassent, faites-le leur vous-mêmes ». (Mat 7,12) Cette loi n’a rien de pénible, rien de rebutant. Faites-nous, dit-elle, ce que vous voulez que l’on vous fasse ; la rémunération est égale à l’action. L’Écriture ne dit pas : Ne faites pas ce que vous ne voulez pas que l’on vous fasse ; elle va plus loin. Ce dernier précepte serait l’abstention du mal, le premier est la pratique du bien, et l’autre y est renfermé. L’Écriture ne dit pas non plus : Souhaitez-le aussi aux autres ; mais : « Faites-le-leur ». Et qu’y gagne-t-on ? « C’est la loi et les prophètes ». Vous voulez que Dieu ait pitié de vous ? Ayez pitié des autres. Vous voulez obtenir votre pardon ? Pardonnez donc vous-même. Vous prétendez que l’on ne dise pas de mal de vous ? Ne dites donc de mal de personne. Vous désirez être loué ? Faites l’éloge d’autrui. Vous souhaitez que l’on ne vous enlève pas vos biens ? Ne ravissez donc pas les biens étrangers. Voyez-vous comme Notre-Seigneur nous montre que le bien est une chose naturelle, et que nous n’avons pas besoin de chercher des lois ni des maîtres hors de nous ? Car suivant que nous voulons être traités par notre prochain de telle ou telle manière, nous nous faisons notre loi en conséquence. Si donc vous ne voulez pas qu’il vous fasse quelque chose, et que vous le lui fassiez, ou bien si vous voulez qu’il vous fasse quelque chose, et que vous ne lui fassiez pas, vous prononcez votre propre condamnation, et il ne vous reste plus aucun moyen de vous justifier, en alléguant que vous ne saviez comment agir, que vous ignoriez ce qu’il fallait faire. Aussi, je vous en conjure, gravons en nous cette loi pour notre usage, et en lisant ces paroles si claires à la fois et si concises, devenons tels envers notre prochain, que nous voulons qu’il soit envers nous, afin que nous jouissions de la paix ici-bas, et que nous obtenions les biens futurs, par la grâce et là charité de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec lequel gloire, puissance et honneur, au père ainsi qu’au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il. Traduction de M. Edouard MALVOISIN. HOMÉLIE XVIII.
ET GRÂCES SOIENT RENDUES À DIEU QUI A MIS LE MÊME ZÈLE POUR VOUS DANS LE CŒUR DE TITE. (VIII, 16, JUSQU’À LA FIN DU CHAPITRE) Analyse.
- 1. Pour augmenter le zèle des Corinthiens dans l’exercice de l’aumône, l’Apôtre leur fait l’éloge de ceux qu’il envoie recueillir leurs offrandes. – Il commence par louer Tite, auquel il fait surtout un mérite de sa spontanéité à se rendre à Corinthe. – Quel est ce frère qu’il lui adjoint, et dont la réputation dans l’Évangile est répandue dans toutes les Églises ? – Ses titres à la confiance des fidèles.
- 2. Saint Paul a choisi des hommes à l’abri de tout soupçon, afin d’éviter même les interprétations malveillantes du monde. – Le troisième frère qu’il envoie est plein de zèle aussi, et choisi par les Églises comme le précédent.
- 3. Ils étaient probablement inconnus aux Corinthiens. – Honorer les envoyés des Églises, c’est honorer les Églises ; et honorer les Églises, c’est honorer Dieu. – Puissance et valeur de l’Église en corps. – Il y a plusieurs circonstances où ministres et simples fidèles ont les mêmes droits. – Nous sommes tous les membres d’un seul corps ; aussi est-ce une chose déplorable que la désunion entre les fidèles. – Dieu a permis que Jéthro donnât un bon avis à Moïse, pour faire voir que Moise était homme, et avait besoin du secours de Dieu pour opérer des miracles. – Moïse n’a pas rougi de suivre le conseil de Jéthro. – Lorsque nous sommes consultés, nous devons mettre de côté tout orgueil, ne considérer que l’intérêt de tous, et admettre les bons avis, même lorsqu’ils viennent des personnes de la plus basse condition.
