Acts 1
HOMÉLIES SUR LES ACTES DES APÔTRES ▼▼Pour l’avertissement, voir tome I, page 372.
.
HOMÉLIE I.
J’AI ÉCRIT UN PREMIER LIVRE, Ô THÉOPHILE, DE TOUT CE QUE JÉSUS A FAIT ET ENSEIGNÉ DEPUIS LE COMMENCEMENT, JUSQU’AU JOUR OU IL MONTA AU CIEL, INSTRUISANT PAR LE SAINT-ESPRIT LES APÔTRES QU’IL AVAIT CHOISIS. (CHAP. 1,1, 2)
ANALYSE.
- 1. Saint Chrysostome annonce qu’il va expliquer le Livre des Actes, parce que ce Livre est peu connu, quoiqu’il renferme d’admirables instructions.
- 2. Il fait ensuite ressortir la modestie de saint Luc qui, parlant de son Évangile, l’appelle seulement un Livre, et il montre qu’on doit avoir toute confiance en un écrivain, témoin des faits qu’il raconte.
- 3. L’orateur entre ensuite dans l’explication détaillée des premiers versets, et observe que les apôtres ont eu soin de prouver principalement la résurrection du Sauveur, parce que ce point étant bien établi, il était facile d’en faire découler sa divinité.
- 4. Si Jésus-Christ voulut que les apôtres attendissent, à Jérusalem, la venue de l’Esprit-Saint, ce fut pour qu’ils ne s’élançassent pas au combat à demi-armés, et pour qu’ils donnassent à leurs concitoyens les prémices de leur mission.
- 5. L’Esprit-Saint lui-même ne descendit sur les apôtres que dix jours après l’Ascension, afin qu’ils se préparassent mieux à le recevoir comme Esprit de consolation.
- 6. Et saint Chrysostome infère de ce titre la divinité du Saint-Esprit, autrement il n’eût pu les consoler de l’absence du Fils de Dieu.
- 7 et 8. Et à l’occasion de ces paroles : Vous serez baptisés dans l’Esprit-Saint, il s’élève vivement contre la pernicieuse coutume de ne recevoir le baptême qu’à la dernière extrémité, et réfute les vains prétextes dont on colorait cette négligence.
1. Plusieurs ignorent l’existence même du livre des Actes, ainsi que le nom de son auteur. J’ai donc cru utile d’en entreprendre l’explication pour remédier à cette profonde ignorance, et vous révéler le riche trésor que ce livre renferme. Sa lecture ne nous sera pas moins avantageuse que celle de l’Évangile lui-même, tant il abonde en maximes de sagesse, en vérités dogmatiques et en récit de miracles, principalement de ceux que l’Esprit-Saint a opérés. Il mérite ainsi d’être lu avec attention et d’être commenté avec soin. Nous y voyons en effet l’accomplissement des prédictions que Jésus-Christ a faites dans son Évangile ; la vérité y brille de toutes les clartés de l’histoire, et, après la descente du Saint-Esprit, les apôtres y paraissent des hommes tout nouveaux. Jésus-Christ leur avait dit : « Celui qui croira en moi fera les œuvres que je fais et en fera de plus grandes ». Il leur avait également prédit qu’ils seraient conduits devant les magistrats et les rois, flagellés dans les synagogues et exposés à mille cruels traitements. Mais il leur avait promis qu’ils sortiraient victorieux de toutes ces épreuves, et il avait annoncé que son Évangile serait prêché dans le monde entier. Eh bien ! le livre des Actes nous raconte le parfait accomplissement de ces diverses prédictions et de plu sieurs autres que les apôtres avaient recueillies de la bouche de Jésus-Christ. (Jn 14,12 ; Mat 10,18) Vous y verrez les apôtres parcourir d’un vol rapide les continents et les mers, et de timides et grossiers qu’ils étaient naguère, devenir soudain des hommes nouveaux. Ils méprisent les richesses et la gloire, et ils se montrent supérieurs à la colère, à la volupté et à toutes les autres passions. Vous les verrez encore s’aimer comme des frères, étouffer tout souvenir de leurs anciennes rivalités et bannir tout désir comme toute dispute de prééminence. Mais surtout vous admirerez en eux le radieux épanouissement de la charité ; car ils cultivent avec un soin tout particulier cette vertu que Jésus-Christ leur avait tant recommandée, et dont il avait dit : « Tous connaîtront que vous êtes mes disciples, si vous vous aimez les uns les autres ». (Jn 13,35) Quant aux vérités dogmatiques, ce livre en renferme un certain nombre que sans lui nous ne connaîtrions que très-imparfaitement ; et l’on peut dire en général qu’il éclaire d’un jour tout nouveau la vie, les exemples et la doctrine de Jésus-Christ, qui est le chef de tous les chrétiens. Toutefois, la plus grande partie des Actes contient le récit des travaux de saint Paul, qui a plus travaillé que tous les autres apôtres ; et la raison en est que l’auteur de ce livre est saint Luc, son disciple. Au reste, la fidélité de ce disciple à ne pas abandonner son maître est, entre mille preuves de sa haute vertu, une des plus éclatantes. C’est le témoignage que lui rend saint Paul,'lorsqu’il écrit à Timothée Démas et Hermogène m’ont quitté pour aller, l’un en Galatie et l’autre en Dalmatie, et « Luc est seul avec moi ». (2Ti 4,11) Dans la seconde épître aux Corinthiens, il dit de lui que « son éloge se trouve, à cause de l’Évangile, dans toutes les églises » (2Co 8,18) ; et dans sa première épître aux mêmes Corinthiens, il avait déjà dit : « Jésus-Christ apparut à Pierre et ensuite aux onze, selon l’Évangile que vous avez reçu ». (1Co 15,5, 1) Or cet évangile est celui de saint Luc. Mais si Jésus-Christ a inspiré le premier ouvrage, il n’est pas moins évident qu’il a aussi inspiré le second. Et si l’on me demande pourquoi saint Luc qui est resté auprès de l’apôtre jusqu’à son martyre, n’a pas prolongé son récit jusqu’à ce moment, je répondrai que le livre des Actes, tel que nous le possédons, remplit parfaitement le but de l’écrivain. Car les évangélistes ne se sont proposé que d’écrire le plus essentiel ; et ils ont si peu ambitionné la gloire de beaucoup écrire, qu’ils nous ont laissé un grand nombre de traditions orales. Toutes choses sont donc admirables en ce livre, mais principalement le langage simple et familier avec lequel les apôtres, sous la direction du Saint-Esprit, expliquent la divine économie de notre salut. Il faut observer aussi que, dans les questions élevées qui se rattachent à Jésus-Christ, ils ont peu parlé de sa divinité et se sont longuement étendus sur son humanité, sa passion, sa résurrection et son ascension. Car l’important, alors, était d’établir ces points de notre foi ; en sorte que l’on crût en Jésus-Christ ressuscité et monté aux cieux. Nous voyons dans l’Évangile que le divin Sauveur se préoccupe surtout de prouver qu’il a été envoyé par le Père ; et dans le livre des Actes, il insiste spécialement sur ces trois faits.. qu’il est ressuscité, qu’il est monté au ciel, et qu’il est revenu vers celui qui l’avait envoyé. Ce dernier article était celui qu’il fallait proposer le premier ; autrement les dogmes de la résurrection et de l’ascension n’eussent rendu l’ensemble de la foi que plus incompréhensible aux Juifs. C’est pourquoi on les initie peu à peu et comme insensiblement aux plus sublimes vérités du christianisme. Aussi l’apôtre, annonçant Jésus-Christ dans Athènes, ne parle-t-il que de son humanité. Et c’était prudence de sa part ; car lorsque le Christ lui-même révélait aux Juifs son égalité de nature avec Dieu le Père, ils le traitaient de blasphémateur et voulurent plusieurs fois le lapider ; mais comment eussent-ils, après le supplice du calvaire, accueilli ce même langage dans la bouche de pauvres pêcheurs ? 2. Et pourquoi parler des Juifs, quand les apôtres eux-mêmes se troublaient et s’offensaient de la doctrine sublime que Jésus-Christ leur développait ? Aussi leur disait-il : « J’ai beaucoup de choses à vous dire, mais vous ne pouvez les porter à présent ». (Jn 16,12) Si tels étaient les apôtres qui avaient vécu plusieurs années avec lui ; qui avaient vu ses miracles et qui avaient connu les secrets du royaume des cieux, des hommes tout récemment arrachés aux autels et aux sacrifices de l’idolâtrie, détrompés du culte des chats et des crocodiles, et éclairés à peine sur les erreurs du paganisme, pouvaient-ils soudain comprendre les sublimes mystères de la foi ? Quant aux Juifs, qui chaque jour répétaient ce précepte de la loi mosaïque : « Écoute, Israël, le Seigneur ton Dieu est le seul Seigneur, et il n’y a point d’autre Dieu que lui » (Deu 6,4), qui avaient vu Jésus-Christ attaché à la croix, qui l’avaient eux-mêmes crucifié et mis dans le tombeau, et qui ne l’avaient point vu ressuscité ; s’ils eussent entendu tout d’abord proclamer que ce même Jésus était Dieu et égal à Dieu le Père, ils se seraient récriés contre cette doctrine et se fussent retirés. C’est pourquoi les apôtres ne leur révèlent que par degré la sublimité de nos dogmes, et se proportionnent à leur faiblesse. Remplis eux-mêmes de la plénitude de l’Esprit-Saint, ils opèrent des miracles plus grands que ceux de Jésus-Christ ; et ils les opèrent en témoignage de sa résurrection, et pour guérir ces infortunés paralytiques. Ainsi saint Luc se propose, dans le livre des Act. de prouver la résurrection de Jésus-Christ, parce que ce point gagné, tout le reste suit facilement ; c’est le but de son livre, et comme le sommaire de tout son récit. Au reste, en voici la préface : « J’ai écrit un premier livre, ô Théophile, de tout ce que Jésus a fait et enseigné ». Pourquoi rappeler son Évangile ? Afin de montrer sa scrupuleuse véracité. Car au commencement de son Évangile, il a dit : « J’ai cru qu’après avoir été exactement informé de toutes choses, depuis leur commencement, je devais en écrire l’histoire avec ordre ». Bien plus, peu content de ses propres recherchés, il s’en réfère au témoignage des apôtres, et continue ainsi : « Comme nous les ont racontées ceux qui dès le commencement les ont vues, et qui ont été les ministres de la parole ». (Luc 1,1, 3) Mais parce que, dans ce premier ouvrage, il s’est gagné la confiance de ses lecteurs, il n’a pas besoin dans celui-ci dé recourir à de nouveaux témoignages ; Car Théophile est déjà persuadé, et de plus le livre lui-même porte tous les caractères d’une scrupuleuse véracité. Et en effet, nous ajoutons foi aux récits de saint Luc, quand il nous raconte ce que d’autres lui ont appris ; mais ne devons-nous pas le croire plus encore, quand il écrit, non d’après les récits qui lui ont été, faits, mais d’après ce qu’il a vu et entendu lui-même ? Aussi semble-t-il nous dire que si nous avons reçu son témoignage sur la vie de Jésus-Christ, nous ne saurions le récuser sur les apôtres. Mais quoi ! le livre des Actes est-il purement historique, et ne renferme-t-il aucun sens spirituel ? Nullement ; et en voici la raison. C’est que les apôtres, qui avaient rapporté à saint Luc les actions du divin Sauveur, qui en avaient été les témoins, et qui avaient été les ministres de la parole, étaient eux-mêmes remplis de l’Esprit-Saint. Et pourquoi ne dit-il pas : comme nous ont rapporté les choses ceux qui avaient mérité de recevoir l’Esprit-Saint, mais. « qui les ont vues eux-mêmes dès le commencement ? » Parce qu’un témoin oculaire inspiré toujours une plus grande confiance. D’ailleurs, un autre langage eût peut-être paru vain et orgueilleux à des esprits prévenus ou bornés. C’est ainsi que le Précurseur disait aux Juifs « Je l’ai vu, et j’ai rendu témoignage qu’il est Fils de Dieu » (Jn 1,34), et que le Sauveur lui-même éclairait par les paroles suivantes l’ignorance de Nicodème : « Ce que nous savons, nous le disons, et ce que nous avons vu, nous le témoignons, mais personne ne reçoit notre témoignage ». (Jn 3,11) C’est encore à ce même témoignage des yeux que Jésus-Christ faisait allusion, quand il disait à ses apôtres : « Vous me rendrez témoignage, parce que vous avez été avec moi dès le commencement ». (Jn 15,27) Enfin les apôtres eux-mêmes tiennent souvent ce langage : « Nous en sommes tous témoins, ainsi que l’Esprit-Saint que Dieu a donné à ceux qui croient en lui ». (Act 2,32) Et saint Pierre, pour attester pleinement le fait de la résurrection de Jésus-Christ, dit : « Nous avons mangé et bu avec lui ». (Act 10,41) Mais si les Juifs admettaient ainsi de préférence le témoignage des apôtres qui avaient vécu avec le Sauveur, c’est qu’ils ignoraient complètement la nature et les opérations de l’Esprit-Saint. Aussi saint Jean parlant du sang et de l’eau qui découlèrent du côté de Jésus, dit-il dans son évangile, qu’il l’a vu ; et il donne ce témoignage comme le plus certain de tous. Toutefois, l’inspiration de l’Esprit-Saint est pour tout autre qu’un infidèle, bien supérieure au témoignage des yeux. Au reste, saint Luc avait, lui aussi, reçu l’Esprit-Saint comme l’attestent les prodiges qu’opéraient alors tous les fidèles auxquels l’Esprit-Saint se communiquait indistinctement. Nous en avons encore une seconde preuve dans l’éloge que lui donne saint Paul, et dans la charge honorable que les églises lui avaient confiée. « Nous vous avons envoyé avec Tite », écrit-il aux Corinthiens, « un de nos frères dont l’éloge se trouve à cause de l’Évangile dans toutes les églises, et qui de plus a été choisi par ces églises pour nous accompagner dans nos voyages et prendre part au soin que nous avons de procurer cette assistance à nos frères ». (2Co 8,18-19) 3. Et maintenant, admirons tout d’abord la modestie et l’humilité de cet auteur. Il ne dit point : J’ai écrit un premier évangile, mais « un premier livre », jugeant ce mot, évangile, trop beau pour son ouvrage ; et cependant l’apôtre assure que « son éloge se trouve, à cause de cet évangile, dans toutes les églises ». Il s’exprime donc avec cette exquise modestie : « J’ai écrit un premier livre, ô Théophile, de tout ce que Jésus a fait et enseigné ». Et pour mieux préciser l’époque qu’embrasse sa narration, il ajoute : « Depuis le commencement jusqu’au jour où il monta au ciel ». Mais l’évangéliste saint Jean nous déclare formellement qu’on ne saurait écrire toutes les actions et toutes les paroles de Jésus-Christ. « Si elles étaient rapportées en détail », dit-il, « je ne crois pas que le monde pût contenir les livres où elles seraient écrites ». (Jn 21,25) Comment donc saint Luc dit-il qu’il a écrit un livre de tout ce que Jésus a fait et enseigné ? Il suffit d’observer qu’il ne dit pas : J’ai écrit tout ce que Jésus a fait et enseigné, il dit seulement : « J’ai écrit un livre de tout ce que Jésus a fait et enseigné », c’est-à-dire, comme un abrégé qui comprend ce que ses miracles, ses paroles et ses actes nous offrent de plus essentiel et de plus important. Remarquons ensuite combien est humaine et apostolique l’âme de saint Luc. Il entreprit cette œuvre pénible et difficile, la rédaction de son évangile, pour le salut d’un seul homme, « pour vous faire connaître », dit-il, « la vérité « dès choses qu’on vous a enseignées ». (Luc 1,4) C’est qu’il avait médité cette parole du Sauveur Jésus : « Ce n’est pas la volonté de mon Père qu’un seul de ces petits périsse ». (Mat 18,14) Mais pourquoi, au lieu de ne faire qu’un seul livre, adressé a un seul et même lecteur, a-t-il voulu diviser l’ouvrage en deux parties ? C’est d’abord calcul de prudence, pour ne pas trop fatiguer son lecteur, et puis C’est que les deux récits sont bien différents. Mais, avant de poursuivre ce sujet, je veux vous faire observer comment Jésus-Christ lui-même a soin d’appuyer ses paroles de l’autorité de ses exemples ; il exhorte ses disciples à la douceur, et il leur dit : « Apprenez de moi « que je suis doux et humble de cœur ». (Mat 11,29) Il enseignait la pauvreté, et il la pratiquait si sévèrement qu’il pouvait dire : « Le Fils de l’homme n’a pas où reposer sa tête ». (Mat 8,20) Il pria sur la croix pour ses bourreaux, et accomplit ainsi cette parole : « A celui qui veut disputer en jugement avec vous, et vous enlever votre tunique, abandonnez encore votre manteau ». (Mat 5,40) Mais il a donné plus que ses vêtements, puisqu’il a donné tout son sang. C’est cette même règle de conduite qu’il a prescrite à ses disciples ; aussi l’apôtre disait-il aux Philippiens : « Conduisez-vous selon le modèle que vous avez vu en nous ». (Phi 3,17) Et en effet, rien de plus froid qu’un docteur qui ne sait que discourir : il est moins un philosophe