‏ 2 Timothy 4

HOMÉLIE IX.

TOUTE ÉCRITURE QUI EST INSPIRÉE DE DIEU, EST UTILE POUR INSTRUIRE, POUR REPRENDRE, POUR CORRIGER ET POUR CONDUIRE À LA JUSTICE ; AFIN QUE L’HOMME DE DIEU SOIT PARFAIT ET DISPOSÉ À TOUTES SORTES DE BONNES ŒUVRES. (III, 16, 17 JUSQU’À IV, 7)

Analyse.

  • 1. Utilité des Écritures inspirées. – Un pasteur doit prêcher sans relâche.
  • 2. Saint Paul devant bientôt mourir se rend à lui-même le témoignage d’avoir bien rempli sa mission.
  • 3. Comment on témoigne que l’on aime l’avènement de Jésus-Christ. – Ce que c’est que cet avènement. – Pour posséder Jésus-Christ, il faut être dégagé des choses de la terre. – Il faut souffrir patiemment les maux qui nous arrivent.

1. Après que saint Paul a exhorté et consolé Timothée de toutes manières, il lui donne maintenant la consolation la plus solide et la plus parfaite de toutes, celle de la sainte Écriture. Ce n’est pas sans raison qu’il use de cette puissante consolation, car il va dire quelque chose de grave et de pénible. Si Élisée qui demeura auprès de son maître jusqu’au dernier instant, et qui se le vit enlever par une fin miraculeuse, éprouva cependant tant de douleur qu’il déchira ses vêtements, que pensez-vous que dût éprouver Timothée qui aimait tant son maître et qui en était tant aimé, lorsqu’il apprit que ce maître allait bientôt mourir, et, ce qu’il y a de plus pénible au monde, qu’il ne l’assisterait pas à sa dernière heure ? Car nous ne ressentons pas tant de joie du temps que nous avons passé avec nos amis pendant leur vie, que de douleur de n’être pas auprès d’eux au moment de leur mort. Saint Paul a donc soin de consoler son disciple avant de l’entretenir de sa mort. Et encore il n’en parle pas tout uniment, mais en termes choisis, propres à le consoler et à le combler de joie, en lui présentant sa mort, moins comme une mort que, comme un sacrifice, comme un départ ou un passage à un état meilleur. « Je suis », dit-il, « comme une victime qui a déjà reçu l’aspersion, pour être sacrifiée ». (2Ti 4,6)

C’est donc dans cette vue qu’il lui dit : « Toute Écriture inspirée de Dieu est utile pour instruire, pour reprendre, pour corriger et pour conduire à la justice ». Ce qui doit s’entendre de toute l’Écriture sainte, dans laquelle Timothée avait été instruit dès son enfance. Cette Écriture, étant inspirée de Dieu, est utile. Qui peut en douter ? « Elle est utile pour instruire, pour reprendre, pour corriger, afin que, l’homme de Dieu soit parfait et parfaitement disposé à toutes sortes de bonnes œuvres ». – « Utile pour instruire ». L’Écriture nous apprendra ce que nous devons savoir, et nous laissera ignorer ce que nous devons ignorer. Si nous avons des erreurs à réfuter, des désordres à redresser, l’Écriture nous fournira les principes nécessaires. Elle sera bonne aussi pour consoler et pour encourager. « Pour corriger », c’est-à-dire que nous y trouvons de quoi suppléer à ce qui nous manque. – « Afin que l’homme de Dieu soit parfait ». Ainsi les Écritures sont un encouragement au bien, destiné à conduire l’homme à la perfection. Sans elles, on n’est point parfait. Au lieu de moi, dit saint Paul, vous aurez la sainte Écriture qui vous apprendra ce que vous voudrez savoir. S’il écrivait ces choses à Timothée qui était cependant rempli du Saint-Esprit, combien plus les écrivait-il pour nous ! – « Parfaitement disposé à toutes sortes de bonnes œuvres » : Il ne doit pas se contenter d’y prendre part, il doit s’y exercer à la perfection.

« Je vous conjure donc devant Dieu et devant le Seigneur Jésus-Christ, qui jugera les vivants et les morts dans son avènement glorieux et dans l’établissement de son règne, d’annoncer la parole ». (4, 1-2) Il jugera donc les pécheurs et les justes, les trépassés et ceux qui vivront encore, et qui seront en grand nombre. Il l’avait effrayé dans sa première épître, en lui disant : « Je vous ordonne devant Dieu, qui donne la vie à tout ce qui vit ». (1Ti 6,13) Ici il s’exprime d’une manière plus terrible encore : « Qui jugera les vivants et les morts », dit-il ; c’est-à-dire, qui leur demandera compte de leurs actions. – « Dans son avènement glorieux et dans l’établissement de son règne ». Quand se fera ce jugement ? Lors de la manifestation glorieuse du Fils de Dieu, lors de son second avènement, quand il viendra avec l’appareil du Roi de l’univers. Ce second avènement ne sera pas semblable au premier, il sera environné de gloire, voilà le sens que présente le texte, ou bien il veut dire encore : J’atteste son avènement et son règne, je prends ce juste juge à témoin que je vous ai donné ces avis. Ensuite pour lui enseigner comment il faut prêcher, il ajoute : « Annoncez la parole ; pressez les hommes à temps, à contre-temps ; reprenez, suppliez, exhortez en toute patience et en vue de l’instruction ». Qu’est-ce à dire : « À temps, à contre-temps ? » C’est-à-dire, n’ayez point de temps marqué pour instruire. Que tout temps vous soit propre pour cela ; enseignez durant la paix et la tranquillité ; enseignez assis dans l’église ; enseignez encore au milieu des périls ; enseignez en prison, et chargé de chaînes, et à la veille de marcher au supplice, et en y allant, ne cessez jamais de, reprendre et de menacer. La réprimande n’est pas hors de propos, même, quand elle a déjà profité et produit de l’effet. – « Suppliez », dit-il. Il faut qu’un pasteur agisse comme un médecin, qu’il mette le doigt sur la plaie, qu’il pratique une incision, et qu’ensuite il applique un remède pour adoucir. Si l’une de ces choses est omise, l’autre est inutile, Si vous réprimandez quelqu’un avant de l’avoir convaincu du mal qu’il a fait, vous passerez pour téméraire, et personne ne vous souffrira. Une fois convaincu, il recevra alors une réprimande qui, auparavant, l’eût exaspéré. Mais après que vous aurez convaincu et réprimandé fortement, si vous négligez de supplier, tout est perdu encore une fois ; car la réprimande est quelque chose d’intolérable en soi, lorsqu’elle n’est pas tempérée par la supplication. De même qu’une incision ne serait pas endurée par le patient, quelque salutaire qu’elle fût, si elle n’était accompagnée d’adoucissements ; ainsi en est-il de la réprimande. – « En toute patience et en vue de l’instruction ». Celui qui veut convaincre a besoin de patience pour ne pas croire trop légèrement tout ce qu’on lui dit. Quant à la réprimande il faut qu’elle soit tempérée par la douceur pour se faire accepter. Après avoir dit : « En toute patience », il ajoute : « Et en vue de l’instruction ». Qu’est-ce à dire ? C’est-à-dire, en témoignez ni colère, ni aversion, ni intention d’insulte comme si vous aviez affaire à un ennemi, gardez-vous-en bien. Au contraire, faites voir à ce pécheur que vous l’aimez, que vous compatissez à sa misère, que vous en avez plus de douleur que lui-même, que vous êtes profondément affligé de son sort. – « En toute patience et en vue de l’instruction », non pas d’une instruction telle quelle, mais saine.

