‏ 2 Timothy 3

HOMÉLIE VII.

OR, SACHEZ QUE DANS LES DERNIERS JOURS, IL VIENDRA DES TEMPS FÂCHEUX. CAR IL Y AURA DES HOMMES AMOUREUX D’EUX-MÊMES. (III, 1-2)

Analyse.

  • 1. Les derniers jours marqués par l’invasion des méchants : prophétie plusieurs fois répétée par saint Paul.
  • 2-4. Ne point mépriser son prochain. – Amour de Dieu et du prochain. – Quelle doit être la vie d’une veuve chrétienne.

1. Saint Paul, dans sa première épître à Timothée, dit que l’Esprit de Dieu déclare expressément que dans les temps à venir « quelques-uns abandonneront la foi ». (1Ti 4,1) Il répète la même prophétie dans un autre passage de la même épître, et il l’énonce encore une fois ici : « Sachez que dans les derniers jours il viendra des temps fâcheux ». Non content d’envisager l’avenir, il en appelle encore au témoignage du passé : « De la même manière », dit-il, « que Jannès et Mambrès se soulevèrent contre Moïse, etc. » Il a même recours aux raisonnements pour appuyer sa prophétie : « Dans une grande maison », dit-il, « il n’y a pas seulement des vases d’or et d’argent, etc. » Pourquoi cette prophétie ? Afin que Timothée ne se trouble point, non plus que nous, lorsque les méchants prévalent dans le monde. Son raisonnement revient à ceci : S’il y a eu des méchants du temps de Moïse et après Moïse, il n’y a pas lieu de s’étonner qu’il y en ait de notre temps. « Dans les derniers jours, il viendra des temps fâcheux ». Ce ne sont pas les temps ni les jours eux-mêmes que saint Paul accuse, mais les hommes qu’ils verront naître. Nous nous exprimons aussi de même et nous disons que les temps sont bons où mauvais, en voulant parler des hommes et de leurs œuvres. Et du premier coup il dévoile la cause de tous les maux, la racine et la source d’où ils proviennent tous, à savoir l’orgueil. Celui que cette passion domine n’a même plus d’yeux pour voir ses propres intérêts. Comment celui qui ne voit pas les intérêts du prochain, qui les néglige comme chose indifférente, pourrait-il voir les siens propres ? De même que celui qui a l’œil ouvert sur les intérêts du prochain, pourvoira en même temps aux siens, de même celui qui néglige les intérêts du prochain, ne saura pas voir clair en ce qui le concerne lui-même. Si, en effet, nous sommes les membres les uns des autre, le salut du prochain est en même temps le nôtre puisqu’il contribue à celui de tout le corps : le dommage aussi que subit notre prochain, il ne le subit pas seul, mais il cause une douleur qui se fait ressentir à tout le corps. Si nous ne formons tous qu’un seul et même édifice, l’édifice tout entier est affecté de ce que l’un de nous souffre, comme aussi il corrobore de tout ce que chacun de nous gagne en force.

C’est ce qui arrive dans l’Église. Méprisez-vous votre frère, vous vous faites tort à vous-même, puisqu’un de vos membres souffre un dommage considérable. Si celui qui ne donne pas de son argent aux pauvres va en enfer, qu’en sera-ce de celui qui ne tend pas la main à son frère, lorsqu’il le voit dans un danger spirituel incomparablement plus grave que tous les dangers qui peuvent menacer le corps ?

« Il y aura des hommes amis d’eux-mêmes ». L’homme ami de soi-même est réellement celui qui s’aime le moins ; l’homme ami de son frère est au contraire celui qui s’aime véritablement. L’avarice naît de l’amour de soi-même, puisque cet amour funeste et mesquin borne et resserre l’amour naturel, qui est large et se répand sur tous les hommes. – « Avides d’argent ». De la cupidité naît l’enflure ; de l’enflure, le dédain des autres ; de ce dédain, le blasphème ; du blasphème, l’orgueil insensé et l’incrédulité. Celui qui s’élève contre les hommes, s’élèvera de même aisément contre Dieu. C’est ainsi que croissent les péchés et que, de petits commencements, ils s’élèvent jusqu’aux grands excès. Celui qui se montre, pieux envers les hommes le sera bien davantage envers Dieu ; celui qui a de la modestie envers les serviteurs n’en manquera pas envers le maître, et il méprisera bientôt le maître s’il s’accoutume à mépriser les serviteurs.

Ne nous méprisons donc point les uns les autres. C’est une mauvaise école que celle où l’on s’accoutume à mépriser Dieu. Or, mépriser les autres, c’est mépriser Dieu qui nous commande d’avoir des égards les uns pour les autres. Éclaircissons ceci par un exemple. Caïn méprisa son frère, et bientôt après il méprisa Dieu. Voyez la réponse insolente qu’il lui fit : « Suis-je le gardien de mon frère ? » Esaü de même méprisa son frère, ensuite il méprisa Dieu. C’est pourquoi Dieu dit : « J’aime Jacob et je hais Esaü ». (Rom 9,13) Saint Paul aussi a dit : « Que personne ne soit fornicateur et profane comme Esaü ». (Heb 12,16). Les frères de Joseph le méprisèrent et ils méprisèrent aussi Dieu. Les Israélites méprisèrent Moïse et méprisèrent Dieu ensuite. Après avoir méprisé le peuple, les fils d’Héli méprisèrent aussi Dieu. Voyons maintenant le contraire par d’autres exemples. Abraham eut de la considération pour son neveu, il en eut infiniment plus pour Dieu, comme il le montra par le sacrifice de son fils et par toutes ses autres vertus. Abel fut doux et humble envers son frère, il le fut encore plus envers Dieu. Ainsi ne nous méprisons point, mais rendons-nous un honneur réciproque, afin de nous accoutumer à honorer Dieu. Celui qui traite insolemment les hommes n’épargnera pas Dieu même. Mais lorsque l’avarice, l’amour-propre et l’orgueil se rencontrent ensemble dans un homme, la perte n’est-elle pas inévitable ? Oui, c’en est fait de lui, et il se plonge dans la fange de tous les péchés. « Ils sont ingrats », dit l’apôtre. Comment l’avare serait-il reconnaissant ? À qui saura-t-il gré de quoi que ce soit ? À personne. Il regarde tous les hommes comme autant d’ennemis, puisqu’il voudrait prendre le bien de tous. Quand vous lui donneriez tout ce que vous possédez, il ne vous en saurait aucun gré, il serait fâché que vous n’eussiez pas davantage à lui donner. Quand vous auriez trouvé le secret de le rendre maître du monde entier, il n’en aurait point de reconnaissance. Il croirait n’avoir rien reçu. Son désir est insatiable ; car c’est un désir de malade ; or les désirs de malades ne se peuvent assouvir.

2. Un homme brûlé de la fièvre peut-il éteindre le désir qu’il a de boire ? Plus il boit, plus il veut encore boire. Ainsi en est-il de l’homme passionné pour les richesses jusqu’à la folie, sa passion ne veut jamais être satisfaite. Quoi que vous fassiez pour le contenter, il ne sera jamais satisfait et il ne vous saura aucun gré de vos sacrifices. Sa reconnaissance, il ne saurait l’accorder qu’à celui qui lui donnerait tout ce qu’il désire. Or, qui lui donnera tout ce qu’il désire, puisque ses désirs sont sans bornes ? Il ne témoignera donc de reconnaissance à personne au monde. Il n’y a donc rien de plus ingrat qu’un avare. Il n’y a rien de plus insensé que l’homme cupide. Il semble qu’il ait déclaré la guerre à tout le genre humain. Il s’indigne qu’il y ait des hommes. Il voudrait être seul au monde pour tout posséder seul. Voici quels sont ses rêves : Oh ! si un tremblement de terre pouvait ruiner la ville et que je survécusse seul au désastre pour être maître de tout ! S’il arrivait donc une peste qui détruisît tout hormis l’argent ! S’il survenait un déluge, si les eaux de la mer pouvaient se précipiter sur la terre ! Voilà les souhaits qu’il forme et mille autres pareils. Il ne lui vient à l’esprit aucune pensée charitable. Il ne s’occupe de rien que de tremblements de terre, de tonnerres, de guerres, de pestes, il souhaite que tous ces maux arrivent. Âme malheureuse, dis-moi, esclave plus vil que les esclaves, si tout était changé en or, est-ce l’or qui t’empêcherait de mourir de faim ? Si un tremblement de terre, comblant tes vœux, détruisait tout ce qui est sur la surface de la terre, tu périrais toi-même, puisque tu ne trouverais plus sur la terre désolée de quoi soutenir ton existence. Supposons qu’il n’y ait plus un seul homme sur la terre, et que tout l’or, tout l’argent qui s’y trouve afflue de lui-même dans votre maison, supposons, supposition folle comme leurs rêves, mais enfin supposons que la richesse de tous ceux qui ne sont plus, que leur or, que leur argent, que leurs étoffes de soies ou brochées d’or, que tout cela vienne dans vos mains : que gagneriez-vous ? Pourriez-vous éviter la mort, lorsque vous n’aurez plus personne pour cuire votre pain, pour semer vos champs, pour vous défendre des bêtes ? Les démons, dans cette solitude effroyable, rempliraient votre âme de mille frayeurs ; ils la possèdent dès maintenant, mais alors ils vous feraient tourner l’esprit et mourir enfin.

Je voudrais, dites-vous, qu’il restât quelques laboureurs et quelques boulangers pour me servir. Mais s’ils restaient avec vous, ils voudraient partager ces biens avec vous. Vous ne le leur permettriez pas, tant votre avarice est insatiable. Voyez, mes frères, combien cette passion rend un homme ridicule, et l’extrémité où elle le réduit. Un avare est jaloux d’avoir un grand nombre de serviteurs, et il ne peut souffrir qu’ils aient le nécessaire pour vivre, parce qu’il craint la dépense. Voulez-vous donc que les hommes soient de pierre ? O passion aveugle et méprisable ! que de folies, que de troubles et de tempêtes, que d’imaginations ridicules ne causes-tu pas dans les âmes ! L’avare a toujours faim, toujours soif. Ayons pitié de lui, mes frères, déplorons son sort. Il n’y a pas de plus cruelle maladie que cette faim incessante que les médecins nomment « boulimie » ; on a beau manger, rien ne la peut calmer. Transportez une telle maladie du corps à l’âme, quoi de plus affreux ? Or la « boulimie » de l’âme, c’est l’avarice ; plus elle se gorge d’aliments, plus elle en désire. Elle étend toujours ses souhaits au-delà de ce qu’elle possède. Si l’ellébore nous pouvait guérir de cette folie, ne faudrait-il pas tout faire pour s’en affranchir ? Il n’y a pas assez de richesses au monde pour remplir le ventre affamé de l’avarice.