qu’un comédien. Les apôtres ont donc voulu agir avant que de parler ; et véritablement ils avaient d’autant moins besoin de parler, que leurs actions elles-mêmes étaient fané éloquente prédication. On peut aussi, en ce même sens, appeler la passion du Sauveur son œuvre par excellence ; car c’est en souffrant qu’il a réalisé l’œuvre admirable de son triomphe sur la mort, et assuré notre rédemption. « Jusqu’au jour où, il s’est élevé au ciel, instruisant, par le Saint-Esprit, les apôtres qu’il avait choisis ». « Les instruisant par le Saint-Esprit », c’est-à-dire, leur révélant une doctrine toute spirituelle, et nullement humaine. Cette parole peut encore s’entendre dans ce sens qu’il leur enseignait ce que lui communiquait l’Esprit-Saint. Et c’est ainsi que Jésus-Christ, parlant humblement de lui-même, disait : « Je chasse les démons par l’Esprit de Dieu ». (Mat 12,28) Et, en effet, l’Esprit-Saint opérait en lui comme dans son sanctuaire. Mais quelles instructions donnait-il à ses apôtres ? « Allez », leur disait-il, « enseignez toutes les nations, les baptisant au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit ; leur enseignant à garder, tout ce que je vous ai confié ». (Mat 28,19) Combien est glorieuse cette mission des apôtres, qui reçoivent l’ordre d’évangéliser l’univers, et dont les paroles seront remplies de l’Esprit-Saint ! Car c’est ce qu’indique cette remarque de l’écrivain sacré : « Jésus les instruisait par l’Esprit-Saint », c’est-à-dire, que les paroles qu’il leur adressait étaient esprit et vie. Or, saint Luc ne s’exprime ainsi que pour concilier aux apôtres la pleine confiance de son lecteur, et pour exciter en celui-ci le désir de connaître les secrets que Jésus-Christ leur a confiés. Et en effet, les apôtres vont parler selon l’inspiration de l’Esprit-Saint, et ils nous révéleront les préceptes qu’ils reçurent du Sauveur « jusqu’au jour où il fut élevé dans le ciel ». Saint Luc ne dit pas : Jusqu’au jour où le Christ monta dans le ciel, parce qu’il ne parle encore de lui que comme homme. Sans doute Jésus-Christ, après sa résurrection, avait donné plusieurs instructions à ses apôtres ; mais aucun des évangélistes n’a écrit en détail et avec soin cette partie de sa vie. Saint Jean et saint Luc s’y arrêtent ; il est vrai, un peu plus que – les deux autres ; et néanmoins leur récit est loin d’être précis et complet, car ils se hâtaient vers un autre but. Ce sont donc les apôtres qui, en nous rapportant ce qu’ils avaient entendu, nous ont fait connaître les derniers enseignements de Jésus-Christ. « Auxquels il se montra vivant ». Après avoir parlé de l’ascension de Jésus-Christ, saint Luc mentionne sa résurrection ; et parce qu’il avait dit : « Il fut élevé dans le ciel », il ajoute aussitôt qu’ « il se montra vivant à ses apôtres », afin de prévenir ce doute qu’il ne se serait élevé dans le ciel que par un secours étranger. Car s’il s’est ressuscité lui-même, à plus forte raison a-t-il monté au ciel par sa propre vertu, puisque ce second miracle est moins étonnant que le premier. 4. Voyez-vous donc quels dogmes sublimes sont cachés sous cette simple parenthèse ! « Leur apparaissant durant quarante jours ». C’est que Jésus-Christ ne vivait pas au milieu d’eux comme avant sa résurrection. Aussi saint Luc ne dit-il pas : Leur apparaissant quarante jours, mais « durant quarante jours » ; car il se montrait et disparaissait successivement. Et pourquoi ? Parce qu’il voulait spiritualiser davantage leurs pensées, et rendre moins humain l’amour qu’ils lui portaient. Cette conduite attestait encore de sa part une profonde sagesse ; car elle disposait prudemment les apôtres à croire qu’il était ressuscité, et à confesser qu’il était plus qu’un homme. Or, le dogme de la résurrection de Jésus-Christ et celui de sa divinité semblaient se contredire ; car l’un s’appuyait sur des faits humains, et l’autre sur des faits tout opposés. Et cependant tous deux ont été établis en temps opportun. Mais pourquoi Jésus-Christ ne s’est-il montré qu’aux apôtres, et non à tous les Juifs ? Parce que le plus grand nombre, ignorant le mystère d’un Dieu homme, l’eussent pris pour un fantôme. Et en effet, si d’abord les apôtres eux-mêmes furent troublés et demeurèrent incrédules, et s’ils ne se rendirent qu’après avoir touché ses plaies ; et après avoir mangé avec lui, quels eussent été les sentiments de la multitude ? C’est pourquoi Jésus-Christ voulut confirmer par de nouveaux miracles celui de sa résurrection, mais ces miracles n’ont pas eu seulement pour but de convaincre les apôtres, et ils sont encore pour nous tous une preuve certaine de la résurrection de Jésus-Christ. Cette même conviction qu’ils portèrent alors dans l’esprit de ceux qui en furent les témoins, se transmettra d’âge en âge à tous ceux qui les croiront. De là ce dilemme dont nous poursuivons les incrédules : Si Jésus-Christ n’est pas ressuscité, et s’il est encore mort, comment les apôtres ont-ils fait des miracles, en son nom ? Mais ils n’ont fait aucun miracle. Comment donc le christianisme s’est-il établi ? Car son établissement est un fait qui tombe sous les yeux et dont on ne peut ni contester, ni récuser la réalité. Ainsi l’incrédule qui nie les miracles se confond lui-même, car ce serait le plus grand de tous les miracles, que, sans miracle, l’univers se soit converti à la voix de douze hommes pauvres et ignorants ; et en effet, ces pêcheurs n’ont point vaincu l’idolâtrie par l’argent, l’éloquence ou tout autre moyen naturel. Il faut donc reconnaître forcément en eux une vertu divine puisque leur couvre est au-dessus de toute force humaine. Jésus-Christ resta donc sur la terre encore quarante jours après sa résurrection, et il se montra fréquemment à ses apôtres, afin qu’ils pussent bien s’assurer de la vérité, eh bien se convaincre qu’il n’était point un fantôme ; mais, à cette première preuve, il voulut en ajouter une seconde, et, comme nous le dit saint Luc, « il mangea avec eux ». Aussi les apôtres ont-ils toujours soin de citer ce fait comme un témoignage certain de sa résurrection. « Nous avons mangé », disent-ils, « et nous avons bu avec lui ». (Act 10,41) Mais quel était l’objet de ces fréquentes apparitions ? Saint Luc nous l’apprend par ces mots : « Il leur apparaissait et leur parlait du royaume de Dieu ». Les apôtres étaient découragés et troublés par tout ce qui était arrivé ; et, en outre, Jésus-Christ allait les lancer sur de terribles champs de bataille : il leur découvre donc l’avenir pour les fortifier, et « leur commande de ne point quitter Jérusalem, mais d’y attendre la promesse du a Père ». D’abord, dans le premier instant de leur crainte et de leur frayeur, il les avait amenés dans la Galilée, afin qu’ils pussent écouter sa parole avec plus d’assurance et de liberté ; mais, après qu’ils eurent entendu cette parole, et joui de ses entretiens pendant quarante jours, « il leur commanda de ne point quitter Jérusalem » ; et pourquoi ? Le général retient ses soldats dans les rangs jusqu’à ce qu’ils soient complètement armés, et il ne lance point sa cavalerie avant que chaque cheval n’ait reçu son cavalier ; et ainsi Jésus-Christ ne veut point que ses apôtres affrontent le combat sans avoir reçu l’Esprit-Saint, de peur qu’ils ne succombent sous la multitude de leurs ennemis. J’ajoute encore deux autres raisons : la première, qu’un grand nombre de Juifs devaient croire dans Jérusalem, et la seconde, pour qu’on ne dît pas qu’abandonnant leurs amis et leurs concitoyens, ils allaient par orgueil prêcher l’Évangile à des peuples étrangers. C’est pourquoi ils annonceront d’abord la résurrection de Jésus-Christ à ces mêmes Juifs qui l’ont mis à mort, qui l’ont crucifié et enseveli, et dans les lieux mêmes où ce déicide a été commis. Disons aussi que rien ne frappa davantage les païens ; car, voyant la conversion (le ceux mêmes qui avaient crucifié Jésus-Christ, ils en conclurent la réalité de leur crime et la certitude des mystères de la croix et de la résurrection. Enfin, Jésus-Christ veut en dernier lieu prévenir cette objection que pouvaient lui faire les apôtres : Comment nous, qui sommes si peu nombreux et si faibles, pourrons-nous vivre au milieu de cette foule d’hommes pervers et homicides ? Mais voyez comme le divin Sauveur aplanit d’avance et résout toutes les difficultés « en leur commandant d’attendre la promesse du Père, que vous avez », dit-il, « entendue de ma bouche ». Et quand est-ce qu’ils l’ont entendue ? Lorsqu’il leur avait dit : « il vous est avantageux que je m’en aille, car, si je ne m’en vais, l’Esprit consolateur ne viendra pas en vous » ; et encore : « Je prierai mon Père et il vous enverra un autre Consolateur qui demeurera avec vous ». (Jn 16,14, 16) 5. Et maintenant pourquoi l’Esprit-Saint ne fut-il pas donné en présence même de Jésus-Christ, ou du moins immédiatement après son ascension. Car Jésus-Christ ne monta au ciel que le quarantième jour, et le Saint-Esprit ne descendit sur les apôtres que le cinquantième ; en outre, puisque l’Esprit-Saint n’avait pas encore été donné, comment Jésus-Christ avait-il pu dire : « Recevez l’Esprit-Saint ? » (Jn 20,22) Je réponds à cette dernière objection que, par cette parole, Jésus-Christ disposait et préparait ses apôtres à recevoir l’Esprit-Saint. Car si le prophète Daniel trembla à la vue d’un ange, combien plus l’approche d’une si grande grâce devait-elle troubler les apôtres ! On peut répondre aussi que le Sauveur parlait de ce qui devait arriver, comme d’une chose déjà faite. C’est ainsi qu’il avait dit à ces mêmes apôtres : « Foulez aux pieds les serpents et les scorpions, et toute la puissance de l’ennemi ». (Luc 10,19) Mais pourquoi la descente du Saint-Esprit n’eut-elle pas lieu immédiatement ? C’est qu’il fallait que, par l’ardeur de leurs désirs, les apôtres méritassent de la recevoir. De plus, l’Esprit-Saint ne descendit sur eux que lorsque Jésus-Christ les eut quittés, car s’il fût venu pendant que le divin Sauveur était au milieu d’eux, ils l’eussent beaucoup moins désiré ; et il différa même huit ou neuf jours après l’ascension, parce que rien ne nous porte plus à Dieu que le sentiment du besoin. Ainsi Jean le précurseur n’envoie ses disciples à Jésus-Christ qu’au moment où sa captivité leur rendait ce secours nécessaire. D’ailleurs, il convenait que notre nature prît d’abord possession du ciel, et qu’ainsi fût accompli l’acte de notre réconciliation ; alors seulement la venue de l’Esprit-Saint pouvait inonder les cœurs d’une joie pure. Et en effet, si Jésus-Christ eût attendu pour se retirer la venue de l’Esprit-Saint, la présence de celui-ci eût apporté aux apôtres moins de consolation, car ils étaient si fortement attachés à leur divin Maître, qu’ils ne pouvaient s’en séparer qu’avec une peine extrême. Aussi leur disait-il lui-même pour les consoler : « Il vous est avantageux que je m’en aille ». (Jn 16,17) Il voulut donc retarder de quelques jours l’envoi de l’Esprit-Saint, afin que, pénétrés et de douleur pour son absence et du vif sentiment de leur faiblesse, ils éprouvassent, comme je l’ai dit, une joie pure et parfaite. Mais si l’Esprit-Saint était inférieur au Fils, il n’eût pu être pour les apôtres une consolation suffisante ; et comment Jésus-Christ leur eût-il dit : « Il vous est avantageux que je m’en aille ? » C’est pourquoi il était réservé à ce divin Esprit clé répandre en eux les plus vives lumières de la science et de la doctrine, afin qu’ils ne le crussent pas inférieur au Fils. Il n’était pas moins nécessaire que Jésus-Christ leur commandât de rester à Jérusalem, en même temps qu’il leur promettait de leur envoyer le Saint-Esprit. Autrement ils se fussent dispersés après son ascension ; mais l’attente de ce divin Esprit fut comme un lien qui les retint dans Jérusalem. Ainsi, Jésus-Christ commanda à ses apôtres « d’attendre la promesse du Père, que vous avez », dit-il, « entendue de ma bouche. Car Jean », ajouta-t-il, « a baptisé dans l’eau ; mais vous serez baptisés dans le Saint-Esprit sous peu de jours ». (Act 1,5) Le Sauveur déclare ici quelle distance le sépare du précurseur ; et ce n’est point obscurément, comme quand il avait dit : « Le plus petit dans le royaume des cieux est plus grand que lui ». (Mat 11,11) Mais il parle manifestement : « Jean », dit-il, « a baptisé dans l’eau, mais vous serez baptisés dans le Saint-Esprit ». Ainsi, il n’allègue donc plus l’autorité du précurseur, et se contente de le nommer, rappelant ainsi les divers témoignages qu’il lui a rendus. Il révèle ainsi à ses apôtres leur propre supériorité sur Jean-Baptiste, parce qu’ils doivent être baptisés dans l’Esprit-Saint. Observez encore que Jésus-Christ ne leur dit ras : Je vous baptiserai dans l’Esprit-Saint ; mais : « Vous serez baptisés ». Et cette parole est pour nous une leçon d’humilité : car il est évident, par le témoignage même du précurseur, que c’était Jésus qui baptiserait. « Il vous baptisera », avait-il dit, « dans le Saint-Esprit et dans le feu ». (Luc 3,16) Aussi, le Sauveur se contente-t-il de nommer saint Jean. L’Évangile nous raconte donc les actions et les discours de Jésus-Christ, et les Actes des Apôtres contiennent le récit des opérations diverses du Saint-Esprit. Sans doute, ce divin Esprit n’avait point cessé d’agir, de même que le Christ continue encore sa puissante action ; mais il avait agi jusqu’alors par l’humanité sainte du Sauveur, en laquelle il résidait, comme dans son sanctuaire, et maintenant il agit par ses apôtres. Il s’était reposé dans le sein virginal de Marie, et y avait formé le corps du Sauveur Jésus, en qui il habitait, comme dans son temple ; mais il descendit alors sur les apôtres, il avait apparu autrefois sous la figure d’une colombe, et dans ce jour il se montra sous celle de langues de feu. Pourquoi ces symboles différents ? Parce qu’au baptême de Jésus-Christ, il annonçait le règne de la douceur, et qu’au jour de la Pentecôte, il prophétisait la sévérité de la vengeance. Et c’est avec raison qu’on nous parle ici de jugement ; car, si la miséricorde divine surabonde seule dans la rémission des péchés, il est juste, quand une âme a reçu les dons dé l’Esprit-Saint, examiner et d’apprécier l’usage qu’elle en fait. Mais comment Jésus-Christ a-t-il pu dire : « Vous serez baptisés », puisqu’il n’y avait point d’eau dans le cénacle ? C’est que l’Esprit-Saint supplée à l’élément de l’eau. Et c’est ainsi qu’on dit de Jésus qu’il est Christ, quoiqu’il n’ait reçu aucune onction d’huile, parce que l’Esprit-Saint s’est reposé en lui. Au reste, il est facile de prouver que les apôtres ont également reçu le baptême de l’eau, mais antérieurement. La pratique aujourd’hui est d’administrer en même temps le baptême et la confirmation, mais il n’en a pas été ainsi des apôtres, car ils furent d’abord baptisés par Jean-Baptiste. Et ne nous en étonnons point, les publicains et les courtisanes accouraient à son baptême, à plus forte raison ceux qui devaient être baptisés dans l’Esprit-Saint. Mais comme le Sauveur avait souvent entretenu ses apôtres de la venue de l’Esprit-Saint, ils eussent pu penser qu’il s’en tiendrait encore à une promesse qui ne se réaliserait jamais. C’est pourquoi il a soin d’ajouter que « ce sera sous peu de jours ». Toutefois, il ne précise point le jour, afin d’exciter leur vigilance ; mais il le leur annonce comme proche, pour entretenir leur courage ; et s’il ne le leur fait point connaître plus explicitement, c’est qu’il veut qu’ils se tiennent toujours prêts et disposés. A ce premier motif de confiance), la brièveté du retard, il en ajoute un second, l’assurance « de la promesse qu’ils ont entendue de sa bouche ». Car ce n’est plus ici, semble-t-il leur dire, une simple parole, mais une promesse solennelle. Quant à nous, ne nous étonnons point que Jésus-Christ nous cache le jour de son dernier avènement, puisqu’il n’a point voulu révéler à ses apôtres le jour si proche de la descente du Saint-Esprit. Et son silence à cet égard a eu pour but de les maintenir dans une attente vive et inquiète. 