2. « Car il viendra un temps que les hommes ne pourront plus souffrir la saine doctrine ». Avant que tout soit renversé et désespéré en eux, bâtez-vous de les prévenir. Voilà pourquoi il disait : Pressez à temps, et à contretemps ; ne négligez rien pour avoir des disciples dociles. – « Mais cédant à leurs passions, ils se donneront des tas de docteurs ». Rien de plus énergique que cette expression. « Tas de docteurs » marque la multitude confuse des docteurs de l’erreur ; « ils se donneront » signifie qu’ils les choisiront et les ordonneront eux-mêmes. « Ils se donneront à eux-mêmes des tas de docteurs, dans leur démangeaison d’entendre » ; c’est-à-dire qu’ils rechercheront ceux qui parlent pour plaire à l’esprit et pour chatouiller l’oreille. – « Et fermant a l’oreille à la vérité, ils l’ouvriront à des fables ». Il le prévient de ces choses, non pour le jeter dans l’abattement, mais afin de le mettre en état de les recevoir avec courage lorsqu’elles arriveront. Jésus-Christ en a usé de même lorsqu’il a dit à ses disciples : « Ils vous livreront, ils vous fouetteront, ils vous traîneront, dans leurs synagogues à cause de mon nom ». (Mat 10,17) Notre saint apôtre dit aussi ailleurs : « Je sais qu’il viendra après mon départ des loups dévorants qui n’épargneront pas le troupeau ». (Act 20,29) Il donnait ces avertissements aux prêtres pour les rendre vigilants et pour les exciter à user sagement du temps favorable que Dieu leur donnait encore. – « Pour vous, veillez, souffrez constamment toutes sortes de travaux ». Voyez-vous que c’était à cette conclusion que tendaient les paroles précédentes ? Jésus-Christ, peu avant sa mort, avait dit : « Il s’élèvera à la fin des temps de faux christs et de faux prophètes ». Et saint Paul, à la veille de quitter ce monde, dit avec une intention pareille : « Pour vous, veillez, souffrez constamment… » c’est-à-dire, travaillez, prévenez le fléau avant qu’il arrive, hâtez-vous de mettre les brebis en sûreté, tandis que les loups ne sont pas encore venus.

« Souffrez, travaillez, faites la charge d’un évangéliste, remplissez tous les devoirs de votre ministère ». C’est donc faire la charge d’un évangéliste que de souffrir, que de s’affliger soi-même et d’être affligé par les autres. – « Remplissez tous les devoirs de votre charge ». Ceci est encore un autre motif de travail. – « Car pour moi je suis déjà comme offert en libation, et le temps de la dissolution de mon être approche ». Il ne dit pas : Mon immolation ; il se sert d’un terme plus fort. Car la victime qu’on immole n’est pas tout entière offerte à Dieu, au lieu que la libation l’est en entier. – « J’ai combattu le bon combat, j’ai terminé ma course, j’ai gardé la foi ». Souvent, prenant saint Paul en main, j’ai examiné ce passage, et, sans pouvoir sortir de mon étonnement, je me suis demandé quelle raison avait le saint apôtre de parler de lui-même si avantageusement. « J’ai combattu le bon combat », dit-il. Cette raison, je crois maintenant l’avoir trouvée, par la grâce de Dieu. Pourquoi donc tient-il ce langage ? Il veut consoler l’extrême tristesse de son disciple ; il l’engage à prendre confiance, puisque son maître s’en va pour recevoir la couronne qu’il a méritée puisqu’il a achevé sa tâche, puisqu’il aura une belle et glorieuse fin. Il faut se réjouir, dit-il, et non s’attrister. Pourquoi ? Parce que « j’ai combattu le bon combat ». L’apôtre fait comme un bon père sur le point de mourir, lequel, voyant son fils inconsolable de se trouver bientôt orphelin, lui dirait pour le consoler : Ne pleurez pas, mon fils ; j’ai vécu avec honneur ; je suis arrivé à une heureuse vieillesse, je puis vous quitter, je vous lègue l’exemple d’une vie sans tache ; ma gloire, quand je ne serai plus, rejaillira sur vous. Le roi lui-même m’a souvent témoigné me savoir gré des services que je lui ai rendus ; j’ai remporté des victoires ; j’ai mis les ennemis en fuite. Un père qui parlerait de la sorte, ne le ferait point par vanité, mais pour relever le courage de son fils et l’aider à supporter doucement sa mort. Car on ne peut nier que les séparations ne soient pénibles.

Écoutez de quelle manière saint Paul en parle dans son épître aux Thessaloniciens : « J’ai été quelque temps, séparé de vous de corps, non de cœur ». (1Th 2,17) Si saint Paul souffrait à ce point quand il était séparé de ses disciples, que croyez-vous que devait éprouver Timothée, sur le point de perdre pour toujours un tel maître ? Si ce disciple, pour s’être seulement séparé d’avec saint Paul, de son vivant, répandait tant de larmes que saint Paul dit lui-même (2Ti 1,4) qu’il ne perdait point le souvenir de ces larmes, et que ce souvenir le remplissait de joie, combien en devait-il verser davantage à sa mort ? C’est donc pour le consoler que saint Paul lui écrit ces choses, et toute cette épître est remplie de consolations et forme comme un testament.