Quelle confusion pour nous, mes frères que certains hommes aiment l’argent beaucoup plus que nous n’aimons Dieu, et que Dieu soit pour nous d’un moindre prix que n’est l’or pour eux ? Veilles, lointains voyages, dangers sur dangers, inimitiés et embûches, les hommes bravent tout pour l’amour de l’argent. Et nous, nous ne hasarderions pas de dire une simple parole pour Dieu, ni d’encourir la moindre disgrâce ? Quand il faudrait venir en aide à quelque opprimé, comme nous redoutons de nous exposer au ressentiment de quelque grand personnage, comme nous avons peur d’une ombre de péril, comme nous nous hâtons d’abandonner la malheureuse victime de l’injustice ! Lorsque nous avons reçu de Dieu le pouvoir de secourir ceux qui en ont besoin, nous laissons ce pouvoir se perdre inutilement entre nos mains, pour ne pas nous attirer de désagréments ni de haines. Cette lâcheté est même réputée sagesse et est passée en proverbe : « Sans raison faites-vous aimer, mais sans raison ne vous faites point haïr ». Voilà un propos que le monde a sans cesse à la bouche. Quoi ! est-ce donc s’exposer sans raison à la haine que de la faire pour secourir un malheureux ? Quoi de préférable à cette haine ? L’amitié que l’on s’attire pour Dieu ne vaut pas, à beaucoup près, la haine que l’on encourt à cause de lui. Lorsqu’on nous aime à cause de Dieu, c’est un honneur dont nous lui sommes redevables ; Lorsqu’au contraire nous nous faisons haïr à cause de Dieu, c’est lui qui nous doit pour cela une récompense. Quelque amour que les avares montrent pour l’or, ils n’y peuvent mettre de bornes, et dès que nous avons fait la moindre chose pour Dieu, nous croyons avoir tout fait. Nous sommes bien loin d’aimer Dieu autant qu’ils aiment l’or. Ils sont certes bien coupables d’avoir cette folle passion pour l’or ; mais que nous sommes nous-mêmes condamnables de n’avoir pas autant d’amour pour Dieu ! Cet honneur qu’ils rendent à un peu de terre, car l’or n’est pas autre chose que nous sommes malheureux de ne pas le rendre au Maître de toutes choses.

3. Considérons, mes frères, cette folle passion, et rougissons de notre indifférence. Que gagnerons-nous à être moins enflammés pour l’or, si nous sommes froids pour Dieu dans nos prières. Les avares méprisent leurs femmes, leurs enfants et même leur salut, et cela sans savoir s’ils réussiront à grossir leur d avoir, puisque souvent ils meurent au milieu de leurs plus belles espérances, après avoir travaillé en vain ; et nous qui sommes certains d’atteindre l’objet de nos désirs, si nous l’aimons comme il faut l’aimer, nous ne daignons pas même l’aimer ainsi, mais nous sommes froids en tout, froids dans l’amour du prochain, froids dans l’amour de Dieu. Car notre indifférence pour Dieu vient de celle que nous avons pour notre prochain. Il n’est possible qu’un homme qui ne sait pas aimer soit capable d’un sentiment noble et viril. L’amour est le fondement de toutes les vertus. La charité, dit Notre-Seigneur, renferme la loi et les prophètes. (Mat 22,40) Comme lorsque le feu s’est saisi d’une forêt d’épines, il les réduit en cendres, et en purifie la terre ; de même le feu de la charité brûle et détruit, partout où il tombe, tout ce qui peut être contraire à la moisson de Dieu, et purifiant la terre de nos âmes, la rend propre à recevoir la semence que Dieu y répand. Là où se trouve l’amour, tous les maux disparaissent. Il n’y a plus d’avarice, cette racine de tous les maux, il n’y a plus d’égoïsme, plus de morgue ; qui voudrait, en effet, s’élever au-dessus d’un ami ? Rien ne nous rend si humbles que la charité. Elle nous fait, sans rougir, rendre à nos amis les plus bas services, et même nous leur en rendons grâces. La charité fait que nous n’épargnons pas notre argent, ni même nos personnes pour le bien de nos amis, puisque nous exposons pour eux notre vie. La charité véritable et sincère ne souffre ni envie ni médisance. Bien loin de calomnier nos amis, nous fermons au contraire la bouche à ceux qui les calomnient. La charité met partout le calme et la tranquillité, elle bannit les disputes et les querelles, elle fait régner une paix profonde. « La charité », dit saint Paul, « est l’accomplissement de la loi ». (Rom 13,10) Il n’y a rien de désagréable en elle. Tous les crimes qui troublent la paix : l’avarice, la violence, les rapines, l’envie, les accusations, le parjure, le mensonge, disparaissent en présence de la charité, puisqu’on ne commet des parjures que pour ravir le bien des autres. Qui voudrait penser à ravir le bien d’un ami ? On est prêt au contraire à lui donner ce qu’on a, et on croit même qu’il nous fait grâce de le recevoir. Vous me comprenez, vous tous qui avez des amis, non pas des amis de nom seulement, mais des amis véritables et que vous aimez autant qu’on doit aimer des amis. Si quelqu’un ignore ces choses, qu’il les apprenne de ceux qui les savent.

Écoutez un modèle d’amitié tiré de l’Écriture. Jonathas, fils du roi Saül, aimait David : « Son âme était étroitement unie à la sienne » (1Sa 18,1), au point que pleurant sa mort, David disait : « Ton amour m’a saisi comme l’amour des femmes ; ta mort m’a fait une blessure mortelle. ». (2Sa 1,26) Jonathas porta-t-il envie à David ? Nullement, et cependant il avait un motif de lui porter envie, puisqu’il voyait qu’il allait devenir roi, à son détriment. Il n’éprouva cependant aucun mouvement d’envie. Il ne dit point : Cet homme me chasse du trône de mon père. Il l’aida même à entrer en possession de son royaume. Il résista à son propre père en faveur de son ami. Ce que je dis néanmoins ne doit point le faire passer pour un rebelle ou un parricide ; il ne viola en rien le respect qu’il devait à son père, il se contenta d’empêcher ses pièges et ses injustices. C’était lui témoigner du respect et non lui faire tort, puisqu’il l’empêchait de commettre un meurtre injuste. Il s’exposa même souvent à mourir pour son ami. Il ne l’accusa point, il réfuta même les accusations de son père. Il ne fut pas envieux contre son ami, il l’aida au contraire non seulement de son bien, mais il lui sauva la vie, il exposa pour lui la sienne propre, il ne considéra point son père lorsqu’il s’agissait de sauver son ami, parce que Saül avait des desseins criminels que Jonathas détestait. Voilà quelle était l’amitié de Jonathas pour David. Voyons maintenant celle de David pour Jonathas. Il ne put le payer de tout ce qu’il avait fait pour lui, puisque cet ami si bienfaisant mourut avant que lui, David, qui avait reçu ses bienfaits, fût devenu roi. Voyons cependant comment ce juste témoigna son amitié dans la mesure du possible. « Que Jonathas est beau pour moi ; ta mort m’a fait une blessure mortelle ». Nous trouvons encore d’autres marques de sa tendresse. Il sauva son fils et son petit-fils de mille périls en mémoire de leur père. Il ne cessa jamais de les regarder comme ses propres enfants. Je souhaiterais de vous tous, mes frères, que vous eussiez une tendresse semblable envers les vivants et envers les morts.

4. Que les femmes écoutent ceci, car ce sont les femmes que j’ai surtout en vue lorsque je dis : Envers les morts ; qu’elles écoutent donc celles qui convolent à de secondes noces, déshonorant ainsi la couche de votre mari mort, de celui que vous avez aimé le premier. Je ne dis pas cela néanmoins pour condamner les secondes noces ou pour faire croire qu’elles soient impures. Saint Paul ne me le permet pas ; il me ferme la bouche lorsqu’il dit : « Si même elle se remarie, elle ne pèche point ». Cependant voyons aussi la suite : « Mais elle n’est plus heureuse, si elle demeure telle qu’elle est ». (1Co 7,28.40) La viduité est bien plus excellente que les secondes noces pour plusieurs raisons. Car s’il vaut mieux ne se point marier, il s’ensuit qu’il vaut mieux ne se marier qu’une fois que plusieurs. Vous m’objecterez peut-être que plusieurs n’ont pu supporter le veuvage et sont tombées en de grands malheurs ? Elles y sont tombées parce qu’elles n’ont pas su ce que c’était que la viduité. Elle ne consiste, point seulement à ne pas contracter un second mariage, comme la virginité ne consiste point simplement à ne point se marier du tout. Ce qui fait proprement la vierge, c’est la modestie et la prière assidue, et ce qui fait la veuve, c’est la solitude et une prière continuelle avec l’abstinence des délices. « Celle qui vit dans les délices », dit saint Paul, « est morte toute vivante qu’elle est ». (1Ti 5,6) Si, en demeurant veuve ; vous avez la même magnificence dans vos habits et le même luxe et le même faste que vous aviez du vivant de votre mari, il vaudrait mieux vous remarier. Ce n’est pas l’union du mariage qui est mauvaise, mais ces vanités que vous recherchez. Vous fuyez ce qui en soi n’est pas un mal, et vous faites ce qui de soi est mauvais.

C’est la raison pour laquelle quelques veuves s’étaient égarées à la suite de Satan : elles ne savaient pas garder, comme il convient, l’état de veuve. Voulez-vous savoir ce que c’est que la viduité, et quel est son caractère ? Écoutez saint Paul : « Qu’on puisse lui rendre témoignage de ses bonnes œuvres », dit-il, « si elle a bien élevé ses enfants, si elle a exercé l’hospitalité, si elle a lavé les pieds des saints, si elle a secouru les affligés, si elle s’est appliquée à toute sorte d’actions pieuses ». (1Ti 5,14) Si maintenant que votre mari est mort, vous paraissez toujours entourée du faste de la richesse, vous ne savez pas vivre en veuve. Transférez vos richesses dans le ciel, et le poids de votre viduité vous deviendra léger. – Mais si j’ai, dites-vous, des enfants qui doivent hériter du patrimoine de leur père ? Apprenez-leur à eux-mêmes à mépriser les richesses. Faites passer vos biens au ciel, et en leur donnant à chacun ce qui leur suffit, apprenez-leur à se mettre au-dessus de leur argent. – Mais si j’ai un grand nombre d’esclaves, dites-vous ; si j’ai une multitude d’affaires, de l’or, de l’argent ? Comment suffirai-je à l’administration de tant de biens, sans le secours d’un homme ? – Ce sont là de vains prétextes, si vous n’aimiez point l’argent, si vous ne vouliez point encore augmenter votre bien, toutes ces raisons disparaîtraient. Il y a bien plus de peine à étaler ses richesses qu’à les conserver. Si vous retranchez l’ostentation, et si vous donnez de vos biens aux pauvres, Dieu étendra sur vous la protection de sa main. Si c’est vraiment le désir de conserver l’héritage de vos pupilles qui vous fait parler de la sorte, et non les prétextes que votre avarice cherche si adroitement, Dieu qui sonde les cœurs saura conserver en sûreté le bien de ces enfants, lui qui vous a commandé de bien élever vos enfants. Il est impossible qu’une maison fondée sur la charité envers les pauvres souffre aucun mal. Quand elle en souffrirait, le succès en serait heureux dans la suite. La charité protégera cette maison mieux que la lance et le bouclier. Voyez ce que le démon dit lui-même à Dieu au sujet du saint homme Job : « Ne l’avez-vous pas environné, comme d’une forte muraille, au-dedans et au-dehors ? » Pourquoi ? – Job va lui-même vous répondre : « J’étais », dit-il, « l’œil des aveugles, le pied des boiteux et le père des orphelins ». (Job 1,10 ; et 29, 15)

Celui qui prend part aux maux des autres, ne sera point abattu de ses maux propres ; celui au contraire qui refuse de s’unir à la douleur des autres, sera bien plus rudement, frappé de ses propres malheurs. Si, dans le corps, lorsque le pied est blessé, la main ne lui porte point de secours, si elle ne lave point la plaie, si elle n’y applique point de remède pour la guérir, elle sera bientôt elle-même atteinte du même mal, et pour n’avoir pas voulu rendre service à un autre membre lors, qu’elle était exempte de mal, elle se verra elle-même sujette au mal. Le mal se glissant dans tout le corps, viendra enfin jusqu’à la main, pour qui il ne sera plus question de rendre service à un autre, mais de pourvoir à sa propre guérison, à son propre salut. Disons de même que celui qui refuse de compatir aux maux des autres, sera lui-même affligé par le mal. « Vous avez environné Job comme d’un rempart », dit Satan, « et je n’ose l’attaquer ». – Mais ce saint homme, direz-vous, éprouva cependant de dures afflictions.