1. Voici encore l’apôtre qui donné des éloges à Tite. Après avoir parlé de l’aumône, il parle de ceux qui doivent recevoir et emporter leurs offrandes. Cela était dans l’intérêt de la collecte, cela augmentait le zèle de ceux qui y contribuaient. Quand nous avons confiance dans le dispensateur, quand nous ne soupçonnons pas les personnes qui recueillent nos dons, nous y mettons plus de libéralité. Pour obtenir ce résultat, écoutez comme l’apôtre leur recommande les gens qui sont allés les trouver dans ce but, et parmi lesquels Tite est le premier. Il dit : « Et grâces soient rendues à Dieu qui a mis le même zèle pour vous dans le cœur de Tite ». Que veut-il dire par : « Le même zèle ? » Le même que Tite avait pour les habitants de Thessalonique, ou bien encore Paul voulait-il dire aux Corinthiens Un zèle semblable à celui que j’ai moi-même pour vous ? Et remarquez sa sagesse : ayant montré que c’était l’œuvre de Dieu, il le remercie d’être l’auteur de cette grâce, pour les exciter encore par ce moyen. Car si c’est Dieu qui a inspiré Tite et qui l’a envoyé vers vous, c’est donc Dieu qui vous demande par l’organe de Tite. Ne pensez donc pas que ce qui est arrivé soit quelque chose d’humain. Et à quel signe reconnaît-on que c’est Dieu qui a poussé Tite à agir de la sorte ? Le voici : « Car non seulement il a bien accueilli mon exhortation, mais, plus zélé encore lui-même, il est parti de son propre mouvement (17) ». Voyez comme il le représente accomplissant son couvre personnelle, sans avoir besoin d’autrui. Mais comme saint Paul avait dit que c’était une grâce de Dieu, il ne la laisse pas attribuer à Dieu tout entière, afin de leur inspirer encore plus d’affection pour Tite en leur disant que ce dernier s’y est porté de lui-même. Car « plus zélé encore lui-même, il est parti de son propre mouvement » ; il a saisi l’occasion, il s’est élancé sur ce trésor, il a jugé que vous rendre service, c’était agir dans son propre intérêt ; dans son amour extrême pour vous, il n’a pas eu besoin de mes exhortations, et quoique je l’aie exhorté, ce n’est pas cela qui l’a déterminé ; il y a été porté de lui-même et par la grâce de Dieu. « Nous avons aussi envoyé avec lui notre frère, dont la réputation dans l’Évangile est répandue dans toutes les Églises (18) » ? Quel est ce frère ? Les uns veulent que ce soit saint Luc, qui serait désigné ainsi à cause de l’Évangile qu’il écrit. Selon d’autres, il s’agit de Barnabas, et ses prédications, quoique non écrites, seraient ce que saint Paul appelle ici Évangile. Et pourquoi ne donne-t-il pas les noms de ceux qu’il envoie avec Tite ? Il nomme Tite expressément, il le caractérise en outre, et par sa coopération dans la prédication évangélique, [car il était si utile que Paul, en son absence, ne pouvait rien faire de grand et d’énergique : « N’ayant point trouvé mon frère Tite je n’ai point trouvé, de soulagement pour mon esprit]» (2Co 2,13), et par sa charité pour les Corinthiens.« [Ses entrailles ressentent pour vous une affection encore plus surabondante] » (2Co 7,15), et par son zèle pour l’œuvre dont il s’agit : « Il est parti, lisons-nous, de son propre mouvement » ; et quant aux autres que saint Paul envoie en même temps, il ne fait pas ainsi leur portrait, et il ne les nomme pas. Comment expliquer cela ? Peut-être n’étaient-ils pas connus des Corinthiens ; alors il n’insiste pas sur, leur éloge, parce que les Corinthiens n’ont pas encore été à même de les apprécier ; il n’en dit que ce qui suffisait pour les recommander et les mettre à l’abri de tout mauvais soupçon. Mais voyons en quoi il fait consister l’éloge de celui des coopérateurs de Tite dont il parle en premier ? De quoi le loue-t-il ? De sa prédication d’abord, et il le loue non seulement de prêcher, mais de le faire comme il faut, et avec le zèle convenable. Car il ne dit pas : Il prêche et il évangélise, mais il parle de sa « réputation dans l’Évangile ». Et de peur que cela ne paraisse une flatterie, il prend à témoin non pas un seul homme, ni même deux ou trois hommes, mais les Églises entières : « Notre frère, dont la réputation, dans l’Évangile est répandue dans toutes les Églises ». Ensuite il le rend respectable en raison du choix que l’on a