« J’ai combattu le bon combat, j’ai achevé ma course, j’ai gardé la foi » ; combattez bien aussi à mon exemple. Mais est-ce un combat que l’on puisse appeler bon que d’être dans les prisons, dans les chaînés, dans les persécutions ? Oui, c’est bien combattre que d’être dans ces souffrances pour Jésus-Christ, et elles seront enfin couronnées. Il n’y a pas de combat comparable à celui-là. La couronne que l’on y acquiert ne se flétrit point. Elle n’est point composée de feuilles d’oliviers ; ce n’est pas un homme qui nous la pose sur la tête, ce n’est pas non plus dans une assemblée d’hommes qu’elle nous est décernée, c’est dans un théâtre tout composé d’anges. Dans les combats de la terre, on lutte, on se fatigue durant plusieurs jours ; et de longs travaux sont récompensés d’une couronne qui se flétrit en moins d’une heure ; et avec son éclat qui s’obscurcit, s’envole en même temps, le plaisir qu’elle nous cause. Il n’en est pas de même ici ; mais la couronne que l’on reçoit est éternellement brillante, honorable, glorieuse. Réjouissez-vous donc, dit saint Paul à son disciple, car j’entre dans le repos éternel, je sors pour toujours de l’arène des combats. Je l’ai déjà dit, il vaut mieux pour moi mourir et être avec Jésus-Christ. (Phi 1, 23) « J’ai achevé ma course ». Il faut donc combattre et courir : combattre en endurant les afflictions, courir non pas en vain, mais en tendant à un but utile. Il est vraiment bon le combat qui n’est pas seulement agréable mais utile au spectateur. C’est aussi une bonne course que celle qui au lieu de ne mener à rien, au lieu de n’être qu’un moyen de montrer sa force et d’acquérir une inutile gloire, élève jusqu’au ciel ceux qui courent. Cette course de saint Paul sur la terre était plus glorieuse et éclairait plus le monde que celle que le soleil accomplit dans le ciel. Mais de quelle manière saint Paul a-t-il achevé sa course ? Il a parcouru la terre en commençant depuis la Galilée et l’Arabie, et allant de là jusqu’aux extrémités du monde. « J’ai », dit-il lui-même dans son épître aux Romains, « rempli de l’Évangile de Jésus-Christ tous les pays qui sont entre Jérusalem et l’Illyrie » ; (Rom 15,19) Il parcourait toute la terre avec la vitesse de l’aigle, ou même avec un vol plus rapide et plus merveilleux encore. Car porté sur les ailes de l’Esprit-Saint il passait au travers de mille obstacles, de mille morts, de mille pièges, de mille afflictions. Si son vol n’eût été que celui de l’aigle, il eût pu être abattu et pris ; mais soulevé par l’Esprit-Saint il passait par-dessus tous les filets ; son vol était celui d’un aigle aux ailes de feu.

« J’ai gardé la foi ». Et cependant combien de choses pouvaient la lui ravir ! Les amitiés des hommes, leurs menaces de mort et leurs mauvais traitements. Mais il avait résisté à tout. Par quel moyen ? Par la sobriété et la vigilance. Cela pouvait suffire pour consoler ses disciples, mais saint Paul veut bien encore y ajouter les récompenses qu’il attend. – « Il ne me reste qu’à attendre la couronne de justice qui m’est réservée, etc ». Ici, par le mot de « justice », il entend toute la vertu. Qu’on ne s’afflige donc point, puisque je m’en vais pour recevoir une couronne que Jésus-Christ lui-même posera sur ma tête. Si je restais en ce monde, c’est alors qu’il conviendrait bien plutôt de pleurer et d’appréhender ma chute et ma perte. – « Couronne que me donnera en ce jour le Seigneur, ce juste juge, et non seulement à moi, mais à tous ceux qui aiment son avènement ». Ceci encore est fait pour donner de la confiance a Timothée. Cette couronne réservée à tous ne peut manquer à Timothée. Saint Paul ne dit pas : Le Seigneur vous la donnera aussi à vous, mais il la donnera à tous, donnant à entendre qu’il la donnera à plus forte raison à Timothée.

3. Mais comment peut-on témoigner que l’on aime l’avènement de Jésus-Christ ? C’est en se réjouissant de sa présence. Celui qui se réjouit de la présence de Jésus-Christ fait tout son possible pour mériter cette joie. Il abandonne, s’il le faut, non seulement ses biens mais sa vie même pour conquérir les biens éternels, pour se rendre digne et se mettre en état de voir le second avènement avec une sainte confiance, et d’en envisager avec joie l’éclat et la splendeur. C’est là proprement aimer l’avènement de Jésus-Christ. Celui qui l’aime fait tout pour se préparer à lui-même un avènement particulier avant l’avènement général. Et comment faire cette préparation, direz-vous ? Écoutez Jésus-Christ qui vous dit : « Celui qui m’aime gardera mes commandements, et nous viendrons, mon Père et moi, et nous demeurerons en lui ». (Jn 14,23) Songez quelle grâce et quelle faveur c’est pour nous, que celui qui doit venir en général pour tous, daigne venir pour chacun de nous en particulier ! « Nous viendrons », dit-il, « et nous ferons notre demeure en lui ». Celui qui aime son avènement fera tout pour l’appeler à lui, le posséder et jouir de sa divine lumière. Qu’il n’y ait rien en nous qui soit indigne de sa présence, et bientôt nous le verrons venir se reposer en nous. Cet avènement s’exprime par le mot grec « Epiphanie » qui marque une apparition qui se fait d’en haut. Recherchons ce qui est au-dessus de nous, hâtons-nous d’attirer sur nous l’éclat des divins rayons. Celui qui tiendra ses yeux abaissés sur les choses d’ici-bas, et qui s’enfouira dans la terre, ne pourra contempler la lumière de ce soleil. Celui qui traîne son âme dans la boue de ce monde, ne pourra fixer le soleil de justice. Il ne luit point sur ceux qui se plongent dans ces épaisses ténèbres.

Levez du moins un peu vos regards en haut, levez-les du fond de cet abîme du siècle ou vous êtes englouti, si vous voulez voir ce soleil et attirer en vous ses rayons divins. Si vous obtenez qu’il vienne déjà en vous, de cette manière, vous le verrez à son second avènement avec une entière confiance. Pratiquez donc la sagesse : ne laissez pas demeurer en vous l’esprit d’orgueil, de peur qu’il ne vous soufflette, selon l’expression de saint Paul, et qu’il ne vous terrasse. N’ayez pas un cœur de pierre, ni rempli de ténèbres pour n’y pas briser votre navire. Pas de fraude : les écueils cachés causent les plus terribles naufrages. Ne nourrissez pas de bêtes féroces, j’appelle ainsi les passions, car il n’y a pas de bêtes féroces plus terribles qu’elles. N’appuyez point votre vie sur les choses qui s’écoulent comme l’eau, afin que vous puissiez demeurer fermes. L’eau n’offre point un fondement solide, c’est sur le roc qu’il faut s’établir pour être fermement assis. L’eau, ce sont les choses de ce monde. « Les eaux sont venues jusqu’à mon âme », dit le Prophète (Psa 69,2) ; c’est un torrent qui s’écoule. La pierre, ce sont les choses spirituelles. « Vous avez élevé mes pieds sur la pierre ». (Psa 40,3) Les choses de ce monde ne sont que de la boue et de la fange ; sortons-en, afin de pouvoir jouir de l’avènement de Jésus-Christ. Quelque chose qui nous arrive, supportons tout patiemment. Dans toutes les situations possibles, c’est une suffisante consolation que de souffrir pour Jésus-Christ. Ne cessons pas de nous dire cela à nous-même, et toute douleur disparaîtra comme par enchantement.