Oui, mais ces afflictions devinrent pour lui la cause de très-grands biens. Ses richesses furent doublées, sa récompense fut augmentée, sa justice grandit, sa couronne s’enrichit de nouveaux rayons, le prix remporté par l’athlète fut plus splendide, en un mot Job vit s’accroître ensemble ses biens spirituels et ses biens temporels. Il perdit ses enfants, il est vrai, mais Dieu lui en rendit d’autres et il se réserva de lui rendre les premiers au jour de la résurrection. Si Job avait recouvré les mêmes, le nombre de ses enfants en eût été diminué ; mais outre qu’il en a reçu d’autres, il recevra encore les premiers au dernier jour. Tous ces biens lui furent donnés parce qu’il avait fait l’aumône avec joie. Faisons donc aussi l’aumône, mes frères, afin que nous obtenions de Dieu les mêmes grâces, par la miséricorde et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE VIII.

OR SACHEZ QUE DANS LES DERNIERS JOURS IL VIENDRA DES TEMPS FÂCHEUX ; CAR IL Y AURA DES HOMMES AMOUREUX D’EUX-MÊMES, AVARES, GLORIEUX, SUPERBES, MÉDISANTS, DÉSOBÉISSANTS A LEURS PARENTS, INGRATS, IMPIES, ENNEMIS DE LA PAIX ET DE LA CHARITÉ, CALOMNIATEURS, INTEMPÉRANTS, INHUMAINS, SANS AFFECTION, TRAÎTRES, INSOLENTS, ENFLÉS D’ORGUEIL, ET PLUS AMATEURS DE LA VOLUPTÉ QUE DE DIEU. (III, 1-4. JUSQU’AU VERSET 15)

Analyse.

  • 1. Ça été de tout temps que le démon a cherché à opposer le mensonge à la vérité, le mal au bien.
  • 2 et 3. La vie de l’homme est un combat sans trêve.
  • 4, 5. Le saint orateur exhorte à la lecture de l’Écriture. – Il conjure ses auditeurs de ne pas vouloir examiner trop curieusement les secrets de Dieu, dans la conduite qu’il tient envers les bons et les méchants. – Contre les devins et la vanité de leurs prédictions.

1. Si quelqu’un trouve étrange qu’il y ait aujourd’hui des hérétiques, qu’il considère qu’il en a toujours été ainsi dès le commencement, parce que, de tout temps, le diable a cherché adroitement à mêler le mensonge à la vérité. Dieu, dès le commencement, avait promis à l’homme beaucoup de biens ; le démon aussi vint les séduire par ses promesses trompeuses. Dieu leur avait planté un jardin de délices, et le démon leur vint dire : « Vous serez comme des dieux ». Ne pouvant rien leur donner en effet, il les éblouit par ses promesses : c’est ce que font tous les séducteurs. Après on vit Caïn et Abel, ensuite les fils de Seth et les filles des hommes ; puis encore Cham et Japhet, Abraham et Pharaon, Jacob et Esaü, Moïse et les magiciens, les prophètes de Dieu et les faux prophètes, les apôtres et les faux apôtres, Jésus-Christ et l’antéchrist. Après la venue du Sauveur on a encore vu la même opposition, et en même temps que les apôtres on voit paraître Teudas, Simon le magicien, Hermogènes, Philète et d’autres. Vous ne trouverez pas une époque où le démon n’ait opposé le mensonge à la vérité. Ne nous scandalisons donc point de voir des hérésies, il y a longtemps qu’elles ont été prédites. C’est ce qui fait dire à saint Paul : « Sachez que dans les derniers jours il viendra des temps fâcheux ; car il y aura des hommes amoureux d’eux-mêmes, avares, glorieux, superbes, médisants, désobéissants à leurs parents, ingrats, impies, etc. »

L’ingrat est donc un grand coupable ; et cela se comprend. En effet, comment devra se conduire envers les autres hommes celui qui est sans reconnaissance envers son bienfaiteur ? L’ingrat est un homme sans foi, l’ingrat est un homme sans entrailles. « Calomniateurs », dit saint Paul ; comme ils ne sentent en eux-mêmes rien de bon, ils trouvent une sorte de consolation à incriminer les intentions des autres, ce qui est pour eux l’occasion de mille péchés. – « Intempérants » de la langue, du ventre et de tout le reste. – « Inhumains ». La dureté et la cruauté viennent de ce qu’on a la passion de l’argent, de ce qu’on s’aime trop soi-même, de ce qu’on est ingrat ou débauché. – « Sans affection, traîtres, insolents ». Traîtres à l’amitié ; insolents et téméraires, c’est-à-dire, ne se soumettant à aucune loi. – « Enflés », c’est-à-dire, remplis d’orgueil. – « Plus amateurs de la volupté que de Dieu ; qui auront une apparence de piété, mais qui en ruineront la vérité ». L’apôtre s’exprime presque de même dans son épître aux Romains : « Ils ont », dit-il, « l’apparence, la forme de la science et de la vérité dans la loi ». (Rom 2,20) Mais là c’est un éloge qu’il décerne, et ici c’est un blâme qu’il inflige, et même un blâme très-sévère. D’où vient cette différence ? C’est que le même mot n’est pas pris selon la même acception. C’est ainsi que le mot image se prend dans l’Écriture, tantôt dans le sens de ressemblance, et tantôt en mauvaise part pour exprimer quelque chose d’inanimé, un objet de rien. Par exemple, écrivant aux Corinthiens, l’apôtre dit : « L’homme ne doit point se voiler la tête parce qu’il est l’image et la gloire de Dieu » (1Co 11,7) ; et de son côté le Psalmiste dit : « L’homme passe en image ». (Psa 39,7)

C’est ainsi que le lion est tantôt pris pour signifier quelque chose de royal et de majestueux, comme dans ce passage : « Il s’est endormi comme un lion et comme un lionceau, qui le réveillera ? » (Gen 49,9) Tantôt pour exprimer quelque chose de mal comme la rapine : « Tel qu’un lion ravisseur et rugissant ». (Psa 22,14) Nous ne parlons pas autrement nous-mêmes. L’infinie variété des objets de la nature est telle que, pour les exprimer, nous sommes obligés d’avoir recours à toute sorte d’exemples et de comparaisons. Ainsi, quand nous voulons parler avec admiration d’une belle personne, nous la comparons à une peinture ; nous disons d’une belle peinture qu’elle est parlante. Nous n’avons pas la même chose en vue dans les deux cas : dans celui-ci nous considérons la ressemblance, dans celui-là la beauté. Il en est de même du mot de « forme » dont saint Paul se sert, et qu’il prend là pour la figure, l’image, la règle et le modèle de la piété, ici pour une image inanimée, pour une figure morte et une vaine représentation. La foi donc sans les œuvres n’est qu’une apparence sans solidité. Un beau corps, paré des plus belles couleurs, mais sans vigueur, et pareil à ceux que l’on voit sur les tableaux des peintres, telle est la pure foi sans les œuvres. Admettons qu’un homme soit un avare, un traître, un insolent, et que sa foi soit pure, qu’y gagnera-t-il s’il n’a aucune des autres qualités qui font le chrétien, s’il ne pratique aucune œuvre de piété, s’il est plus impie qu’un païen, s’il ne vit que pour la perte de ceux qui le fréquentent, que pour blasphémer le saint nom de Dieu et pour déshonorer par sa conduite la foi dont il fait profession ? « Fuyez-les », dit saint Paul. Mais si ces hommes ne devaient venir qu’à la fin des temps, pourquoi l’apôtre recommande-t-il à son disciple de les éviter ? C’est que vraisemblablement il y en avait déjà de tels dès ce temps-là, quoique relativement en petit nombre ; mais la vérité est que le conseil d’éviter ces hommes ne s’adresse pas plus à Timothée qu’à nous tous. – « Car de ce nombre sont ceux qui s’introduisent dans les maisons, et qui traînent après eux comme captives, des femmes de rien, chargées de péchés et possédées de diverses passions ; lesquelles apprennent toujours et n’arrivent jamais à la connaissance de la vérité (6, 7) ».

2. Voyez-les user de la même fraude que l’antique séducteur. Ils se servent du même instrument dont le démon se servit contre Adam. – « Qui s’introduisent dans les maisons », dit l’apôtre, employant une expression qui peint parfaitement l’impudence, la dégradation, la fraude, la basse flatterie.« Qui traînent après eux comme captives, des femmelettes ». Est femmelette quiconque se laisse facilement séduire et est loin de la fermeté virile. C’est le propre des femmes de se laisser tromper, ou plutôt c’est le propre non des femmes, mais des femmelettes. – « Chargées de péchés ». Vous voyez d’où vient qu’elles se laissent facilement séduire ; cela vient de la multitude de leurs péchés et du mauvais état de leur conscience. « Chargées de péchés » est une expression d’une admirable propriété ; elle peint non seulement la multitude des péchés, mais encore le désordre et la confusion. – « Et possédées de diverses passions ». Ce n’est point le sexe qu’il accuse, il ne dit pas simplement des femmes, mais il ajoute de quelle sorte de femmes il veut parler. – « De diverses passions ». Quelles passions ? Il a en vue la mollesse, le dévergondage, la luxure, ainsi que la cupidité, la vanité, la présomption, l’amour des honneurs, et peut-être d’autres passions encore plus honteuses. – « Lesquelles apprennent toujours, et qui n’arrivent jamais jusqu’à la connaissance de la vérité ». Ce n’est pas pour les excuser qu’il parle de la sorte, mais bien pour les menacer fortement ; car elles ont elles-mêmes enseveli sous la masse de leurs péchés leur intelligence qui en a été aveuglée.