fait de lui ; ce qui n’est pas non plus un faible honneur. Aussi, après avoir, dit : « Dont la réputation dans l’Évangile est répandue dans toutes les Églises », il ajoute : « Et non seulement cela (19) ». C’est comme s’il disait : non seulement il est respectable parce qu’il est renommé pour sa prédication et que, tout le monde fait son éloge, « mais encore il a été choisi par les Églises avec nous (19) ». C’est ce qui me porte à croire qu’il est question de Barnabas. Et saint Paul représente la mission de ce frère comme considérable, car il indique pourquoi on l’a élu ; c’est,.dit-il, « afin de nous accompagner dans nos voyages et de coopérer avec nous dans cette grâce que nous dispensons (19) ». Voyez-vous quels éloges ! Il s’est illustré en annonçant l’Évangile ; et toutes les Églises lui en ont donné un témoignage a été choisi pour la même œuvre que saint Paul ; associé partout à ce dernier, il a partagé ses épreuves et ses périls ; car le mot de voyages donne à entendre tout cela. Et que signifie : « Afin de coopérer avec nous dans cette grâce que nous dispensons ? » C’est-à-dire, pour annoncer la parole et prêcher l’Évangile ; ou bien, pour, distribuer les aumônes ; je crois même qu’in s’agit de l’un et de l’autre but. Saint Paul ajoute ensuite : « Pour la gloire du Seigneur lui-même, et dans l’intérêt de votre zèle (19) ». Saint Paul veut donc dire ceci : Nous avons demandé qu’il fût élu avec nous, et désigné pour cette œuvre, afin qu’il devienne le dispensateur et le distributeur de l’argent sacré, [ce qui n’étant pas un faible honneur, car les apôtres avaient dit : « Choisissez sept hommes d’entre vous, qui aient une bonne réputation] » (Act 6,3) ; or il a été choisi par les Églises, et le suffrage du peuple entier lui a été favorable. Que veut dire : « Pour la gloire du Seigneur lui-même, et dans l’intérêt de votre zèle ? » Cela signifie : Et pour que Dieu soit glorifié, et pour que vous deveniez plus zélés, en voyant que les hommes qui reçoivent ces aumônes sont connus, et que personne ne peut faire naître contre eux aucun soupçon injuste. 2. C’est pour cela que nous avons cherché de tels hommes, et que nous n’avons pas confié le tout à un seul, car nous voulions qu’il échappât à un pareil soupçon ; mais nous avons envoyé Tite et avec lui un autre. Puis, pour expliquer ces mots. « Pour la gloire du Seigneur, et dans l’intérêt de votre zèle », il ajoute : « Ayant ceci pour but, que personne ne nous blâme dans cette abondance que nous dispensons (20) ». Quel est ce langage ? Il est digne de la vertu de Paul, et il montre sa grande sollicitude, et sa condescendance. Pour que personne, veut-il dire, ne vous soupçonne, et ne dirige contre nous quelque blâme, comme si nous – détournions une partie de l’argent qui nous est confié ; pour ce motif nous avons envoyé des hommes de ce caractère ; pour ce motif nous en avons envoyé non pas seulement un, mais deux, mais trois. Voyez-vous comme il les met à l’abri de tout soupçon ? Ce n’est pas, seulement en s’appuyant sur leur prédication' ni même simplement sur le choix que l’on a fait d’eux, mais il s’autorise de ce qu’ils sont connus, et de ce qu’on les a choisis tout exprès peur qu’ils ne pussent être soupçonnés. Il n’a pas dit non plus : De peur que vous ne nous blâmiez ; mais : « Que personne ne nous blâme » ;. c’est-à-dire, personne autre que vous. Ainsi, bien qu’il ait fait cela pour eux ce qu’il donné à entendre par ces mots : « Pour la gloire du Seigneur lui-même, et dans l’intérêt de votre zèle » ; néanmoins il ne veut pas se blesser, et il prend un autre tour : « Ayant ceci pour but ». Et non content de cela, il les flatte encore dans ce qui vient ensuite : « Dans cette abondance que nous dispensons » ; il accompagne d’un, éloge ce qui serait dur à entendre. Afin de ne pas les contrister, afin qu’ils ne disent pas : Tu crois donc devoir nous soupçonner ? Nous sommes donc assez malheureux pour t’être suspects à cet égard ? Il leur dit par manière de correctif : Les sommes d’argent que vous envoyez sont considérables, et cette abondance, c’est-à-dire, cette quantité d’argent serait de nature à donner des soupçons aux méchants, si nous ne faisions voir une garantie. « Car nous pour voyons