Et comment tout souffrir pour Jésus-Christ, direz-vous ? – Un homme vous a calomnié pour une raison ou pour une autre, mais non pour Jésus-Christ ; eh bien ! si vous le supportez avec constance, si vous en rendez grâces, si vous priez pour cet homme, Jésus-Christ regardera tout cela comme étant fait pour lui. Si, au contraire, vous répondez par l’imprécation et par l’indignation, si vous cherchez à vous venger, même sans pouvoir y parvenir, ce n’est plus pour Jésus-Christ que vous souffrez ; vous subissez un dommage ; vous perdez volontairement le fruit que vous pouviez recueillir de vos afflictions. Car il dépend de nous de faire servir à notre avantage le mal qui nous arrive ou d’en être lésé ; la nature des maux n’y fait rien, tout dépend de notre volonté. Par exemple, Job a souffert de très-grands maux, mais il les a soufferts avec actions de grâces ; Dieu l’a déclaré juste, non parce qu’il les avait endurés, mais parce qu’il les avait endurés avec courage. Qu’un autre souffre les mêmes maux que Job, mais qui a jamais tant souffert ? qu’il souffre donc des maux infiniment moindres, cependant il blasphème, il se dépite, il murmure, il maudit, il s’en prend à tout le monde et à Dieu même. Cet homme est jugé et condamné de Dieu, non parce qu’il a souffert, mais parce qu’il a blasphémé. Car il n’a pas blasphémé par la force des choses, mais librement, puisque s’il y avait une nécessité de blasphémer dans la souffrance, Job aurait dû blasphémer ; que s’il ne l’a pas fait quoique sous le poids de maux beaucoup plus affreux, il n’y a donc aucune nécessité de le faire, et si on le fait, c’est par un vice de la volonté. Il faut donc avoir un cœur ferme et généreux. Après cela nous ne trouverons rien de pénible ; si au contraire nous avons peu de courage, tout nous sera insupportable. C’est donc notre volonté seule qui fait que les choses nous paraissent accablantes ou légères. Fortifions-la et nous supporterons tout facilement. Quand un arbre a poussé de profondes racines en terre, les plus violentes tempêtes ne peuvent le déraciner. Si au contraire il ne s’attache qu’à la surface, le, moindre souffle le renverse. C’est notre image : si la crainte de Dieu pénètre notre chair jusqu’au fond pour nous attacher à lui, rien ne nous ébranlera. Mais si nous ne nous attachons à Dieu que superficiellement, le moindre choc nous fera tomber. C’est pourquoi, je vous en conjure, mes frères, supportons tout ce qui nous arrive avec courage, et imitons le Prophète qui a dit : « Mon âme est fortement attachée après vous, mon Dieu ». (Psa 63,8) Voyez comme il s’exprime ; il ne dit pas simplement : Mon âme s’est approchée, mais : « Mon âme s’est fortement attachée après vous ». Il dit encore dans le même psaume : « Mon âme a soif de vous ». Il ne dit pas : Mon âme vous a désiré, il s’exprime plus fortement. Il a dit encore dans un autre endroit « Enfoncez dans ma chair les traits de votre crainte ». (Psa 119,120) Dieu veut que nous nous attachions à lui de manière que nous ne puissions plus nous en séparer. Si nous nous attachons à Dieu de la sorte, si nous clouons à lui toutes nos pensées, si nous avons soif de lui, tout arrivera à notre gré, et nous obtiendrons les biens éternels en Jésus-Christ Notre-Seigneur, à qui soient avec le Père et le Saint-Esprit, gloire, empire, honneur, maintenant et toujours, dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE X.

TÂCHEZ DE ME VENIR TROUVER AU PLUS TÔT. CAR DÉMAS M’A ABANDONNÉ S’ÉTANT LAISSÉ EMPORTER À L’AMOUR DU SIÈCLE, ET IL S’EN EST ALLÉ À THESSALONIQUE, CRESCENT EN GALATIE, TITE EN DALMATIE. LUC EST SEUL AVEC MOI. PRENEZ MARC ET L’AMENEZ AVEC VOUS, CAR IL ME PEUT BEAUCOUP SERVIR POUR LE MINISTÈRE. J’AI ENVOYÉ TYCHIQUE A ÉPHÈSE. APPORTEZ-MOI EN VENANT LE MANTEAU QUE J’AI LAISSÉ À TROADE CHEZ CARPUS, ET MES LIVRES, SURTOUT MES PAPIERS. (IV, 8-13 JUSQU’À LA FIN)

Analyse.

  • 1. Saint Paul devant bientôt être conduit au supplice, appelle auprès de lui Timothée pour lui faire ses dernières recommandations. – Saint Luc l’évangéliste est auprès de lui dans sa prison.
  • 2. Saint Paul dit que Dieu l’a délivré de la gueule du lion. – Ce lion c’est l’empereur Néron.
  • 3. Que les apôtres ou ne pouvaient ou ne jugeaient pas à propos de guérir toutes les maladies. – Il ne fallait pas qu’on les prît pour des êtres supérieurs à l’humanité.
  • 4 et 5. Que le meilleur moyen de pourvoir à nos intérêts c’est de travailler à ceux de Dieu. – Le royaume du ciel ne se donne qu’aux violents.

1. On doit se demander pourquoi saint Paul appelle auprès de lui Timothée qui était chargé du gouvernement d’une église et de toute une nation. Il n’agissait point par orgueil puisqu’il dit dans sa première épître être tout prêt à aller trouver son disciple : « Si je tarde à vous aller voir, c’est afin que vous sachiez comment il faut se conduire dans la maison de Dieu ». (1Ti 3,15) Quelle raison avait-il donc de l’appeler ? La nécessité l’y forçait, il n’avait pas la liberté d’aller partout où il aurait bien voulu aller. Il était retenu en prison par l’ordre de Néron, et il allait bientôt mourir. Il ne voulait pas mourir sans voir son disciple à qui vraisemblablement il avait d’importantes recommandations à faire. Voilà pourquoi il lui dit : « Hâtez-vous de me venir voir avant l’hiver ». (2Ti 4,21)

« Démas m’a quitté, emporté par l’amour du siècle ». Il ne dit pas : Venez me voir avant que je meure, c’eût été trop triste ; mais il dit Venez me voir parce que je suis seul ; parce que je n’ai personne pour me seconder. Car « Démas m’a quitté, emporté par l’amour du siècle, et s’en est allé à Thessalonique » ; c’est-à-dire, il s’est épris du repos et de la sécurité, il a mieux aimé vivre commodément dans sa maison que de souffrir avec moi et partager mes dangers présents. Saint Paul parle désavantageusement de Démas seul, non pour flétrir sa réputation, mais pour nous fortifier nous-mêmes, de peur que nous ne faiblissions lorsque nous nous trouvons dans les maux. C’est ce que veut dire ce mot « emporté par l’amour du siècle ». Saint Paul voulait aussi par ce moyen engager plus fortement Timothée à le venir voir. – « Crescent est allé en Galatie, Tite en Dalmatie ». Il ne parle point désavantageusement de ceux-ci. Tite était un homme d’une admirable vertu, et saint Paul lui confia le soin d’une grande île, de l’île de Crète.