« Comme Jannès et Mambrès résistèrent à Moïse, ceux-ci de même résistent à la vérité ». Qui sont ces hommes, sinon des magiciens du temps de Moïse ? Mais comment se fait-il qu’on ne lit leurs noms nulle part ailleurs ? Il faut que saint Paul ait appris leurs noms soit par la tradition, soit par l’inspiration du Saint-Esprit. – « Ceux-ci de même résisteront à la vérité. Ce sont des hommes corrompus dans l’esprit et pervertis dans la foi. Mais le progrès qu’ils feront aura ses bornes ». Leur folie sera rendue visible à tous les yeux comme celle des magiciens. « Mais leur progrès aura des bornes ». Cependant saint Paul dit plus haut (2, 16) que leur impiété n’aura pas de bornes ; comment concilier cela ? Plus haut il veut dire que les novateurs, une fois qu’ils se seront mis à l’œuvre, ne s’arrêteront plus dans la voie de l’égarement, qu’ils inventeront sans cesse de nouvelles fraudes et de nouveaux mensonges. Ici il déclare qu’ils ne tromperont pas toujours, qu’ils n’entraîneront jamais tout après eux, quelques chutes qu’ils aient d’abord causées, mais que bientôt ils seront démasqués. Que ce soit là sa pensée, ce qui suit le prouve. « Car leur folie sera rendue visible à tous, comme le fut alors celle de ces magiciens ». Quelque prestige qu’exerce d’abord l’erreur, jamais elle ne subsiste jusqu’à la fin. Telle est la destinée des choses qui ne sont belles qu’en apparence et non en réalité. Elles ont un instant de vogue, puis on en voit le néant, et elles tombent aussitôt. Mais telle n’est pas notre doctrine, vous en êtes témoins, nous ne nous soutenons point par la fraude. Le mensonge n’est pas ce que nous prêchons ; qui voudrait mourir pour le mensonge ?

« Quant à vous, vous avez été assez longtemps avec moi pour savoir quelle est ma doctrine, ma manière de vie, la fin que je me propose, ma foi, ma tolérance, ma charité, ma patience, etc. » – « Vous avez été « assez longtemps avec moi, etc. », soyez donc fort. L’apôtre ne dit pas seulement : Vous avez été avec moi, mais : « Vous avez été assez longtemps avec moi » ; tel est le sens du mot dont il se sert. « Quelle est ma doctrine », voilà pour l’enseignement par la parole. – « Quelle est ma manière de vie », voilà pour la conduite et les œuvres. – « Quelle est la fin que je me propose », voilà pour l’intention et le but pratique. Je ne me suis pas borné à parler, dit-il, j’ai agi ; je ne me suis pas contenté d’une sagesse en paroles. – « Quelle est ma foi, ma longanimité » ; vous savez que rien ne m’a troublé dans l’accomplissement de ma mission. – « Quelle a été ma charité », vertu étrangère aux partisans de l’erreur, ainsi que la patience, et vous savez qu’elle a été la mienne. Il a usé de longanimité envers les hérétiques, et de patience contre les persécutions.

« Quelles ont été mes persécutions, mes afflictions ». Voilà deux choses capables d’effrayer un prédicateur de la foi, le grand nombre des hérétiques, et le manque de force pour souffrir les afflictions. Ces hérétiques, il en a déjà beaucoup parlé ; il a dit qu’il y en a toujours eu, qu’il y en aura toujours, qu’aucune époque n’en est exempte, qu’ils ne pourront en aucune façon nous nuire ; enfin, qu’il y a dans le monde des vases d’or et des vases d’argent. C’est pourquoi il ne parle plus que de ses afflictions. – « Ce qui m’est arrivé à Antioche, à Icone, à Lystre ». Pourquoi, d’un si grand nombre d’afflictions qu’il avait souffertes, ne rapporte-t-il que celles-ci, sinon parce que son disciple connaissait les autres ? Peut-être aussi fait-il une mention particulière, de celles-ci par la seule raison qu’elles étaient toutes récentes : Il ne s’arrête pas à énumérer toutes ses tribulations, parce qu’il est ennemi de la vaine gloire et de l’ostentation. Il parle pour encourager et consoler son disciple, et non pour faire étalage de ses mérites. Il s’agit ici d’Antioche, de Pisidie et de Lystre, patrie de Timothée. – « Quelles persécutions j’ai endurées, et comment le Seigneur m’a tiré de toutes ». Voilà deux grands motifs d’encouragement. J’ai montré une généreuse ardeur, dit saint Paul, et Dieu de son côté ne m’a pas abandonné ; ma couronne a été d’autant plus glorieuse que j’avais plus souffert. Voilà ce qu’il veut dire par ces mots : « Quelles persécutions j’ai endurées, et comment le Seigneur m’a tiré de toutes ».

3. « Ainsi tous ceux qui veulent vivre avec piété en Jésus-Christ seront persécutés ». Pourquoi parler de moi en particulier ? dit-il, est-ce que tout homme qui voudra vivre dans la piété ne sera pas persécuté ? Par persécutions il entend ici les peines et les tribulations de la vie. On ne peut point marcher par le chemin de la vertu et être exempt de chagrin, d’affliction, de douleur, d’épreuves de toutes sortes. Comment en serait-il autrement puisque c’est marcher dans la voie étroite et resserrée, puisqu’il a été dit : « Vous aurez des tribulations dans ce monde ? » (Jn 16,33) Si de son temps Job a pu dire : « La vie de l’homme sur la terre n’est qu’une épreuve continuelle » (Job 7,1), combien cela : est-il plus vrai encore aujourd’hui ?

« Mais les hommes méchants et les imposteurs avanceront de plus en plus dans le mal, égarant les autres, et s’égarant eux-mêmes ». Si les méchants sont dans la joie et vous dans les épreuves, ne vous en troublez pas : la nature des choses le veut ainsi. Mon histoire vous apprendra que l’homme qui fait la guerre aux méchants ne peut pas ne pas être dans la tribulation. L’athlète ne peut vivre dans les délices ; le lutteur ne saurait se livrer à la bonne chère. Est-ce qu’un soldat connaît le repos et les délices ? La vie présente est un combat, une guerre, une tribulation perpétuelle, une angoisse sans fin, une épreuve, c’est un stade où les luttes sont incessantes. Le temps du repos viendra plus tard, le temps présent est celui des travaux et des fatigues. Est-ce que l’athlète qui est déjà entré dans la lice, qui a déposé ses vêtements et qui s’est frotté d’huile demande à se reposer ? Si vous voulez vous reposer, pourquoi êtes-vous entré dans la lice ? Il ne vous reste plus qu’à lutter. Est-ce que je ne lutte point, direz-vous ? – Non, vous ne luttez point, puisque vous ne domptez pas votre concupiscence, puisque vous ne résistez pas à l’entraînement de votre nature..

« Quant à vous, demeurez ferme dans les choses que vous avez apprises, et qui vous ont été confiées, sachant, de qui vous les avez apprises ; et considérant que vous avez été nourri dès votre enfance dans les lettres saintes qui peuvent vous instruire pour le salut par la foi qui est en Jésus-Christ ». S. Paul donne ici le même avis que David lorsqu’il dit : « Ne soyez point jaloux des méchants ». (Psa 37,1) Demeurez ferme, dit-il, dans les choses non seulement que vous avez apprises, mais qui vous ont été confiées, et où vous avez vu qu’est la véritable vie. Si vous voyez des apparences contraires à votre croyance, ne vous troublez pas. Abraham voyait des choses contraires à ce qu’on lui avait promis, et néanmoins il n’hésita pas. Dieu lui avait promis que ce serait d’Isaac que sortirait sa postérité ; cependant lorsque Dieu lui commanda de lui immoler ce même Isaac, il n’en fut ni ébranlé ni troublé.

Que personne donc, mes frères, ne se scandalise au sujet des méchants. Il y a longtemps que l’Écriture nous a donné cet avis. Et que penser envoyant les bons dans la joie et les méchants châtiés ? – Que les méchants soient châtiés, rien de plus naturel ; mais que les bons jouissent d’une prospérité inaltérable ici-bas, c’est ce qui n’est pas possible. Personne n’égalait saint Paul, et néanmoins il passa tout le temps de sa vie dans l’affliction, dans les larmes, dans les gémissements le jour et la nuit. « Avec des larmes répandues jour et nuit », dit-il, « pendant trois ans, je n’ai pas cessé d’avertir » ; et encore : « Je suis accablé d’affaires tous les jours ». (Act 20,31 et 2Co 11,28) Il n’était pas aujourd’hui dans la joie, demain dans la douleur ; il ne se passait pas un jour sans qu’il souffrit quelque peine. – Cependant, saint Paul dit que les méchants avanceront de plus en plus dans le mal. – Oui, mais il ne dit pas qu’ils trouveront le repos, c’est vers le mal que se fait leur progrès. Il ne dit pas qu’ils seront dans la joie. S’il arrive qu’ils soient châtiés, ils le sont pour que vous ne croyiez pas à l’impunité du péché. Comme la menace de l’enfer ne suffit pas pour arrêter notre malice, il nous réveille de temps en temps dans sa bonté par le châtiment temporel.

Si aucun méchant n’était puni, personne ne croirait que Dieu préside aux affaires de ce monde. Si tous étaient punis, personne n’attendrait plus la résurrection, si l’on voyait que tous reçoivent ici-bas leur récompense. Voilà pour quelle raison, Dieu tantôt punit et tantôt ne punit point ici-bas. Si les justes sont affligés en ce monde, c’est qu’ils n’y sont qu’en passant, comme des étrangers et des exilés. De plus les épreuves qu’endurent les justes servent à épurer leur vertu. Écoutez ce que Dieu dit à Job : « Croyez-vous, que je vous aie traité de la sorte pour une autre raison, sinon afin que vous parussiez juste ? » (Job 11,3) Quant aux pécheurs, s’il leur arrive aussi d’être affligés, c’est en punition de leurs iniquités. Rendons grâces à Dieu, quelle que soit la manière dont il nous traite, car c’est toujours pour notre bien. Il n’agit jamais par haine et aversion pour nous, il est toujours mu par une tendre sollicitude pour nos intérêts. Saint Paul dit à Timothée qu’il a été nourri dans les saintes lettres dès le berceau, c’est-à-dire dans l’Écriture sainte. Puisqu’il a été nourri de cet aliment sacré dès son enfance, sa foi doit s’en être fortifiée au point d’être devenue inébranlable. Elle a eu le temps de pousser d’assez profondes racines pour résister à tous les assauts. Ces saintes lettres, lui dit-il encore, sont capables de vous rendre sage, c’est-à-dire qu’elles le préserveront de toutes les folies où donnent la plupart des hommes.