6. Et en effet, la grâce, je ne saurais trop le dire, la grâce ne se communique qu’aux âmes attentives et vigilantes. Aussi, le prophète Élie dit-il à son disciple : « Si tu me vois, lorsque je serai enlevé, tu auras ce que tu as demandé ». (2Ro 2,10) Le Sauveur lui-même adressait presque toujours cette question à ceux qui l’approchaient : Croyez-vous ? car si nous ne désirons vivement le bienfait que nous sollicitons, nous n’en apprécierons que faiblement le prix et l’importance. C’est ainsi encore que saint Paul ne recouvra pas la vue sur-le-champ, mais il resta aveugle pendant trois jours ; et durant cet intervalle, la crainte le purifiait de ses péchés, et le disposait à recevoir l’Esprit-Saint. L’ouvrier qui teint en pourpre, fait subir aux étoffes une certaine préparation afin qu’elles retiennent mieux l’éclat de la couleur. Et c’est ainsi que Dieu veut que d’abord notre âme se dispose par une active vigilance à recevoir la plénitude de ses grâces. Il n’envoya donc point tout aussitôt l’Esprit consolateur, et attendit jusqu’au jour de la Pentecôte. Peut-être demanderez-vous pourquoi nous ne conférons pas le baptême en ce jour, mais seulement à la fête de Pâques ? La raison en est que si la grâce du sacrement est la même dans ces deux jours, le jeûne qui précède le second y dispose mieux l’âme. Un second motif, non moins grave, se tire du temps même de la Pentecôte. Quel est-il ? Nos pères ont considéré le baptême comme un frein puissant contre les passions, et une forte leçon de morale, en sorte qu’à l’époque même des plaisirs, il puisse nous retenir dans les bornes de la tempérance chrétienne. C’est pourquoi, lorsque nous devons nous nourrir de Jésus-Christ, et nous asseoir à sa table sainte, nous évitons les moindres péchés, et nous nous préparons à la communion par le jeûne, la prière et la vigilance. Celui que le prince nomme à une charge importante, ne néglige rien de ce qu’exige sa nouvelle dignité ; et l’argent, le temps et les soins ne lui coûtent point pour se mettre à la hauteur de sa position. Mais quels châtiments ne méritons-nous pas, nous qui nous approchons de la table sainte avec tant de négligence, qui nous préparons si peu à recevoir cet aliment céleste, et qui, après l’avoir reçu, sommes si tièdes et si lâches ? Mais si nous sommes lâches après la communion, c’est qu’avant de nous y présenter, nous n’avons pas veillé sur nous-mêmes. Aussi, en voit-on plusieurs retourner presque immédiatement à leur premier vomissement. On dirait qu’ils n’ont été délivrés de leurs anciens péchés que pour tomber dans un état plus grave encore, et se rendre dignes de plus rigoureux supplices. Et, en effet, rien n’irrite plus le courroux du souverain Juge que cette coupable négligence après la grâce d’une heureuse guérison. Aussi réalisent-ils à leur égard cette menace de Jésus-Christ au paralytique : « Voilà que vous êtes guéri ; ne péchez plus désormais, de peur qu’il ne vous arrive quelque chose de pis ». (Jn 5,14) Le Sauveur fit aussi la même prédiction aux Juifs, et leur annonça que leur ingratitude serait punie des plus terribles châtiments. « Si je n’étais venu », dit-il, « et si je ne leur eusse parlé, ils ne seraient pas coupables ». (Jn 15,22) Le péché de rechute est donc empreint d’une double et quadruple malice. Et comment ? Parce qu’après avoir reçu l’honneur de la régénération spirituelle, nous devenons ingrats et pécheurs. Aussi le baptême n’est-il point pour nous un titre à un châtiment moins sévère. Observez, en effet, que ce sacrement efface tous les péchés, quelque graves qu’ils soient l’homicide ou l’adultère. Oui, il n’est aucun péché, ni aucune impiété que le baptême ne puisse remettre, parce que la grâce divine est pleine et entière. Supposons donc maintenant qu’après votre baptême vous retombiez dans ces mêmes crimes, sans doute le pardon qui vous a été précédemment accordé, n’est point révoqué, « car les dons de Dieu et sa grâce sont sans repentir » (Rom 11,29) ; mais vous n’en mériterez pas moins, pour ces nouveaux péchés, un même châtiment plus rigoureux que si les premiers ne vous eussent pas été pardonnés. Car ici ce n’est plus un simple péché, mais un double et triple caractère de malice. Au reste, l’apôtre nous apprend combien est grande la punition de ces péchés. « Celui », dit-il, « qui viole la loi de Moïse, est mis à mort sans miséricorde, sur la déposition de deux ou trois témoins ; songez donc combien mérite de plus grands supplices celui qui aura foulé aux pieds le Fils de Dieu, profané le sang de l’alliance, et outragé l’esprit de la grâce ». (Heb 10,28, 29) Je crains que quelques-uns n’interprètent mes paroles comme un conseil de différer leur baptême. Mais telle n’est point mon intention, et je veux seulement exhorter ceux qui l’ont reçu à persévérer dans la tempérance et la douceur chrétiennes. J’appréhende, me direz-vous, de ne pas conserver l’innocence de mon baptême. Vous la conserverez en recevant ce sacrement dans de pieuses dispositions. Mais je ne le reçois point par un effet de cette même appréhension. Eh quoi ! ne craignez-vous pas de mourir sans baptême ? Le Seigneur est miséricordieux, me répondrez-vous. C’est pourquoi vous devez recevoir le baptême, car le Seigneur est bon et secourable. Or, quand il est question d’agir sérieusement, vous oubliez cette bonté, et quand il ne faut que différer selon vos désirs, vous vous en faites un prétexte et un motif. Mais aujourd’hui le moment est favorable pour user de cette bonté, et plus nous aurons fait ce qui dépend de nous, et plus aussi elle s’épanchera large et abondante. Celui qui se confie à la miséricorde divine, obtiendra par la pénitence le pardon des péchés commis après le baptême, mais celui qui veut raffiner sur cette même miséricorde, s’expose, s’il meurt sans la grâce du baptême, à d’inévitables supplices. Et pourquoi hasarder ainsi votre salut ? Car il est impossible, oui, il est impossible, selon moi, que, bercé par de telles espérances, vous fassiez quelque chose de vraiment grand et généreux. Que ne bannissez-vous ces craintes chimériques ? Et pourquoi attendre un avenir incertain ? Ne vaut-il pas mieux échanger la crainte contre l’activité et le travail qui vous rendront devant Dieu grand et élevé ? Est-ce que vous préféreriez la crainte au travail ? Mais si l’on vous mettait dans une maison qui menace ruine et qu’on vous dît : Attendez indolemment que la charpente tombe sur votre tête, car elle peut tomber comme elle peut tenir encore, ou bien remuez-vous et passez dans un bâtiment plus sûr. Je vous le demande, choisiriez-vous une indolence pleine de dangers, plutôt qu’un travail plein de sécurité ? Eh bien ! agissez de même aujourd’hui, car l’avenir est incertain et ressemble à une maison qui menace ruine ; mais la réception du baptême, quelque laborieuse qu’elle soit, nous préserve de tout danger. 7. Sans doute, fasse le ciel que nous ne péchions point après notre baptême ! Mais si ce malheur nous arrivait, ne nous décourageons pas, car le Seigneur est miséricordieux, et il nous facilite mille moyens d’obtenir notre pardon. Au reste, de même que le chrétien qui pèche après son baptême mérite d’être puni plus sévèrement que le catéchumène, ainsi ceux qui connaissent les voies de la pénitence et ne veulent point les suivre, sont dignes de plus rigoureux châtiments. Et en effet, autant est immense la bonté de notre Dieu, autant, si nous n’en profitons point, s’accroîtront nos supplices. Que dis-tu, ô homme ? Rempli de malice et de misères, soudain tu es rentré en grâce avec ton Dieu, et par un don gratuit de sa bonté, et non par tes propres efforts, tu as été élevé à l’honneur de partager son héritage, et voilà que de nouveau tu retombes dans tes premiers désordres, quoique tu n’ignores pas que tu en seras sévèrement puni. Cependant, ce même Dieu, loin de te repousser, multiplie sous tes pas les voies de la pénitence et les moyens de recouvrer son amitié ; mais toi, tu ne veux te donner ni action, ni mouvement. Comment mériter ton pardon ? Et comment échapper aux justes railleries des gentils qui traitent ta conduite de mensonge et d’hypocrisie ? Si votre religion, nous disent-ils, est la véritable, pourquoi un si grand nombre négligent-ils de s’y faire initier ? Certes, vos mystères sont sublimes et bien dignes d’être recherchés. Mais nul ne témoigne un sincère désir de se purifier par le baptême, et chacun le renvoie même à ce moment suprême, qui est bien plus l’heure de faire un testament que de demander l’initiation sacrée. Car celle-ci exige un esprit sain et une âme sobre et vigilante. Ainsi parlent les gentils ; et moi j’ajoute que, dans l’état où vous demandez le baptême, vous ne voudriez pas faire un testament de peur de donner prise à quelques chicanes. C’est pourquoi on a soin d’ajouter cette clause à tout testament : Moi vivant, et jouissant de toutes mes facultés, j’écris les présentes dispositions. Comment donc le catéchumène, qui n’a pas la conscience de ses actions, pourra-t-il dignement recevoir le saint baptême ? Mais si les lois interdisent à celui qui ne possède point le plein usage de sa raison, de disposer de choses terrestres et de sa propre fortune, quand il s’agit du royaume des cieux et de ses biens infinis, serez-vous capable, affaibli par la maladie, de recevoir pleinement l’instruction chrétienne ? Comment pourrez-vous dire que vous êtes enseveli avec Jésus-Christ, puisque vous êtes sur le point de quitter la vie ? Que dis-je ? les paroles ne suffisent pas et la reconnaissance doit se manifester par les œuvres. Mais vous agissez comme celui qui se fait inscrire pour la milice lorsque la guerre est terminée, ou comme l’athlète qui se dépouille de ses vêtements quand les spectateurs quittent le cirque. Et en effet, le soldat ne revêt point son armure pour prendre incontinent la fuite, mais il veut combattre l’ennemi et remporter la victoire. Au reste, n’accusez point mes paroles d’être intempestives, parce que nous ne sommes plus au temps du carême ; car c’est pour moi une peine extrême que de vous voir observer si scrupuleusement à cet égard les temps et les moments. L’eunuque dont il est parlé au livre des Actes était en voyage, et toutefois il n’attendit pas une circonstance plus favorable. Et le geôlier de la prison où l’apôtre était détenu, le voyant battu de verges, chargé de fers et exposé à une longue captivité, se hâta de recevoir le baptême. Mais ici, on ne peut alléguer ni les embarras du voyage, ni les rigueurs de la prison, et l’on diffère jusqu’au dernier soupir. 8. Doutez-vous encore de la divinité de Jésus-Christ ? Eh bien ! sortez de ce lieu, n’écoutez plus la parole sainte, et rasez votre nom de la liste des catéchumènes. Mais si vous croyez au Christ Dieu et homme, et si vous êtes éclairé sur la religion, pourquoi ces retards, ces délais et cette négligence ? Je crains, dites-vous, de retomber dans le péché. Eh ! vous ne craignez pas un malheur plus grand encore, celui de quitter la vie tout chargé du poids de vos iniquités. Car l’on est plus coupable de ne pas recevoir la grâce qui nous est offerte, que d’échouer dans ses efforts pour la conserver. Dites-moi, que répondrez-vous au Seigneur quand il vous demandera pourquoi vous ne vous êtes pas approché du sacrement de la régénération, ou pourquoi vous n’en avez pas entièrement rempli les engagements ? Ici vous pourrez alléguer la difficulté des commandements et des vertus ; mais il n’en est pas de même à l’égard du baptême, puisqu’il est une grâce toute gratuite et un plein affranchissement. Vous craignez de retomber dans le péché c’est bon à dire après le baptême ; et c’est alors en effet que vous devrez craindre de perdre votre liberté. Mais aujourd’hui pourquoi craindre d’en recevoir le don gratuit ? Eh quoi ! avant le baptême vous êtes pieux et fervent, et après le baptême vous seriez tâche et négligent ! Vous voulez attendre l’époque du carême. Et pourquoi ? Ce temps est-il plus privilégié qu’un autre ? Car ce ne fut pas au temps de Pâques, mais dans un autre, que les apôtres reçurent cette grâce. Ces huit mille hommes convertis par saint Pierre, le centurion Corneille, l’eunuque de la reine Candace et une multitude d’autres, n’ont pas été baptisés dans les solennités pascales. C’est pourquoi ne différons pas jusqu’à ce terme encore éloigné, de peur que, retardant toujours, nous ne soyons surpris par la mort vides de ce bienfait et privés de cette grâce. Ah ! vous ne sauriez croire combien je souffre lorsque, apprenant qu’un d’entre vous est mort sans baptême, je songe aux épouvantables tourments et aux inévitables supplices de l’enfer ! Mais mon anxiété n’est pas moins douloureuse quand j’en vois d’autres toucher à leurs derniers moments et ne témoigner aucun désir du baptême. Aussi comme les choses se passent alors tout contrairement à la dignité de ce sacrement ! Car le baptême devrait toujours être une occasion de joies pieuses, de réjouissances et de fêtes, et voilà que l’épouse du malade apprenant qu’on se hâte sur l’avis du médecin, se répand en larmes et en soupirs, comme à l’approche d’un malheur. Bientôt, en effet, toute la ' maison retentit de cris et de gémissements, et l’on dirait qu’un criminel condamné à mort est conduit au supplice. Cependant le malade lui-même devient plus souffrant, et la guérison, quand elle a lieu, augmente son anxiété et semble le frapper d’un coup terrible. C’est que, ne s’étant point préparé au sacrement, il ne montre qu’une honteuse faiblesse et fuit les luttes de la vertu. Voyez-vous donc quels artifices déploie le démon, et combien il rend aux yeux dos païens notre foi risible et ridicule ! Mais si nous voulons nous soustraire à toutes ces dérisions, vivons selon les préceptes du divin Sauveur. Or, il a institué le baptême non pour crue nous le recevions à nos derniers moments, mais pour qu’après l’avoir reçu nous produisions des fruits de vie. Et comment direz-vous à un mourant : Couvrez-vous de fruits ? Et cependant ne savez-vous pas que « les fruits de l’Esprit-Saint sont la charité, la joie et la paix ? » (Gal 5,22) Mais hélas ! tout le contraire arrive. Une épouse verse des larmes quand elle devrait se réjouir ; des enfants sanglotent, quand ils devraient se livrer à la joie ; et le malade lui-même, déjà entouré des ombres de la mort, ne manifeste que trouble et qu’inquiétude ; ce jour devrait être pour lui un jour de fête, et il s’abandonne à un profond chagrin, parce qu’il va laisser ses enfants orphelins, son épouse veuve et sa maison déserte. Est-ce ainsi, je vous le demande, qu’on s’approche des saints mystères et que l’on s’assoit à la table eucharistique ? En vérité, ce n’est pas supportable. Lorsque l’empereur adresse aux prisonniers des lettres de grâces, c’est un sujet de joie et d’allégresse. Et quand, du haut des cieux, le Seigneur envoie son divin Esprit et nous remet, non une dette pécuniaire, mais tous nos péchés, vous n’accueillez cette grâce que par des pleurs et des gémissements. N’est-ce pas là une révoltante anomalie ? Je ne dis pas encore que l’eau baptismale n’est versée que sur un cadavre et qu’un sacrement est profané, car le ministère du prêtre n’est pas ici en cause, et je n’attaque que l’indifférence de quelques-uns. C’est pourquoi, je vous en conjure, élevez-vous au-dessus de toutes ces difficultés et approchez-vous du baptême avec un saint empressement. L’ardeur que nous aurons montrée sur la terre pour mener une vie chrétienne, nous donnera l’assurance de parvenir un jour au bonheur céleste. Puissions-nous tous l’obtenir, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui soient la gloire et l’empire, dans tous les siècles des siècles ! Ainsi soit-il. HOMÉLIE II.
OR, CEUX QUI ÉTAIENT PRÉSENTS, L’INTERROGEAIENT, DISANT : SEIGNEUR, SERA-CE DANS CE TEMPS-CI QUE VOUS RÉTABLIREZ LE ROYAUME D’ISRAËL ? (ACT. 1,6) FRAGMENT DE LA 2e HOMÉLIE SUR LE COMMENCEMENT DES ACTES.