« Luc est seul avec moi ». On ne pouvait séparer ce disciple d’avec saint Paul, on ne pouvait l’en arracher. C’est lui qui a écrit l’Évangile qui porte son nom, et les Actes des apôtres. Il aimait à travailler et à s’instruire, et était d’une admirable patience. C’est de lui que saint Paul a dit : « Son éloge est dans toutes les églises, à cause de l’Évangile ». (2Co 8,18)

« Prenez Marc et l’amenez avec vous ». Pourquoi ? « Parce qu’il peut beaucoup me servir pour le ministère ». Il ne dit pas : Pour mon repos mais « pour le ministère » de l’Évangile. Car bien qu’il fût dans les fers, il ne cessait cependant pas de prêcher. Voilà pourquoi il faisait venir Timothée ; ce n’était pas pour ses intérêts particuliers, mais pour le bien de l’Évangile, afin qu’aucune crainte ne s’emparât des fidèles à sa mort, ses disciples étant là pour éloigner toutes les causes de trouble et pour consoler les fidèles désolés de la mort de l’apôtre. Je me figure que des personnes considérables avaient embrassé la foi à Rome.

« J’ai envoyé Tychique à Éphèse. Apportez-moi en venant le manteau que j’ai laissé à Troade chez Carpus, et mes livres, et surtout mes papiers ». Ce qu’il nomme ici φελὸνην c’était son manteau, d’autres disent que c’était un sac où l’on enfermait les papiers. Mais qu’avait-il besoin de livres lui qui allait paraître devant Dieu ? Il en avait un besoin urgent pour les léguer aux fidèles qui les conserveraient pour suppléer à son enseignement. Sa mort fut un coup terrible pour tous les fidèles, mais surtout pour ceux qui en furent les témoins et qui alors jouissaient de sa présence. Il demande son manteau afin de n’avoir pas besoin d’emprunter celui d’un autre : ce à quoi il tenait extrêmement. « Vous savez », dit-il en parlant aux Éphésiens, « que ces mains ont fourni à tout ce qui m’était nécessaire et à ceux qui étaient avec moi » ; il dit encore au même endroit : « Qu’il est plus heureux de donner que de recevoir ». (Act 20,34-35)

« Alexandre, l’ouvrier en cuivre, m’a fait beaucoup de mal. Que le Seigneur lui rende selon ses œuvres ». Saint Paul parle encore ici de ses persécutions, non pour accuser Alexandre, ni pour le décrier, mais pour encourager son disciple à souffrir courageusement la persécution de quelque part qu’elle vienne, vînt-elle d’hommes de la dernière condition, d’hommes de rien. Celui qui est maltraité par un homme puissant, trouve immédiatement une consolation dans le haut rang de son persécuteur. Celui qui subit l’injure d’un misérable, en conçoit une plus grande indignation. « Il m’a fait beaucoup de mal », c’est-à-dire il m’a affligé de mille manières, mais ce ne sera pas impunément, dit-il ; car le Seigneur lui rendra selon ses œuvres. Plus haut il disait : « Vous savez quelles persécutions j’ai endurées, et comment le Seigneur m’a tiré de toutes ». (2Ti 3,11) Il donne de même ici une double consolation à son disciple : l’une que les maux qu’on lui fait souffrir sont injustes, l’autre que les auteurs de ces maux recevront de Dieu ce que leurs œuvres méritent. Ce n’est pas que les saints se réjouissent des supplices des méchants, mais il est nécessaire pour l’affermissement de la prédication que les faibles reçoivent une espèce de consolation pour se soutenir. – « Gardez-vous de lui parce qu’il a fortement combattu la doctrine que j’enseigne », en se soulevant contre elle, en tâchant de soulever tout le monde. Il ne dit point à Timothée Punissez cet homme, châtiez-le, persécutez-le, comme il le pouvait en usant de la puissance que la grâce lui donnait. Il se contente de lui dire : « Gardez-vous de lui, laissez à Dieu le soin de le punir ». Il dit seulement pour la consolation des faibles : « Dieu lui rendra selon ses œuvres » : parole qui est une prophétie ou une imprécation. Que ce soit pour encourager son disciple qu’il parle de la sorte, on le voit clairement par la suite. Mais écoutons encore saint Paul faire le récit de ses épreuves.

« La première fois que j’ai défendu ma cause, nul ne m’a assisté, et tous m’ont abandonné ; je prie Dieu de ne le leur point imputer ». Admirez combien saint Paul ménage ses amis quoiqu’ils lui eussent causé une si sensible douleur en l’abandonnant. Car il y a bien de la différence entre être abandonné par des étrangers ou par des amis. Sa tristesse était extrême. Il ne peut pas dire pour se consoler : Si les étrangers m’attaquent, au moins les miens me soutiennent. Les siens mêmes l’avaient abandonné. « Ils m’ont tous abandonné », dit-il. Ce n’était pas une faute d’une petite gravité. Si dans la guerre, le soldat qui ne secourt pas son général en péril, et qui se dérobe par la fuite aux coups de l’ennemi, est puni avec raison par les siens pour avoir été cause de la perte de la bataille, pourquoi n’en serait-il pas de même dans la prédication ? Mais quelle est cette première fois que saint Paul dit avoir défendu sa cause ? Il avait déjà été cité devant Néron, et il était sorti heureusement de cette affaire. Mais ensuite ayant instruit et converti l’échanson de l’empereur, celui-ci lui fit trancher la tête. Mais voici pour le disciple une nouvelle consolation. – « Mais le Seigneur m’a assisté et m’a fortifié ». Dieu vient toujours au secours de celui qui est abandonné. « Il m’a fortifié », dit saint Paul, c’est-à-dire il m’a donné la hardiesse, il ne m’a pas laissé tomber dans l’abattement. – « Afin que j’achevasse la prédication de l’Évangile ». Admirez l’humilité de l’apôtre. Il m’a fortifié, dit-il, non que je fusse digne de cette grâce, mais afin que je pusse achever la prédication dont j’étais chargé. C’est comme si quelqu’un portait la pourpre et le diadème du roi, et qu’il dût à ces insignes d’être sauvé de quelque péril. – « Afin que toutes les nations l’entendissent » ; que tous les peuples reçussent la lumière de l’Évangile et reconnussent combien Dieu veille sur moi.