4. En effet, l’homme qui sait les Écritures comme il faut les savoir, ne se scandalise jamais ; quoi qu’il arrive, il supporte tout avec un généreux courage, tantôt il se réfugie dans la foi et dans la divine providence dont les secrets sont souvent impénétrables, tantôt aussi il découvre les raisons des événements, guidé par les exemples qu’il voit dans les Écritures. C’est du reste la preuve d’un véritable savoir, que de ne pas céder à une curiosité superflue, que de ne pas vouloir tout savoir. Et si vous voulez, je m’expliquerai par un exemple. Supposons un fleuve, ou plutôt supposons des fleuves, (ma supposition n’est pas gratuite, elle est conforme à la vérité) ; ils ne se trouvent pas tous également profonds ; les uns le sont plus, les autres moins. Les uns peuvent noyer dans leurs eaux profondes et emporter dans leurs tourbillons les imprudents qui s’y aventurent ; les autres sont faciles à traverser sans danger. C’est donc une grande sagesse que de ne pas s’exposer également à tous les fleuves, et ce n’est pas fine preuve médiocre de science que de vouloir bien ne pas sonder toutes les profondeurs. Vouloir en effet affronter tous les endroits d’un fleuve, c’est montrer qu’on ignore les propriétés des fleuves. Si la facilité avec laquelle vous avez passé un endroit peu profond vous enhardit à tenter le passage aux endroits profonds, vous périrez infailliblement. Il en est ainsi de Dieu ; vouloir pénétrer tous les mystères de la divinité, et s’aventurer dans cette recherche, c’est montrer qu’on ignore entièrement ce qu’est Dieu. Encore ma comparaison est-elle insuffisante, car au lieu que dans les fleuves la plupart des endroits sont sûrs et que les tourbillons et les endroits profonds tiennent moins de place que les autres, en Dieu c’est tout le contraire qui est vrai, il est presque partout insondable, et il n’y a pas moyen de suivre la trace de ses œuvres. Pourquoi nous précipiter dans ces abîmes ? Sachez seulement que Dieu mène tout par sa providence, qu’il pourvoit à tout, qu’il nous laisse notre libre arbitre, qu’il fait ou permet tout ce qui arrive ; qu’il ne veut pas le mal ; que tout ne se fait pas par sa seule volonté, mais aussi par la nôtre ; que tout le mal se fait par la nôtre seule ; que tout le bien s’accomplit et par notre volonté et par sa grâce ; enfin que rien ne lui est caché. C’est pourquoi il opère tout le bien.

Instruit de ces vérités fondamentales, instruisez-vous ensuite de ce qui est bien, de ce qui est mal, et de ce qui est indifférent : la vertu est un bien, le péché est un mal ; les richesses ou la pauvreté, la mort ou la vie sont des choses indifférentes. De ces instructions passez à celles-ci : Que les bons sont affligés afin d’être couronnés, et les méchants afin de recevoir la peine qu’ils méritent ; mais que tous les méchants ne sont point punis en ce monde, de peur que les hommes ne croient point la résurrection ; que tous les bons ne sont pas non plus dans l’affliction, de peur que le crime ne passe pour une chose louable et qu’il n’usurpe les hommages dus à la vertu. Que ce soient là vos règles, vos principes, et faites ce que vous voudrez ; pourvu que vous les suiviez, vous ne courrez aucun risque. De même qu’il y a chez le grammatiste un nombre de six mille lettres qui servent à toutes espèces d’opérations, et qu’au moyen de ce nombre de six mille lettres on peut, comme le savent ceux qui ont appris à calculer par cette méthode, faire toutes les divisions et toutes les multiplications possibles sans risquer de se tromper ; de même celui qui saura bien ces règles, que je vais répéter plus brièvement, pourra s’avancer hardiment dans la vie sans heurter à aucune pierre de scandale. Quelles sont donc ces règles ? Que la vertu est un bien, que le péché est un mal, que les maladies, la pauvreté, les embûches qu’on nous tend, les calomnies qui attaquent notre réputation, et autres disgrâces de ce genre, sont des choses indifférentes ; que généralement les justes sont ici-bas dans l’affliction ; que s’il y en a qui coulent des jours exempts d’affliction, c’est pour empêcher que la vertu ne soit odieuse ; que les méchants sont ici-bas dans la joie, parce que Dieu se réserve de les punir ailleurs ; que s’il y en a quelques-uns que Dieu punit dès cette vie, c’est pour empêcher que le péché ne passe pour un bien, et qu’on ne croie qu’il demeurera impuni ; que tous ne sont pas punis afin de ne pas discréditer le dogme de la Résurrection. Que les hommes les plus vertueux ne sont pas sans quelques fautes qu’ils expient dès ici-bas par leurs souffrances ; que les plus pervers peuvent avoir fait quelques bonnes actions dont Dieu les récompense en ce monde afin de n’avoir plus qu’à les châtier dans l’autre ; que les actes de Dieu sont la plupart incompréhensibles ; qu’il y a entre Dieu et nous une distance infinie. Ayons sans cesse ces pensées présentes à l’esprit, et quoi qu’il arrive nous ne nous troublerons point. Lisons les Écritures, et nous y trouverons beaucoup d’exemples semblables, lisons-les, car elles nous instruiront pour le salut, comme dit saint Paul à son disciple, puisqu’elles nous marquent ce que nous devons ou ce que nous ne devons pas faire. Écoutez ce que dit encore ce bienheureux apôtre dans un autre endroit : « Vous vous flattez d’être le conducteur des aveugles, la lumière de ceux qui sont dans les ténèbres, le docteur des ignorants, le maître des simples et des enfants ». (Rom 2,19) Voyez-vous que la loi est la lumière de ceux qui sont dans les ténèbres ? Si l’on peut dire de la loi qui nous a donné la lettre, la lettre qui tue, qu’elle est une lumière, que dira-t-on de la loi qui nous a donné l’Esprit qui vivifie ? Si la loi ancienne est une lumière, que sera la loi nouvelle qui nous a révélé de si grands mystères ? Que diraient des personnes qui ne connaîtraient que la terre, et à qui on découvrirait tout à coup le ciel et les merveilles qu’il renferme ? Or, il n’y a pas moins de différence entre l’Ancien et le Nouveau Testament. Le Nouveau Testament nous a fait connaître avec certitude les supplices de l’enfer, le bonheur du ciel, et la sévérité du jugement final.

N’ajoutons pas foi aux jongleries des devins, il n’y a là que de l’imposture. – Mais, direz-vous, si cependant ce qu’ils disent arrive ? Cela arrive parce que vous y croyez, si toutefois cela arrive. Mais un charlatan vous tient captif, il est maître de vous, de votre vie, il fait de vous ce qu’il veut. Dites-moi, si un chef de brigands avait entre ses mains et dans sa puissance le fils d’un roi qui se serait donné à lui et qui serait venu volontairement vivre dans sa société, pourrait-il lui dire s’il vivra ou s’il mourra ? Assurément il le pourrait ; non pas parce qu’il saurait l’avenir, mais parce qu’il serait le maître de laisser vivre ou de faire mourir l’enfant qui l’aurait fait l’arbitre de sa destinée. Il est clair que ce chef de brigands pourrait disposer à son gré de cette vie qu’on lui a livrée, de l’anéantir ou de la laisser subsister. Il peut encore lui dire : Vous serez riche ou vous serez pauvre, parce qu’il peut faire l’un et l’autre. La plus grande partie de la terre s’est elle-même assujettie à la puissance du démon.

5. De plus l’homme qui s’est habitué à ajouter foi aux paroles de ces imposteurs, devient d’une crédulité qui fait admirablement leurs affaires. On ne remarque même pas s’ils se trompent, mais seulement si par hasard ils rencontrent juste. S’il est vrai qu’ils savent prédire l’avenir, amenez-les-moi à moi qui suis fidèle. Ce n’est pas l’orgueil qui me fait parler de la sorte ; il n’y a pas assez de mérite à s’affranchir de ces sottises, pour qu’on en soit fier. Je suis plein de péchés, mais je ne crois pas pour cela devoir m’humilier ici ; par la grâce de Dieu je me ris de tous ces sortilèges. Je vous le répète, amenez-moi un de vos magiciens, et s’il a quelque vertu prophétique, qu’il me dise ce qui m’arrivera demain, ce que je deviendrai. Je suis sûr qu’il ne parlera pas. Car je suis sous la puissance de mon roi légitime. Le tyran n’a aucun pouvoir sur moi ; je me tiens éloigné de ses antres et de ses cavernes ; je sers dans l’armée du roi mais, direz-vous, un tel a commis un vol, et tel magicien l’a décelé. Cela n’est pas toujours vrai. Ce n’est qu’une plaisanterie, ce n’est qu’un mensonge. Ils ne savent rien ; s’ils savent deviner, ils devraient bien employer leur art pour eux-mêmes, et dire que sont devenues les offrandes de leurs idoles qui ont été enlevées, et découvrir tout l’or qui a été fondu. Pourquoi ne l’ont-ils pas prédit à leurs prêtres ? Ils ne savent donc rien. Ainsi ils ne peuvent pas dire même un mot pour sauver leurs richesses ni pour prévenir les incendies qui les ont souvent dévorés eux et leurs temples. Pourquoi ne s’occupent-ils pas d’abord de leur propre salut ? Si donc ils ont jamais fait une prédiction qui se soit réalisée, ç’a été par pur hasard.

Nous avons des prophètes nous autres, mais ils ne se trompent jamais. On ne les voit point tantôt rencontrer juste, tantôt se tromper, mais dire infailliblement la vérité. Le propre de la vertu prophétique est en effet de ne se tromper jamais. Abstenez-vous donc, mes frères, je vous en conjure, abstenez-vous de ces folies, si vous croyez en Jésus-Christ. Que si vous ne croyez pas en Jésus-Christ, pourquoi vous dégradez-vous, pourquoi vous trompez-vous vous-mêmes ? Jusques à quand clocherez-vous des deux jambes ? Pourquoi allez-vous à ces devins ? Que leur demandez-vous ? Dès que vous allez à eux, dès que vous les interrogez, vous vous faites leur esclave. Si vous les consultez, c’est que vous croyez en eux. – Nullement, dites-vous, je les consulte, non parce que j’ai foi en eux, mais parce que je veux les éprouver. – Vouloir les éprouver, c’est n’être pas encore pleinement convaincu qu’ils mentent, c’est encore en douter. Quand même ils vous diraient : Voici ce qui arrivera, mais faites ceci et vous éviterez le mal qui vous menace, ce ne serait pas une raison pour vous livrer à l’idolâtrie. Mais leur effronterie ne va pas jusque-là. Si leur prédiction se trouve par hasard exacte, qu’y gagnez-vous, sinon une tristesse inutile ? Si la prédiction est fausse, et que l’événement ne la justifie pas, cela n’empêche pas le chagrin de vous consumer pour rien.