AVERTISSEMENT ET ANALYSE.
À la fin du troisième volume des Œuvres complètes de saint Chrysostome, édition des Bénédictins, l’on trouve un texte intitulé Sur l’Ascension de Notre-Seigneur Jésus-Christ et sur le commencement des Actes. Ce n’est pas une homélie, ce n’est qu’un centon où se trouvent juxtaposés plusieurs fragments d’homélies différentes et même de différents auteurs. Dans l’édition Bénédictine, cette compilation est distribuée en 16 numéros. Les numéros 8, 9 et 10 contiennent une notable partie d’une homélie dont nous avons regretté la perte, c’est la 20 sur le commencement des Actes. Voyez dans ce même volume l’avertissement placé en tête des homélies sur le commencement des Actes. Il est à peu près certain que ce fragment est de saint Jean Chrysostome, mais il ne l’est pas moins que tous les autres sont indignes de lui et ne sauraient en aucune façon lui être attribués. Voilà pourquoi on trouve ici la traduction des numéros 8, 9 et 10 du texte In ascensionem Domini, et pourquoi nous n’avons pas jugé à propos de traduire le reste. 1. Je veux donc aborder le livre des Actes et le suivre pas à pas dès le commencement ; il faut que je puise avec vous à cette source divine, il faut que nous allions ensemble à la découverte des trésors de la sainte Écriture, cherchant l’or de la vérité, avides de nous enrichir des biens de la piété. Actes des Apôtres, tel est ce titre, et ce titre montre toute l’importance du sujet, et le début est l’annonce de tout l’ouvrage. Dans ce livre toutefois ne sont pas racontés les Actes de tous les apôtres. À l’exception de quelques mots seulement sur le compte des autres apôtres, la première partie tout entière est consacrée à raconter les miracles de Pierre ainsi que son enseignement, puis dans le reste de l’ouvrage il n’y a de place que pour Paul. Pourquoi donc ce titre d'Actes des Apôtres donné à un livre qui ne fait l’histoire que de Pierre et de Paul ? C’est que, comme l’affirme Paul lui-même, lorsqu’un membre est glorifié, tous les autres membres sont glorifiés avec lui ; voilà pour quelle raison l’historien n’a pas intitulé son livre Actes de Pierre, Actes de Paul, mais Actes des Apôtres, estimant que les œuvres de ces deux apôtres sont à la gloire de tout le chœur apostolique. Nous recherchons donc quel est l’auteur du livre des Actes. Sur cette question, l’ignorance a produit la diversité des sentiments ; les uns ont dit que c’était Clément le Romain, les autres ont prétendu que c’était Barnabé, d’autres enfin soutiennent que c’est Luc l’Évangéliste. Dans une telle divergence d’opinions, il ne nous reste qu’à consulter l’auteur lui-même. Demandons-lui donc qui il est, et ce qu’il fait, voyons ce qu’il dit de lui-même : J’ai fait, dit-il, un premier discours de tout ce que Jésus a fait et enseigné. Ces termes : un premier discours, nous avertissent aussitôt de nous enquérir de quel discours il est ici question. Si l’auteur n’avait fait que les Actes des Apôtres, évidemment il ne dirait pas : J’ai fait un premier discours. Il se trouve donc que le livre des Actes ne vient qu’en seconde ligne après un autre ouvrage du même auteur. Quel est cet autre ouvrage qui a précédé celui qui nous occupe ? L’auteur n’a pas oublié de nous le dire : J’ai fait un premier discours, ô Théophile, de tout ce que Jésus a fait et enseigné. (Act 1,1) Ce texte nous montre dans l’auteur des Actes un homme qui avait composé un évangile avant de composer les Actes. L’Évangile d’abord, les Actes ensuite ; en effet, il ne dit pas : j’ai fait un premier discours de tout ce que Pierre et Paul ont fait et enseigné, mais bien de tout ce que Jésus a fait et enseigné. N’est-il pas évident que l’auteur des Actes ne peut être que l’évangéliste Luc ? Mais appliquons-nous et voyons de plus près si c’est bien lui. J’ai fait un premier discours de tout ce que Jésus a fait et enseigné jusqu’au jour où confiant au Saint-Esprit l’instruction des apôtres qu’il avait choisis, il s’éleva ait ciel, c’est-à-dire j’ai raconté les actes du Sauveur et ses enseignements jusqu’au jour de son Ascension. Soutenez votre attention. Mon premier ouvrage, dit-il, embrasse les œuvres du Seigneur et ses enseignements, et il va jusqu’à l’Ascension. Or il est aisé de constater que ni Matthieu, ni Marc, si ce n’est incomplètement, ni Jean, n’ont conduit le récit évangélique jusqu’à l’Ascension. Luc seul l’a fait. Saint Matthieu termine ainsi son évangile. Les onze disciples s’en allèrent sur la montagne de Galilée, selon que leur avait commandé Jésus. Il leur apparut, et ils l’adorèrent, et il leur dit : Allez, enseignez toutes les nations. Et voici que je suis avec vous tous les jours jusqu’à la consommation des siècles. Il s’arrête là et ne dit rien de l’Ascension. Saint Marc dit : Les femmes sortirent du tombeau, et ne dirent rien à personne, car elles craignaient. Puis après quelques autres paroles, il s’exprime ainsi, en bref, sur le sujet de l’Ascension : Le Seigneur, après leur avoir parlé, s’éleva dans le ciel et s’assit à la droite de Dieu. Pour eux, ils s’en allèrent et prêchèrent partout, le Seigneur coopérant avec eux et confirmant leur parole par les miracles qui la suivaient. Amen. Telle est la fin de l’évangile de saint Marc, donc pas de récit développé de l’Ascension dans saint Marc. Saint Jean raconte l’apparition du Sauveur sur le bord du lac de Tibériade, apparition dans laquelle le Seigneur dit à Pierre : Pierre, m’aimes-tu?, etc., vous savez la suite. Saint Jean s’arrête là, il ne mentionne même pas l’Ascension, voici ses dernières paroles : Jésus a fait encore d’autres miracles, et en si grand nombre que si on voulait les raconter tous en détail, le monde, je crois, ne contiendrait pas tous les livres que l’on écrirait. Ainsi donc saint Matthieu et saint Jean ne parlent en aucune façon de l’Ascension, saint Marc ne le fait qu’en abrégé. Saint Luc seul a poussé sa narration d’une manière développée jusqu’à l’Ascension. Voilà pourquoi il dit : J’ai fait un premier discours de tout ce que Jésus a fait et enseigné, jusqu’au jour où confiant au Saint-Esprit l’instruction des apôtres qu’il avait choisis, il s’éleva au Ciel. 2. Quel est ce Théophile ? C’était un gouverneur de province qui se convertit étant en charge. De même que le proconsul de l’île de Chypre avait, dans l’exercice de sa charge, reçu la foi de la bouche de saint Paul, de même le gouverneur Théophile avait, étant encore en fonction, embrassé la foi de Jésus-Christ à la voix de saint Luc. Et le disciple pria son maître de composer pour son usage un récit des actes des Apôtres. Vous m’avez enseigné les œuvres du Sauveur, enseignez-moi encore les œuvres de ses disciples : c’est pourquoi saint Luc lui dédia son second livre, comme il avait déjà fait du premier, car l’évangile selon saint Luc est adressé à Théophile. Il n’en faut pas chercher loin la preuve, saint Luc lui-même la fournit : Plusieurs ont entrepris de composer le récit des événements accomplis au milieu de nous, comme nous les ont transmis ceux qui dès le principe ont été témoins oculaires et ministres de la parole ; néanmoins, il m’a semblé bort, moi aussi, d’écrire pour toi, excellent Théophile, le récit exact et suivi de ces événements, en remontant jusqu’à l’origine, afin que tu voies la certitude des enseignements que tu as reçus. (Luc 1,1-4) Très-excellent équivaut à illustrissime, telle était alors la formule en usage. En voulez-vous la preuve ? Le gouverneur Festus dit à saint Paul : Tu délires, Paul, et celui-ci répond : Je ne délire pas, très-excellent Festus ; c’est donc à une personne de la même qualité que saint Luc s’adresse ici, en disant : Très-excellent Théophile. Ayant donc rappelé son évangile et la dédicace qu’il en avait faite à Théophile, saint Luc parle de son second ouvrage et le dédie encore à Théophile. Quel est ce second ouvrage ? J’ai fait mon premier discours sur toutes les choses que Jésus a faites et enseignées. Et jusqu’où l’as-tu conduit ce premier discours ? Jusqu’au jour où, confiant aux enseignements du Saint-Esprit les apôtres qu’il avait choisis, il s’éleva au ciel. Il y a une hyperbate dans le texte original. Cela revient à dire : J’ai écrit l’Évangile depuis le commencement jusqu’au jour où Jésus s’éleva après avoir prescrit à ses apôtres, soutenez votre attention, je vous prie, ses apôtres, auxquels il se présenta vivant après sa passion. Remarquez l’exactitude de l’évangéliste, cri écrivant les Actes des Apôtres, il se souvient qu’il a écrit l’Évangile, il ne dit pas auxquels il apparut, ruais se présenta vivant. – Détruisez ce temple, avait dit le Sauveur, et en trois jours je le relèverai. – Auxquels il se présenta vivant après sa passion, en beaucoup de preuves, se faisant voir à eux pendant quarante jours, et les entretenant du royaume de Dieu. 3. Soutenez votre attention, je vous prie ; en beaucoup de preuves, se faisant voir à eux pendant quarante jours, et les entretenant du royaume de Dieu. Il ne se faisait pas voir tous les jours pendant cet espace de quarante jours. Après sa résurrection, il avait donné à sa chair une vertu très-efficace pour produire la conviction, afin de n’avoir pas à se montrer constamment, ce qui aurait pie diminuer, dans l’esprit des apôtres, le prestige de sa grandeur. Il souvenait qu’une fois ressuscité il se montrât avec les marques de la divinité, sans se manifester trop fréquemment aux regards : c’est pourquoi l’auteur dit : En beaucoup de preuves pendant quarante jours. Il ne se rendait pas toujours invisible aux yeux du corps, mais il y avait parfois des signes qui attestaient sa présence. Il prenait une autre voix, une autre forme, un autre extérieur. Il se présenta plus d’une fois aux apôtres sans être reconnu. Ainsi il vint trouver Pierre et ses compagnons, qui péchaient, et il leur dit : Mes petits enfants, n’avez-vous rien à manger ? (Jn 21,5) Et ils ne reconnurent ni sa figure ni sa voix. Puis il leur dit encore : Jetez le filet du côté droit de la barque et vous trouverez. Ils jetèrent le filet et tirent une pêche abondante. Alors celui que leurs yeux ne voyaient pas, se manifesta par ces marques de sa puissance, et l’évangéliste Jean dit à Pierre : c’est le Seigneur, une marque de puissance et non sa vue le lui avait montré. Voilà ce que signifie cette parole de saint Luc, se manifestant par beaucoup de signes pendant quarante jours. Il ne se rendait pas seulement visible aux yeux, mais il trouvait sa présence de beaucoup d’autres manières. En comptant très-exactement, nous constatons que le Sauveur se fit voir onze fois aux saints apôtres depuis sa résurrection, après quoi il monta vers son père. Pourquoi onze fois ? parce qu’il avait onze disciples, depuis que Judas, par son infâme trahison, avait perdu sa place et sa dignité : il apparaît donc onze fois aux onze apôtres, non pas chaque fois à tous ensemble, mais tantôt aux uns, tantôt aux autres ; par exemple, il apparaît aux dix en l’absence de Thomas, puis il leur apparaît, Thomas étant présent. Mais ne nous contentons pas de dire qu’il se montra onze fois parce que le nombre des apôtres était de onze ; constatons la vérité de ce nombre. Premièrement il apparut à Marie, qui venait visiter le sépulcre, ainsi qu’aux autres femmes. Ce furent cri effet les femmes qui le virent les premières ; aussi le prophète Isaïe leur adresse-t-il la parole en s’écriant : Femmes qui venez de voir, venez, annoncez-nous ce que vous avez vu. (Isa 27,11) Suivez bien de peur que noms ne nous trompions sur le nombre. Première apparition à Marie et aux autres femmes ; deuxième à Pierre ; troisième à Cléopas et à sort compagnon, sur le chemin d’Emmaüs, lesquels le reconnurent à la fraction du pain. Par où voyons-nous qu’il s’était montré à Pierre, avant de se manifester aux deux disciples d’Emmaüs ? le voici : Cléopas et son compagnon se mirent en route dès le soir même pour venir annoncer aux disciples qu’ils avaient vu le Seigneur ; or ils trouvèrent les apôtres qui disaient que le Seigneur était réellement ressuscité, et qu’il s’était montré à Simon Pierre. (Luc 24,34) Le bruit de l’apparition à Pierre avait donc précédé la nouvelle que les disciples d’Emmaüs apportaient de ce qu’ils avaient vu eux-mêmes. Paul marque la même chose lorsqu’il dit : Je vous ai transmis à vous parmi les premiers ce que j’ai appris, savoir que le Christ est mort pour nos péchés, conformément aux Écritures, qu’il est ressuscité, qu’il s’est fait voir à Céphas, puis ensuite aux onze. (1Co 15,3-5) D’abord à Pierre, puis aux autres apôtres. Reprenons et comptons. Premièrement il est apparu aux femmes, deuxièmement à Pierre, troisièmement à Cléopas, quatrièmement aux onze, les portes étant fermées et Thomas absent ; cinquièmement aux onze, Thomas étant présent ; sixièmement, à cinq-cent frères assemblés comme saint Paul nous l’apprend : Ensuite il s’est montré une fois ci plus de cinq cents frères assemblés dont la plupart sont encore vivants; septièmement, aux sept qui pêchaient sur le lac de Tibériade ; huitièmement à Jacques, comme le témoigne Paul ; neuvièmement, aux soixante-dix ; dixièmement sur la montagne de Galilée ; onzièmement sur la montagne des Oliviers. ANALYSE.
- 1. Saint Chrysostome, dans cette Homélie, développe d’abord les raisons qui ont porté le Sauveur à ne pas répondre directement à la question que lai faisaient les apôtres, s’il allait rétablir le royaume d’Israël, et il rapproche sa réponse évasive de celle qu’il leur fit quand ils l’interrogèrent sur la fin du monde.
- 2. Il décrit ensuite l’admirable spectacle de l’Ascension ; et il tire une preuve de la divinité de Jésus-Christ de ce qu’il s’éleva par sa propre vertu, et sans le secours d’un char de feu, comme le prophète Elle.
- 3. La vue de deux anges sous une forme humaine, vint alors consoler les apôtres consternés de ne plus voir Jésus, en les assurant qu’il reviendra, au dernier jour, de la même manière, c’est-à-dire, en son humanité sainte.
- 4. Mais il ne pourrait reparaître en cette humanité, s’il n’était véritablement ressuscité ; c’est pourquoi l’orateur s’élève contre les Manichéens qui niaient la résurrection des corps, parce qu’ils regardaient la chair comme essentiellement mauvaise, et comme l’œuvre du principe du mal. – Ce principe, ils le faisaient coéternel avec Dieu, et soutenaient que Dieu n’était bon que pour le combattre.
- 5. L’Orateur, pour réfuter ces blasphèmes, en montre l’extravagance, et prouve que sans le secours des sens corporels l’âme ne pourrait rien savoir, ni rien apprendre. – Enfin, il démontre que le mal ne peut exister exclusivement sans le bien, puisqu’il en renferme toujours quelque partie, et il termine par une profession de foi sur la résurrection des corps, dont celle de Jésus-Christ est le fondement et le modèle.