« Dieu m’a délivré de la gueule du lion, et le Seigneur me délivrera de toute action mauvaise ». Voyez combien il avait été près de mourir. Il avait été jusque dans la gueule du lion. C’est ce nom qu’il donne à Néron à cause de sa cruauté, de sa puissance et de la force de son empire. – « Le Seigneur m’a délivré, et il me délivrera », dit saint Paul. Si le Seigneur doit encore le délivrer, comment dit-il. « Je suis déjà offert en libation ? » Mais remarquez qu’il dit : « Il m’a délivré de la gueule du lion ; et il me délivrera » non plus de la gueule du lion : De quoi donc ? « De toute action mauvaise ». C’est vraiment alors que Dieu me délivrera de tout péril, après que j’aurai satisfait à tout ce qui était nécessaire pour la prédication de l’Évangile. Le Seigneur me délivrera de tout péché, il ne permettra pas que je sorte de cette vie avec quelque tache. Avoir la force de résister au péché jusqu’au sang et de ne pas céder, c’est être vraiment délivré d’un autre lion plus à craindre, c’est-à-dire du démon. Cette dernière délivrance est sans comparaison préférable à l’autre par laquelle Dieu ne nous sauve que de la mort corporelle. – « Et me sauvant, me conduira dans son royaume céleste : Gloire à lui dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il ». Le véritable salut ne s’accomplira pour nous que lorsque nous serons brillants de gloire dans ce divin royaume. Qu’est-ce à dire, « me sauvera dans son royaume ? » C’est-à-dire il me délivrera de toute faute, et me gardera dans ce séjour. C’est être sauvé dans son royaume, que de mourir ici-bas pour ce royaume. « Celui qui hait son âme en ce monde, la conservera pour la vie éternelle ». (Jn 12,25) – « Gloire à lui, etc. » Voici une doxologie pour le Fils.

« Saluez Priscille et Aquila et la maison d’Onésiphore », qui était alors à Rome, comme on le voit au commencement de cette lettre : « Que le Seigneur répande sa miséricorde sur la maison d’Onésiphore, qui étant venu à Rome m’a cherché avec grand soin. Que le Seigneur lui donne de trouver en ce jour-là miséricorde devant le Seigneur ». En le saluant de la sorte, saint Paul excite toute sa famille à imiter la vertu de son chef.

« Saluez Priscille et Aquilas ». Saint Paul parle souvent de ces personnes chez qui il avait demeuré avec Apollon. Il met la femme avant le mari, à ce qu’il me semble, parce qu’elle avait plus de zèle et de foi. C’était elle qui avait pris Apollon chez elle. Ou bien saint Paul les nomme ainsi indifféremment et au hasard. Ce n’était pas une faible consolation pour eux que cette salutation, c’était une preuve de considération et d’affection ; c’était en même temps une communication de la grâce. Il n’en fallait pas plus que la salutation de ce grand et bienheureux apôtre pour combler de grâce celui à qui elle était adressée. – « Eraste est demeuré à Corinthe, j’ai laissé Trophime malade à Milet ». Nous avons fait connaissance avec celui-ci ainsi qu’avec Tychique dans le livre des Actes. Il les avait amenés de la Judée, et les conduisait partout avec lui, peut-être parce qu’ils étaient plus zélés que les autres. – « J’ai laissé Trophime malade à Milet ». Pourquoi ne l’avez-vous pas plutôt guéri, saint apôtre ? Pourquoi l’avez-vous laissé ? Les apôtres ne pouvaient pas tout. Ou bien encore ils ne voulaient pas prodiguer en toute rencontre la grâce dont ils étaient dépositaires, de peur qu’on ne vît en eux plus que des hommes. Nous pouvons faire la même remarque au sujet des justes de l’Ancien Testament. Moïse, par exemple, était bègue, pourquoi ne se débarrassa-t-il pas de ce défaut ? Il était exposé à la tristesse et à l’abattement. Il n’entra pas dans la terre de promission.

3. Dieu permettait beaucoup de choses semblables, pour laisser paraître dans ses serviteurs la faiblesse de la nature humaine. Car si nonobstant ces défauts et ces preuves de leur fragilité, les Juifs stupides ne laissaient pas de dire : Où est ce Moïse qui nous a tirés de la terre d’Égypte ? que n’auraient-ils point dit et pensé, s’il les avait introduits dans la terre promise ? Si Dieu n’avait permis que ce même Moïse tremblât de paraître devant Pharaon, ne l’aurait-on pas pris pour un Dieu ? Ne voyons-nous pas que les habitants de Lystre, prenant Paul et Barnabé pour des divinités, voulaient leur sacrifier, de telle sorte que ces apôtres, déchirant leurs vêtements, se jetèrent au milieu de la foule en criant, en disant : « Hommes, que faites-vous là ? Nous sommes des hommes comme vous et sujets aux mêmes infirmités ». (Act 14,14) Saint Pierre, voyant les juifs épouvantés du miracle qu’il avait fait en guérissant un homme boiteux dès sa naissance, leur disait aussi : « Israélites, pourquoi vous étonnez-vous, ou pourquoi nous regardez-vous fixement, comme si c’était par notre puissance et notre piété que nous eussions fait marcher cet homme ? » (Act 3,12) Écoutez encore saint Paul dire : « Il m’a été donné un aiguillon de la chair, afin que je ne m’élève point ». (2Co 12,7) Mais, dira-t-on, il parle ainsi par humilité. Non, il n’en est rien. Cet aiguillon ne lui a pas été donné seulement pour qu’il s’humiliât ; et il ne tient pas seulement ce langage par humilité, mais par d’autres raisons encore. Remarquez en effet que Dieu en lui répondant ne lui dit pas : Ma grâce vous suffit pour que vous ne vous éleviez pas, mais, que lui dit-il ? « Ma puissance se montre tout entière dans la faiblesse ». Cette, conduite avait deux avantages : les miracles éclataient aux yeux de tous, et c’est à Dieu qu’on les attribuait. À cela se rapporte ce que saint Paul dit dans un autre endroit : « Nous portons ce trésor dans des vases d’argile » (2Co 4,7), c’est-à-dire, dans des corps passibles et fragiles. Pourquoi ? Afin que cette grande puissance qui éclate dans nos œuvres soit reconnue pour appartenir à Dieu et non pas à nous. Si leurs corps n’avaient pas été sujets aux infirmités, on leur eût attribué à eux-mêmes les miracles qu’ils opéraient. On voit encore ailleurs que saint Paul est affligé de la maladie d’un autre de ses disciples, et en parlant d’Epaphrodite, il dit qu’il a été malade jusqu’à la mort, mais que Dieu a eu pitié de lui. On voit encore que cet apôtre a ignoré beaucoup de choses concernant son utilité propre et celle de ses disciples.

« J’ai laissé Trophime à Milet ». Milet est une ville proche d’Éphèse. Saint Paul y avait laissé son disciple lorsqu’il se rendait par mer en Judée, ou dans un autre temps. Après avoir été à Rome, il partit pour l’Espagne. S’il revint de là dans les contrées de l’Orient, nous ne saurions le dire. Nous le voyons donc seul et abandonné de tous. « Démas », dit-il, « m’a abandonné, Crescent est allé en Galatie, Tite en Dalmatie, Eraste est demeuré à Corinthe. J’ai laissé Trophime malade à Milet ».