au bien, non seulement aux yeux de Dieu, mais encore aux yeux des hommes (21) ». Comment égaler saint Paul ? Il ne dit pas : Malheur et douleur à qui viendrait soupçonner pareille chose ; tant que ma conscience ne me condamne pas, je tiens pour rien les soupçons d’autrui. Non, mais plus ils sont faibles, plus il s’abaisse à leur niveau.. C’est qu’en effet, lorsqu’un homme est malade, il ne s’agit pas de se fâcher contre lui, il faut tâcher de le guérir. Et cependant, de quel péché sommes-nous aussi éloignés, que ce grand saint était loin de prêter à un tel soupçon ? personne, eût-ce été un démon, n’eût élevé, aucun doute sur la manière dont le bienheureux apôtre administrait cette aumône. Eh bien ! quoique si fort à l’abri des interprétations malignes, il fait tout, il met tout en couvre, pour ne pas laisser même le plus léger prétexte à qui s’aviserait de faire, d’une manière ou d’une autre, quelque supposition mauvaise. Il prévient non seulement les accusations, mais encore les reproches, le blâme le plus vulgaire et jusqu’au simple soupçon. « Nous avons aussi envoyé avec eux notre frère (22) ». En voilà donc un troisième qu’il adjoint aux deux autres, également avec éloge, et avec son suffrage et celui de plusieurs autres témoins. « Que nous avons », dit-il, « éprouvé souvent en mainte circonstance comme un homme zélé, et à présent comme bien plus zélé encore (Id) ». Après avoir loué les mérites personnels de ce frère, il l’exalte en raison de sa charité pour les Corinthiens, et ce qu’il disait de Tite que « plus zélé encore lui-même, il était parti de son propre mouvement (17) », il le dit aussi de ce troisième : « Et à présent comme bien plus zélé encore ». Par ces paroles, il fait voir déjà en germe dans leurs cœurs leur amour pour les Corinthiens. Enfin, après avoir montré leurs vertus, il exhorte les Corinthiens dans leur propre intérêt, en disant : « S’il s’agit de Tite il est mon coopérateur, et il travaille avec ravi pour vous (23) ». Que signifie : « S’il s’agit de Tite ? » Voici le sens s’il faut parler de Tite en quelque chose, j’ai à dire qu’il est mon coopérateur, qu’il travaille avec moi. Ou bien encore il entend par là vous faites quelque chose pour Tite vous n’aurez pas obligé le premier venu, car il est mon coopérateur. Et tout en ayant l’air de le louer, il vante les Corinthiens, en montrant que leurs dispositions envers lui sont telles qu’il suffit, pour leur donner lieu d’honorer quelqu’un, de leur faire voir en cette personne le coopérateur de Paul. Toutefois, il ne s’en tient pas encore là, et il ajoute cet autre motif : « Il travaille avec moi pour vous ». non seulement il travaille avec, moi, mais c’est pour des affaires qui vous regardent, c’est pour votre progrès, pour votre avantage, c’est par amitié, par zèle pour vous ; il leur dit tout ce qui était le plus capable de lui gagner leur affection. « S’il s’agit de nos frères (Id) ». C’est-à-dire du bien si vous voulez que je vous parle des autres, ils ont aussi les plus grands droits à vous être recommandés. En effet, eux aussi sont « nos frères », eux aussi « ils sont les apôtres des Églises », c’est-à-dire, envoyés par les Églises. Puis, ce qui est au-dessus de tout, « La gloire du Christ ». Car c’est à Jésus-Christ que se rapporte tout ce qui leur arrive. Soit donc que vous vouliez les accueillir comme des frères, ou comme les envoyés des Églises, soit que vous le fassiez pour la gloire du Christ, vous avez de nombreux motifs de bienveillance à leur égard.. Car j’ai à dire de Tite qu’il est mon coopérateur et votre ami dévoué, et j’ai à dire des autres qu’ils sont nos frères, qu’ils sont les apôtres des Églises, qu’ils sont la gloire de Jésus-Christ. 