1. Les apôtres, voulant interroger Jésus-Christ, l’entourèrent tous ensemble, afin d’en obtenir une réponse, ne fût-ce que par unanimité de leur prière. Car ils n’ignoraient point que dans sa bouche cette parole : « Nul ne sait le jour » (Mat 24,36), signifiait moins un refus formel et une complète ignorance qu’une réponse évasive. Ils s’approchent donc de nouveau et renouvellent leur demande. Mais ils n’eussent jamais osé la lui adresser s’ils n’avaient cru à sa prédiction ; et parce qu’il leur avait promis que bientôt ils recevraient l’Esprit-Saint, ils se croyaient déjà dignes de connaître ce jour et de jouir de la liberté promise. C’est qu’ils ne voulaient pas se lancer dans de nouveaux périls et ne songeaient qu’à goûter quelque repos. Et en effet, ils n’oubliaient point les dangers qu’ils avaient courus et même le péril de mort auquel ils avaient été exposés. Aussi, sans faire aucune mention de l’Esprit-Saint, posent-ils ainsi la question : « Seigneur, sera-ce dans ce temps-ci que vous « rétablirez le royaume d’Israël ? » Ils ne disent pas : Quand rétablirez-vous ? mais : Sera-ce présentement que vous rétablirez ; tant ils désiraient connaître ce jour ! C’est pourquoi ils abordent le Sauveur tous ensemble et comme pour lui faire honneur. Je pense toutefois qu’ils ne comprenaient pas clairement en quoi consistait ce royaume, car ils n’avaient pas encore été instruits par l’Esprit-Saint. Observons aussi qu’ils ne disent pas : Quand cela arrivera-t-il ? mais : « Sera-ce dans ce temps-ci que vous rétablirez le royaume d’Israël ? » Comme si déjà l’époque était passée. Au reste, cette demande prouve qu’ils étaient encore attachés aux choses de la terre, quoique bien moins qu’auparavant. Et cependant, quelque imparfaits qu’ils soient, ils se font déjà de Jésus-Christ des idées plus hautes ; et lui-même, les voyant plus avancés dans les voies spirituelles, leur tient un langage plus sublime. Il ne répète donc point ce mot : « Le Fils de l’homme ne connaît pas ce jour », mais il leur dit : « Ce n’est point à vous de connaître les temps ou les moments que le Père a disposés dans sa puissance ». C’est comme s’il leur eût dit : Vous demandez à connaître une chose au-dessus de votre portée. Vous m’objecterez qu’ils avaient déjà connu des mystères bien plus relevés. Et si vous en doutez, direz-vous, voici quelques indications sommaires qui vous le prouveront. Oui, je vous le demande, quels mystères plus sublimes que ceux qui leur avaient été révélés. Car ils savaient que Jésus-Christ était Fils de Dieu et méritait les honneurs divins ; ils savaient qu’il ressusciterait, qu’il monterait au ciel, et qu’il s’assoirait à la droite de Dieu le Père. Ils savaient, prodige vraiment incroyable, que dans la personne de Jésus-Christ, notre chair, élevée au plus haut des cieux, serait adorée des anges, et que cet Homme-Dieu reviendrait sur la terre pour juger tous les hommes. Enfin, ils savaient que dans ce grand jour, assis eux-mêmes sur des trônes, ils jugeraient les douze tribus d’Israël, et que les gentils prendraient la place des Juifs rejetés. La connaissance d’un avenir si admirable tient vraiment du miracle, et il semble qu’il est moins étonnant de savoir l’époque précise où un royaume sera rétabli. De plus, l’apôtre a connu des secrets qu’il n’est pas permis à l’homme de révéler, les choses qui ont précédé la création du monde. Est-il donc plus difficile d’en connaître la fin que le commencement ? Il le paraît, vous répondrai-je, puisque Moïse, qui nous a donné la chronologie du monde, n’en marque point la fin. Salomon possédait aussi ces mêmes connaissances, car il dit : « Je raconterai ce qui a été dès le commencement du monde ». (Sir 51,11) Quant aux apôtres, ils connurent plus tard que l’avènement du Seigneur était proche, comme le prouve cette parole de saint Paul : « Le Seigneur est proche, soyez sans inquiétude ». (Phi 4,5, 6) Mais alors ils ne le connaissaient pas, quoiqu’ils en eussent vu les signes avant-coureurs. Observons aussi qu’au sujet de l’Esprit-Saint, Jésus-Christ s’était contenté de dire à ses apôtres, sans rien préciser, qu’ils le recevraient « sous peu de jours ». Et c’est pour les tenir dans l’attente qu’il adopte cette ligne de conduite. Car ce n’était plus, il est vrai, le dernier jour du monde qu’ils voulaient connaître, mais celui de sa royauté temporelle, comme le prouve leur demande : « Sera-ce en ce temps-ci que vous rétablirez le royaume d’Israël ? » Il ne leur fit donc aucune réponse positive. Quand ils l’avaient interrogé sur la fin du monde, il leur avait répondu sévèrement, pour éloigner d’eux la pensée que leur délivrance était proche. Et il les avait lancés dans les périls de la prédication évangélique. Ici, nous retrouvons la même conduite, mais avec un langage plus doux. Et en effet, il semble craindre que sa réponse ne leur paraisse une injure, ou un vain subterfuge ; aussi, entendez la promesse qu’il leur fait d’un Consolateur qui les remplira de joie. « Vous recevrez », leur dit-il, « la vertu du Saint-Esprit venant sur vous, et vous serez mes témoins à Jérusalem, et dans toute la Judée et la Samarie, et jusqu’aux extrémités de la terre ». (Act 1,8) Et aussitôt, pour prévenir une seconde interrogation, il, s’éleva vers les cieux. Lorsqu’ils l’avaient interrogé sur le dernier jour du monde, il leur avait fait cette réponse toute pleine de terreur et d’obscurité : Je né le sais pas ; et ici il disparaît soudain à leurs regards. Car ils avaient un tel désir de connaître ce secret, qu’ils seraient revenus à la charge ; néanmoins, il était absolument nécessaire qu’il leur fût caché. Et en effet, je vous le demande, les gentils ont-ils plus de peine à croire le dogme de la fin du monde que celui d’un Dieu fait homme, né d’une vierge, et, conversant parmi les hommes. Certes, c’est bien ce dernier mystère. Vous ne sauriez en douter, et je rougis de tant insister sur une chose aussi simple. Les apôtres eussent pu dire à Jésus-Christ : Pourquoi nous tenez-vous en suspens ? et c’est pour prévenir cette parole qu’il leur parle « Des temps que le Père a disposés dans sa puissance ». Au reste, la puissance du Père et celle du Fils sont donc égales : « Car comme le Père ressuscite les morts et les vi« ville, ainsi le Fils vivifie ceux qu’il veut ». (Jn 5,21) Mais s’il y a égalité de puissance dans les actions, comment n’existerait-elle pas dans la science des événements, puisque la résurrection d’un mort est bien supérieure à la connaissance du jour où le royaume d’Israël sera rétabli ? Pourquoi donc le Fils de Dieu, qui opère ce premier et si étonnant prodige, ne ferait-il pas à plus forte raison le second ? 2. La parabole suivante vous aidera à me comprendre. Lorsqu’un enfant pleure et nous demande un objet qui ne lui est pas utile, nous cachons cet objet, et montrant nos mains vides, nous lui disons : Je ne l’ai pas. Jésus-Christ en agit ainsi envers ses apôtres. Mais comme ce même enfant, si on ne lui présente rien, redouble ses pleurs et ses cris, parce qu’il croit qu’on se moque de lui, nous nous éloignons sous prétexte que quelqu’un nous demande, et au lieu de l’objet qu’il désirait, nous lui en offrons un autre. Nous avons même bien soin, pour écarter ses premiers désirs, de louer cet objet au-dessus de celui qu’il demandait, et nous nous esquivons aussitôt. Ainsi se conduisit le divin Sauveur. Ses apôtres l’interrogeaient curieusement, et il leur répondit qu’il ne pouvait satisfaire leur curiosité. D’abord cette parole les consterna, ruais bientôt ils renouvelèrent leur demande ; et de son côté, Jésus-Christ réitéra la même réponse. Cependant il ne cherche plus à les épouvanter, et après leur avoir rappelé : es œuvres, il leur donne une raison plausible de son refus : c’est que « le Père a disposé ces temps dans sa puissance ». Eh quoi ! ô Jésus, n’êtes-vous pas initié aux secrets du Père ? Vous connaissez le Père, et il vous cacherait ses décrets ? vous avez dit « Personne ne connaît le Père, si ce n’est le Fils » ; et encore : « L’Esprit pénètre toutes « choses, même les profondeurs de Dieu » ; et il n’y aurait que ce secret qui vous serait caché ? (Luc 10,22 ; 1Co 2,10) Cela ne peut être ; et tel n’est point le sens de sa réponse. Mais Jésus-Christ a feint de ne pas connaître ce jour pour éloigner des questions intempestives. C’est pourquoi les apôtres n’osèrent plus l’interroger, de peur de s’attirer ce reproche : « Et vous aussi, vous avez perdu le sens ». (Mat 15,16) Car ils ne l’abordaient alors qu’avec bien plus de réserve qu’auparavant. « Mais vous recevrez », ajoute-t-il, « la vertu « de l’Esprit-Saint qui viendra en vous ». Tout à l’heure il refusait de répondre à leurs questions, et maintenant, comme un maître qui seul est juge de ce qu’il doit dire à son élève, il leur révèle un secret dont la connaissance était utile pour calmer leurs frayeurs et étayer leur faiblesse. C’est aussi afin de mieux les rassurer et de raffermir leur courage, qu’il voile les difficultés de l’avenir. Comme il allait les quitter, il ne leur adresse nulle parole sévère, et avec un art infini il tempère le blâme par l’éloge. Ne craignez, point, leur dit-il, « car vous recevrez la vertu de l’Esprit-Saint qui viendra en vous, et vous serez mes témoins dans Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie ». Auparavant il leur avait dit : « N’allez point vers les nations, et n’entrez point dans les villes des Samaritains ». (Mat 10,5) plais aujourd’hui il veut qu’ils prêchent l’Évangile dans toute la Judée, dans la Samarie, et, ce qu’il dit pour la première fois, « jusqu’aux extrémités de la terre ». Ce fut après cette solennelle parole que, prévenant toute nouvelle question, « il s’éleva en leur présence, et une nuée le déroba à leurs yeux ». Eh bien ! les apôtres n’ont-ils pas rempli leur mission, et prêché l’Évangile ? Certes, Jésus-Christ leur avait confié une œuvre vraiment grande ! Jérusalem, avait-il dit, a été témoin de votre faiblesse, et c’est à elle que vous adresserez tout d’abord la parole que vous porterez ensuite jusqu’aux extrémités de la terre fuis, pour affermir leur croyance en ses paroles, « il s’éleva en leur présence ». Jésus-Christ, qui n’était point ressuscité sous le regard de ses apôtres, voulut donc monter au ciel en leur présence. C’est que dans ce dernier mystère il devait y avoir autre chose que le témoignage des yeux. Les apôtres, qui virent l’accomplissement du miracle de la résurrection, n’en avaient pas vu le commencement : et le contraire arriva dans l’ascension ; il leur eût été vraiment inutile d’assister au prodige de la résurrection, puisque Jésus-Christ devait en personne le leur raconter, et que d’ailleurs le tombeau vide le proclamait lui-même. Mais une parole divine pouvait seule nous apprendre ce qui suivit l’ascension. Et en effet l’œil ne pouvait atteindre ces hauteurs incommensurables, ni s’assurer que le Christ s’était véritablement élevé jusqu’aux cieux. Aussi qu’est-il arrivé ? Les apôtres savaient que celui qui s’élevait était Jésus-Christ, et ils s’en rapportaient sur ce point au témoignage de ses propres paroles ; mais, parce qu’ils ne pouvaient plus le reconnaître dans un si prodigieux éloignement, il fut nécessaire que des anges vinssent les assurer qu’il était entré dans les cieux. C’est donc par suite d’une admirable disposition de la Providence, que dans ce mystère tout n’est pas révélé par l’Esprit-Saint, et qu’une partie nous est attestée par le témoignage des yeux. : liais pourquoi une nuée le déroba-t-elle aux regards des apôtres ? Cette nuée était un signe que déjà il avait pénétré dans les cieux. Et en effet, ce ne fut point un tourbillon de feu ni un char de feu qui le reçut comme le prophète Élie (2Ro 2,11), mais une nuée qui symbolisait le ciel lui-même, selon cette parole du Psalmiste : « Le Seigneur s’élève sur les nuées ». (Psa 104,3) Quoique cette parole s’applique principalement à Dieu le Père, on peut néanmoins l’entendre de Jésus-Christ, comme se rapportant à la puissance divine, car autrement la nuée n’aurait aucune signification symbolique. Le prophète Isaïe dit également : « Le Seigneur est assis sur une nuée a légère ». (Isa 19,1) 3. Ce prodige s’opéra donc au moment où les apôtres faisaient à Jésus-Christ une question qu’ils considéraient comme très-importante, et où tout préoccupés de ce qu’il allait leur répondre, ils étaient attentifs et vigilants. Une nuée protectrice couvrit le mont Sinaï, lorsque Moïse pénétra dans le tourbillon ; mais dans l’ascension, ce n’était point pour protéger Jésus-Christ. Observons aussi que le divin Sauveur ne dit pas absolument à ses apôtres « Je m’en vais », cette parole les eût contristés ; mais il leur dit : « Je vous enverrai l’Esprit consolateur ». (Jn 16,5, 7) Quant à son élévation au plus haut des cieux, ils la virent de leurs propres yeux. Dieu ! quel magnifique spectacle ! « Et comme ils le contemplaient montant vers le ciel, voilà que deux hommes se présentèrent devant eux avec des vêtements blancs, et leur dirent : Hommes de Galilée, pourquoi demeurez-vous là regardant les cieux ? Ce Jésus, qui du milieu, de vous a été élevé dans le ciel, viendra de la même manière que vous l’y avez vu monter ». Ce sont des anges qui leur apparurent sous une forme humaine, et avec un visage riant. Observons aussi la manière dont ils s’expriment : en parlant de Jésus-Christ, ils disent : « ce Jésus », comme le montrant du doigt, et en s’adressant aux apôtres, ils les nomment « hommes de Galilée », afin de donner à leur parole plus de poids et d’autorité. Autrement, pourquoi les désigner par le nom de leur patrie ? Ajoutons encore que l’éclat de leur beauté attirait sur eux les regards des apôtres, et prouvait surabondamment qu’ils venaient du ciel. Mais pourquoi Jésus-Christ leur envoie-t-il ses anges, au lieu de leur parler lui-même ? C’est que déjà il les avait instruits de toutes choses, et qu’il suffisait de les leur rappeler par le ministère des esprits célestes. Ceux-ci ne disent point : ce Jésus qui a été élevé, mais « qui est monté au ciel », pour montrer au contraire dans ce mystère l’action de sa divinité. Quand ils veulent désigner son humanité ; ils disent : « Ce Jésus qui, du milieu de vous, a été élevé dans le ciel, viendra de la même manière ». Car ici la divinité élève l’humanité. « Il viendra », disent-ils, et il ne sera pas envoyé. En quoi donc le Fils est-il moindre que le Père ? « Une nuée le reçut » ; expression parfaitement juste, puisqu’il s’éleva lui-même sur la nuée, selon cette parole de l’apôtre : « Celui qui est descendu, est le même qui est monté au-dessus de tous les cieux ». (Eph 4,10) Observez donc comment les anges varient leur langage, selon qu’ils se proportionnent à l’intelligence des apôtres, ou qu’ils envisagent l’excellence du Fils de Dieu. D’ailleurs, cet admirable spectacle inspira aux apôtres des idées toutes sublimes, et leur donna une importante notion du second avènement de Jésus-Christ. « Il viendra de la même manière », dirent les anges. Cette parole signifie que Jésus-Christ paraîtra en son humanité sainte, ce que les apôtres désiraient tant savoir, et que ce sera aussi sur les nuées qu’il paraîtra pour le jugement général. « Et voilà », dit saint Luc, « que deux hommes se présentèrent devant eux ». Pourquoi, dit-il, « deux hommes ? » Parce que ces deux anges avaient revêtu une forme humaine, afin de ne point effrayer les apôtres. « Et ils leur dirent : Pourquoi demeurez-vous là, regardant les cieux ? » Cette parole est pleine de bienveillance, et toutefois elle n’annonce pas comme prochain le second avènement du Sauveur. Les anges en affirment seulement la circonstance la plus importante, la certitude que Jésus-Christ reviendra, et la confiance avec laquelle nous devons attendre