S’il vous était expédient de connaître l’avenir, Dieu ne nous eût pas envié cet avantage, il ne nous eût pas privés par jalousie, lui qui nous a dévoilé les secrets du ciel. « Je vous ai fait savoir », dit-il, « tout ce que j’ai appris de mon Père ; je vous ai annoncé tout ce que mon Père m’a dit, c’est pourquoi je ne vous appelle pas serviteurs, mais je vous appelle mes amis ». (Jn 15,15) Pourquoi donc ne nous a-t-il pas fait connaître ces choses, sinon parce qu’il veut que nous n’en tenions aucun compte ? Ce qui montre que ce n’est point par envie qu’il nous refuse ces sortes de connaissances, c’est qu’il les communiquait aux anciens, et qu’il faisait par exemple retrouver des ânesses perdues. Il agissait ainsi alors parce qu’il avait affaire à un peuple enfant : pour nous, il veut que nous méprisions ces misères, et il a dédaigné de nous les faire savoir. Que nous apprend-il en échange ? Des vérités que les juifs n’ont pas eu le bonheur d’apprendre. Ces divinations étaient peu de chose. Mais nous, voici ce que nous apprenons : Que nous ressusciterons ; que nous sommes immortels, incorruptibles, qu’une vie sans fin nous est réservée ; que la figure de ce monde passera ; que nous serons ravis dans les nues du ciel ; que les méchants subiront leur juste châtiment, et mille autres choses importantes, qui sont autant de vérités certaines. N’est-il pas plus important de savoir ces choses que de savoir où l’on retrouvera une ânesse perdue ? Voilà que vous avez recouvré votre ânesse ; vous l’avez retrouvée, quel avantage est-ce pour vous ? Ne la perdrez-vous pas de nouveau d’une autre manière ? Si elle ne vous quitte plus, vous la quitterez, vous, à la mort. Quant aux vérités que je vous ai dites, si vous voulez vous en mettre en possession, vous en jouirez éternellement. Voilà ce qu’il nous faut rechercher, les biens qui sont stables, les biens qui sont sûrs. Méprisons les devins, les sorciers, les imposteurs de toute espèce, n’écoutons que Dieu qui sait tout avec certitude, qui possède la pleine connaissance de toutes choses. C’est ainsi que nous saurons tout ce qu’il faut savoir, et que nous obtiendrons tous les biens. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE SUR CETTE PAROLE APOSTOLIQUE : SACHEZ QUE DANS LES DERNIERS JOURS IL Y AURA DES TEMPS REDOUTABLES. (II TIM. 3,1)

AVERTISSEMENT ET ANALYSE.

Tome VI, p. 437-520 Cette homélie tirée du manuscrit 559 de la bibliothèque du Vatican, paraîtra authentique à quiconque n’est pas étranger aux ouvrages de saint Jean Chrysostome. Le style, l’expression, les idées, tout a bien sa marque. Il la prononça après avoir été retenu chez lui quelques jours par sa santé ; il n’était pas encore guéri que son amour pour les fidèles le ramenait déjà à l’église : il le dit lui-même au commencement et surtout à la fin de son discours. Comme il a été souvent malade, nous ne pouvons guère savoir à quelle époque il prononça ce discours, ni si ce fut à Antioche ou à Constantinople. Cependant le début même où il avoue combien il a peu l’expérience de la prédication semble indiquer que ce fut à Antioche.

  • 1. Il remercie les fidèles de leur attention ; ils en seront récompensés par la vue des choses nuisibles.
  • 2. En effet, les yeux de la foi voient les choses invisibles : exemple d’Abraham, exemple contraire aux Juifs !
  • 3. Que faut-il donc voir dans le texte du jour ? – Ces paroles prouvent d’abord la sollicitude de saint Paul et de tous les apôtres pour les hommes dans le présent et dans l’avenir.
  • 4. Autre exemple de cette sollicitude chez saint Pierre.
  • 5. Pourquoi saint Paul annonce-t-il ainsi à ses disciples, et sans préciser le temps, un danger futur ?
  • 6. C’est afin que les hommes se tiennent toujours sur leurs gardes, mais en même temps pour ne pas les effrayer, il rappelle qu’après lui l’Esprit-Saint leur restera, et il les supplie de se souvenir de lui-même et de son exemple. – Le Christ avertit de même ses disciples de malheurs qui n’arriveront qu’après eux. – Il faut donc que l’homme se tienne toujours prêt à comparaître devant Dieu.
  • 7. La faiblesse de la santé de Chrysostome l’oblige de se taire, mais il est heureux d’être revenu au milieu de son troupeau.

1. Je suis faible, et pauvre, et sans expérience de la parole ; mais quand je jette les yeux sur cette assemblée, j’oublie ma faiblesse, je ne cognais plus ma pauvreté, je n’ai plus conscience de mon incapacité, tant est grande la tyrannie de votre charité. Aussi ai-je plus d’empressement que ceux qui vivent dans l’abondance à vous offrir ma table frugale. C’est vous-mêmes qui m’inspirez cette libéralité, vous dont l’attention ardente réveille ceux qui se laissent aller, vous qui dévorez mes paroles et demeurez suspendus à mes lèvres. De même que les petits de l’hirondelle, lorsqu’ils voient leur mère voler vers eux, se penchent hors du nid et tendent leur cou, pour recevoir d’elle leur nourriture ; de même, les yeux attachés sans cesse sur moi, tandis que je parle, vous recevez l’enseignement que vous apporte ma bouche, et avant même que les mots ne sortent de mes lèvres, votre pensée les saisit. Qui donc ne nous féliciterait, vous et moi, de ce que je parle « à des oreilles qui entendent ? » (Sir 25,9) Le travail nous est commun, commune aussi sera la couronne, commun le profit, commun le salaire. Le Christ a déclaré bienheureux ses disciples, en disant : « Bienheureux vos yeux, parce qu’ils voient, bienheureuses vos oreilles, parce qu’elles entendent. » (Mat 13,16) Permettez – moi d’user des mêmes termes, puisque vous montrez le même empressement : « Bienheureux vos yeux, parce qu’ils voient, bienheureuses vos oreilles, parce qu’elles entendent. » Que vos oreilles entendent, c’est chose évidente ; mais que vos.yeux voient, comme voyaient les disciples du Christ, c’est ce que je vais m’efforcer de vous montrer, afin que vous ne soyez pas réduits à la moitié de leur béatitude, mais que vous l’ayez entière. Que voyaient donc les disciples ? Des morts rappelés à la vie, des aveugles qui recouvraient la lumière, des lépreux purifiés, des démons chassés, des boiteux redressés, toutes les infirmités de la nature guéries. Tous ces miracles, vous les voyez aussi, sinon par les yeux du corps, au moins par ceux de la foi. Car, telle est la vertu des yeux de la foi : ils voient ce qui n’est pas visible, et ils se représentent ce qui n’est pas encore. Comment prouver que la foi est la vue et la révélation de ce qui n’est pas visible ? Écoutez les paroles de Paul : « La foi est le fondement des choses à espérer, la révélation de ce que l’on ne voit pas. » (Heb 11,1) Et regardez quelle merveille ! Les yeux du corps voient les choses visibles, mais non celles qui ne le sont pas ; et les yeux de la foi, tout au contraire, voient ce qui n’est pas visible et non ce qui l’est. C’est ce que Paul a déclaré en ces termes : « Une tribulation momentanée et légère opère en nous au delà de toute mesure le poids éternel d’une sublime gloire parce que nous ne considérons point ce qui se voit, mais ce qui ne se voit pas. » (2Co 4,17) Et comment voir ce qui ne se voit pas ? Comment, sinon par les yeux de la foi ? Il le dit ailleurs : « Par la foi nous comprenons l’enchaînement ces siècles. » (Heb 11,3) Comment ? Car nous ne le voyons pas. « Parce que ce qui n’était pas visible nous apparaît. » Voulez-vous un autre témoignage encore, que les yeux de la foi voient ce qui est invisible ? Paul écrivant aux Galates leur dit : « Vous dont les yeux ont vu Jésus-Christ crucifié au milieu de vous. » (Gal 3,1)

2. Que dites-vous, bienheureux Paul ? Les Galates l’ont-ils vu crucifié en Galatie ? Ne savons-nous pas tous que Jésus a souffert sa passion en Palestine, en pleine Judée ? Comment donc les Galates l’ont-ils vu crucifié ? Par les yeux de la foi et non par ceux du corps. Voyez-vous que les yeux de la foi voient ce qui n’est pas visible ? A une telle distance, après un si long temps, ils ont vu Jésus-Christ crucifié. C’est ainsi que volis aussi, vous voyez les morts rappelés à la vie, c’est ainsi que vous voyez aujourd’hui le lépreux guéri, et, le paralytique rétabli sur ses jambes, et plus clairement que les Juifs qui étaient là. Ils étaient présents, mais ils ne crurent pas au miracle ; vous êtes éloignés, mais vous avez la foi. Aussi ai-je eu raison de vous dire : « Bienheureux vos yeux, parce qu’ils voient. »

Voulez-vous encore une autre preuve que les yeux de la foi voient ce qui est invisible et laissent échapper ce qui se voit ? Car ils ne verraient pas les choses invisibles, s’ils ne se détournaient des autres : écoutez Paul nous dire d’Abraham qu’il a vu par les yeux de la foi ce fils qui lui devait naître et qu’il en a reçu ainsi la promesse. Que dit l’Apôtre en effet ? « Et il ne fut pas ébranlé dans sa foi et il ne songea pas à son corps frappé de mort. » (Rom 4,19) Quelle foi puissante ! De même en effet que « les pensées des hommes sont timides et faibles (Sag 9,14) ; » de même la foi est forte et puissante. « Il ne songea pas à son corps frappé de mort. » Sentez-vous comme il se détourne des choses visibles ? Comme il ne jette pas un regard sur sa vieillesse ! Et pourtant elle était sous ses yeux, mais il voyait par les yeux de la foi et non par ceux du corps. Aussi n’a-t-il pas vu sa vieillesse, ni le sein « de Sara frappé de mort. » (Rom 4,19)

Il veut dire par là sa stérilité. Car il y avait en elle double impuissance, celle de l’âge et celle de la nature, non seulement l’âge avait rendu son corps inhabile à enfanter, mais son sein, l’organe où se fait le travail de la nature était mort, même avant la vieillesse, par stérilité. Voyez combien d’obstacles ! Vieillesse du mari, vieillesse de la femme ; stérilité, empêchement plus grand encore que la vieillesse, car la stérilité interdit absolument d’être mère. Eh bien ! il ne s’est arrêté à rien de tout cela, il a levé vers le ciel les yeux de la foi, rassuré sur l’exécution de la promesse parla puissance de celui qui promettait. Aussi « n’eut-il pas de doute sur la promesse de Dieu, mais il fut fortifié par la foi. » (Rom 4,20) Oui, ta foi est un appui solide, un port sûr, ou l’âme, revenue des écarts du raisonnement, se repose en paix. « Bienheureux vos yeux, parce qu’ils voient ; » car Il nous faut revenir encore à cette même parole. Les Juifs pourtant voyaient aussi ce qui se passait. Mais ce n’est, pas cette vision extérieure qui est proclamée bienheureuse, ce n’est pas elle qui par ses organes voit les miracles, mais la vision intérieure. Ils ne voyaient que ténèbres et ils disaient : « C’est lui, ce n’est pas lui ; appelons ses parents. » (Jn 9,8-9.18) Entendez-vous leur incertitude ? Voyez-vous qu’il ne suffit pas des yeux du corps pour voir les miracles ? Ceux qui étaient près de lui et le regardaient de leurs yeux, disaient : « C’est lui, ce n’est pas lui », et nous qui – sommes loin, nous ne disons pas : « C’est lui, ce n’est pas lui ; » mais c’est lui-même. Comprenez-vous qu’être loin, n’y fait rien, quand on a les yeux de la foi et qu’être, près ne sert de rien, quand on ne les a pas ? Qu’ont-ils gagné à voir ? Rien. Car nous avons une vision plus claire que la leur.