« Tâchez de venir avant l’hiver. Eubule, Pudens, Lin, Claudie, et tous les frères vous saluent ». On sait que ce Lin fut après saint Pierre le second évêque de l’Église romaine. – « Lin et Claudie », dit-il. Les femmes alors étaient pieuses et ferventes, comme Priscille et Claudie dont on parle ici. Elles étaient déjà crucifiées au monde et prêtes à tout souffrir. Mais pour quelle raison, lorsqu’il y avait tant de disciples, saint Paul nomme-t-il ces femmes ? C’est sans aucun doute parce qu’elles étaient élevées par leurs sentiments au-dessus des choses de ce monde, parce qu’elles brillaient par leur vertu entre tous les disciples. Son sexe n’est pas pour la femme un obstacle à la vertu. C’est un grand don de Dieu qu’il n’y ait que les choses de ce monde où le sexe de la femme soit pour elle un désavantage ; ou, pour dire la vérité, son sexe n’est point un désavantage pour elle-même dans les choses de ce monde. Car la femme n’a pas une petite part dans l’administration, puisqu’elle a pour sa part les affaires domestiques. Sans elle, on peut dire que les affaires publiques mêmes seraient bientôt ruinées. Si elle n’était là pour empêcher le trouble et le désordre de se mettre dans l’intérieur des maisons, les citoyens seraient obligés de rester chez eux et les affaires publiques en souffriraient. Elle n’a donc pas un rôle moins important que l’homme tant dans les affaires du monde que dans les choses spirituelles. Dieu ne lui a pas même ôté la gloire du martyre, et il y en a eu un très-grand nombre qui ont été glorieusement couronnées pour la foi. Elles peuvent même mieux garder la chasteté que les hommes, n’étant pas emportées par des ardeurs aussi violentes. Elles peuvent aussi mieux pratiquer l’humilité, la modestie, et parvenir à cette sainteté « sans laquelle nul ne verra jamais Dieu ». (Heb 12,14) On en pourrait dire autant du mépris des richesses et de toutes les autres vertus. – « Tâchez de venir avant l’hiver ». Comme il le presse ! Cependant il ne dit rien pour l’affliger. Il ne dit pas : Avant que je meure, pour ne pas l’attrister, mais « avant l’hiver », de peur que le mauvais temps ne vous retienne. – « Eubule vous salue, ainsi que Pudens, Lin et Claudie et tous les autres frères ». Il ne nomme pas les autres, il accorde cet honneur à ceux-ci en considération de leur vertu.

« Que le Seigneur. Jésus-Christ soit avec votre esprit ». Il ne pouvait faire un meilleur souhait que celui-là. Ne vous affligez pas, dit-il, de ce que je vais bientôt mourir. Le Seigneur est avec vous, et non simplement avec vous, mais avec votre esprit : double secours ; la grâce de l’Esprit et l’aide de Dieu. Et Dieu ne peut être avec nous sans que la grâce de son Esprit y soit aussi. Si elle nous quittait, comment serait-il avec nous ? – « Que la grâce soit avec nous. Ainsi sait-il ». Saint Paul fait aussi enfin une prière pour lui-même. Il veut dire : Que nous soyons toujours agréables à Dieu, que nous ayons sa faveur et ses dons : avec cela, il n’y aura plus rien de pénible. Celui qui jouit de la vue du prince et qui possède sa faveur, n’a rien à redouter ni à souffrir ; de même fussions-nous abandonnés de nos amis, ou tombés dans quelque danger, nous serons insensibles à tout, si cette grâce est avec nous et nous entoure de sa protection.

4. Par quel moyen nous concilier cette grâce ? En faisant ce qui plaît à Dieu, et en lui obéissant en tout. Dans les grandes maisons, les serviteurs qui ont le plus de part aux bonnes grâces de leur maître, sont toujours ceux qui, s’oubliant eux-mêmes, ne s’occupent que des affaires de leur maître, mais de toute leur âme et avec ardeur, qui mettent tout en bon ordre non par force et parce qu’on le leur commande, mais par bonne volonté et par affection ; qui ont toujours les yeux attachés sur ceux de leur maître ; qui courent, qui volent au moindre signe, qui n’ont pas d’affaires ni d’intérêts propres, excepté ceux de leur maître. Le serviteur qui fait de tout ce qu’il a, la propriété de son maître fait de tout ce qu’a son maître sa propriété particulière. Il commande comme lui dans ses domaines, il est maître comme lui. Les autres serviteurs le respectent ; ce qu’il dit, son maître le confirme. Quant aux ennemis, ils le redoutent. Si dans les choses de ce monde, celui qui néglige, ses propres intérêts pour prendre ceux de son maître, ne néglige en réalité point ses affaires, mais les avance considérablement, combien cela est-il plus vrai dans les choses spirituelles ! Méprisez donc ce qui est à vous, et vous acquerrez ce qui est de Dieu. C’est lui qui vous le commande. Méprisez la terre pour conquérir le ciel. Soyez-y d’esprit et de cœur, et non sur la terre. Faites-vous craindre du côté de l’esprit, non du côté matériel. Si vous vous rendez redoutable du côté du ciel, vous ne le serez pas seulement aux hommes, mais encore aux démons, et leur prince même ne vous verra qu’en tremblant. Si vous voulez vous faire craindre par vos richesses, les démons vous mépriseront et souvent les hommes. Ce que vous pouvez acquérir sur la terre n’est qu’une récompense vile et servile. Méprisez cela et vous serez grand dans le palais de votre Roi.

Tels étaient les apôtres, pour avoir méprisé une maison servile et les biens de ce monde. Et voyez comme ils commandaient dans le domaine de leur Seigneur et Maître. Qu’un tel, disaient-ils, soit délivré de sa maladie, tel autre, du démon. Liez celui-ci, déliez celui-là. Cela se passait sur la terre et était ratifié dans le ciel. « Tout ce que vous aurez lié sur la terre, sera lié dans le ciel ». (Mat 18,18) Jésus-Christ a donné un plus grand pouvoir à ses serviteurs qu’il ne semblait en avoir lui-même, et il a vérifié ce qu’il avait dit : « Celui qui croit en moi fera de plus grandes choses que je n’en fais ». (Jn 14,12) Pourquoi, sinon parce que la gloire de ce que font les serviteurs remonte, jusqu’à leur maître, comme parmi les hommes, plus un serviteur est puissant, plus son maître, est considéré. Si telle est la puissance du serviteur, dit-on, quelle ne sera pas celle du maître ? Mais si un serviteur, négligeant les intérêts et le service de son maître, ne pensait qu’à lui-même, à sa femme, à son fils, à son serviteur et ne travaillait qu’à s’enrichir, et à voler ou attraper par artifice le bien de son maître, n’est-il pas clair qu’il se perdrait bientôt lui-même avec ses richesses mal acquises ? Que ces exemples, mes frères, nous rappellent à nous-mêmes et nous empêchent de chercher nos intérêts particuliers, afin d’y pourvoir avec plus de sûreté et d’avantage par le mépris que nous en ferons. Car si nous les négligeons, Dieu s’en occupera ; si, nous nous en occupons, Dieu les négligera.