son retour. Mais quand aura lieu ce retour ? C’est un détail moins important, et ils le taisent. Cependant les apôtres, arrachés au magnifique spectacle qu’ils contemplaient, écoutent attentivement le message qui les assure que ce Jésus, qu’ils ne voient plus, est réellement monté au ciel, et qui les prémunit eux-mêmes contre une vaine curiosité. Car, si auparavant ils demandaient à Jésus-Christ : « Où allez-vous ? » aujourd’hui, bien que dans toute autre circonstance ils eussent dit : « Sera-ce en ce temps-ci que vous rétablirez le royaume d’Israël ? » ils connaissaient tellement sa bonté, que, même après sa passion, ils renouvellent cette question : « Rétablirez-vous ? » Il leur avait dit auparavant : « Vous entendrez parler de guerre et de bruits de guerre, mais ce ne sera encore ni la fin », ni la prise de Jérusalem. (Mrc 13,7) Aussi les apôtres ne parlent-ils que du royaume d’Israël, et non de la fin du monde. D’ailleurs, ils n’avaient eu avec lui que de courts entretiens après sa résurrection, et c’est pourquoi, altérés de gloire et de célébrité, ils s’empressent de l’interroger sur ce prochain rétablissement. Mais Jésus-Christ se renferme dans un silence absolu, parce qu’il n’y avait pour eux aucune nécessité de le savoir. C’est donc par respect pour ce silence du divin Maître, qu’ils ne lui disent plus : « Quel sera le signe de votre avènement et de la fin du monde ? » mais : « Sera-ce dans ce temps-ci que vous rétablirez le royaume d’Israël ? » Ils pensaient, en effet, que ce temps était déjà arrivé, quoique Jésus-Christ leur eût fait comprendre par une parabole qu’il n’était pas encore proche. Aussi ne répond-il à leur demande que par ces mots : « Vous recevrez la vertu de l’Esprit-Saint qui viendra en vous ». Observez ici que Jésus-Christ dit, en parlant du Saint-Esprit, qu’« il viendra » en eux, et non qu’il leur sera envoyé, afin de lui conserver un honneur égal à celui des deux autres personnes de la Trinité. Comment donc, ô ennemis de l’Esprit-Saint, osez-vous dire qu’il est une créature ? « Et vous serez mes témoins ». Cette parole donnait à entendre que Jésus-Christ allait monter au ciel, ou plutôt elle rappelait aux apôtres ce qu’il leur avait déjà annoncé. Au reste, c’est à l’ascension du divin Sauveur que se rapporte cette parole du Psalmiste : « Les nuées et l’obscurité sont sous ses pieds ». (Psa 97,2) Et cette parole est identique à celle-ci : « Une nuée le reçut ». Reconnaissons donc en lui le roi des cieux, puisque son Père lui envoie un char royal : et il le lui envoie afin que les apôtres ne soient point tentés de murmurer ou d’imiter Élisée qui, voyant que son maître lui était ravi, déchira ses vêtements. Mais que disent les anges ? « Ce Jésus qui, du milieu de vous, s’est élevé dans le ciel, viendra de la même manière ». C’est avec raison aussi que saint Luc dit : « Et voilà que deux hommes se présentèrent devant eux ». Car, nous lisons au livre de la loi que toute affaire se termine sur la déposition de deux ou trois témoins. (Deu 17,6) Aussi, les deux anges affirment-ils la même chose. « Avec des vêtements blancs ». Au sépulcre du Sauveur, les apôtres avaient déjà vu un ange brillant de lumière, qui leur avait révélé les pensées de leurs cœurs, et de même ici un ange leur annonce le mystère de l’ascension. Quant aux prophètes, ils en ont souvent parlé en le mêlant à celui de la résurrection. 4. Partout nous retrouvons ce ministère des esprits célestes : à Nazareth près de Marie, à Bethléem pour la naissance de Jésus, au sépulcre pour sa résurrection, et ici pour son ascension. De même aussi, dans son second avènement, les anges seront ses précurseurs. Mais ; après avoir dit : « Ce Jésus qui, du milieu de vous s’est élevé dans le ciel », ils ajoutent aussitôt, pour prévenir toute pensée de tristesse : « Il viendra de la même manière ». Les apôtres respirèrent donc un peu, en apprenant que Jésus ne leur était pas enlevé pour toujours, et qu’il reviendrait de la même manière qu’il était monté au ciel. Remarquons aussi ce mot. « Du milieu de vous ». Il a bien sa raison de convenance, car il rappelle aux apôtres l’amour de Jésus, le choix de leur élection, et la promesse de ne point lés abandonner. Jésus-Christ a voulu être seul témoin de sa résurrection ; et de tous les miracles qui ont précédé ou suivi l’incarnation, celui-ci est le plus étonnant. Aussi disait-il lui-même : « Détruisez ce temple, et dans trois jours je le relèverai ». (Jn 2,19) Mais au jour de son ascension, ce sont des anges qui annoncent son second avènement, en disant : « Il viendra de la même manière ». Que celui donc qui désire voir Jésus-Christ, et qui s’attriste de ne pas l’avoir vu, recueille cette parole ; s’il mène une vie vraiment chrétienne, il est assuré de le voir et de réaliser ses désirs. Car il reviendra environné de gloire, porté sur les nuées, et dans son humanité sainte. Mais combien sera-t-il alors plus admirable de le voir descendre ainsi des cieux, que de (avoir vu s’y élevant de la terre ! Il viendra, disent les anges, mais ils se taisent sur les causes de ce second avènement. « Il viendra de la même manière » ; c’est une preuve de sa résurrection : car, s’il est monté au ciel en son corps, à plus forte raison est-il ressuscité en son corps. Où sont donc ceux qui nient la résurrection ? Sont-ils païens, ou chrétiens ? Je l’ignore ; ou plutôt, je ne le sais que trop bien. Ce sont des païens qui nient la création, et qui affirment également que Dieu ne peut ni tirer une créature du néant, ni la ressusciter du tombeau. Cependant, ils rougissent bientôt de méconnaître ainsi la puissance du Seigneur, et tâchent de s’excuser en disant qu’absolument il pourrait ressusciter les corps, mais que cette résurrection est inutile. Elle est donc bien vraie, leur répondrai-je, cette parole dé l’Écriture : « L’insensé ne dit que des extravagances ». (Isa 32,6) Quoi ! vous n’avez pas honte de refuser à Dieu le pouvoir de tirer du néant une créature ? Mais, s’il ne crée qu’avec une matière préexistante, en quoi diffère-t-il de l’homme ? Eh ! d’où vient le mal ? me direz-vous. Et moi, je vous répondrai que vous ne devez point, pour en expliquer l’existence, admettre un principe mauvais. D’ailleurs, votre langage est doublement absurde. Car, d’abord, si vous ne pouvez concevoir en Dieu le pouvoir créateur, vous comprendrez plus difficilement encore l’origine du mal ; en second lieu, vous blasphémez en soutenant que le mal existe par lui-même. Réfléchissez donc combien il est dangereux de rechercher trop curieusement la source du mal, et parce qu’on ne la connaît pas, d’en faire un second Dieu. Sans doute, il vous est permis d’aborder cette question, mais évitez tout blasphème. Eh quoi ! je blasphème ! Oui, c’est un blasphème que d’affirmer l’éternité d’un principe mauvais, de lui attribuer le pouvoir divin et de le mettre sur le même rang que la vertu. Le mal, dites-vous, existe par lui-même ; mais vous avez oublié cette parole de l’apôtre : « Les perfections invisibles de Dieu sont devenues visibles depuis la création du monde, par tout ce qui a été fait ». (Rom 1,20) C’est pourquoi le démon dit que la matière préexistait avant Dieu et avant la création, afin que celle-ci ne nous conduise point à Dieu. Car, je vous le demande, est-il plus difficile de tirer une créature du néant que de rendre bon ce qui est essentiellement mauvais ? Je parle dans votre hypothèse, et, en supposant que ce principe existe, je dis qu’étant mauvais par lui-même, il ne peut être utilisé pour le bien. Et maintenant, pour parler des qualités d’un être, je vous demanderai lequel est le plus facile, ou d’ajouter une qualité qui n’existait pas, ou de changer une qualité existante en la qualité contraire ? Et encore, laquelle de ces deux choses est la plus aisée ou de bâtir une maison là où il n’y en a jamais eu, ou de relever des ruines ? Évidemment, c’est la première. Concluons donc que le difficile ou même l’impossible ce n’est pas de créer bon ce qui n’existe pas, mais de faire que ce qui est essentiellement mauvais devienne bon. 5. Dites-moi encore lequel est le plus difficile de composer un parfum, ou de forcer la fange à prendre les propriétés du parfum ? Et puisque nous soumettons les œuvres de Dieu à nos faibles raisonnements, (vous, du moins, car pour moi je m’en défends), répondez-moi n’est-il pas plus facile de former l’œil que de faire qu’un aveugle voie, tout en demeurant aveugle, et voie mieux que celui qui a les meilleurs yeux, que de se servir de la cécité pour opérer la vue, de la surdité pour produire l’audition ? Évidemment, la première chose est plus aisée. Eh bien ! vous accordez à Dieu le plus difficile, et vous lui refusez le plus facile 1 Mais pourquoi insister sur cette question ? Nos contradicteurs disent encore que nos âmes sont une portion de la substance divine. Quel langage impie et extravagant ! Ils veulent prouver que Dieu est l’auteur du mal, et ils ne profèrent qu’un horrible blasphème. Car ils font le mal coéternel à Dieu, à qui ils refusent toute existence antérieure. Ainsi ils ne rougissent point d’admettre le mal en partage d’une si haute prérogative. Mais en second lieu, le mal, selon eux, est immortel ; car ce qui n’a pas eu de commencement, ne saurait avoir une fin. Entendez-vous ce blasphème ? Il faut donc nécessairement admettre que rien, ne vient de Dieu, ou dire que lui-même n’existe pas. Mais, en troisième lieu, comme je l’ai déjà observé, c’est là une contradiction flagrante, et qui ne peut qu’attirer la malédiction divine. En quatrième lieu, ils attribuent à une matière variable la puissance la plus absolue. En cinquième lieu, ils affirment que le mal est cause que Dieu est bon, en sorte que, sans le principe mauvais, la bonté divine n’existerait point. En sixième lieu, il nous ferment toute voie pour arriver à la connaissance de Dieu. Septièmement enfin, ils abaissent Dieu jusqu’à l’homme ; que dis-je ? jusqu’au bois et à la plante. Et en effet, si notre âme est une portion de la substance divine, et si elle passe dans le corps des animaux, et même dans les plantes, comme les concombres, les melons et les raves, il est permis de dire que Dieu lui-même s’écoule en un concombre. Voulons-nous donc dire que l’Esprit-Saint s’est bâti un temple dans le sein virginal de Marie, ils sourient de dédain ; et quand nous ajoutons qu’il habite dans le sanctuaire de notre âme, nous provoquons leurs railleries. Et cependant ils ne rougissent point, par un nouveau genre d’idolâtrie, d’abaisser la substance divine jusqu’à un concombre, un melon, une mouche, un hanneton et un âne. Mais ce n’est pas la rave, direz-vous, qui est en Dieu, et c’est Dieu qui est dans la rave ; car jamais la rave n’a été Dieu. – Et pourquoi reculez-vous devant cet écoulement de la divinité dans les corps ? – Parce que ce serait peu digne de Dieu. – Mais votre système est mille fois plus indigne de lui. – Je ne saurais l’avouer. – Et pourquoi ? – C’est qu’il n’est réellement indigne de Dieu que d’habiter dans l’homme. – Découvrez-vous le venin de l’impiété ? Mais pourquoi nient-ils la résurrection des corps, et que disent-ils à ce sujet ? C’est que, selon eux, la chair est essentiellement mauvaise. Et comment, leur dirais-je, connaissez-vous Dieu et la nature ? Comment encore un sage peut-il acquérir la sagesse sans le secours du corps ? détruisez les sens, et que pourrez-vous savoir et apprendre ? Quelle ignorance serait donc le partage de l’âme, si nos sens étaient viciés dans leur principe ! Car il suffit, pour affaiblir ses facultés, qu’une partie du corps, le cerveau par exemple, soit lésée ; et que serait-ce si le corps tout entier était mauvais ! Montrez-moi l’âme en dehors du corps et n’entendez-vous pas les médecins dire chaque jour qu’une maladie violente affaiblit nos facultés mentales ? Pourquoi donc, leur dirai-je encore, ne vous détruisez-vous pas ? Car le corps n’est-il pas matière ? – Certainement. – Vous devriez donc le haïr : et pourquoi encore lui prodiguez-vous la nourriture et mille caresses, quand depuis longtemps vous auriez dû le détruire et briser votre prison ? Mais peut-être Dieu ne peut-il agir sur la matière, s’il ne s’infuse en elle, et ne peut-il lui commander, s’il ne se mêle avec elle, et ne se répand en toutes ses parties ? Quelle faiblesse de raisonnement ! Dans un État, tous obéissent aux ordres du prince, et Dieu ne commanderait pas un principe mauvais ! Mais, en résumé, la matière elle-même ne saurait subsister, si elle ne contenait un peu de bien, car le mal ne peut exister sans cette adjonction, et, s’il n’était joint à quelque vertu, il n’existerait point. Telle est la condition du mal. Supposez, en effet, un voluptueux qui ne se contraigne jamais, et il ne vivra pas dix jours : un malfaiteur qui attaque même ses complices, et il sera bientôt condamné à mort : un voleur qui dérobe publiquement, et il sera promptement jugé. Telle est donc la nature du mal, qu’il ne peut subsister que par le mélange de quelque bien, et telles sont, selon eux, les conditions d’existence gaie Dieu lui a imposées. Une société uniquement composée de citoyens pervers, ne saurait se soutenir ; et les méchants tombent dès qu’ils s’élèvent non plus contre les bons, mais contre eux-mêmes. « En vérité, ces hommes qui se disent sages sont devenus fous ». (Rom 1,22) Car, si le corps de l’homme est mauvais, pourquoi les éléments qui nous environnent, l’eau, la terre, la lumière et l’air, ont-ils été créés ? Car l’air est un corps, quoiqu’il manque d’épaisseur et de solidité. Nous avons bien raison de dire, avec le Psalmiste : « Les impies m’ont raconté leurs fables ». (Psa 119,85) Mais ce langage est intolérable, et nous ne devons plus l’écouter. Oui, la résurrection des corps est certaine ; c’est le dogme que proclament le tombeau vide du Sauveur et le bois auquel il a été attaché. D’ailleurs, les apôtres ne disent-ils pas : « Nous avons mangé et nous avons bu avec lui ? » Croyons donc à la résurrection, et que nos mœurs soient en rapport avec notre foi, nous obtiendrons ainsi les biens éternels, par Jésus-Christ Notre-Seigneur, à qui soient, avec le Père et l’Esprit-Saint, la gloire, l’honneur et l’empire, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il. HOMÉLIE III.
ALORS LES APÔTRES RETOURNÈRENT A JÉRUSALEM, DE LA MONTAGNE APPELÉE DES OLIVIERS, ÉLOIGNÉE DE JÉRUSALEM DE TOUT LE CHEMIN QU’ON PEUT FAIRE UN JOUR DE SABBAT. (ACT. 1,12) ANALYSE.
- 1. L’Orateur, après avoir montré les apôtres et les disciples retirés dans le Cénacle, explique la conduite de Pierre dans l’élection du successeur de Judas, et fait ressortir la primauté de cet apôtre, en même temps que sa douceur et sa condescendance.
- 2. Il revient ensuite sur quelques circonstances précédentes, et fait admirer le zèle des disciples à persévérer dans la prière, et à ne faire tous qu’un cœur et qu’une âme : aussi le Cénacle était-il la vivante image du ciel. – Après cette digression, saint Chrysostome continue le récit de l’élection de saint Matthias, et trouve de belles paroles pour louer la prudence avec laquelle saint Pierre conduisit toute cette affaire.
- 3. Il insiste sur le mot Haceldama, qui fut le nom du champ acheté des trente deniers que rapporta Judas, et il trouve dans la signification de ce mot, champ du sang, une prédiction des malheurs qui accablèrent les Juifs.
- 4. L’Orateur prend occasion de l’abnégation humble et modeste que fit paraître le juste Joseph, lorsque le sort lent décidé contre lui, pour flétrir sévèrement ceux qui briguaient l’épiscopat, et il trace à grands traits les devoirs et les charges d’un véritable évêque.
- 5. Il termine en disant que sa joie et sa consolation est de voir son cher troupeau marcher dans les voies de la justice et de la sainteté.