Puis donc que vos yeux voient et que vos oreilles entendent comme ceux que le Christ a proclamés bienheureux, je veux vous présenter les perles précieuses de l’Écriture. Car de même que le Christ, loin de répondre aux questions des Juifs augmenta encore leur ignorance, parce qu’ils ne comprenaient pas ; de même, puisque vous comprenez, vous devez avoir l’explication de ces mystères. Les disciples s’approchaient étonnés et lui disaient : « Pourquoi leur parlez-vous en paraboles ? » (Mat 13,10, 13) Et il leur répondit : « Parce qu’ils voient sans voir. » Vous qui tout au contraire sans avoir vu alors, voyez maintenant, il ne faut pas que je vous parle en paraboles ; et il ajoutait : « Ils entendent sans entendre ; » vous qui, sans avoir entendu alors, n’entendez pas moins aujourd’hui que vous n’auriez entendu au moment même, il ne faut pas que je vous prive de vous faire asseoir à cette table. Car le Christ n’a pas proclamé moins heureux ceux qui sont comme vous que les autres : « Tu as vu, dit-il, et, tu as cru ; bienheureux ceux qui n’ont pas vu et ont cru. » (Jn 20,29) Ne soyez donc pas moins ardents au bien, pour n’avoir pas vécu alors, pour être venus au monde seulement aujourd’hui. Car si vous le voulez, vous n’en souffrirez pas, de même que beaucoup de ceux qui ont vécu au temps du Christ, parce qu’ils n’ont pas voulu, n’y ont rien gagné.

3. Qu’avons-nous donc lu aujourd’hui ? « Sachez que dans les derniers jours il y aura des temps redoutables. » C’est de la seconde épître à Timothée que sont tirées ces paroles. Terrible menace ! mais relevons la tête : il laisse entendre sans préciser et les temps où nous sommes, et les temps futurs, et les temps jusqu’à la consommation des siècles. « Sachez que dans les derniers jours il y aura des temps redoutables. » Parole concise, et d’une grande force ! De même en effet que les aromates répandent leur parfum, non par leur masse, mais par leur vertu même : de même les saintes Écritures nous sont utiles, non par l’abondance des paroles, mais par l’énergie du sens. L’essence même d’un aromate est son parfum : si vous en jetez une parcelle au feu, elle développe toutes ses enivrantes vertus ; ainsi l’Écriture sainte en elle-même est pleine de suavité : et quand elle descend dans notre âme, c’est comme si elle était jetée dans un vase à brûler les parfums elle en remplit tout le dedans d’une suave odeur.

« Or sachez que dans les derniers jours il y aura des temps redoutables. » Il parle de la consommation des siècles. Que vous fait à vous, bienheureux Paul, la consommation des siècles, ainsi qu’à Timothée, et à veut qui vous entendent ? Dans peu d’années ils doivent mourir, échapper aux dangers futurs et au contact des méchants. Je ne borne pas mes regards au présent, répond-il, je les étends jusque sur l’avenir. Je ne veille pas seulement sur le troupeau qui m’entoure ; je, crains, je tremble aussi pour celui qui doit naître. Nous autres nous ne songeons guère qu’aux hommes qui vivent à nos côtés, mais lui, il porte sa sollicitude jusque sur ceux qui ne sont pas nés encore. Le bon pasteur n’attend pas de voir le loup attaquer ses brebis et se jeter sur elles, pour les avertir, mais il signale l’ennemi au loin. De même Paul, à l’exemple du bon pasteur, placé sur une hauteur, au rang des prophètes, et voyant de loin d’un regard prophétique les bêtes cruelles qui menacent le troupeau, prédit et prophétise leur attaque lors de la consommation des siècles, pour préparer ceux qui ne sont pas nés encore à la vigilance, et mettre lotit le troupeau à l’abri par ses avertissements.. Un père, dévoué aux siens, élève-t-il une maison, il la bâtit belle et grande, non pour ses fils seuls, riais pour leurs enfants et les enfants de leurs enfants. Ainsi – encore un roi entoure-t-il dé murailles une ville qu’il aime, il les fait solides et sûres, non pour garantir seulement la génération qu’il gouverne, mais pour protéger toutes celles qui doivent venir après ; il les veut capables de résister non seulement contre les entreprises du moment, mais contre les attaques futures. Ainsi a fait Paul. Comme les écrits des apôtres sont les remparts des Églises, il met à l’abri derrière eux non seulement ceux qui vivent de son temps, mais ceux qui doivent venir plus tard. Et il a formé une enceinte si solide, si inexpugnable, qui couvre et enferme si bien la terre entière, qu’elle défend et les hommes de son temps, et ceux qui ont suivi, et ceux d’aujourd’hui, et ceux qui suivent encore, contre tout assaut des ennemis. Telles sont, les âmes des saints : pleines de dévouement, de sollicitude, d’un amour qui dépasse les tendresses du sang, qui parle plus liant que les entrailles d’une mère : c’est l’amour inspiré par l’Esprit-Saint ; parla grâce divine.

4. Voulez-vous que je vous montre encore autrement que les saints ne songent pas eux-mêmes, qu’ils ne s’inquiètent pas seulement de leurs frères vivants, mais aussi de ceux qui sont encore à naître ? Jésus, nous dit l’Évangile, étant assis sur la montagne, ses disciples s’approchèrent de lui. Or – c’étaient des hommes déjà vieux et qui devaient bientôt quitter cette vie. Que lui demandent-ils donc ? De quoi s’inquiètent-ils ? Que craignent-ils ? Sur quoi interrogent-ils leur maître ? Sur ce qui devait arriver de leur vivant, ou peu après ? Nullement. Ils négligent tout cela pour dire quoi ? « Quel sera le signe de votre venue et de la consommation des siècles ? » (Mat 24,3) Les voyez-vous eux aussi s’informant de la consommation des siècles, et se préoccupant des hommes qui vivront plus tard ? C’est que les apôtres ne regardent pas ce qui les concerne, mais tous ensemble et chacun en particulier ce qui concerne les autres. Voyez Pierre, le maître du chœur apostolique, la voix des apôtres, le chef de cette famille, le souverain de toute la terre, le fondement de l’Église, l’ardent ami du Christ, lui à qui le Christ dit : « Pierre, m’aimes-tu plus que ceux-ci ? » (Jn 21,2) » ; et si je fais ainsi son éloge, c’est pour que vous voyiez qu’il aimait véritablement le Christ : et certes la plus grande preuve de l’amour qu’on a pour le Christ, c’est le soin qu’on prend de ses serviteurs ; ce n’est pas moi qui le dis, c’est ce maître bien aimé : « Si tu m’aimes, lui dit-il, pais mes brebis. » Examinons s’il remplit son devoir de pasteur, s’il a soin des brebis, s’il les aime vraiment, s’il est dévoué au troupeau ; pour apprendre de là s’il aime aussi le vrai pasteur car c’est le signe proclamé par Jésus même. Pierre donc, jetant tout ce qu’il avait, son filet, tous ses instruments de pêche et sa barque, abandonne la mer, son métier, sa maison. Considérons non pas que tout cela était peu, mais que c’était tout ce qu’il avait, et louons son empressement. Car la veuve qui donna deux deniers, ne déposa pas un bien gros poids d’argent ; mais elle montra un grand trésor de bonne volonté, de même que l’apôtre, au sein de la pauvreté, fit voir un grand trésor d’empressement. Ce que sont à d’autres des terres, des esclaves, des maisons, de l’or, tout cela, était pour lui dans son filet, dans la mer, dans son métier, dans sa barque. Ne cherchons donc pas s’il a peu abandonné, mais s’il a tout laissé. Ce que l’on demande, ce n’est pas de donner peu ou beaucoup, mais de ne pas offrir moins qu’on ne peut. Il a donc tout quitté, patrie, maison, amis,-famille, et jusqu’à sa tranquillité ; car il s’est ainsi aliéné le peuple juif : « Déjà, est-il dit, les Juifs s’étaient entendus pour que quiconque confesserait qu’il était le Christ, fût chassé de la Synagogue. » (Jn 9,22). Ce qui nous montre qu’il ne douta pas, qu’il n’hésita pas à espérer le royaume des cieux, mais qu’il crut pleinement, et sur l’évidence même des faits, et, avant l’évidence des faits, sur la parole du Sauveur, qui s’engageait à lui en assurer la possession. Comme Pierre lui avait dit : « Nous avons tout abandonné, et nous vous avons suivi » qu’aurons-nous ? Le Christ lui répondit : « Vous siégerez sur douze trônes, jugeant les douze tribus d’Israël. » (Mat 19,27-28)

J’ai établi ce point, afin qu’au moment où je vous le montrerai, craignant pour les autres serviteurs ; vous ne disiez pas qu’il craint pour lui-même. Comment craindrait-il, quand Celui qui doit le couronner, a lui-même annoncé et la couronne et les récompenses ? Hé bien ! ce Pierre, qui avait tout laissé, qui espérait fermement le royaume des cieux, un jour qu’un riche s’était approché et avait demandé au Christ : « Que dois-je faire pour obtenir la vie éternelle ? (Mat 19,16) ; » et que le Christ lui avait répondu : « Si tu veux être parfait, va, vends tout ce que tu as, donne-le aux pauvres, et suis-moi (Id 21) ; » comme le Christ, voyant ce riche tout triste, disait à ses disciples : « Regardez comme il est difficile aux riches d’entrer dans le royaume des cieux ; en vérité, en vérité je vous le dis, il est plus facile à un chameau de passer par le trou d’une aiguille, qu’à un riche de pénétrer dans le royaume de Dieu (Mat 19,24) ; » Pierre, ce Pierre, dépouillé de tout, sûr d’avoir le royaume céleste, qui n’avait rien à craindre pour son propre salut, qui savait de source certaine quels honneurs lui étaient réservés là-haut, entendant ces mots dit : « Qui pourra se sauver ? » (Id 25) Que crains-tu, ô bienheureux Pierre ? Que redoutes-tu ? Pourquoi trembles-tu ? Tu as tout dépouillé, tu as tout abandonné ; c’est des riches que parle le Christ, ce sont eux qu’il accuse, et toi tu vis dans le dépouillement et la pauvreté. Mais ce n’est pas à moi que je songe, répond-il, c’est le salut des autres qui m’occupe. Voilà pourquoi, assuré pour lui-même, il s’inquiète des autres, demandant : « Qui pourra se sauver ? »