3. Vous le voyez, ceci prouve qu’en ces derniers étaient inconnus aux Corinthiens. Autrement il leur eût fait honneur comme à Tite d’avoir de l’affection pour les Corinthiens. Mais sommé ceux-ci ne les connaissaient pas encore, recevez-les, dit-il, comme des frères, comme des envoyés des églises, comme agissant pour la gloire du Christ ; c’est pourquoi il ajoute : « Prouvez-leur donc à la face des Églises quille est votre charité et la gloire que nous mettons en vous (24) » : C’est-à-dire : Faites voir maintenant, d’une part combien vous nous aimez, et de l’autre, combien l’orgueil que : nous avons conçu de vous est légitime et fondés or, vous prouverez tout cela, si vous montrez de la charité envers eux. Il donne à son langage quelque chose de plus redoutable en ajoutant : « À la face des Églises ». C’est, dit-il, pour la gloire et l’honneur des Églises ; car si vous honorez nos frères, vous honorerez les Églises dont ils tiennent leur mission. En effet, l’honneur qu’on rend aux envoyés ne s’arrête pas à eux, il va jusqu’à ceux qui les délèguent, qui les ont choisis, il va plus loin encore, il rend gloire à Dieu même. Honorer les ministres de Dieu, c’est faire monter, nos louanges jusqu’à lui. Devant la communauté des Églises : et ce n’est pas là un point sans importance : il y a une grande puissance dans la réunion, c’est nomme si je disais : dans les Églises. Considérez combien a été grande cette puissance de la réunion. La prière de l’Église délivra Pierre de ses liens (Act 12,5-7), et ouvrit la bouche de Paul ; à son tour, le suffrage de ces deux apôtres revêt de faveurs insignes ceux qui arrivent aux dignités spirituelles. C’est pourquoi celui qui va faire élection de quelqu’un invoque leurs prières, et ceux qui sont initiés aux fonctions sacrées sont appelés à donner leur suffrage, et déclarent ce qu’ils savent, car il n’est pas permis de tout révéler devant ceux qui ne sont pas initiés aux fonctions sacrées. Dans d’autres cas, il n’y a point de différence entre le prêtre et ses administrés ; comme lorsqu’il s’agit de prendre part aux redoutables mystères ; car nous y sommes admis tous indistinctement. Ce n’est pas comme sous l’ancienne Loi, où les mets du prêtre n’étaient pas ceux du simple fidèle ; où il n’était pas permis au peuple d’avoir part aux mêmes choses que le pontife. Il n’en est plus ainsi die nos jours : un seul corps, un seul calice est offert à tous. Dans les prières, on peut voir aussi que le peuple est pour beaucoup. Pour les énergumènes, pour les personnes soumises à une pénitence, les prières viennent à la fois du prêtre et des fidèles ; ils disent tous la même, et c’est une prière pleine de miséricorde. Quand nous avons exclu de l’enceinte sacrée ceux qui ne peuvent participer à la sainte table, c’est à une prière d’un autre genre qu’il faut avoir recours ; mais alors encore tout le monde indistinctement se prosterne à terre et se relève. Quand on donne et que l’on reçoit le baiser de paix, tout le monde y est admis. Dans la célébration même des très-redoutables mystères, le prêtre prié pour le peuple, mais le peuple prie aussi pour le prêtre, car ces mots : « Et avec votre esprit », n’ont pas d’autre sens. L’action de grâces leur est commune également, car ce n’est pas le prêtre seul qui rend grâces, mais le peuple tout entier. En effet, c’est après avoir reçu l’assentiment des fidèles, et après qu’ils sont convenus que cela est juste et légitime (Dignum et justum est), que le prêtre commence l’action de grâces. Et pourquoi s’étonnerait-on que le peuple parle conjointement avec le prêtre, puisqu’alors aussi le peuple s’associe aux Chérubins eux-mêmes et aux puissances célestes pour faire monter en commun les hymnes sacrées vers Dieu ? Or si je vous ai dit tout cela, c’est afin que même parmi les simples fidèles, chacun soit vigilant, afin que nous apprenions que nous sommes tous un seul corps, que nous ne, différons ensemble que comme certains membres diffèrent des autres, c’est afin que vous ne rejetiez pas tous les soins sur les prêtres, mais que pour votre part aussi, vous vous inquiétiez de l’Église tout entière, comme de votre corps commun. Car cela nous procure une plus grande sécurité, et un accroissement de vertu plus considérable. Écoutez comme du temps des apôtres on admettait dans d’autres circonstances encore, les simples fidèles à donner leur avis. Quand on voulut choisir les sept diacres, on commença par consulter le peuple ; et quand Pierre élut Matthias, il consulta tous ceux qui étaient là, les femmes comme les hommes. C’est qu’il ne s’agit pas ici d’orgueil du côté des chefs, ni de servitude de la part des subordonnés ; l’autorité y est toute spirituelle, et ce qui la distingue principalement, ce n’est