1. « Alors », dit saint Luc, « les apôtres revinrent ». Alors : à quel moment ? Après qu’ils eurent entendu les paroles des anges ; car, comment eussent-ils pu soutenir cette séparation, si Jésus-Christ ne leur eût promis de revenir ? J’incline aussi à croire que l’ascension arriva un jour de sabbat ; autrement saint Luc n’eût pas spécifié aussi exactement due : « La montagne des Oliviers est éloignée de Jérusalem de tout le chemin qu’on peut faire un jour de sabbat ». On sait, en effet, que la longueur de ce chemin était fixée par la loi. « Et, étant entrés, ils montèrent dans une chambre haute où demeuraient Pierre, Jacques et Jean ». Les apôtres étaient donc restés à Jérusalem après la résurrection ; et aux trois qu’il vient de nommer, saint Luc joint « André, frère de Pierre, Philippe et Thomas, Barthélemi et Matthieu, Jacques, fils d’Alphée, Simon le zélé, et Jude, frère de Jacques ». Or, ce n’est point sans raison qu’il dresse ainsi la liste des apôtres. Car puisque l’un avait trahi son divin Maître, qu’un autre l’avait renié, et qu’un troisième n’avait pas cru à sa résurrection, saint Luc nous assure, en les nommant tous, qu’à l’exception du traître, tous étaient rentrés en grâce. « Ils persévéraient unanimement dans l’o« raison et la prière, avec les femmes ». Belle conduite ! Car la prière est une arme puissante contre la tentation, et le divin Maître leur en avait souvent parlé. D’ailleurs, leur situation présente les y portait assez ; et ils craignaient tant les Juifs qu’ils s’étaient renfermés dans une chambre haute. « Avec les femmes ». Ce sont celles qui, au témoignage du même évangéliste, suivaient le Sauveur « avec Marie, mère de Jésus, et ses frères ». Comment donc est-il dit que le disciple bien-aimé l’avait reçue chez lui ? » (Jn 19,26) C’est qu’elle était revenue parmi les apôtres depuis que Jésus-Christ les avait réunis. « Et avec ses frères » : c’est-à-dire, avec ceux de ses proches qui d’abord ne croyaient pas en lui. « En ces jours-là, Pierre se levant au milieu des frères ». Pierre est l’apôtre vif et impétueux auquel Jésus-Christ a confié la garde de son troupeau ; et parce qu’il est le premier en dignité, le premier aussi il prend la parole. Or, « ils étaient environ cent vingt ». Et il dit : « Mes frères, il fallait que ce qu’avait prédit l’Esprit-Saint fût accompli ». Mais ici on peut demander pourquoi Pierre ne s’adresse jas directement à Jésus-Christ, pour le prier de désigner celui qui devra remplacer le traître Judas, et pourquoi encore les apôtres ne se chargent pas seuls de cette élection ? Je réponds d’abord que Pierre était devenu moins présomptueux et plus humble, et je donne ensuite deux raisons de ce que les apôtres ont voulu remettre à Dieu le choix d’un douzième apôtre. La première est qu’ils étaient absorbés par de graves occupations, et la seconde, que ce mode d’élection prouvait parmi eux la présente du Sauveur. Et, en effet, c’était lui qui les avait choisis aux jours de sa vie mortelle, et c’est lui qui les choisit encore après son ascension. N’était-ce pas là pour eux une grande consolation ? Mais observez encore que Pierre prend en toutes choses l’avis de ses frères, et qu’il ne fait rien avec hauteur et autorité. Au lieu de dire simplement : Choisissons celui-ci à la place de Judas, il cherche à les consoler de ce crime horrible en usant de circonlocution. Car la trahison de Judas les avait profondément consternés ; et ne nous en étonnons point, aujourd’hui encore nous en sommes tout bouleversés : et que ne durent-ils donc pas éprouver ? « Mes frères » ; c’était le nom dont Jésus avait appelé ses apôtres ; et quel autre nom convenait mieux en la bouche de Pierre ? Aussi est-ce à tous qu’il adresse ce langage affectueux. Cette église du cénacle représentait donc l’ordre et la hiérarchie des esprits célestes. Car tous, hommes et femmes, ne faisaient qu’un : et c’est ainsi que nous devrions être. Nul ne se préoccupait alors du monde, ni même des soins de la famille, tant les épreuves nous sont utiles, et les afflictions salutaires ! « Il fallait que ce qui a été prédit par l’Esprit-Saint fût accompli ». A l’exemple de Jésus-Christ, Pierre console ses frères en leur rappelant la prophétie divine, et il leur montre que rien n’arrive par hasard, et que tout a été prédit. « Il fallait », dit-il, « que ce que l’Esprit-Saint avait prédit par la bouche de David fût accompli ». Il ne dit point : David a prédit, mais l’Esprit-Saint par sa bouche. Voyez donc quelle doctrine saint Luc promulgue dès les premières lignes de son récit ; aussi ai-je eu raison de dire, en commençant ces homélies, que le livre des Actes était l’Œuvre du Saint-Esprit : « Ce que l’Esprit-Saint avait prédit par la bouche de David ». Ici saint Pierre cite le roi-prophète, et s’appuie sur son témoignage, parce qu’il savait qu’auprès des apôtres son autorité serait plus grande que celle de tout autre prophète. « Touchant Judas qui a été le guide ». Quelle réserve dans son langage ! Nulle injure, nulle insulte ; il s’abstient même d’appeler Judas du nom de scélérat et de maudit. Il se contente donc de raconter le fait, et, sans prononcer le mot trahison, il cherche à rejeter sur les complices de Judas la honte de son crime. Encore ne les poursuit-il pas avec véhémence, et se borne-t-il à les désigner par ces mots : « Ceux qui ont pris Jésus ». Remarquons aussi qu’avant d’indiquer le psaume de David d’où il a tiré cette prophétie, Pierre raconte l’action de Judas, afin que le présent soit une garantie de l’avenir. Il rappelle également que ce traître a déjà reçu le châtiment de son crime. « Car il était compté parmi nous », dit-il, « et il avait reçu sa part de ce ministère ; et il a possédé un champ du salaire de l’iniquité ». Ici le discours devient moral, et laisse entrevoir une sévère leçon. Pierre dit aussi que ce champ a été possédé par Judas, et non par les Juifs. Mais parce que des esprits faibles sont plus touchés du présent que de l’avenir, il rappelle immédiatement quel a été son châtiment. « Et s’étant pendu, il s’est brisé par le milieu du corps, et ses entrailles se sont répandues sur la terre ». Remarquez qu’il insiste bien plus sur la punition du crime que sur le crime lui-même, et qu’il en tire comme un motif de consolation. « Et ceci a été connu de tous les habitants de Jérusalem, en sorte que ce champ a été appelé en leur langue HACELDAMA, c’est-à-dire, champ du sang ». 2. Les Juifs l’appelèrent donc ainsi uniquement par rapport à Judas, qui lui valut ce nom. Et Pierre cite en témoignage les ennemis mêmes du Christ, car c’est ce que signifie cette parole : « En leur langue ». Enfin, après avoir raconté l’événement, il mentionne la prophétie qui l’annonçait. « Comme il est écrit au livre des Psaumes : Que sa demeure soit déserte, et que nul n’y habite, et qu’un autre reçoive son apostolat ». (Psa 68,26) La première partie de la prophétie concerne la maison et les biens de Judas, et la seconde se rapporte à son apostolat et à son sacerdoce. Mais, par cette citation, Pierre semble dire : « que je vous propose est bien moins mon propre conseil que l’accomplissement des décrets de celui qui l’a fait prédire. Et en effet, le témoignage du Psalmiste empêchait qu’il ne parût vouloir exécuter seul cette élection, et faire ce que Jésus-Christ aurait fait lui-même. « Il faut donc », dit-il, « que parmi ceux « qui ont toujours été unis à nous ». Pourquoi fait-il cette communication à toute l’assemblée ? Afin de prévenir toute contestation, et toute dispute. Car ce qui était autrefois arrivé aux apôtres pouvait se renouveler parmi les disciples. Aussi Pierre, qui veut en éviter jusqu’au moindre prétexte, a-t-il soin de dire dès le début : « Mes frères, il faut choisir parmi nous ». Ainsi il abandonne l’élection au choix de la multitude, et par là il témoigne de son respect envers ceux qui seront proposés, et éloigne de lui tout soupçon de partialité. Or, qui ne sait que souvent ce soupçon a causé les plus grands maux ? L’apôtre cite donc la prophétie pour établir la nécessité de l’élection, et il ne se réserve que de désigner ceux sur qui elle peut tomber, en disant : « Il faut choisir un de ceux qui ont toujours été unis à nous ». S’il eût circonscrit le choix parmi les plus dignes, il eût offensé tous les autres. C’est ce qu’il évite, s’en remettant au bénéfice de l’élection. Observons encore qu’il ne dit pas simplement : « Parmi ceux qui ont été unis à nous », mais « parmi ceux qui ont toujours été unis à nous pendant que le Seigneur Jésus a vécu au milieu de nous, à commencer depuis le baptême de Jean jusqu’au jour où il a été enlevé du milieu de nous, il faut qu’on en choisisse un qui soit avec nous témoin de sa résurrection ». Eh ! pourquoi ce choix était-il nécessaire ? Afin que le collège apostolique fût complet. Mais est-ce que Pierre ne pouvait pas choisir lui-même ? Sans doute, il le pouvait, et il s’en abstint par humilité. D’ailleurs il n’avait pas encore reçu l’Esprit-Saint. « Alors ils en présentèrent deux, Joseph, appelé Barsales ; et surnommé le Juste, et Matthias ». C’est l’assemblée qui les présente, et non pas Pierre. Celui-ci s’est borné à proposer cette élection, moins comme un projet venant de lui que comme l’accomplissement d’une ancienne prophétie. Ainsi, il interprète l’Écriture, et ne commande rien. « Ils présentèrent Joseph, appelé Barsales ; et surnommé le Juste ». Peut-être plusieurs parmi les frères se nommaient-ils Joseph : c’est pourquoi saint Lue désigne celui-ci par un double surnom. Nous observons également que parmi les apôtres plusieurs ont eu un surnom : ainsi nous trouvons Jacques fils de Zébédée ; Jacques fils d’Alphée ; Simon Pierre ; Simon le Zélé ; Jude, frère de Jacques et Judas Iscariote. Le surnom de Juste pouvait aussi lui venir du changement de ses mœurs, ou bien il se l’était donné lui-même. Quoi qu’il en soit, « ils présentèrent Joseph, appelé Barsabas, et surnommé le Juste, et Matthias ; et se mettant en prière ; ils dirent : Seigneur, vous, qui connaissez les cœurs de tous les hommes, montrez-nous lequel des deux vous avez choisi pour prendre place dans ce ministère et dans l’apostolat dont Judas est déclin par son crime, pour s’en aller en son lieu ». Ils mentionnent ici son crime, comme pour déclarer qu’ils ne cherchent qu’un témoin de la résurrection de Jésus-Christ, et qu’ils ne veulent que compléter le collège apostolique. « Alors ils tirèrent leurs noms au sort, car l’Esprit-Saint n’avait pas encore été donné, et le sort tomba sur Matthias, et il fut compté avec les onze apôtres ». (Act 1,20, 26) « Ceux-ci », dit saint Luc (ayant entendu la parole des anges), « retournèrent à Jérusalem de la montagne appelée des Oliviers, éloignée de Jérusalem de tout le chemin qu’on peut faire un jour de sabbat ». Cette remarque indique qu’ils n’eussent pu faire un long trajet dans l’état de frayeur et de crainte où ils se trouvaient. « Et étant entrés, ils montèrent dans une chambre haute », parce qu’ils n’osaient se montrer dans la ville. Ils montèrent donc dans une chambre haute, afin qu’il fût plus difficile de les découvrir. « Et ils persévéraient tous unanimement dans la prière ». Observez ici avec quel soin ils persévèrent dans la prière, et admirez l’unanimité qui règne parmi eux. Elle est si grande qu’ils semblent tous ne faire qu’un cœur et qu’une âme. C’est le double témoignage que leur rend saint Luc. Quant à Joseph, époux de Marie, il était probablement mort, car si les frères de Jésus croyaient en lui, comment fût-il resté incrédule, lui qui avait cru avant tous ? Et en effet, il ne considérait point le Christ comme un pur homme, ainsi que l’attestent ces paroles de Marie à Jésus : « Votre père et moi nous vous cherchions, fort affligés ». (Luc 2,48) Joseph avait donc connu le divin Sauveur avant tous. Et celui-ci disait à ses frères : « Le monde ne peut vous haïr, mais il me hait ». (Jn 7,7) Je veux aussi vous faire admirer la modestie de Jacques. Il était désigné pour être évêque de Jérusalem, et cependant il garde le silence. Considérez également la profonde humilité de tous les autres disciples : ils ont banni toute rivalité et se cèdent mutuellement les honneurs de l’apostolat. Car il semblait que cette église naissante habitât déjà dans les cieux et ne tint plus à la terre. Aussi, sans être revêtu de marbre précieux, le cénacle était-il tout resplendissant de la ferveur des premiers fidèles. « Et ils étaient », dit saint Luc, « environ cent vingt ». Ce nombre se composait sans doute des soixante-dix disciples que Jésus-Christ avait choisis lui-même, de quelques autres qui se distinguaient par leur piété, comme Joseph et Matthias, et des femmes qui suivaient le Sauveur. 3. Admirez ici la prudence de saint Pierre. Il commence par citer l’autorité d’un prophète, et ne dit point : Ma parole peut bien suffire, tant il est éloigné de toute pensée d’orgueil. Mais il n’envisage que l’élection d’un douzième apôtre, et il poursuit ce but, quoiqu’il n’ignore pas qu’il ne commande point à tous au même titre. Au reste, toute cette conduite prouve l’éminence de sa vertu, et montre que Pierre comprenait la prérogative du commandement bien moins comme une charge honorifique, que comme un engagement de veiller au salut de ses inférieurs. Au reste, ceux qui étaient proposés pour l’apostolat ne pouvaient en tirer vanité, car ce choix les exposait à mille dangers, et ceux qui n’étaient point désignés ne pouvaient également s’attrister et se croire déshonorés. Mais aujourd’hui, c’est tout le contraire qui arrive par rapport aux dignités ecclésiastiques. Les disciples étaient au nombre de cent vingt, et de toute cette multitude, il n’en demande qu’un. Mais c’est à juste titre qu’il propose l’élection et qu’il prend dans cette affaire la principale autorité, parce que le soin de tous lui a été confié. Et en effet, Jésus-Christ lui avait dit : « Quand tu seras converti, confirme tes frères ». (Luc 22,32) « Judas », continue donc saint Pierre, « avait été compté parmi nous », et c’est pourquoi il faut choisir en sa place un autre témoin. Là-dessus, il allègue, à l’exemple de son divin Maître, l’autorité de l’Écriture ; et il ne parle pas de Jésus-Christ lui-même, parce que le Sauveur avait souvent prédit cette trahison. Il s’abstient également de citer ce passage des Psaumes qui s’y rapporte évidemment : « La bouche du pécheur et les lèvres du fourbe se sont ouvertes contre moi » (Psa 109,2) ; et il rappelle seulement la prophétie qui annonce le châtiment de l’apostat. C’était en effet tout ce, qu’il importait aux disciples de connaître. Pierre déclare aussi combien a été grande envers Judas la bonté du divin Maître. Car « il avait été », dit-il, « compté parmi nous, et il avait reçu sa part de ce ministère ». « Sa part », dit-il toujours, montrant ainsi que tout vient de Dieu et de sa libre élection. Ce mot était encore un souvenir de l’ancienne loi et rappelait aux apôtres que Jésus-Christ les avait choisis pour être la part de son héritage, comme autrefois le Seigneur avait choisi les lévites. Enfin, Pierre insiste sur la fin honteuse de Judas, et il fait observer que le prix même de sa trahison en proclame le châtiment. « Il a possédé », dit-il, « un champ du salaire de l’iniquité ». Voyez comme tout arrive selon les décrets divins. « Le salaire de l’iniquité ». Certes, il est plus d’une sorte d’iniquités, mais nulle n’est plus criminelle que la trahison de Judas ; et cette trahison est une souveraine iniquité. Mais comme il ne suffisait pas qu’elle fût connue de la génération présente, les Juifs, à leur insu, et comme Caïphe, qui prophétisait sans le savoir, donnèrent à ce champ un nom qui devait perpétuer le souvenir de ce forfait. Le Seigneur les força donc à nommer ce champ « Haceldama », comme en prévision des malheurs de la nation. Déjà même ce nom prouve un premier accomplissement de la prophétie par rapport à Judas ; car « il eût mieux valu pour lui de n’être jamais né ». (Mat 26,24) Au reste, cette parole s’applique également aux Juifs, qui ne méritaient pas moins que leur guide d’être châtiés. Mais, pour le moment, saint Pierre n’en parle point, et il se borne à justifier ce nom prophétique : Haceldama, par la citation de ce verset des psaumes : « Que sa demeure soit déserte ». (Psa 69,26) Et en effet, quel lieu plus désert qu’un tombeau ? Aussi ce champ fut-il avec raison appelé ainsi. Et Judas, qui en fournit le prix, quoiqu’il ne l’ait pas lui-même acheté, doit être justement considéré comme la cause d’une si grande désolation. Or, une étude sérieuse des faits nous montre que cette première désolation fut le principe de toutes celles qui accablèrent les Juifs. Eh ! ne savons-nous pas que la famine en fit périr des milliers, et que la guerre en moissonna un si grand nombre, que Jérusalem devint le cimetière des étrangers et des soldats ? Bien plus, on dédaignait d’enterrer les cadavres, parce qu’on les jugeait comme indignes des honneurs de la sépulture. « Il faut », dit saint Pierre, « que parmi ceux qui se sont unis à nous ». Observez avec quel soin il veut des témoins oculaires, quoiqu’il sût bien que l’Esprit-Saint devait leur être envoyé, et qu’il y attachât une grande importance. « Qui se sont unis