Travaillons aux affaires de Dieu et non pas aux nôtres, ou plutôt aux nôtres, puisque les siennes sont les nôtres. Je ne parle pas du ciel matériel, ni de la terre, ni de tout ce qui est dans le monde. Ce sont là des biens qui ne sont pas dignes de lui, et qui appartiennent aux infidèles comme à nous. Quels sont les biens que je dis être les biens de Dieu et les nôtres par lui ? C’est la gloire éternelle et le royaume céleste. Saint Paul nous assure que si nous mourons avec Jésus-Christ, nous vivrons aussi avec lui ; si nous souffrons avec lui, nous régnerons aussi avec lui. (2Ti 3,11) Nous sommes ses cohéritiers et ses frères. (Rom 8,17) Pourquoi nous rabaissons-nous vers la terre lorsque Dieu nous relève vers le ciel ? Jusques à quand demeurerons-nous volontairement dans notre pauvreté et notre misère ? Dieu nous propose le ciel, et nous n’avons des yeux et des désirs que pour la terre. On nous offre le royaume du ciel, et nous aimons mieux la pauvreté sur la terre ; on nous offre la vie éternelle, et nous nous consumons à remuer du bois, des pierres et de la terre. Devenez riche, je le veux bien ; gagnez et ravissez, il n’y a pas de mal à cela. Il y a un gain qu’on est coupable de ne pas rechercher ; il y a vol dont c’est un péché de s’abstenir. Qu’est-ce à dire ? « Le royaume des cieux », dit le Sauveur, « souffre violence, et ce sont les violents qui le ravissent ». (Mat 11,12) Soyez violent en ce sens ; soyez un ravisseur ; ce que vous ravissez de la sorte ne diminuera pas. La vertu ne se partage pas, non plus que la piété et le royaume du ciel. La vertu s’augmente à la ravir, c’est le contraire pour les biens corporels. Par exemple, je suppose une cité dans laquelle il y a dix mille citoyens. Si tous ravissent la vertu et la justice, il est clair qu’ils la multiplieront, puisqu’elle sera dans les dix mille tous ensemble. Si au contraire ils ne la ravissent point, ils la diminueront évidemment puisqu’elle ne sera plus nulle part.

5. Comprenez-vous que les vrais biens se multiplient à les ravir, et que les faux biens diminuent ? Ne croupissons pas dans une lâche pauvreté, mais enrichissons-nous. La richesse de Dieu consiste dans le grand nombre de ceux qui jouissent de son royaume. « Il est riche en tous ceux qui l’invoquent ». (Rom 10,12) Augmentez donc sa richesse. Vous l’augmenterez si vous ravissez son royaume, si vous le gagnez, si vous l’emportez d’assaut. Il faut réellement pour cela de la violence. Pourquoi ? Parce qu’il y a beaucoup d’obstacles à vaincre, les femmes, les enfants, les soucis, les affaires temporelles, après cela les démons, et surtout leur prince, le diable. Il faut donc de la force, il faut de la persévérance. Celui qui fait violence est dans la peine, parce qu’il supporte tout, parce qu’il résiste à la nécessité. Il tente presque à l’impossible. Voilà ce que font les violents, et nous, nous ne tentons pas même le possible, quand donc obtiendrons-nous quelque chose ? Quand posséderons-nous les biens désirables et désirés ? « Les violents ravissent le royaume du ciel ». Il faut réellement de la violence, il faut emporter le ciel de vive force. On ne le gagne pas sans peine, on n’y entre pas sans coup férir. Le violent est toujours sobre, toujours vigilant ; il n’a de soins et de pensées que pour ravir ce qu’il désire, et pour épier les occasions.

À la guerre, celui qui veut enlever quelque butin veille toute la nuit, toute la nuit il est en armes. Si pour ravir les biens de cette vie on veille ainsi et on passe toute la nuit sous les armes, comment se fait-il que nous, qui voulons ravir des biens sans comparaison plus désirables et plus difficiles à saisir, les biens spirituels, comment se fait-il que nous dormions même le jour du plus profond sommeil ; comment se fait-il que nous soyons toujours sans armes ni cuirasse ? Car celui qui demeure dans le péché est un homme qui n’a ni épée ni cuirasse ; et celui au contraire qui vit dans la justice est l’homme toujours armé de pied en cap. Nous ne nous revêtons pas de l’aumône comme d’une armure, nous ne tenons pas nos lampes allumées et toutes prêtes, nous ne nous munissons pas des armes spirituelles, nous ne nous informons pas de la voie qui conduit au ciel, nous ne sommes point sobres, ni vigilants, voilà pourquoi nous ne pouvons rien ravir. Celui qui a formé le projet de conquérir une couronne terrestre n’est-il pas prêt à braver mille fois la mort ? Néanmoins il s’arme, combine ses plans, et quand il a tout préparé, il marche en avant. Il en est tout autrement de nous, nous voulons ravir tout en dormant, de là vient que nous nous retirons toujours les mains vides.

Jetez les yeux sur les ravisseurs du siècle voyez comme ils courent, comme ils se hâtent, comme ils renversent tout sur leur passage. Oui, il faut courir ; car le démon court après vous, et il crie à ceux qui sont devant vous de vous arrêter. Mais si vous êtes fort, si vous êtes vigilant, vous avez bientôt écarté du pied et de la main tous ceux qui veulent vous prendre, et vous vous échappez comme si vous aviez des ailes. Il ne vous faut qu’un instant pour vous tirer d’embarras, pour traverser la place publique et la foule tumultueuse qui s’y presse, je veux dire la vie d’ici-bas, et pour parvenir dans la région supérieure, c’est-à-dire l’éternité, région où règne le calme, où il n’y a ni tumulte ni obstacle. Quand vous aurez une fois accompli vos violences et enlevé de force ce que vous vouliez, vous n’aurez pas de peine à le conserver, on ne vous l’enlèvera pas. Courons, ne regardons même pas ce qui est devant nos yeux, n’ayons d’autre souci que d’éviter ceux qui veulent nous arrêter, et nous sommes sûrs de conserver intact ce que nous avons ravi. Vous avez, par exemple, ravi la chasteté, n’attendez pas, fuyez, éloignez-vous du diable. S’il voit qu’il ne pourra vous atteindre, il ne vous poursuivra même pas. Autant nous en arrive tous les jours : lorsque nous n’apercevons plus ceux qui nous ont volé quelque chose, nous désespérons de les rejoindre, nous renonçons à les poursuivre et à les faire poursuivre et arrêter, nous les laissons partir tranquilles. Faites de même, courez fort dès le commencement. Dès que vous serez loin du diable, il n’essaiera plus de vous atteindre. Vous pourrez en toute sécurité jouir des biens ineffables que vous avez ravis. Puissions-nous tous les posséder, en Jésus-Christ Notre-Seigneur, avec qui soient au Père et au Saint-Esprit, gloire, force, honneur et adoration, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

Traduit par M. JEANNIN.

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