5. Vous voyez la sollicitude des apôtres. Et comme ils ne forment qu’un seul corps ? Vous voyez comment Pierre craint et pour ceux qui vivent en même temps que lui, et pour ceux qui sont à naître ? Il en est de même de Paul. Aussi a-t-il dit : « Sachez que dans les derniers jours il y aura des temps redoutables. » Il y revient encore ailleurs. Sur le point de quitter l’Asie, pour être transporté à Rome, et de là monter aux cieux (car la mort des saints n’est pas une mort mais une migration de la terre au ciel, d’un séjour moins bon à un séjour meilleur, c’est l’échange de compagnon d’esclavage contre le Seigneur, de la société des hommes contre celle des anges), comme il allait partir vers Dieu le souverain Maître, il règle avec soin toutes ses affaires. En effet tout le temps qu’il fut avec ses disciples, il leur distribua l’instruction avec le plus grand zèle ; aussi déclare-t-il : « Je suis pur du sang de tous (Act 20,26) ; » je n’ai rien négligé de ce que je devais leur apprendre pour leur salut. Mais quoi ? après s’être mis en sûreté lui-même, puisque Dieu ne devait l’accuser sur rien de ce qui se rapportait au temps de sa vie, a-t-il donc négligé les âmes qui devaient venir plus tard ? Nullement ; mais comme s’il avait à rendre compte aussi de celle-là, il a eu soin de leur adresser les paroles que nous avons lues, et celles que nous allons lire : « Veillez », dit-il, « sur vous-mêmes et sur tout le troupeau. » (Act 20,28) Voyez-vous de quelle sollicitude il était travaillé pour tous ? Chacun de nous s’inquiète de sa propre personne, mais lui, le chef, il s’inquiète de tous. Aussi dit-il de ceux qui sont chargés d’enseigner : « Ceux qui veillent sur nos âmes, comme s’ils avaient à en rendre compte. » (Heb 13,17) Redoutable jugement en vérité, quand il faut rendre compte d’un si grand peuple ! Mais comme je vous le disais, il les appelle et leur dit : « Veillez sur vous-mêmes et sur tout le troupeau, dont l’Esprit-Saint vous a faits pasteurs et gardiens. » (Act 20,28) Qu’est-il arrivé ? Pourquoi ces exhortations ? Quel danger.prévois-tu ? Quelle épreuve devines-tu ? Quel péril, quelle calamité, quelle guerre ? Réponds : car tu es placé plus haut que nous : et tu ne vois pas seulement le présent, mais aussi l’avenir. Dis-nous donc pourquoi ces avertissements, ces recommandations ? « Je sais, dit-il, qu’après mon départ des loups redoutables se jetteront au milieu du troupeau. » Voyez-vous ce que je disais, qu’il ne craint pas et ne tremble pas seulement pour son temps, mais aussi pour les temps qui suivront son départ ? « Des loups se jetteront », dit-il, et non pas simplement des loups, mais « des loups redoutables qui n’épargneront pas le troupeau. » Ainsi double danger : l’absence de Paul, et l’attaque des loups ; le maître ne sera plus là, et les ennemis surviendront. Et examinez la cruauté de ces bêtes sauvages, et la malice des méchants ! ils ont guetté l’absence du maître, et alors ils se sont jetés sur le troupeau. Hé quoi ? nous abandonnes-tu sans chef et sans protecteurs ; te bornes-tu à annoncer les dangers, sans nous adresser la moindre exhortation ? Mais si tu agis ainsi, tu vas augmenter l’effroi, abattre les âmes de ceux qui t’entendent, les énerver, les paralyser. Aussi leur a-t-il d’abord rappelé l’Esprit-Saint à la pensée : « Dont l’Esprit-Saint vous a faits pasteurs et gardiens. » C’est-à-dire, si Paul vous quitte, l’Esprit-Saint vous reste. Voyez-vous comme il a relevé leur âme, en leur rappelant ce Maître divin, qui lui donnait à lui-même la force ? Pourquoi donc les a-t-il effrayés ? Pour chasser l’indolence. Qui donne un conseil a deux devoirs à remplir : ne pas laisser une confiance trop grande qui mènerait à l’indolence ; ne pas se borner non plus à effrayer, de crainte de pousser au découragement ; donc en leur rappelant l’Esprit-Saint, il a chassé le découragement, et en leur parlant des loups, l’indolence. « Des loups redoutables, qui n’épargneront pas le troupeau. Veillez sur vous-même. Je ne vous ai rien caché, dit-il : souvenez-vous de moi. Il suffit en effet de se souvenir de Paul pour reprendre courage. Et encore il ne parle pas de se souvenir de lui seulement, mais plutôt de ses actions. Et la preuve qu’il ne s’agit pas simplement de lui, mais qu’il veut les exciter par ce souvenir à l’imiter, c’est qu’il dit à tous ceux qui pourront l’entendre : « Souvenez-vous de moi, qui trois jours et trois nuits n’ai cessé de pleurer et de gémir pour avertir chacun de vous. » (Act 20,31) Je ne veux pas que vous vous souveniez seulement de moi, mais aussi du temps, et de rues conseils, et de mon dévouement, et de mes larmes, et de tous mes gémissements ; de même que les parents des malades, quand après de longs efforts ils ne peuvent leur persuader de prendre les aliments et les remèdes convenables à leur santé, se mettent à pleurer pour les toucher davantage ; ainsi fait Paul avec ses disciples : quand il voit ses paroles et l’enseignement impuissant, il a recours aux larmes pour remède.

6. Quel homme ne serait touché de voir Paul pleurer et gémir, fût-il plus insensible que les pierres ? Voyez-vous comme là encore il prédit ce qui doit arriver ? C’est ce qu’il fait aussi en disant : « Sachez que dans les derniers jours il y aura des temps redoutables. » Pourquoi donc s’adresse-t-il à Timothée, au lieu de dire : « Que ceux qui doivent venir sachent qu’il y aura des temps redoutables ? » Sache, dit-il, sache toi-même, et il le dit pour lui apprendre que le disciple comme le maître doit s’inquiéter de l’avenir. Autrement, il ne lui aurait pas imposé une sollicitude semblable à la sienne. Ainsi fait également le Christ. Quand les disciples se sont approchés pour s’informer de la consommation des siècles, il leur dit : « Vous entendrez parler de guerres. » (Mat 24,6) Or ils ne devaient pas eux-mêmes en entendre parler. C’est que les fidèles ne forment qu’un même corps. Et de même que les hommes de son temps entendaient ce qui ne devait être que plus tard, de même nous aussi nous apprenons ce qui a été en ce temps-là. Comme je vous le disais, en effet, nous ne formons qu’un même corps, eux et nous, étroitement liés les uns aux autres, quoique nous occupions l’extrémité des membres ; et ce corps n’est divisé ni par le temps, ni par ; l’espace ; car nous sommes unis, non par les ligaments des nerfs, mais par les liens de la charité qui nous enserrent de toutes parts. Aussi leur parle-t-il de nous, et nous-mêmes pouvons-nous entendre ce qui les regarde. Il est utile de rechercher encore pourquoi, en toutes circonstances, l’Apôtre parle de malheurs terribles qui doivent s’accumuler vers la fin de cette vie présente. Ailleurs, en effet, il dit : « Dans les derniers jours quelques-uns renonceront à la foi (1Ti 4,1) », et ici il dit encore : « Dans les derniers jours il y aura des temps redoutables. » Et le Christ, d’accord « avec ces prédictions, disait : « À la consommation des siècles vous entendrez parler de guerres, et de bruits de guerres, et de famines et de pestes. » (Mat 24,6-7) Pourquoi donc à la consommation des siècles ce concours de tant de calamités épouvantables ? Certains disent que la création, fatiguée, épuisée, de même qu’un corps vieilli contracte une foule de maladies, dans sa vieillesse, elle aussi se chargera d’une foule de misères. Mais le corps, c’est en vertu de son infirmité naturelle, des lois de sa nature, qu’il arrive à la caducité. Les pestes, au contraire, les guerres, les tremblements de terre, ne viennent pas de la vieillesse de la création. Non, ce n’est pas à la vieillesse des choses créées qu’il faut attribuer ces maux, « famines, pestes, tremblements de terre, en certaines régions ; » mais à la corruption qui doit envahir les âmes des hommes ; car ce sont tous châtiments du péché, et moyens de remédier aux iniquités humaines. Car les iniquités humaines grandissent alors. Et pourquoi grandissent-elles, me dites-vous ? C’est, à ce qu’il me semble, que le jugement tarde, que la vérification est reculée, que le Juge se fait attendre, et qu’alors ceux qui ont à rendre leurs comptes se relâchent. Ainsi du mauvais serviteur, qui, comme le dit le Christ, devint moins vigilant. Mon maître ne vient pas, se dit-il, et sous ce prétexte il battait les autres serviteurs, et dissipait la fortune de son maître. Aussi le Christ, quand les disciples le vinrent trouver et voulurent savoir le jour de la consommation, ne le leur dit-il pas, pour que l’incertitude de l’avenir nous tînt toujours en émoi : de la sorte chacun de nous, sans cesse songeant à l’avenir et vivant dans l’attente de la venue du Christ, aurait plus de zèle. Écoutez cet avertissement : « Ne remets pas à te tourner vers le Seigneur, et n’attends pas de jour en jour, de peur d’être brisé au milieu de tes lenteurs. » (Sir 5,8, 9) C’est-à-dire le jour de la mort est incertain, et il l’est, pour que toujours tu te tiennes en éveil. Le jour du Seigneur arrivera, comme un voleur de nuit, non pour dérober, mais pour assurer notre salut. Car celui qui s’attend à la venue d’un voleur, ne cesse de veiller, et allumant un flambeau, il reste debout toute la nuit. Ainsi vous-mêmes, ayant allumé le flambeau de la foi et de la sagesse, entretenez la lumière de vos lampes, dans une veille continue. Puisque nous ne savons quand doit venir l’époux, il faut être toujours prêts, afin qu’à son arrivée il nous trouve veillants.

7. Je voulais vous parler plus longuement ; mais à peine la faiblesse de ma santé m’a-t-elle permis d’arriver jusqu’ici, après m’avoir si longtemps séparé de vous. Oui, le temps m’a paru long, non par le nombre des jours, mais à la mesure de mon affection. Pour ceux qui aiment, le plus court instant de séparation paraît un siècle. Aussi saint Paul, après avoir été séparé quelques jours des fidèles de Thessalonique, leur dit-il : « Privé de vous, mes frères, pour un instant, j’ai eu d’autant plus de hâte de voir en face et non plus de cœur votre visage. » Saint Paul, le plus sage des hommes, ne pouvait supporter l’absence un instant, comment la supporterons-nous tant de jours ? Il [ne l’a pu supporter un instant ; et moi ne pouvant plus longtemps supporter une absence de tant de jours]
Les mots renfermés entre crochets ne sont pas dans le texte grec ; ils ont été rétablis par conjecture dans la traduction latine.
, encore tout malade, je suis accouru à vous, persuadé que je trouverais le remède le plus efficace dans votre vue, mes frères bien-aimés. Oui, jouir de votre affection, voilà qui m’est meilleur que les soins des médecins, plus salutaire que tous leurs secours : puissé-je jouir longtemps de ce bonheur, par les prières et l’intercession de tous les saints, pour la gloire de Jésus-Christ Notre-Seigneur, par qui et avec qui gloire, honneur, puissance, au Père et au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

Voir le début du chapitre 4
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