pas de chercher de plus grands honneurs, c’est de prendre sur elle la plus grande partie des peines et de la sollicitude dont vous êtes l’objet. En effet, comme l’Église doit être pour nous une seule et même demeure, nos dispositions à tous doivent être celles d’un seul et même corps, de même qu’il n’y a qu’un baptême, qu’une table sainte, qu’une source de purification, qu’une seule création, qu’un seul Père. Pourquoi donc sommes-nous divises, lorsque tant de choses nous réunissent ? Pourquoi ces déchirements entre nous ? Car nous sommes obligés de déplorer encore une fois ce dont j’ai bien souvent gémi ; le présent est lamentable : quelle profonde désunion nous sépare les uns des autres, quand nous devrions imiter la connexion des membres d’un même corps. Ce serait le moyen grâce auquel le plus grand pourrait tirer parti même du plus petit : Car si Moïse apprit de son beau père quelque chose d’utile qu’il ne savait lui-même, à plus forte raison cela arriverait-il dans l’Église. Et pourquoi l’homme spirituel ne savait-il pas alors ce que savait l’infidèle ? C’était pour que tous apprissent alors que Moïse était un homme ; que pour diviser les eaux de lamer, pour ouvrir les flancs du rocher, il avait besoin du secours de Dieu ; et que tout cela était l’œuvre, non pas de la nature humaine, mais dé la puissance divine ; enfin que de nos jours, dans l’Église, si l’un ne donne pas un avis utile, un autre se lève et donne le sien. Et fût-il d’une condition inférieure, si ce qu’il dit est bon, sanctionnez son avis, et quand cet homme serait de la classe la plus humble, ne le méprisez pas. Car ; nul dans ces derniers rangs n’est à une aussi grande distance de son prochain, que l’était Jéthro de son gendre Moïse ; toutefois celui-ci, ne dédaigna pas d’écouter son beau-père, il accueillit au contraire son avis, il s’y rangea, et il l’a consigné par écrit, il n’a pas rougi de le transmettre à l’histoire (Exo 18), renversant en cela l’orgueil du plus grand nombre des hommes. C’est pour cela qu’il a laissé ses divers événements de sa vie gravés comme sur le marbre il savait que le récit en serait utile à beaucoup de gens. Ainsi, ne dédaignons pas ceux qui nous donnent de bons conseils, fussent-ils de simples fidèles, même de rang infime, et quand nous avons fait nous-même une proposition, ne prétendons pas à toute force la voir adopter ; que tout ce qui paraît avantageux reçoive la sanction de tous. Car souvent, à force d’ardeur et d’attention, ceux qui voient trouble, distinguent certaines choses mieux que ceux dont la vue est perçante. Ne dites pas : Pourquoi m’appelez-vous afin de donner mon avis, si vous n’écoutez pas ce que je dis ; ce reproche est celui d’un despote, et non pas d’un conseiller. Le conseiller n’a d’autre droit que de faire connaître sa façon de penser ; s’il se produit quelque manière de voir plus utile, et que ce même homme veuille néanmoins imposer la sienne, alors, comme je viens de le dire, ce n’est plus un conseiller, c’est un tyran. Gardons-nous donc d’une pareille conduite ; mais, dépouillant notre âme de tout orgueil et de toute infatuation, ayons en vue non pas de maintenir uniquement notre opinion, mais de donner, l’avis le plus utile, le moyen de prévaloir, quand même cet avis ne viendrait pas de nous. Car nous gagnerons beaucoup, si nous n’avons pas trouvé ce qu’il faut à l’accueillir lorsque les autres nous paraîtront l’offrir ; nous recevrons de Dieu une grande récompense, et c’est en même temps le meilleur moyen d’en retirer de la gloire. En effet ; si l’homme qui ouvre des avis utiles fait preuve de sagesse ; nous autres, en les accueillant, nous nous attirons la réputation d’esprits judicieux et d’âmes droites. Voilà pour les familles et pour, les cités, et aussi pour l’Église, la ligne à suivre pour atteindre à un plus grand développement ; voilà également pour nous tous le plan de conduite, qui après avoir été le meilleur pour la vie présente, nous vaudra les biens du monde à venir : puissions-nous tous obtenir cette faveur par là grâce et la charité de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec lequel gloire ; puissance et honneur du Père, ainsi qu’au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.