à nous pendant tout le temps que le Seigneur Jésus a vécu au milieu de nous ». Cette dernière parole signifie que les apôtres avaient habité avec lui, et qu’ils avaient été plus que ses disciples. Car, dès le commencement, plusieurs le suivaient, comme nous l’apprenons de l’évangéliste qui nous dit « qu’André, frère de Simon Pierre, était l’un des deux disciples qui avaient en« tendu Jean et qui avaient suivi Jésus ». (Jn 1, 40) « Pendant tout le temps », poursuit l’apôtre, « que le Seigneur Jésus a vécu au milieu de nous, à commencer depuis le baptême de Jean ». Il précise avec raison cette époque, parce que l’Esprit-Saint leur avait seul révélé les mystères qui avaient précédé, et qui échappaient à la connaissance des hommes. « Jusqu’au jour où il a été enlevé du milieu de nous, on en choisisse un qui soit avec nous témoin de sa résurrection ». Il ne dit pas, un témoin de tous les miracles de Jésus-Christ, mais seulement un témoin de sa résurrection, parce qu’il avait droit à être cru sur tous les autres faits, celui qui pouvait dire : Ce Jésus, qui buvait et qui mangeait avec nous, et qui a été crucifié, est le même qui est ressuscité. Ainsi, il cherche, non un disciple qui ait vu les faits qui ont précédé ou suivi la résurrection, mais qui puisse rendre témoignage de celle-ci. Car les autres faits étaient publics et évidents, tandis que la résurrection s’était opérée comme en secret, et n’était connue que d’un petit nombre. Remarquez encore que les apôtres ne disent point : des anges nous l’ont affirmée, mais nous l’avons vue. Eh ! quelle preuve nous en donnez-vous ? Les miracles que nous faisons. Ils étaient donc des témoins entièrement dignes de foi. « Alors, ils en présentèrent deux ». Et pourquoi pas un plus grand nombre ? Pour ne pas augmenter le trouble des esprits, et circonscrire l’élection. Ce n’est pas non plus sans raison que saint Luc ne place Matthias qu’au second rang ; cela prouve que souvent celui qui est prééminent devant les hommes, est bien petit devant Dieu. Et se mettant en prière, ils dirent : « Seigneur, vous qui connaissez les cœurs de tous les hommes, montrez-nous lequel des deux vous avez choisi ». Vous, Seigneur, disent-ils, et non pas nous. Et ils rappellent bien à propos qu’il connaît les cœurs, car c’est lui seul, et non les hommes, qui doit faire l’élection. Tous les disciples priaient donc avec une entière confiance, car il fallait absolument que l’un des deux fût choisi. Et ils ne disent pas : choisissez, Seigneur ; mais « montrez-nous lequel des deux vous avez choisi » ; parce qu’ils n’ignoraient pas le dogme de la prescience divine. « Pour prendre place dans ce ministère et l’apostolat ». C’est qu’en dehors de l’apostolat, il y avait un autre ministère. « Et ils les tirèrent au sort ». Ils s’en rapportèrent à ce signe de la volonté divine, se jugeant indignes de faire eux-mêmes l’élection. 4. L’histoire de Jonas nous apprend que sans égard à l’indignité des consultants, qui ne songeaient pas même à prier, le Seigneur dirigea le sort parce qu’ils agissaient de bonne foi. Mais ici cette direction ne pouvait leur faire défaut, puisqu’il s’agissait de compléter le chœur des apôtres et d’en parfaire le nombre sacré. Joseph ne murmura point de son exclusion, car, les apôtres ne nous l’eussent pas caché, eux qui nous ont rapporté les actes nombreux de murmures auxquels les principaux d’entre eux se laissèrent souvent entraîner. Imitons le silence de ce juste. Je ne le dis pas à tous, mais à ceux qui recherchent les dignités. Si vous croyez que le choix vient de Dieu, pourquoi murmurer ? Vous vous irritez et vous murmurez contre Dieu même, puisque c’est lui qui a fait ce choix. Or, dans ces circonstances, la jalousie et le murmure rappelleraient la conduite de Caïn. Celui-ci éprouva un vif ressentiment de ce que le sacrifice de son frère était plus agréable au Seigneur que le sien ; et il ne fit paraître qu’une basse et envieuse jalousie, lorsqu’il eut dû montrer un sincère repentir. Je ne dis point que vous en veniez jusque-là, mais je soutiens qu’il appartient à Dieu de dispenser utilement les charges et les dignités. Car, souvent vous, qui avez des mœurs simples et modestes, vous n’y êtes point propres. Et de même aussi, il ne suffit pas d’une vie pure et exemplaire pour gouverner une église. Car celui-ci est apte à un emploi, et celui-là à un autre – Il est facile d’en trouver mille exemples dans la sainte Écriture. Mais je dirai franchement pourquoi l’on brigue ainsi l’épiscopat. C’est qu’on l’envisage moins comme une charge pleine de sollicitude pour le salut de ses frères, que comme un honneur et un repos. Ah ! si vous étiez bien persuadé qu’un évêque doit être le serviteur de tous, et qu’il doit porter les fardeaux de tous ; qu’on pardonne aux autres quelques mouvements de colère, et qu’en lui on n’en tolère aucun ; qu’on excuse beaucoup dans les autres, et que pour lui on est implacable, vous n’ambitionneriez pas cette dignité. Un évêque est exposé à la malignité de toutes les langues et à la critique de tous, des sages comme des insensés. En proie à mille inquiétudes, lé jour et même la nuit, il devient encore pour plusieurs un objet de haine ou de jalousie. Sans doute, je ne parle pas ici de ces évêques qui ne s’étudient qu’à plaire à tout le monde, qui craignent le moindre travail, et qui font de l’épiscopat un état de repos et de somnolence. Je les laisse de côté, et je parle de ceux qui veillent sur leur troupeau, et qui exposent leur salut pour sauver vos âmes. Répondez-moi : Le père de famille qui a dix enfants, tous parfaitement soumis, et habitant avec lui, ne laisse-t-il pas néanmoins d’exercer sur eux une continuelle vigilance ? Eh l que fera donc un évêque dont la nombreuse famille qui reconnaît son autorité n’est point placée sous son œil, ni sous sa main ? Mais, direz-vous, il est entouré d’honneurs. De quels honneurs ? Sur la place publique, les derniers des mendiants lui prodiguent l’injure et le sarcasme. Eh ! pourquoi ne leur ferme-t-il pas la bouche ? Vous parlez tout à votre aise ; mais la chose n’est pas facile à faire. Oui, si un évêque ne donne aux fainéants comme aux travailleurs, tous s’accordent pour le décrier, et tous osent l’accuser et le calomnier. Si c’était un prince, la crainte arrêterait ; mais ici, ce motif est nul, car les insulteurs ne craignent point Dieu. Qui pourrait encore se représenter les soucis d’un évêque par rapport à la prédication, au maintien de la doctrine, et aux nombreuses difficultés des ordinations ? Peut-être suis-je moi-même un évêque faible, misérable et de nulle valeur ; mais il me semble que les choses sont bien telles que je les dépeins. Aussi, un pasteur est-il véritablement comme une nacelle qui est battue des vagues. Car de tous côtés, il est assailli par ses amis et ses ennemis, par ses proches et par les étrangers. Eh quoi ! un seul empereur gouverne l’univers, et un évêque ne l’est que d’une seule ville. Je l’avoue, et néanmoins les sollicitudes de l’évêque sont d’autant plus grandes que la mer est plus houleuse et les vagues plus furieuses. Comment ? C’est que le prince fait agir ses nombreux ministres, et que ses lois et ses volontés sont parfaitement exécutées. Mais ici il n’en est pas de même. L’évêque ne saurait commander avec une souveraine autorité ; s’il est sévère, on l’appelle rigide, et s’il est bon et facile, on l’accuse d’être lâche et indifférent. Il faut donc qu’il unisse en lui comme deux éléments contraires, et qu’il ne s’attire ni le mépris, ni la haine. Que dirai-je de la préoccupation des affaires ? Combien d’hommes il doit nécessairement offenser, même sans le vouloir ! et combien d’autres il est obligé de traiter avec sévérité ! Je parle ici dans toute la sincérité de mon âme, et je dis que peu de pasteurs se sauvent, et que le plus grand nombre se damnent, parce que la charge pastorale exige une vertu héroïque. Et en effet il faut que sans cesse l’évêque fasse violence à son caractère, et qu’il exerce sur lui-même la plus active vigilance. Eh ! ne voyez-vous pas quel es qualités doit posséder un évêque ? Il doit être puissant en doctrine, patient, et capable d’instruire fidèlement. Mais que de difficultés dans ce ministère de la parole ! Bien plus, l’évêque est responsable du salut de ses frères ; et, pour ne citer qu’un seul exemple, si par sa faute un catéchumène meurt sans baptême, son salut n’est-il pas bien hasardé ? car la perte d’une âme est un malheur qu’on ne peut assez déplorer. Le salut d’une âme est d’un si haut prix que, pour l’assurer, le Fils de Dieu s’est fait homme, et qu’il est mort sur la croix : de quels supplices la perte de cette âme ne sera-t-elle donc pas punie ? La justice des hommes condamne l’homicide au dernier supplice ; eh ! que ne fera pas la justice divine ! Ne me dites point qu’ici le prêtre ou le diacre sont seuls responsables, car leur péché rejaillit sur l’évêque qui leur a imposé les mains. Nouvelle difficulté : un indigne a reçu l’ordination. Que conseillera la prudence pour réparer des fautes accomplies ? L’évêque marche alors entre deux précipices, car il ne doit, ni tolérer l’homme en question, ni scandaliser les fidèles. Faut-il donc retrancher tout d’abord ? mais l’occasion ne se présente pas. Faut-il tolérer ? ce serait le mieux, direz-vous, car les fautes de ce clerc retombent sur celui qui lui a imposé les mains. Eh quoi ! faut-il ne plus lui imposer les mains et ne pas l’admettre à un degré plus élevé ? mais ce sera rendre son indignité publique. Nouvel écueil, nouveau scandale. L’admettra-t-on à un degré plus élevé ? on ne fera qu’aggraver le mal. 5. Concluons que celui qui considère la dignité épiscopale comme une charge lourde et onéreuse, ne s’y engagera pas facilement. Mais aujourd’hui on la regarde comme une magistrature séculière, et nous perdons devant Dieu tout ce que nous gagnons devant les hommes en gloire et en honneur. Quel gain solide en retirons-nous ? et tout n’est-il pas néant et vanité ? Vous ambitionnez le sacerdoce ; eh bien ! mettez en regard l’enfer, et le compte qu’il vous faudra rendre ; la vie calme et paisible que vous menez, et la rigueur des supplices éternels. Si un laïque pèche, il sera puni moins sévèrement ; mais si un prêtre pèche, il se damne. Rappelez-vous les travaux de Moïse, sa douceur et ses mérites ; et cependant quelle punition ne lui attira pas un seul péché ! mais elle fut juste, parce que ce péché devint préjudiciable à tout le peuple. Moïse fut donc puni rigoureusement, bien moins parce que sa faute avait été publique, que parce qu’il avait péché comme prêtre. Car le châtiment d’un péché public est tout autre que celui d’un péché secret. La faute peut être la même ; mais la punition en est différente. Que dis-je ? il n’y a point égalité dans la faute ; et autre est un péché secret, et autre un péché public. Au reste, un évêque ne saurait pécher en secret. Juste et innocent, il est bien à souhaiter qu’il ne soit pas exposé aux traits de la calomnie ; mais, fautif et pécheur, il ne peut les éviter. Un mouvement de colère, un rire peu mesuré et un sommeil trop prolongé, deviennent contre lui une occasion d’amères critiques. Que de gens s’en offensent ! Les uns lui tracent des règles de conduite, et les autres, rappelant le souvenir des anciens évêques, blâment le nouveau pasteur ; mais s’ils retracent ainsi les vertus de ces anciens prêtres et évêques, c’est bien moins par zèle de leur gloire que par esprit de censure et de malignité. La guerre, disent-ils, plaît toujours aux nouveaux soldats. Ce proverbe est vrai aujourd’hui encore, et nous-mêmes nous le répétons à la veille du combat. Mais dès qu’arrive ce jour, rien ne nous distingue plus du grand nombre. Car, loin de combattre ceux qui oppriment les pauvres, nous ne défendons pas même le troupeau de Jésus-Christ, et nous ressemblons à ces pasteurs dont parle Ézéchiel, qui tuent et dévorent les brebis. (Eze 34,2) Quel évêque paît le troupeau de Jésus-Christ avec la même sollicitude que Jacob gardait celui de Laban ? et qui, à son exemple, supporte les froids de la nuit ? Ne m’objectez point mes veilles et mes soins empressés, car tout ce que je fais n’est rien. Cependant les consuls eux-mêmes sont moins honorés qu’un évêque. A la cour il est le premier ; et parmi les dames, et dans le palais des grands on lui défère le premier rang. Hélas ! ces honneurs ont tout vicié et tout corrompu. Si je parle ainsi, ce n’est point pour vous faire rougir, et je ne veux que modérer en vous le désir de l’épiscopat. Quelle différence faites-vous entre le briguer vous-même, ou y parvenir par les intrigues d’un ami ? De quel œil regarderez-vous désormais ce puissant auxiliaire ? et que pourrez-vous alléguer pour votre justification ? Celui qui n’a accepté l’épiscopat que malgré lui, peut du moins présenter cette répugnance comme une excuse ; et, quoique le plus souvent on ne lui en tienne pas compte, elle ne laisse pas d’être une excuse réelle. Vous savez quel a été le sort de Simon ? Eh ! qu’importe qu’au lieu d’argent, vous prodiguiez l’adulation et l’intrigue ! « Que ton argent périsse avec toi ! » lui dit Pierre, et il vous dira à vous : Que votre ambition périsse avec vous, parce que vous avez cru que le don de Dieu s’acquérait par des moyens humains ! Mais qui arrive à l’épiscopat par cette voie ? Plût à Dieu qu’on ne pût en citer un seul exemple ! Au reste, je désire vivement que ces paroles ne vous concernent en rien, et ce n’est que par incident que j’ai touché ce sujet : car lorsque je m’élève contre l’avarice, je n’ai en vue aucun de vous, ni en général, ni en particulier. Plaise donc au ciel que tous nos avertissements vous deviennent inutiles ! Le désir du médecin est de voir que ses soins multipliés rendent superflu l’emploi des remèdes et de même je souhaite que mes paroles se perdent dans l’air, et né soient qu’un vain bruit. De mon côté, je suis disposé à tout souffrir plutôt que de reprendre ce sujet ; et si vous le voulez, je n’y reviendrai plus, pourvu que mon silence soit sans danger. Car je ne pense pas que le plus ambitieux d’entre vous veuille, sans y être contraint, aspirer à l’épiscopat. Désormais je me bornerai à vous instruire par de bons exemples, car c’est là le meilleur de tous les enseignements. Un habile médecin gagne gros par ses cures, et néanmoins il préfère voir ses amis en bonne santé. C’est ainsi que je désire l’heureuse santé de vos âmes, car tout en voulant me sauver, je ne veux point votre perte. Ah ! si je pouvais vous faire voir toute la charité de mon cœur, nul ne s’offenserait même d’un reproche amer. « Car il est certain que les blessures d’un ami valent mieux que les baisers empressés d’un ennemi ». (Pro 27,6) Vous m’êtes plus chers que la lumière elle-même ; et je souhaiterais cent fois d’en être privé, pourvu que je pusse à ce prix convertir vos âmes ; tant votre salut m’est plus doux que les rayons du soleil. Eh ! de quels charmes sont-ils pour moi, si la douleur de votre perte répand sur mes yeux d’épaisses ténèbres ? La lumière extérieure est bonne, quand elle s’harmonise avec la joie du cœur ; et elle fatigue l’œil, lorsque l’âme est plongée dans un noir chagrin. Je parle ici en toute sincérité, et puisse l’expérience – ne jamais vous l’apprendre ! Au reste, s’il arrive qu’un seul d’entre vous tombe dans une faute grave, réveillez mon zèle. Que je périsse si je deviens semblable au paralytique ou à l’insensé, et si je suis réduit à dire avec le prophète : « La lumière de mes yeux s’éteint, et elle n’est plus en moi ». (Psa 38,10) Eh ! quelle espérance peut me sourire, quand vous ne faites aucun progrès dans la vertu ! Mais aussi quelle tristesse peut m’accabler, quand vous vous conduisez dignement ! Oui, je ne marche plus, je vole lorsque j’entends dire du bien de vous. « Comblez donc ma joie ». (Phi 23) Car je ne souhaite, et je ne désire que votre avancement spirituel, et je ne veux l’emporter sur vous tous qu’en une seule chose ; c’est que je vous aime et que je vous chéris. Oui, vous êtes tout pour moi, père, mère, frères et enfants. Ah ! ne pensez pas qu’aucune de mes paroles me soit inspirée par un sentiment d’aversion ! je ne parle que pour votre correction ; « et le frère », dit l’Écriture, « qui est aidé par son frère, est semblable à une ville fortifiée ». (Phi 23) Car je ne souhaite, et je ne désire que votre avancement spirituel, et je ne veux l’emporter sur vous tous qu’en une seule chose ; c’est que je vous aime et que je vous chéris. Oui, vous êtes tout pour moi, père, mère, frères et enfants. Ah ! ne pensez pas qu’aucune de mes paroles me soit inspirée par un sentiment d’aversion ! je ne parle que pour votre correction ; « et le frère », dit l’Écriture, « qui est aidé par son frère, est semblable à une ville fortifiée ». (Pro 18,19) Ne murmurez donc point ; car, moi aussi, j’estime votre parole, et bien volontiers je recevrais vos avis et vos observations. Nous sommes tous frères, et nous n’avons tous qu’un seul et même Maître. Or, dans une famille, un seul commande, et tous les autres obéissent. C’est pourquoi ne murmurez point ; mais en toutes choses agissons pour Dieu, à qui soit la gloire dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.